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Full text of "Memoires de Jean sire de Joinville; ou, Histoire et chronique du tres-chretien roi Saint Louis;"

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5., 


■    i 


i 


MEMOIRES 

DE  JEAN 


SIRE  DE  JOINVILLE 


M 


MEMOIRES 

DE  JEAiN 

SIRE  DE  JOINVILLE 

Ol 

HISTOIRE  ET  CHRONIQUE 

W  TRÈS-CHRÉTIEN  ROI 

SAINT   LOUIS 

PDBI.IK» 

PAK   M    FRANCISQUE  MICHEL 

ConcsitonclHiH  dr  l' Institut  de  France,  de  l'Académie  impériale  de  Vienne 

lie  l'Académie  royale  des  Srirnrr»  de  Tarin 

(l«-«  Soriétés  dm  Antiquaires  de  Londrrs  fl  d'F>iis!tc 

•^  PRÉCÉDÉS 

DE   DISSERTATIONS 

PAR  H.  AHBR.  riRHlN  DIDOT 

e 

KT  d'uNK   notice 

SUR  LKS  MANUSCRITS  DU  SIRE  DE  .fOINVILLfc: 
PAR    M.   PAULIN   PARIS 

M  KM*  m   DC   L'iVSTtTVf" 


PARIS 

LIBRAIRIE  DE  FIRMfN  DIDOT  FRÈRES,  FILS  ET  C»' 

IMPRIMEURS  DE   l'iNSTITUT,   RUE  JACOR,   50» 

1859 


<    ) 


AVANT-PROPOS; 


Joiuville  est  l'une  des  plus  anciennes  connaissances  de 
ma  jeunesse  ;  j'échappais  à  peine  aux  bancs  du  collège, 
que  j'avais  déjà  entrepris  d'en  publier  une  édition  meil- 
leure que  celles  qui  se  trouvaient  alors  dans  le  commerce. 
Le  premier  volume  venait  de  paraître  dans  une  collection 
dirigée  par  M.  Laurentie,  lorsque  la  révolution  de  1830 
éclata  et  mit  fin  à  cette  entreprise,  en  même  temps  qu'au 
gouvernement  des  fils  de  saint  Louis.  Le  bon  sénéchal 
de  Champagne  rentra  dans  sa  tombe,  dont  j'avais  pieuse- 
ment cherché  à  soulever  la  pierre ,  et  n'en  sortit  sous  sa 
véritable  physionomie,  si  longtemps  altéi'ée,  qu'en  1840, 
par  les  soins  de  MM.  Daunou  et  Naudet,  les  savants  con- 
tinuateurs du  Recîieil  des  historiens  des  Gaules.  Mais 
cette  édition,  comme  celle  du  Louvre,  n'est  guère  accessible  ; 
et  les  autres,  aussi  peu  communes,  sont  justement  dé- 
daignées par  les  lecteurs  curieux  de  lire  les  Mémoires  de 
Joinville  tels  qu'il  les  a  dictés  à  son  secrétaire.  MM.  Fir- 
min  Didot,  dont  les  services  à  la  littérature  ne  s'arrêtent 
point  aux  classiques  grecs  et  latins,  ayant  songé  à  publier 
un  volume  relatif  à  saint  Louis,  dans  un  format  portatif 
et  d'un  prix  à  la  portée  de  tout  le  monde,  voulurent  bien 
me  charger  du  travail  d'éditeur.  ^ J'ai  tâché  de  m'en  ac- 
quitter de  mon  mieux ,  en  collationnant  de  nouveau  le 

a 


b  ÀYANT-PfiOPOS. 

texte  du  premier  volume  de  Tédition  de  1830,  et  la  copie 
qui  devait  former  le  second,  sur  le  manuscrit  de  la  Bi- 
bliothèque Impériale  n^  267,  fonds  du  roi,  également 
connu  sous  le  nom  de  Manuscrit  de  Bruxelles  ^  qui  rap- 
pelle son  long  exil  en  Belgique,  dans  la  Bibliothèque  des 
ducs  de  Bourgogne,  jusqu^en  1744,  où  il  nous  revint  dans 
les  bagages  du  Maréchal  dé  Saxe.  Dans  des  notes ,  j*ai 
expliqué  de  mon  mieux  les  mots  difflciles  du  texte ,  et 
au-dessous  J'ai  tâché  de  Féclairer  par  une  comparaison 
avec  celui  d'un  autre  manuscrit  du  supplément  an  fonds 
du  roi  n^  306,  généralement  cité  sous  le  nom  de  Manus- 
crit deLucques,  qui  indique  sa  provenance,  et  par  les  va- 
riantes des  éditions  précédentes. 

A  ce  travail  J'étais  prêt  à  Joindre  une  notice  sur  Jean, 
sire  de  Joinville ,  et  sur  ses  éx^rits  ;  mais ,  informé  par 
M.  Ambroise-Firmin  Didot  que,  d'après  le  résultat  des 
recherches  sur  les  écrits  et  la  personne  du  sire  de  Join- 
ville auxquelles  il  s'était  livré  pendant  le  cours  de  l'im- 
pression de  ses  Mémoires,  il  comptait  en  faire  le  sujet  de 
plusieurs  dissertations,  je  n'ai  pas  hésité  à  renoncer  à  ce 
supplément  de  tâche.  Je  laisse  au  public  le  plaisir  de  se 
rendre  compte  de  la  manière  savante  et  consciencieuse  dont 
s'en  est  acquitté  cet  érudit  typographe. 

La  relation  de  Jean-Pierre  Sarrasin ,  qui  vient  après 
celle  de  Joinville,  avait  déjà  été  donnée  par  MM.  Michaud 
et  Poujoulat  ;  mais  la  copie  qu'ils  ont  suivie,  à  défaut  de 
l'original ,  qui  n'a  pas  été  retrouvé ,  est  si  défectueuse, 
que  je  n'ai  pas  balancé  à  restituer  le  texte,  toutes  les 
fois  que  Je  l'ai  pu. 

Celui  du  petit  poème  sur  la  bataille  de  Mansourah  et 


AVANT-PBOPOS.  C 

]a  mort  de  Guillaume  Longue-Épée^  peut  sembler  aussi 
mauvais;  mais  il  est  conforme  au  français  parlé  en  An- 
gleterre à  la  fin  du  treizième  siècle^  et  la  traduction  que 
j'ai  cru  devoir  joindre  à  ce  morceau,  le  fera  comprendre. 
Je  n'ai  plus  qu'à  dire  un  mot  relativement  à  la  pièce 
de  vers  qui  termine  le  volume  ;  on  peut  dire  d'elle  avec 
plus  de  raison  encore  que  dans  la  chanson  citée  par  le 
Misanthrope  : 

La  rime  n'est  pas  riche  et  le  style  en  est  vieux. 

Mais  l'œuvre  est  contemporaine  de  l'événement  qu'elle 
est  destinée  à  déplorer,  et,  à  ce  titre,  les  Regrets  de  la 
mort  du  roi  Louis  méritaient  de  prendre  place  à  la  suite 
du  principal  monument  élevé  à  sa  gloire. 

Franctsque-Michel. 


I. 


DE  U  VIE  DE  JOrS  VILLE. 


Jean,  sire  de  Joinville  ,  naquit  en  V224 ,  au  château 
de  Joinvilie,  dans  le  diocèse  de  Gliàlons-sur-Marne ,  de 
Simon  ,  sire  de  Joinville,  et  de  Béatrix,  fille  d'Etienne  II, 
comte  de  Bourgogne.  L'inscription  placée  sur  son  tombeau 
indique  qu'il  est  mort  en  1 3 1 9  ;  il  aurait  donc  vécu  quatre- 
vingt-quinze  ans.  Sa  famille,  l'une  des  plus  illustres  et  des 
plus  anciennes  de  la  Champagne ,  descendait  directement 
de  Guillaume,  comte  de  Poitiers,  de  Boulogne,  etc.,  en  940  ; 
et,  au  même  degré  que  Godefroy  de  Bouillon,  elle  était 
alliée  aux  comtes  de  Châlon  et  de  Bourgogne^  et  aux  dau- 
phins de  Viennois.  La  mère  de  Joinville  était  cousine  ger- 
maine de  Fempereur  d'Allemagne  Frédéric  II.  Plusieurs 
des  ancêtres  de  Joinville  s'étaient  distingués  aux  croi* 
sades. 

L'aïeul  du  sire  de  Joinville,  le  sénéchal  de  Champagne, 
Geoffroi  lY,  sui'nommé  le  Jeune,  se  signala  dans  les  guerres 
de  son  temps,  et  partit  pour  la  croisade,  en  1190,  avec 
ses  deux  fils  Geoffroi  dit  Trouillard  et  Simon.  Il  mourut 
l'année  suivante  sous  les  murs  de  Saint-J^n-d'Acre. 

Geoffroi  et  Simon  se  distinguèrent  tellement  dans  cette 
croisade^  que  Philippe- Auguste,  lorsqu'il  quitta  la  Terre- 
Sainte,  leur  confia  une  partie  de  ses  troupes  qui,  réunies  à 

JOINVILLE.  v>  I  a 


II  DE  LA    VIE 

celtes  de  Richard,  roi  d'Angleterre,  firent  la  conquête  de 
plusieurs  villes.  Geoffroi  mérita  à  tel  point  Testime  de  Ri- 
chard, que  ce  roi,  la  terreur  des  Sarrasins,  lui  octroya 
comme  preuve  éclatante  de  son  amitié  »  le  droit  de  partir 
son  écusson  des  armes  d'Angleterre. 

Les  deux  frères,  après  être  restés  cinq  ans  en  Palestine, 
revinrent  en  France  ;  mais  l'aîné  des  deux ,  GeofTroi  dit 
Trouillard,  sîre  de  Joinvilleet  sénéchal  de  Champagne,  re- 
partit en  1201  pour  la  Terre-Sainte,  où  il  mourut  sans  pos- 
térité en  1204.  Son  frère  Simon  lui  succéda  dans  tous  ses 
titres,  droits  et  honneurs,  et  retourna  en  1 2 1 8  dans  la  Terre- 
Sainte  '  avec  Jean  de  Brienne;  il  aissista  à  la  prise  de  Da- 
miette  et  mourut  en  1233 ,  laissant  pour  héritier  son  fils 
Jean,  le  sire  de  Joinville,  alors  âgé  de  sept  à  huit  ans. 

Elevé  à  la  cour  élégante  et  littéraire  des  comtes  de  Cham- 
pagne, Joinville  fut  attaché  dès  son  enfance  à  son  seigneur 
le  comte  de  Champagne,  Thibaut  IV,  roi  de  Navarre,  à 
la  fois  poète  et  musicien.  C'est  au  goût  des  lettres  et  à  l'élé- 
gance d'esprit  et  de  manières  qui  régnaient  à  cette  cour, 
que  l'on  doit  attribuer  le  développement  des  heureuses 
qualités  qui  firent ,  jeune  encore ,  distinguer  Joinville  par 
saint  Louis;  c'est  aussi  à  l'habitude  qu'il  y  prit  de  bien 
parler  et  de  bien  écrire  que  nous  sommes  redevables  du  pré- 
cieux monument  historique  où  il  nous  raconte  la  célèbre 
et  désastreuse  croisade  dans  laquelle  il  se  distingua.  C'est 
à  ce  même  développement  littéraire  qu'on  avait  dû ,  un 
siècle  auparavant,  le  récit  de  la  croisade  dont  le  maréchal 
de  Champagne,  Geoffroide  Ville-Hardouin,  fut  le  chef  et 
l'historien. 

*  Voir  plus  loin  les  actes  :  Tacte  C,  p.  ex  vu  ;  l'acte  D,  p.  cxvm ,  ctrépi- 
laplie,  p.  Lxxvi. 


DE  JOm VILLE.  ni 

£a  1 23 1 ,  à  rage  de  sept  ans  y  Joinville  fut  fiancé  à  Aiaïs 
de  Grand-Pré  ;  mais  soit  qu'une  passion  amoureuse  lui  ftt 
préférer  la  fille  du  comte  de  Bar,  soit  que  Joinville,  devenu 
titulaire  et  possesseur  de  la  sénéchaussée  de  Champagne 
par  la  mort  de  son  frère,  eût  recherché  un  hy  menée  dans  la 
puissante  famille  du  comte  de  Bar»  il  voulut  renoncer  à  ses 
fiançailles  avec  Alaïs  de  Grand-Pré  ;  mais  son  seigneur 
Thibaut  s'y  opposa  formellement,  soit  par  suite  d'une  inî* 
mitié  survenue  entre  lui  et  le  comte  de  Bar^  soit  pour  ne 
point  avoir  en  Joinville  un  vassal  devenu  trop  puissant.  Il 
exigea  donc  de  lui  une  renonciation  solennelle  par  un 
acte  authentique  auquel  il  fit  intervenir  Béatrix ,  la  mère 
de  Joinville.  On  voit,  par  l'acte  où  le  comte  Thibaut  donne 
son  consentement  au  mariage  de  Joinville  et  d' Alaïs,  qu'elle 
n'apporta  en  dot  que  trois  cents  livres  (l'acte  de  juin  porte 
trois  cents  livrées  de  terre,  monnaie  de  Paris). . 

Joinville  raconte  qu'il  assista  à  une  grande  cour  tenue 
par  Louis  IX  à  Saumur,  et  qu'à  cette  fête  il  tranchait  ' 
devant  le  roi  de  Navarre  son  seigneur,  mais  qu'il  n'a- 
vait pas  encore  pris  le  haubert.  Cette  assemblée,  selon 
Guillaume  de  Nangis,  auteur  contemporain,  eut  lieu  en 
1241.  Joinville  aurait  eu  alors  dix-sept  ans.  Il  nous  dit 
qu'à  la  bataille  de  Taillebourg,  en  1242,  il  ne  put  com- 
battre ,  n'ayant  pas  encore  haubert  vestu  *. 

En  1 244 ,  une  irruption  d'Allemands  menaçait  le  Mous- 
tier  de  Mâthons.  Le  cousin  de  Joinville ,  Brançion  y  le  vint 
chercher  ainsi  que  son  frère  :  «Nous allâmes  avec  lui,  dit 

'  Sur  le  droit  de  trancher,  exercé  en  cette  occasion,  le  manuscrit 
de  la  Biblioth.  impériale,  suppl.  fr.  n®  1054,  contient  des  détails  intéres- 
sants an  chapitre  intitulé  :  De  la  séneschaussée  héréditaire  de  Cham- 
pagne  annexée  à  la  baron ie  de  Joinville ,  p.  3&-43. 

'  On  ne  revêtait  la  cotte  d'armes  de  cbevalier  <|u'à  vingt  et  un  ans. 


/ 

IV  DE  LA  VIE 

JoiDville,  et  leur  courûmes  sus  les  épées  nues,  et  à  grand 
peine  les  chassâmes  du  Moustier^  Quand  oe  fut  fait,  le 
prud*homme  (Brandon)  s*agenouilla  devant  l'autel  et  cria 
à  Nostre-Séigneur  à  haute  voix  :  «  Sire,  je  te  prie  de 
«  prendre  pitié  de  moi  et  m'oster  de  ces  guerres  entre 
«  ckrestiénsj  e*  m'octroyer  de  mourir  à  ton  service  pour 
ff  pouvoir  avoir  ton  règne  en  paradis  ^  » 

Son  vœu  fut  exaucé  plus  tard. 

En  1248,  Joinville  se  croisa  avec  le  roi  saint  Louis  :  «r  A 
«  l'appel  du  roi  de  France,  il  vendit  tous  ses  biens  et 
«  équipa  dix  chevaliers ,  dont  trois  portaient  bannière  » 
«  luxe  de  suite  considérable ,  mais  non  désintéressé.  Be- 
c(  puis  la  prise  de  Constautinople ,  tous  les  chevaliers 
<c  comptaient  devenir  princes.  A  la  foi  qui  entraînait  les 
«  seigneurs  en  Orient ,  se  mêlait  un  vague  espoir  de  chan- 
ce ger  reçu  de  chevalier  contre  les  armes  impériales.  Join- 
a  ville  n'avait  pas  échappé  à  cette  ambition  '. 

Cette  même  année,  nous  dit  Joinville,  il  lui  naquit  un 
fils, la  veille  de  Pâques,  Quelques  jours  après  la  naissance 
de  ce  fils  nommé  Jean,  Joinville,  prêt  à  partir  pour  la 
croisade ,  assembla  ses  vassaux  et  hommes  d'armes ,  pour 
leur  annoncer  son  intention  d^aller  en  terre  sainte.  C'était 


*  La  maison  ou  monastère  deMàtbons  fondé  par  Geoffroi  III,  sire  de 
Joinville,  bisaïeul  du  sire  de  Joinville. 

^  Il  méritait  en  efTet  ce  titre  de  prud'homme,  Joinville,  après  avoir 
raconté  dans  ses  mémoires  les  prouesses  de  Brancion  en  Egypte  et 
celles  qa^l  fit  la  veille  de  là  bataille  de  la  Massoure,  ajoute  :  «  Et  ainsi 
eschappa  le  sire  de  Brancion;  et  de  vingt  chevaliers  qu'il  avoit  avec 
lui  il  en  perdit  douze  sans  ses  aultres  gens  d'armes  :  Et  lui-même  fut 
si  maltraité  que  oncques  ne  put  se  tenir  sur  ses  pieds  et. mourut  dd 
cette  blessure  au  service  de  Dieu.  » 

^  Désiré  Nisard,  Hlst,  de  la  littérat  française,  1. 1,  p.  59. 


?I  DE  Lk  VIS 

et  pour  so]Q  épouse  Alais;  puis,  le  jour  de  son  départ  pour 
la  croisade ,  s'étant  confessé  à  Tabbé  de  Cheminon ,  qui  lui 
ceignit  Técharpe  et  lui  donna  le  bourdon  de  pèlerin ,  il  se 
rendit  en  pèlerinage  pieds  nus  et  en  langes  (robe  de  bure),  à 
Blécourty  à  Saint-Urbain  et  aux  lieux  saints  des  environs. 
Quand  il  repassa  devant  sa  demeure,  a  je  n*osai,  dit-il 
«  dans  son  style  naïf,  oncques  retourner  mes  yex  vers  Joiu- 
cr  ville ,  pource  que  le  cuer  ne  me  attrendrisist  du  biau 
((  chastel  que  je  laissois  et  de  mes  deux  enfants.  » 

Joinville  s'embarqua  à  Marseille  en  août  1 248 ,  avec  ses 
chevaliers  et  sa  troupe,  sur  une  nef  qu'il  loua  de  moitié  avec 
son  cousin  Jean ,  sire  d'Aspremont.  Après  nous  avoir  ra- 
conté en  détail  comment  les  chevaux  furent  embarqués  et 
comment  les  prières  furent  chantées  à  bord  de  son  navire, 
il  nous  dit  :  ce  Aussitôt  le  vent  se  ferit  dans  les  voiles  et  nous 
cr  déroba  la  yeue  dé  la  terre ,  en  sorte  que  nous  ne  vtmes 
c<  plus  que  le  ciel  et  l'eau ,  et  chaque  jour  le  vent  nous 
a  éloigna  de  plus  en  plus  des  pays  où  nous  étions  nés.  Est 
c(  bien  fol  hardi ,  ajoute-t-il ,  celui  qui  s*ose  mettre  en 
«  tel  péril  avec  le  bien  d'autrui  ou  en  péché  mortel  I  Car  le 
a  soir  on  s*endort  là,  et  on  ne  sait  si  on  ne  se  trouvera 
a  point  au  fond  de  la  mer.  » 

Ils  arrivèrent  en  Chypre  quand  le  roi  y  était  déjà.  L'ar- 
gent manquant  à  Joinville ,  il  se  voyait  près  d'être  aban- 
donné de  quelques-uns  de  ses  chevaliers^  lorsque  le  roi  lui 
vint  en  aide  en  lui  donnant  huit  cents  livres.  Il  séjourna 
en  Chypre  pendant  Thiver  de  1249  à  1250,  et  c'est  là  que 
ses  belles  qualités  appréciées  du  roi,  firent  naître  les  rela- 
tions d*amitié,  on  peut  dire  paternelles,  de  saint  Louis  pour 
Joinville,  et  du  dévouement  respectueux  de  Joinville  pour 
son  roi.  Ce  fût  alors,  nous  dit-il,  que  rimpératriccde  Cons- 


DE  JOINYILLE.  Yll 

tantinople  '  arrivaàBaphe  (Paphos)  et  lui  écrivitdery  venir 
chercher.  Une  tempête  avait  rompu  les  ancres  de  son  navira 
qui  était  parti  à  la  dérive,  en  sorte  qu'elle  n*avait  que  la 
robe  dont  elle  était  vêtue.  CSDnduite  par  Joinvilleàlimassol , 
elle  fut  très-honorablement  accueillie  par  le  roi  et  la  reine 
et  par  tous  les  barons.  Le  lendemain ,  Joinville  eut  soin  de 
lui  envoyer  du  drap  et  du  cendcU  (taffetas)  pour  fourrer 
(  doubler)  5a  robe  y  et  il  nous  dit  que  Tun  des  familiersdu  roi» 
Philippe  de  Nanteuil,  ayant  rencontré  son  écuyer  porteur 
de  ces  objets,  s*empressa  d*aller  raconter  au  roi  Taf front 
que  Joinville  leur  faisait  de  s'être  avisé  avant  eux  de  cette 
attention.  Par  ce  petit  détail  on  voit  en  Joinville  un  che- 
valier courtois  :  la  suite  du  récit  nous  le  montre  chevalier 
aventureux. 

C'était  pour  réclamer  le  secours  du  roi  en  faveur  de  son 
époux,  l'empereur  Baudouin,  que  l'impératrice  était  venue 
en  Chypre.  «  Par  ses  instances  elle  obtint,  dit  Joinville,  plus 
de  deux  cents  lettres ,  tant  de  moi  que  d'autres  de  nos  amis, 
dans  lesquelles  nous  déclarions  nous  engager  par  serment, 
si  le  roi  ou  les  légats  vouloieut  envoyer  trois  cents  cheva- 
liers à  Constantinople ,  de  nous  joindre  à  eux  dès.le  départ 
du  roi  pour  l'Egypte.  Quand  le  moment  fut  venu,  je  requis 
du  roi,  par  devant  le  comte  (d'Eu)  dont  j'ai  la  lettre,  que 
j'attendois  pour  me  rendre  à  Constantinople  qu'il  disposât 
des  trois  cents  chevaliers;  mais  le  roi  me  répondit  qu'il 
n'avoit  pas  de  quoy^  et  que  il  n'avoit  si  bon  trésor  dont 
il  ne  feust  à  la  lie.  d 

Au  printemps  la  flotte  leva  l'ancre  pour  TÉgypte,  «Le 
a  samedi  fist  le  roy  voile  et  tous  les  autres*vaisseaux  aussi, 
«  que  moult  fut  belle  chose  à  voir;  car  il  sembloit  que  toute 

'  xMarie  de  Brienne,  femme  de  Baudouin  II,  de  Gourtenaj. 


Vni  DE  L4  YIB 

a  la  mer,  tant  oomfne  l'on  pouvoit  iroir  à  l'œil ,  fust  cou- 
ce  verte  de  touaille  des  voiles  des  vaisseaux^  qui  fbrent 
a  nombres  à  dix-liuit  cents  vaisseaux ,  que  grans  que 
cr  petits.  » 

Lorsqu'on  débarqua  devant  Damiette,  le  lundi  de  Pâ- 
ques 1250,  la  galère  de  Joinville  se  trouva  placée  à  l'avant- 
garde,  et  il  descendit  à  terre  un  des  premiers'.  Par  son  in- 
trépidité il  maintint  dans  l'inaction  un  corps  de  six  mille 
Sarrasins  qui  n*osa  venir  l*attaquer,  à  la  vue  de  la  fière 
contenance  de  sa  troupe  et  des  lances  en  arrêt  comme  pour 
aller  parmi  les  ventres,  en,  sorte  qu'ils  tournèrent  le  de- 
vant derrière  et  s^enf outrent,  Joinville  rendit  grâce  à  Dieu 
de  ce  que  Tarméedes  émirs  leur  avait  abandonné,  presque 
sans  coup  férir,  la  cité  de  Damiette. 

Après  plusieurs  mois  passés  sous  les  murs  de  la  ville 
pour  combattre  et  repousser  les  attaques  des  Arabes  Bé- 
douins et  des  Turcs ,  Farmée  se  dirigea  vers  Babylone  (Ba- 
boul  près  du  vieux  Caire),  et  Joinville  fut  chargé  de  la  garde 
des  chastels  destinés  à  protéger  les  travailleurs  qui  cons- 
truisaient une  chaussée.  Sa  positi(m  était  pénible  :  Jour  et 
nuit  les  Sarrasins  lançaient  contre  les  châteaux  en  bois  le 
feu  grégeois  gros  comme  un  tonneau  de  verjus^  dit  Join- 

'  Il  avait  quitté  son  navire  pour  monter  snr  cette  galère  qui  avait 
un  moindre  tirant  d'eau  :  c'était  une  de  ses  cousines ,  Eschive  de 
Monlbéliard ,  dame  de  B^yrath,  qui  la  lui  avait  envoyée  pour  faciliter 
son  débarquement. 

Joinville  nous  raconte  la  manière  dont  il  apaisa  la  querelle  entre 
deux  mouU  vaillants  bacheliers  de  sa  troupe,  monseigneur  Villaln 
de  Versey  et  monseigneur  Guillaume  de  Dammarlin ,  qui  s'étaient 
entrepris  par  les  ekeveux,  en  Morée.  Il  les  réconcilia  au  moment 
(le  débarquer  devant  Damiette,  en  leur  jurant  par  tous  les  saints  que 
ni  lui  ni  eux  ne  descendraient  à  terre  avant  qu'ils  n^eussent  fait  la 
paii  et  ne  se  fussent  embrassés. 


DE   JOINYILLE.  IX 

ville ,  avec  une  queue  aussi  longue  qu'un  glaive,  et  ressem- 
blant à  la  foudre  venue  du  ciel  ;  ii  semblait  voir  un  dragon 
volant  dans  l'air.  A  son  approche,  Joinville  et  ses  cheva- 
liers se  jetaient  à  genoux,  et,  les  coudes  appuyés  à  terre, 
criaient  merci  à  Notre-Seigneur,  ^»  qui  est  toute  puis- 
sance^.  Mais,  bien  qu'il  semble  résulter  de  son  récit  que 
les  Sarrasins  ne  savaient  pas  encore  bien  diriger  ce  feu ,  sa 
position  et  celle  de  sa  troupe  étaient  des  plus  critiques , 
puisque,  leur  disait  le  bon  chevalier  Gautier  de  Gureuil ,  si 
nom  restons  dans  nos  chaslelSy  nous  sommes  perdus  et 
ars  (brûlés),  et  si  nous  laissons  nos  défenses  que  l'on 
nous  a  baillées  à  garder,  nous  sommes  honnis  :  dont  {  donc) 
nulz  ne  peut  nous  def fendre  de  cest  péril  fors  que  Dieu^ 

Dans  cette  plaine  sablonneuse ,  le  bras  du  Nil  ayant  été 
franchi,  les  premiers  succès  furent  suivis  d'affreux  dé- 
sastres causés  par  la  désobéissance  et  l'audace  malheureuse 
du  comte  d'Artois,  qui  périt  dans  la  ville  de  Mansourah, 
où  il  eut  l'imprudence  de  poursuivre  l'ennemi. 

A  cette  bataille ,  où  Joinville  nous  raconte  comment  il 
tua  un  Sarrasin  auquel  il  donna  de  son  glaive  par  dessous 
Vaisselle  et  le  jet  la  mort  à  terre  ^  six  de  ses  chevaliers 
périrent,  parmi  lesquels  Hugues  de  Trîcastel ,  qui,  ainsi 
que  Landricourt,  tué  la  veille,  étaient  les  seuls  de  ses 
chevaliers  qui  portaient  bannière  *.  <r  Après  la  mort  de 
«  Tricastel ,  nous  dit  Joinville,  moi  et  mes  chevaliers  don. 
a  nàmes  des  espérons  et  allâmes  au  secours  de  monsei- 

'  «  Toutes  les  fois  que  le  saint  roi  oyoit  qa*ils  nous  jettoient  ie 
feu  grégeois ,  il  se  dressoit  en  son  lict  et  tendoit  ses  mains  vers 
Nostre-Seigneur,  et  disoit  en  pleurant  :  «  Bian  sire  Dien,  gardez-moi 
«  ma  gent.  »  Et  je  crois  vraiement  que  ses  prières  nous  servirent  bien 
au  besoin,  »  ajoute  Joinville. 


X  DB  LA  VIE 

er  gneur  Raoal  de  Wanon ,  qui  estoit  avec  moi  et  que  les 
«  Sarrasins  avoient  abattu  à  terre.  Quant  je  m'en  reve- 
cc  nois,  les  Turcs  m*appuyèrent  de  leurs  glaives;  mon 
a  cheval  s'agenouilla  par  le  faix  qu'il  en  sentit,  et  Je  en 
«  allai  oultre  parmi  les  oreilles  du  cheval^  et  je  me  redressai 
a  mon  escu  à  mon  col  et  mon  épéeà  la  main.  »  C'est  là 
que  Joinville,  aprèsavoirvaillammentcombattu» fut  exposé 
aux  plus  grands  périls  et  de  nouveau  renversé  de  son 
cheval. 

Les  sentiments  chevaleresques  manifestés  en  cette 
circonstance  par  un  de  ses  chevaliers ,  méritent  d'être 
signalé^  :  a  Monseigneur  Érart  de  Siverey ,  dit  Join ville ,  fut 
percé  d'une  épée  au  visage,  si  que  le  nez  lui  cheoit  sur  la 
lèvre,  et  me  dit  :  —  a  Sire,  se  vous  cuidies  que  moi  ne  mes 
a  hers  (descendants). n'^^ston^  blâme^  je  vous  iroie  querre 
a  secours  au  comte  d'Anjou,  que  je  vois  là  emmi  les 
a  champs.  »  Et  je  lui  dis  :  —  a  Messire  Érart,  il  me  semble 
a  que  vous  ferez  vostre  grand  honneur,  se  vous  nous  alliez 
«r  querre  aide  pour  nos  vies  sauver,  car  la  vostre  est  bien  en 
a  aventure.  —  Et  je  disais  bien  voir  (vrai  ),  car  il  fut  mort 
a  de  cette  blessure.  Il  demanda  conseil  à  tous  nos  cheva- 
a  liers  qui  estoient  là,  et  tous  li  louèrent  ce  que  je  li  avoie 
«  loué'.  » 

L'arrivée  du  roi  sur  ces  entrefaites,  est  admirablement 
dépeinte  par  Join  ville  :  a  Làoù  j'étois  à  pied  avec  mes  che- 

*  (Test  par  ce  même  sentiment  de  Thonneur  militaire  et  du  respect 
pour  ropinion,  qu'Hector  rejette  le  conseil  que  lui  donne  Andro- 
maque  de  choisir  un  poste  moins  périlleux.  «  Je  redouterais,  lui 
répond-il,  le  blâme  des  Troyens  et  des  Troyennes  si  je  cherchais  lâche- 
ment de  me  soustraire  aux  périls  de  la  guerre,  moi  qui,  par  ma  nais- 
sance, dois  toujours  être  brave  et  toujours  combattre  au  premier  rang 
des  Troyens.  » 


DE  JOTNYILLE.  \\ 

a  valiers,  ainsi  blessé  comme  je  Tai  dit  deyant,  vint  le  roi 
cr  avec  toute  sa  bataille,  à  grand'  fanfare  et  à  grand  brait 
a  de  trompes  et  timballes ,  et  il  s'arrêta  sar  un  cbemin 
a  élevé  :  plas  Jamais  si  bel  homme  armé  je  ne  vis,  car  il 
«  paraissoit  au-dessus  de  tous  ses  gens ,  des  épaules  jus- 
«r  qu*à  la  tète,  un  heaume  doré  en  son  chef,  uneépée  d'Al- 
«  lemagne  en  sa  main.  » 

Joinville frappait  à  grands  coups  d'épée  les  Sarrasins, 
et  dans  le  fort  de  la  mêlée  s'adressait  à  monseigiTeur  saint 
Jacques  y  pour  qu'il  le  secourût  en  ce  besoin.  Il  offrit  au 
connétable  de  raccompagner  pour  voler  au  secours  du  comte 
d*Artois,  dont  îe  péril  venait  d'être  annoncé  au  roi  ;  mais,s'il 
était  trop  tard  peur  le  sauver,  du  moins  Joinville  contribua 
à  empêcher  un  plus  grand  désastre,  en  défendant  toute  la 
Journée  un  petit  pont  avec  le  comte  de  Soissons,  son  cousin, 
qui,  tout  en  combattant  à  ses  côtés,  lui  disait  en  se  moquant 
et  avec  cette  galté  chevaleresque  qui  s'est  perpétuée  dans 
nos  armées  :  a  Laissons  huer  cette  chienaille  et^  par  la  coêfje 
Dieu,  encore  parlerons-nous  de  cette  journée  es  chambres 
des  dames.  x>  Dans  cette  grande  bataille  Joinville  reçut  cinq 
blessures,  et  son  cheval  en  eut  dix-sept. 

Pendant  que  le  comte  d'Artois  succombait  dans  les  mes 
de  Mansourah ,  où  il  avait  pénétré ,  le  roi ,  si  digne  par  son 
intrépidité  et  son  calme  d'être  le  chef  de  cette  vaillante 
chevalerie,  obtenait  quelques  succès.  A  ceux  qui  l'en  féli- 
citaient, le  roi,  qui  venait  d'apprendre  la  mort  de  son  fr^re, 
répondit  que  Dieu  fût  adoré  de  ce  qu'il  lui  donnait,  et 
lors,  nous  dit  Joinville,  des  larmes  luitombaient  des  yeux 
mollit  grosses. 

,    Au  sujet  de  cette  bataille ,  dont  les  détails  sont  racontés 
si  vivement  par  Joinville,  M.  Sainte-Beuve,  avec  cette 


m  DE  LA  YIS 

justesse  d'appréciation  qu'où  lui  couuait ,  fait  la  réflexion 
suivante  :  «  On  peut  dire  de  cette  bataille  de  saint  Louis 
«  à  la  Massoure  et  des  prodiges  de  valeur  qu*y  fit  le  noble 
<c  croisé ,  que  ce  fut  le  suprême  épanouissement  en  sa  per- 
a  sonne  et  comme  le  bouquet  de  la  chevalerie  sainte,  de 
a  la  chevalerie  tout  en  vue  de  la  croix.  A  partir  de  là ,  il  y 
a  eut  d'aussi  beaux  faits  d*arroes,  mais  en  vue  de  Thon- 
ce  neur  et  du  los ,  en  vue  de  la  gloire  humaine ,  et  non 
«plus  dans  la  seule  idée  de  Dieu.  Cette  chevalerie  chré- 
a  tienne,  inaugurée  dès  Gharlemagne,  triomphant  avec 
«  Godefroy  de  Bouillon ,  a  ici  sa  dernière  couronne  avec 
«  saint  Louis;  et  notez  que  tout  à  côté  de  saint  Louis  et  ce 
«Jour-là  même,  l'autre  chevalerie  chrétienne  encore, 
«  mais  déjà  mondaine  et  profane,  existe ,  et  qu'elle  a  son 
a  expression  jusque  dans  Joinville.  Dans  Froissart ,  nous 
a  ne  trouverons  plus  que  la  seconde  '.  »        * 

On  était  alors  en  carême.  L'armée,  nourrie  de  pois- 
sons souvent  putréfiés ,  exposée  aux  feux  d'un  soleil  sans 
nuage,  fut  atteinte  du  scorbut,  d.ont  Joinville  décrit  les  ter- 
ribles effets  '  ;  lui-même ,  mal  guéri  des  blessures  qu'il 
avait  reçues  dans  la  précédente  bataille,  rCavoit  ni  pis 
ni  mieux  que  les  autres.  Il  souffrait  des  jambes  et  des 
gencives  et  d'une  fièvre  quarte.  Son  prêtre,  aussi  malade, 
lui  chantait  la  messe  devant  son  lit,  mais  à  l'endroit  du  sa- 
crement, Joinville  le  vit  se  pâmer  et  près  de  tomber  à 

*  Causeries  du  lundis  t.  VIII,  p.  412. 

*  Voici  cette  peinture  des  souffrances  de  Tarmée  ;  elle  est  effrayante 
de  vérité  :  «  £t  il  yenoit  tant  de  chair  morte  aux  gencives  à  nos  gens , 
<c  qu^il  convenoit  que  les  barbiers  l'enlevassent,  pour  leur  permettre  de 
«  mâcher  et  d'avaler.  G^était  grand'  pitié  d'ouyr  crier  dans  farmée  les 
«  gens  à  qui  l'on  coupoit  les  chairs;  car  ils  crioient  tout  ainsF  qu« 
«  femmes  qui  sont  en  travail  d^enfant.  » 


DK  JOTNYILLE.  XIII 

terre,  ci  Lors,  nous  dit-il,  quand  je  \i  que  il  vouloit  cheoir, 
a  je,  qui  avoie  ma  cotte  vestue,  sailli  dé  mon  lit  tout  des- 
«  chaux  et  Tembraçai,  et  lui  dis  qu'il  feist  tout  bêlement 
a  son  sacrement,  que  je  ne  le  lerroîe  tant  que  il  Tauroit  tout 
a  fait.  Il  revint  à  soi ,  et  fist  son  sacrement  et  parclxanta  sa 
a  messe  entièrement,  et  oncques  depuis  ne  la  chanta  '.  » 
Dans  la  retraite  ou  plutôt  la  déroute  qui  se  lit  par  terre, 
Joinville ,  que  sa  maladie  empêchait  de  marcher,  s'em- 
barqua sur  le  Nil  pendant  la  nuit;  mais  les  embarcations 
retenues  par  les  vents  contraires^  furent  entourées  de  la 
Hotte  du  Soudan  ;  la  quantité  de  flèches  et  de  feu  grégeois 
qu'islle  lançait  sur  eux  était  telle,  qu*il  semblait  que  les 
étoiles  ehûssent  du  ciel.  Les  chrétiens  qui  se  trouvaient 
Btir  les  autres  navires  furent  massacrés;  celui  que  montait 
Joinville  était  resté  en  arrière  au  milieu  du  fleuve  lorsque 
quatre  galères  du  Soudan  s'en  approchèrent.  Dans  ce  mo- 
ment suprême  le  sénéchal  consulta  ses  chevaliers  ;  un  seul 
de  ses  serviteurs  [un  mien  celérier  né  à  Doulevens)  fui 
à^xvis  de  se  lesser  tous  tuer  pour  aller  tous  en  paradis, 
mais  nous  ne  le  creumes  pas^  dit  Joinville.  Il  jeta  dans 
le  fleuve  un  coffret  où  étaient  ses  reliques  et  joyaux,  et 
croyait  son  dernier  moment  venu,  lorsqu'un  bon  Sarrasin 
le  sauva  en  criant  à  ses  compagnons  :  C'est  le  cousin  du 
roi!  ne  le  tuez  pas,  c^est  le  cousin  du  roi  '1  Joinville, 

'  Ce  prêtre  nommé  Jean  de  Vassey,  qui  était  un  brave,  fut  tu^ 
quelque  jours  après.  Joinville  a  consigné  <lans  ses  mémoires  un  trait 
de  hardiesse  txtraordinaire,  qui,  dit-il ,  le  rendit  Bien  connu  en  Vosi, 
où  cliacun  le  montrant  l^un  à  l'autre  disait  :  Voici  le  preslre  de 
monseigneur  de  Jotnvi^/e,  qui  a  les  huit  Sarrasins  desconfits, 

*  C'était  probablement  quelque  bon  renégat.  Les  désastres  suoeessifs 
qu'éprouvèrent  les  chrétiens  dans  les  diverses  croisades  occasionnèrent 
souvent ,  malgré  Tenthoasiasme  religieux  qui  animait  les  croisés,  dc^ 


XIT  .    DE- LA    VIS 

* 

d*après  son  conseil ,  s'élançsi  dans  Tone  des  galères  dont 
les  soldats  étaient  tons  occupés  an  pillage  de  la  sienne , 
et  ce  bon  Sarrasin  »  qui  ne  i'aliandonna  pas,  le  tenait  em- 
brasse, pour  le  préserver  de  leurs  coups,  a  Porté  ensuite  à 
«  terre,  ils  mesaillirant  sur  le  corps, dit  Joinville,  pour  moy 
«t  couper  la  gorge;  car  cilz  qui  m*cust  occis  cuidast  estre 
cr  honoré.  Et  ce  Sarrasin  me  tenoit  toujours  embrassé  et 
«  crioit  :  cousin  du  roi  !  En  telle  manière  me  portèrent  deux 
«  fois  par  terre  et  une  a  genouillons  ;  et  lors  je  senti  le  coutei 
«  à  la  gorge.  En  cette  persécution  me  salva  Diex  par  l'aide 
a  du  Sarrasin,  lequel  me  mena  jusqu'au  chastel  là  où  les  çbe* 
a  vaUcrs  Sarrasins  cstoicnt.  »  Geux^,  par  la  pitié  qu'ils  eu* 
rent  de  lui ,  et  le  Toyant  malade,  le  revêtirent  du  manteau 
doublé  d'bcrmine  que  lui  avait  donné  madame  sa  mère 
lorsqu'il  partit  pour  la  croisade.  Alors,  dit-il,  fe  commençai 
à  trembler  bien  fort^  et  pour  la  paour  que  je  avoie,  et  pour 
la  maladie  aussi.  Il  demanda  à  boire;  mais  le  mal  qu'il 
avait  à  la  gorge  était  tel,  que  l'eau  ne  pouvait  passer  et  lui 
sortait  par  les  narines.  A  cette  vue ,  ses  gens  se  mirent 

nombreuses  abjuraUons  au  moment  suprême.  Joinville  nous  rapporte 
qu^un  de  ces  renégats  Tint  un  jour  oITrir  an  roi  un  pot  de  lait  et  des 
fleun,  et  que  le  roi  étonné  de  Tentendre  si  bien  parler  français,  ayant 
appris  de  lui  qu'il  avait  été  chrétien ,  le  renvoya  sans  lui  parler.  «  Alors 
«  Je  le  pris  à  part ,  ajoute  Joinville ,  et  l'ayant  interrogé,  il  me  dit  être 
•c  né  à  Provins  et  quMl  était  venu  en  Egypte  avec  le  rui  Jean  de 
<c  Bricnne,  quMl  s'y  était  marié  et  était  devenu  riclie  et  puissant.  -~ 
K  Mais  ne  craignez- vous  pas,  lui  dis- je,  que  si  vous  mourez  en  cet 
«  état,  vous  irez  en  enfer?  —  Oui,  répondit-il  (car  il  savait  bien  que 
«  la  loi  chrétienne  est  de  toutes  la  meilleure)  ;  mais  je  crains ,  en  reve- 
«  nant  à  vous ,  la  pauvreté  et  le  blâme;  toujours  on  me  dirait  :  Yoyes 

le  renégat  !  Je  préfère  donc  une  vie  riche  et  facile  à  celle  que  je  pré- 
«  Yois.  —  Malgré  tout  ce  qoe  je  pus  lui  dire  sur  le  plus  grand  danger 

qu'il  devait  redouter  an  jour  du  jugement  dernier,  mes  belles  paroli^ 
«  furent  sans  effet.  » 


XVi  DB  LA.  YIB 

D'après  Makrisi  et  Aboulmahassen,  autre  historien 
arabe,  la  presque  totalité  des  prisonniers  aurait  été  massa- 
crée. Tous  deux  portent  le  nombre  des  morts  à  trente  mille  ; 
cinq  cents  des  plus  braves,  dit  Aboulmahassen ,  restés 
auprès  du  roi  se  rendirent,  et  furent  conduits  à  Mansourah  ' 
par  Teunuque  Gémal-Eddin. 

En  lisant  le  récit  que  notre  historien  Jean  Pierre  Sar^ 
rasin,  témoin  oculaire,  nous  fait  de  la  fureur  fanatique 
qui  enflammait  les  chrétiens  de  l'armée  de  saint  Louis,  on 
ne  saurait  s^étonner  des  représailles  exercées  par  les  Mu* 
sulmans  :  ce  Le  comte  d'Artois,  dit  cet  historien^  ayant  passé 
a  le  gué ,  à  la  tète  de  son  avant-garde ,  tous  les  Musul- 
a  mans  qui  se  trouvoient  en  face  de  son' camp,  furent 
«  déconfits  et  presque  tous  passés  au  fil  de  Tépée;  nos 
a  gens  se  portoient  dans  les  demeures  des  Turcs  tuant  tout 
a  sans  épargner,  ni  hommes,  ni  femmes,  ni  enfants,  ni 
a  vieux,  ni  jeunes,  grands  ni  petits,  hauts  ni  bas,  ni  riches, 
a  ni  pauvres,  ils  les  découpoient,  les  tranchoient^  et  les 
a  passoient  tous  au  fil  de  l'épée.  S'il  se  trou  voit  des  vierges, 
a  des  vieillards,  des  enfants  qui  se  fussent  cachés  pour 
a  éviter  la  mort,  ni  cris,  ni  gémissements,  ni  prières, 
((  n*obtenoîent  merci  ;  tous  étoient  mis  à  mort.  Là  fut 

*  «  En  passant  dans  cette  ville,  en  1831 ,  dit  M.  Mîchaud,  nous  avons 
«  vii  la  maison  où,  selon  latradition  du  pays,  le  roi  de  France  fut  enfermé, 
«  et  celle  qui  servit  de  prison  aux  barons  et  autres  captifs  chrétiens.  >» 

Pour  moi ,  j'avoue  que  lorsqu^en  1816,  après  avoir  traversé  la  plaine 
de  sable  qui  entoure  Mansourah,  j'entrai  dans  les  masures  en  ruine  de 
ce  pauvre  village,  je  ne  crus  pas  quMl  fut  possible  d^y  obtenir  le  moindre 
renseignement  sur  saint  Louis  et  sa  croisade.  Je  négligeai  donc 
de  m'en  enquérir  auprès  des  rares  et  misérables  fellahs ,  abrutis  par 
l'Ignorance,  quf  vivent  au  milieu  de  leurs  huttes  de  terre,  que  do- 
minent à  riiorizon  quelques  fours  à  faire  éclore  les  œufs,  construits 
eux-mêmes  avec  une  boue  desséchée  au  soIeiL 


XVIII  OB  LA  YÏE 

a  droieetgauchiroie,  et  pis  nCen  adviendroitje  me  signai; 
a  je  m'agenoillai  au  pié  deVun  d^eulx,  qui  tenait  une 
c(  hache  a  la  main  et  di  :  Ainsi  mourut  sainte  Agnès,  d 
En  ce  même  moment  le  connétable  de  Chypre,  Gui  dlbelin, 
à  genoux ,  se  confessait  aussi  à  Joinvîtle,  qui  lui  dit  :  Je 
vous  ahsols  comme  Dieu  m*a  donné  de  tel  pouvoir;  mais^ 
ajoute  Joinviile,  quand  je  me  levai  dHllee  il  ne  me  souvint 
oncques  de  chose  que  il  m^eust  dite  ne  racontée. 

£nQn,  après  bien  des  alternatives  cruelles  qui  mirent  à 
chaque  instant  la  vie  des  chrétiens  en  péril ,  le  roi,  par  un 
accommodement,  obtint  sa  délivrance,  ainsi  que  celle  de  ses 
barons ,  en  payant  une  forte  rançon  et  en  livrant  Damiette. 
Trente  mille  livres  manquaient  pour  compléter  la  somme. 
Joinville  conseilla  à  saint  Louis  de  les  demander  au  com- 
mandeur du  Temple;  mais  celui-ci,  s^étant  refusé  à  les 
donner,  Joinville,  du  consentement  du  roi,  revint  les 
exiger,  et  Dès  que  je  fus  descendu,  dit-il,  là  où  le  trésor 
«  estoit,  Je  demandai  au  trésorier  du  Temple  qu*il  me  baillast 
«  les  clefs  d'une  huche  qui  estoit  devant  moy,  et  lui,  qui  me 
il  vit  maigre  et  descharné  de  la  maladie  et  en  Thabit  que 
<r  J'avois  porté  en  prison,  dit  qu'il  ne  me  les  bailleroit  nulles, 
tf  Lors  ayant  regardé  une  cognée  qui  gisoit  illec,  si  la 
a  levai,  et  dis  que  Je  en  ferois  la  clef  du  roi.  Ebahi  de  ma 
a  résolution ,  les  clefs  me  furent  alors  données,  b 

Si,  dans  cette  croisade,  l'animosité  des  Musulmans  fut 
grande,  etsi  Tenthousiasme  religieux  fit  de  nombreuses  vic- 
times, le  récit  de  Joinville  et  celui  des  historiens  arabes 
nous  montrent  cependant  quelques  traits  de  générosité  et 
d'humanité  qui  contrastent  avec  tant  d'horreurs.  C'est  cç 
que  Voltaire  a  remarqué.  «  Le  nouveau  Soudan  Almoadan, 
dit-il,  avait  certainement  de  la  grandeur  d'àme;  car  le  roi 


XX  DE  Lk  VJB 

Cet  historien  arabe  dit  ailleurs  que  le  roi  ramena  eu 
France  douze  mille  cent  dix  soldats  chrétiens  qui  avaient 
<^té  retenus  captifs  au  Caire.  L'espoir  d'obtenir  une  forte 
rançon  leur  sauva  probablement  la  vie. 

On  ne  peut  se  dissimuler  que  les  guerres  en  Orient  eurent 
toujours  un  caractère  moins  humain  qu'en  Europe.  La  vie 
des  hommes  compte  pour  peu  de  chose  dans  l'Orient. 
Aucun  des  grands  conquérants  qui  ont  marqué  leur  san- 
glant passage  dans  le  monde  et  dans  Thistoire  n'a  été. 
moins  cruel  que  Napoléon ,  et  cependant  à  Jaffa,  après  la 
révolte  de  cette  ville ,  les  terribles  nécessités  de  la  guerre 
Tobligèrent ,  vu  le  manque  de  vivres  et  de  moyens  de  trans- 
porter par  mer  les  prisonniers,  de  les  faire  fusiller  en  grand 
nombre  *.  Les  Arabes  qui  m*onl  montré,  en  181  G,  rem- 
placement où  ce  massacre  se  fit,  n'en  témoignaient  ni 
douleur  ni  ressentiment.  Les  événements  tout  récents  de 
rinde  et  la  vengeance  exercée  par  les  Anglais  sur  la  po- 
pulation de  Delhi  en  sont  une  nouvelle  preuve. 

Joinville  suivit  le  roi  en  Syrie,  mais  la  maladie  l'avait 
tellement  affaibli  qu'en  débarquant  à  Saint- Jean-d' Acre»  il 
pouvait  à  peine  se  tenir  sur  l'un  des  palefrois  de  la  suite  du 
roi.  Saint  Louis  l'envoyachercherpour  dîner  à  sa  table,  où  il 
se  rendit  couvert  de  ce  même  et  unique  manteau  que  lui 
avait  donné  sa  mère  et  qu'il  avait  pu  conserver  pour  tout 
équipage.  Le  roi  lui  reprocha  d'avoir  tardé  à  le  venir  voir, 
et  lui  commanda  si  chier  comme  favoie  s*amour^  de  seir 
(s'asseoir)  désormais  à  sa  table  soir  et  matin.  Logé  dans  la 
maison  du  curé  de  Saint-Michel  à  Saint-Jeau-d' Acre ,  sa 

<  On  peut  en  lire  le  triste  récit  dans  les  Mémoires  pour  servir  à 
Vhistoire  des  expéditions  en  Egypte  etenSyrie,  parJ.  Miot,  2^  édit; 
Paris,  Lenormant,  1814. 


DE  JOINYILLB.  XXI 

maladie  empira;  il  n'avait  personne  pour  le  soigner,  tous 
ses  gens  étaient  malades»  et  la  mort,  nous  dit-il ,  était  sans 
cesse  présente  à  ses  yeux.  Chaque  Jour  on  apportait  plus 
de  vingt  morts  au  couvent,  et,  en  entendant  retentir  à  ses 
oreilles  le  Libéra  me.  Domine,  il  se  mettait  à  pleurer 
priant  Dieu  de  le  sauver  lui  et  sa  §ent. 

Rien  de  plus  touchant  que  ces  confessions  naïves  d*un 
guerrier  de  grand  cœur  qui  ne  saurait  farder  la  vérité.  Join- 
ville  a  cela  de  commun  avec  les  héros  d'Homère  et  avec  tous 
les  hommes  chez  qui  le  naturel  n'est  pas  encore  comprimé 
par  ce  qu'on  appelle  le  sentiment  des  convenances  '..  Il 
nous  fait  assister  à  ses  joies,  à  ses  tristesses  et  aux  mo- 
ments de  découragement  qu'éprouve  son  âme  au  souvenir 
de  ceux  qu'il  a  quittés ,  et  qu'il  craint  de  ne  plus  revoir. 

Dans  le  conseil  que  le  roi  assembla  pour  décider  s'il 
devait  retourner  en  France,  ou  prolonger  son  séjour  en 

• 

Terre  sainte,  et  où  il  exposa  à  ses  barons  avec  une  noble 
simplicité  les  motifs  pour  et  contre  ce  départ,  Joinville  ap- 
puyant l'opinion  du  comte  de  Jaffa,  soutenue  aussi  par 
le  maréchal  de  France,  Guillaume  de  Beaumont,  et  par  le 
sire  de  Châtenay,  s'opposa  au  départ,  attendu  que,  selon 
les  paroles  mêmes  du  roi ,  une  fois  le  roi  parti ,  les  pauvres 
prisonniers  laissés  en  Egypte  ne  seraient  jamaiê  délivrés 
et  que  chacun  imitant  son  exemple^  la  Terre  sainte  serait 

■  *AYa9ol  $*  &p(Saxpusc  £v8pe;,  lei  larmes  prouvent  la  bonté  du 
cœur!  Cet  antique  proverbe  cité  souvent  par  Eustathe  au  sujet  des 
liéros  d^Homère  ne  saurait  mieux  s^appliquer  qu^à  Joinville  ;  le  lecteur 
est  ému  par  ses  larmes.  Dans  Virgile,  dont  la  poésie  est  plutôt  Tex- 
pression  de  ]*époque  où  il  écrit  que  celle  des  temps  primitifs  qu'il  a 
Toulu  représenter,  les  larmes  versées  si  abondamment  par  Énée  ne 
semblent  plus  assez  héroïques  aux  peuples  civilisés  ;  et  cependant 
Énée  est  contemporain  d'Ulysse  et  d'Achille. 


SXll  X>B  LA  \1£ 

abandonnée.  Joinville  avait  dit  au  légat  que  tout  chevalier 
pauvre  ou  riche  seroit  honni  à  son  retour  se  il  laissoiten  la 
main  des  Sarrasins  le  menu  peuple  de  Nostre-Seigneur,  en 
laquelle  compagnie  il  estoit  allé.  Les  douze  autres  mem- 
bres du  conseil  s'élevèrent  contre  Tavis  de  Joinville  et  le 
déclarèrent  insensé,  le  légat  s'en  montra  même  très-cour- 
roucé ,  et  l'anlmosité  générale  que'suscîta  contre  lui  son 
énergique  résistance  fat  telle  que  le  nom  de  poulain  lui  fut 
donnée  terme  de  mépris  par  lequel  on  désignait  les  chré- 
tiens nés  d'un  sarrasin  et  d'une  femme  franque  ^  Le  roi 
ayant  gardé  le  silence ,  Joinville  sortit  tout  triste  du  con- 
seil et  se  vit  l'objet  de  nouvelles  attaques  et  de  nou- 
veaux sarcasmes.  Au  repas  qui  suivit,  le  roi,  contre  son  ha- 
bitude, ne  lui  parla  pas  tant  comme  le  manger  dura  y  ce  qui  y 

*  Il  est  trèS'probable  qoe  Joinville  n'a  jamais  lu  Homère;  et  rien  ^ 
dans'ses  écrits ,  ne  semble  indiquer  la  moindre  velléité  dMmltation  ;  mais 
lorsque  la  simplicité  des  mœurs  laisse  encore  aux  sentiments  humains 
leur  naïveté. primitive,  la  similitude  des  situations  se  reproduit  tou- 
jours la  mftme  en  vivacité  et  en  énergie  d'expression.  Le  tablean  que 
nous  a  offert  Joinville  de  Tapparition  de  saint  Louis  nous  rappelle  , 
soit  Achille  se  montrant  sur  les  remparts  des  Grecs ,  soit  Ulysse 
si  bien  dépeint  par  Hélène  lorsqu'elle  le  signale  au  vieux  Priam.  Ici, 
dans  cette  délibération  où  les  chefs  discutent,  en  présence  du  rot,  s'it 
convient  de  quitter  ou  non  la  Terre  sainte,  on  croit  assister  à  l'un  de 
ces  conseils  où,  en  pareille  circonstance,  Achille  et  Agamemnon  ne  s'é- 
pargnent pas  des  injures  qui  ont  blessé  le  goût  délicat  de  Lamotte'et  de 
Perrault,  quoiqu'elles  ne  dépassent  pas  en  grossièreté  celles  des 
chefs  des  croisés.  Ainsi ,  dans  son  emportement  pour  quitter  la  Terre 
sainte  et  retourner  en  France,  Jean  dé  Beaumont,  Poncle  du  roi,  inter- 
pellant son  cousin  Guillaume  de  Beaumont,  qui,  avec  Joinville,  s'opposait 
à  ce  lâche  départ,  lui  dit  :  «  Orde  longaigne  (puante  latrine,  ou 
sale  excrément),  que  vaulez-vous  dire?  Raseiez  vous  tout  quoy.  » 

Quant  au  mot  de  poulain ,  ce  doit  être  la  traduction  do  mot  grée 
nov^oç,  fils,  enfant  de.  C'est  ainsi  qu'on  désigne  en  grec  le  fils  d'un 
Turc  et  d'une  mère  grecque  par  le  nom  de  Tovpxoiro^Xoç. 


DB  JOINVILLE.  XXIU 

dit  Join\ille ,  me  fit  cuider  qu'il  fust  courroucé  contre 
moi.  S'étant  retiré,  pendant  que  le  roi  disait  ses  grâces, 
vers  une  fenêtre  où,  les  mains  passées  dans  les  barreaux , 
triste  et  pensif,  il  songeait  à  aller  demander  du  service  à  son 
cousin  le  prince  d' Antioche ,  tout  à  coup  quelqu'un  s*ap- 
puyant  sur  ses  épaules  \int  lui  poser  les  deux  mains  sur 
la  tète.  Il  reconnut  quec'était  le  roi^  à  une  émerùude  qu'il 
avoit  en  son  doigt,  et  fut  tout  consolé  quand  il  l'entendit 
lui  dire  qu^il  approuvait  son  conseil  et  lui  savait  gré  d*avoir 
eu  le  courage  de  le  soutenir,  qu'il  le  suivrait;  mais  il  lui 
défendit  de  parler  de  son  départ. 

Joinville  accompagna  ensuite  le  roi  dans  tous  ses  voya- 
ges et  dans  ses  expéditions  en  Palestine  :  à  Gésarée,  à 
Jaffa,  àTyretàSidon. 

C'est  après  le  départ  des  frères  du  roi  ]^ur  la  France  et 
avant  que  saint  Louis  se  rendit  à  Césarée,  dont  il  releva  les 
remparts,  que  Joinville  composa  vers  1252  \eCredo  qui 
nous  a  été  conservé  et  où  il  mentionne  un  des  épisodes  les 
plus  dramatiques  de  la  funeste  retraite  versDamiette,  après 
la  bataille  de  la  Mlassoure.  On  y  trouve  aussi  le  résumé  de 
quelques-uns  de  ses  entretiens  avec  le  roi  sur  la  religion  '. 

Cbargé  par  le  roi  d'uneexpédition  dans  FAnti-Liban  près 
de  Tyr,  Joinville  courut  un  grand  péril .  Surpris  dans  un  dé* 
filé,  il  lui  fallut  mettre  pied  à  terre  pour  encourager  ses  sol- 
dats ,  et  un  de  ses  chevaliers  périt  à  ses  côtés.  On  le  crut 
mort,  et  il  ne  dut  son  salut  qu'à  un  stratagème,  en  incen- 
diant la  plaine  au  moyen  de  joncs  (cannes),  qui,  fendus  à 
l'un  des  bouts  pour  y  placer  des  charbons  allumés,  et  lancés 
dans  des  meules  de  blé^  arrêtèrent  la  poursuite  des  ennemis. 
En  témoignage  de  sa  satisfaction  pour  la  bravoure  et  la 

'  Voyez  la  dissciialion  n"  XI  sur  le  Credo  de  Joinville. 


XXIV  DE  LA   VIB 

pradence  dont  Joinville  lui  avait  donné  tant  de  preuveà ,  le 
roi  lui  conféra,  par  un  acte  daté  du  camp  devant  Joppé,  en 
avril  1252 ,  deux  cents  livres  de  rente  annuelle  réversibles 
sur  ses  héritiers'. 

Join ville  nous  fait  connaître  sa  manière  de  vivre  pendant 
son  séjour  à  Acre  :  chaque  jour,  ses  deux  chapelains  lui 
disaient  ses  heures  et  chantaient  la  messe  Tun  à  Taube , 
Tautre  quand  tous  les  chevaliers  étaient  levés.  Après  la 
messe,  il  se  rendait  près  du  roi  et  raccompagnait  lorsqu'il 
voulait  ûJwvaucher.  Gomme  on  attribuait  les  malheurs  de 
Tarmée  à  la  corruption  des  mœurs,  saint  Louis  punissait 
avec  sévérité  les  moindres  désordres  :  aussi  Joinviile,  pour 
se  mettre  à  l'abri  de  tout  soupçon ,  nous  dit  qu'il  lit  placer 
son  lit  de  telb?.  manière  qu'on  ne  pouvait  entrer  dans  soa 
pavillon  sans  voir  tout  ce  qui  s'y  passait,  et  ce  faisait^ 
il  pour  oster  toute  mescréanee  de  femmes.  A  l'approche 
de  l'hiver,  les  arrivages  par  une  mer  felonesce  étant 
rares  et  coûteux ,  il  faisait  provision  de  vivres,  en  grains , 
porcs ,  moutons  et  volailles.  Il  achetait  cent  tonneaux  de 
vin  et  faisait  toujours  boire  le  meilleur  avant.  Mêlé 
abondamment  d'eau  pour  les  valets ,  il  Tétait  en  moindre 
quantité  pour  les  écuyers;  quant  aux  chevaliers,  ils  usaient 
à  leur  convenance  de  grandes  phioles  de  vin  et  de  grandes 
phioles  d'eau  placées  sur  la  table.  Le  roi  lui  avait  donné  cin- 
quante chevalliers  à  commander,  et  chaque  jour  dix  d'entre 
euxdtnaientâ  latablede  Join  ville,  assisàterre^selonl'usage 
du  pays,  chacun  d'eux  tète  à  tête  d'un  des  chevaliers  d^ 
Joinviile;  à  toutes  les  grandes  fétesannuelles  il  invitaità  des 
galas  les  riches  hommes  de  Vost^  qui  venaienten  telle  quan- 

■  Dans  V Histoire  de  la  principauté  deJoinvUle,  ms.  1054,  p.  6)« 
il  est  dit  que  ces  actes  étaient  k  na  plus  secret  ez  arcliives  de  Join- 
viile. »  (Voir  racle  I.  ) 


DE  JOIirVILLE. 


XW 


titëquele  roi  était  obligéd'en  recevoir  une  partieà  sa  table. 

Sa  susceptibilité  sur  le  point  d'honneur,  surtout  en  ce 
qui  concernait  ses  chevaliers  et  sa  troupe ,  était  extrême. 
Bans  une  chasse  aux  gazelles  où  ses  chevaliers  avaient  été 
repoussés  par  les  hospitaliers ,  il  porta  plainte  au  grand 
maître,  et  raison  lui  fut  rendue  selon  les  usages  de  la  Terre 
sainte.  Les  hospitaliers  durent  donc  manger  à  terre  sur 
leurs  manteaux,  en  présence  des  chevaliers;  mais  Joinville 
et  ses  chevaliers,  satisfaits  de  leur  voir  accomplir  cet  acte 
d'humilité,  les  firent  diner  avec  eux  à  haute  table'. 

Joinville  ayant  appris  l'arrivée  de  la  reine  à  Sidon , 
alla  au-devant  d'elle,  attention  à  laquelle  le  roi  fut  sen- 
sible, et  qui  amena  cette  réflexion  de  Joinville  :  a  Je  vous 
a  rapporte  ces  choses,  parce  que  depuis  ciuq  ans  que 
«r  j'estois  auprès  de  lui,  il  ne  m'avoit  encore  parlé  de  la 
cr  reine  ni  de  ses  enfants,  que  je  sache ,  ni  à  moi  ni  à  per- 
a  sonne,  et  ce  n'est  pas  bonne  manière,  comme  il  me 
(T  semble ,  d'estre  estranger  à  sa  femme  et  à  ses  enfants.  » 
Cependant  le  roi  aimait  tendrement  la  charmante  et  in- 
trépide Marguerite  qui  par  dévouement  pour  sou  époux 
avait  voulu  braver  les  périls  de  la  croisade.  Mais  dans  ces 
graves  et  tristes  circonstances ,  les  devoirs  de  la  royauté 
faisaient  taire  les  affections. 

Sachant  qu'en  Joinville  la  bravoure  s'unissait  à  la 
conv\ohie et kleLprucThommie,  le  roi  le  chargeait  volon- 
tiers du  soin  d'accompagner  la  reine  ;  par  son  enjouement  » 
sa  conversation  et  son  habitude  des  cours  qui  le  distin- 
guaient des  autres  chevaliers,  Joinville  devait  lui  plaire  : 
il  devint  en  quelque  sorte  son  chevalier. 

'  Leyesqae  de  la  Ravalière  s^est  mépris,  ce  me  semble,  sur  le  sens 
de  ce  passage,  Mém.  de  VAcad.  des  Insc,  i.  x\,  p.  329. 


ZXTI  BB  LA  VIE 

Le  roi  lai  ayant  donné  Tordre  de  conduire  la  reine  et 
ses  enfants  à  Tyr»  a  Je  ne  répliquai  point,  nous  dit-il , 
«  et  cependant  il  y  avoit  grand  péril,  n'ayant  alors  ni 
«  paix  ni  trêve  avecceux  d'Egypte  et  de  Damas  ;  mais  grâce 
a  À  Dieu»  nous  y  parvînmes  de  nuit,  quoiqu'il  nous  fallût 
«  deux  fois  descendre  à  terre  dans  le  pays  de  nos  ennemis.  » 

Joinville  se  plaît  à  rappeler  la  fermeté  d'âme  que  montra 
la  reine  au  milieu  des  périls  quand  elleétalt  renfermée  à  Da- 
miette  :  «  c'est  alors,  nous  dit*il,  que  la  reioe  accoucha  d'un 
a  fils  qui  eut  nom  Tristan,  ainsi  appelé  pour  la  grande  dou- 
<r  leur  où  il  était  né.  d  Le  jour  même  de  son  accouchement 
on  loi  vint  dire  que  les  Pisans,  les  Génois  et  autres  vou- 
laient lï'enfuir.  Le  lendemain  elle  les  manda  tous  devant 
son  lit;  la  chambre  en  était  remplie  :  «  Seigneurs,  pour 
<r  l'amour  de  Dieu,  ne  m'abandonnez  pas  dans  cette  ville, 
«  leur  dit-elle;  car  vous  vdyez  que  le  roi  et  tous  ceux  qui 
«  spntfaits  prisonniers  seroient  perdus,  si  la  ville  étaitprise; 
a  et  s'il  ne  vous  plaît,  prenez  du  moins  pitié  de  cette  ché- 
a  tive  créature  ici  couchée,  et  attendez  que  je  sois  re- 
«  levée.  9  —  Et  ils  répondirent  :  «  Dame,  comment  faire? 
<r  puisque  nous  mourons  de  faim  dans  cette  ville.  »  —  Et 
«  elle  leur  dit  que  la  famine  ne  les  en  ferait  pas  sortir, 
<r  car  je  ferai  acheter  tout  ce  qui  se  trouve  de  vivres  dans 
c  la  ville,  et  désormais  je  vous  retiens  tous  au  service  du 
(ir  roi.' —  Ils  se  consultèrent  et  revinrent  vers  elle,  lui 
a  octroyant  de  rester  volontiers;  et  la  reine ,  que  Dieu  l'ait 
a  en  sa  sainte  garde  I  fit  acheter  toutes  les  provisions  de  la 
(ir  ville,  qui  lui  coûtèrent  plus  de  trois  cent  mille  livres.  11 
a  loi  fallut  faire  ses  relevaiiles  avant  terme,  parce  que  la 
a  ville  dut  être  rendue  aux  Sarrasins.  » 

Lorsque  saint  Louis  se  décida  à  revenir  en  France,  il  fit 


BB  JOINYILLB.  XXTll 

embarqner  Joinville  sur  son  vaisseau ,  où  était  aussi  la 
reine  Marguerite. 

On  lira  avec  intérêt  dans  son  récit  comment  le  plus 
faible  des  vents  ^  selon  l*expression  employée  par  saint 
Louis,  faillit  noyer,  près  des  rivages  de  Chypre^  le  roi  de 
France  avec  toute  sa  famille.  Un  jour  que  la  mer  furieuse 
menaçait  de  faire  sombrer  le  navire,  la  reînè  Marguerite  fit 
vœu  à  saint  Nicolas  de  Varangeville  d'une  nef  d'argent, 
et  Joinville  s'engagea  à  porter  lui-même  cette  offrande  àpié 
et  deschaux  dans  Téglise  du  saint  au  diocèse  de  Toul , 
et  même  il  s'en  rendit  pleige  sur  la  demande  de  la  reine  '• 

Avec  lespérilsdelanavigation  la  piétéde  Joinville  semble 
s'accrottre.  Un  écuyer  tombe  à  la  mer,  et,  sur  le  point  de  se 
noyer,  invoque  Notre-Dame,  qui  le  soutient  par  les  épaules 
et  le  ramène  à  bord,  o  En  Tonneur  de  ce  miracle,  dit-il,  je 
Tay  fait  peindre  à  Joinville,  en  ma  chapelle,  et  es  verrières 
de  Blécourt.  d  Mais  même  dans  les  plus  grands  périls  la 
gatté  gauloise  ne  l'abandonne  pas;  sur  le  point  de  sombrer 
au  fond  de  la  mer,  il  raconte  la  naïveté  d'un  sien  écuyer 
qui  lui  jeta  un  manteau  sur  les  épaules,  dans  la  crainte 
qu'il  ne  prît  froid  et  s'enrhumât. 

En  1254,  après  une  absence  de  six  ans,  Joinville  revit 
enfin  son  château  bien-aimé ,  sa  femme  Alaîs,  et  son  fils  âgé 
alors  de  six  ans.  Il  s'arrêta  quelque  teinps  à  Joinville  pour 
arranger  ses  affaires  fort  délabrées,  ne  s'étant  réservé  que 
mille  livres  de  revenu ,  lors  de  son  départ  pour  la  croisade, 
d'où  il  revenait  ayant  tout  perdu  :  il  se  rendit  ensuite  au- 
près du  roi  à  Soissons ,  a  qui  lui  ftst  si  grantjoie  que  tous 
ceux  qui  là  estoient  s*en  émerveilloient.  9  Le  roi  lui  donna 
alors  la  terre  de  Germay  à  la  charge  de  l'hommage  lige. 

'  Il  BccompUt  ce  vœu  au  mois  de  mai  1255* 


XXVLII  DB  LA  VTB 

Un  de  ses  premiers  soins  fut  d*al]er  visiter  les  tom- 
beaux de  ses  aïeux  à  Clairvaux ,  et  d*y  faire  inscrire  les 
épitaphes  de  ses  prédécesseurs,  seigneurs  de  Joinville,  in- 
humés au  cimetière  des  nobles  dans  cette  abbaye.  Il 
fit  aussi  placer  dans  l'église  de  Saint-Laurent,  au-dessus 
du  tombeau  de  son  oncle  Geoffroy  Trouillard,  Vescusson 
escartelé  des  armes  d'Angleterre  qu'il  avait  rapporté 
de  Saint-Jean-d*Acre.  Il  y  fit  apposer  Tépitaphe  qui  nous 
a  été  conservée  et  dont  nous  parlerons  plus  loin. 

Au  mois  de  mai  1257,  le  roi  de  Gastille,  en  récompense 
des  services  que  Joinville  avait  rendus  à  la  foi  chrétienne 
durant  la  croisade,  lui  fit  don  de  mille  marcs  d*argent  au 
grand  marc  :  la  patente  authentique  lui  en  fut  envoyée 
par  rarctûdiacre  de  Maroc  '. 

Peu  de  mois  après  son  retour,  il  négocia  le  mariage  de 
la  fille  du  roi  de  France,  Isabelle,  avec  son  seigneur  Thi- 
baut y,  comte  de  Champagne  et  roi  de  Navarre,  qui  venait 
de  succéder  à  son  père.  Des  pièces  déposées  aux  archives 
indiquent  qu*il  reçut  quelques  possessions  ajoutées  à  ses 
fiefs,  probablement  en  récompense  de  cette  union. 

Sa  mère  mourut  en  1260.  Il  hérita  d'elle  de  plusieurs 
domaines,  et,  selon  les  lettres  datées  de  1261 ,  provenant 
des  archives  du  château  de  Joinville,  il  retint  dans  sa 
mouvance  ceux  qui  passèrent  à  son  frère  Geoffroy  de 
Vaucouleurs. 

L'abbaye  de  Saint-Urbain ,  enclavée  dans  son  domaine 
de  Joinville,  se  trouvant  sans  abbé  par  suite  d'un  conflit 
entre  plusieurs  prétendants,  Joinville  s'en  attribua  la  garde  ; 
ce  qui  occasionna  un  grant  tribouil  dans  un  parlement  à 

'  HisL  de  la  principauté  de  Joinville^  ma.  de  la  Bibl.  impér., 
1054,  p.  62. 


DB  JOIRVIIU.  XXIX. 

Paris,  entre  Joinville»  Tévèque  Pierre  de  FUndre,  la 
comtesse  Marguerite  de  Flandre,  et  l'archevêque  de 
Reims.  A  cette  occasion  Joinyiile  fut  excommunié  par 
révéque  de  Ghâlons.  Les  évèques  intervinrent  dans  cedébat, 
reprochant  à  saint  Louis  de  proté^r  les  spoliateurs  de 
rÉglise;  mais  le  roi  les  éconduisit  par  de  bonnes  paroles, 
quoique  avec  un  peu  d'ironie,  comme  il  fit  à  Farchevè- 
qae  deRdms.  Quant  à  Tévèque  de  (Mlons,  voici  comment 
le  roi  s'y  prit  :  a  L'évéque  de  Ghàlons,  lui  ayant  dit  : 
a  Sire,  que  ferez- vous  du  seigneur  de  Joinville,  qui 
a  toit  à  ce  pauvre  moine  l'abbaye  de  Saint-Urbain?  — 
«  Stre  évesque,  fist  le  roy,  entre  vous  avez  estabji  que 
cr  l'on  ne  doit  oyr  nul  escommunié  en  cour  laie ,  et  j'ai 
a  vëues  lettres  scellées  de  trente-deux  sceaux  que  vou» 
a  estes  excommunié  :  donc  je  ne  vous  escouteray  jusqucs 
a  à  tant  que  vous  soyez  i^soutz.  »  C'est  ainsi,  ajoute 
Joinvilie,  que  J7ar  son  sens,  il  le  délivra  de  ce  qu'il 
avoit  à  faire. 

^£n  1261 ,  Joinville  épousa  en  secondes  noces  Alix,  fille 
de  Gauthier,  seigneur  de  Resnel  en  Basslgny,  et  par  cette 
alliance  il  réunit  cette  baronnie  à  celle  de  Joinville. 

En  1262,  il  remplit  un  service  de  cour  aux  noces  du 
prince  Philippe  (depuis  Philippe  III  le  Hardi)  et  d'Isabelle 
d'Aragon.  Une  lettre  de  Thibaut,  son  seigneur,  contient 
même  à  ce  sujet  un  détail  assez  curieux  :  Joinville  réclamait 
à  son  profit  la  remise  des  écuettesqxkï  avaient  servi  au  repas, 
comme  un  droit  relevant  de  sa  charge;  mais  sa  demande 
fut  rejetée ,  attenda  que  ces  écuelles  étaient  celles  du  roi  de 
France,  dont  Joinville  n'était  pas  le  vassal  :  ce  qu'il  n'aurait 
pas  dû  oublier,  puisqu'il  avait  refusé  de  prêter  serm^t  à 
saint  Louis  lors  de  son  départ  pour  la  croisade,  attendu 


XXX  1>E  LA  VIS 

qu'il  était^omme  lige  de  Thibaut,  comte  de  ChaiDpagDe, 
et  non  celui  du  roi  de  France  '. 

En  1269,  la  comtesse  de  Luxembourg»  Marguerite,  se 
porta  médiatrice  entre  Joinville  et  Milon,  seigneur  de  Saint- 
Âmand,  et  fit  cesser  les  hostilités  survenues  entre  eux. 
Toutefois,  on  voit  par  les  lettres  conservées  dans  les  ar- 
chives de  JoinTille,  qn*il  fut  condamné  à  payer  deux  cents 
livres  tournois  de  dédommagement. 

En  1270,  il  vint  au  château  de  la  Fauche  pour  y  rece- 
voir un  hommage  qui  lui  était  dû  et  que  lui  contestât  le 
seigneur  de  Ycrgi.  Les  clefs  du  château  lui  furent  remises 
par  ce,  seigneur,  auquel  Joinville  les  rendît  après  les  avoir 
fait  garder  par  son  écuyer  pendant  un  jour  entier.  Trois  ans 
auparavant  (en  1 267  ),  Joinville  avait  dû  rendre  hommage 
au  comte  de  Bar  pour  la  terre  deMoutier-sur-Saulx. 

En  1277,  par  un  acte  daté  de  mardi pwchain^  après  la 
décollation  de  saint  Jean-Baptiste ,  Joinville  fit  un  em- 
prunt au  chapitre  de  Saint-Laurent  d'une  somme  de  qua- 
rante livres ,  et  donna  en  gage  pour  garantie  des  chasuble^ 
aubes ,  ornements  et  reliques  de  sa  chapelle. 

Malgré  le  bonheur  dont  il  jouissait  auprès  de  sa  fa- 
mille, et  le  soin  quMl  apportaitau  bien-être  de  ses  vassaux, 
Joinville  quittait  souvent  son  château  pour  se  rendre  au- 
près du  roi  Louis  IX,  dont  il  admirait  les  vertus  et  qui 
répondait  à  son  dévouement  par  une  véritable  affection. 
Souvent  Joinville  partageait  avec  monseigneur  de  Nesle 
et  Jean,  comte  de  Boissons,  le  soin  que  le  roi  leur  confiait 
d'aller  entendre  lesplaids  aux  portes  du  palais,  et  de  Tin- 
former  des  affaires  qui  réclamaient  sa  présence  ;  il  s'asseyait 
même  près  du  roi  quand  saint  Louis  rendait  la  justice, 

■  Mémoires  de  VAcad,  des  Fnscr,  et  Belles- Lettres,  t.  XX,  p.  789. 


DE  JOINYILLE.  XXXI 

soit  au  jardin  de  Paris  \  soit  sous  le  chêne  du  bois  de 
Vincennes, 

Les  largesses  que  le  roi  fit  à  Joinville  ne  furent  point  le 
prix  de  la  flatterie  ou  de  Tobsession,  et  toujours  Joinville 
obtint  justice  du  roi  contre  ses  envieux  ou  ses  calomniateurs. 

a  On  admire,  dans  la  vie  de  cet  historien  de  saint  Louis, 
les  sentiments  d'affection  qui  l'unissent  à  celui  dont  il  a 
entrepris  d'écrire  la  vie,  et  les  harmonies,  s'il  est  permis 
d'employer  ce  mot,  qui  se  répondent  entre  ces  deux  exis- 
tences ,  Tune  si  bien  faite  pour  comprendre  et  pour  appré* 
cier  Tautre;  le  sujet  loyal  et  dévoué  près  du  roi  héroïque 
et  sublime,  le  chevalier  accompli  près  du  saint.  £n  lisant 
dans  ces  mémoires  le  récit  de  la  vie  privée  du  roi  et  ses 
actions  les  plus  simples,  qui  sont  peut-être  les  plus  admi- 

'  Sibié  sur  l'esplanade  de  la  place  Dauphine  en  face  le  palais  de  Jastice. 

JoinTille  noos  donne  un  exemple  de  Ja  sagesse  des  jugements  de 
saint  Louis.  «  Je  vis ,  dit-il,  dans  une  charrette  le  corps  de  trois  ser* 
«  gents qu'un  clerc  (ecclésiastique)  avoit  tués,  mais  après  aToir  été 
«  volé  par  eux  :  Sire  clerc,  fist  le  roi,  tous  avez  perdu  à  estre  prestre 
«  parvostre  prouesse,  et,  pour  vostre  prouesse,  je  vous  retieng  à  mes 
«  gages  et  venrez  avec  moy  outremer.  £t  ceste  chose  vous  foiz-je  en* 
ft  core,  pource  que  ma  gent  voyent  que  je  ne  les  soustiendrai  [en]  nulles 
«  de  leurs  mauvesetiés.  m  Quand  le  peuple  qui  estoit  là  assemblé 
«  ouït  cela,  «goûte  Joinville,  ils  se  escrièrent  à  nostre  Seigneur  et  le 
«  prièrent  que  Dieu  li  donnast  bonne  vie  et  longue.  » 

A  son  retour  de  la  croisade,  Joinville  (ou  du  moins  le  chroniqueur 
de  Sunt-Denys,  dont  le  récit  complète  celui  de  Joinville)  nous  fait  un 
triste  tableau  de  Paris  :  «  La  prévpsté  estoit  lors  vendue  aux  bourgeois 
de  Paris  ou  à  aucuns  ;  et  quand  il  advenoit  que  aucuns  Teust  acheptée, 
si  soustenoient  leurs  enfants  et  leurs  neveux  en  leurs  ontrages;  car  les 
jonvenciaux  avoient  fiance  en  leurs  parents  et  en  leurs  amis  qui  les 
tenoient.  Pour  ceste  chose  estoit  trop  le  menu  peuple  défoulé,  ne  se 
pou  voient  avoir  droit  des  riches  homes,  pour  les  grands  présents  et  dons 
qu'ils  faisoient  aux  prévosts.  Par  les  grands  rapines  qui  estoient  faites 
en  la  prévosté,  le  menu  peuple  n*osoit  demeurer  en  la  terre  da  roi,  ains 


XXXn  DB  hJL  VIE 

râbles ,  on  partage  l'enthousiasme  qne  Tintimité  accroissait 
de  jour  en  jour  dans  Tâme  de  Joinville ,  si  bien  faite  pour 
sentir  et  aimer  la  vertu.  Il  s'avoue  un  homme  ordinaire 
avec  bien  des  faiblesses;  mais  les  vertus  de  saint  Louis  ne 
lui  en  paraissent  que  plus  belles ,  et  Ton  dirait  qu'il  est  heu- 
reux d'insister  sur  son  infériorité  pour  les  faire  encore 
mieux  ressortir.  » 

Vingt  ans  s'étalent  écoulés  depuis  le  retour  d'Orient, 
et  Joinviile,  lorsqu'il  n'était  pas  à  la  cour,  s'occupait  dans 
ses  domaines  à  bâtir  et  réparer  les  églises;  à  faire  rappeler 
sur  les  vitraux  de  la  chapelle  de  Joinville  et  de  l'église  de 
Blécourt  le  Souvenir  de  ses  voyages  d'outre-mer  et  des  périls 
auxquels  il  avait  eu  le  bonheur  d'échapper,  enûn  à  jouir  des 
charmes  du  foyer  domestique,  quand  tout  à  coup,  en  1 270, 
il  apprend  que  le  roi  mandait  ses  barons  à  Paris ,  et  lui 
même,  sur  une  invitation  pressante  pour  s'y  rendre,  quoi- 
que malade  de  la  lièvre  quarte,  ne  peut  résister  aux  ins- 

alloient  demoorer  en  aatres  prévostés  et  seignenries,  et  estoît  la  terre 
da  roi  si  vague ,  que,  quand  il  tenoit  ses  plaids,  il  n'y  Yenoit  pas  plus 
de  dix  personnes  ou  de  douze.  Avec  ce ,  il  y  avoit  tant  de  maulfeteurs 
et  de  larrons  à  Paris,  que  tout  le  pays  en  estoit  plein.  Le  roi,  qui  metoit 
grand'diligence  comment  le  menu  peuple  fust  gardé,  sut  toute  la  vé- 
rité; si  ne  voulut  plus  que  la  prévosté  de  Paris  feust  vendue;  ains 
donna  gages  bons  et  grands  à  «eux  qui  dès  or  en  avant  la  garderoient  ; 
et  toutes  les  mauvaises  coustumes  dont  le  peuple  pouvoit  estre  grevé, 
il  abatlt,  et  fist  faire  enquerre  par  tout  le  royaume  et  par  tout  le  pays 
où  l'on  fist  bonne  justice  et  roide ,  qui  n'épargnast  plus  le  riche  home 
que  le  pauvre.  Si  lui  fust  indiqué  Estienne  Boileau  ,  lequel  maintint 
et  garda  si  bien  la  prévosté,  que  nul  malfaiteur,  ne  liarre  (larron)  ni 
meurtrier,  n^osa  demourer  à  Paris,  qui  tantost  ne  feust  pendu  ou  détruit  ; 
ne  parent,  ne  or,  ne  argent  ne  le  pût  garantir.  La  terre  du  roi  com- 
mença à  amender,  et  le  peuple  y  vint  pour  le  bon  droit  que  on  y  faisoit  ; 
si  moulteplia  tant  et  amenda,  que  les  ventes,  les  saisinnes,  les  achats 
e(  les  autres  choses  valpient  à  double  que  devant.  »  ^ 


XXXÎV  DB  hJL  VIE 

sion ,  fait  présumer  que  la  prédiction  de  son  chapelain  sur 
le  résultat  de  cette  nouvelle  croisade  réveillant  en  lui  Je 
souvenir  des  malheurs  et  des  périls  de  la  précédente,  le  for- 
tifia dans  sa  résolution  :  loin  de  l'approuver,  je  entendi, 
dit-il ,  que  tous  ceuz  firent  péché  mortel  qui  louèrent  au 
roi  l'allée  y  etc. 

Quelle  douleur  ne  dût-il  pas  ressentir  lorsqu'il  apprit 
les  malheurs  qui  frappèrent  dès  le  début  cette  imprudente 
croisade,  et  la  sainte  mort  de  son  roi,  son  ami,  son  frère 
d*armés  et  l'objet  de  son  culte! 

a  Précieuse  chose,  dit^l ,  et  digne  est  de  plorer  le  trespasse- 
«  ment  de  ce  saint  prince  ^  qui  si  saintement  et  si  loyale- 
«  ment  garda  son  royaume  et  qui  tant  de  belles  aumosnes 
«  y  ûst  et  qui  tant  de  beaux  establissements  y  mist.  Et 
«  ainsi  comme  Tescrivain  qui  a  fait  son  livre,  et  qui  Ten- 
((  lumine  d'or  et  d*azur,  enlumina  ledit  roy  son  royaume 
c(  de  belles  abbaïes  qu*il  y  (ist,  des  mansions-Dieu ,  des 
«  Preescheurs,  des  Cordeliers,  etc.  h 

Le  fils  de  saint  Louis,  Philippe  111  (le  Hardi),  témoigna 
à  Joinville  la  même  confiance  que  son  père. 

Un  ancien  cartulaire  porte  que  Joinville  fut  une  des  cau- 
tions que  donna  Henri,  roi  de  Navarre,  au  roi  de  France, 
Philippe  III ,  pour  une  somme  de  3,000  livres  qu'il  lui 
devait;  l'acte  est  daté  de  1271. 

Plusieurs  jugements  rendus  par  Joinville  en  1283   et 
«1294,  comme  sénéchal  de  Champagne,  montrent  qull 
était  dans  ses  domaines  à  cette  époque  \ 

Lorsque  la  reine  de  Navarre,  Jeanne,  en  épousant  Philippe 
le  Bel,  transmit  à  la  couronne  de  France,  avec  son  titre  à 

'  lis  portent  :  «  Ce  fut  jugîé  par  mbnsignor  Jean  de  JoioTille, 
qui  lors'gardoit  Champagne.  « 


\- 


DB  JOINYILLE. 


X3LXV 


cette  royauté,  celui  des  comtés  de  Champagne  et'de  Brie» 
elle  voulut  donner  à  Join ville  une  nouvelle  preuve  de  son  af- 
fection, en  lui  conférant  la  régence  de  ces  deux  comtés.  C'est 
donc  comme  gouverneur  de  Champagne,  qu'en  1 285,  pen< 
dant  Texpédition  de  Philippe  le  Hardi  et  de  son  fils  *  en  Es- 
pagne contre  le  roi  d'Aragon,  Joinville  présida  souvent  aux 
assises  des  grands  jours  de  Troyesety  prononça  des  arrêts. 
Au  commencement  du  règne  de  Philippe  le  Bel ,  Join- 
ville eut  le  bonheur  de  voir  s'ouvrir  les  enquêtes  pour  la 
canonisation  de  celui  dont  il  avait  admiré  de  près  la  sainte 
vie,  ly  sainct  roi^  comme  il  se  plait  tant  à  rappeler.  Dans 
l'enquête  préalable,  qui  eut  lieu  à  Saint- Denis,  en  1282 
(  du  1 2  août  au  1 8  du  même  mois  ],  devant  les  évêques  et  les 
cardinaux  réunis,  Joinville  fut  entendu  comme  témoin,  et 
Il  déclara,  sous  serment,  nous  dit  le  Confesseur  de  la  reine 
Marguerite,  a  que  pendant  trente-quatre  ans  qu'il  vécut 
tf  avec  le  benoît  roi,  il  ne  le  vit  ou  ouit  oncques  dire  à  au- 
«  trui  parole  de  détractation,  ni  homme  plus  atirempé 
ff  (modéré)  ni  de  greigneur  (plus  grande)  perfection,  et 
0  qu'il  croit  qu'il  soit  en  paradis  et  quenostre  sire  Dieu 
cr  doit  bien  faire  miracles  pour  lui  ^.  d 

>  Philippe,  depuis  Philippe  IV  dit  le  Bel. 

*  Le  Gonfessear  de  la  reine  Marguerite,  en  rapportant  le  témoignage  de 
Joinville,  indique  ainsi  son  âge  :  «  Monseigneur  Jehan,  sire  de  Join- 
Tille,  du  diocèse  de  Chaalons,  homme  d'avisé  aage  et  moult  riche, 
«  seneschal  de  Champaigne  ,  de  cinquante  ans  ou  envittm.  » 

Joinville,  né  en  ^224,  avait  à  cette  époque  cinquante-sept  ans. 
Le  mot  environ  laisse,  il  est  vrai,  une  certaine  latitude ,  et  peut-être  le 
Confesseur  voulut-il  flatter  le  guerrier  en  dissimulant  ainsi  son  âge,  ou 
bien  y  a-t-il  quelque  erreur  de  chirfre?  Si  Joinville  n'avait  eu  alors 
que  cinquante  ans,  il  faudrait  rapprocher  la  date  de  sa  naissance  de 
sept  années,  c'est-à-dire  le  faire  nattre  en  1231  ;  mais  alors  il  n'auraîC 
eu  que  neuf  ans  en  i24l,lorsquUl  tranchait  devant  le  roi  àSaumur,  et 
il  se  serait  marié  à  huit  ans. 


; 


XXXVl  DB  LA  VIS 

11  ei^t  toutefois  présumable  qu'en  cette  drcoDstance 
Joinville  omit  de  rappeler  une  conversation  remarquable 
du  roi  avec  les  prélats  et  cardinaux;  elle  frappa  tellement 
Joinville,  qu'il  en  a  fait  mention  deux  fois  dans  ses  Mé- 
moires'.Voici  le  premier  de  ces  deux  récits;  le  second 
plus  succinct  n*en  est  que  Tabrégé. 

a  Je  revis  une  autre  fois  le  roi  à  Paris,  alors  que  tous  les 
prélats  de  France  lui  mandèrent  qu*ils  vouloient  lui  par- 
ler ;  le  roi  se  rendit  au  palais  pour  les  entendre.  Là  étoit 
le  fils  de  monseigneur  Guillaume  de  Mello,  Tévéque  Guy 
J* Auxerre ,  qui  parla  ainsi  au  roi  :  a  Sire ,  ces  seigneurs 
r<  ici  présents,  archevêques  et  évèques,  m'ont  chargé  de 
<c  vous  dire  que  la  chrétienté  périt  en  vos  mains.  »  Le  roi 
se  signa  et  dit  :  a  Or,  dites-moi  comment  cela  peut-il  être? 
«  —  Sire,  reprit  Tévèque,  c'est  qu'on  fait  si  peu  de  cas  au- 
«  jourd'hui  des  excommunications,  que  les  gens  se  laissent 
«  mourir  excommuniés  avant  que  de  se  faire  absoudre,  et 
a  ne  veulent  satisfaire  à  TÉglise.  Ils  vous  requièrent,  au 
(r  nom  de  Dieu  et  de  votre  devoir,  que  vous  comman- 
a  diez  à  vos  prévôts  et  baillis  que  tous  ceux  qui  resteront 
c(  excommuniés  un  an  et  un  jour  soient  contraints  par  la 
((  saisie  de  leurs  biens  à  se  faire  absoudre.  »  Le  roi  répondit 
qu'il  en  donnerait  volontiers  l'ordre  à  tous  ceux  qu'on  lui 
prouverait  être  dans  leur  tort.  L'évêque  dit  que  l'Église 
ne  consentirait  jamais  à  ce  que  lacourconnûtde  semblables 
matières,  qui  la  concernaient  seule;  maisle  roi  répondit  qu'il 
ne  ferait  point  autrement.  Car  ce  serait  cantre  Dieu  et 

*  Dans  l'oraison  funèbre  de  Louis  IX,  le. frère  Jean  Sainçois  déclara 
tenir  de  Joinville  plusieurs  traits  de  la  vie  de  saint  Louis,  «  que.ce 
feal  chevalier  lui  avait  jurés  estre  vrais  par  serment  ».  Le  ch.  Artaud , 
Credo  de  Joinville,  p.  5,  Paris,  Firmin  Didot,  1837. 


DE  JOINYILLE.  XXXVII 


contre  raison ,  s'il  contraignait  les  gens  à  se  faire  absoudre 
par  les  clercs,  lorsque  ce  seraient  les  clercs  qui  leur  au-  \ 
raient  fait  tort,  a  Et  à  ce  sujet,  ajouta  le  roi,  je  vous  don-  \ 
a  nerai  pour  exemple ,  entre  autres,  le  comte  de  Pretagne,/ 
a  qui  a  plaidé  sept  ans  contre  les  prélats  de  Bretagne,  tout\ 
a  excommunié  qu'il  étoit,  et  a  tant  exploité,  que  le  pape  \ 
«  les  a  condamné  tous.  Donc,  si  j'eusse  contraint ,  dès  la    v 
a  première  année,  le  comte  de  Bretagne  à  se  faire  absoudre, 
a  j'eusse  méfait  envers  Dieu  et  envers  lui.  »  Les  prélats  se 
continrent,  et  depuis  je  n'ai  jamais  oiiï  dire  que  de  sem« 
blables  demandes  aient  été  réitérées,  d 

Seize  ans  après ,  en  1 298 ,  la  canonisation  de  saint  Louis 
ayant  été  prononcée  par  Boniface  VIII,  Joinville  s'em- 
pressa de  faire  bâtir  dans  sa  chapelle  un  autel  sous  Tii^vo- 
cation  de  son  ancien  maître  et  ami ,  dont  il  voulut  par  ce 
monument  éterniser  la  mémoire,  mais  c'est  par  ses  écrits 
qu'il  l'a  transmise  bien  plus  sûrement  aux  siècles  les  plus 
reculés. 

Le  souvenir  de  saint  Louis  resta  toujours  tellement  pré- 
sent au  sire  de  Joinville,  que,  même  en  songe,  il  croyait  le 
voir  encore  et  converser  avec  lui;  il  nous  rapporte  même 
la  réponse  bienveillante  que  lui  fit,  dans  l'un  de  ces  songes, 
le  roi  qui  souvent  lui  semblait  se  plaire  à  apparaître  au 
château  de  Joinville. 

<c  Quand  je  me  esveillaî,  je  m'apensai  (réfléchis)  et  me 
«  sembloit  que  il  plésoit  à  Dieu  et  à  li  que  je  le  hébergeasse 
(f  en  ma  chapelle ,  et  si  je  ai  fait  ;  car  je  li  ai  establi  un  autel 
«  en  rhonneur  de  Dieu  et  de  li,  et  y  a  rente  perpétuelle- 
«  ment  establie  pour  le  faire.  Et  ces  choses  airje  ramentues 
e  (rappelées)  à  monseigneur  le  roi  Looys  (Hutin),  qui 
«  est  héritier  de  son  nom  ;  et  il  me  semble  qu'il  fera  le  gré 

JOiNYLLLE.  ■  a 


XXXVIII  DE  LA  VIE 

((  Dieu  et  le  gré  nostpe  saint  roy  Looys,  s'il  pourchassoit 
((  (envoyait)  des  reliques  le  vrai  corps  saint  (de  son  vrai 
«  corps  )  et  les  envoyoit  à  laditte  chapelle  de  saint  Laurent 
tf  à  Join ville;  pourquoi  cil  qui  viendront  à  son  autel,  y 
(c  auronJt  plus  grand  dévotion.  » 

En  1287 ,  Joinville  reçut  du  doyen  et  des  chanoines  de 
réglisede  Ghàlonsune  lettre  deremerciment  avec  l'acte  de 
la  fondation  d\ine  messe  commémorative ,  annuelle  et  per- 
pétuelle, pour  le  don  quMl  leur  avait  fait  d*un  précieux  re- 
liquaire qui  renfermait  une  partie  du  chef  de  saint  Etienne, 
patron  de  cette  église. 

Le  caractère  hautain  de  Philippe  le  Bel  ne  pouvait  trou-  ' 
ver  chez  Joinville  aucune  sympathie,  et  ses  mesures  ar- 
â)itraires,  dès  son  avènement  au  trône ,  rencontrèrent  dans 
•le  sénéchal  de  Champagne  un  contradicteur  et  un  adver- 
saire :  aussi  en  1287  Joinville  fut  exclu  des  assemblées 
de  Champagne  par  Philippe  le  Bel,  et  n*y  reparut 
qu'en  1291  ;  mais  il  n'y  occupa  plus  que  la  sixième  place. 

Cependant ,  quoiqu'en  défaveur,  Joinville  reçut  du  roi 
en  1300  la  mission  de  conduire  en  Allemagne  sa  sœur,  qu'il 
venait  de  marier  au  duc  d'Autriche,  et  l'année  suivante  il 
accompagna  en  Flandre  le  roi  et  la  reine  (du  28  avril  au 
mois  de  juillet)  ;  de  tous  les  grands  officiers  de  leur  suite, 
il  fut  le  seul  qui  eût  un  écuyer  '. 

■  L*if  inérfiire  de  ce  voyage,  inscrit  sur  des  f  ablettes  enduites  de  cire, 
se  trouve  à  la  Bibliothèque  Impériale  de  Paris.  L'écriture  en  est  en- 
core bien  conservée.  -^  (Voir  le  mémoire  de  Tabbé  Lebenf,  Mémoires 
de  PAcadémie  des  inscr.  et  belles-lettres ,  t.  XX ,  p.  287). 

Cet  usage  d'écrire  sur  des  tablettes  enduites  de  cire  s'est  long- 
temps conservé  même  après  remploi  du  papier.  L*abbé  Lebenf  cons- 
tate l'avoir  vu  encore  pratiqué  à  Rouen  en  1722,  et  M.  Claude,  dont 
•cha<:un  connaît  Tobligeanoe,  m'a  montré  celles   que  les  facteurs 


DE  JOINVILLB.  XXXIX 

En  f  803  j  le  roi,  pour  réparer  le  désastre  de  la  bataille 
de  Gourtrai,  convoqua  la  noblesse  du  royaume;  Joinr 
ville  se  rendit  à  Arras ,  où  se  réunissait  celle  de  Champa- 
gne, avec  son  neveu  Gauthier  de  Yaucouleurs  et  Tun 
de  ses  parents  surnommé  Trouillart. 

En  1308,  les  religieux  de  Saint-Urbain,  soit  à  Tinstiga- 
tion  du  roi,  soit  enhardis  par  la  disgrâce  que  Joinville  avait 
encourue  par  son  opposition,  obtinrent  enfin  d*étre  placés 
sous  la  garde  de  Philippe  le  Bel ,  et  de  se  soustraire  ainsi  à 
Tautoritéde  Joinville,  Voici  ce  qu'on  lit  dans  un  cartulaire  : 

a  En  1308,  une  sentence  du  bailli  de  Ghaumont  oblige 
a  Jean  sire  de  Joinville  à  remettre  la  garde  de  Tabbaye  de 
g  Saint-Urbain  à  Philippe  le  Bel,  à  cause  de  son  comté  de 
a  Champagne,  les  seigneurs  de  Joinville  n'ayant  pas  dis- 
a  continué  d,e  vexer  les  religieux  qui  ne  voulurent  plus  les 
«  reconnaître  comme  avoués.  » 

Il  est  à  croirequ'en  toute  autre  circonstance  leur  demande 
eût  été  rejetée.  Déjà  plusieurs  fois  les  religieux  peu  recon- 
naissants de  tout  ce  qu  avaient  fait  en  leur  faveur  Joinville 
et  ses  ancêtres,  avaient  tenté  de  se  soustraire  à  la  domina- 
tion de  ces  seigneurs  ;  mais  ils  avaient  vu  leurs  prétentions 
repoussées  par  saint  Louis. 

Ainsi,  nous  dit  Joinville,  <r  Tabbé  Geoffroi  de  Saint- 
«  Urbain,  après  ce  que  Je  avois  fait  pour  lui ,  me  rendit  le 
«  mal  pour  le  bien  y  et  appela  contre  moi ,  et  fit  entendre 
u  au  saint  roi  qu'il  estoit  en  sa  garde  et  non  en  celle  des 
«  seigneurs  de  Joinville.  d  Le  roi^  après  avoir  écouté  l'abbé 
et  le  sire  de  Joinville ,  dit  qu'il  ferait  examiner  Taffaire 

de  la  halle  de  Rouen  employaiàit  il  y  a  encore  quelques  années. 
M.  de  WaiUy  prépare  en  ce  moment  une  nouvelle  édition  des  ta- 
blettes du  voyage  de  Philippe  le  Bel. 


XL  DE  LA  YfE 

pour  savoir  la  vérité;  a  et  la  vérité  sue,  il  me  délivra  la 
garde  de  l'abbaye  et  me  baillases  lettres  d 

En  1 307,  Joinville  At  bâtir  la  vilte  deMonthoil  \  aa  dio- 
cèse de  Toul ,  et  y  construisit  une  belle  église  dédiée  à 
la  vierge  Marie  et  à  saint  Jean-Baptiste,  a  à  laquelle  il  as- 
signa plusieurs  belles  rentes,  o 

En  1 3 1 1 ,  Philippe  le  Bel  étant  à  Beaumont ,  Jean  sire  de 
Joinville,  comme  sénéchal  de  Champagne,  eut  l'honneur 
de  le  servir  à  table,  et  cette  fois,  conformément  aux  droits 
attachés  à  sa  charge,  o  il  fut  mis  en  possession  des  écuelles  *.  » 

Le  caractère  de  Joinville,  son  amour  pourson  pays,le  sou- 
venir de  la  loyauté  et  des  vertus  de  saint  Louis,  ne  lui  permi- 
rent pas  de  supporter  plus  longtemps  les  vexations  fiscales, 
l'altération  des  monnaies  et  les  mesures  violentes  et  tracas- 
sières  de  Philippe  le  Bel .  Des  révoltes  ayant  éclaté,  Joinville, 
ensaqualitédesénéchalde  Champagne, fitassembleren  1314 
la  noblesse  du  pays,  et  s'opposa  énergiquement  aux  exac- 
tions du  roi  ;  toutefois  ce  qui  fut  décidé  dans  la  conférence 
resta  sans  exécution,  le  roi  étant  mort  cette  même  année. 
Dans  ses  Mémoires,  en  parlant  de  la  colère  de  Dieu  qui  pour- 
suit les  mauvais  princes,  Joinville  s'écrie  :  «  que  le  roi  qui 
5  règne  à  présent  y  prenne  garde;  car  s'il  ne  s'amende  de  ses 
ce  méfaits,  Dieu  ne  manquera  pas  de  le  frapper  cruellement 
c(  dans  sa  personne  ou  dans  les  intérêts  de  sa  couronne.  » 

Mais  dès  que  Louis  te  Hutin  fut  monté  sur  le  tr6ne  et 
qu'il  eut  accueilli  les  plaintes  de  ses  sujets,  et  signalé 
son  règne  par  la  suppression  des  impôts  créés  par  Phi- 
lippe le  Bel,  Joinville  cessa  son  opposition.  Mandé  par  le 

*  Mons  ocuH,  selon  le  Gallia  Christ,  t  Xlfl,  col.  1143. 
^  ChampolUoa-Figeac,  Docum.  hist.,  p.  62.  —  Généalogie  dé  Join- 
ville^ iQs.  1 054,  p.  40  et  4 1 .  Voir  au  Ciiap.  IX  l'acte  concemaat  ce  droit 


DE  iOlNVILLE.  Xtl 

roi  pour  venir  se  joindre  à  lui  et  marcher  contre  les  Fla- 
mands ré voltés^  il  n*  tiésita  pas,  quoique  âgé  de  quatre-vingt- 
quinze  ans,à  se  rendre  à  son  appel  et  vin  t  en  1 3 1 6  à  Âuthie  ' , 
prèsde  Ghâlons-sur-Marne,  avec  un  chevalier  et  six  écuyers. 
On  a  conservé  la  lettre  qu'il  écrivit  au  roi ,  dans  laquelle  il 
lui  annonce  qu'il  ira  rejoindre  son  bon  seigneur  dès  qu'il 
aura  réuni  ses  vassaux. 

L'excuse  auprès  du  roi  de  s'être  servi  du  terme  de  bon  sei- 
gneur, expression  familière  dont  il  usait  avec  saint  Louis, 
dut  être  agréable  à  son  arrière-petit-fils  par  le  souvenir 
que  rappelait  cette  marque  défection  du  vieux  chevalier. 

En  1 3 1 7,  après  avoir  pris  part  à  cette  guerre,  il  était  de 
retour  à  Joinville  et  donnait  la  ceinture  militaire  à  un  ro« 
turier;  il  en  avait  obtenu  l'autorisation  de  Philippe  V  dit 
le  Long,  qui  succéda,  en  1 3  i  6,  à  son  frère  Louis  le  Hutin. 
Les  rois  ne  laissaient  plus  aux  barons  le  plein  pouvoir  de 
conTérer  la  chevalerie. 

La  date  de  1 31 9,  indiquée  pour  la  mort  de  Joinville  dans 
une  épitaphe  latine  qu'on  lisait  sur  son  tombeau,  prouve 
qu'il  a  vécu  quatre-vingt-quinze  ans;  il  vit  donc  le  règne 
de  six  rois  :  Louis  YIII,  Louis  IX,  Philippe  le  Hardi, 
Philippe  le  Bel,  Louis  le  Hutin ,  et  Philippe  V,  dit  le  Long, 
L'ancien  obituaire  de  Sain^Laurent  (de  Joinville)  fixe  au 
1 1  juillet  la  date  du  décès  de  Joinville  : 

Obiit  nobilis  Johannes  dominus  de  JoinTiUa, 
£t  uxor  ejus  et  liberi  ipsorum  nobiâ  dederunt 
Quinque  solidos  capiendos  ez  arpeus  de  JoioTîUa  (*), 

^  Je  ne  vois  aux  environs  de  Châlons-snr-Marne  que  le  village  por- 
tant le  nom  déAihiSf  à  19  kilomètres  de  Cbâions,  sur  la  route  de  ceti« 
ville  à  Épernay  en  venant  de  Joinville  vers  Paris,  et  un  autre  village 
•  nommé  OutineSj  arrondissement  de  Vitry  le  Français. 
(*}  Document  /,  recueilli  par  M.  Cbampollion-Figeac. 


XUI  DE  JLA  VIE  DE  JOINVILLS. 

Mais  il  est  regrettable  que  Tannée  ne  soit  pas  indiquée 
sur  cet  obituaire. 

11  résulte  de  divers  actes  que  Je  fils  de  Joinville,  Ancel , 
Anceau  ou  Anselme  était  revêtu  du  titre  de  sénéchal  avant 
la  fin  de  1317,  ce  qui  a  donné  lieu  de  croire  que  Joinville 
mourut  cette  année  même  au  retour  de  l'expédition  contre 
les  Flamands;  sa  longue  carrière  se  trouverait  alors  ré- 
duite de  deux  années. 

Joinville  fut  marié  deux  fois  :  la  première  à  Alais  de 
Grand-Pré,  dont  les  enfants  mâles  s'éteignirent  sans  pos- 
térité ;  la  seconde  à  Alix  de  Resnel ,  qu'il  avait  épousée  peu 
après  son  retour  de  la  première  croisade  de  saint  Louis. 

Jean ,  né  du  premier  mariage  de  Joinville  à  Tépoque 
de  son  dCpart  pour  la  Terre-Sainte,  mourut  avant  son  père, 
sans  laisser  d'enfants. 

Son  autre  fils  Ancel ,  né  de  sa  seconde  femme  Alix  de 
Resnel,  épousa  en  secondes  noces  Tan  1322  Marguerite 
fille  de  Henri,  comte  de  Vaudemont:  c'est  ainsi  que  le 
comté  de  Vaudemont  se  trouva  réuni  à  la  seigneurie  de 
Joinville. 

Les  compatriotes  de  Joinville,  voulant  éterniser  par  un 
témoignage  public  une  mémoire  si  nationale  et  que  le 
temps  rend  de  plus  en  plus  vénérable  pour  tous  les  Français, 
ont,  par  une  décision  du  conseil  général  de  la  Haute- 
Marne  (session  d'août  1 853],  voté  Térection  d'une  statue  de 
bronze  à  la  mémoire  du  sire  de  Joinville,  dans  la  ville 
qui  porte  son  nom  '. 

'  Membres  de  la  commission  :  MM.  de  Froîdefond ,  préfet  de  ta 
Haute-Marne,  président,  le  baron  de  Lesperut,  Chauchart,  Tiiiberge, 
Pellelereau  de  Villeneuve,  Clerget  de  Vaucouleurs,  Fériel,  Roy. 


IL 

DES  MÉMOIRES  DE  JOINVILLE 

ET  DE  LEUR  MÉRITE  LITTÉRAIRE. 


Dès  le  début  de  ses  Mémoires,  JoiDville  nous  dit  que  c'est 
pour  obéir  aux  instantes  prières  de  Jeanne  de  Navarre,  qui 
moult  Vaimoity  qu'il  a  entrepris  d'écrire  Tbistoire  de  saint 
Louis  ;  mais  il  ne  la  termina  que  quatre  ans  et  demie  après 
la  mort  de  cette  princesse,  qu'il  recommande  à  Dieu  :  ce  fut 
donc  à  son  fils  Louis  dit  le  Mutin,  qu'il  la  dédia.  Le  texte 
des  manuscrits  de  l'histoire  de  Joinville  porte  :  a  Les 
<c  choses  que  j'ai  oralement  veues  et  oyes,  ont  été  écrites 
a  l'an  de  grâce  mille  CGC  et  IX  ^u  mois  d'octobre  '.  d 

De  même  que  Ville-Hardouin,  son  compatriote,  Joinville 
nous  apprend  qu'il  a  dicté  ses  Mémoires,  probablement  à 
quelque  écuyer  ou  à  son  chapelain.  Les  hommes  de  guerre 
écrivaient  peu  ou  même  point  alors  :  ils  dictaient;  écrire 
était  le  fait  des  clercs ,  et  non  des  chevaliers.  Ces  deux 
gaerriers  champenois ,  qui  vécurent  à  un  demi-siècle  de  dis* 
tance ,  s'offrent  chacun  dans  leurs  écrits  sous  un  aspect  toat 
particulier,  qui  nous  retrace,  comme  dans  un  miroir, 
leur  nature  si  diverse.  Ville-Hardouin,  plus  énergique,  plus 
positif,  vadroit  au  but  sans  Jamais  s'en  détourner  :  c'est  un 

*  La  reine  Jeanne  de  Navarre  était  morte  dès  1304. 

XLIU 


XUV  DES  MÉMOIBBS 

homme  d*Etat;  pour  lui  la  Grèce,  Athènes,  Thèbes,  le 
Péloponèse,  sont  une  proie  présente  et  sans  aucun  souvenir. 
Quand  il  parle  de  lui,  c*est  qu*il  y  est  obligé  comme  chef  de 
l'armée ,  et  c'est  toujours  à  la  troisième  personne,  ainsi  que 
César  dans  ses  Commentaires.  Joinvilie,  plus  civilisé ,  plus 
aimable ,  plus  curieux ,  s'informe  de  tout,  s*intéresse  à  tout^ 
aime  à  raconter  ses  impressions  et  ce  qu'il  a  entendu  dire  ; 
comme  il  écrit  pour  une  femme,  pour  une  reine,  qui  l'avait 
invité  à  lui  faire  le  récit  de  ce  qu'il  avait  vu,  il  s'y  prête  avec 
la  grâce  d'un  homme  de  cour,  ami  des  dames  et  parfait  che- 
valier ;  son  style  naturel  et  facile  a  tout  le  charme  d*une 
conversation  ;  on  voit  qu'il  cherche  à  plaire. 

La  simplicité  du  récit ,  la  naïveté  des  détails ,  la  franchise 
avec  laquelle  il  nous  parle  de  la  grand^peur  qu'il  eût  en 
plusieurs  occasions,  prouvent  qu'il  n'a  pas  laissé  altérer 
la  véracité  de  ses  premières  impressions. 

Cet  heureux  naturel,  cette  clarté  d'expression ,  cet  esprit 
chevaleresque  et  si  éminemment  français ,  cette  générosité 
de  cœur,  ce  sentiment  de  l'honneur,  auraient  été  gâtés  ou 
auraient  disparu  sous  la  rédaction  pédantesque  des  clercs 
de  cette  époque  :  tout  indique  donc  que  c'est  Joinville  lui- 
même  que  nous  entendons  parler,  lorsqu'il  nous  rapporte 
cesjnerveilleuses  histoires  d* outre  mer^  suivant  qu'elles 
s'offrent  à  son  esprit  et  que  sa  mémoire  lui  rappelle  Içs 
faits  dont  il  a  été  le  témoin ,  ou  qui  lui  ont  été  racontés  ; 
car  de  crainte  que  rien  n'échappe  à  son  souvenir,  il  entre- 
mêle les  anecdotes  à  la  narration  qu'elles  interrompent 
parfois  brusquement,  ce  qui  souvent  l'oblige  à  dire  :  Or^ 
revenons  à  nostre  matière  et  disons^  etc. 

Dans  ces  Mémoires,  qui  sont  l'un  des  monuments  les|  | 
plus  précieux  des  temps  anciens  et  modernes ,  le  chriétien\  l 


DE  JOINYILLE.  XLV 

dont  la  déyotion  n'est  pas  toujours  crédule ,  Thomme  du 
monde,  le  chevalier  ami  du  roi,  le  naïf  historien  se  mon- 
trent avec  un  si  grand  naturel  et  une  telle  bonne  foi ,  qu'on 
peut  pénétrer  en  quelque  sorte  dans  le  for  intérieur  de  leur 
auteur  par  le  siihple  récit  qu'il  nous  fait,  et  sans  même 
qu'il  y  aj  ou  te  aucune  réflexion .  Jamais  le  caractère  et  le  style 
ne  se  trouvèrent  mieux  d'accorii  que  dans  Joinville;  ses 
Mémoires  nous  font  voir  en  lui  le  courage  uni  à  la  modestie 
et  la  véracité  à  la  naïveté  ;  ces  qualités  y  dominent  par- 
tout ,  même  dans  les  moindres  détails,  où  se  manifeste  une 
sensibilité  d'âme  et  quelquefois  une  lueur  de  philosophie 
qui  contraste  avec  la  foi  plus  imperturbable  de  saint  Louis. 
Rien  déplus  curieux,  de  plus  intéressant,  de  plus  instructif, 
et  surtout  qui  nous  fasse  mieux  connaître  le  caractère  de 
Join  ville,  que  ses  entretiens  avec  le  roi,  où,  dans  l'intimité, 
se  dévoile  l'intérieur  de  leur  4me  et  de  leur  caractère. 

C'est  ainsi  qu'il  nous  dit  que  dans  les  conseils  de  con- 
duite que  le  roi  lui  donnait  souvent,  il  l'engageait  tantôt  à 
mettre  de  l'eau  dans  son  vin ,  ce  dont  Join ville  se  défendait 
par  motif  de  santé  et  avec  l'avis  des  médecins,  tantôt  à  ne 
Jamais  prononcer  le  nom  du  diable,  à  tenir  sa  promesse  en 
toute  chose,  à  n'émettre  point  d'opinions  irréfléchies ,  à  ne 
jamais  médire  de  son  prochain ,  à  ne  pas  se  croire  acquitté 
de  ses  dettes  même  en  faisant  des  dons  à  l'Église,  à  ne  point 
donner  de  démentis  d*où  résultent  souvent  des  paroles 
rudes  et  fâcheuses.  De  son  côté ,  Joinville  donnait  aussi  des 
avertissements  au  roi  ;  un  jour  que  l'abbé  de  Gluny  adres- 
sait à  saint  Louis  une  requête,  qu'il  avait  fait  précéder  de 
l'envoi  de  deux  superbes  palefrois,  le  sénéchal,  voyant  le 
roi  écouter  longuement  l'abbé  à  cause  de  ce  beau  présent, 
le  flt  convenir  du  tort  qu'il  avait  eu  de  raccepter.  Le  roi 


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XLVI  DES  MÉMOIBBS 

le  reconnut,  et  dès  lors  défendit  à  tous  ses  officiers  de 
jamais  rien  recevoir  de  ceux  qui  demanderaient  justice. 

Quoique  bon  chrétien,  Joînviile  n'affectait  pas,  afin  de 
plaire  à  saint  Louis^  d*étre  plus  dévot  qu'il  ne  Tétait  réelle- 
ment. Il  fut  même  repris  un  jour  pour  avoir  dit  en  pré- 
sence du  roi  et  de  plusieurs  évêques  qu'il  aimerait  mieux 
commettre  trente  péchés  mortels  que  d'être  ladre  ou  me- 
seau.  Mais  la  remontrance  lui  fut  faite  d*une  manière  toute 
paternelle;  le  roi,  par  une  délicatesse  que  Joinville  a  pris 
soin  de  rappeler,  Payant  remise  au  lendemain  pour  qu'elle 
fût  le  sujet  d'un  entretien  particulier.  Une  autre  fois  le  roi 
lui  ayant  demandé  s'il  lavait  les  pieds  des  pauvres  le  jeudi 
saint,  il  répondit  que  oncqties  il  ne  laverait  les  pieds  de 
ces  vilains  ;  ce  qui  scandalisa  fort  le  roi,  qui ,  pour  réprimer 
cet  orgueil ,  lui  cita  l'exemple  de  Jésus-Christ ,  et  l'exhorta 
pour  l'amour  de  Dieu  d'abord,  puis  pour  l'amitié  qu'il  lui 
portait^  de  s'accoutumer  à  les  laver  '. 

Ces  conversations  avec  saint  Louis  nous  montrent  Join- 
ville bien  moins  soumis  que  le  saint  roi  aux  pratiques  de 
dévotion  et  beaucoup  plus  modéré  dans  son  zèle,  puisqu'il 
se  bornait  à  faire  punir  d'un  soufflet  ou  d'un  coup  de  poing 
les  jureurs  et  blasphémateurs.  L'exemple  suivant  nous  le 
montre  préoccupé  des  doutes  qui,  plus  tard,  inspireront 
sainte  Thérèse  et  troubleront  Fénelon. 

Le  Soudan  de  Damas  irrité  de  la  mort  de  son  cousin,  as- 
sassiné par  les  émirs  d'Egypte ,  avait  proposé  au  roi  une 
alliance ,  lui  promettant  de  lui  livrer  le  royaume  de  Jéru- 
salem. Parmi  les  messagers  que  le  roi  envoya  à  Damas  por- 

'  Dans  un  autre  endroit  de  ses  Mémoires,  Joinville  fait  citer  par 
saint  Louis  Texemple  du  roi  d^ Angleterre  qui  lavait  les  pieds  aux  me- 
seaux  ladres  et  les  baisait* 


DE  JOINVILLE.  XLYil 

teurs  de  sa  réponse  était  frèrelves,  de  Tordre  desfrère«)  prê- 
cheurs, qai  savait  ie  sarrasinois.  Celui-ci,  ayant  rencontré 
dans  les  mes  de  Damas  une  vieille  femme,  qui  portait  de 
la  main  droite  un  vase  plein  de  feu,  et  de  la  gauche  une  fiole 
pleine  d*eau,  lui  demanda  :  a  Que  veux-tu  faire  de  cela?  » 
—  Elle  lui  répondit  :  «  Qu'avec  le  feu  elle  voulait  brûler 
le  paradis,  et  avec  l'eau  éteindre  l'enfer,  pour  qu'il  n'y  en 
eût  plus  Jamais.  »  —  Et  il  lui  demanda,  a  Pourquoi  veux 
tu  faire  cela  ?  n  —  Parce  que  je  veux  que  personne  ne  fasse 
le  bien  pour  avoir  en  récompense  le  paradis ,  ni  pour  la 
peur  de  Tenfer,  mais  simplement  pour  Tamour  de  Dieu , 
qui  tant  vaut  et  qui  tout  le  bien  nous  peut  faire  '.  » 

a  Le  saint  roi,  dit  Joinville,  se  efforçoit  de  tout  son 
cr  pooir  (  pouvoir),  par  ses  paroles ,  de  moy  faire  croire  fer- 
«r  moment  en  laloy  chrestienne que  Dieu  nous  a  donnée, 
or  aussi  (ainsi}  que  vous  orrez  ci-après.  » 

Après  lui  avoir  démontré  combien  il  fallait  se  garder 
contre  les  tentations  du  doute ,  suggérées  par  Tennemî  du 
genre  humain  %  le  roi  lui  disait  a  que  foy  et  créance  es- 
tf  tolent  une  chose  où  nous  devions  bien  croire  fermement, 
a  encore  n'en  feussions-nous  certains  mez  que  par  ouï-dire, 
a  Sus  ce  point  ii  mefîst  une  demande,  comment  mon  père 

■  Voici  les  deux  tercets  du  célèbre  sonnet  espagnol  composé  en  1550 
par  sainte  Tiiérèse  {Crislo  crucificado)  et  traduit  par  mon  père  dans 
un  vojage  qn*!!  fit  en  Espagne  : 

Le  bonheur  de  t*aimer  a  pour  moi  tant  d^appas, 

Que  je  Saurais  aimé  si  le  ciel  n'était  pas; 

S'il  n'était  pas  d'enfer,  je  t'eusse  aimé  de  même. 

Ce  cœur  qui  te  client  ne  veut  rien  en  retour  : 

Dans  ta  grâce,  sans  doute  >  est  mon  espoir  suprême; 

Mais,  sans  aucun  espoir,  j'aurais  autant  d'amour. 


'  « 


Oncques  ne  Ii  oi  nommer  le  diable ,  »  dit  Joinville. 


XLYIII  DBS  MBM01BS8 

a  avoit  nom  ;  et  je  li  diz  que  il  avoit  nom  Simon.  £t  il  me 
a  dit  comment  je  iesavoie?  etjelidizquejeencnidoieestre 
«  certain  et  le  créoie  fermement,  pour  ce  que  ma  mère  i*a- 
a  voit  tesmoigné  ' . — Donc  vous  devez  croire  fermement  tous 
a  les  articles  delà  foy,  lesquiex  les  apostres  tesmoignent, 
8  aussicomme  vousoezcbanteraudymanclieenlaCrdii^o.  » 
a  Le  roi  m'appela  un  soir  et  me  dist  :  je  n'ose  parler  à 
a  vous  pour  le  soutil  sens  dont  vous  estes,  de  chose  qui  touche 
a  à  Dieu;  et  pour  ce  ai- je  apelé  ces  frères  qui  cy  sont,. 
«  que  je  vous  veil  faire  une  demande.  La  demande  fut 
a  telle  :  Seneschal,  ilst-il,  quelle  chose  est  Dieu?  —  et  je  li 
a  diz  :  Sire^  ce  est  si  bonne  chose  que  meilleur  ne  peust 
a  estre.  »  —  Vraiement,  ûst-il,  c*est  bien  respondre.  i» 

Joînville  recevait  aussi  les  confidences  du  légatdeRome, 
et  c'est  par  lui  qu'il  fut  informé  de  la  résolution  que  prit 
le  roi  de  quitter  la  Terre-Sainte.  . 

Alors,  dit  Joinville,  a  ce  légat  mit  mes  deux  mains  dans 
or  les  siennes  et  commença  à  pleurer  moult  abondamment  ; 
a  et,  quand  il  put  parier,  il  me  dit  :  Sénéchal,  je  suis  moult 
a  joyeux  et  j'en  rends  grâce  à  Dieu^  de  ce  que  le  roi  et  les 
ff  autres  pèlerins  échappent  du  grand  péril ,  là  où  vous 
«  avez  esté  en  cette  terre  ;  mais  je  suis  moult  péné  de  ce 
«  qu'il  me  faudra  laisser  vos  saintes  compaignies  et  aller 
a  à  la  cour  de  Kome  parmi  ces  déloyales  gens  qui  y  sont, 
a  Mais  je  vous  dirai  ce  que  je  pense  faire  :  je  demeurerai 
a  ici  un  an  après  vous ,  et  dépenserai  tous  mes  deniers  à 
«  fortifier  la  place  d'Acre  :  par  là  je  leur  montrerai 

*  Simon  étant  mort  en  1233,  JoinYille,  né  en  1224,  n^avait  que  huit 
ans  lorsqu'il  perdit  son  père.  Il  pouvait  même  à  la  rigueur  n^avoir  que 
sept  ans. 


DB  JOINYILLE,  XLIX 

«  tout  dair  cpie  je  n'emporte  poiat  d'argent,  en  sorte 
«  qu'ils  me  laisseront  en  paix  ' .  » 

Le  naturel  du  style  et  Tenjouement  d'esprit  de  Joinville 
conviennent  si  bien  à  sa  narration,  qu'on  croit  en  lisant 
ses  mémoires,,  assister  en  quelque  sorte  à  ses  entretiens  avec 
le  roi>  qui  lui  reconnaissant  ^un  soutil  sens^  se  plaisait 
souvent  à  le  mettre  aux  prises  avec  son  confessear  Robert 
de  Sorbon  ,  le  célèbre  fondateur  de  la  Sorbonne.  Souvent 
mémCy  lorsque  la  discussion  s'animait,  le  roi  s'amusait  à 
prendre  le  parti  de  son  confesseur,  puis  s'en  excusait  auprès 
de  Joinville^  avouant  que  son  confesseur  avait  tort;  mais 
je  levoyois  si  esbahi,  lui  disait  le  roi  pour  s'excuser,  que 
il  4ivoU  bien  mestier  que  je  l'y  aidasse.  Voici  comment 
un  jour  Joinville  confondit  son  pieux  adversaire. 

«  Mestre  Robert  de  Qerbon,  dit  Joinville,  me  prit  par 
mon  mantel  et  me  mena  au  roi,  et  tous  les  autres  che- 
valiers vinrent  après  nous.  Lors  je  demandai  à  mestre 
Robert:  a  Mestre  Robert,  que  me  voulez-vous?»  Ëtmedist: 
«  Je  vous  veux  demander,  si  le  roi  se  seoit  en  cest  pré  et  que 
«  vous  alliez  seoir  sur  son  banc  plus  haut  que  lui,  si  on  vous 
«  en  devrait  bien  blasmer.  »  Et  je  lui  dis  que  oui.  Et  il  me 
dit  :  a  Donc  faites-vous  bien  à  blasmer,  quand  vous  estes 
plgs  noblement  vestu  que  le  roy  ;  car  vous  vous  vestez  de 

• 

*  Les  plaintes  contre  Rome  se  rencontrent  si  ffé^emment  dans 
les  auteurs  de  ce  temps-là,  dit  du  Cange,  que  Baronius  et  plusieurs 
autres  ont  cru  que  les  traits  de  médisance  auraient  été  par^<emés  avec 
adresse  par  les  hérétiques  dans  les  livres  qu'ils  ont  fait  imprimer, 
comme  dans  Mattliieu  Paris  et  autres  historiens;  »  mais,  ajoute  du 
Cange,  cela  est  peu  probable,  et  il  en  cite  des  preuves.  (Observât,  sur 
r histoire  de  saint  Louis.) 

Hardouin,  dans  ses  Observât,  sur  Vhistoire  de  Joinville,  p.  636, 
(Opéra  yaria,  f°  1733)  indique  ce  passage  comme  l'un  de  ceux  qu^il  croit 
interpolés. 

e 


^  LES  MEMOIRES 

vair  et  de  vert,  ce  que  ie  roi  ne  faist  pas.  »  Et  je  lui  dis  : 
«  Mestre  Robert^  salve  votre  grâce,  Je  ne  fois  mie  à 
«  blasmer  si  je  me  vest  de  vair  et  de  vert,  car  cest  abit  me 
«  lessa  mon  père  et  ma  mère;  mais  vous  faites  à  blasmer, 
«  car  vous  estes  filz  de  vilain  et  de  vilaine ,  et  avez  laissé 
«  l'abit  de  vostre  père  et  vostre  mère,  et  estesvestu  de  plus 
«  riche  camelin  que  le  roi  n'est.  »  —  Et  lors  je  pris  le  pan 
«  de  son  surcot  et  du  suroot  du  roi,  et  lui  di  :  Ores  esgar- 
«  dez  ce  je  diz  voir  (vrai).  Et  le  roi  entreprist  à  défendre 
«  mestre  Robert  de  paroles  de  tout  son  pooir  (pouvoir).  » 
Cet  autre  récit  n'a  ni  moins  d'enjouement,  ni  moins  de 
charme. 

«  Ayant  prié  le  roi  de  me  permettre  un  pèlerinage 
à  Tortose,  parce  que  c'est  le  premier  autel  qui  oncques  fût 
fait  en  V  honneur  de  la  Mère  de  Dieu  sur  terre,  et  que  Nostre« 
Dame  y  faisoit  grands  miracles,  le  roi  me  donna  congié 
d'y  aller  et  me  dit  de  acheter  cent  camelins  de  diverses 
couleurs  pour  donner  aux  Cordeliers  quand  nous  viendrions 
en  France.  Le  prince  de  Tripoli  (Roemond),  que  Dieu  ab* 
solve,  nous  fist  grand'  joie  et  aussi  grand  honneur  qu'il 
pût,  et  eust  donné  à  moi  et  à  mes  chevaliers  grands  dons; 
mais  nous  ne  voulsismes  rien  prendre ,  si  ce  n'est  des  reli- 
ques, lesquelles  j'apportai  au  roi  avec  les  camelins  que  je 
lui  avois  achetés. 

a  renvoyai  à  Madame  la  royne  quatre  camelins,  et  le 
chevalier  qui  les  porta ,  les  porta  entortillés  en  une  toile 
blanche.  Quand  la  Royn&.-le  vit  entrer  dans  sa  chambre, 
où  elle  estoit ,  si  s'agenoilla  contre  lui ,  et  le  chevalier  se  ra- 
genoilla  contre  elle  aussi,  et  la  royne  lui  dit  :  «  Levez*vous, 
«  sire  chevalier;  vous  ne  vous  devez  pas  agenouiller,  qui 
«  portez  lei)  reliques.  »  Mais  le  bon  chevalier  dit  :  «  Dames, 


DE  JOIKVILLB,  Ll 

<K  ce  ne  sont  pas  reliques ,  mais  bien  camelins  qoe  mon  sei- 
a  gneur  vous  envoyé,  d  Quand  la  royne  ouït  cela  et  ses 
demoiselles,  si  commencèrent  à  rire;  et  la  royne  dit  au 
chevalier  :  Dites  à  vostre  seigneur  que  mal  jour  lui  soit 
donné ,  quand  il  m'a  fait  agenollier  contre  ses  camelins.  o 

Malgré  toute  sa  déférence  et  tout  son  dévouement  pour 
le  roi,  Join ville,  quand  il  était  dans  son  droit,  ne  crai- 
gnait pas  de  lui  résister,  et  dans  une  circonstance  où  Thon- 
neur  de  sa  troupe  était  engagé ,  il  osa  menacer  le  roi  de 
quitter  son  service,  si  Justice  ne  lui  était  pas  rendue.  Voici 
son  récit  : 

a  Un  sergent  du  roi,  qui  avoit  nom  GoulUy  mit  la  main 
a  sur  un  chevalier  de  ma  bataille  ;  je  m'en  allay  plaindre 
il  au  roy.  Le  roi  me  dlst  que  je  m'en  pouvois  bien  souffrir, 
«  que  son  sergent  n'avoit  fait  que  bouter  (pousser)  mon  che^ 
a  valier,  et  je  lui  dis  que  je  ne  m'en  souffrirois  jà;  et  s'il 
9  ne  me  faisoit  droite  je  lerrois  son  service,  puisque  ses  ser» 
a  gens  batteroient  mes  chevaliers.  Il  me  iist  faire  droit , 
<ç  et  le  droit  fut  tel,  selon  les  usages  du  pays,  que  le  sergent 
«  vint  en  ma  héberge  (quartier)  déchaux  et  en  braies,  sans 
<r  plus,  une  espée  toute  nue  à  la  main,  et  s'agenoilla  de* 
«  vant  le  chevalier,  et  lui  dist  :  a  Sire,  Je  vous  amende  ce 
a  que  je  mis  main  à  vous;  et  vous  ai  apporté  oeste  espée, 
<x  pour  ce  que  vous  me  coupiez  le  poing,  se  il  vous  plaist.  h 
a  Et  je  priai  au  chevalier  que  il  lui  pardonuast  son  mal- 
a  talent,  et  si  fit-il.  »  ^ 

Joinville  se  plaît  à  raconter  les  beaux  faits  d'armes,  mais 
sans  exagération,  et  ne  vante  Jamais  les  siens,  dont  il  parle 
simplement,  et  presque  malgré  lui.  Dire  du  mal  d'autrui , 
n'est  pas  dans  sa  nature.  C'est  ainsi  que,  dans  le  rédt  de  la 


LU  DES  HéMOIBBS 

bataille  de  la  Massoure ,  il  dit  :  «  Il  y  eut  moult  de  gens 
a  de  grand  bobant  (étalage),  qui  s*en  vinrent  moult  honteu- 
((  sèment  fuyant  parmi  le  poncel  (le  petit  pont  défendu  si 
«  courageusement  par  lui  et  par  le  comte  de  Soissons),  et 
a  s'enfuirent  effréément;  neoncquesn*en  pûmes  nul  arrêter 
c(  delez  (près)  de  nous ,  dont  j'en  nommeroie  bien ,  desquels 
«  Je  me  soufiferai  (ne  me  permettrai) ,  car  morts  sont.  » 
/  Parmi  les  prouesses  de  nos  cbevaliers  dans  cette  désas- 
treuse expédition,  où  les  occasions  de  signaler  leur  courage 
ne  manquèrent  pas,  les  plus  beaux  exemples  de  dévoue- 
ment et  de  bravoure  héroïque  et  désespérée  sont  racontés 
par  Joînville  avec  une  telle  simplicité  qu'il  semble  que  ce 
soit  chose  toute  naturelle  à  ces  braves  chevaliers. 

«  Le  roy  me  conta,  dit  Joinville,  que  le  jour  où  il  fut  pris, 
il  étoit  monté  sur  un  petit  cheval  couvert  d'une  housse 
de  soie,  et  me  dit  que  derrière  lui  ne  demeura  de  tous  che- 
valiers ni  de  tous  sergens  que  Messire  Gébffroy  de  Sar- 
gines,  lequel  amena  le  roy  jusques  à  Casai ,  là  où  le  roy  fut 
pris,  et  que  Geoffroy  de  Sargines  le  défendoit  des  Sarra- 
zins  de  même  qu'un  bon  serviteur  défend  des  mouches  le 
hanap  ( la  coupe  )  de  son  seigneur;  car  toutes  les  fois  que 
les  Sarrazins  l'approchoient ,  il  prenoit  son  espée  ,  qu'il 
avoit  mise  entre  lui  et  Tarçon  de  sa  selle,  et  la  mettoit 
sous  son  aisselle,  et  leur  recouroit  sus  et  les  chassoit  hors 
du  roy.  Et  ainsi  mena  le  roi  jusques  à  Casai ,  et  le  descen- 
dirent en  une  maison,  et  le  couchèrent  au  giron  d'une  bour- 
geoise de  Paris  comme  déjà  mort ,  et  cuidoient  que  il  ne 
deustja  veoir  le  soir,  » 
î  Ailleurs,  il  nous  dépeint  Chàtillon  gardant  seul  une  rue 

!       et  s'élançant  V espée  au  poing  toute  nue  sur  les  Turcs,  et, 
\     après  les  avoir  repoussés,  revenant  pour  ôter  les  flèches  dont 


DE  JOINVILLE.  LUI 

il  était  couvert;  a  puis,  se  redressant  sur  ses  estriers,  il  es'- 
«  tendoit  les  bras  atout  Tespée et  crioit  :  Chatillon l  che- 
a  vaHers!  où  sont  mi  prud^ hommes  !  et  quand  il  se  retour* 
a  noit^t  il  voiéoit  que  les  Turcs  estoient  entrés  par  l'autre 
«  chief  (l'autre  bout  de  la  rue  ),  il  leur  recouroit  sus  Tespée 
a  au  poing  et  les  en  chassoit ,  et  ainsi  par  trois  fois  en  la 
a  manière  susdite,  jusqu'à  ce  que  la  gorge  lui  fust  coupée.  » 

Mais  rinsoudancedu  péril,  le  mépris  de  la  mort,  ces  ver- 
tus des  chevaliers,  ne  sont  rien  aux  yeux  de  Joinville  dès  qu'il 
y  voit  de  la  dureté  de  cœur  ;  ce  récit  nous  en  offre  la  preuve. 

«  La  veille  de  cette  grande  bataille  (celle  de  Mans- 
sourah),  fut  mis  en  terre,  nousdit-il,  monseigneurde  Lan- 
dricourt,  l'ttn  de  mes  chevaliers  à  bannière.  Là  où  il  estoit, 
dans  sa  bière  dans  ma  chapelle  %  six  de  mes  chevaliers 
estoient,  appuyez  sur  plusieurs  sacs  pleins  d'orge,  et,  pour 
ce  qu'ils  parloient  haut  et  que  ils  faisoient  noise  (trouble) 
au  prestre ,  je  leur  allai  dire  qu'ils  se  teussent  et  leur  dis 
que  vilaine  chose  estoit  de  chevaliers  et  de  gentllz  hommes 
qui  parloient  tandis  que  Ton  chantoit  la  messe.  Et  ils  me 
commencèrent  à  rire,  et  me  dirent  en  riant  que  ils  lui  re* 
marloîent  sa  femme;  «  je  les  enchoisonai  (gourmandai)  et 
«  leur  dis  que  telles  paroles  n'estoient  ne  belles  ne  bonnes, 
«  et  que  tost  avoient  oublié  leur  compaignon.  Et  Dieu  en 
<(  fist  telle  vengeance,  ajoute  Joinville,  que  le  lendemain  fut 
(f  la  grande  bataille  du  caresme-prenant,  dont  ils  furent 
«  morts  ou  navrés  à  mort,  par  quoi  il  convint  de  leurs 
tf  femmes  remarier  toutes  six  *.  d 

Je  ne  sais  si  je  me  trompe,  mais  en  lisant  Joinville,  l'ab- 

'  Sa  fente  où  son  chapelain  disait  la  messe  des  morts. 
'  Cette  réflexion  et  la  simplicité  de  ce  récit  rappellent  au  souvenir 
La  Fontaine  et  sa  fable  du  vieillard  et  des  tr(fis  jeunes  hommes. 

e. 


LIY  DES  MiMOIBES 

sence  totale  die  cet  art  qui  se  laisse  souvent  entrevoir  même 
parmi  les  plus  admirables  beautés  des  cbefs-d*œuvre  de  la 
Grèce  et  de  Rome,  me  semble  bien  rachetée  par  une  aussi 
noble  simplicité  qui  n'ôte  rien  à  la  grandeur  des  .faits. 
Quelques  exemples  justifieront,  je  pense,  cette  opinion,  et 
feront  mieux  apprécier  le  mérite  littéraire  de  Joinviiie. 
Tel  est  entre  autres  ce  récit. 

<c  Or  avez  ouï  ci -devant  les  grandes  persécutions  que  le 
roy  et  nous,  nous  souffrîmes,  auxquelles  persécutions  là 
royne  n*eschappa  pas,  si  comme  vous  orrez  ci  après;  car 
trois  jours  devant  qu'elle  accouchast,  lui  vint  la  nouvelle 
que  le  roy  estoit  prins,  de  laquelle  nouvelle  elle  fu  si  effa- 
rée, que  toutes  les  fols  que  elle  s'endormoit  dani  son  lit,  il 
lui  sembloit  que  toute  la  chambre  estoit  pleine  de  Sarra- 
zins,et  s'escrioit  :  Â  Taide,  àraide  !  Etpour  qnerenfantdont 
elle  estoit  grosse  ne  périst  point,  elle  faisoit  gésir  (coucher) 
devant  son  lit  un  vieux  chevalier  de  quatre-vingts  ans,  qui 
la  tenoit  par  la  main ,  et  toutes  les  fois  que  la  royne  s*é* 
criolt,  il  disoit  :  «  Dame,  n'ayez  crainte ,  car  je  suis  ici.  o 
^ant  qu'elle  fust  accouchée,  elle  fist  vider  hors  toute  sa 
chambre,  fors  que  le  chevalier;  et  s'agenouilla  devant  lui  et 
lui  requit  un  don ,  et  le  chevalier  le  lui  octroya  par  son 
serment;  et  elle  lui  dist  :  a  Je  vous  demande,  ûst-»elie,  par 
«  la  foi  que  vous  m'avez  baillée,  que  si  les  Sarrazins  pren- 
((  nent  ceste  ville,  que  vous  me  coupiez  la  teste  avant  qu'ils 
a  me  prennent.  »  £t  lechevalier  respondist  :  Soyez  certaine 
il  que  je  le  feray  volontiers;  car  je  l'avoye  jà  bien  enpensé 
a  que  je  vous  occiroie,  avant  qu'ils  nous  eussent  pris.  i> 

On  n'est  pas  moins  ému  en  lisant  cet  autre  récit  aussi 
touchant  par  sa  simplicité  que  par  la  tristesse  qu'inspire 


DE  JOlNVItLE.  LV 

en  nous  un  acte  d'héroïsme  inconnu  de  Tantiquité  grec* 
que  et  romaine. 

tf  II  y  avoit  en  Tarmée  un  moult  vaillant  homme  qui 
a  avoit  nom  monseigneur  Jacques  de  Castel ,  évesque  de 
8  Soissons.  Quand  il  vit  que  nos  gens  s*en  revenoi^t  de- 
a  vers  Bamiette,  lui  qui  avoit  grand  désir  d'aller  à  Dieu , 
a  ne  s'en  voulut  pas  revenir  en  la  terre  ou  il  estoit  né, 
a  mais  se  hâta  d*aller  avec  Dieu  ;  et  férit  des  esperons^t 
a  se  lança  aux  Turcs  tous  seul,  qui  de  leurs  espées  Toc* 
a  cirent  et  le  mirent  en  la  compagnie  de  Dieu  au  nombre 
a  des  martyrs  '.  » 

Les  âmes  mélancoliques  des  peuples  du  nord  sont  seules 
capables  d'un  tel  sacrifice  volontaire,  où  le  sentiment  reli- 
gieux sanctifie  le  suicide* 

Ses  descriptions  sont  d'autant  plus  remarquables  qu'à 
eette  époque  les  historiens  et  les  chro^iîqueurs  n'en  offrent 
que  de  rares  exemples.  J'en  citerai  une  seule. 

«  Quand  nous  arrivâmes  en  Chypre,  où  déjà  le  roi  était 
arrivé,  tes  provisions  qu'il  avait  faites  étaient  tellement  à 
foison,  c'est-à-savoir,  les  celliers,  l'argent  monnayé,  les  gre- 
niers ,  que  les  celliers  formaient  de  grands  amas  de  tonneaux 
entassés  dans  la  campagne  au  bord  de  la  mer  à  une  telle 
hauteur  qu'on  les  eût  pris  pour  des  granges.  Les  gens  du 
roi  avaient  acheté  cette  provision  deux  ans  avant  son 
firrivée;  les  froments  et  les  orges  formaient  des  monceaux 

^  Ces  exemples  d'ecelésiastiqnes  combattant  avec  les  j^erriers  se 
rencontrent  sourent  au  moyen  âge.  Anne  Comnène  et  les  Grecs  repro- 
oliaient  aux  Latins  que  leurs  ecclésiastiques,  à  peine  araient-ils  obtenu 
la  prêtrise,  endossaient  le  bamais  militaire,  s'armaient  de  la  lance  el  de 
répée  et  allaient  à  la  j^erre  ;  ce  qui  était  expressément  défendu  aux 
€«recs.  (Du  Gange,  Dissert,  sur  /oinville.) 


LVI  DES  MEMOIBBS 

dans  la  campagne  et  semblaient  être  des  montagnes,  d'au- 
tant que  les  blés  battus  dès  longtemps  par  la  pluie  s'étaient 
recouverts  d'un  herbe  verte,  qu'elle  avait  fait  germer  '• 
Or,  quand  on  voulut  les  transporter  en  Egypte,  oh  enleva 
toute  cette  herbe  verte  formant  une  croûte ,  et  l'on  trouva 
le  froment  aussi  frais  que  si  on  l'eût  battu  à  l'instant.  » 

Ses  observations  sur  un  grand  nombre  de  faits  et  d^usages 
montrent  dans  Joinville  un  esprit  observateur,  qui  compare 
et  juge  avec  sagacité.  Excepté  l'erreur  qu'il  commet  au  su- 
jet de  la  source  du  Nil,  laquelle  nous  est  encore  ignorée*, 
la  description  qu'il  donne  de  ce  fleuve  miraculeux  est  aussi 
exacte  que  curieuse.  Après  avoir  décrit  l'inondation  du  Nil, 
couvrant  les  campagnes  et  les  sept  branches  par  lesquelles 
s'écoule  ce  fleuve,  qui,  au  contraire  des  autres,  ne  reçoit 
dans  son  cours  aucune  rivière,  il  nous  montre  les  habitants 

'  «  La  végétation  est  si  rapide  en  Chypre  que  deux  jours  après  un 

[        «  violent  orage,  jetant  le»  yeux  des  fenêtres  de  la  maison  du  consulat, 

I        «■  située  dans  la  partie  la  plus  élevée  de  Larnaca,  sur  cette  ville  aux 

:         «  toits  plats  et  poudreux,  elle  me  parut  avoir  disparu  sous  des  tapis 

«  de  verdure.  La  pluie  en  si  peu  de  temps  avait  fait  germer  Therbe 

«  sur  toutes  ces  terrasses ,  qui ,  comme  les  murs  des  maisons ,  sont 

«  construites  en  terre  mêlée  avec  de  la  paille.  »  {l'fotes  (tun  voyage 

fait  dans  le  Levant  en  1816  et  1817.  ) 

'  Joinville  rapporte  que  «  on  disoit  en  Egypte  que  maintes  fois  le 
Soudan  av.oil  essayé  d'où  le  fleuve  venoit,  et  que  les  gens  qu^il  avoît 
envoyés  rapportoient  que  ils  avoient  cherché  le  fleuve  et  qu'ils  estoient 
venus  à  un  grand  tertre  de  roches  taillées  (à  pic),  là  ou  nulz  n'avoit 
pu  monter  ;  de  ce  tertre  cheoit  le  fleuve.  » 

Si  Joinville  fait  découler  le  Nil  du  paradis,  il  n'est  en  cela  que  Técko 
des  chroniqueurs,  des  légats  et  des  prélaU,  qui  n'étaient  pas  plus  ins- 
truits que  lui  sur  ce  sujet,  ou  qui  voulaient  peut-être  frapper  rima« 
gination  du  vulgaire.  On  voit  du  reste  Pierre  Sarrasin,  dans  sa  lettre 
sur  la  croisade  de  saint  Louis,  parler  de  même  de  Babylone  et  du 
Jlxtm  de  paradis  que  on  apele  le  A't/. 


DB  JOIN  VILLE.  LVII 

labourant  la  terre  ayec  une  charme  sans  roues,  et  foisant 
produire  au  sol  du  froment ,  de  Forge  ^  du  cumin  et  du  riz, 
qui  poussent  si  merveilleusement  qu'une  telle  abondance 
ne  sauroU  venir  que  de  Dieu,  car  autrement  tout  périrait 
dans  cette  contrée  par  la  grande  ardeur  du  soleil  gui  brû- 
leroit  tout,  vu  qu'il  ne  pleut  jamais.  L'eau  du  fleuve  est 
toujours  trouble;maisceux  du  pays^avantde  la  boire,  pren- 
nent ie  soir  quatre  amandes ,  ou  fèves,  qu'ils  écrasent ,  et 
le  lendemain  l'eau  est  si  bone  à  boire  que  rien  n'y  fault. 
a  Cette  eau  est  de  telle  nature  que  lorsque  nous  la  suspen- 
dions aux  cordes  de  nos  tentes  dans  des  pots  en  terre 
blanche  que  l'on  fabrique  aupays,  elle  devenait ,  au  plus 
chaud  du  jour,  aussi  fraîche  que  de  l'eau  de  source,  d  etc. 

Ces  détails  sont  parfaitement  exacts.  Il  en  est  de  même 
de  ce  qu'il  nous  dit  au  sujet  des  Mameluks^  du  Vieux  de  la 
Montagne,  des  Assassins  et  autres  sujets  qui  of&ent  aussi  un 
grand  intérêt.  Bornons-nous  à  ce  qui  concerne  les  Bédouins. 

et  Quant  aux  Bédouins,  ils  n'habitent  ni  les  villes,  ni  les 
cités,  ni  les  châteaux,  mais  couchent  toujours  aux  champs  ; 
leur  ménage,  leurs  femmes  et  leurs  enfants  campent  la 
nuit,  et  le  jour,  quand  il  fait  mauvais  temps,  en  des  sortes 
de  tentes  qu'ils  font  avec  dès  cercles  de  tonneaux  liés  à 
des  perches  comme  sont  les  chars  de  ces  femmes ,  et  sur 
ces  cercles  ils  jettent  des  peaux  de  mouton  qu'on  appelle 
peaux  de  Damas,  corroyées  à  Talun.  Les  Bédouins  s*en 
font  aussi  de  grandes  pelisses,  qui  leur  couvrent  tout  le 
corps,  les  jambes  et  les  pieds.  Quand  il  pleut,  le  soir^  et 
qu'il  fait  mauvais  temps,  la  nuit,  ils  s'enveloppentdans  leurs 
pelisses,  êtent  le  frein  à  leurs  chevaux  et  les  laissent  paitre 
près  d'eux.  Quand  vient  le  lendemain,  ils  étendent  leurs 
pelisses  au  soleil,  et  il  ne  parait  plus  qu'elles  aient  été 


LVIII  DBS  MÉMOIBBS 

mouillées  le  soir.  Ils  ont  une  telle  croyanee  que  nul  ne 
peut  mourir  qu*à  son  jour,  qu'ils  dédaignent  de  s*armer, 
et  y  pour  maudire  leurs  enfants  y  ils  disent  :  a  Ainsi  sois-tu 
maudit  comme  le  Franc  qui  s^arme  par  peur  de  la  mort.  » 
En  guerre,  ils  ne  portent  rien  que  Tépée  et  le  glaive.  Pres- 
que tous  sont  vêtus  de  surplis,  comme  les  prêtres  ;  leur  tête 
est  entortillée  de  toiles,  qui  leur  vont  sous  le  menton.  Ce 
sont  laides  gents  et  hideuses  à  regarder,  car  leurs  cheveux 
et  leur  barbe  sont  tout  noirs.  Ils  vivent  du  lait  de  leurs 
troupeaux,  et  achètent  aux  riches  les  herbages  de  leurs 
prairies  pour  nourrir  leurs  bêtes.  Nul  ne  saurait  dire  quel 
est  leur  nombre;  car  il  y  en  a  au  royaume  d'Egypte,  au 
royaume  de  Jérusalem,  dans  tous  les  autres  pays  des  Sar- 
rasfns  et  des  mécréants  auxquels  ils  payent  chaque  année 
de  granâsl:ributs. 

a  A  mon  retour  d*outremer,  ajoute  JoinviUe,  J'ai  vu  dans 
notre  pays,  des  chrétiens  déloyaux  qui  suivaient  la  loi  des 
Bédouins  et  disaient  que  nul  ne  peut  mourir  qu*à  son  jour, 
et  cette  créance  est  si  déloyale  qu'autant  vaudrait  dire 
que  Dieu  n'a  pouvoir  de  nous  secourir;  car  ils  seraient 
fous  ceux  qui  serviraient  Dieu ,  si  nous  pensions  qu'il  n'a 
pouvoir  de  prolonger  notre  vie  et  de  nous  garder  de  mal 
et  de  mauvaises  chances,  et  devons-nous  croire  qu'il  a  pou- 
voir pour  toutes  choses  faire.  » 

Les  informations  rapportées  à  saint  Louis  par  les  messa-* 
gers  que  le  roi  avait  envoyés,  avec  des  présents,  au  puissant 
souverain  des  Tartares ,  offrent  un  grand  intérêt  et  don- 
nent matière  à  de  sérieuses  réflexions.  Il  y  a  sans  doute 
quelques  erreurs  dans  le  récit  de  Joinville  ;  mais  les  foits 
princioaux  ne  sauraient  être  niés. 


tX  DES  MEMOIRES 

pote,  qui  n'accepta  le  pouvoir  qu'après  avoir  fait  Jurer  aux 
Tnrtares  a  par  celui  qui  a  fait  le  ciel  et  la  terre,  oliéissance  à 
ses  oominandements;  et  tous  Jurèrent  de  ne  point  ravir  le 
bien  à  aucun  d'entre  eux ,  ni  de  se  frapper,  sous  pdne  d  V 
voir  le  poîng  coupé ,  ni  d'attenter  aux  femmes  ou  aux  filles» 
sous  peine  de  perdre  le  poing  ou  la  vie.  Quant  à  nos  en- 
nemis, leur  dit-il,  si  nous  les  déconfisons,  que  le  massacre 
dure  trois  Jours  et  trois  nuits,  que  nul  n'ose  toucher  au 
gain ,  mais  ne  songe  qu'à  gens  occire  ;  quand  nous  aurons 
vaincu ,  je  vous  départirai  le  gain.  » 

Les  Tartares,  après  avoir  défait  et  chassé  le  roi  de  Perse^ 
qui  s'en  vint  en  fuyant  jusqu'à  Jérusalem,  firent  prisonnier 
l'empereur  de  Gonstantinople  Gautier  de  Brienne,  et  pro- 
clamèrent comme  leur  tributaire  le  roi  de  France,  ensdrte 
que  saint  Louis  se  repentit  fort  de  leur  avoir  envoyé  une 
ambassade  avec  des  présents. 

Il  résulte  de  ce  récit  que  les  Tartares  étaient  faibles  et 
méprisés,  mais  que  les  outrages  et  l'injustice  les  révoltè- 
rent :  ce  qui  causa  cette  grande  invasion  qui  dévasta  l'Asie 
et  mit  l'Europe  en  péril. 

Les  Chinois,  ce  peuple  inoffensif  que  l'Europe  attaque 
et  méprise ,  et  envers  qui  l'Angleterre  chrétienne  enfreint 
les  lois  de  l'équité  et  de  l^umanité,  ne  pourraient-ils  pas 
aussi  sortir  de  leur  apathie  ? 

Ils  sont  industrieux ,  ils  ne  craignent  pas  la  mort;  leur 
pK>pulation,  toujours  croissante,  est  de  quatre  cents  mil- 
lions :  qu'un  chef,  un  Gengls-Khan ,  un  Napoléon  se  mette 
à  leur  tète,  qu'il  fanatise  le  pays  au  nom  de  la  religion, 
jde  la  liberté ,  de  la  nationalité,  drapeaux  au-dessous  des- 
quels fermentent  les  passions  humaines ,  que  les  arts  meur- 
triers de  l'Europe  remplacent  les  antiques  usages  auxquels 


OPINIONS  DIYEBSBS  SDB  JOINTILLE.  LXIII 

a  ennemi,  qui  ne  connaît  ni  leur  langue  ni  leurs  liiœurs, 
ff  qui  déteste  leur  religion  et  qui  ne  peut  être  regardé  par 
a  eux  que  comme  un  chef  de  brigands  étrangers ,  on  verra 
cr  que  Joinville  n*a  rapporté  qu'un  discours  populaire.  On 
a  sait  combien  dans  un  camp,  dans  une  maison ,  on  est 
c  mal  informé  des  feits  particuliers  qui  se  passent  dans  un 
a  camp  voisin ,  dans  une  maison  prochaine.  Dire  fidèle- 
a  ment  ce  qu'on  a  entendu  dirie^  c*est  souvent  rapporter 
a  de  bonne  foi  des  choses  au  moins  suspectes,  b 

En  effet,  aucun  historien  arabe  ne  parle  d'un  fait  aussi 
extraordinaire  ;  mais  il  est  très-possible  que  quelque  inter- 
prète sarrasin ,  pour  flatter  le  roi,  même  dans  llnfortune, 
ou  pour  se  donner  de  l'importance ,  ait  imaginé  cette  fable , 
dont  la  réalisation  pouvait  d'ailleurs  ne  pas  sembler  im- 
possible aux  chrétiens  récemment  convertis  à  Tislamisme 
et  incorporés  parmi  les  troupes  musulmanes.  On  voit,  en 
effet,  que  lors  de  la  croisade  de  Louis  le  Jeune ^  après  la 
défaite  de  son  armée  à  Laodicée  en  1148,  trois  mille 
bommes  furent  laissés  par  lui  à  Satalie  dans  Tespoir  qu'ils 
pourraient  s'y  embarquer  et  venir  le  rejoindre  à  Acre; 
a  mais  les  vaisseaux  qu'avaient  promis  les  Grecs  n'ayant 
a  point  paru ,  ils  durent  se  hasarder  par  terre  et  furent 
«  entourés  par  les  Sarrasins;  qui  leur  offrirent^  s'ils  vou- 
a  laient  changer  de  religion,  de  les  recevoir  parmi  eux. 
ff  Ils  acceptèrent  ce  parti,  plutôt  que  de  se  voir  réduits  à 
a  l'esclavage '.  o 

'  Hist.  de  saint  Louis,  par  Bury,  t.  II,  p.  369.  Les  chrétiens  tentèrent 
aassi  de  conTertir  les  prisonniers  musulmans.  Lors  de  la  prise  de  Saint- 
Jean  d'Acre  par  Philippe- Auguste  et  Richard  en  li91 ,  «  on  distribua 
«  les  prisonniers  dans  des  maisons  particulières,  et  on  leur  fit  dire  qtie 
«  ceux  d'entre  eux  qui  voudraient  recevoir  le  baptême,  seraient  remis 
«  en  liberté.  Plusieurs  le  reçurent;  mais  la  plupart,  aussitôt  après,  se 


LXIV  OPIlflONS  BIVSB8BS 

yold  le  jugement  qu'ont  porté  sur  Joinville  les  trois 
éminents  critiques  dont  la  France  s'honore  aujourd'hui  et 
dont  les  arrêts  pleins  de  goût  et  de  savoir  seront  confirmés 
par  la  postérité'. 

ce  L'esprit  de  Join ville,  dit  M.  Yillemain,  est  crédule,, 
a  ignorant  et  fertile.  Tout  est  nouveau ,  tout  est  extraor- 
a  dinaire  pour  lui  :  le  Caire,  c'est  Babylone;  le  Nil,  c'est  un^ 
a  fleuve  qui  prend  sa  source  dans  le  Paradis.  Il  a  de  ces 
a  notions  particulières  sur  beaucoup  de  choses;  mais,  quant 
a  aux  faits  véritables,  on  ne  saurait  trouver  plus  naïf 
a  témoin.  On  dirait  que  les  objets  sont  nés  dans  le  monde 
a  le  jour  où  il  les  a  vus. 

<rLe  style  de  Joinville  est  très-remarquable  pour  l'é* 
a  poque  où  il  écrivait;  et,  si  on  le  compare  avec  celui  de 
a  Yille-Hardouin,  on  s'aperçoit  des  progrès  de  la  langue 
a  et  de  la  narration  ;  on  semble  voir  en  lui  une  autre  race 
a  d'hommes.  » 

«  fauvèrent  au  camp  de  Saladin ,  pour  faire  de  nouveau  profession  de 
«  niahométîsme  et  combattre  contre  les  chrétiens,  ce  qui  fit  qu'on 
«  n*en  reçut  plus  aucun  au  baptême.  »  Bury,  t.  II,  p.  413. 

'  Dans  V Histoire  de  la  principauté  de  Joinville  escriite  en  1632, 
manuscrit  1054,  p.  61,  on  trouve  ce  jugement,  te  plus  ancien  de  tous 
sur  JoinTille  : 

«  Pour  reyenir  à  notre  historiographe  Jean  sire  de  Joinville,  il  est 
«  à  douter  si  sa  plume  lui  auroit  acquis  plus  d'honneur  que  son  espép. 
«  Chevalier  excellent  et  en  armes  et  en  lois,  comme  on  parloit  en  ce 
«  temps-là  : 

Par  ingenium  castrisque  togœqtte» 

«  Dans  son  histoire,  il  a  fait  comme  le  sculpteur  Phidias  qui  s'encliâssa 
«  destrementdans  les  replis  de  la  robe  de  Minerve  ;  car  il  est  à  doubler 
«  s'il  a  plus  escrit  la  vie  de  saint  Louis  que  la  sienne,  y  estant,  à 
«  vray  dire,  enchâssé  comme  en  chose  inséparable.  Il  escrit  de  soy- 
«  même,  et  le  doit-on  croire  pour  sa  noble  ingénuité,  comme  d'autant 
«  éloigné  d'ostentation » 


SUB  IOINVIU.B.  LIT 

a  Joluvitte ,  dit  M.  Nisitrd ,  est  on  e^rit  plus  libre ,  pins 
a  curieux,  plus  animé  que  Ville-Hardoniu.  Il  mtie  quelques 
«  Jugements  à  ses  récits.  A  la  différeoce  du  maréchal  de 
a  Giampagne,  qui  va  toujours  eu  avant  où  les  évéuemeuts 
o  le  raënent,  ne  se  recueillant  pas  no  moment  pour  les 
a  prévoir  ou  pour  les  juger,  Jolnville  s'est  qudquefois  ia- 
«  terrogé  sur  les  bommes  et  sur  les  choses;  c'est  là  un 
o  progrès.  yille-HardouIn  ne  décrit  pas.  Toutes  les  ri- 
«  chesses  de  Constanticople,  tant  d'or  et  d'argent  que  n'é- 
«  puisa  pas  un  pillage  de  quatre  jours ,  toute  cette  magni- 
a  licence  raffinée  de  l'empire  grec  oe  loi  tirent  que  quel- 
d  qoes  exclamations  banales. 

0  C'est  à  peine,  si,  cent  ans  après ,  te  plus  s^éable  des 
0 chroniqueurs  du  quatorzième  siècle,  Frolssart,  égale 
a  Jolnville  par  la,  naïveté,  la  gr&ce,  la  propriété  dans  le 
a  chotx  des  termes ,  l'heureux  accord  entre  l'expression  et 
(1  la  pensée;  quant  à  cette  éloquence  du  cœur,  qui  émeut  ^ 
et  mais  qui  tient  peut-être  à  son  sujet,  Froissart  n'y  atteint 
e  jamais,  s 

M.  Sainte-Beuve ,  après  avoir  slgoalé  en  Jolnville  cet 
ensemble  de  qualités  jeunes,  aimables,  Ingénues,  qui  ne 
se  retrouveront  plus  an  même  degré,  termine  par  ces 
réflexions  la  notice  remarquable  qu'il  a  consacrée  à  Join- 
vllle. 

R  II  est  le  représentant  le  plus  agréable ,  le  plus  fomilier 
o  etieplusexpressifdecetdge  que  nous aimonsànous  re- 
«  présenterdeloin  comme  l'âged'or  du  bon  vieux  temps.  Si 
«  ce  beau  règne  exista  quelque  temps  dans'  le  passé,  ce  fut 
a  certes SOQS  saint  Louis,  durant  ces  quinze  années  de  paix, 
0  à  l'ombre  du  chêne  de  Vinceones;  et  c'est  par  la  plume 


LXTi  opinions  divebsbs 

a  de  Joinville  qu'il  nous  a  légué  sa  plus  attrayante  image, 
a  On  croyait  alors  à  son  roi,  on  croyait  surtout  à  son  Dieu  ; 
cr  on  y  croyait,  non  pas  en  général  et  de  cette  manière  tou- 
i<  jours  un  peu  vague  et  abstraite,  dans  ce  lointain  où  la 
d  science  moderne,  si  on  u*y  prend  garde,  le  fait  de  plus 
«  en  plus  reculer,  mais  dans  une  pratique  continuelle  et 
((  comme  si  Dieu  était  présent,  même  physiquement,  dans 
((  les  moindres  occurrences  de  la  vie.  Le  monde  alors  était 
c<  semé  à  chaque  pas  d^obscurités  et  d*embûches;  Tin- 
c(  connu  était  partout  ;  partout  aussi  était  le  protecteur 
((  invisible  et  le  soutien  ;  à  chaque  souffle  qui  frémissait,  on 
a  croyait  le  sentir  comme  derrière  le  rideau.  Le  ciel  au* 
or  dessus  était  ouvert,  peuplé  en  chaque  p<nnt  de  figures 
«  vivantes,  de  patrons  attentifs  et  manifestes,  d'une  invo- 
a  cation  directe,  et  faciles  à  intéresser;  le  plus  Intrépide 
ce  guerrier  marchait  dans  ce  mélange  habituel  de  crainte 
«  et  de  confiance  comme  un  tout  petit  enfant.  A  cette 
«  vue,  les  esprits  les  plus  émancipés  d'aujourd'hui  ne  sau- 
a  raient  s'empêcher  de  dire ,  en  tempérant  leur  sourire  par 
a  le  respect  :  Sancta  simpiicitas!  Le  bon  sens,  certes, 
<x  ne  manquait  pas,  et  il  avait  ses  retours ,  ses  contradic- 
«[  tions  piquantes  au  milieu  de  ce  réseau  de  croyances  et, 
«  pour  tout  dire ,  de  crédulités.  L*esprit  naturel  avait  ses 
«  saillies,  ses  échappées  d'enjouement,  ses  subtilités  et  ses 
a  hardiesses  toujours  renaissantes  ;  mais  tout  cela  ne  jouait 
cr  encore  que  dans  le  cercle  tracé,  et  venait  s'arrêter  à 
c(  temps  devant  tout  objet  vénéré  et  redoutable.  Le  mot 
c(  de  prud'homie  comprenait  toutes  les  vertus ,  la  sagesse , 
a  la  prudence  et  le  courage ,  l'habileté  au  sein  de  la  foi , 
a  Fhonnèteté  civile,  et  le  comme  il  fatU,  tel  que  l'enten- 
(t  dait  cette  race  des  vieux  chrétiens^  dont  Joinville  est 


SUB  JOINVILLB.  iXVlI 

a  pour  nous  le  rejeton  le  plus  fleuri  ;  et  Ton  définirait  bien 
<v  cet  ami  de  saint  Louis,  qui  resta  un  vieillard  si  jeune 
tt  de  cœur  et  si  frais  de  souvenirs ,  en  disant  qu*il  fut  le 
c(  plus  gracieux  et  le  plus  souriant  des  prud'hommes 
«f  d*alors  ^  » 

A  ces  témoignages  il  convient  d'ajouter  ce  qu*a  dit 
M.  Michaud  aine,  de  TAcadémie  française,  dans  la  notice 
qu'on  lit  en  tète  des  Mémoires  de  Joinville  : 

a  Si  les  Mémoires  de  Joinville,  dit  l'historien  des  croi« 
<c  sades ,  avaient  été  rédigés  par  une  autre  que  lui,  il  est  pro* 
«  bablequ'on  aurait  parlé  de  la  vie  et  des  actions  du  sénéchal 
a  avec  moins  de  simplicité  et  de  réserve  qu*il  ne  le  fait  lui- 
a  même.  Lorsqu'il  nous  raconte  les  périls  qu'il  a  courus, 
«  les  grands  combats  auxquels  il  a  pris  part,  il  rend  tou« 
a  jours  grâce  à  Dieu  et  à  menseigneur  saint  Jacques  de 
a  ravoir  sauvé  ;  dans  son  récit  de  la  grande  bataille  de  Man« 
cr  sourah,  ilndhs  dit  seulement  qu'il  a  reçu  Qinq  blessures , 
ff  et  que  son  cheval  en  a  reçu  dix-sept.  Le  bon  sénéchal,  qui 
tf  avait  fait  tant  de  prodiges  de  bravoure,  avoue  qu'en  plu- 
«r  sieurs  occasions  il  a  eu  grande  peur,  ce  qu'il  n'aurait  pas 
a  laissé  dire  à  un  autre.  Lorsqu'on  lit  Joinville ,  il  semble 
(T  qu'on  l'écoute  et  qu'on  soit  rangé  en  cercle  autour  de  lui 
or  pour  l'entendre  ;  la  bonne  foi  respire  dans  tout  ce  qu'il  nous 
a  dit  ;  cette  bonne  foi  est  chez  lui  comme  une  espèce  de  verve, 
«  comme  une  inspiration  poétique  qui  anime  ses  paroles  et 
«  lui  fait  presque  toujours  rencontrer  l'expression  la  plus 
((  vraie  et  la  plus  pittoresque.  Lors  même  qu'il  n'aurait  pas 
a  appris  de  saint  Louis  à  haïr  le  mensonge,  on  voit  que  son 

*  Sainte-Beuve,  Causeries  du  Lundi  12  septembre  1853. 


LXVIII  OPINIONS  DIYEBSBS 

a  bon  naturel Taorait  empêché  démentir,  tous  ses  lecteurs 
cr  sont  bien  persuadés  qu'il  ne  mentirait  pas,  même  pour  jus- 
ce  tiiier  et  pour  faire  valoir  le  héros  qu'il  aime  et  qu'il  veut 
a  nous  faire  aimer. 

a  La  franchise  n*est  pas  la  seule  qualité  de  Thistorien  ;  ou 
a  retrouve  partout,  dans  son  livre,  les  manières  polies  et  le 
a  caractère  d*un  homme  aimable  et  bon.  L'amour  de  sol , 
«  la  haine  d'autrui,  l'esprit  de  jalousie  qui  ont  inspiré  tant 
a  d'auteurs  de  mémoires^  ne  se  montrent  point  dans  Join- 
c(  ville  ;  sans  cesser  d'être  véridique,  il  ditrarement  du  mal  de 
a  ceux  avecqui  il  a  vécu  ;  il  a  quelque  légère  rancune  contre 
«  les  Templiers,  qui  lui  avaient  nié  un  dépôt,  mais  c'est  un 
c(  tort  qu'il  parait  avoir  oublié  en  le  racontant;  il  avait  vu 
«  à  Mansourah  beaucoup  de  gens  du  bel  air  qui  fuyaient 
«  commedesbobanSy  mais  il  ne  les  nomme  point,  parce  qu'ils 
c(  sont  morts  et  qu'il  respecte  la  mémoire  des  trépassés.  Ses 
«  récits  ne  laissent  jamais  voir  cette  humeur  chagrine  qui 
c(  n'est  que  trop^ commune  à  ceux  qui,  dans  vth  âge  avancé, 
a  racontent  l^histoire  des  temps  qu'ils  ont  vus.  Il  ne  se  rè- 
((  porte  au  temps  de  sa  jeunesse  que  pour  prendre  les  cou- 
ci  leurs  vives  et  la  naïve  simplicitédu  premier  âge  de  la  vie  ; 
(c  on  peut  dire  qu'il  n'y  a  rien  de  si  animée  de  si  vif,  de  si 
((  jeune,  en  un  mot,  que  le  style  et  la  manière  de  raconter 
«jclu  sire  de  Joinville.Le  langage  naïf  de  son  temps  donne 
c(  sans  doute  beaucoup  d'intérêt  à  sa  narration,  mais  ce  lan- 
((  gage  même  reçoit  aussi  quelque  charme  de  la  tournure  de 
c(  son  esprit  et  de  son  caractère  enjoué. 

a  Les  Mémoires  de  Joinville  ne  sont  pas  seulement  un 
«  précieux  monument  pour  l'histoire  nationale;  mais  ils  se 
«  rattachent  aussià  l'histoire  de  notre  littérature.  La  langue 
a  que  parlait  le  sénéchal  est  mieux  connue  qu'elle  ne  l'était 


SUB  JOmVILLB.  LXIX 

a  il  y  a  tm  siècle  ;  on  doit  regretter  néanmoins  qu'elle  soit 
<f  moins  étudiée  sous  le  rapport  littéraire  que  sous  le  rapport 
«  historique.  Je  regrette  que  les  études  des  derniers  temps 
«  ne  se  soient  pas  portées  sur  le  génie  et  le  caractère  de  cette 
«  langue^  qui  a  aussi  ses  finesses  et  ses  beautés,  qu'il  faut 
«  connaître;  ses  règles,  sa  logique,  sa  poésie,  qu'il  faudrait 
a  montrer  à  la  jeunesse.  Nous  avons  des  cours  pour  toutes 
c(  les  langues  mortes,  pour  toutes  les  langues  vivantes;  et 
a  la  langue  que  parlaient  nos  aïeux ,  personne  n'est  chargé  de 
«  renseigner.  L'Italie  a  une  chaire  spécialement  consacrée 
c(  à  expliquer  le  Dante  :  pourquoi  n'en  aurions-nous  pas 
cr  une  pour  expliquer  nos  vieux  poètes  et  nos  vieux  histo- 
tt  riens?» 

€e  vœu  avait  été  déjà  exprimé  par  Guillaume  de  La* 
perière  dès  la  première  édition  des  Mémoires  de  Join ville, 
en  1547,  où  il  témoigne  son  étonnement  de  voir  ainsi  dé- 
laissées nos  histoires  originaires. 

Dansson  Histoire  des  révolutions  du  langage  en  France, 
M.  Francis  Wey  entre  dans  des  considérations  sur  le  mé- 
rite de  nos  trois  premiers  historiens.  Je  croîs  devoir  les  re- 
produire^ parce  que  l'estimable  ouvrage  de  M.  Francis 
Wey  n'est  pas  aussi  connu  qu'il  devrait  l'être. 

«  Prosateur  nerveux  et  assez  concis,  Ville-Hardouin  est 
a  parfaitement  original,  parce  que  l'érudition  ne  lui  fournit 
«  aucun  moyen  de  ne  l'être  pas.  Il  n'est  ni  clerc  ni  doc- 
a  teur  ;  son  langage  n'en  est  que  plus  franc,  que  mieux  dc- 
a  pouillé  de  cette  recherche  littéraire,  qui ,  louée  au  temps 
a  où  elle  a  cours,  devient  souvent  plus  tard  un  type  du 
a  mauvais  goût,  et  donne  de  bonne  heure,  à  un  écrit,  une 


LXX  OPINIONS  DIYKBSES 

«  physionomie  surannée.  La  langue  de  Ville-Hardouin  a 
if  passé;  mais  la  simplicité,  le  naturel,  qualités  de  son 
«  style,  n'ont  pas  vieilli. 

«  Tout  le  dessein  de  Ville-Hardouin  se  résume  en  ces 
o  mots  :  retracer  avec  fidélité  et  brièvement,  sans  emphase 
a  et  sans  désordre,  des  événements  à  la  conduite  desquels  il 
a  a  participé.  Xénophon,  Thucydide,  César,  n'ont  pas  fait 
a  autre  chose  ;  ils  avaient  seulement  à  leur  disposition  une 
<f  langue  parvenue  à  sa  belle  maturité  ;  le  chroniqueur  fran- 
«  çais,  lui,  maniait  avec  une  voix  virile  un  parler  encore  à 
«  sou  enfonce.  Son  ton  est  tout  militaire  ;  il  ne  cherche  au- 
«  cùn  effet  de  style ,  et  son  récit  est  sobre,  comme  celui 
«  d'un  officier  qui  rédige  un  bulletin  d'armée,  avec  une 
«  pleine  intelligence  du  sujet.  Nous  observerons  souvent 
«  que  les  meilleurs  monuments  de  notre  langue  se  sont 
o  construits  de  la  sorte,  en  dehors  de  toute  prétention  litté- 
<c  raire;ce  qui  est  tout  simple  :  l'érudition  autrefois  copiait 
«  le  latin,  et  s'alimentait  à4es  sources  étrangères.  Ce  n'est 
c(  point  de  ce  côté  que  le  génie  des  Français  pouvait  rece- 
(ir  voit  son  caractère  foncièrement  national.  Il  ne  sera  pas 
«  inutile  d'étudier  la  contexture  de  ce  premier  échantillon 
c(  de  la  prose  française. 

((  Beaucoup  de  simplicité ,  une  sobriété  rare  en  matière 
c(  d'ornements  et  de  métaphores ,  une  clarté  continuelle  et 
«  une  rapidité  remarquable,  telles  sont  les  qualités  qui  re^ 
(f  commandent  l'ouvrage  de  Ville-Hardouip.  En  vain  on  y 
«  chercherait  la  moiodre  paillette  ou  même  la  plus  légère 
«  trace  du  mauvais  goût  d'une  époque  reculée.  Toute  cette 
«  chronique  est  exécutée  avec  une  sévérité  magistrale.  C'est 
c(  une  œuvre  de  vrai  soldat  qui  ne  quitte  Jamais  sa  place, 
«  et  fait  sans  fracas  son  devoir  à  son  rang. 


SnB  JOCfYlIXE.  LXXl 

«  Jamais  le  maréchal  de  Champagne  ne  trahit  le  senti- 
er ment  de  son  individualité  ;  il  parle  de  lui  comme  il  ferait 
cr  d'un  autre,  et  avec  une  égale  indifférence.  S'il  rapporte 
c(  un  discours  quMl  fut  chargé  de  tenir,  il  n'y  ajoute  pas  la 
«  moindre  fioriture  ;  il  dédaigne  de  se  gratifier  d'une  sentence 
«  piquante,  d'une  période  bien  tournée,  ou  d'un  grain  de 
((  cette  érudition  si  fort  prisée  par  ses  contemporains.  Ce 
(c  mépris  du  métier  de  beau  parleur  fut  de  tout  temps ,  en 
6  France,  un  des  traits  saillants  de  notre  esprit  militaire. 

a  Cette  vertu  d'abstinence  à  l'égard  des  vanités ,  des  se- 
ce  ductions  de  la  divagation  phraséologique,  témoigne  d'une 
it  grande  supériorité.  En  effet,  au  langage  près ,  qui  restait 
cr  dur  et  peu  souple,  Yille-Hardouin  possède  toute  la  vîgou- 
cr  reuse  dignité  d'qn  livre  classique.  Il  n'est  jamais  trivial, 
cr  ce  qui  fut  le  défaut  du  moyen  âge,  auquel  il  fait  seul  ex- 
<r  ception. 

a  Yille-Hardouin,  chroniqueur  simple  et  sincère,  emploie 
ce  un  langage  où  l'on  signale  déjà  nombre  de  gallicismes, 
a  et  certaines  allures  propres  au  français  des  époques  posté- 
«  rieures 

a  Join ville  e0t  plus  familier,  plus  prolixe,  plus  foncière- 
cr  ment  français  de  caractère  que  Yille-Hardouin.  V Histoire 
ix  de  saint  Louis  contient,  à  proprement  parler,  les  Mé- 
«  moires  de  l'auteur.  C'est  un  grand  seigneur  qui  se  délasse 
«  à  conter,  se  souciant  peu  démultiplier  les  digressions,  se 
cr  laissant  dériver  à  son  caprice,  et  s'iimusant  parmi  les  dé- 
cr  tails  d'une  foule  de  souvenirs.  Son  langage,  plus  verbeux, 
0  moins  précis,  court  à  l'abandon,  et  n'est  pas  toujours 
«  clair.  Si  un  mot  facétieux  s'offre  à  la  pensée  de  Joinville , 
«  au  milieu  d'une  situation  sérieuse  ou  pathétique,  ce  sera 


LXXII  OPIHIONS  BIYBBSBS 

et  tant  pis  poar  la  gravité  de  cette  situation  ;  le  mot  plaisant 
e  passera.  De  même  se  glisse  parfois,  dans  les  bas-reliefs  du 
c(  temps,  quelque  petite  gargouille  qui  rit,  à  travers  un 
«r  groupe  d*anges  ou  de  saints  en  prière. 

«  Joinville  est  très-amusant ,  très*di versifié  :  on  Taccom- 
ff  pagne  avec  plaisir  ;  on  se  voit  vivre  de  sa  vie,  et  quand 
«  OH  a  voyagé  quinze  Jours  avec  lui ,  on  se  sent  devenu  son 
«  ancien  ami,  tant  on  croit  le  bien  connaître.  Son  style , 
((  son  langage,  ont  à  un  baut  degré  la  saveur  du  moyen  âge; 
u  il  ne  rappelle  du  tout  plus  Tantiquité ,  genre  de  mérite 
«  fortuitementpropreauxéerivainsinstructifsd'unepériode 
<(  primitive.  Le  sénécbal  de  saint  Louis  est  un  bon  seigneur 
i<  très-civilisé  et  d'un  esprit  assez  retors.  Il  posséda  l'art 
c(  de  railler  sournoisement,  avec  une  feinte  bonhomie,  et 
a  en  se  faisant  passer  pour  naif  :  une  manière  de  déguiser  le 
a  trait  sous  Tapparence  de  la  candeur.  Cette  disposition 
a  d'esprit  est  très-française;  on  la  trouve  surtout  chez  les 
<x  soi-disant  bonnes  gens  des  campagnes.  C'est  dans  une 
a  foule  de  petites  anecdotes,  et  non  dans  les  récits^  inévita* 
«  blement  entremêlés  de  mêmes  propos  et  d'incidients,  qu'il 
a  convient  de  chercher  Joinville,  et  d'y  saisir  ce  goût  de 
i(  terroir  y  pour  ainsi  dire ,  qui  le  distingue  et.  le  recom- 
((  mande. 

((  C'est  en  descendant  aux  moindres  détails  des  choses , 
(c  que  Joinville  attache,  qu'il  rend  ses  tableaux  vivants ,  et 
a  satisfait  sa  fantaisie.  C'est  aussi  par  là  qu'il  se  sépare  de 
c(  la  ligne  ferme  et  sévère  qui  doit  guider,  un  historien.  Son 
«  goût  n'est  point  pur,  ni  son  style  élevé  ;  tout  ce  qui  est 
«  vrai  lui  parait  également  bon  à  dire;  la  vulgarité  forcée 
a  de  l'expression  ne  le  rebute  Jamais.  Il  transmet  y  à  propos 
Q  des  coliques  du  roi  et  de  ses  propres  maladies,  des  rensel- 


SU£  JOINVILLS.  LXXIII 

a  gnements  peu  héroïques.  Ses  causeries,  peu  retenues,  res- 
«  semblent  parfois  à  des  chroniques  de  bivouacs,  telles  que 
a  les  vieux  grenadiers  en  débitaient,  sous  TEmpire,  aux 
«  jeunes  soldats.  Joinville  parle  au  profit  de  ceux  qui  Tont 
cciconnu,  et  qui  s'intéressent  à  lui  ou  à  son  mattre  ;  il  n*a 
c(  souci  des  autres,  etonreconnattqu'ii  ne  songea  point  aux 
a  lois  delà  rhétorique  ni  aux  règles  de  la  littérature,  telles 
c(  qu'on  les  puisait  dans  les  livres  de  Tantiquité.  Il  allait  de- 
a  vaut  lui,  se  plaisant  en  ses  histoires,  au  jour  le  jour  de  sa 
et  pensée. 

a  Quant  à  Froissart ,  chroniquer  est  pour  lui  une  pro* 
a  fession  dont  ils*acquitte  avec  habileté  :  moins  élevé  peut- 
a  être  que  ses  devanciers,  mais  orné  d'une  teinte  légère  des 
a  lettres  antiques  ;  décrivant  complaisamment ,  se  contentant 
«  parfois  de  la  vraisemblance,  recherchant  Teffet;  de  son 
a  récit,  il  ignore  Tart  d'émouvoir,  parce  qu'il  ne  s'émeut 
a  jamais.  Il  peint  avec  vérité,  mais  petitement,  comme  les 
a  enlumineurs  des  miniatures  de  ses  manuscrits,  et  rend  la 
a  forme  extérieure  des  choses,  au  moyen  d'un  langage  par- 
ce fois  diffus,  toujours  un  peu  lourd ,  rarement  élégant ,  et 
rr  rebelle  d'ordinaire  à  Toriginalité  de  l'auteur.  Il  arrivait 
c(  trop  tard  ou  trop  tôt  pour  exploiter,  au  profit  de  sa  gloire 
a  littéraire,  un  idiome  dur,  mais^robuste,  ou  un  parler 
((  froid ,  mais  plus  souple. 

«  Ces  trois  hommes ,  à  des  époques  diverses,  transmirent 
«  au  français  des  allures  différentes,  et  certains  moyens 
a  nouveaux  de  dépeindre  les  idées.  Ils  enseignèrent  à  souder 
a  ensemble  plusieurs  membres  de  phrase;  ils  donnèrent  du 
«  soufQe  à  la  période,  du  mouvement  et  de  la  concentration 
a  à  la  pensée. 

«  Le  mieux  servi  par  le  langage,  c'est  le  premier.  Son 

9 


tXXiy  OPINIONS  DIVBBSES  SUB  JOINYILLE. 

((  style  est  le  plus  nerveux ,  mais  son  vocabulaire ,  assez 
«r  restreint,  le  cède  en  richesse  et  en  précision  à  celui  de 
a  JoinviUe,  le  plus  foncièrement  français  des  trois.  Ces 
c(  chroniqueurs  sont  dépourvus  de  méthode  ;  la  philosophie 
c(  est  étrangère  aux  deux  premiers,  ce  qui  les  subordonne 
a  aux  véritables  historiens;  mais  elle  ne  les  égare  pas, 
«  comme  il  arrive  au  plus  moderne,  et  la  nature  les  dirige 
«  sûrement,  surtout  Ville- Hardouin,  qui  n'a  pas  d'autre 
«  guide.  D 


IV. 


TOMBEAU  ET  ÉPITAPHES. 


Joinville  fut  inhumé  dans  la  chapelle  qu*il  avait  fondée 
en  1263  dans  l'église  de  Saint-Laurent  de  Joinville,  atte- 
nante au  château. 

Vers  1 629 ,  Ionique  le  chapitre  de  Saint-Laurent  de  Join- 
ville fit  reconstruire  le  chœur  de  cette  église^  ou  retrouva 
au  milieu  d'anciennes  constructions  le  mausolée  de  Join- 
ville. 

Longtemps  on  n'avait  eu  que  des  transcriptions  infidèles 
de  répitaphe  que  Joinville  fit  placer  en  1311  sur  la  tombe 
de  Geoffroy,  son  grand-père;  c'est  seulement  en  1739  que 
le  père  Merlin,  Jésuite,  l'a  lue  et  transcrite  lettre  à  lettre, 
après  avoir  fait  fondre  avec  de  l'eau  chaude  et  enlevé  avec 
une  éponge  la  cire  ou  le  mastic  qui  remplissait  le  creux 
des  lettres  ^  Ce  monument,  contemporain  de  Joinville, 
puisqu'il  n'est  postérieur  que  de  deux  années  à  l'époque 
où  il  écrivit  ses  mémoires,  rédigés  en  1309,  nous  donne 
un  exemple  du  style  et  de  l'orthographe  d'alors  ;  mais 
comme  la  copie  du  P.  Merlin  diffère  en  quelques  endroits 

'  Observations  historiques  et  critiques  sur  l'abbaye  de  Clair- 
vaux,  par  le  P.  Merlin,  jésuite.  (Mémoires  de  Trévoux  pour  le  vnois 
d^août  1739,  seconde  partie,  p.  18S5.) 


LXXVl  TOMBEAU 

de  celle  qu'a  donnée  Ménard  (p.  282),  a  qui  la  dut,  nous 
«  dit-il,  À  Tobligation  du  sieur  Gamusat,  chanoine  de 
«  Troyes,  qui  la  lui  a  communiquée  avec  quelques  autres 
a  titres  anciens  de  la  maison  de  Joinville,  »  je  les  place 
toutes  deux  en  regard  : 

Copie  du  P.  Merlin.  Copie  de  Ménabdi 

«  Diex  sires  tous  poossans ,  je  Dlex  sires  tons  poissaos ,  Je  vous 
vous  proie  qae*TOtts  faioes  faone  pri  qae  vous  faciez  honne  mercy 
mercy  à  Jofroy,  signour  de  Join-  àJoffroy,  seigoor  Joioville,  quicy- 
ville,  qai  ci  gist,  cai'vous  dooastes  gist  :  cui  vous  doonastes  taot  de 
tant  de  grâce  en  ce  inonde,  qai  vous  grâce  en  ce  inonde,  qui  vos  fiinda 
fonda  et  fit  plusours  'esglises  de  son  plusours  églises  de  son  temps.  Pre- 
tans  :  c'est  à  sçavoir,  Yabie  de  Cuire',  miers,  l*abbaye  de  TEscuTe,  de  l'or* 
de  l*ordre  de  Cilés  ;  ilem  l*abie  de  dre  de  Cistiaulx.  Item  l'abl)aye  de 
Jauviliier,  de  Premontrei  ;  item ,  la  Joinuille ,  de  I*ordre  de  Premons- 
maison  de  Maacon,  de  i*ordre  de  tré.  Item  la  Raison  deMAoon,  de 
Grantmont;  item,  la  Prioulel,doa  Tordre  de  Grantmont.  Item  la  pri- 
vai de  Onne  > ,  de  Moleimes  ;  ilem ,  ousté,  dou  Val  Doune  de  Molesmes. 
Tesglise  de  Saint-Lorans  dou  cbaa-  Item  Feglise  de  Saint-Lorent  doa 
tel  de  Joioville  ;  dont  tuit  cil  qui  cbastel  de  loinuiUe.  Dont  tuit 
sont  issu  de  ly  doivent  avoir  espe-  ciiz  qui  sont  issus  de  li ,  doibvent 
rance  en  Deu,  que  Deus  l*a  mis  en  sa  auoir  espérance  que  Dlex  l'a  mis 
compaignie ,  pour  ce  que  U saint  té-  ■  en  sa  compagnie;  quar  11  sains  tes* 
moignent  qui  fait  la  maison  Deu  en  moignent,  qui  fait  maison  Diex 
terre^  àioûe  la  9exïe(édi/le  la  sienne)  en  terre,  il  acquier  prope  maison 
propre  maison  en  ciel.  Il  fut  cheval-  ou  cil.  U  fut  cheualiers  U  milurs 
liere  li  meudres  de  son  tans,  et  ceste  de  son  temps.  Et  ce  apparut  par 
choze  aparu  es  grans  frais  (sic)  qu'il  les  grands  fais  qu'il  fit  deçà  la 
fit  de  sa  mer  et  de  là,  et  pour  ce  mer  et  delà.  Et  pour  cela  senes- 
la  séneschaucie  de  Champaigne  fut  calcie  de  Champaigoe  en  fut  donnée 
douée  à  lui  et  à  ses  hoirs,  qui  des-  à  li  et  à  ses  hoirs ,  qui  depuis  l'ont 
put  l'ont  tenue  de  lui.  Issi^  Jofroy  tenue  de  lui.  llcilz  Joffroy,  qui  fut 
qui  fut  sires  de  Joioville,  qui  oist  sires  de  Joinuille,  qui  fut  en  Acre, 

*  yabbaye  d'Escurey. 

=*  Le  prieuré  des  filles  de  Yaldonne,  dépendant  de  Tabbaye  de  Mo- 
leimes, transféré  depuis  à  Charenton. 

^  Une  note  du  P.  Merlin  dans  le  manuscrit  du  doyen  des  chanoines 
de  Joinville  dit  que  issi  a  la  même  signification  que  le  mot  latin  inde, 
e*est-à-dire  que  GeofTroi  lY  était  issu  de  Geoffroi  III. 


ET    EPITAPHES.  LXXVll 

(était)  en  Acre,  liquex  fût  peire  à  fut  pères  à  Galllaume,  qai  gist  «fii 
Guillaume  qui  gist  en  la  tombe  eu-  la  tumbe  couuerte  de  plomb,  qui  fut 
verte  de  plomb,  qui  fut  évesques  de  euesque  de  Langres,  puis  archeues- 
Laogres,  puis  arcevesques  de  Rains,  que  de  Reins ,  et  frères  germains 
et  freires  germains  Simont,  qui  fut  Simon ,  qui  fut  sires  de  Joinuille, 
sires  de  Joinville  et  seneschaus  de  et  séneschals  de  Cbampaigne  :  et 
Champaigne,  liquex  refut  dou  nom-  fut  du  nombre  des  bons  chevaliers, 
bre  des  l)ons  ctievaiiers  pour  les  pour  les  grands  prix  d'armes  qui 
grans  prié  d^armes  ouït  de  sa  mer  et  ont  deçà  la  mer  et  delà.  Et  fut  auec 
de  là,  et  fut  avec  le  roi  Jehan  d'Acre*  le  roy  Jean  à  prendre  Damiette. 
à  panreDamiette'.  Icis  Simous  fut  Ilcilz  Simons  fut  pères  à  Jehan, 
peire  de  Jehan,  signour  de  Joinville  segnour  de  Joinuille  et  séneschai  de 
et  seneschaus  de  Champaigne,  qui  Champaigne,  qui  encore  vit  et  feist 
encor  vit,  liquex  fit  faire  cest  es-  faire  cetescrit  Tan  milCCC  et  XI, 
crit  (  Pan  mil  trois  cens  unze  ' },  auquel  Diex  doint  salut  à  Tame,  et 
auquel  Deos  doint  ce  qu'il  seit  que  saintey  au  corps.  Idlz  Simons  re- 
besoin  U  est  à  l'àme  et  au  cors!  fut  frères  à  Joff roy  Troulart ,  qui 
Iscis  Simons  refu  freires  à  Jofroy  refut  sires  de  Joinuille  et  sénes- 
Troullard,  qui  refu  sires  de  Joinville  chalz  de  Cbampaigne.  Llqaeix  Trou- 
ât seneschaus  de  Champaigne,  il-  lart,  pour  les  grands  fais  qu'il  fit 
quex ,  par  les  grains  fais  qu'il  fit  deçà  la  mer  et  delà ,  refut  au  nom- 
de  sa  mer  et  de  là,  refu  en  nombre  bre  des  bons  cbeuallers.  Et  pour  ce 
des  bons  chevaliers  ;  et  pour  ce  qu'il  qu'il  trespassa  en  la  terre,  sans  hoirs 
trespassa  en  la  Terre  Sainte  sans  de  son  corps,  pour  ce  que  redonnée 
hoir  de  son  cors ,  pour  ce  que  sa  ne  périst,  en  apourta  Jehan  cilz 
renomée  ne  périst ,  en  aporta  Jehan  sires  de  Joinville  son  esco,  après  ce 
sires  de  Joinville,  qui  ancor  vit,  son  qu'il  demeure  ou  seruice  dou  saint 
escu ,  après  ce  qu'il  out  demoré  en  roy  de  France  Loys,  outre  mer,  Tes- 
service  dévot  de  le  saint  roy  outre-  pace  de  sept  ans.  Liquelx  rois  fit 
merpacédesixans*:  liquex  Roysfist  audict  signour  mont  de  biens.  Ly- 
audit  signour  mont  [sic)  de  biens.  '  dis  sires  de  Joinuille  mit  son  escu 
Lydis  sires  de  Joinville  mistl'escu  à  Saint-Lorent,  afin  que  on  priât 
à  Sainct-Lorans ,  pour  ce  qu'on  pour  iy.  Ouquel  escu  apert    la 

'  Jean  de  Brienne,  roi  de  Jérusalem. 

^  Il  résulte  de  cette  épitaphe  que  Simon  de  Joinville ,  père  de 
Jean,  assista  à  la  prise  de  Damiette  par  Jean  de  Brienne,  roi  de  Jéru- 
salem en  1219.  La  fin  de  Pacte,  du  mois  de  juin  1218  (lettre  G),  nous 
apprend,  en  effet,  qu'il  était  sur  le  point  d'entreprendre  ce  voyage 
d'outre-mer,  et  l'acte  D  prouve  qu'il  était  déjà  parti,  au  commence- 
ment  du  mois  de  juillet  de  ladite  année  1218. 

3  Cette  date  est  omise  dans  l'imprimé;  elle  se  trouve  dans  les  copies 
manuscrites ,  et  elle  est  généralement  adoptée. 

*  Le  texte  donné  par  Ménard  porte  sept  ans. 

9' 


LXXVIII 


TOMBEAU 


proit  pour  lui ,  enquel  ecu  apert  la    prouesse  qu'il   fist ,  et  Toonou  r 
prouesse  doudit  Jofroi  en  Tonneur    que  li  rois  Richard  d'Angleterre  \y 
que  li  roi  Richard  d'Aiogleterre  ly    fist,  en  ce  que  il  party  ses  armes  à 
list  en  ce  qu'il  parti  ses  armes  À    ceulx. 
seues.  Icis  Jofroi  trespassa  de  ce 
siècle ,  en  l*an  de  grâce  mil  six  vins 
rt  dou^e',  en   mois   d'aoust.  Icis 
Jefroi ,  quiescat  in  pace.  » 

«  Cette  épitaphe  *,  dit  le  P.  Merlin ,  était  sur  une  pierre 
de  trois  pieds  et  demi  enchâssée  dans  un  mur.  x>  Si  le  style 
lui  parut  beaucoup  plus  conforme  à  celui  de  la  lettre  du 
sire  de  Join\ille  rapportée  par  du  Gange  qu'au  texte  des 
Mémoires  de  Joinville,  il  faut  rappeler  que  le  P.  Merlin  ne 
connaissait  alors  que  le  texte  des  Mémoires  donné  par  Mé- 
nard  d'après  des  manuscrits  moins  anciens  que  celui  que 
nous  possédons  aujourd'hui.  Cette  différence  de  style  et 
d'orthographe  lui  paraîtrait  maintenant  beaucoup  moins 
sensible. 

De  cette  épitaphe  résulte  la  généalogie  suivante  : 


Geoffroy  (IV),  mort  en  1132 '. 


I 


Geoffroy  (V)  Troullard  ,       Simon  ,  (  Guy, 

mort  en  la  Terre-Sainte  y      qui  alla  à      seigneur 


Guillaume, 
évêque 


en  1204.  Damiette.    de  Sailly.)     de  Langres. 

Jean, 
historien  de  saint  Louis. 

» 

Selon  le  P.  Merlin  ^,  on  ne  lisait  avant  Tannée  131  u 


'  Il  devait  y  avoir  mil  C  lïll**  et  douze  (1192). 

2  Mémoires  de  Trévoux,  août  1739. 

3  Cette  date  résulte  en  effet  de  l^épitaplie  ;  mais  elle  est  fausse  et 
prouve  que  cette  épitaphe  a  suhi  des  altérations. 

*  Page  1888.' 


ET  EPITAPHES.  LXXIX 

sur  la  tombe  de  Geoffroy  III  que  cette  courte  épitaphe  : 
Hic  jacet  nobilisvir  Gaufridus  y  Dû.  de  Joinvilla. 

Jean ,  sire  de  Joinville,  fut  enterré  dans  l'église  de  Saint- 
Laurent  ,  fondée  par  son  bisaïeul  Geoffroi  III,  au  onzième 
siècle.  Son  mausolée  était  à  main  droite  en  entrant  dans 
la  fllapelle Saint-Joseph'. 

a  C'est  le  premier  des  sires  de  Joinville  qui  ait  été  in- 
a  humé  dans  Téglise  Saint- Laurent.  Il  y  est  au  chœur, 
a  sous  les  reliques  où  se  Yoit  un  homme  couché  de  son 
a  long  et  eslevé  de  terre  de  deux  coudées.  On  garde  son 
«  chef  et  sa  mâchoire  en  ladite  église  comme  un  saint  re- 
«  liqualre  ;  et  c'est  pour  en  dire  comme  fait  T Ecclésiastique 
«  du  valeureux  Galeb  (chap.  46,  v.  11  et  12).  Dominus 
a  dédit  ipsi  fortitudinem  et  usque  in  senectutem  perman- 
ce  sit  illi  virtus  ut  ascenderet  in  excelsum;  ut  vidèrent 
«  omnes  quia  bonum  est  ohsequi  sancto  Deo  ^. 

A  cette  époque  un  dessin  en  fut  fait  par  M.  Paiilet,  doyen 
de  ladite  église  de  Saint-Laurent,  ainsi  que  des  tombeaux 
de  Anselme  et  de  ses  deux  femmes  ^  ;  de  Ferry  P'  et  de  Mar- 
guerite de  Joinville,  son  épouse;  de  Ferry  II  et  de  lolande 
d'Anjou ,  rdne  de  Sicile,  de  Naples  et  de  Jérusalem  ;  de 

'  Manuscrit  de  M.  Pailliet,  doyen  de  Saint-Laurent,  extrait  de  pièces 
sur  l'église  collégiale  Saint-Laurent,  en  la  possession  de  M.  Lemoine. 

*  Histoire  inédite  de  la  principauté  de  JoînTille  par  Fissenx,  1633. 

'  Ces  dessins  provenant  des  papiers  de  M.  Henri  Cornet  »  maire- 
adjoint.de  Joinville,  ont  été  donnés  par  lui  à  M.  Lemoine.  Malgré  leur 
étatrde  vétusté,  on  a  pu  les  restaurer. 

4  Cette  sépulture  estjbâtie  en  forme  de  chapelle,  voûtée,  à  piliers  et 
colonnes,  où  se  voyaient  les  armoiries  dudit  seigneur  sans  inscription 
ni  épitaphe.  (Hist.  de  la  principauté  de  Joinville  par  Fissenx.)  Au-des- 
sous de  ce  mausolée  était  le  caveau  d'Anselme  et  de  ses  deux  femmes. 
En  ouvrant  ledit  caveau  le  13  mars  1638,  on  n'y  trouva  que  des  frag- 
ments de  bois  de  chêne  et  trois  têtes  de  mort. 


LXXX  TOMBEAU 

Henri  de  Lorraine,  évèque  de  Metz  et  de  Téroaenne; 
de  Claude  de  Lorraine  '  et  d*  Antoinette  de -Bourbon. 

cr  Ce  mausolée  étoit  très-grossièrement  scaipté;  le  siear 
a  de  Joinviile  y  paraissait  couché  les  mains  Jointes  sur  sa 
«  poitrine.  Il  semblait  être  revêtu  d'un  capuce  de  béné- 
cr  dictin  ;  il  avait  son  écu,  sur  lequel  était  gravé  les  arAoi- 
«  ries  de  Joinviile  :  ses  pieds  étaient  tournés  à  TOrient  ;  on 
cr  ne  le  voyait  pas  aisément,  attendu  qu'une  boiserie  de  la 
a  chapelle  qui  en  séparait  le  chœur  en  dérobait  une  partie, 
a  et  que  d'ailleurs  à  dix-huit  pouces  environ  au-dessus  du- 
cr  dit  mausolée  on  avait  immédiatement  construit  une  ar- 
«  moirie  dans  laquelle  était  renfermé  le  précieux  trésor 
«  du  chapitre.  Au  reste,  ce  mausolée  est  le  seul  de  tous 

'  Au  pied  et  an-devant  du  mausolée  était  le  caveau  de  la  Maison  de 
de  Guise  :  on  y  descendait  par  neuf  marches.  Le  procès-verbal,  fait  en 
1638,  dit  qu^on  trouva  dans  ce  caveau,- au-dessons  du  vieux  pavé,  Imit 
cercueils  en  plomb,  un  en  cuivre ,  et  un  cœur  en  plomb.  Sur  celui 
de  Claude  de  Lorraine  J^épitaphe  qui  relate  Ténumération  de  ses  titres 
et  dignités  porte  :  «  Claade..  lequel  trespassa  à  Joinviile  par  poison, 
le  douzième  jour  d'avril  Tan  1550.  »  Une  autre  épitapUe  concerne 
«I  Louis  de  Lorraine ,  duc  de  Joyeuse  et  d'Angoulème,  prince  de  Join- 
viile, sénéchal  héréditaire  de  Champagne,  etc.,  blessé  au  bras  droit  en 
venant  au  secours  d'Arras,  et  mort  à  Paris  le  27  septembre  1654,  âgé  de 
trente-deux  ans  huit  mois  et  quatorze  jours.  »^  Les  épitaphes  suivantes 
concernent  :  Henri  II  de  Lorraine ,  fils  de  Charles  de  Lorraine ,  duc  de 
Guise,  de  Joinviile,  etc.,  mort  le  2  juin  1664,  — Louis-Joseph  de  Lor- 
raine, duc  de  Guise,  de  joyeuse,  d^Angoulème,  prince  de  Joinviile,  etc., 
mort  de  la  petite  vérole  le  30  juillet  1671,  âgé  de  vingt  et  un  ans.  —  Une 
épitaphe  séparée,  mais  placée  à  c6té  du  troisième  cercueil,  porte  Pindi- 
cation  suivante  :  Franciscus  a  Loiheringia,  Joinviile  princeps, 
Caroli  ducis  Guisiâe  et  Henridx  Catharinx  a  Joyeusa,  œtatis  stug 
vigesifno  septimo  Florentix  die  septimo  mensis  novembris  mille» 
simo  trigesimo  nono.  On  croit  que  le  tombeau  placé  à  côté  de  celui 
de  Claude  de  Lorraine  est  celui  de  Charles  de  Lorraine,  fils  de  Henri 
le  Balafré  (  ms.  des  pièces  appartenant  à  M.  Lemoine). 


ET  £PITAPB£S.  tXXXI 

«  ceux  de  notre  église  qui  n'ait  pas  été  violé  au  mois  de 
«  novembre  1792,  lors  de  l'irruption  sacrilège  dont  je 
«  parlerai  ci-dessous ,  attendu  qu'il  ne  fut  jamais  possible 
«  de  découvrir  son  ouverture  '.  » 

Suit  la  description  dudit  trésor  où  était  renfermée,  dans 
un  vase  d'argent  doré,  la  ceinture  de  saint  Joseph,  époux 
de  la  sainte  Vierge,  rapportée  de  la  Terre-Sainte  par  le  sire 
de  Joinville.  Cette  ceinture  était  enveloppée  dans  un  étui 
d'étoffe  d'argent  brodée  par  les  religieuses  ursulines  dé 
Celles  en  Berry.  Le  père  Dom  Pierre  Masson ,  dit  de  Sainte- 
Catherine,  religieux,  et  visiteur  de ^' ordre  des  Feuillants, 
en  fit  présent  à  l'église  de  Saint- Laurent  *. 

En  1639,  on  trouva  Tépitaphe  suivante  placée,  dit-on, 
sur  la  tombe  du  sire  de  Joinville,  près  du  grand  autel. 

Elle  est  inscrite  sur  TObituaire  de  l'église  collégiale  de 
Saint-Laurent ,  et  'j'en  dois  une  copie  à  l'obligeance  de 
M.  Lemoine.  Le  texte  de  l'Obituaire  qui  la  précède  est 
écrit  en  caractère  gothique  dont  la  forme  semble  indiquer 
une  époque  contemporaine  à  celle  où  vivait  Joinville  : 

Decembris. 
Obiit  nobilis  doniis  dominus  Johannes  de  Joinvilla  et  doua 
Aelidis  ejus  uxor,  dna  de  RinellOj  qui  dederunt  nobis  pro  eorum 
anniversario  hac  die  annuatim  celebrari  duodecim  sextarios  avene 


'  ProcèS'VerbaU 

»  Cette  ceinture  existe  encore  dans  Téglise  Notre-Dame  de  Join- 
ville. On  vient  de  la  renfermer  dans  un  reliquaire  gothique  en  cuivre 
doré,  donné  par  M.  Lemoine,  horloger  à  Joinville.  Je  possède  unç 
copie  de  la  lettre  écrite  par  le  père  Masson ,  dit  de  SalnterCatheiine, 
datée  de  Joinville  19  septembre  1667,  constatant  la  remise  d'un  ou» 
vrage  très-beau  et  très-riche  pour  mettre  et  enehéisser  la  relique 
de  la  ceinture  de  saint  Joseph ,  laquelle  repose  au  trésor  de  l'é- 
glise Saint-Laurent, 


LXXXII  TOMBSAU 

singulis  amis  capiendos  in  terragiis  de  FerrariU,  Ilem,  idem 
dnus  dédit  nobis  immortales  tabulas  cum  quibusdam  Reliquiis 
quas  apportavit  de  Terra^Sancta, 

Une  main  beaucoup  plus  moderne  a  ajouté  ce  qui  suit 
à  rObituaire  : 

Prxsertim  zona  sancti  Joseph  quas  in  nostra  JScclesia  summa 
celebritate  ac  veneratione  coliiur, 

D.  O.  M. 

Quisquis  es ,  aut  dm ,  ant  Tiator, 

Adsta  f  ut  lugeas ,  ut  legas  ; 

Nosti  quem  nunquain  Tidisti , 

Terris  datum  anno  Dni  1214  (1224)  ;  cœlo  natum  1319  : 

Nomine,  yirtute,  scriptis ,  fama  nondum  mortuiun  : 

Polo  utiquc  immortalem  et  solo, 

Dominum  D.  Joannem  de  Joniuilla, 

Magnum  olim  Canipaniae  senescallum  ; 

In  bello  (ortissimuin ,  in  pace  aequissimum, 

In  utroque  maximum  :  * 

Nunc  ossa  et  cineres. 

Les  lignes  suivantes  rapportées  par  le  père  Merlin  ne 
se  trouvent  point  à  i'Obituaire  : 

Tanti  Yiri  animam  in  cœlis  viventem  Immortales  amant. 
Corpus  in  terra  superstites  mortales  colunt  > 

Ingenium  candidum ,  affabile  et  amabile, 

LudoTico  régi  sanctissimo  gratissimum ,  ^rincipibus  laudatissimum , 
Galiiœ  utilissimum ,  patri»  suae  perhonorificentissimum , 
Immortales  amant ,  mortales  colunt ,  omnes  honorant. 
Nos  Zona  sancti  Josephi  e  Terra-Sancta  asportata  ab  eo  féliciter  donati, 
Domino  subditiv  aves  nostrati ,  amici  munerario» 
Indytis  corporis  ejus  exuviis ,  cinerumque  reliquiis 
Ruitunim  nunquam  amotis  fidelissimi,  amantissimœque  fîdei  monu- 
roentum. 

MM  :  LL  :  PP  S. 

Plura  ne  explora,  sed  plora  et  ora,  ac  abi  obituru^. 

Requiescat  in  pace. 


ET  EP1TAPHES.  tlXXlII 

Quoique  les  bénédictins,  en  insérant  dans  VÀrt  de  vérifier 
les  dates  cette  inscription  déclamatoire,  n'aient  élevé  ancun 
doute  sur  son  authenticité,  les  éditeurs  du  Recueil  des  His- 
foriens  des  Gaules  la  regardent  comme  fabriquée  postérieure- 
ment, et,  suivant  toute  apparence,  en  1 639,  à  Tépoque  même 
où  elle  fut  publiée.  On  l'attribue  au  P.  Marteau. 

Maintenant ,  d'après  cet  Obituaire,  on  peut  établir  une  dis- 
tinction entre  les  deux  parties  de  l'épîtaphe.  La  première  doit 
être  considérée  comme  ancienne  ;  la  rédaction  de  la  seconde 
peut  étire  attribuée  au  P.  Marteau. 

Ces  tombeaux  et  ceux  des  princes  de  Lorraine,  qui  avaient 
succédé  aux  sires  de  Joinviile,  furent  respectés  jusqu'à  l'époque 
de  la  Révolution.  «  Lorsqu'on  jetait  au  vent  à  Saint-Denis  les 
cendres  de  saint  Louis,  celles  de  son  ûdèle  serviteur  devaient 
éprouver  le  même  sort.  »  Dans  la  nuit  du  19  au  20  novembre 
1792,  par  ordre  du  ministre  de  la  guerre  Bouchotte  ' ,  le  di« 
rectoire  du  district  fit  ouvrir  les  caveaux  de  l'église  de  Saint- 
Laurent,  arracha  les  cadavres  de  leurs  cercueils  en  plomb,  et, 
pendant  la  nuit^  les  fit  jeter  dans  une  fosse  commune.  Dès  que 
le  peuple  apprit  ce  sacrilège,  il  manifesta  son  indignation  par 
un  soulèvement  général  y  il  se  porta  en  foule  à  la  maison 
conmiune;  plusieurs  courageux  citoyens^  Fabre  menuisier  à 
leur  tête,  osèrent  reprocher  aux  membres  du  Directoire  «  d'a- 
Yoir  exhumé  secrètement  et  sans  appareil  de  religion  les  osse- 
ments des  princes  de  JoinviHe,  et  fait  déposer  les  dits  ossements 
dans  le  cimetière  au  rang  de  simples  particuliers;  ils  deman- 
dèrent impérieusement  qu'on  procédât  sans  retard  à  une  autre 
exhumation ,  qu'elle  se  Ht  avec  pompe ,  avec  un  détachement 
de  garde  nationale  >.  » 

Une  réunion  générale  des  membres  de  la  commune  fut 

1  «  L'intention  àe  nos  législateors ,  en  ordonnant  le  renversement  des 
tombeaux  de  nos  anciens  tyrans,  a  été  de  détruire  toute  superstition  aris- 
tocraUque  ;  votre  patriotisme  vous  fera  un  devoir  d'en  user  de  même  à 
l'égard  des  monuments  de  cette  espèce  dans  votre  département ,  et  Je 
me  repose  sur  votre  vigUance  pour  la  prompte  exécution  de  ces  mesures* 

—  BODCHOTTE.  » 

•^  Procès-verbal  du  20  nov.  1792.  M.  Fériel,  Notice  tur  le  sire  de  JoinvUle, 


I<^XXIV  TOMBEAU   ET  BPITÀPHES. 

convoquée  ;  mais  Tirritation  populaire  ne  fit  qu'augmenter  et 
la  garde  nationale  en  armes  pénétra  dans  la  salle.  L'agitation^ 
parvenue  à  son  comble ,  ne  comjnença  à  s'apaiser  que  quand 
on  eut  obtempéré  à  toutes  les  demandes.  Le  27  novembre, 
l'exhumation  se  fit  avec  respect  et  décence  ;  un  convoi  nom- 
breux accompagna  ces  restes  des  bienfaiteurs  du  pays  à 
l'église  Notre-Dame  où  un  service  funèbre  fut  célébré  ;  les 
ossements  furent  ensuite  déposés  dans  le  cimetière  paroissial. 

La  pierre  funéraire  qui  était  placée  sur  le  mausolée  de 
Joinville  le  représente  de  grandeur  naturelle ,  à  ce  que  Ton 
croit,  et  alors  il  aurait  eu  près  de  six  pieds  de  haut  ;  les  osse- 
ments trouvés  dans  son  tombeau  en  1626,  selon  un  manuscrit 
du  milieu  du  dernier  siècle,  indiquent  que  sa  tête  était  fort 
grosse  ,  et  que  sa  taille  avait  près  de  six  pieds.  D'après  le 
dessin  qui  a  pani  pour  la  première  fois  en  1807  dans  l'édi- 
tion de  la  traduction  anglaise  des  Mémoires  de  Joinville,  il 
est  représenté  couvert  de  la  tête  aux  pieds  d'une  cotte  de 
mailles,  par-dessus  laquelle  on  voit  une  tunique  sans  manches; 
le  casque  aussi  est  à  mailles  ;  son  épée  est  attachée  à  son 
ceinturon,  et  à  son  hras  gauche  est  suspendu  son  écu  aux 
armes  de  Joinville;  ses  deux  mains  jointes  indiquent  la  prière, 
et  ses  pieds  chaussés  de  l'éperon  reposent  sur  un  chien,  em- 
blème de  la  fidélité.  A  droite  et  à  gauche  de  sa  tête  sont  deux 
anges  ailés,  tenant,  l'un,  des  plumes  et  un  cahier  à  écrire, 
Tautre,  une  écritoire  et  un  livre  relié. 

Quoique  nous  possédions  une  copie  de  ce  dessin  à  la  Bi- 
bliothèque impériale  de  Paris^  j'avoue  que  je  n'ai  pas  une  en- 
tière confiance  dans  son  exactitude  rigoureuse ,  surtout  en  ce 
qui  concerne  les  accessoires.  Si  dans  les  manuscrits ,  même 
anciens^  on  voit  souvent  l'aigle  (attribut  de  saint  Jean)  tenant 
dans  son  bec  une  éoritoire,  et  saint  Jean  un  calamus  ou  une 
plume  à  la  main  ;  ces  mêmes  attributs,  placés  entre  les  mains 
d'anges  qui  tiennent  en  outre  un  livre  à  la  main ,  ne  me  pa- 
raissent pas  d'accord  avec  les  représentations  figurées  au  com- 
mencement du  quatorzième  siècle ,  et  ne  pourraient  qu'indi- 
quer une  sculpture  exécutée  postérieurement. 


m 


n 


lÊ) 


V. 


CHATEAU  DE  JOINVILLE. 


Le  château  n^existe  plus  ;  les  buissons  et  les  ronces 
couvrent  maintenant  la  colline  que  dominait  le  manoir 
féodal  des  sires  de  Joinville. 

Le  dessin  c[ui  s'en  est  conservé  nous  en  donne  une  exacte 
représentation  ;  et  cette  vue  accroît  les  regrets,  quand  on 
pense  que  la  destruction  de  ce  beau  château  qui  s'était 
conservé  huit  cents  ans,  ne  date  que  d'un  demi-siècle. 

Le  château  de  Joinville  fut  fondé  au  onzième  siècle  par 
le  comte  Ëstienne,  qui  vivait  sous  le  règne  de  Robert,  flls 
de  Hugues  Gapet.  On  lit  dans  la  Chronique  d'Albéric 
des  Trois-Fontaines ,  à  Tannée  1055  :  Ipse  Stephamis 
primus  casirum  de  Jovevilla  inchoavit^.  Un  acte  posté- 
rieur à  Tan  de  1028  qualifie  cet  Estienne  de  haut  et  puis- 
sant seigneur;  un  autre,  de  vir  valentiœ  potentiœ. 

En  l'an  1035  le  château  fut  reconstruit ,  et  en  1090 
Geoffroi  II  contribua  à  son  embellissement. 

Ses  successeurs,  et  surtout  Jean  sire  de  Joinville,  en  ac- 
crurent les  fortifications;  ils  y  ajoutèrent  de  nouvelles 
constructions,  ainsi  que  la  chapelle  attenante  au  château. 

'  Voir  r Essai  sur  la  généalogie  du  sire  de  Joinville,  ms.  1054. 

LXXIY  h 


IXXXVI  CHATEAU  DE  JOINVILLE. 

En  1360,  le  château  de  Join ville  fut  pillé  par  l'armée 
des  Tard-Venus  ou  Malandrins  %  composée  des  gens  de 
guerre  qui  s'étaient  débandés  après  la  paix  de  Brétigny. 

En  1364,  Brocard  de  Fenestranges,  mécontent  de  la 
solde  qu'il  avait  reçue  au  service  du  roi  de  France,  ravagea 
la  Champagne.  Son  parent,  le  comte  de  Vaudemont,  le  fit 
prisonnier  et  le  retint  dans  le  château  de  Joînville.  C'est 
alors  qu'un  incendie  détruisit  la  chapelle  du  château ,  où 
étaient  déposées  les  chartes  de  l'église.  Deux  cartulaires 
de  l'église  collégiale  de  Saint-Laurent  furent  anéantis  : 
l'un  remontait  à  l'année  1260;  l'autre  commençait  à 
Tannée  1364. 

En  1546,  le  duc  de  (ruise  reçut  à  Joinville  le  roi  Fran- 
çois I^',  qui  y  passa  les  fêtes  de  la  Toussaint. 

Le  30  juin  1554,  la  ville  fut  incendiée  par  Charles- 
Quint,  soit  pour  venger  la  niort  du  prince  d'Orange,  tué 
au  siège  de  Saint-Dizier  d'un  coup  de  couleuvrine  qu'ua 
prêtre  lui  tira  de  la  totir  de  l'église ,  soit  par  haine  contre 
François^  duc  de  Lorraine,  qui  l'avait  forcé  de  lever  le 
siège  de  Metz.  Le  château  résista,  mais  l'église  de  Saint- 
Laurent  fut  incendiée,  et  l'écusson  de  Geoffroy,  surnommé 
Trouillard^  que  son  neveu  le  sire  de  Joinville  y  avait 
placé  après  l'avoir  rapporté  de  Saint-Jean  d'Acre ,  fut  en- 
levé par  Charles-Quint. 

;    Pour  réparer  les  calamités  de  la  guerre,  Claude  de 
Lorraine,  sire  de  Joinville ,  obtint  l'exemption  de  tailles 

'  Dans  la  Description  de  Joinville  en  V Estât  oà  on  la  voit  à 
présent  ftûB.  1054,  p.  106,  il  est  ditqu^après  la  paix  deBrétiguy,  parmi 
les  bandes  qni  dévastèrent  le  pays,  celle  qui  fat  nommée  Tard-Venus 
Vempara  de  la  ville  de  Joinville,  où  tous  ceax  du  pays  avaient  déposé 
leurs  richesses,  et  que  le  butin  fut  de  plus  de  cent  mille  livres;  ils 
extorquèrent  en  outre  vingt  mille  livres  pour  sortir  du  pays. 


CHATEAU  DE  JOINYILLE.  LXXXYII 

et  dMmpôts,  et  il  abandonna  pendant  la  première  année  la 
totalité  de  ses  revenus,  dépassant  30,000  livres  ;  la  moitié 
pendant  la  seconde  année,  et  le  tiers  pendant  la  troisième. 

«  En  1639,  le  ]  9  août,  Louis  XIII  passa  à  Joinville  avec 
«  le  cardinal  de  Bichelieu.  Celui-ci  monta  au  château , 
«  admira  les  mausolées  et  tombeaux  des  princes ,  les  reli- 
«  ques  de  l'église  Saint-Laurent,  notamment  la  ceinture 
«  de  saint  Joseph ,  le  chef  de  Jean  de  Joinville  et  une  table 
«  en  plate  peinture,  qui  est  une  des  belles  pièces  que  l'on 
«  puisse  voir.  Le  roi  et  le  cardinal  furent  fort  contents,  et 
«  le  témoignèrent  S  » 

Plus  tard ,  les  anciennes  constructions  du  château,  celles 
de  réglise  de  Saint-Laurent  et  les  fortifications,  furent  ré- 
tablies, et  s'étaient  conservées  jusqu'en  1747,  presque  en- 
tièrement les  mêmes  qu'au  temps  de  Joinville.  On  en  peut 
juger  par  le  plan  dressé  à  cette  époque  pour  les  archives 
de  la  maison  d'Orléans.  Nous  le  reproduisons  d'après  le 
dessin  qui  est  au  cabinet  des  estampes  de  la  Bibliothèque 
impériale. 

Le  27  avril  1791,  le  duc  d'Orléans  (Philippe-Egalité) 
fit  vendre  les  bâtiments  du  château ,  à  la  condition  qu'ils 
seraient  démolis  '.  Cet  ordre  à  jamais  regrettable  fut  exé- 
cuté, et  le  biau  castel  si  cher  au  cœur  de  Joinville  s'écroula 
sous  des  mains  sacrilèges.  Parmi  nos  monuments  histori- 
ques ,  aucun  n'aurait  mieux  mérité  d'être  conservé  avec 
un  pieux  respect. 

'  Extrait  du  livre-jonmal  dans  le  recueil  appartenant  à  M.  Lemoine. 

*  Son  mandataire  était  M.  de  Boncerf.  Le  château  fut  adjugé  aux  ci- 
toyens Berger  et  Passerat,  au  prix  de  6,000  livres  pour  les  matériaux 
et  1,500  livres  pour  le  terrain  (acte  du  27  avrU  1791  ). 


VI. 


DES  MANUSCRITS  DES  HÉMOIRES 


DE  JOINVILLE. 


Les  manuscrits  de  Joinville  et  ceux  de  YilleHardouin 
sont  peu  nombreux ,  tandis  que  les  Chroniques  de  Frois- 
sarty  quoique  beaucoup  plus  volumineuses,  se  sont  multi- 
pliées, embellies  de  miniatures  9  et  forment  encore  aujour- 
d'hui le  plus  bel  ornement  de  nos  bibliothèques  :  ce  qui 
prouve  que  les  récits  de  ce  chroniqueur)  par  cela  peut-être 
qu'ils  sont  moins  vrais  et  moins  sérieux,  étaient  préférés 
par  nos  pères  à  ceux  plus  sévères  des  deux  historiens  cham- 
penois. Cependant  Tidiome  de  Ville-flardouin  et  de  Join- 
ville est  celui  que  Ton  parlait  alors  à  la  cour  de  France: 
et  les  grands  événements  que  nous  retracent  leurs  histoires 
ne  le  cèdent  en  intérêt,  ni  aux  narrations  un  peu  fardées 
de  Froissart,  ni  aux  fictions  des  romans  de  chevalerie. 

Le  plus  ancien  manuscrit  des  Mémoires  de  Joinville  dont 
il  soit  fait  mention  est  celui  qui  est  désigné  dans  l'inven- 
taire de  la  Bibliothèque  du  roi  de  France  Charles  V,  inven- 
taùre  dressé  en  1 373  par  son  valet  de  chambre ,  Gilles  Mal- 
let,  garde  de  sa  librairie.  Ce  manuscrit  était  donc  anté- 
rieur à  la  date  authentique  que  porte  l'inventaire ,  où  il 
est  ainsi  désigné  : 

LXXXTIII 


D£S   M.ANUSCR1TS   DE  JOINVILLE.  LXXXIX 

a  Une  grande  partie  de  la  vie  et  des  feiz  de  monsieur 
a  saint  Loys ,  que  fit  faire  le  sire  de  Joinville ,  très-bien  es- 
«  cript  et  historié^  couvert  de  cuir  rouge  à  emprains,  à 
€c  fermoires  d'argent.  x> 

Le  roi  René  de  Sicile,  au  quinzième  siècle,  possédait  un 
manuscrit  des  mémoires  de  Join ville,  qui  fut  transporté  à 
Beaufort-en-Yallée ,  petite  ville  d'Anjou  »  où  il  se  trouvait 
encore  au  seizième  siècle.  C'est  ce  manuscrit  qui  servit  à 
rédition  première  imprimée  à  Poitiers  en  1547 ,  par  Jehan 
et  Enguilbert  de  Mamef  frères.  Antoine  Pierre  de  Rieux 
en  fot  réditeur. 

Auparavant,  en  1540,  la  duchesse  de  Guise,  Antoinette 
de  Bourbon,  fille  de  François  de  Bourbon,  comte  de  Yen- 
dôme,  mariée»  en  1513,  à  Claude  de  Lorraine,  premier 
duc  de  Guise  et  seigneur  de  Joinville,  avait  communiqué 
à  Louis  Lasseréy  chanoine  de  Saint-Martin  de  Tours,  et 
proviseur  de  la  maison  de  Navarre ,  un  manuscrit  de  This- 
toire  de  Join  ville,  dont  Lasseré  donna  en  1541  un  abrégé 
concernant  Thistoire  de  saint  Louis  '. 

En  1584  ,  Lacroix  du  Maine  possédait  une  copie  de 
a  ce  manuscrit,  laquelle,  dit-il,  nous  avons  par  devers  nous 
en  langage  françois  usité  pour  lors  * ,  »  c'est-à-dire  en  un 
langage  qu'il  supposait  conforme  à  celui  du  temps  de  saint 
Louis. 

En  1616  j  un  autre  manuscrit  fut  découvert  à  Laval 
parmi  des  papiers  appartenant  à  un  ministre  calviniste. 
Ce  manuscrit  est  mentionné  par  Menard  dans  la  préface 
de  son  édition  àe  Joinville. 

Dans  Taddition  à  sa  dissertation,  M.  Bimard  de  la  Bastie 

*  Il  fait  suite  à  Thistoire  de  saint  Jérôme. 

^  Biblioth./ranç.,  t.  II,  p.  522. 

h» 


IG  DES  MANUSGfilTS  DES  MÉHOIBES 

mentionne  un  manuscrit  découvert  à  Lucques  par  Sainte- 
Palaye.  Gomme  il  avait  appartenu  à  la  famille  des  Guises , 
il  en  concevait  de  grandes  espéranees.  La  Bibliothèque 
Royale  en  fit  l'acquisition  trois  ans  après  (en  1741),  au 
prix  bien  modique  de  300  livres;  mais  ce  manuscrit  %  dont 
la  couverture  portait  les  armes  d'Antoinette  de  Bourbon, 
parait  être  le  même  que  celui  dont  cette  duchesse  donna 
communication  à  Lasseré;  il  ne  remonte  pas  au  delà  de 
1500.  Le  style  est  conforme  à  celui  de  Tépoque  de  Fran- 
çois l^',  et  plusieurs  termes,  usités  dans  le  seizième  siècle  ,> 
servent  d'interprétation  à  d'autres  plus  anciens  en  usbge 
au  temps  de  saint  Louis,  ce  qui'prouve  que  ce  manuscrit 
doit  être  une  copie  modifiée,  quant  au  style  et  à  l'orthogra-* 
phe,  d'après  un  plus  ancien  texte.  La  première  partie  con- 
tient l'histoire  de  Joinville ,  la  seconde,  celle  de  Philippe- 
Auguste.    L'écriture  en  est  très-belle,  et  la  précieuse 
miniature  qui  occupe  en  entier  la  première  page,  représente 
Joinville  offrant  son  livre  à  Louis  le  Hutin  entouré  de  sa 
cour.  Six  autres  belles  miniatures  renrichissent. 

Le  plus  précieux  de  tous  est  le  manuscrit  que  possède 
notre  Bibliothèque  Impériale  (n®  2016  du  Supplément  fran- 
çais }  qui  fut  rapporté  de  Bruxelles  par  le  maréchal  de  Saxe. 
L'écriture ,  l'orthographe  et  le  style  de  la  miniature  qui 
est  en  tète,  ont  fait  croire  aux  savants  éditeurs  du  Recueil 
des  Historiens  dé  France  qu'il  pourrait  être  Toriginal 
lui-même.  La  date  consignée  à  la  fin  porte  :  a  Ce  fu 
escript  en  l'an  de  grâce  milccc  et  ix  (  1309],  ou  moys 
doctoure.  » 

«  Ce  livre,  disent-ils,  tom.  XX,  p.  305,  n'est  pas  seu- 

*  Coté  n?  206 ,  Supplément  français. 


DE  JOINVILLB.  XCI 

a  lement  Ton  des  plus  précieux  monuments  de  notre  his- 
a  toîre,  il  est  aussi,  dans  la  plus  ancienne  copie  qu'on  en 
«  possède,  Tun  des  monuments  les q^lus instructifs  de  la 
c(  languefrançaise,  tant  parlée  qu'écrite,  à  la  fin  du  treizième 
a  siècle  ou  à  l'entrée  du  quatorzième.  » 

Nous  n*osons  pas  aitlrmer  que  ce  manuscrit  remonte  à 
une  antiquité  aussi  reculée  ;  mais,  à  en  juger  par  récriture , 
par  le  style  de  la  miniature  et  par  les  différences  assez 
sensibles  entre  le  langage  et  l'orthographe ,  lorsqu'on  les 
compare  aux  documents  authentiques  de  la  même  époque , 
on  peut  affirmer  que  tout  concourt  à  lui  assigner  une  date 
qui  né  saurait  être  postérieure  à  la  fin  du  quatorzième  siècle. 

Il  serait  à  désirer  qu'un  fac  simile  exécuté  par  la  pho-r 
tographie,  ou  par  l'habileté  des  calligraphes  qui  savent  re- 
produire les  anciens  manuscrits,  à  s'y  méprendre^  mit  à 
l'abri  d'un  accident  ce  monument  unique  et  si  précieux. 
Sa  perte  serait  irréparable  et  nous  mériterait  les  justes 
reproches  de  la  postérité. 


VIL 

DES  ÉDITIONS  DES  MÉMOIRES 

DE  JOINVILLE. 


La  première  édition  de  la  Vie  de  saint  Louis  par  Joinville 
fut  imprimée  à  Poitiers,  en  154  6,  par  Jean  et  Enguilbertde 
Marnef,  de  format  petit  in-4**  ;  elle  est  dédiée  à  François  P*", 
et  le  privilège  est  daté  de  1545.  L'éditeur,  Antoine  Pierre 
de  Bieux ,  dit  qu'ayant  visité,  en  1 542^  dans  le  pays 
d* Anjou  y  quelques  vieux  registres  du  roi  René  de  Sicile, 
cuidant  y  rencontrer  quelque  antiquité  dont  il  avoit  été 
amateur,  il  trouva  parmi  les  manuscrits  la  Chronique 
du  roi  Louis  y  escripte  par  un  seigneur  de  Joinville ,  se- 
néchal  de  Champagne,  qui  estoit  de  ce  temps-là  et  avoit 
accompagné  ledit  saint  Louis  en  toutes  ses  guerres;  mais 
parce  que  l'histoire  étoit  un  peu  mal  ordonnée  et  mise  en 
langage  assez  rude,.*,ay  icelle  veue,  au  moins  mal  qu'il 
nCa  été  possible^  et  l'ayant  polie  et  dressée  en  meilleur  ordre 
qu'elle  n' estoit  auparavant,  pour  donner  grande  cognois- 
sance  des  grands  et  vertueux  faits  de  la  très-chrestienne 
maison  de  France,  ay  icelle  voulu  mettre  en  lumière  '• 

'  Dans  ravis  au  lecteur,  Guillaume  de  Laperrière  s'étonne  «  qne  nous 
soyons  si  curieux  de  nous  enquérir  si  soigneusement  délire  les  histoires 

.     xcii 


DES  EDITIOJNS  DE  JOIN VILLE.  XCIII 

Ainsi,  paruDe  sorte  d'aberration  d'esprit  et  par  an  funeste 
désir  d'améliorer  les  Mémoires  de  Joinville,  le  style  et 
Tordre  de  la  narration  ont  été  détériorés  dans  cette  première 
édition  ;  et,  après  plus  deux  cents  ans,  i'éditear  crut  rendre 
service  au  public  et  à  Fauteur  en  rajeunissant  ce  qu'il 
croyait  être  un  peu  mal  ordonné  et  mis  en  langage  assez 
rude.  C'est  ainsi  que  jusqu'au  commencement  de  ce  siècle 
nous  avons  vu  tant  de  beaux  édifices  du  moyen  Âge  dé- 
figurés par  de  malencontreux  architectes  pour  les  rendre 
plus  élégants. 

C'est  d'après  cette  édition  qu'Ëstienne  Pasquier  cite 
deux  passages  concernant  Join ville;  l'un  d'eux ,  évidem- 
ment interpolé ,  n'a  plus  été  reproduit  dans  les  éditions 
postérieures. 

des  nations  estrapges,  grecques ,  latines  et  iNirbares,  et  négligeons  de 
lire  nos  histoires  domestiques  de  notre  dimat  et  nature.  En  quoy  nous 
faisons  grand  fauite  :  d'autant  que  tout  ainsy  (comme  dit  Cicero)  quMl 
est  folie  et  réprouvée  curiosité ,  d'aller  acquérir  honneur  en  pays  es< 
trange,  quand  on  le  peut  acquérir  en  sa  cité  ou  république*  semhlable- 
ment  est.  chose  superflue  chercher  les  exemples  estranges,  quand 
nous  en  avons  des  nostres  à  suffisance.  Attendu  mesmement  que  les 
exemples  plus  proclutms  ont  en  nous  plus  d'énergie  et  d'efficace  que 
les  loingtains.  Oultre  que  la  mémoire  des  nostres  et  domestiques, 
porte  plus  de  contentement  à  nostre  esprit,  que  celle  des  estranges 
et  forains.  Tant  de  raisons  ne  peuvent  encore  suffire ,  que  nous  ne 
délaissions  nos  histoires  originaires  pour  lire  les  aultres.  » 

Après  avoir  énuméré  des  hauts  faits  de  nos  rois  et  princes,  et  les  avoir 
eomparés  à  ceux  des  Grecs  et  des  Romains,  Antoine  de  Rienx  signale 
les  vertus  de  saint  Louis ,  et  recommande  au  lecteur  ce/ui  gui  le  pre- 
mier mit  en  champ  de  publication  V Histoire  de  saint  Louys  par 
Joinville,  pour  le  profit  et  utilité  publique.  «  Ce  n'est  pas,  dit-il, 
moindre  louange  de  bien  polir  un  diamant  ou  ung  aultre  pierre  fine  que 
delà  trouver  toute  brute,  pareillement  ne  doibz  pas  attribuer  moindre 
louange  au  présent  autheur,  d'avoir  réduit  en  bon  ordre  et  élégant  style, 
la  présente  histoire ,  qu'à  celui  qui  en  fut  premier  compositeur.  » 


XCIV  DES  ÉDITIONS   DES   MEMOIBRS     ' 

En  1 609,  le  libraire  Guillemot  donna  une  autreédition  des 
mémoires  de  Joinville,  mais  qui  ne  vaut  guère  mieux  que 
celle  de  Poitiers,  dont  elle  est  la  reproduction.  Deux  réim« 
pressions  en  furent  fedtes  à  Genève  en  1595  et  1596,  in-l2« 

Qnquante  ans  après  la  première  édition,  parut  la  se- 
conde édition  de  THistoire  de  saint  Louis  par  Joinville) 
en  1617,  format  in-4^.  Le  nouvel  éditeur,  Claude  Menard^ 
lieutenant  en  la  prévôté  d'Angers ,  dit  qu'ayant  trouvé  à 
Laval  un  ramas  de  vieux  papiers  échappés  des  ravages 
que  les  protestants  avaient  faits  dans  quelques  monastères 
de l' Anjou ^W  compara cespaperaces  (c'est  ainsi  qu'il  les 
nomme)  avec  l'édition  d'Antoine  Pierre  de  Rieux,  et  s'a- 
perçut bientôt  par  la  différence  du  style,  bieaucoup  plus 
ancien  dans  son  manuscrit,  combien  l'éditeur,  son  prédéces- 
seur, avait  changé  l'ancienne  manière  d'écrire  de  Join  ville. 

Menard  promit  donc  de  donner  un  texte  tout  autre 
que  celui  d* Antoine  Pierre  de  Rieux ^  et  de  rendre  à  Vhis^ 
toire  de  Joinville  son  premier  étatj  proclamant  d'ailleurs 
que  rendre  méconnaissable  un  auteur  par  les  altérations 
qu'on  ose  y  apporter,  c'est  un  attentât.  Malheureusement, 
il  parait  que  ces  paperasses  n'étaient  que  des  copies  plus 
ou  moins  imparfaites,  et  déjà  revues  et  rajeunies,  à  en 
juger  du  moins  par  le  style,  a  Toutefois  on  doit  beau- 
ce  coup  de  reconnaissance  à  Menard  de  nous  avoir  fait 
«  connaître  ou  d'avoir  indiqué  d'anciens  et  importants 
a  monuments  pour  l'histoire  de  saint-Louis.  Nous  lui 
A  sommes  redevables  de  la  première  ébauche  qui  ait  été 
u  tracée  de  la  descendance  du  sire  de  Joinville,  de  la  Vie  de 
«  saint  Louis  par  Geoffroy  de  Beaulieu ,  des  actes  de  sa 
c  canonisation ,  et  de  la  déclaration  qui  en  fut  faite  au 
a  monde  chrétien.  » 


DE  J0INV1LLE.  XCV 

En  1657,  une  traduction  espagnole ,  faite  par  Jacques 
Ledei ,  parut  à  Tolède  in-folio.  Elle  fut  réimprimée  in-4''  à 

Madrid,  en  1794. 

* 

La  traduction  latine  du  père  Stiiting  est  insérée  dans  la 
collection  des  Bollandistes*. 

En  1668,  du  Gange  donna  une  troisième  édition  de  Join- 
ville.  Au  moyen  de  pièces  historiques  qu'il  compulsa  à  la 
Chambre  des  comptes,  il  put  éclaîrcir,  dans  ses  dissertations, 
bien  des  points  relatifs  à  saint  Louis  et  à  Thistoire  de  Join- 
ville;  mais  malgré  toutes  ses  recherches ,  dans  lesquelles  il 
fut  secondé  par  M.  Dupuy,  garde  de  la  Bibliothèque  du  Roi, 
il  n^en  put  découvrir  aucun  manuscrit.  Il  dut  donc  se 
borner  à  composer  son  texte  de  la  réunion  des  deux  édi- 
tions précédentes,  en  le  rapprochant  le  plus  possible,  au 
moyen  des  deux  textes^  de  celui  que  Ton  pouvait  supposer 
avoir  été  la  rédaction  originale  de  Joinville. 

D'après  Tordre  de  Louis  XV,  le  soin  de  publier  une  nou-^ 
yelle  édition  de  Joinville  fut  confié  à  Melot  par  M.  Bi- 
gnon,  bibliothécaire  du  roi.  La  mort  de  ce  savant^  arrivée 
en  1759,  interrompit  son  travail,  qui  fut  remis  à  Tabbé 
Sallier,  érudit  et  littérateur  non  moins  habile;  mais,  après 
deux  ans  de  travaux,  la  mort  vint  encore  arrêter  la  con- 
tinuation de  Touvrage ,  qui  fut  enfin  achevé  par  Cap- 
peronnier. 

Dans  cette  édition,  qui  parut  en  1761,  le  précieux  ma- 
nuscrit de  notre  Bibliothèque  a  été  religieusement  res- 

'  Une  petite  édition  in-12  a  été  publiée  en  1666  chez  Manger;  c'est 
une  compilation  de  l'histoire  de  saint  Louis  et  des  mémoires  de  Join- 
ville. Une  partie  de  l'édition  porle  le  nom  de  Jacques  Cottier. 


XCYI  DES  EDITIONS  DES  MÉMOIEES 

pecté.  C'est  ce  texte  qui  a  été  suivi  depuis  dans  les  réim- 
pressions faites,  soit  séparément,  soit  dans* les  différents 
recueils  de  Mémoires  relatifs  à  Thistoire  de  France'  pu- 
bliées par  Boucher,  par  Buchon,  et  par  Michaud  et  Pou- 
joulat  *. 

Une  traduction  anglaise  par  Th.  Johnes  parut  à  Londres 
en  1807,  2  vol.  grand  in-4'*.  Le  traducteur  annonce  qu'il 
a  cru  devoir  préférer  le  texte  de  l'édition  de  du  Gange  à 
celui  de  Capperonnier,  attendu,  dit-il,  que  la  première  jouît 
d'une  plus  grande  réputation  et  que  le  style  est  d'une  lec- 
ture beaucoup  plus  facile  que  Tautre,  qu'il  déclare  presque 
inintelligible.  En  ajouté  à  la  fin  du  texte  sont  les  passages 
qui  ne  se  trouvent  point  dans  l'édition  de  du  Gange.  Gette 
édition,  qui  n'offre  aucune  nouvelle  recherche,  est  une  sim- 
ple traduction  des  Mémoires  de  Joinville,  des  dissertations 
de  du  Gange,  des  extraits  de  manuscrits  arabes  que  Gar- 
donne  a  donnés  dans  l'édition  de  17G1,  des  mémoires  de 
Bimard  de  la  Bastio  et  de  ceux  de  Le  vesque  de  la  Bavalièrew 

Dans  cette  édition  la  gravure  qui  représente  la  statue 
de  Joinville  couchée  sur  un  tombeau  est  conforme  au  des- 
sin livré  postérieurement  à  la  Bibliothèque  impériale  par 
M.  Ghampollion-Figeac,  qui  en  a  aussi  donné  une  repré- 
sentation dans  ses  dissertations  sur  Joinville. 

*  M.  Petitot  «  tout  en  étant  convaincu  que  le  texte  donné  par 
MM.  Melot,  Sallier  et  Capperonnier  se  rapproclie  le  plus  de  l'original,  » 
a  cru  cependant  devoir  préférer  le  texte  donné  par  du  Cange  comme 
étant  d'une  lecture  plus  facile. 

^  11  convient  de  signaler,  comme  addition  à  Terrata de  cette  édition 
une  lacune  à  la  page  231,  colonne  1",  afin  d'éviter  qu'elle  ne  soit  re* 
produite  dans  d'autresréimpressions.  Au  lieu  de:  «  eschappa  le  sire  de 
«  Crancion  {sic).  En  perdidouze  »  etc.,  il  faut  lire  :  «  escbappa  le  sire  de 
Brancion  du  meschief  de  celle  Journée;  que  de  XX  chevaliers  que 
il  avoil  entour  H,  il  en  perdi  douze,  »  etc. 


DE  JOIN VILLE.  XCVII 

Eu  ISSOy  M.  Francisque  Michel  avait  commencé  une 
édition  critique  de  Joinville;  elle  resta  inachevée  \ 

En  1840,  les  savants  éditeurs  du  Recueil  des  Historiens 
des  Gaules  et  de  la  France,  tout  en  suivant  avec  la  même 
exactitude  que  l'avait  fait  Jean  Capperonnier,  le  manuscrit 
n®  2016,  y  ont  joint  en  note  un  plus  grand  nombre  de  va- 
riantes extraites  du  manuscrit  n^  206.  Ils  en  ont  même 
introduit  quelques-unes  dans  leur  texte,  lorsqu'elles  leur 
ont  paru  offrir  la  véritable  leçon  ;  mais  alors  ils  ont  eu  soin 
de  consigner  en  note  la  leçon  du  manuscrit  2016 ,  qu'ils 
avaient  rejetée  de  leur  texte. 

^  M.  Francisque  Michel ,  dont  chacun  connaît  le  savoir,  le  zèle  et 
Pexactitude ,  a  bien  voulu  donner  le  texte  de  cette  nouvelle  édition 
quMl  a  revue  sur  le  manuscrit  2016.  Les  notes  et  les  explications  qu^il 
y  a  jointes  rendront  la  lecture  des  Mémoires  de  Joinville  aussi  facile 
qu'instructive. 


VIII. 


SOURCES  A  CONSULTER. 


Après  avoir  indiqué  les  diverses  éditions  des  Mémoires  de 
Joinville  publiées  jusqu'à  ce  jour,  il  peut  être  utile  de  faire 
connaître  les  sources  et  les  principales  dissertations  historiques 
et  littéraires  qui  se  rattachent  à  Joiuville  et  à  son  histoire. 

I.  yie  de  saint  Louis,  par  le  Confesseur  de  la  reine  Marguerite. 

La  Bibliothèque  impériale  de  Paris  possède  deux  manuscrits 
de  cette  vie ,  écrite  par  le  Confesseur  de  la  reine  Marguerite,  à  la 
demande  de  Blanche,  fille  de  saint  Louis. 

Le  manuscrit  n"*  35t ,  disent  les  éditeurs  du  tome  XX  du 
Recueil  des  Historiens  des  Gaules  (MM.  Daunou  et  Naudet) , 
peut  remonter  aux  années  1310  à  1320  ;  et  en  effet  le  style  des 
deux  miniatures ,  récriture  et  l'orthographe,  confirment  cette 
opinion'. 

D'après  ce  document,  dont  l'authenticité  est  incontestable , 
je  crois  devoir  reproduire  les  passages  qui  concernent  Joinville , 
d'abord  comme  preuve  sur  laquelle  s'appuye  avec  raison  Bimard 
de  la  Bastie  pour  réfiiter  le  paradoxe  du  P.  Hardouin ,  et  aussi 
comme  exemple  du  style  et  de  l'orthographe  de  cette  époque , 
puisque  ce  manuscrit  (n®  351)  remonte  au  temps  où  vivait 

■  Il  porte  maintenaot  le  n*  io,3ii  A;  Tautre  maDUScrit,  moins  aodeD  » 
quoique  cependant  antérieur  à  Tan  I400 ,  est  coté  io,309. 

XCVIII 


SOUBGES  À  CONSULTES.  XCIX 

Joinville.  On  pourra  donc  établir  une  comparaison,  pour  le  style 
et  l'orthographe,  entre  ce  manuscrit  de  la  Fie  de  saint  Louis  et 
le  manuscrit  n°  2016  des  Mémoires  de  Joinville ,  qui,  s'il  n'est 
pas  l'original ,  ne  saurait  être  postérieur  à  Joinville  que  d*un 
demi-siècle  ou  un  siècle,  au  plus. 

A  l'occasion  de  la  canonisation  de  saint  Louis,  le  Confesseur 
de  la  reine  Marguerite  qualifie  ainsi  Joinville ,  qui  comparut 
comme  témoin  dans  l'enquête  faite  alors  : 

«  Monseigneur  Jehan,  seigneur  de  Jeenville,  cheyalia  du 
«  dyocesede  Chaalons,  home  d'avisé  aageet  moût  riche,  sénes^ 
«  chai  de  Ghampaigne,  de  cinquante  ans  ou  environ  *.  » 

Ce  qui  suit  est  conforme  en  grande  partie  à  ce  qu'on  lit  dans 
les  Mémoires  de  Joinville. 

«  Et  aussi  il  enseigna  à  noble  chevalier  monseigneur  Jehan 
«  de  Joinville^  sénescbal  de  Ghampaigne,  moût  de  bons  essam- 
«  pies,  qui  fu  avecques  lui  en  sa  court  assez  priveement  et  de 
«  son  hostel  par  vingt-quatre  anz  et  plus  *,  et  il  enseignoît 
«  moût  sovent  les  bons  essamples ,  si  com  il  est  desus  dit.  £t  une 
«  fois  avint  einsi  que  li  sainz  rois  demanda  audit  chevalier 
«  lequel  il  vodroit  miex ,  ou  avoir  fait  un  péchié  mortel  ou  estré 
«  mesel  (lépreux  ) ;  et  li  chevaliers  respondi  que  il  vodroit  miex 
«  avoir  fet  trente  péchiez  mortex,  que  ce  que  il  fust  mesel. 
«  Et,  donques  li  sainz  rois  le  blasma  moût,  et  li  dist  et  moustra 
«  que  miex  vaudroit  estre  mesel  ;  car  péchié  mortel  est  mese- 

'  Recueil  des  Histor.  des  Gaules;  t.  XX,  p.  62,  A.. 

'Les  Jeta  Sanctorum,  des  Bollandistes ,  t-  V,  d^août,  p.  591,  609^ 
fixent  également  à  vingt-quatre  ans  la  <}urée  de  ces  rapports  famiUersii 
tandis  que  le  récit  de  Joinville  les  limite  à  vingt-deux  ans.  Cesi  ce  que 
constate  le  eommen taire  des  Acta,  qui  font  commencer  cette  intimité  à 
l'arrivée  de  Joinville  en  Ctiypre,  en  1248,  et  la  font  cesser  au  départ  de 
saint  Lx>uîs  pour  sa  dernière  croisade,  en  1270.  Si  en  I24i  Joinville  servit 
le  roi  à  table  à  Saumur,  c'est  seulement  en  Chypre  que  ses  rapports  d'a- 
mitié commencèrent  avec  le  roi. 


Q  SOUaCES  A  CO^St'LIfiA. 

/  «  lerie  (la  lèpre)  de  Tame;  de  laquele  horae  ne  set  comment 
\  «  il  ea  poist  estre  guéri,  car  il  ne  set  quant  il  doit  mourir;  et 
>  «  se  il  muert  sans  droite  contridon  et  sans  vraie  confession* 
^  «  que  il  ne  set  se  il  porra  avoir,  comme  celé  chose  dépende  et 
/  «  yiegne  de  là  grâce  Dieu,  Tame  remaindra  touzjors  mesele 
«  se  il  muert  en  péchié  mortel,  et  semblable  au  deable;  mes 
«  de  la  meselerie  du  cors  doit  estre  chascun  certain  que  il  en 
«  doit  estre  guéri  par  la  mort  corporele  :  pourquoi  li  sainz  rois 
«  disoit  que  de  trop  loing  il  valt  miex  à  homme  estre  mesel , 
«  que  ce  que  il  soit  en  péchié  mortel.  £t  aucunes  foiz  avec  ce 
«  li  benoiez  rois  dist  audit  chevalier  ces  paroles  :  Voudriez-vos 
«  avoir  enseignement  tel ,  par  quoi  vos  eussiez  enneur  en  ce 
«  monde  et  pleussiez  as  hommes,  et  eussiez  la  grâce  de  Dieu 
«  et  si  eussiez  gloire  en  tens  avenir?  Et  li  chevaliers  respondi 
«  que  il  vodroit  bien  avoir  tel  enseignement;  et  lors  li  dist 
j  «  li  benoiez  rois  :  Ne  fêtes  chose  ne  ne  dites  que ,  se  tout  li 
«  mondes  savoit  ce ,  nonporquant  vos  ne  le  leriez  mie  a  fere  '. 
«  Et  avecques  tout  ce  li  benoiez  rois  entroduisoit  {disposait) 
«  le  chevalier  à  ce  que  il  hantast  Téglisc ,  meesmement  es  festes 
«  des  sainz  sollempnex,  et  à  ennorer  les  sainz;  et  li  disoit  que 
«  il  esteinsî,  par  similitude,  des  sainz  en  paradis,  com  il  est  des 
«  conseilliers  des  rois  en  terre  ;  car  qui  a  afere  devant  un  roi 
«  terrien,  il  demande  qui  est  bien  de  lui  {en  faveur  auprès 
«  de  lui)  et  qui  le  puet  prier  seurement,  et  lequel  li  rois  doit 
«  oir  ;  et  lors  quant  il  set  liquex  ce  est,  il  va  à  lui  et  le  prie  que 
«  il  prît  {prie)  pour  lui  envers  le  roi  :  aussi  est-il  des  sainz  de 
a  paradis ,  qui  sont  privez  de  Nostre-Seigneur  et  ses  familiers, 
«  et  le  pueent  seurement  prier,  car  il  les  oy.  Et  por  ce  devez- 
«  vous  venir  à  l'église  as  jours  de  leurs  festes,  et  ennorer-les 
«  et  prier  que  il  prient  pour  nous  envers  Nostre*Seignèur.  De 
«  rechief,  li  sainz  rois  disoit  au  chevalier  que  aucuns  nobles 
«  hommes  sont  qui  ont  vergoigne  de  bien  fere,  c'est  à  savoir, 

<  Qne  vous  ne  laisseriez  pàa  de  faire,  qaand  tout  le  monde  devrait  en 
avoir  connaissance. 


SOURCES  A  CONSULTER.  CI 

«  aler  a  l'église  et  oïr  le  servise  Dieu,  et  fere  autres  œvres  de 
«  pitié  (pieté);  et  doutent  {craignent)  non  pas  vaine  gloire, 
«  mes  vaine  vergoigne ,  et  que  l'en  ne  die  que  il  soient  pa- 
«  pelarz;  et  c'est  trop  meilleur  chose  que  vaine  gloire.  Aussi 
«  comme  cest  pire  chose  que  une  meson  chiee  {tombée)  pour 
«  un  petit  vent  ou  sanz  nul  vent,  que  celé  qui  est  dehurtée  de 
«  fort  vent  ' *  •  • 

Le  récit  du  confesseur  de  la  reine  Marguerite  offre  plus  de 
détails  qu'on  n'en  trouve  dans  le  récit  de  Joinville  sur  le 
fait  qui  honore  la  mémoire  de  saint  Louis.  11  constate  encore 
mieux  la  loyauté  et  la  probité  du  saint  roi  à  remplir  ses  enga- 
gements même  envers  les  Sarrasins. 

«  Et  comme  les  deus  cenz  mile  livres  furent  paiées ,  U  benoiez 
«  rois  demanda  tout  maintenant  se  ladite  monnoie  estoit  toute 
«  paièe;  et  l'en  li  respondi  :  oil;  mes  monseigneur  Phelipe  de 
«  Nemox  * ,  chevalier  du  beuoiet  roy,.  li  dist  adonques  :  La 
«  somme  d'argent  est  toute  paiée  ;  mes  nous  avons  déceu  les 
«  Sarrazins  el  pois  de  largent,  en  dix  mile  livres.  Et  quant  li 
«i  benoiez  rois  oy  celé  parole,  il  fut  moût  coroucié  et  xlist  t 
«  Sachiez,  je  voil  que  les  deus  cens  mile  livres  soient  paiées 
«  ehtièrement  ;  car  je  leur  promis ,  et  je  voil  que  il  n'en  faille 
«  rien.  Et  adonques  li  séneschax  de  Ghampaigne  marcha  en 
«  repost(en  secret)  sus  le  pié  du  dit  monseigneur  Phelipe,  et 
«  li  fist  signe  de  Fueil,  et  dist  au  benoiet  roi  :  Sire,  creez-vos 
«  monseigneur  Phelipe?  Cest  un  trufeeur  {railleur).  Et  quant 
«  monseigneur  Phelipe  entendi  la  voiz  du  séneschal  et  il  li  sou- 
«  vint  de  la  très-grant  vérité  du  benoiet  roi  et  de  l'estableté 
«  {de  sa  fermeté).  Il  reprist  adonques  la  parole  et  dist  : 
«  iSire,  monseigneur  li  séneschax  dit  voir  {vrai)-^  je  ne  dîz  celé 
«  parole  fors  en  jouant  et  par  trufe ,  et  pource  que  je  seusse 

•  Recueil  desHistor,  des  Gaules,  t.  XX,  p.  87, 8«. 
»  Selon  le  rédtde  JoiDvUle,  ce  ne  serait  pas  Philippe  de  Nemours,  mais 
Philippe  de  Damoes. 


\ 


eu  SOURCES  A  CONSULTEB. 

«  que  vous  diriez.  Et  H  benoiez  rois  respondi  :  Vos  aiez  maies 

«  grâces  de  cest  gieu  et  de  cest  essaiement  (  de  ce  jeu  et  de  cet 

«•  essai)\  mes  gardez  que  la  somme  d'argent  soit  bien  paiée 

«  toute  entièrement.  Et  donques  tuit  cil  qui  furent  ilecques 

«  environ ,  affermèrent  que  toute  la  monnoie  estoit  paiée  en- 

«  tièrement  « 

Le  passage  suivant  nous  reproduit  la  déclaration  apportée 
par  Joinviile ,  comme  témoin  dans  Penquéte  relative  à  la  cano- 
nisation de  saint  Louis. 

«  Monseigneur  Jehan  de  Joinviile,  chevalier,  homme  de 
«  meeur  aage  et  moût  riche ,  qui  fu  avecques  le  benoiet  roy 
«  par  trente-quatre  anz  et  plus,  assez  privéement  et  de  sa 
«  mesniée,  par  son  serement  afferma  que  il  ne  vit  onques  ne 
«  n*oy  que  li  benoiez  rois  deist  à  aucun  ^'autrui  parole  de 
«  mesdit  ne  de  détraction  en  mauvèse  manière  ou  en  blâme  de 
«  lui  ;  ne  onques  il  ne  vit  home  plus  atempré  ne  de  greigneur 
«  perfection  de  tôt  ce  qui  pooit  estre  veu'  en  homme,  que  li 
«  benoiez  rois  fu;  et  que  il  croit  que  il  soit  en  paradis  pour 
«  pluseurs  biens  que  il  fist;  et  croit  que  il  fu  de  si  grant  mé- 
«  rite,  que  Nostre-Sires  doit  bien  fère  miracles  pour  lui  *.  .  . 

IL  Le  cahier  intitulé  :  Joinviile^  qui  se  trouve  au  cabinet  des 
titres  de  la  Bibliothèque  hnpériale. 

A  ce  cahier,  qui  contient  diverses  listes  généalogiques  manus- 
crites concernant  les  membres  de  la  famille  de  Joinviile,  est 
annexé  un  grand  tableau  généalogique  dressé  par  le  P.  Sainte* 
Catherine  et  imprimé  à  Paris  chez  Georges  Josse  en  1667. 

Ce  tableau  commence  à  Tannée  940  et  s'arrête  à  l'année  \  667. 

HL  Le  père  Anselme.  —  Histoire  généalogique  de  la  maU 

*  Recueil  des  Uisior.  des  Gaules^i,  XX,  p.  110  A. 
'/6i(l..p.  JiaD. 


SOUBCES  À  CONSULTEB.  CIII 

son  royale  de  France,  3«  éd.,  1730  ;  t.  VI,  p.  69Î.  Elle  com- 
mence à  Estiemie,  père  de  Geoffroi  I•^ 

IV.  JeanHabdouin.  —  Quelques  Observations  sur  thistoire 
cfeJoinville^àaïisle  volume  de  ses  Opéra  varia,  1733,  in-f», 
p.  634  et  sq. 

Le  P.  Hardouin,  si  connu  par  ses  inventions,  qui  souvent 
même  sont  de  véritables  hallucinations,  ne  connnaissait  que 
les  éditions  imparfaites  publiées  alors  ;  s'il  avait  eu  sous  les  yeux, 
le  manuscrit  que  nous  possédons  aujourd'hui ,  il  est  probable^ 
qu'on  n'eût  pas  trouvé  dans  ses  papiers  le  paradoxe  auquel  il 
s'est  livré  dans  son  écrit  posthume ,  qui  doit  être  aujourd'hui 
considéré  comme  un  jeu  d'esprit,  motivé  peut-être  par  le  dé- 
plaisir de  rencontrer  dans  les  Mémoires  de  Joinville  quelques 
passages  qui  pouvaient  déplaire  au  clergé.  Cinq  ans  après  sa  pu- 
blication ,  cet  écrit  fut  réfuté  par  l'académicien  Bimard  de  la 
Bastie  (t.  XV",  p.  692  et  sq.),  bien  qu*alors  il  n'eût  pas  con- 
naissance du  manuscrit  n<*  2016,  qui  réduit  à  néant  la  prin- 
cipale objection  sur  laquelle  Hardouin  s'appuie  pour  ne  voir 
qu'un  roman  4ans  l'histoire  de  Joinville.  D'après  le  texte  im^ 
parfait  imprimé  par  Pierre  de  Rieux ,  il  résulterait,  en  effet,  que 
l'histoire  de  Joinville  aurait  été  écrite  à  la  requête  de  la  reine 
Marguerite,  épouse  de  saint  Louis  ^  morte  en  1285,  tandis  que 
Joinville  déclare  à  la  fin  de  ses  mémoires  quMls  furent  terminés 
en  1315  ;  mais  le  texte  du  manuscrit  2016  prouve  que  ce  n'est 
pas  sur  la  demande  de  Marguerite,  femme  de  saint  Louis,  que 
Joinville  a  écrit  son  histoire,  mais  à  la  demande  de  Jeanne  de 
Navarre,  qui  mouU  Caimoit^  et  que  c'est  à  son  fils  Louis  dit  le 
Uutin  qu'il  la  dédia,  ne  l'ayant  terminée  que  dix  ans  après  la 
mort  de  cette  princesse. 

Quant  aux  différences  d'orthographe  que  signale  Hardouin 
entre  la  lettre  écrite  par  Joinville  à  Louis  le  Hutin  en  1315 ,  où 
on  MlDimangCy  Dex ,  séneschaux  de  Champaigne,  au  lieu  de 


Cl  Y  SOUBGfiS  A  CONSULTEE. 

Dimench^i  Dieu^  sénéchal  de  Champagne,  que  porte  Tédition 
des  Mémoires  de  Joinville  imprimée  par  Pierre  de  Rieux,  ces 
objections  ont  peu  de  valeur^  puisqu*on  ne  saurait  prétendre 
posséder  le  texte  original  ni  même  contemporain  de  Joinville. 
Le  manuscrit  20t6,  bien  plus  ancien  que  ceux  que  Ton 
connaissait  alors ,  se  rapproche  beaucoup  de  l'orthographe  des 
monuments  contemporains ,  laquelle ,  du  reste ,  comme  on  le 
sait,  varie  selon  le  caprice  ou  l'instruction  du  scribe  et  selon  la 
province  où  le  manuscrit  est  copié.  «  S'il  y  eut  un  bon  livre  com- 
«  posé  par  nos  ancêtres,  dit  Estienne  Pasquier  {Recherches  de 
•  la  France,  liv.  VIII,  c.  3),  lorsqu'il  fut  question  de  le  traduire 
«  (transcrire),  les  copistes  le  copioient,  non  selon  la  naîfve 
«  langue  de  l'auteur,  ains  (mais)  selon  la  leur.  » 

Toutefois,  on  peut  admettre  que  plusieurs  des  observations 
du  P.  Hardouin,  relativement  aux  interpolations,  sont  fondées  ; 
mais  ces  interpolations  remontent  à  une  époque  reculée ,  et 
celles  que  l'on  pourrait  signaler  dans  le  manuscrit  n*"  2016  ne 
sauraient  être  postérieures  de  plus  d'un  siècle  à  l'époque  où  Joîn* 
ville  écrivait.  Les  autres  peuvent  provenir  d*autres  textes  qui 
nous  sont  inconnus,  ou  sont  des  réminiscences  de  traditions 
anciennes^  plus  ou  moins  exactes. 

V.  BiMAAD  DB  LA  Bastie.  —  DUscrtations  sur  Joinville, 
suivies  d'un  appendice  >  28  octobre  1738,  insérées  aux  J^é- 
moires  de  V Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres, 
t.  XV,  p.  692  et  sq. 

Le  but  principal  de  ces  deux  dissertations  est  de  réfuter  le 
paradoxe  du  P.  Hardouin ,  démenti  par  l'antiquité  des  manus- 
crits, par  les. preuves  contemporaines,  enfin  par  l'œuvre  elle- 
même.  Bimard  de  la  Bastie  répond  avec  autant  de  soin  que  de 
talent  au  P.  Hardouin  dont  les  savants  éditeurs  du  Recueil 
des  Historiens  de  France  n'ont  pas  cru  devoir  réfuter  les  objec- 
tions. Dans  ses  dissertations ,  Bimard  de  là  Bastie  montre  beau- 


SOUBGES  À  COTfSULTEB.  CY 

coup  de  sagacité ,  dépourvu  qu*U  était  alors  de  la  connaissanos 
du  manuscrit  2016  '. 

VI.  Observations  hUtoriqties  et  critiques  sur  t abbaye  de 
Clairvaux,  par  le  P.  Merlin,  jésuite;  Mémoires  de  Tté- 
vouxy  août  1 739 ,  seconde  partie ,  p.  1885  et  sq. 

L^auteur  donnePépitaphe  de  Joinville  (Voir  plus  haut  p.  lxxxii) 
et  discute  ce  qui  concerne  la  généalogie  de  Geoffroi  III  et  Geof- 
firoi  IV,  etc. 

YH.  Levesque  delà  RivÀLiiBE.  —  He  dusire  de  Joinville^ 
2  juin  1744,  insérée  aux  Mémoires  de  V Académie  des  ins- 
criptions et  beltes'lettreSy  t.  XX,  p.  310  et  sq. 

On  voit  par  le  manuscrit  de  Levesque  de  la  Ravalière  dé- 
posé à  la  Bibliothèque,  n°  4551  (Suppl.  fr.},  et  par  les  divers  do- 
cuments qui  raccompagnent,  le  soin  apporté  par  ce  conscien- 
cieux académicien  dans  ses  travaux  sur  Joinville.  Plusieurs 
des  actes  insérés  ci-après  sont  extraits  de  ce  manuscrit. 

VIII.  Du  GieNGB.  —  Dissertations  sur  Joinville, 

Dans  ces  dissertations ',  véritables  che&-d*œuvre  d*érudition, 
du  Gange  s'est  plus  occupé  de  recherches  d'érudition  relatives 
aux  mœurs  et  coutumes  du  moyen  âge  que  de  la  partie  histo- 
rique et  littéraire  des  Mémoires  de  Joinville.  La  généalogie  qu'il 
donne  des  diverses  branches  de  la  famille  de  Joinville  est  le  r6> 
sultat  de  profondes  recherches. 

IX.  M.  Paulin  Pàbis.  —  Nouvelles  Recherches  sur  les  ma- 
nuscrits  des  sires  de  Joinville^  mémoire  lu  à  l'Académie  des 
inscriptions  et  belles-lettres,  et  publié  à  Paris  eu  1839. 

'  Voy.  le  Recueil  desHht.  des  Gaules,  t.  XX,  p.  191  et  la  préface. 
>  Nous  les  avons  reproduites  daos  notre  édition  da  Glossarium  mediœ 
*A  infima  latinitatis. 


CVI  SOUBGBS  ▲  CONSULTE». 

il  m*a  été  longtemps  impossible  de  prendre  connaissance  de 
ce  mémoire,  qui  ne  se  trouve  ni  à  la  Bibliothèque  impériale  m 
aux  autres  bibliothèques ,  bien  qu'il  ait  été  lu  dans  une  séance 
publique  de  Tlnstitut.  L'auteur  n'en  possédait  plus  un  seul 
exemplaire;  ses  démarches  et  les  miennes  avaient  été  inutiles. 
Le  savoir  et  le  soin  que  M.  Paulin  Paris  apporte  à  ses  recher- 
ches sur  nos  anciens  nwnuments  historiques  et  littérales  ren- 
daient cette  perte  très-regrettable.  Heureusement,  mais  lorsque 
mon  travail  était  terminé,  M.  Lacabane  à  pu  me  le  procurer; 
on  sera  charmé  d'en  prendre  connaissance  à  la  On  de  ces  dis- 
sertations. 

X.  Documents  inédits  relatifs  à  Jean,  sire  de  JoinviUe, 
historien  de  saint  Louis ,  recueillis  et  publiés  par  M.  Cham- 
ppUion-Figeac  dans  fa  Collection  deê  Documents  inédits  sur 
l'histoire  de  France,  publiés  par  le  Ministère  de  l'instruo- 
tion  publique  ;  Paris,  Didot,  1841,  t.  I^  in-4®. 

Ces  documents  sont  extraits  de  manuscrits  déposés  à  la  Bi- 
bliothèque impériale ,  où  ils  sont  réunis  en  un  seul  recueil , 
sous  le  n»  1054  du  Supplément  français.  Ces  manuscrits ,  qui 
ne  remontent  pas  très-haut ,  sont  en  général  des  copies  de  plus 
anciens  documents;  en  voici  le  détail  : 

W®  1.  Abrégé  de  r histoire  des  anciens  sires  de  Joînville. 
11  forme  les  feuillets  61  à  73  du  recueil  manuscrit  n*"  1054  du 
Supplément,  et  s'arrête  à  la  date  de  1662. 11  est  intitulé  :  De  la 
Maison  de  JoinviUe. 

N«  2^  Cartulaires  de  Féglise  collégiale  de  Saint-Laurent 
de  JoinviUe,  Ces  deux  copies  forment  les  deux  premières  pièces 
du  recueil  n^  1054  du  Supplément  français  ;  l'écriture  en  est 
peu  lisible. 

N®  3.  Généalogie  des  barons  de  JoinviUe. 
D*après  cette  généalogie,  qui  forme  les  feuillets  1 1 2  à  1 42  du 
reeueil  f054,  et  qui  s'arrête  à  la  fin  de  décembre  1588,  il  n'y 


SOURCES   ▲  CONSULTEB.  CVll 

aurait  eu  que  quatre  Godefroy  ou  Geoffroi.  Le  quatrième  et 
dernier  serait  Geoffroy  Trouillard. 

N»4.  Hisioiredela principauté  de  Joinville, escriteen  1632, 
ei  transcrite  d'ung  manuscrit  trouvé  par  hazard  en  1693 ,  et 
transcrit  en  1697.  Collationn.  par  moy  à  l'originaL 

Cette  histoire,  qui  ne  forme  pas  moins  de  cent  feuillets  d*une 
belle  écriture,  est  dédiée  à  monseigneur  le  duc  de  Guise  ;  mais 
le  style  en  e.st  tellement  pédantesque ,  qu*on  y  trouve  beaucoup 
plus  de  phrases  que  de  faits.  —  Elle  est  suivie  d'une  Descrip- 
tion de  JoinvUie  en  restât  qu'on  la  voit  à  présent.  On  y  lit 
à  la  Gn  :  Achevé  à  faire  le  24  at?ri/  1632  '. 

N<*  5.  Épitaphes  des  sires  de  Joinville,  inhumée  en  t église 
Saint' Laurent  y  au  château  dudit  Joinville. 

£lles  forment  les  feuillets  139  à  152.  La  dernière  date  qu'on 
y  lit  est  de  1628. 

N<»  6.  Lettre  de  ^archiviste  du  château  de  Joinville, 

Cette  lettre  fut  lue  à  l'Académie  des  inscriptions  et  belles-let- 
tres le  20  janvier  1739,  par  M.  de  la  Bastie,  ainsi  que  le  constate 
le  {>rocès-verbal  à  cette  date  ;  elle  est  a  la  Bibliothèque  impériale. 

N»  7.  Tombeau  de  Jean  ^  sire  de  Joinville. 

Plusieurs  inscriptions  y  sont  relatives;  et  le  dessin  repré- 
sentant Joinville  couché  sur  la  tombe  qui  recouvrait  son 
cercueil ,  y  est  reproduit. 

N°  8.  Fw  du  château  de  Joinville,  fondé  au  onzième  siècle. 
Cette  Yue  est  la  copie  d'un  dessin  exécuté  en  1747. 

XI.  Outre  ces  documents  que  M.  Cbampollion  a  extraits  en 
partie  du  manuscrit  1054,  on  y  trouve  encore  diverses  pièces, 
telles  que  : 

Fondation  de  l'abbaye  d'Escurey,  et  autres  fondations.  — 

'  J'ai  eu  commanicaUon  d'one  copie  d'un  msDascrit  semblable  qae  pos- 
sède M.  Lemolne;  il  est  inUluIé  :  Hisloire  de  la  principauté  de  Joinville. 
La  dédicace,  à  très-haut^  très-puissant  et  très-illustre  monseigneur  due 
de  Guise,  est  dalée  de  1032,  et  signée  A.  Fisseau. 


CVIII  SOURCES  A  GONSULTFB. 

Énumération  de  la  succession  des  abbés.  —  Règlement  tou» 
chant  rhôpital  Saint  Jean.  —  Noms  des  procureurs  et  pr^ 
vôts  dudit  Joinyiile.  —  Règlement  sur  la  police  en  Joinville. 

—  Sentence  par  laquelle  les  garçons  de  Joinville  ont  été  main- 
tenus en  droit  de  bien-yenue  et  colliage  contre  les  jeunes  hom- 
mes tant  de  la  ville  que  forains  venant  prendre  femme  en  la 
ville  de  Joinville.  —  Abolition  de  la  mauvaise  coustume  de 
monter  sur  Tasne  au  mois  de  mars  en  la  ville  de  Joinville  >. 

—  Baronnie  et  prévosterie  Sailly ,  avec  la  généalogie  des  barons 
dudit  lieu,  tirés  tant  de  Jean,  sire  de  Joinville,  que  des  obser- 
vations de  M.  Claude  Mesnard. 

XII.  Recueils  divers  en  la  possession  de  M.  Lemoine,  hor- 
loger à  Joinville;  ils  consistent  en  : 

1^  «  Mémoire  historique  et  chronologique  en  forme  dejour- 
«  nal  qui  contient  principalement  ce  qui  a  rapport  à  la  ville  et 
«  au  château  de  Joinville ,  au  chapitre  de  Saint-Laurent  et 
«  aux  seigneurs  et  princes  dudit  Joinville  et  quelques  faits  inté- 
«  ressauts  ou  curieux  sur  des  titres,  enseignements  et  mémoires 
«  authentiques  qui  sont  cités  à  la  fin  des  articles.  » 

Ms.  in-4<>  d'environ  240  feuillets  ;  il  se  compose  d'extraits  : 
1<*  du  journal  de  Royot,  chanoine  de  Féglise  Saint-Laurent  en 
1607;  2°  de  Fissieux,  lieutenant  du  baillage  de  Joinville,  écrit 
par  M.  Palliet,  chanoine  de  Saint-Laurent;  les  derniers  articles 
portent  la  date  de  1787,  époque  où  a  été  écrit  ce  manuscrit. 

2<*  Histoire  de  JoinviUe ,  composée  par  le  P.  Sainte-Catherine, 
feuillant, par  ordre  de  mademoiselle  de  Guise.  (M.  Lemoine  ne 
possède  qu'une  partie  de  ce  ms.) 

3®  Mémoire  sur  la  chapelle  de  Saint-Laurent  du  château  de 
JoinviUe,  par  Blugel,  chanoine  de  Joinville. 

40  Histoire  de  la  principauté  de  Joinville  (1632),  par  Fis- 
seau  (voir  la  note  à  la  page  précédente).  A  la  suite  de  cette  his- 

*  Cétatt  une  panition  infligée  aa  plas  proche  voisin  da  mari  qui 
avait  batta  sa  femme  dans  le  mois  de  mai. 


SOOAGES  A  CONSULTBfi.  CIX 

toire  est  la  desorîption  des  caveaux  qui  sont  dans  Téglise  Saint- 
Laurent  au  château  de  Joinville ,  dans  une  chapelle  appelée  la 
Chapelle  des  Princes. 

Cest  le  procès-verbal  de  Touverture  de  ce  caveau,  le  10  mars 
1 738,  après  la  messe  dite  à  cet  effet,  et  qui  fut  dressé  en  présence 
de  MM.  les  chanoines  et  doyens  du  chapitre  de  ladite  église  de 
Saint'Laurent  et  de  MM.  les  officiers  du  Prince. 

XIII.  Notice  sur  Joinville ^  en  tête  de  la  Collection  des  Mé- 
moires relatifs  à  rhistoire  de  France,  par  Petitot,  t.  II, 
formant  12  pages. 

XIV.  Notice  sur  Joinville,  par  MM.  Michaud  et  Poujoulat,  en 
tête  des  Mémoires  de  Joinville,  t.  I"  de  la  Collection  des 
Mémoires,  etc.,  Paris,  1836,  formant  12  pages. 

XV.  Notes  historiques  sur  la  vUle  et  les  seigneurs  de  Join^ 
ville,  par  M.  J.  Fériel;  Paris,  Ladrange,  1835,  in-8^  de 
214  pages. 

XVI.  Pièces  historiques  concernant  la  sépulture  des  anciens 
seigneurs  de  Joinville,  par  J.  Fériel  ;  Ghaumont,  imp.  de 
Miot,  1844,  in-8<>  de  44  pages. 

XVII.  Notice  sur  Jean  de  Joinville,  par  F.  Fériel  ;  Ghaumont, 
Veuve  Miot,  1853,  m-S"  de  24  pages. 

XVIII.  Notes  et  documents  pour  servir  à  t histoire  de  Join» 
ville,  par  J.  Fériel,  avec  portrait,  sceaux,  médailles  et  fac 
simile;  Joinville,  chez  Lepoix,  1856,  in-8<'  de  76  pages. 

XIX.  Notice  historique  sur  Jean  sire  de  Joinville^  par  A. 
Chezjean;  Ghaumont,  chez  Gavaniol,  1853.  Gette  brochure 
n'offre  rien  de  nouveau. 

XX.  Notice  historique  sur  le  château  de  Joinville,  par  Per- 
not;  Paris,  Deracbe,  1857,  in-8<*  de  16  pages. 

XXI.  Sainte-Beuve,  ïïoticesur  Joinville.  Causeries  du  lundi. 

XXII.  Tablettes  historiques  de  Joinville,  par  M.  J.  GoUin, 
employé  aa  chemin  de  fer.  1857,  in- 8®  de  252  pages. 

J 


IX. 


ACTES  ET  DOCUMENTS 


CONCERNANT  LES  SIRES  DE  JOINVILLE. 


Acte  d'août  1214  par  lequel  Simon,  maréchal  de  Champagne^/ait 
hommage  à  la  comtesse  Blanche  du  sénéchalat  de  Champagne 
jusqu^aujour  de  la  maiorité  de  sonfils  Thibaut,  époque  oii  celui- 
ci  devra  confirmer  Simon  dans  son  titre  de  sénéchal,  sinon  celui- 
ci  entend  conserver  tous  ses  droits  et  prétentions  à  ce  titre,  que 
lui  contestait  la  comtesse  Blanche,  Simon  ne  s*en  reconnaît  pas 
moins  Phomme  lige  du  comte  Thibaut,  envers  et  contre  tous,  et 
particulièrement  contre  les  fils  du  comte  Henri, 

Ego  SymoD  de  JoinviUa,  Campanie  Marescallus,  notum  facio  uni- 
Tersis  présentes  lilteras  inspectum  quod  de  senescallia  Campanie 
homagium  feci  karissime  Dne  mee  Blanche  Comitisse,  sicutde  Ballio, 
usquedum  karissimns  Dnus  meus  C!ome8  Theobaldus,  filius  ejiis,  com- 
ple?erit  Yioesimom  primom  annum.  Si  ipse  voluerit,  invesliet  me  se- 
neaealia  illa  ;  sin  autem ,  remanebo  in  illo  piincto  de  eadem  senescalia 
in  qno  eram  anteqoam  Dna  mea  me  invesliret,  salvo  jure  Comitis  et 
meo.  Clamabam  enim  in  illa  senescalia  jns  liereditariam ,  quod  Dna 
comitiftsamichinegabat  etconlradicebat.  Juravi  siquidem  dicte  Dne  mee 
quod  fiiium  suum  Comitein  Theobaldum  bona  fîde  juvabo  contra  filias 
Comitis  Henrici  et  contra  omnem  creaturam  qua^  possît  vivere  et  raori, 
iisque  dum  compleverit  Ticcsimum  primum  annum.  Pr<Ttcrea  feci 
prcdicto  Dno  meo  Comiti  Theobaldo  homagium  ligium  de  feodo 
mco  de  Join  villa  et  de  alia  terra  qiiam  teneo  de  ipso ,  et  su  m  homo 
ftuus  ligius  contra  omnem  creaturam  qu»  possit  vivere  et  mori.  Tn 

ex 


ACTES  COfICEBIfANT  LES  SIBBS  DE  JOINVILLE.      C\I 

cttjus  rel  testimonium  fed  prasenles  littaras  fieii  ftigilli  mei  muni- 
mine  roboretas.  Actom  Trecis  {à  Troffeê)  annograti»  UCCXllII, 
mense  Aogosto. 

Tiré  d'un  cartulaire  de  Champagne  conservé  à  la  Bibliothèfiue 

du  roi ,  et  coté  5992. 

B 

Ex  libro  Principum  \7M,junio  mense. 

Acte  de  juin  1218,  par  lequel  la  comtesse  Blanche  et  le  comte  Thh 
baut,  pour  faire  cesser  toutes  les  discussions  survenues  au  sujet 
dusénéchalat  de  Champagne ,  reconnaissent  que  la  possession 
en  appartient  à  Simon  et  à  ses  héritiers.  Par  les  présentes  le 
comte  Thibaut  s'engage ,  aussitôt  sa  majorité ,  à  en  revêtir 
Geojfroi  y  fils  de  Simon  ^  du  vivant  de  son  père  ^  auquel  tous 
droits  sont  réservés. 

Blancha  Comitissa  et   Th.y  filius  ejus ,  côncedunt  Simoni  Dno 
Joinvillx  f  senescaliam  Campanix,  jure  perpetuo  possidendam. 

Ego  BI|tncba,Ck>niitiS8a  Campaniœ,  Trecensis  Palalina,  et  Th.  cognes 

Campanîœ  et  Brie  palatinus,  ^nirersis  présentes  litteras  inspecturis 

Dotutnfacimasquod  comSymun,  Dnus  JoinTille^senescallusCampaniey 
discordiam  haberet  erga  me  et  lilium  meum  super  senescallia  Cam- 
panie,  quam  ipse  et  beredes  ejus  jure  Uereditario  petebant,  ego  et 
lilius  meus  recognosceremus  esse  verum  hoc ,  pro  bono  pacis  et  ut 
ipsum  ad  araorem  nostrum  reduceremus,  senescantiam  sibi  et  bere- 
dibas  8018  jure  bereditario  concessimus  babendam ,  et  totam  beredita- 
tem  soam  quam  saisieramus,  itatamen  quod  si  non  possemus  reduccre 
feodum  de  Fiscainmanum  suam,  nos  concessimus  eidem  feoduro  S. 
Dni  Borlimontis,  feodum  H.  de  Ijandricuria,  feodum  Diîi  A.  de  Bi- 
nello  et  feodum  Jof ridi  de  Cyreis  ;  et  omnia  feoda  ista  teneret  quous- 
que  predictum  feodum  de  Fisca  ad  predictum  Symonem  reduceremus 
in  faU  statu  In  quo  erat  prius  quam  illud  saisissemus  ;  et  quam  cilo 
feoduoi  de  Fisca  ad  eundem  Symonem  redierit ,  quatuor  predicta 
feoda  ad  me  et  ad  filium  meum  revertentur.  Et  sciendum  quod  quam 
dto  ego  Tb.  veniam  ad  œtatem  vigenli  onius  annoruin ,  sicut  ego  et 
mater  mea  modo  cognoscimus,  ita  ego  tune  recognoscam  et  litteras 
meas  patentes  dicto  Symoni  sub  eadem  forma  tradam  (credam,  Afen.)» 
cl  filium ejusdem  Symonis ,  videlicet  Jofridum,  statim  debemus  rêve- 
Btire  de  senescantia  et  in  homiaern  aceipére  (reaccipere,  Aie».)»  ^^^o 


ex  II  ACTES  ET  DOCUMENTS 

Jure  dieti  Symonis  qtunidia  Tixerit,  éL  ti  forte ,  qaod  absit,  Ego 
Tlieob.  de  recognitioiie  senescâiiUtt  el  de  ttlteris  super  hoc  fM^teodis 
vellem  resdtre,  idem  Symon  non  tenebitor  nobb  de  bomegpo  nec  de 
feodo,  quoosque  predicte  conTeationes  adimplerentor.  Qaod  ut  ntum 
permaneat  et  inconcusaum ,  presenlet  paginas  sigillorum  nostrorum 
fecimiis  roborari.  Actumanni  grati»  1218,inen8ejonio. 

Tiré  d'un  eartul.  de  Champagne  de  laBM,  inip.,  eoié  &992. 
Ménard  a  aussi  donné  cet  acte,  pag.  286. 


Acte  de  juin  1218 ,  par  lequel  Simon  reeomuUt  que  la  comtesse 
Blanche  et  le  comte  Thibaut^  pour  faire  cesser  toute  discussion 
au  svjet  du  sénéchalat  de  Champagne  ^  le  lui  ont  concédé  pour 
en  jouir,  lui  et  ses  héritiers.  Simon  s'engage  à  leur  venir  en  aide 
pourcombattre  Érard  de  Brienne  et  Philippe^son  épouse^  et  les 
descendants  du  comte  Henri, 

Quod  Th.,  Cornes  Campanix,  el  Blaneha^  mater  ejus^  eoneesserunt 
Simoni  de  Joinvilla  et  heredibus  suis  in  perpétua  habendam , 
senescaliam  Campanix,  super  qua  diseordia  erat  inter  ipsos. 

Ego  Symon,  Dnus  de  JoinTilla,  Campante  senescallos,  notiim  facio 
uni versîs présentes  litteras  inspecturis,  quod  cum  diseordia  esset  inter 
me,  ex  una  parte,  et  Dnam fil.  Comitissam  Trecensem,  et  Theobal- 
dum  Comitem,  natum  ejus,  ex  altéra,  super  eo  quod  pelebaro  ab  eis 
senescalliam  Campanîe  ad  me  et  ad  herdes  meos  jure  hereditario  per- 
tinere,  quod  ipsi^on  recognoscebant/ tandem  inter  nos  talis  concordia 
interyenit ,  yidelicet  quod  pro  bono  pacis,  dicli  Ck>miti98a  et  Cornes, 
qualicumque  modo  fuisset  inter  nos  litigatum,  senescalliam  Campa^ 
nie  mihi  et  heredibus  meis  concesserunt  Jure  hereditario  possidendam. 
Ego  autem  redii  ad  fidelitatem  eorum  et  ad  bomagîom  eorum.... 
Juravi  quod  malum  non  eveniet  eis ,  aut  terre  eorum ,  per  me  vel  per 
homines  meos ,  et  ipsos  juvabo  contra  omnem  oreaturam  qu»  possit 
Tivere  et  mori,  et  precipue  contra  Erardum  de  Brena  et  Pliiiip- 
pam,  uxorem  ejus,  et  contra  omnes  heredes  Henrici,  quondam  Comi- 
tis  Campanie,  et  eorum  coadjutores,  occasione  guerre  quam  movet 
Erardus  de  Brena  contra  Comitissam  et  filium  ejus....  Pro  bis  itaque 
conventionibus  firmiter  observandis  ego  posui  in  mana  Comitisse  et 


CONCEBNANT  LES  SISES  DB  JOINVILLB.  CXITf 

Coraitls  feodom  meum  de  la  Fauche.... ^  taM  modo,  qnod  ai  non 
obserrarem  prœdictas  conventiones,  et  snbmonitua  înfra  quadraginti 
dîes  non  emendarem,  feodum  de  la  Fauche  Yeniret  in  manimi  co- 
mitisse  et  Comîtis ,  aut  feoda  illa  quœ  ipsi  Comîtisaa  et  Cornes  posne* 
runt  in  manu  mea  pro  feodo  de  la  Fauche,  Tiddieet  feodam  Pétri  de 
Borlammonty  feodum  Hogonis  de  Landricort»  feodum  Ganfridi  de 
Ceris  et  feodum  Ârnulphi  de  Risnello,  et  ea  tenerent  Gomitissa  et 
Cornes  usque  dum  esset  emendatum  ;  et  postquam  esset  emendatum» 
feodum  de  la  Fauche ,  aut  illa  quatuor  feoda  ad  me  reTerterentor. 
Adjunctum  est  quod  si  non  emendarem  infra  dnas  qnarentenaSy 
postquamessem  super  hoc  requîsitus,  ego  prœdicCam  senescaliam  [per- 
derem],  ita  auod  nec  ego ,  nec  lieredes  mei  in  ipsa  possemos  aliqnid 
de  caefèro  reclamare.  Tradidi  etiam  eis ,  propter  hoc ,  in  ostagiom  Gao* 
fridum  f  filium  meum ,  et  posoi  in  manu  Dnt  Episeopi  Lingonens. 
fratris  met  castrum  meum  de  Joinvilla ,  eoncedens  et  Toleos  qnod,  si 
deficerem  in  predictisconventionibus...,  ipse  frater  meas^iscopnsCo- 
mitisse  et  Comiti  traderet  dictum  castmm  tenendom  usque  d«m  plenins 
emendassem....  Cura  autem  rediero  de  partibos  transmarinis,  ego 
securitatem  faciam  Comitisse  et  Comiti  qiiandocttmqoe  Toluerint  de 
praBdictis  conventionibus  obserfandis.  Tel  eis  tradam  castrum  menm. 

Quod  ut  notum  permaneat,  et  firmum  teneatur,  litteris  annotatum 
sigillimei  munimine  roboravi. 

Actum  anno  gratiae  MCC  octavo  decimo,  mense  jnnio,  die  JoTis 
post  Pentacosten. 
Tiré  d'un  caiitUaire  de  Champagne  de  la  Bihh  imp,^  coté  5992. 

D 

Acte  de  juillet  12  f  8,  par  lequel  la  dame  de  Montesclairfait  abandon 
de  son  douaire^  c'est-à-dire  de  la  moitié  de  la  propriété  de  Join* 
ville^  appartenant  à  son  mari  Simon  de  Joinville ,  pour  laquelle 
ladite  dame  a  fait  hommage  à  la  comtesse  Blanche,  se  réser- 
vant tous  ses  autres  droits;  m>ais  si  son  fils  Geoffroi,  quand  il 
aura  Cdge  de  quinze  ans,  les  exigeait,  elle  les  lui  céderait ^  et 
rentrerait  alors  dans  son  douaire  '. 

t  On  lit  en  tète  de  ce  cartnlaire  le  sommaire  suivant  i 
Çttod  relicta  Symonis  de  Joinvilta ,  senetealH  Campaniœ^  guittavit  do- 

talicium  tùum ,  sctlivei  medietatem  terrœ  dicti  Symonis,  qvondam  pm- 

riti  mi ,  pro  caêtcUania  f^allis-colore. 
Le  mot  relicta  pourrait  faire  croire  que  la  dame  de  Monlesclalr,  épouse 


ex  IV  ACTfib  SI  l>0€liM£NT8 

Ego Dna  Montit-cliri  DOtum  fado...  quod  ego  acqoito  dot» 

lieiuro  meum,  videlîeet  medieUtem  tote  terre  Dôi  mei  Symonis  Dùi 
JoUiYille,  sêoescaUi  Campanie,  de  qoa  dotata  eram  et  pro  qua  Dhe 
mee  Blancbe»  Gomitisse  Campaoie,  Trecensi  Palatine,  homagiuin  fece- 
ranif  si  post  deoeMum  mariti  mei,  videlieet  SymoDis  predicti ,  me 
coDtiogeret maritale;  et  istud  consiUo  amicorum  meorum  et  amico- 
ram  Dâi  mal  acquitavi  :  itaqaod  sepedicta»  Doas  meas  me  dotavit 
de  ValUoolorey  et  de  CasteUenia  Valliftcolore,  et  de  Moustier  saper 
Tout,  et  de  Ona,  aioe  silvis  et  oemoribus  predictarnm  villaram,  ita 
quod  bomines  earandem  in  predictis  nemoribus  et  in  rébus  aliis 
babebuDt  talem  usuarium  qualem  babebant  antequam  ville  dicte 
iiiibi  jMsent  in  dotalicio  meo  assignate ,  ad  boc  etiam  quod  quamdiu 
sine  marito  Tolam  esse.  Innotesco  quod  ego  totam  quam  Dnus 
mens  antea  possidebat  post  solutionem  debitonim  sepe  dicti  Dni  pos- 
sidebo,  eieepto  Castro  Joinville,  quod  bomines  et  fidèles  ipsius 
cutri  obscrrabunt  Et  sciendum  quod  cam  Gaufridus  filius  meus 
prknogBBilos  erit  in  «tate  qnindedm  annorum,  al  forte  velU  a  me 
recédera,  ego  totam  terram  que  Jnre  bereditario  ad  ipsum  pertinet , 
eidem  reliaqnam,  et  ad  proprium  redibo  dotalidum. 

Actum  anno  gratin  1218,  mensi  jolio.  Datum  in  octava  apostolonim 
Pétri  et  PaoU. 

Cartul.  de  Champagne^  1218,  Juillet. 

TRÀDUCTIOir. 

Moi...  dame  de  Montesclair,  fais  savoir...  que  je  fais  altandon  démon 
douaire,  c'est-à-dice  de  la  moitié  de  toutes  les  terres  de  mon  seigneur 
Simon,  sire  de  Joinville,  sénécbal  de  Champagne,  dont  j'avais  été  do- 
t^,  et  pour  lesquelles  j*avais  fait  hommage  à  ma  souveraine  Blanche, 
comtesse  de  Champagne,  palatine  de  Troyes ,  au  cas  où  il  me  convien- 
drait de  me  marier  après  le  décès  de  mou  mari  ledit  Simon;  alrandon 
que  j'ai  fait  d'après  le  conseil  de  mes  amis  et  de  ceux  de  mon  sei< 
gneur.  En  sorte  que  mondit  seigneur  me  constitua  en  dot  les  terres 

de  Simon,  était  veuve;  car  ce  mot  au  moyen  âge  ace  sens  :  c'est  une  erreur 
commise  par  celui  qui,  lisant  la  teneur  de  l'acte,  a  cru  en  devoir  conclure 
qu'elle  éUit  veuve  alors  ;  à  moins  qu'on  n'ait  voulu  indiquer  par  le  mot 
relictu  que  Simon  étant  alors  en  Palestine,  la  comtesse  sa  fetome  se  trou- 
vait ainsi  délaissée  par  lui.  Les  mots  qmndam  mariU  auU  aloatés.  attestent 
vne  erreoT  qu'il  convient  de  signaler. 


GONGEENAIfT  LES  SIBES  DE  aOINVIIXS.  GXV 

de  Vancouleon  et  de  la  cliâtellenfe  de  Vaacouleurs,  et  de  Hoostier 
sur  Tout^  et  de  Ona,  sans  les  forêts  et  bois,  à  la  condition  que  l'on 
poarra  jouir,  dans  ces  bois  et  en  autres  choses,  des  usages  en  posses- 
sion ,  avant  que  lesdits  domaines  me  fussent  assignés  en  douaire,  tant 
que  je  resterais  sans  me  remarier.  £t  de  plus  je  fais  savoir  que  je 
posséderai  la  totalité  de  ce  que,  après  payement  des  dettes  dudit  sei- 
gneur, il  possédait,  excepté  le  château  de  Joinviile,  que  garderont  les 
hommes  d'armes  et  les  fidèles  de  ce  château.  Et  je  fais  savoir  que  quand 
mon  fils  atné  GeofTroi  aura  atteint  Tâge  de  quinze  ans,  s^il  veut  se  sé- 
parer de  moi ,  je  lui  remettrai  tous  les  domaines  qui  lui  reviennent  à 
titre  héréditaire,  et  je  rentrerai  dans  mon  propre  douaire. 

Passé  Fan  de  grâce  1218,  au  mois  de  juillet,  et  signé  à  l'octave  de 
SainMierre  et  de  Samt-Paul. 

E 

Acte  de  juin  1231 ,  par  lequel  Thibaut ,  comte  de  Champagne,  ap- 
prouve le  mariage  du  fils  atné  de  Simon ,  Jean^  sire  de  Joinville, 
avec  Alix  fille  du  comte  de  Grand  Pré. 

Theobaldus  cornes  laudat  conventiones  matrinumii  faeiendi  inter 
filiam  Comitis  Grandis  Prati  et  Johannem  de  Joinvilla. 

ïgo  Theobaidns ,  Camp,  et  Brie  Comes  Palat.,  notum  facio  qood 
taies  ooBTentiones  facte  sont,  coram  me,  inter  Symonem  Dnam  Join- 
▼îUe, senescallum  Camp.,  etMariam,  Gomitissam  Grandis  Prati, qnod 
creantaverunt  facere  matrimonium  înler  Johannem,  primogenitum 
Dni  Symoni8,etuxoris  sue  B.,  filie  Comitis  Stephani  de  Ultra-Saona, 
et  Alaidim  filiam  dicte  Comitisse,  tali  videlicet  conditione  quod  dicta 
Çomilissa  et  Henricas,  filius  ejus ,  dabunt  in  dicto  maritagio  Johanni 
et  Âlaidi  filie  sue  trecentas  libratas  terre  P&r.  mont' te  :  ita  tamen 
qnod  prœdicti  Johannes  et  Alaidis  adversus  Comitissam  et  Henricuni,. 
filium  ejus,  de  hereditate,  tam  eX  parte  patris,  quam  ex  parte  mail  ris 
provenienfe, nîchil  amplins  poterunt  reclamare.  Et  si  casu  contingeret 
qnod  matrimonium  non  fieret ,  prœdicta  Alaidis  jam  dicte  Comitisse 
Tel  Henrico ,  fralri  suo ,  libéra  et  in  loco  salvo  reddetur,  et  diclus  Jo- 
hannes dictam  Alaidem  ad  usum  et  consuetudinem  Caropanie  dotare 
tenetur.  Preterea  Dnus  Symon  de  Joinville  débet  facere  quod  Dîius 
Gaufridus,  filius  ejus,  diffinilivam  sentenliam  divorcii  inter  ipsum  et 
dictam  comitissam  Grandis  Prati,  per  venerabilem  Patrem  Remenseni 
archiepiseopam  latam ,  approbabit  et  recognoscet  coram  J.  dicto  Pa- 


CXVI  ACTBS  ET  DOCUHBlfTS 

Terel  archid.,  cancellar.  et  Gregorium ,  Canon.  Par.  jadidbas  a  Dno 
papa  delegatis,  se  sentenlie  dicti  archiepiscopi  consentire  ;  et  si  dictus 
Gaufridus  coram  jiidicibiis  personaliter  non  posset  comparere  mittet 
ad  id  raciendum ,  procuratorem  com  litteris  suis  patentQ)as  et  conti- 
nentibus  approbatîonem  sentenlie  Dni  Reniensis  archiepiscopi  super 
dicto  diTorcio,  sicut  superius  est  expressum.  De  omnibus  vero  debitis 
quod  dictus  Gaufridus  débet,  si  aliqiiis  dictam  comitissam  vel  Hen- 
ricum  filium  ejus  inquietaret,  supra  dictus  Symon»  dominus  Joinville , 
débet  eos  facere  quitari  et  legitimam  portarc  garantiam.  Et  ego 
Tlieob.,  Cornes  Campaniœ  et  Brie,  ad  petitionem  partinm  creantavi 
quod  tam  Dnus  faciam  bona  fide  supradicta  teneri.  Quod  ut  ratum 
permaneat,  etc.  Datum  Dni  1231»  mense  junio. 

Traduction. 

Moi  Thibaut.,  comte  de  Cliampagne ,  et  de  Brie  comte  palatin,  je 
fais  savoir  que  telles  consentions  ont  été  faites  en  ma  présence, 
entre  Simon,  seigneur  de  Joinville,  sénéchal  de  Champagne,  et  Marie, 
comtesse  de  Grand  pré,  qui  se  sont  engagés  au  mariage  de  Jean ,  fils 

atné  de  Simon  et  de  son  épouse  B ,  fille  du  comte  d'Estienne 

d^Outre-Saône,  avec  Alaïs,  fille  de  ladite  comtesse,  à  la  condition  que  la- 
dite comtesse  et  son  fils  Henri  donneront  en  faveur  dudit  mariage,  ^ 
Jean  et  à  Alaïs ,  sa  fille ,  trois  cent  livrées  de  terre ,  valeur  en  moonaio 
de  Paris,  en  sorte  que  les  prénommés  Jean  et  Alaïa  ne  pourront  dé- 
sormais rien  réclamer  ni  dans  Phéritage  de  leur  père  ni  dans  celui  de 
leur  mère.  Et  dans  le  cas  où  il  arriverait  que  le  mariage  ne  se  ferait 
pas,  ladite  Alaïs  serait  rendue  en  lieu  sûr  et  libre  à  ladite  comtesse  et 
à  Henri  son  fils.  Et  ledit  Jean  est  tenu  de  doter  ladite  Alaïs  selon 
les  us  et  coutumes  de  Champagne.  En  outre  ledit  Simon  de  Join- 
ville devra  faire  en  sorte  que  son  fils  Geoffroi  approuvera  et  reconnais 
tra  la  sentence  définitive  de  divorce  prononcée  par  révérend  père 
Tarchevêquede  Rhelms ,  entre  lui  et  ladite  comtesse  de  Grandpré. 


Acte  du  i^^  mai  1239,  par  lequel  Jean  de  Joinville  s'engage  à  7t« 
point  épouser  la  fille  du  comte  de  Bar. 

Je  Jehans,  sire  de  Joinville ,  séneschaux  de  Champaîgne ,  fas  à  savoir 
h  tous  cels  qui  ces  lettres  verront ,  que  je  jure  mon  très-chier  signor 
Thicbanlx,  par  la  grâce  de  Dieu  roi  de  Navarre,  conte  palatin  deCham- 


CONGEHNANT  LES  SIB£S  DB  JOINYILLB.  CXYII 

paigne  et  de  Brie ,  et  créante  comme  à  mon  signer  lige ,  snr  la  foi  que 
je  li  dois ,  que  je  ne  m*alierai  au  comte  de  Bar  ne  par  mariage  ne  par 
antre  chose,  ne  à  luy  ne  à  aotrj  encontre  luy»  et  noméement  je  ne 
prendrai  à  feme  la  fille  du  conte  de  Bar,  se  par  l'otroy  de  nK>n  signor 
devant  dit  non,  et  li  seray  aidans  encontre  toutes  gens  qui  puissent 
Yiyre  et  morir  ;  et  se  je  alloye  encontre  ces  convenances  devant  dites, 
messires  li  rois  devant  diz  porroit  asseoir,  sans  soi  meffaire,  à  tout  le 
fié  que  je  tieng  de  luy,  et  le  porroit  tenir  tant  que  je  ly  eusse  amraandé 
le  méfait  à  Fégard  de  sa  cort.  En  témoignage  de  ceste  chose,  j'ai  fait 
ces  lettres  sceller,  en  Tan  delMncamation  de  Nostre4Signor  Jésus-Christ 
HCC  et  xxxix ,  le  premier  jour  de  may. 

Cet  acte  publié  par  la  Ravalière,  est  au  Trésor  des  chartes.  (Ar* 
chives  de  l'Empire.) 

G 

Acte  du  f  mai  1239,  par  lequel  Béatrix ,  mère  de  Joinville^ 
dame  de  Yaucouleurs,  déclare  que  son  fils  est  engagé  à  ne  pas 
s'allier  par  mariage  au  comte  de  Bar, 

Je  Béatrix,  dame  de  Valcolor,  fas  assavoir  à  tous  oels  qui  ces  lettres 
Terront,  que  Jehans  mes  fils,  sires  de  Joinville,  seneschaus  de  Cliam- 
paigne,  a  pardevant  moy  fecognu  que  il  a  juré  à  mon  très-chier  signor 
Tliibaut,  par  la  grâce  de  Dieu  roi  de  Navarre ,  comte  palatin  de  Champ, 
el  de  Brie,  et  créante  corn  à  son  signor  lige,  pour  la  foy  que  il  11 
doit ,  que  il  ne  s^alliera  au  comte  de  Bar  ne  par  mariage ,  ne  par  aultre 
chose,  ne  à  lui,  ne  à  autruy  encontre  lui,  et  nommément  que  il  ne 
prendra  à  feme  la  fille  du  comte  de  Bar,  se  par  te  roi  mon  signor 
devant  dit  non ,  et  se  li  fera  aidans  encontre  toutes  gens  qui  puissent 

vivre  ne  morir Et  je  à  la  requeste  de  Jehans,  mes  fils  devant  dit, 

sut  pleige  vers  mon  signor  le  roi  devant  dit ,  de  ces  convenances  faire 
tenir  à  bonne  foi  ;  et  toutes  ces  convenances  devant  d.  a-il  juré  par- 
devant  moi  à  tenir.  Ce  fu  fait  en  l'an  de  l'incam.  Nostre-Signor  J.-C. 
1239,  le  1*'  mal. 

J*ai  trouvé  cet  acte  dans  le  recueil  de  docutnents  réunis  par  1.6- 
vesque  de  la  Ravalière,  à  la  suite  du  manuscrit  original  de  son  mé- 
moire lu  à  TAcadémie  des  inscriptions  et  belles-lettres. 


CXVIII  ACTIS  £i:  DOCUMENTS 


'  Lettre  de  1242,  par  laquelle  le  comte  Thibaut  expose  que  la 
réclamation  de  Joinville  d'être  mis  en  possession  des  éeuelles  du 
roi  y  n*est  pas  admissible. 

Nos,  Tliibauz,  par  la  grâce  de  Dieu,  roy  de  Navarre,  de  Cham- 
paigne  et  de  Bries  caenz  palatins ,  faisons  4  sçayoir  à  tous  ceulx  qui 
œs  lettres  verront  et  orront,  que  quant  nous  fismes  servir  nostre 
amé  et  féal  Jehan,  signor  de  Joinville,  senescbaus  de  Cbaropaigne, 
devant  nous  de  Tescuelle,  à  noces  monsignor  Philippe,  ainsné  fins 
le  roi  de  France ,  et  à  la  chevalerie  dudit  Philippe ,  li  séneschauz 
dessus  nommé  nos  requist  que  nos  li  feissions  son  assez  es  es- 
cuelles  de  quoi  il  avoit  servi  devant  nos,  lesquelles  dévoient  estre 
siennes,  si  comme  il  disoit  ;  et  nos  H  repondismes  lors  que  les  escnelies 
estoient  le  roy  de  France,  et  toutefois  nos  ne  volons  pas  que  ces  choses 
dessus  dictes  puissent  grever  à  nostre  séneschauz  dessus  nommé,  par 
\à  raison  que  nous  ou  nostre  hoir  commanderons  audit  séneschaus 
ou  à  ses  hoirs  que  ils  servent  dou  mangié  devant  nos,  que  touttea 
leurs  droictures  leur  soient  sauves  par  la  raison  de  la  séneschaucliiée, 
ainsi  comme  devant.  Et  en  tesmoin  de  cette  chose,  nous  avons  fait  scel- 
ler les  présentes  lettres  de  nostre  scel ,  qui  furent  faites  par  Nos  à 
Biaune,  le  lundi  prochien  après  les  octaves  de  Pasques,  en  Tan  de  grftce 
M.CG.XLII. 


Acte  du  mois  d'avril  1 2S0,  daté  du  camp  de  Jappé^  par  lequel  saint 
Louis  fait  dotation  à  Joinville  d'une  rente  annuelle  de  deux 
cents  livres. 

Ludovicus,  Dei  gratia  Francorum  rex,  notum  facimus  quod  obtenla 
gratis  accepti  servitii,  quod  dilectus  et  fidelis  noster  Johannes  dominns 
de  Joinvilla,  seneschalus  Campapiae,  nobis  eibibuit  in  partibus  Terras 
Sanctœ,  dedimus  et  concessimus  eidem  et  heredibus  suis,  ex  uxore 
«aa  desponsata,  qni  protempore  tenebunt  dominium  de  Janviila,  dn- 
CQOtas  libras  turonens.  anni  redditus  in  feodum  et  homagium  ligium 
et  nobis  et  heredibus  nostris  percipiendas  annuatim,  in  festo  Omnium 
Sanctorum,  in  cofTris  nostris,  et  de  hoc  homagium  ligium  nobis  fedt  con- 
tra omnes  bomines  qui  possuntvivereautmori,  salva  fidelitate  comitis 
Campaniae  et  comitis  Barri,  et  hoc  similiter  heredes  ipsius  predlcti  fa- 
cere  tenebuntur  nobis  et  heredibus  nostris.  Quod  ut  ratum  et  stabile 


CONCEBNÀNT   LES  STRES  DE  JOmVILLE.  CXlt 

permaneat,  presentem  paginam  sigilli  nostri  fecimiis  impressione  muniri. 

Actum  in  Castro  juxta  Joppem,  anno  Domioi  M»  CCo  Lo  secundo , 
tncnse  aprili. 

Tiré  du  mantucrlt  n°  1054  de  la  Biblioth.  impériale^  p,  127. 

K 

lettre  de  Jean,  sire  de  Joinville,  au  roi  Louis  X,  juin  1315. 

A  s5n  bon  seigneur  Loys,  par  la  grâce  de  Deu,  roy  de  France  et 
de  Navarre,  Jelians  sires  de  Joinville,  ses  sénescbaux  de  Cliampaigne, 
salut  et  son  service  apparilié* 

Chiers  sires,  il  est  bien  voira,  ainsi  commes  mandey  le  m*avez, 
que  on  disoit  que  vous  estiez  appaisiés  as  Flammans,  et  por  ce,  sire> 
que  nous  cuidiens  que  voirs  fust ,  nous  n'aviens  feit  point  d*apparoyl 
pour  aleir  à  vostre  mandement.  Et  de  ce,  sire,  que  vous  m'avez 
m'endey  que  tous  serés  à  Arras  pour  tous  addrecier  den  torts  que  li 
Flammeints  (Flamainc)  vous  font,  il  moy  semble,  sire,  que  vous 
faites  bien ,  et  Dex  vous  en  soit  en  aiide.  Et  de  ce  que  vous  m^avez 
mandey  que  ge  et  ma  gent  fussiens  à  Otbie  à  la  moiennetey  doo  mois 
de  joing,  sire ,  savoir  vous  fas  que  ce  ne  pnet  estre  bonnement ,  quant 
(quar)  vos  lettres  me  vinrent  le  secont  dimange  de  joing;  et  vinrent 
huit  joars  .devant  la  recepte  de  vos  lettres.  Et  plus  tost  que  je  poiraf 
(pourray),  ma  gent  seront  apparilié  pour  aleir  où  il  vous  plaira. 

Sire,  ne  vous  desplaise  de  oe  que  je,  au  premier  parloir  (parloir), 
ne  vous  ay  appeley  que  bon  signour,  quant  (quar)  autrement  ne  l'ay- 
je  fait  à  mes  signours  les  autres  Roys  qui  ont  esté  devant  vous ,  coi 
(cuy)  Dex  absoille  (absoyle).  Nostres  sires  soit  garde  de  vous.  • 

«  Donney  le  second  dimange  don  mois  de  joing,  que  vostre  lettre  me 
fust  appourté,  Tan  mil  trois  cens  et  quinze.  » 

Du  Gange  a  publié  cette  lettre  en  1668  d'après  l'original,  ou  diaprés 
une  copie  authentique  que  lui  avait  communiquée  Vyon  d'Herouval. 

Cette  lettre  si  précieuse,  dont  on  peut  voir  roriginal  à  la  Bibliothèque 
impériale  (section  des  autographes),  a  été  retrouvée  par  M.  La  Cabane 
dans  le  fonds  de  Dom  Yillevleille.  Elle  porte  cette  suscription  :  «  A  son 
bon  amey  seigneur  le  roy  de  France  et  de  Navarre,  »  et  en  ajouté  :  «  Le 
sceau  de  cette  lettre  (en  ctre  jaune,  dit  du  Cange,  de  la  grandeur  d*un 
grand  escn  d\>r),  est  encore  tout  entier,  dans  lequel  se  voit  empreinte 
la  figure  de  nostre  sire  de  Joinville ,  sur  on  ebeval  caparassoné  de  ses 
armes,  avec  une  bordure  de  (leurs  de  lys  à  Tenfour.  « 


CXX  ACTES  EX  DOCUMENTS 


APPENDICE. 


Rapport  de  la  Chambre  des  Comptes^  daté  du  mois  de  mai 
1381^  relativement  aux  droits  afférents  aux  sires  de  Join- 
ville  lorsqu'ils  étaient  à  la  cour  '. 

«  Cest  la  response  que  les  gens  des  comptes  firent  au  roy ,  le 
Beizième  jour  de  may  1331,  sur  les  droicts  que  le  seigneur 
de  Joinville  demandoit  à  court  pour  cause  de  la  sénesdiausséo 
de  Champaigne.  » 

Inquisitio  facta  per  gentes  compotorum  cîrca  jura  qus  se- 
nescalltts  Gampaniae  sibi  deberi  contendebat  in  hospitio  régis. 

Très-puissant  et  très-redoubté  seigneur,  vous  nous  avez 
mandé  que  nous  veissions  une  information  qui  a  esté  faicte  de 
Tostre  commandement  par  monsieur  Estienne  de  Moumay  et 
monsieur  Guillaume  de  Noë ,  dievallier,  sur  les  droicts  que  le 
sieur  de  Gienville  {Joinville)  demande  à  avoir  en  vostre  hostel, 
tant  comme  séneschal  de  Champaigne  et  par  raison  de  sa  sénes- 
chaussée.  Sy  vous  signiffions ,  très-cher  seigneur,  que  nous 
avons  veue  ladicte  information  et  les  escripts  de  vostre  chambre 
de  vos  comptes  le  plus  diligemment  que  nous  avons  peu ,  et 
pour  ce  que  ne  trouvons  point  qu'il  doye  prendre  aucun  droict, 
quel  qu'il  soit,  sur  vous,  excepté  vingt  sols  tournois,  lesquels 
son  père  et  luy  ont  bien  accoustumé  prendre  chaque  jour,  sous 
le  nom  de  séneschal  de  Champaigne ,  quant  il  estoient  en  leurs 


«  Od  doit  à  H.  Francisque  Michel  la  connaissance  de  cette  pièce  insérée 
par  lui  au  Bulletin  des  sciences  historiques^  de  M.  le  baron  de  Fénu- 
sac,  t.  XVIII,  p.  390,  391. 

Cette  pièce  et  la  suivante,  ajoutées  ici  en  appendice^  me  sont  parvenoet 
trop  tard  pour  être  rangées  à  leur  ordre  ciironologique. 


GONGEBNAIIT  LES  SIBES  DE  JOinVILLE.  CXXI 

peiw>mie8  ès  hostiex  de  VOS  prédécesseun  ;  et  aussy  avoDS  gardé 
es  tables  des  deq[>eD8  de  vos  prédécesseurs,  et  trouvons  par 
ioelles  de  quarante-huict  ans  à  passé ,  c'est  assavoir  avant  que 
le  roy  Philippes,  vostre  oncle,  nostre  tout  cher  seigneur,  ne 
prenoit  que  dix  sols  tournois  par  jour,  sous  le  nom  de  séneschal 
de  Champaigne;  mais  depuis  trente  ans  çà ,  il  a  bien  pris  sous 
le  nom  de  sénesdial  de  Champaigne  vingt  sols  tournois  pour 
chacun  jour  qu'il  estoit  à  la  cour  en  sa  personne,  et  quant  à 
l'article  de  vaisselle  d'argent  qu'il  demande  avoir  aux  festes  an- 
nuelles ,  très-cher  seigneur,  nous  n'en  trouvons  riens,  fors  tant 
que  nostre  cher  seigneur  le  roy  Philippes-le-Long,  vostre  cousin, 
que  Dieu  absolve,  fut  une  fois  à  la  Toussaints  mil  trois  cents 
dix-neuf,  à  Romay  en  Champaigne ,  à  laquelle  feste  ledict  sire 
de  Gienville  eut  bien  six  escuelles  et  deux  plats  d'argent 
(soixante  et  une  livres  parisis),  et  les  donna  à  Estienne  et  Eve* 
rart ,  vos  gens ,  et  manda  le  roy  à  la  chambre  que  l'on  leur  en 
rendist  la  vallue,  et  trouve  l'on  bien  que  lesdicts  gens  eurent 
lesdictes  soixante  et  une  livre  parisis ,  pour  le  coinpte  de  vostre 
trésorier  de  la  Sainct-Jean  mille  trois  cent  vingt  et  un,  mais  pour 
que  la  chambre  ne  trouvoit  pas  que  il  appartinssent  audict 
seigneur  pour  cause  de  sadicte  séneschaussée ,  ne  que  oncques 
mais  luy  ou  ses  prédécesseurs  en  eussent  rien  prins  qui  appa- 
roisse,  l'on  les  mit  en  debtes  à  recouvrer  sur  luy,  et  pour  ce 
qu'il  fut  advis  aux  gens  de  la  chambre  que  se  il  vouloit  ensai* 
Biner  de  tiers  dons  qu'il  ne  apert  pas  qu'il  en  eust  autrefois  eus, 
la  chambre  en  advisa  ledict  roy  Philippe  le  Long ,  li  suspendi 
tous  les  droicts  qu'U  demandoit;  et  quant  est  des  pièces  de 
cbair,  vin ,  chandelles  et  autres  choses  qu'U  demande  pour  cause 
de  sadicte  séneschaussée,  nous  n'en  trouvons  riens,  ni  ne  pou- 
vons en  trouver  en  la  chambre;  car  telles  choses  ne  se  trouvent 
pas  particulièrement  par  le  compte,  ainçoys  sont  entre  les  des- 
pens  de  l'hostel  en  général ,  se  estre  y  doyvent;  néantmoins  es 
tables  de  l'hostel ,  que  nous  avons  pour  ce  veues ,  n'en  est  faid 
nulle  mention. 

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CXin  ACTES  ET  DOCUMENTS 

Sur  ce,  très-cher  seigneur,  si  faictes  et  ordonnez  ce  qu'if 
TOUS  plaira.  Nostre-Seigneur  vous  veuille  garder  l'âme  et  le 
corps.  Escript  à  Paris ,  le  seizième  jour  de  may,  l'an  treize  cent 
vingt  et  un  > . 

(  Tiré  dû  recueil  de  la  Chambre  des  comptes  de  la  Bibliotlièque  du 
Roi,reg.  B.,  fol.  2,  et  recadl  de  M.  Montmerqué^t  V,  p.  70.) 


Pièce  extraite  du  premier  cartulaire  de  Vabbaye  de  Mon,' 
iier^en^Der  (Dervensis),  par  laquelle  Dudon,  premier 
abbé  de  cette  abbaye^  constate  qu^ Engelbert ,  comte  de 
Brienne,  donne  sa  sœur  en  mariage  à  Es  tienne  de  Join» 
ville.  Vacte  n*est  pas  signé  y  mais  il  doit  être  de  tannée 
1025  ou  1027. 

'  Notum  fieri  volumus  omnibus  Christi  fidelibus ,  quodniam 
ego  Dudo  9  licet  indignus,  abbas  Dervensis  (Montier^n-Der) 
breviarium  studui  facere  de  territorio  Blesensi,  quod  est  san- 
ctorumapostolorum  Pétri  et  Pauli,  et  venerandi  roartiris  Christi 
Bercharii ,  qualiter,  ad  defendendum  et  bene  ab  hostibus  custo- 
diendum,  Stéphane  de  Juncivilla  commissum  sit.  Quapropter 
Eogelbertus,  comes  fireonensis,  habens  quandam  sororem, 
nidlius  adhunc  junctam  connubio,  cupiensque  eam  tradere  aln 
cujus  valentie  potentieque  viro^  placituminde  habuit  cum  supra 
memorato  Stéphane ,  copulans  eam  illî  vinculo  maritali.  Hac 
itaque  ratione,  idem  Stephanus,  peroptans  ab  ipso  aliquod  ex* 
torquere  proGcuum ,  sicut  a  tali  ac  tanto  domino ,  quesivit  et 
impetravit  illud  tantillum  advocarie  Blesensi  pagi ,  quod  conk- 

« 

■  La  date  de  1331  est  exacte  et  ne  doit  point  être  changée.  C*est,  en  efret» 
â  Philippe  de  Valois,  qui  régnait  en  1331 ,  que  la  Chambre  des  comptes  a 
envoyé  eé  rapport,  et  non  à  Philippe  le  Long,  dontil  n^est  parlé  dans 
cette  réponse  que  comme  d'un  roi  mort,  et  cousin  de  celui  à  qui  elle  est 
adressée. 


CQNCSBNàNT' LES  S1H£S  DE  JOINYILLE.       ÇXXIII 

nussuin  fiierat  Engelberto,  preooiniiiato  eomiti.  Yerum  quia 
sibi  param  proveniebat  bec  talis  adToearia ,  venit  ad  me  ultro , 
promittens  Deo  et  sancto  Petro  et  mibi ,  coram  fratribus  et 
multis  aliis  «  se  deinceps  melius  defensurum  terram  illam  no- 
stram,  si  sibi  gratis  aliquid  concederemus.  Gujus  confisi  promis- 
sionibus ,  annuimus  ei  per  annum  de  pertinentiis  ad  eandem 
advoeariam  quadragenta  arietes,  ettotidem  porcas,  sex  pran- 
dia  et  carropera  ad  palos  virgasque  ferendas  ad  opus  castri  sui , 
hoc  modo  ut  mane  euntia  in  vesperîs  reverterentur.  Conces- 
fsimus  etiam  sibi  de  operariis  ad  laudem  suorum  et  nostrorum 
hominum.  £o  tamen  tenore  bec  omnia  sibi  iDJunximus ,  ut 
nibil  aliud  acciperet  ibi  ;  si  autem  in  aliquo  deviaret ,  amplius 
nullum  ibi  dominium  ipse  née  ejus  posteri  haberent. 

Signum  Dudonis  abbatîs ,  Signum  Vuidonis  comitis  ; 

Signum  Milonis  monacbi  ;  Signum  Tecelini  ; 

Signum  Vuandelgebi  monacbi  ;  Signum  Richeri  ; 
Signum  Engelbebti  comitis  ;     Signum  Engelbebti. 

La  présente  copie  a  été  extraite  littéralement  du  premier  cartiilaire 
fie  Tabbaye  de  Montier-en-Der,  folio  35, verso.  (Archives  de  la  Haute- 
Marne.  ) 

Traduction. 

Noas  voulons  faire  savoir  à  tous  les  serviteurs  du  Christ,  que  moi, 
Dodon,  abk)é'de  Der,  quoique  indigne,  je  me  suis  occupé  de  faire 
dresser  le  Registre  du  territoire  de  la  Biaise,  qui  est  sous  la  protection 
de  samt  Pierre  et  de  saint  Paul  et  du  vénérable  martyr  en  Jésus-Christ, 
Bercbaire,  et  que  la  défense  en  aété  confiéeà  Estienne  de  Joinville,  pour 
qu'il  soit  bien  gardé  et  bien  défendu  contre  les  ennemis.  A  cet  effet, 
Engelbert,  comte  de  Brieime,  ayant  une  sœnr  non  encore  mariée,  qu*ii 
désirait  foire  éponser  à  quelque  honmie  vaillant  et  puissant,  fut  charmé 
de  la  donner  en  légitime  mariage  à  cet  Estienne.  Par  la  même  rai- 
son Estienne,  désirant,  de  son  côté,  obtenir  quelque  avantage  d'un  sei- 
gneur aussi  puissant,  demanda  et  obtint  Tadveuerie  de  la  contrée  du 
Bourg  de  la  Biaise ,  qui  avait  été  confiée  au^sosnommé  Engelbert  Mais 


Ctlir     ACTES  CONCEBNANT  LES  SIABS  DB  POINTILLE. 

eomme  oettaadTouerie était  d'un  mince  rapport,  il  vint  me  trooTer, 
promettant  à  Dieu»  à  saint  Pierre  el  à  moi,  en  présence  de  nos  frères 
et  del)eaocoap  d'autres,  qall  défendrait  mieax  désormais  notre  terre, 
si  nous  loi  accordions  gratuitement  quelque  cliose.  Confiant  en  ses 
promesses,  nous  lui  allouons ,  annuellement,  sur  ce  qui  appartient 
à  cette  adTooerie,  quarante  béliers,  et  autant  de  truies,  six  repas,  et 
des  cliariots  propres  à  transporter  des  pieux  et  des  fascines  pour  l'en- 
tretien de  son  château,  ponnm  que,  partant  le  matin,  ils  puissent 
revenir  le  soir  même.  Nous  lui  concédons  aussi  des  ouvriers  à  la 
convenance  de  ses  liommes  et  des  nôtres.  Mais  toutes  ces  concessions 
sont  à  la  condition  qu*il  n'aura  rien  de  plus,  et  que  s*il  s'écartait  en  quoi 
que  ce  soit  de  ces  prescriptions,  ni  lui  ni  ses  héritiers  n'auront  plus 
rien  à  prétendre. 


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X. 

ESSAI  SUR  LA  GÉNÉALOGIE 

DES  SIRES  DE  JOINVILLE. 


L'importance  historique  des  possesseurs  de  la  baronnie 
et  principauté  de  Joinville  mérite  de  fixer  l'attention  de 
nos  savants  membres  de  Flnstitut ,  de  FÉcole  des  chartes 
et  des  diverses  académies,  afin  que  par  leurs  soins  les  docu- 
ments contenus  au  manuscrit  n^  1054,  les  généalogies  du 
cabinet  des  titres  de  la  Bibliothèque  impériale,  les  indica- 
tions qu'on  trouve  dans  Wassebourg,  dans  Desrosiers,  et 
dans  l'édition  de  Ménard^  enfin  dans  les  généalogies  dres- 
sées par  le  P.  âainte-Catherineetpar  le  P.  Anselme,  soient 
mieux  coordonnés.  Signaler  les  différences  qu'offrent  ces 
documents  m'entraînerait  trop  loin  ;  il  résulte  toutefois ,  de 
Fexamen  auquel  je  me  suis  livré,  que  le^travail  du  P.  Sainte- 
Catherine  me  parait  le  plus  près  de  la  vérité.  Dans  le  résumé 
que  j'offre  commeun  simpleessai,  on  peut  suivre  la  parenté 
entre  Godefroi  de  Bouillon,  roi  de  Jérusalem ,  et  Geoffroi  r% 
sire  de  Joinville ,  ainsi  que  la  filiation  des  membres  de 
cette  illustre  Êimille  jusqu'à  ces  derniers  temps. 

Quelques  documents  du  manuscrit  n**  10S4  fontremonter 
Torigine  de  la  famille  de  Joinville  à  Gharlemagne,  et  celle 
de  la  ville  et  du  château  de  Joinville  au  consul  Jovin ,  qui  » 
selon  le  récit  d*  Ammien  Marcellin  ' ,  remporta  sur  les  Ger- 
mains une  bataille  près  de  la  ville  de  Châlons-sur-Mame  ; 
mais  le  chroniqueur  Albéric  des  Trois-Fontaines  et  du  Gange 
attribuent  l'origine  du  nom  de  Joinville  à  celui  de  Joigny, 
ville  que  Etienne  I^^père  deGeoffroi  1®%  apporta  en  héritage, 

*  L.  XXVII,  ch.  Il,  édit.  de  1681,  ÎQ-foUo,  p.  476. 

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CXXVI 


B8SÀI  SUR  LÀ  GÉNtALOOIS 


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DES  SIAES  DE  JOINYILLE.  CXXVIf 

11  résulte  de  ce  tableau  qu^Eustadie  II  ',  père  de  Godefroi  de 
Bouillon ,  et  Étienue,  fondateur  de  Joinville  et  père  de  Geof- 
froiP',  étaieDtarrîère-peti^fiIs  de  Guillaume  comte  dePonthieu. 
Mai^  le  tableau  généalogique  du  père  Sainte-Catherine  et  les 
documents  qui  composent  le  recueil  manuscrit  1054  ne  sont 
pas  toujours  complètement  d'accord;  ils  reconnaissent  cepen« 
dant  comme  : 

I*'  Baron  de  Joinville,  Estienne. 

Etienne,  dit  de  Vaux  (de  f^aUibus);  il  est  ainsi  désigné  dans 
quelques  pièces^  de  Joncivilla  de  FailUms,  Selon  Tacte  de  Tabbé 

*  D'après  plasiean  pièces  insérées  aa  manascrit  1054 ,  et  d'après  l'his- 
toire inédite  delà  prindpaatéde  JoinvUle  par  Fisseax  *  (1632),  cet  Eusta- 
che  II  aurait  eu  un  quatrième  fils  nommé  Guillaume  ^  lequel  forme  con- 
fusion avec  Geoffroi»  premier  du  nom,  qu'il  remplace,  dans  plusieurs 
généalogies  où  on  ne  trouve  que  quatre  Geoffroi,  parmi  lesquels  Geoffroi 
Trouillard  ne  figure  plus  qu'au  quatrième  rang,  au  lieu  du  cinquième 
qu'il  occupe  dans  la  table  du  P.  Sainte-Catherine. 

Cette  histoire  inédite  de  la  principauté  de  JoinvUle  par  Fisseux,  datée  de 
1632,  dont  M.  Lemoine  possède  une  copie,  dit  que  Godefroi  de  Bouillon 
aurait  eu  un  troisième  frère,  nommé  Guillaume,  qui  fut  baron  de  Joinville 
et  gouverneur  de  Lorraine  en  l'absence  de  ses  frères  en  Terre-Sainte, 
c'est  de  ce  Guillaume  que  Geoffroi  l*'  serait  oé. 

Suivant  la  généalogie  établie  d'après  les  pièces  insérées  au  recueil 
n^  1054,  et  selon  l'histoire  inédite  de  Fissenx,  ce  Guillaume  (ou  Geofflroi  1«') 
aurait  épousé  Mathilde,  fille  de  Gérard,  duc  de  Mosellane ,  dont  il  aurait 
eu  trois  fils  :  l'ainé,  Thierry,  qui  devint  duc  de  Lorraine  par  la  mort  de 
son  oncle  Baudouin ,  roi  de  Jérusalem  ;  le  second,  qui,  d'après  ce  recueil , 
serait  Geoffroi  I*',  et  aurait  eu  en  partage  la  baronnie  de  Joinville,  dont  11 
Aurait  hérité  de  son  onWe  Baudouin  ;  le  troisième,  Henri,  qui  s'embarqua 
^  Marseille  en  iiio,  pour  aller  voir  son  frère  Geoffroi  et  son  oncle  Bau. 
douin,  qui  était  alors  roi  de  Jérusalem.  Une  tempête  Tayant  fait  aborder 
en  Galicie,  il  fut  bien  accueilli  par  Alphonse  Yl,  que  son  frère  avait 
chassé  de  son  trône ,  et  il  coml>attit  si  vaillamment  les  Sarrasins  et  les 
Maures,  qu'Alphonse  lui  fit  épouser  sa  fille  naturelle  Thérèse ,  et  lui 
donna  en  dot  le  royaume  de  Portugal.  Dans  une  pièce  du  recueil  manus- 
crit 1054,  intitulée  Spitaphes,  figure  un  autre  frère  appelé  baron  de  Join^ 
ville ,  qui  se  serait  fait  religieux  et  serait  mort  en  1132. 

*  Avocat  en  la  cour,  lientenant  général  au  baillage  de  Joinvillf ,  conseiller  es  consrils 
de  Bionicignettr  le  due  de  Gutse,  et  auditeur  ea  la  eoor  des  comptes. 


CXXVIII  S88ÀI  SUB  LÀ  GÉNiÀLOGIB 

Dudon,  il  épousa  Adélaïde,  comtesse  de  Brlenne,  soeur  du 
comte  Engelbert  II  de  Briemié.  Il  eut  pour  fils  et  successeur  : 

IP  Baron  de  Joinvilie,  Geofjroi  7*'. 

Geoffroil*^,  dîtle  F^ieil,  comte  de  Joiguy,  seigneur  de  JoîiiTiUe 
et  de  Vaucouleurs.  Il  fonda  le  prieuré  de  Joigny  en  1060,  et 
mourut  le  25  janvier  1080.  Selon  du  Gange ,  il  épousa ,  en  1 100, 
Blanche...  Selon  Ménard ,  il  aurait  épousé  Jeanne,  comtesse  de 
Harécourt.  Selon  d'autres  documents,  ce  Geoffroi  I*',  dit  le  Vieil, 
aurait  épousé  Mantfride,  comtessede  Joigny,  fille  de  Fromont, 
sire  de  Joigny,  et  de  Gerberge  de  Roud,  Teuve  de  Fromont,  belle- 
fille  du  comte  Engelbert  de  Brienne-sur- Aube.  Il  eut  pour  fils  : 

III"»  Baron  de  JoinpUle,  Geqffroi  IL 

Geoffroi  II ,  sire  de  Joinvilie  et  de  Vaucouleurs.  Par  des 
actes  de  1 104  et  1 105 ,  on  voit  que  dès  cette  époque  le  titre  de 
sénéchal  de  Champagne  était  concédé  aux  seigneurs  de  Join- 
vilie '.  Geofïroi  épousa  Hodieme  de Gourtenay,  ou,  selon  Mé- 
nard, la  fille  de  Gérard  de  Vaudémont.  Son  fils  Roger  lui 
succéda  dans  ses  deux  baronnies.  Une  de  ses  filles ,  Hadevede 
de  Joigny,  devint  dame  d'Aspr^nont  en  Tan  1110,  selon  la 
Chronique  d'Albéric.  Il  mourut  en  1128. 

IV"  Baron  de  Joinvilie,  Roger. 

Roger  *  épousa  en  1 110  Aldegsurde  ou  Adélaïde  de  Vignorray, 
et  mourut  vers  1130.  Il  eut  deux  fils,  Guy  de  Joinvilie  3,  qui  fut 

■  Voyez  la  Vie  du  sire  de  Joinvilie,  par  Levesqnede  la  Ravalière.  {Mém. 
de  l'Ac.  det  Iturc.  et  beiles-lettres,  t.  XX,  p.  311.) 

3  Dans  le  manuscrit  n**  1064»  Roger  ne  figure  point  parmi  les  seigneurs 
de  Joinvilie. 

*  Dans  la  généalogie  de  Joinvilie ,  ms.  1054,  fol.  120- 122,  on  lit,  dans 
un  catalogue  des  évéques  de  Chèlons ,  que  ce  Guy  ou  Guido  fit  de  gran- 
des aumônes  dans  son  diocèse ,  qui  souffrait  d'une  grande  sécheresse,  et 
qu'il  fil  le  voyage  de  Jérusalem.  11  y  mourut,  et  son  corps  fut  inhumé 
dans  la  vallée  de  Josaphat.  «  Avant  son  partement  pour  faire  ledit  voyage, 
faisant  conscience  de  conférer  les  bénéfices  de  son  évescbé,  il  céda  la 


DSS  8IBB8  DB  JOiNTILIA.  CacXIX 

évéque  de  (MUms  en  Champagne,  en  1163,  et  qui  institua 
deux  chanomes  à  Téglise  Saint-Laurent  de  JoinTille,  en  1179. 
Son  autre  fils  fut  : 

yo  Baron  de  JoinvUie,  Geof/roi  IIL 

Geoffroi  III,  dit  le  Gros  ou  k  Gras ,  seigneur  de  Joinville  et 
sénéchal  de  Champagne. 

En  reconnaissance  de  ses  services,  Henri  1^',  comte  de  Cham- 
pagne, lui  donna  la  charge  de  sénéchal  de  Champagne,  trans- 
missible  à  ses  héritiers.  Le  P.  Anselme  dit  que  dès  1154  on 
voit  quelques  titres  souscrits  par  lui ,  et  quHI  fut  le  fondateur 
des  abbayes  d'Ëscurey ,  de  Tordre  de  Cîteaux,  en  1 1 44  ;  de  Saint- 
Urbain  ;  de  Janvillers,  de  Tordre  de  Prémontré,  en  1168  ;  de  la 
maison  de  Mathons,  ordre  de  Grand-Mont;  du  prieuré  des 
filles  dit  de  Faldonne^  dépendant  de  Tabbaye  de  Molesme , 
fondée  également  par  lui ,  par  sa  femme  et  son  fils ,  en  1140. 

11  fonda  aussi  Téglise  collégiale  de  Saint-Laurent  et  autres 
édifices  religieux.  Il  épousa  Félicité  de  Brienne*  fille  de  Simon 
de  Broyés  laquelle  avait  un  frère  appel^  Hugues  de  Broyés  et 
de  Brienne  (selon  Ménard,  il  aurait  épousé  Jeanne  de  Kayne). 
11  mourut  en  U84 ,  et  fut  enterré  à  Oairvaux. 

VI«  Baron  de  Joinville  y  Geoffroi  ir. 

Geoffroi  IV,  sire  de  Joinville  et  sénéchal  de  Champagne , 
appelé  le  Jeune  pour  le  distinguer  de  son  père.  La  Chronique 

oollatton  des  prébeodes  de  ChâloDs  h  ceax  da  ChapUre,  et  fit  d'autres  dis- 
posiUons ,  doDt  les  évesques  ses  successeurs  u'ont  été  contents.  » 

>  D*aprës  le  même  manuscrit,  ce  Geoffroi  III  aurait  épousé  Jeanne, 
fille  de  Guillaume,  baron  de  Rins  et  de  Vaucouleurs  ;  il  parUt  pour  la  croi- 
sade avec  Louis  dit  le  Pitettx^  qui,  pour  le  récompenser  de  ses  services,  le 
nomma  sénéchal  héréditaire  de  Champagne,  avec  droit  de  transmission  à 
ses  héritiers.  A  son  retour  de  la  croisade,  il  s'adonna  tout  entier  à  la  piété; 
il  fonda ,  édifia  et  dota  dans  retendue  et  aux  environs  de  sa  baronnie 
plusieurs  monastères  et  églises,  telles  que  l'abbaye  d*Escurey  ;  celle  de  lan- 
villiers,  de  l'ordre  de  Prémontré;  la  maison  Dieu  de  Mathons,  de  Tordre 
de  Grand-Mont;  le  prieuré  de  VaUdHDnne,  ordre  de  Moleane,  et  fit  eons- 
Uuiro  l'église  Saint-Laurent  au  château  de  Joiovilte.  Userait  morten  laoo. 


GXXX  BttAI  lUm  LA.  6illiA.L06IB 

d'Albéric  (à  Tamiée  1190)  dît  qu*U  était  immnmiié  k  Faslet 
(c'est-à*dire  éeuyer)  avant  d'avoir  reçu  Tordre  de  dievalerie. 
Il  se  distingua  dans  les  guerres  du  temps,  et  partit  pour  la  croi* 
sade  en  1100,  avec  ses  deux  fils  GeofTroi  etSioKMi.  Il  assista  au 
siège  de  Saint- Jean  d'Acre,  et  mourut  Tannée  suivante,  sous 
les  murs  de  cette  place.  11  (ut  considéré  comme  le  meilleur 
chevaUer  deion  temps,  ainsi  que  le  sire  Jean  de  Joinville  Ta 
constaté  dans  Tinscription  qu'il  fit  placer  sur  le  tombeau  de  son 
aïeul. 

11  épousa  Hehide  de  Damf  ierre  ',  et  eut  pour  fils  : 

1°  Guillaume  de  Joinville,  évéque  de  Langres  en  1208, 
puis  archevêque  de  Reims  et  légat  du  saint-siége,  qui  mourut 
en  1226  dans  la  guerre  contre  les  Albigeois. 

2^  Robert  de  Joinville ,  mort  dans  la  Potiille ,  avec  son  cou- 
sin Gautier  de  Brieime,  qui  s'était  rendu  avec  d'autres  cheva- 
liers champenois  pour  conquérir  le  pays  qui  appartenait  à  la 
femme  de  Gautier,  fille  de  Tancrède  (La  Fouille).  GeofTroi  de 
Ville-Hardouin  rapporte  qu'il  rencontra  près  du  mont  Cenis 
Robert  de  Joinville  et  ces  chevaliers,  qui  Itu  tinrent  ce  discours  : 
«  Vous  voyez  comme  nous  avons  pris  déjà  les  devants.  Quand 
«  vous  arriverez  à  Venise  (rendez-vous  pour  l'embarquement  de 
«  Tarmée),  vous  nous  trouverez  tout  prêts  pour  nous  joindre 
«  à  vous;  mais,  ajoute  Ville-Hardouin ,  il  en  advint  des  aven- 
«  tares  comme  il  plaît  à  Dieu ,  et  il  ne  fut  plus  en  leur  pouvoir 
«  de  rejoindre  Tarmée.  Ce  fut  grand  dommage ,  car  ils  étoieut 
«  tous  pieux  et  vaillants.  C'est  ainsi  qu'ils  se  départirent ,  tirant 
«  chacun  de  son  côté.  »  Robert  de  Joinville  mourut  dans  cette 
expédition. 

3**  Gèoffiroi  V,  dit  Trouillard. 

4'»  Simon,  qui  fut  père  de  l'auteur  des  Mémoires. 

5®  André  de  Joinville ,  chevalier  du  Temple ,  selon  du  Gange. 

*  HénavddMkgesss)  dit  qa'U  eut  pour  femme  Helayt  «  eommeU  ap- 
port,  dlHI ,  par  Utn  de  r«n  MCXCL 


DB&  SIRBS  DB  JOIIIYIU.B.  CXXXI 

II  fiit  le  dief  de  la  brandie  des  Joinville  seigneurs  de  Sailly  et 
de  Juillly. 

6*"  Guy  de  Joinville,  seigneur  de  SaîUy  Tan  1208  > ,  et  deux 
sœurs  :  Yolande,  seconde  femme  de  Raoul,  comte  de  Sois- 
sons,  et  Félicité. 

VII*  Baron  de  Joinville,  Ceoffroi  T,  dit  TrauUlard. 

Geoffroi  Y,  surnommé  rrot/l/Zard ,  seigneur  de  Joinville 
et  sénéchal  de  Champagne,  se  rendit  en  Terre-Sainte,  en 
1191 ,  avec  son  frère  Simon.  Us  s'embarquèrent  à  Gènes  avec 
Philippe- Auguste  ;  et,  quand  le  roi  de  France  eut  quitté  la 
Terre-Sainte,  tous  deux  y  restèrent  cinq  années.  Richard,  roi 
d'Angleterre,  qui  était  venu  rejoindre  Philippe-Auguste  à 
Messine ,  témom  de  la  bravoure  que  lés  deux  frères  déployè- 
rent en  toute  occasion ,  leur  concéda  le  droit  de  partir  leurs 
armes  de  celles  d'Angleterre. 

Notre  poëte  français  Guyot  de  Provins  *  contemporain  de 
Louis  YII  et  de  Philippe-Auguste ,  après  nous  avoir  dit  quil 
prit  part  à  la  croisade ,  non  parmi  les  guerriers,  mais  comme 
clerc  ou  ménestrel ,  parle  ainsi  de  GeofTroi  dans  sa  Bible ,  com- 
posée en  1203  : 

Jofrolz  de  Joinville 

Meillor  chevalier  par  saint  Gille, 
ITavoit  de  lui  de  çà  le  Far  '. 

Vers  472-477. 

:  Geoffroi  Trouillard  et  son  frère  Robert  prirent  part  à  la 
croisade  de  1199,  ainsi  que  le  dit  Ville-Hardouin,  qui  les  cite 
tous  deux  parmi  les  chevaliers  de  la  Champagne  qui  se  croi- 
sèrent les  premiers,  lorsqu'on  1 198  Foulques  de  Neuilly  prêcha 

:  1  Sa  tombe,  retrouvée  dans  Pabbaye  d'Escurey,  prés  Montier-sar-Saax,  est 
maintenant  an  musée  de  Bar-le-Duc.  Son  petit  fils,  Guy  de  Joinville,  avait 
fondé  en  I303  le  prieuré  de  Boucheraumont,  sous  la  règle  de  Saint-François. 
.  ^  Je  trouve  ce  renseignement  dans  l'excellent  article  Guyot  rédigé  par 
M.  Alexandre  Pey  et  inséré  dans  la  Biographie  générale, 
^  En  deçà  du  Phare  de  Messine,  c*est-à-dire  de  toute  la  chrétienté. 


CXIXII  ESSAI  SUB  LA  GÉfliàLOOIB 

la  croisade.  Ville- Hardooin  rapporte  que  Geoflroi  se  rendit  arec 
Matthieu  de  Montmorency,  Simon  de  Montfort  et  le  maréchal 
GeoCfroî  de  Yille-Hardouin ,  auprès  d*Odon,  duc  de  Bour- 
gogne, pour  lui  demander  de  succéder  dans  le  commande- 
ment de  Tannée  à  son  cousin  Thibaut,  comte  de  Champa- 
gne, dont  VOle-Hardouin  raconte  la  mort,  et  que,  sur  le  re- 
fus d'Odon,  GeofTroi  de  Joinville  fut  chargé  par  les  au- 
tres députés  de  £aire  la  même  offre  à  Thibaut,  comte  de 
Bar-Ie*Duc,  autre  cousin  du  feu  comte  de  Champagne,  qui 
refusa  aussi  cet  honneur  que  ViUe-Hardouin  dut  enfin  accep- 
ter, mais  Geofifroi  de  Joinville  ne  suivit  pas  Yille-Hardouin 
dans  sa  conquête  de  Constantinople  >. 

L'origine  du  surnom  de  TrouiUard  est  ahisi  rapportée  dans 
le  manuscrit  10S4  :  Un  pirate  génois  nommé  Tromllard  était 
venu  incendier,  le  soir,  des  barques  appartenant  aux  croisés. 
Geoffroi,  qui  péchait  au  bord  de  la  mer,  s'en  aperçut,  et,  s'élan- 
çant  sur  lui ,  le  tua  d'un  coup  de  trouble^  instrument  de  pêche 
qu'il  tenait  à  la  main. 

Le  nom  Tronillard  lui  fut  Ion  imposé 
Pour  un  patron  génois  dit  TrouiUard , 
Pirate  estoit,  lequel  fut  si  osé 
D*ardre  les  naus  des  chresUens  sur  le  tard. 
Geoffroi  pescbant  et  estant  à  Tescart, 
La  trahison  du  pirate  aperçut, 
Et  d'un  trouble  qu*il  tenoit  le  tua  : 
Dont  par  ce  fait  le  nom  lui  est  échu. 

GeofTroi  TrouiUard  étant  mort  près  d'Acre  en  1204,  sans 
postérité,  son  frère  Simon  revînt  en  France,  et  lui  succéda  àatos 
la  baronnie  de  Joinville  et  de  Vaucouleurs. 

VIII"  Baron  de  Joinville,  Simon. 

I^mon,  sire  de  Joinville  et  de  Vaucouleurs,  sénéchal  de 
Champagne,  frère  puîné  de  Geoffroi  TrouiUard,  lui  succéda  dans 
la  baronnie  de  Joinville ,  et  aussi  comme  sénéchal  héréditaire  de 

>  Quelques-uns  des  faits  attribuées  à  Geoffroi  lY,  le  sont  &  Geoffroi  T 
dans  du  Cange ,  et  vice  vena  pour  Geoffroi  Y* 


DES  SIRS8  DE  JOINYILLE.  CXXXm 

Champagne.  En  1214 ,  il  fit  hommage  du  sénéchalat  de  Cham- 
pagne  à  la  comtesse  Blanche  et  à  son  fils  Thibaut,  mineur, 
qu'il  jura  de  défendre,  comme  étaht  son  homme  lige,  contre  lés 
fils  du  comte  Henri  et  contre  toute  (Nature  morte  ou  vivante. 
L'acte  s'en  est  conservé  ;  il  est  daté  d'août  1214.  (Voir  la  pièce  A.) 

Cet  engagement  ne  devait  être  valable  que  jusqu'au  jour  de 
la  majorité  de  Thibaut;  car  la  comtesse  Blanche  se  refusait  à 
reconnaître  les  prétentions  de  Simon  au  droit  héréditaire 
sur  le  sénéchalat  de  Champagne,  quoique  concédé  depuis  long- 
temps à  la  famille  des  sires  de  Joinville. 

Diaprés  cet  acte,  cette  prétention  devait  rester  en  suspens 
jusqu'au  moment  oii  Thibaut,  devenu  majeur,  en  déciderait; 
néanmoins,  et  sauf  cette  réserve,  Simon  fit  hommage  à  Thibaut 
de  la  baronnie  de  Joinville  et  des  fiefs  qui  en  relevaient. 

Mais  il  parait  que  Blanche  et  son  fils  Thibaut  ne  voulurent 
pas  reconnaître  ce  droit  sur  le  sénéchalat  de  Champagne ,  et 
que ,  sans  égard  aux  conventions  qui  établissaient  le  statu  quo^ 
ils  avaient  saisi  les  fiefs  de  Simon.  En  effet ,  l'acte  de  juin  1218 
(  voy .  la  pièce  B  )  nous  apprend  qu'enfin ,  par  amour  de  la  paix 
et  par  bienveillance  pour  Simon ,  la  comtesse  Blanche  et  son 
fils  Thibaut  lui  concèdent  le  droit  sur  le  sénéchalat  de  Cham- 
pagne ,  pour  lui  et  ses  héritiers ,  déclarant  lui  rendre  les  fiefs 
saisis  et  lui  donner  en  garantie ,  pour  l'un  de  ses  fiefs  qu'ils 
ne  pouvaient  lui  rendre  immédiatement ,  quatre  autres  fiefs , 
jusqu'au  jour  où  la  restitution  deviendrait  possible. 

Dans  cet  acte ,  Thibaut  et  sa  mère  prennent  l'engagement 
suivant  :  «  Dès  que  Thibaut  aura  atteint  sa  vingt  et  unième 
année,  il  donnera  à  Simon,  par  lettres  patentes,  l'investiture 
du  sénéchalat  de  Champagne ,  transmissible  à  Geoffroi  son  fils, 
pour  en  jouir  après  la  mort  du  père  ;  déclarant  dès  à  présent 
Simon  délié  de  tout  hommage  et  de  tout  droit  féodal ,  si  Thi- 
l>aut  (  ce  dont  Dieu  le  garde!  )  voulait  annuler  les  présentes  et 
violer  cet  engagement.  » 

Lorsque  Philippe- Auguste  quitta  la  Terre-Sainte,  il  confia  à 


CXXXIT  SSSAI  8CB  LA  GÉNÉALOGIE 

Geof&oî  et  à  Simon  une  partie  de  son  armée,  qui,  réunie  à  celle 
de  Richard,  conquit  les  villes  de  Gaïphas,  Gaza,  Ascaion, 
Emmaûs  et  autres  places  maritimes. 

Après  être  resté  cinq  ans  en  Terre-Sainte,  où  mourut  son  frère 
Geoffroi  en  1204,  Simon  revint  en  France  ;  mais  on  ignore  l'épo- 
que de  son  retour.  En  1218  il  repartit  de  nouveau  pour  la  croi- 
sade avec  Jean  de  Brienne,  et  en  1219  il  contribua  à  la  prise  de 
Damiette'. 

Par  un  acte  de  juillet  1218 ,  la  dame  de  Montesclair  (l'épouse 
de  Simon  de  Joinville ,  sénéchal  de  Champagne)  fait  abandon  de 
son  douaire,  c'est-à-dire  de  la  moitié  des  propriétés  dudit  Simon, 
son  mari ,  en  échange  de  la  châtellenie  de  Vaucouleurs.  (  Voy. 
la  pièce  D.  )  Par  cet  acte ,  il  est  dit  que  le  château  dé  Joinville , 
gardé  par  des  hommes  d'armes ,  devra  être  remis  à  Geoffroi, 
son  fils  aîné,  dès  qu'il  aura  atteint  sa  majorité,  et  qu'alors ,  si 
son  fils  veut  se  séparer  d'elle ,  tous  les  domaines  seront  remis 
à  son  fils  ;  mais  dans  ce  cas  le  douaire  sera  restitué  à  la  mère  *. 

En  1229,  Simon  était  de  retour  de  la  Terre-Sainte ,  puisque 
cette  année  il  fît  lever  le  siège  de  Troyes,  en  pénétrant  dans 
icette  ville,  assiégée  par  les  ducs  de  Bourgogne  et  de  Bretagne , 
qui  voulaient  substituer  la  reine  de  Chypre  à  Thibaut  dans  la 
souveraineté  de  Champagne. 

Un  des  pères  de  l'abbaye  de  Samt-Urbain  ayant  été  tué 
par  les  officiers  de  Simon,  dans  la  forêt,  dite  du  Pavillon^ 
Simon  dut,  pour  apaiser  l'abbé  et  ses  religieux ,  leur  dcmner 
cette  forêt  tout  entière.  L'acte  de  donation  exprime  les  re- 
grets et  le  repentir  de  Simon ,  qui ,  pour  se  concilier  l'amitié 
des  religieux ,  fit  diverses  largesses  à  la  maison  de  dairvaux. 

Simon  décéda  en  1233,  et  fut  inhumé  dans  Ysbh^ye  de 


*  Personne  n*a  parlé  de  oe  second  voyage  de  Simon  en  Tene-Sainte  en 
I2I8.  Il  résulte  cependant  de  Tacte  de  Juin  I2I8  (voy»  lettre  C),  et  de  1*6- 
pitaphe  dressée  par  le  sire  de  Joinville. 

3  Voyez  cet  acte,  dejaillet  12 18  (lettre  D);il  fait  partie  de  ceux  queLeves- 
•quedela  Ravalière  a  rassemblés  à  la  suite  de  son  mémoire  manuscrit. 


DES  SIBES  DE  JOINYUXE*  CXXXV 

Claîrvaux ,  près  du  tombeau  de  son  père  GeofTroi  et  de  son  frère 
Guillaume.  Il  avait  épousé  Ërmangarde  de  Montesctaîr'  ;  il  se 
remaria  ensuite  avec  Béatrix  de  Bourgogne ,  dame  de  Mamay. 
Son  fils  aîné  GeofTroi  étant  mort  avant  hii,  il  laissa,  pour  lui 
succéder  dans  sa  baronnie  de  Joinville  et  dans  son  titre  de  sé- 
néchal de  Champagne,  son  Ois  Jean,  le  célèbre  sire  de  Joinville. 
L'auteur  du  manuscrit  de  1632 ,  cité  par  M.  J.  Fériel ,  fait 
ainsi  Téioge  de  Simon  '  : 

a  Le  sang  généreux  de  ses  ancêtres  bouillant  en  lui  pour 
«  lui  faire  acquérir  la  gloire  des  armes ,  le  poussa  dès  le  vivant 
«  de  son  père  à  entreprendre  avec  Geoffroi ,  son  frère ,  le 
«  voyage  de  la  Terre-Sainte ,  Fan  1 191 ,  à  la  suite  de  notre 
«  Philippe-Auguste  et  de  son  embarquement  à  Gênes.  La 
«  tempête  l'ayant  jeté  avec  son  dit  père  dans  Tlle  de  Sardaigne  ^ 
«  ils  y  combattirent  les  infidèles  à  outrance,  et ,  parle  moyen 
«  de  leurs  victoires,  y  gagnèrent  terres,  villes  et  châteaux. 

«  Du  depuis ,  s*étant  embarqués  sous  une  bonace  plus  sûre , 
«  à  force  de  voguer,  ils  rencontrèrent  le  roi  Pliilippe  à  Mes- 
«  sine ,  en  Sicile,  auquel  se  joignit  Richard,  roi  d'Angleterre, 
n  lequel ,  par  ^preuves  journalières  des  beaux  exploits  qu'ils 
a  firent  devant  la  ville ,  assiégée  par  les  chrétiens ,  les  prit  en 
«  telle  affection ,  que,  pour  leur  en  donner  témoignage  asseuré , 
«  il  leur  escartela  et  donna  partie  de  ses  armes  royales 
(K  d'Angleterre,  qui  est  moitié  d'un  lion  saillant,  lequel  il 
«  voulut  estre  posé  à  l'écusson  de  ceux  de  Joinville ,  au-des» 
«  sus  de  trois  broyés  de  champ  d'azur,  ainsi  que  l'cfn  voit  de 
«  présent  es  anciennes  armoiries  de  Joinville  ;  et  le  blason 
«  s'en  trouve  dans  ces  vers  faits  à  l'antique  : 

Six  ans  durant,  eo  ceste sainte  terre, 

*  Dans  le  diocèse  de  Trêves,  Notes  $t  documenté  pour  servir  à  l'histoirg 
de  Joinville ^ pat  J.  Fériel.  Joinville,  1856,  p.  55. 

>  Selon  le  manuscrit  1054,  Simon  serait  resté  dnq  ans  avec  son  frère 
GeofCroi,  ditTrouiUard,  en  Palestine  après  le  départ  de  Philippe- Auguste, 
et  il  aurait  mérité,  comme  son  frère,  l'estime  de  Richard  d'Angleterre, 
ainsi  que  la  même  /aveur  pour  son  écussoo. 


CXXXVI  BSSÀl  SUB  LA  GBNBALOGIB 

T  deniearèrent  gagnons  ville  etobasteaux. 
Pour  lors  estoit  Richard  roi  d'Angleterre, 
Qai  lit  honneur  aax  deax  frères  loyaux , 
Car  il  partit  de  ses  armes  royaux , 
L*escu  des  frères  pour  estre  en  partie  leur  ; 
Lequel  escu  par  aucuns  leur  féaulx , 
Vint  à  Joinville  au  moustier  Saint-Laurent. 

«  Laquelle  armoirie ,  quoiqu'honorable ,  ayant  été  délaissée 
«  par  les  successeurs  de  la  terre  de  Joinville ,  aurott  été  néan- 
«  moins  retenue  et  conservée  par  les  habitants  dudit  lieu ,  en 
«  mémoire  de  leurs  anciens  seigneurs,  avec  leur  devise  : 
«  Omnia  tuta  Urne  '.  » 

Les  écrivains  héraldiques  n'ont  pas  laissé  passer  inaperçue 
cette  particularité  :  «  Une  des  plus  anciennes  concessions 
«  d'armoiries,  dit  la  €ume  de  Saint-Palaye ,  est  celle  de  Ri- 
«  chard  d'Angleterre  en  faveur  de  Geoffroi  Troulart,  sire  de 
«  Joinville ,  rapportée  par  le  P.  Menestrier.  Au  lieu  de  la  re- 
«  garder  comme  le  gage  d'ime  fraternité  d'armes ,  ainsi  qu'il 
«  l'avance  sans  en  donner  de  preuve ,  je  serois  porté  à  croire 
«  que  le  sire  de  Joinville  avoit  mérité  d'être  fait  chevalier  de 
«  la  main  de  Richard,  qui  en  même  temps  Hti  avoit  donné 
«  ses  armes  ;  et  que  ce  seigneur  en  avoit  parti  son  écu  en  les 
«  joignant  à  celles  de  sa  famille.  » 

Simon  eut  d'Ermangarde ,  sa  première  femme,  Geoffroi  de 
Joinville  et  de  Vaucouleurs,  qui  épousa  Marie  de  Garlande, 
fille  de  Guillaume  de  Garlande  et  d'Alix  de  Chastillon,  pour 
lors  veuve  de  Henri  comte  de  Grandpré.  Le  comte  Thibaut,  qui 
assista  à  ce  mariage,  se  porta  garant  envers  la  comtesse  de 
Grandpré  pour  les  conventions  du  douaire.  Ce  mariage  fut  dissous 
par  l'archevêque  de  Reims,  ainsi  qu'il  est  dit  dans  les  lettres  et 
conventions  de  mariage  arrêtées  entre  Jean  de  Joinville^  frère 
de  Geoffroi  et  Alix^  fille  de  cette  Marie  de  Garlande  et  de  Henri 
comte  de  Grandpré,  son  premier  mari,  iesqudles  lettres  obligent 

t  MaooMrit  I0ft4,  fol.  58,  verra. 


DES  SIBBS  DB  JOINYILLB.  CXXXVII 

Simon,  seigneur  de  Joinville ,  de  faire  ratifier  ces  conventions 
par  Geoiïroi  son  fils.  —  Simon  eat  de  Béatrix,  Jean,  seigneur 
de  Joinville,  Geoffroi,  seigneur  de  Vaucouleurs  s  Simon  de 
Joinville,  seigneur  de  Gex  et  de  Mamay  *  et  Guillaume  de  Join 
ville,  archidiacre  de  Salins  et  doyen  de  Besançon.  —  Simon  eut 
en  outre  quatre  filles  :  deux  du  premier  lit,  Isabeau  de  Joinville 
et  Béatrix  de  Joinville,  et  du  second  lit  Simonette  et  Marie. 

IX®  Baron,  Jean,  sire  de  Joinville, 

Jean  ,  sire  de  Joinville ,  le  célèbre  auteur  de  l'histoire  et 
des  mémoires  de  saint  Louis,  né  en  1224,  mort  le  28  décembre 
1319.  11  fut  enterré  dans  Téglise  Saint-Laurent,  à  gauche  du 
grand  autel,  au-dessous  des  reliques.  Cest  le  premier  des  sei- 
gneurs de  Joinville  qui  ait  été  inhumé  dans  cette  église. 

Il  hérita  du  comté  de  Joinville,  du  faitde  sonfrère  Geoffroi,  fils 
d'Ermangardede  Monteselair,  qui  mourut  jeune^  avant  Tannée 
1239.  Geof&oi  avait  épousé  Marie  de  Garlande ,  comtesse  de 
Grandpré,  dont  H  fut  séparé  par  la  sentence  de  divorce  pronon- 
cée avant  le  mois  de  juin  1231  par  Tarchevéque  de  Reims.  (Voir 
la  pièce  £.)  Jean,  sire  de  Joinville,  épousa  en  premières  noces 
Alix  ou  Alaïde  ou  Adélaïde  de  Grandpré,  qui  mourut  en  1260  '. 
Levesque  de  la  Ravalière  dit  que  ce  mariage  avait  été  arrêté 
entre  les  parents  dès  Tan  1281,  et  il  cite  à  ce  sujet  le  Traité  des 
fiefs,  par  Chantereau,  t.  F',  p.  213.  Les  divisions  qui  trou- 
blaient les  deux  familles  furent  éteintes  par  ce  mariage.  Le 
sire  de  Joinville  eut  d'Adélaïde  de  Grandpré  trois  fils  :  Jean, 
seigneur  d'Ancerville^  né  la  veille  de  Pâques  1248,  Geoffroi 
deBrequenay,  André,  seigneur  de  Bonnet^  et  deux  filles. 

'  Ce  Geoffroi  fat  le  chef  de  la  branche  des  Joinville,  seigneurs  de  Yau- 
couleursel  de-Mery. 
>  Selon  Fisseux ,  U  était  seigneur  de  Doi^eux. 

*  Lt  père  Anselme  dit  que  Joinville  épousa  en  premières  noces  Ordtl  ou 
Adélaïde  de  Grandpré,  fille  de  Henri  V  comte  de  Grandpré,  par  contrat 
passé  le  Jeudi  avant  TÂssomption ,  u  août  l'iSI.  Dans  Tacte  de  juin  I23i 
qui  précéda  ce  mariage,  elle  est  nommée  Alals.  (Voir  Pacte  £,  p.  cxx.) 

*  Il  épousa  Isabelle  de  Bonnet  ;  sa  descendance  s'éteignit  promptaraesl. 


CXXXVIII  ESSAI  SDH  LA  GENÉALOOIB 

En  secondes  noces,  fl  épousa  Alix  de  Risnel ,  fille  de  monsei- 
gneor  Gautier,  seigneur  de  Risnel.  Il  eut  d'elle  deux  fils  :  Jean^ 
seigneur  de  Risnel,  Anselme  qui  succéda  à  son  frère  Jean,  et  une 
fille  Alix,  mariée  en  secondes  noces  à  Henri  de  Lancastre  '•  Alix 
de  Risnel  mourut  en  1288. 

Bans  le  mandement  du  roi  Philippe  le  Rel ,  donné  à  Lorris  en 
avril  1303 ,  qui  convoque  les  nobles  de  Champagne  pour  quMIs 
se  rendent  en  armes  à  Lagny,  il  est  fait  mention  des  deux  fils 
de  Joinville  :  Jean  (seigneur  d'Ancerville)  et  Anseau  (Anselme) 
de  Joinville.  Dans  ce  mandement  il  n'est  point  fait  mention  de 
Jean,  seigneur  de  Risnel.  £n  effet  celui-ci  s'était  attaché  à 
la  maison  d'Anjou,  dans  le  royaume  de  Naples,  et  étaitdevenu  le 
chef  de  la  branche  des  Joinville  dont  du  Gange  donne  l'historique 
jusqu'à  l'année  1444.  Ce  serait,  d'après  le  P.  Sainte-Catherine , 
ce  Jean  de  Risnel  qui,  sur  Tobituaire  de  Saint-Laurent  de 
Joinville,  serait  inscrit  à  la  date  du  31  novembre,  avec  le  sur- 
nom de  Boutefeu, 

Ce  qui  confirmerait  cette  opinion,  c'est  qu'on  lit  dans  l'his- 
toire inécUte  de  Fisseux,  que,  par  arrangement  avec  la  fa- 
mille de  sa  mère,  Jean  remit  ladite  seigneurie  de  Risnel  entre 
les  mains  de  son  beau-père,  qui  en  reprit  la  jouissance,  comme 
on  le  voit,  dit-il,  par  la  charte  d'homologation  faite  au  conseil 
du  comte  de  Champagne  roi  de  Navarre,  en  1290,  à  la  fête  de 
saint  Marc  TÉvangéliste.  Ce  serait  donc  vers  cette  époque  que 
Jean  de  Risnel  se  serait  rendu  à  Naples. 

A  la  mort  de  ce  Jean,  qui  ne  laissa  pas  de  postérité,  la  sei- 
^eune  de  Risnel  revint  à  son  frère  puiné  Ancel ,  né  comme 
lui  du  second  mariage  du  sire  de  Joinville  avec  Alix  de  Risnel. 

En  1  aoo,  le  sire  de  Joinville  maria  sa  fille  Alix  avec  le  seigneur 
d'Arcis-sur-Aube,  et,  d'accord  ave«  ses  fils,  Jean,  seigneur 
d'Ancerville  et  Ancel,  ou  Anselme,  il  donna  en  dot  à  sa  fille 


*  La  sour  de  monseignear  Gaafier,  seignear  de  RisDel,  était  nièi;e  de 
le«n  de  Brietine,  roi  de  Jérusalem. 


DES  STB£S  DB  JOIRYILLB.  CXXXIX 

800  livres  de  rente  en  terre  et  trois  mille  livres  tournois.  On 
lit  dans  16  manuscrit  Pailliet  ce  passage  du  P.  Sainte-Ca- 
therine :  «  Jean,  sire  de  Joinvilie ,  séneschal  de  Champagne^ 
ayant  demandé  à  ses  bourgeois  de  JoinviUe  de  l'aider  à  marier 
sa  fille,  Alix  de  Joinville,  dame  d'Arcis,  et ,  pour  la  raison  du 
cinquantième  que  le  roi  lui  avait  accordé  de  lever  sur  eux ,  le 
maire  etlesécbevins  et  les  bourgeois  lui  accordèrent  deux  cents, 
livres  de  petit  tournois.  » 

Il  avait  succédé  à  Geoffroi,  son  aïeul,  pour  la  garde  de 
Saint-Urbain  '.  En  faisant  don  à  cette  abbaye  de  huit  cents 
arpents  de  bois  en  la  contrée  Vitramont  ou  Yibraumont,  Jean, 
sire  de  JoinviUe,  se  réserva  le  droit  de  justice  et  le  droit  d*y 
mettre  sergens  >. 

«  Il  étaitseigneur  à  titre  héréditaire  de  Montiers-sur-Saulx  ; 
«  mais,  faute  d'en  avmr  rendu  foi  et  hommage  à  Edouard,  comte 
«  de  Bar,  îceluy  comte  lui  en  fist  après  guerre  et  rasa  le  château 

D'après  un  extrait  des  papiers  du  chapitre  de  Saint-Laurent 
(en  possession  deM.Lemoine),  ce  serait  en  1262  que  «  Joinville 
fonda,  dans  l'intérieur  de  son  château,  une  chapelle  sous  l'invo- 
cation de  saint  Louis.  »  Joinville  dit  en  effet,  dans  ses  Mémoires, 
«  qu'il  li  avoit  establi  un  autel  à  l'honneur  de  Dieu  et  de  li 
(saint  Louis  ).  »  Si  cette  date  (1262  ),  était  exacte^  il  en  résulterait 
que  Joinville  aurait  érigé  cette  chapelle  en  l'honneur  du  roi 
longtemps  avant  sa  mort  et  sa  canonisation,  puisqu'elle  ne  fut 
proclamée  qu'en  1298.  Dans  l'histoire  inédite  de  la  principauté 
de  Joinville ,  écrite  en  1632  par  Fisseux ,  je  lis  :  «  Elle  ne  se 
trouve  plus  en  nature,  encore  que  le  chapitre  de  Saint-Laurent 
de  Joinville  y  eût  prêlé  consentement  par  titre  de  l'an  1308.  » 

Jean  ,  sire  de  Joinville ,  fonda  aussi  une  chapelle  à  l'hôpital 
Saint- Jean.  Selon  le  manuscrit  Pailliet,  on  trouve  au  cartulaire^ 


*  Fisseux ,  Hist,  de  Joinville. 
»  Idem.  —  3  Idem. 


CXL  ESSAI  SUfi  LA  GiNSALOGIB 

fol.  19  et  20,  une  lettre  du  sire  de  Joinville  de  Tan  1318  qui 
confirme  les  biens  donnés  par  lui  et  ses  prédécesseurs. 

D'après  la  pièce  intitulée  :  ÈpUaphes  des  seigneurs  de 
Joinoille  inhumés  à  réglise  Saint-Laurent  au  château  de 
JoinvUlBy  fol.  139-147  du  recueil  manuscrit  n°  1054,  on  peut 
établir  ainsi  la  suite  des  personnages  à  qui  la  baronnie  de 
Joinville  échut  successivement  : 

X*  Baron  de  JoinviUe^  Ancel* 

Ancel,  Anselme  ou  Anceau,  sire  de  Joinville  et  de  Risnel, 
fils  aîné  du  second  mariage  du  sire  de  Joinville,  devint  comte 
de  Vaudemont  par  sa  seconde  femme,  Marguerite  de  Vaude- 
mont ,  sœur  et  héritière  de  Henri  III  ',  comte  de  Vaudemont, 
qu'il  épousa  vers  1322,  et  dont  il  eut  onze  enfmts.  Ancel  avait 
près  de  cinquante  ans  quand  il  succéda,  en  1319,  à  son  père, 
dans  la  baronnie  de  Joinville  et  dans  la  charge  de  sénéchal  hé* 
réditaire  de  Champagne,  et  aussi  comme  seigneur  de  Yaucou- 
leurs,  d'Anccrville,  Risnel,  etc.  Les  services  qu'il  rendit,  sous 
les  rois  de  France  Louis  le  Hutin,  Philippe  le  Bel,  Philippe  le 
Long,  Charles  le  Bel  et  Philippe  de  Valois  sont  énumérés  par  du 
Cange  *.  Il  devint  maréchal  de  France  en  1338  '.  Après  avoir 
rendu  les  derniers  devoirs  à  son  père,  il  retourna  à  la  cour  de 
Philippe  le  Long,  qui  séjournait  à  Vincennes.  Il  mourut  le 
3  janvier  1349,  et  fut  inhumé  dans  la  chapelle  attenante  à  Té* 
giise  de  Saint-Laurent  et  fondée  par  lui  en  1328  ;  il  y  était  re* 
présenté  couché  entre  ses  deux  femmes.  Ancel  avait  épousé  en 
premières  noces,  en  Tan  1309,  Laure  de  Sarrebrusche ,  qui 
mourut  sans  enfants. 

*  Cet  Henri,  comte  de  Vaademont,  fut  taé  à  la  bataille  de  Crécy,  en  IS40. 

*  Généalogie  de  la  maison  de  Joinville,  p.  25. 

3  II  arrêta  Brocard  de  Fenestrange  «  qai,  dit  Froissard,  fit  avec  ses 
«  gens  plos  de  dommage  et  de  vilains  faits  au  pays  de  Champagne,  que 
«  oncqoes  les  Anglois  ni  les  Navarrois  ne  firent  ;  ne  laissant  rien  à  leur 
«  département  que  tout  ne  fust  arts  et  broui.  » 

Enfermé  dans  le  château  de  Joinville,  il  y  mit  le  feu,  et  parvint  aussi 
à  s'échapper.  Les  titres  du  chapitre  furent  brûlés  dans  cet  incendie. 


BSS  SIBES  DE  JOINYILLE.  CXLÎ 

XI*  Baron  de  Joinvtlle,  Henri  de  f^audemont. 

L'aîné  des  fils  d'Ancel ,  Henri,  quatrième  du  nom  ' ,  épousa 
Marie  de  Luxembourg  *. 

Ce  Henri  IV,  comte  de  Yaudemont ,  baron  de  Joinville ,  de 
Vauoouleurs  et  d'AncerviUe,  seigneur  de  Bonnet  et  Rivel,  séné- 
chal héréditaire  de  Champagne,  se  distingua  àla  bataille  de  Poi- 
tiers, où  il  fut  fait  prisonnier  avec  le  roi  Je^m,  en  1356.  £n  1 363  il 
gagna  contre  Jean  duc  de  Lorraine ,  le  duc  de  Bar  et  autres  sei- 
gneurs ,  la  bataille  de  Saint-Belin,  quoiqu'il  n'eût  que  des  sol- 
dats qui  s'étaient  débandés  après  la  défaite  de  Poitiers.  Il  assista 
au  sacre  de  Charles  V,  le  19  mai  1364,  et  mourut  en  1374  3. 

Pans  la  généalogie  de  Joinville  (  manuscrit  1054,  fol.  38 
verso  )  il  est  dit  qu'il  coupait  d'un  seul  coup  la  tête  d'un  san- 
glier, d'un  taureau  ou  d'un  honmie  armé.  11  mourut  sans 
enfants  mâles. 

De  son  mariage  avec  Marie  de  Luxembourg  il  eut  une  fille 
nommée  Marguerite,  laquelle  eut  trois  maris 4.  Son  troisième 
mari  fut  Fery  de  Lorraine,  seigneur  de  Rumigny ,  fils  puîné  du 
duc  Jean  ^.  C'est  ainsi  que  la  seigneurie  de  Joinville  se  trouva 
transportée  dans  la  maison  de  Lorraine. 


'  II  est  connu  sous  le  nom  de  Henri,  quatrième  comte  de  Yaudemont ,  ce. 
comté  ayant  été  réuni  à  la  seigneurie  de  Joinville  dès  1346,  lors  de  la  mort 
de  son  oncle. 

3  Fille  de  Jean  de  Luxembourg  et  d'Alix  de  Flandres,  son  épouse,  les- 
quels donnèrent  à  leur  fille  17,000  livres  en  argent  et  mille  livres  de 
rente.  Suivant  Tinven taire  des  titres  des  chartes  de  Joinville,  un  arrêt 
du  parlement  de  Paris  porte  homologation  du  traité  de  mariage,  (ilf  anu«- 
cfU  Pailliet,  en  possession  de  M.  Lemoine. } 

*  Selon  le  P.  Sainte-Catherine,  il  serait  mort  en  1413. 

*  Elle  avait  épousé  en  premières  noces  Jean  de  Bourgogne,  seigneur  de 
Montagu;  et  en  secondes  noces  le  comte  de  Genève,  frère  du  pape  Clé- 
ment VIL 

*  «  Charles  de  Lorraine  la  voulait  épouser  ;  il  l'envoya  demander  par 
son  frère  Ferry,  seigneur  de  Rumigny  ;  mais  celui-ci  Joua  à  son  frère  le 
même  tour  que  Philippe  de  Valois  à  Jean  son  fils  :  Ferry  parla  pour  lui, 
et  fiit  agréé  par  cette  veuve.  t>  {Sianuscrit  de  Fissieux.) 


CXLII  ESSAI  DE  LA  GENEALOGIE 

XII*  Baron  de  JoinvUle^  Fery  /»*. 

Fery  P'^  comte  de  Vaudemont ,  seigneur  de  Bouc  et  de 
Rumigny,  second  fils  de  Jean,  dix-neurième  duc  de  Lorraine^ 
devint  baron  de  Joinville  par  son  mariage  ayec  Marguerite  de 
Joinville,  fille  héritière  de  Henri,  comte  de  Vaudemont  et  de 
Guise  ;  il  se  distingua  à  la  bataille  d*Azinoourt,  où  il  fut  blessé. 
Il  mourut  le  25  octobre  1415. 

XIIP  Baron  de  Joinville ,  Antoine, 

• 

Antoine  de  Lorraine,  leur  fils,  comte  de  Vaudemont,  sei- 
gneur de  Joinville  et  de  Rumigny,  sénéchal  de  Champagne , 
leur  succéda ,  et  épousa  Marie  ou  Marguerite  d'Harcourt.  Il 
voulut  enlever  à  Isabeau,  fille  de  Charles,  le  duché  de  Lorraine, 
prétendant  qu*il  ne  devait  pas  tomber  en  quenouille.  Le  mari 
d'Isabeau ,  René  d'Anjou  fut  fait  prisonnier  et  la  paix  fut  conclue 
par  le  mariage  de  lolande ,  fille  aînée  de  René  d'Anjou  et  d'I* 
sabeau ,  avec  Fery,  le  fils  d'Antoine,  L'histoire  inédite  de  Fis- 
sieux  signale  sept  guerres  ou  expéditions  dans  lesquelles  il  se 
distingua.  Il  fut  excommunié,  et  le  service  divin  fut  mterrompu 
pendant  douze  ans  dans  ses  domaines ,  parce  qu'il  avait  fait 
saisir  des  acquisitions  faites  par  les  chanoines  de  Saint-Laurent 
sans  les  en  avoir  averti.  Aussi,  dans  les  titres  de  Saint-Laurent 
-est*  il  qualifié  de  mau  ou  mauvais.  Ce  différend  fut  enfin  vidé 
par  un  arrêt  du  parlement  en  1455.  Il  mourut  en  1457  '. 

XIV*  Baron  de  Joinville ,  Fery  IL 

Fery  II  de  Lorraine,  fils  d'Antoine  et  de  Marie  d'Harcourt, 
leur  succéda;  il  épousa  en  1436  lolande  d'Anjou,  et  mourut 

<  On  ut  dans  le  manuscrii  PaUHel,  à  Tan  14X3,  cet  extrait  de  Royot, 
fol.  56  verso.  «  Jas(|a*à  celte  année  les  chanoines  avoient  porté  des  aa- 
«  musses  en  pean  d'écorenil,  et  comme  elles  n*éloient  ni  propres  ni  de 
«  darée,  ils  obtinrent  de  Charles,  évéqae  de  Cfaaalons,  permission  d*en 
«  porter  de  peUt  gris,  ^rriita,  autrement  d'hermine.  La  lettre  est  du 
«  la  octobre  uis.  » 


DBS  SIBSS  DB  JOmVIIXB.  CXLIII 

vers  1470.  La  sépulture  d'Antoine  et  de  Marie  d'Harcourt  est 
au  oiilieu  du  chœur  de  Téglise  Saint-Laurent,  ainsi  que  leur 
éfritaphe  ;  on  y  lit  Ténumération  suivante  de  leurs  titres  : 

Fery  de  Lorraine,  second  du  nom,  comte  de  Vaudemont, 
baron  de  Joinville,  seigneur  de  Bouc,  Rumigny,  Aumale, 
Mayenne,  Elbeuf ,  Harcoinrt,  et  autres  terres  et  dépendances. 

lolande  d'Anjou,  fille  de  René  duc  d'Anjou,  duchesse  de  Lor- 
raine en  Tan  1473  ;  par  la  mort  de  son  neveu,  Nicolas  d'Anjou, 
mort  sans  postérité ,  ladite  dame  porta  de  son  vivant  les  titres 
et  armoiries  du  royaume  de  Jérusalem,  Sicile, Naples  et  Ar- 
ragon;  des  dudiés  d'Anjou ,  de  Lorraine  et  de  Bar  ;  de  comtesse 
de  Provence ,  de  Guise ,  enfin  de  marquise  duPont-à-Mousson« 

Tous  deux  dans  leurs  testaments ,  celui  de  Fery  daté  d'août 
1470,  et  celui  d'Iolande  du  22  février  1483,  consacrât  des 
sommes  considérables  pour  la  reconstruction  de  l'hôpital  '. 

XV*  Baron  de  Joinville ,  Henri  de  Lorraine, 

Henri  de  Lorraine ,  évêque  de  Metz  et  de  Hiérouanne ,  frère 
de  Fery,  lui  succéda  dans  son  titre  de  baron  de  Joinville.  11 
hérita  de  tous  les  royaumes,  duchés,  comtés,  marquisats, 
baronnies  et  autres  seigneuries  dont  les  princes  des  maisons 
d'Anjou  et  de  Lorraine  avaient  joui  ou  qui  lui  étaient  dévolus, 
à  savoir  :  de  quatre  royaumes,  quatre  duchés,  six  comtés,  un 
marquisat,  quatre  baronnies,  sept  seigneurfes,  et  de  plusieurs 
autres  terres  dépendant  d'icelle.  Ce  révérend  père  en  Dieu, 
Henri ,  avait  fait  construire  le  tombeau  de  son  frère  et  de  sa 
belle-sœur,  ainsi  que  le  sien,  dans  la  chapelle  au  bas  de  l'église , 
où  il  fut  inhumé  le  20  octobre  1505. 

XYP  Baron  de  JoinviUe ,  René, 

René,  son  neveu ,  fils  héritier  de  Fery  II  et  d'iôlande  d'An- 
jou, fille  du  roi  de  Sicile  et  de  Naples,  duc  de  Cakbre,  de 

'  Voir,  pour  les  actes,  Fériel,  p   4. 


CXL1V  ESS4I  SUR  LA.  G^ÉÀIOGTE 

Lorraine  et  de  Bar,  comte  de  Vaudemont  et  de  Provenoe ,  de- 
vint le  seizième  baron  de  Joinville.  Il  épousa  Philippe  de 
Gueldres,  après  avoir  répudié  Jeanne  d'Harcourt  pour  cause 
de  stérilité.  Il  se  distingua  aux  fameuses  journées  de  Granson 
«t  de  Morat,  et  il  fit  hommage  de  la  baronnie  de  Joinville  au 
roi  Charles  VIII.  Il  mourut  en  1508. 

René  et  son  fils  aîné ,  duc  de  Lorraine ,  sont  inhumés  à  Nancy, 
■àsDS  réglise  des  Cordeliers. 

XVII*  Baron  de  Joinville,  Claude  de  Lon*aine, 

Claude  de  Lorraine ,  second  fils  de  René ,  premier  duc  de 
Guise,  comte  d'Aumale^  baron  de  Joinville  et  sénéchal  de 
Champa^e,  épousa  Antoinette  de  Bourbon,  du  sang  royal, 
fille  de  François  de  Bourbon,  comte  de  Vendôme,  et  de 
Marie  de  Luxembourg*.  Son  épitaphe  rappelle  la  longue  série 
de  ses  titres  et  de  ses  services ,  vertus  et  prouesses ,  qui  lui  ac- 
quirent le  nom  de  bon  duc,  prince  et  père  de  la  patrie.  En 
1515,  âgé  seulemiént  de  dix-huit  ans,  il  se  distingua  à  la  bataille 
de  Marignan,  où  il  fut  grièvement  blessé.  Avec  son  frère  le  duc 
de  Lorraine,  il  gagna  Fontarabie  sur  les  Espagnols,  en  1522, 
et  fit  lever  le  siège  de  Péronne  en  1536,  etc.,  etc.  «  Il  fut 
empoisonné  à  Fontainebleau  et  tost  après  extainct  par  une 
mort  violente  et  trop  soudaine  en  son  chasteau  de  Join* 
ville  «  au  grand  regret  et  douleur  des  gens  de  bien,  le  12  avril 
1550,  ayant  vescu  cinquante-quatre  ans  5  mois  et  26  jours  *.  » 
C'est  lui  qui  fit  construire  le  ehâteau  qui  subsiste  encore  au- 
jourd'hui avec  quelques  modifications.  Sur  la  porte  est  gravé 
le  millésime  1545,  et  sur  les  pilastres  on  lit  les  devises  :  Tovtes 
POVB  VNE.  —  LA  ET  NON  PLvs.  Lcs  lettres  C.  A.,  initiales  de 
Claude  de  Lorraine  et  d'Antoinette  de  Bourbon,  y  sont  sotiVent 
reproduites  en  sculpture.  Voici  l'origine  de  cette  devise  : 

■  Elle  était  tante  da  roi  de  France  Henri  IV. 

'  Manascrit  n*>  1054.  François  de  Guise,  son  lils,  dit  dans  ses  mémoires 
quHI  fut  empoisonné. 


DES  SIBES  DE  JOINVILLK.  OLV 

«  Claude  de  Lorraine ,  quoique  marié  à  Antoinette  de  Bour- 
bon, avait  remarqué  dans  la  baronnie  de  Joinville  une  humble 
beauté ,  qu'il  visitait  secrètement,  et  près  de  laquelle  il  oubliait, 
dit  la  chronique ,  le  luxe  de  son  palais  et  le  rang  élevé  de  son 
épouse.  Celle-ci  ne  tarda  pas  à  découvrir  les  faiblesses  de  son 
mari ,  et  résolut  de  Ten  faire  repentir  ;  mais  un  noble  cœur  ne 
peut  recourir  qu'à  une  généreuse  vengeance.  La  jeune  fille 
était  pauvre ,  simple  dans  ses  atours  et  modestement  logée  ;  la 
duchesse  changea  tout  à  coup  cette  misère  en  ridiesse;  à  Tinsu 
de  son  époux ,  elle  fit  porter  à  sa  rivale  brillante  parure  et 
somptueux  ameublement.  Touché  de  ce  procédé ,  Claude  de 
Lorraine  abjura,  dit-on,  ses  erreurs,  et  résolut  d'être  désor- 
mais un  modèle  de  fidélité  conjugale.  En  mémoire  de  cette  dé- 
termination ,  il  fit  élever  le  château  du  grand  jardin ,  sur  les 
murs  duquel  on  grava  par  son  ordre  les  devises  :  tovtes  povr 
VNE,  faisant  allusion  à  la  foi  donnée;  la  et  non  plvs,  indi- 
quant qu'un  repos  champêtre  sera  désormais  son  seul  plaisir.  » 
Il  mourut  dans  le  château  de  Joinville  en  avril  1550  <. 

Il  fut  inhumé  dans  la  grande  chapelle  de  l'église  Saint-Lau- 
rent, laissant  d'Antoinette  de  Bourbon  six  enfants  mâles,  savoir  : 
François,  l'aîné,  duc  de  Guise  ;  Charles ,  cardinal  de  Lorraine  ; 
Claude,  duc  d'Aumale;  Louis,  cardinal  de  Guise  ;  François, 
grand  prieur  de  France  ;  et  René,  marquis  d'Ëlbeuf ,  et  quatre 
filles,  dont  Tune'épousa  en  premières  noces  le  duc  de  Longue- 
ville,  et  en  secondes  noces  le  roi  d'Ecosse;  une  autre  épousa 
le  prince  de  Chimai ,  les  deux  dernières  se  firent  religieuses. 

Sa  femme,  Antoinette  de  Bourbon ,  que  ses  vertus  ont  rendue 
si  célèbre ,  mourut  au  château  de  Joinville  le  23  janvier  1583 , 
Agée  de  plus  de  quatre-vingt-huit  ans ,  et  le  même  manuscrit 
ajoute  «  que  ce  fut  entre  les  mains  de  ses  deux  médecins ,  dont 
«  M.  Pierre  Fissieux  était  l'un.  »  On  lui  doit,  ainsi  qu'à  son  fils, 

*  Le  manuscrit  inédit  porle:  «Il  nioarat  entre  les  mains  de  son  cliirargiea 
«  Jean  Fissieux.  • 

JOINVILLE.  m 


CXLYI  ESSAI  SUB  LA   GENEALOGIE 

\e  célèbre  cardinal  de  Lorraine ,  la  fondation ,  faite  en  d^mbre 
1570^  de  rhôpital  Sainte-Croix. 

Ses  flls  leur  élevèrent  une  rich^  et  artificielle  séptUture  en 
la  grande  chapelle  de  Saint-Laurent. 

Son  Gis  aîné  lui  succéda. 

Claude  eut  pour  frère  Antoine ,  duc  de  Lorraine ,  qui  épousa 
Renée  de  Bourbon. 

XYIIF  Baron  de  Joînville  et  I'^ prince  de  Joinvilhy  François 

due  de  Guhe, 

L'épitaphe  de  François  de  Lorraine ,  duc  de  Guise,  lui  donne 
le  titre  d'invaincu,  de  foudre  de  guerre^  de  fléau  des  héré- 
tiques^ et  de  soutien  de  la  religion  catholique.  Elle  donne  la 
longue  série  de  ses  exploits.  Ce  prince,  né  en  1519,  fut  assassiné 
près  d'Orléans  par  Poltrot,  le  18  février  1562, 

Son  corps ,  rapporté  à  Joinville ,  fut  inhumé  au  sépulcre  pa- 
ternel, derrière  lemattre-autel,  entre  quatre  colonnes  de  marbre 
noir.  Son  neveu ,  François  de  Lorraine,  abbé  de  Saint-Urbain, 
qui  avait  posé  la  première  pierre  de  cette  sépulture,  y  fut  le  pre- 
mier enterré ,  «  au  grand  regret  de  son  oncle ,  qui  fondait  sur  lui 
de  grandes  espérances.  »  Son  cœur,  sur  la  demande  des  habitants 
de  Paris ,  fut  déposé  à  IXbtre-Dame  de  Paris. 

Il  eut  pour  fils  Henri,  qui  lui  suecéda,  et  Charles,  duc  du 
Maine. 

C'est  en  faveur  de  François  de  Lorraine,  duc  de  Guise,  et  de 
Jeanne  d'Est,  son  épouse,  que  le  roi  Henri  H  érigea ,  par  lettres 
patentes  du  mois  d'avril  1551  ■ ,  la  terre  de  Jomviile  en  prin- 
cipauté. 

«  Le  17  octobre  1641,  par  ordre  de  Richelieu,  les  armes  de 
«  François  de  Guise  qui  étaient  au  poteau  de  la  place  publique 
«  de  Joinville  furent  rompues  et  cassées ,  ainsi  que  celles  de 

I  Journal  inédit  de  Fissietix.  Ce  journal  entre  dans  de  plus  grands  dé* 
t»ils  à  ce  sujet.  La  pièce  est  insérée  au  recueil  455l,Supp1.  fr. 


B£S  SIB£S  DE  JOIN VILLE.  CXLYIl 

«  Henri  de  Lorraine,  son  fils ,  et  de  Cçttherine  de  Clèvcs,  qui 
«  étaient  au-dessus  du  grand  portail  de  Téglise  paroissiale  de 
«  Joinville  du  côté  du  marché.  Celles  qui  étaient  dans  Téglise 
«  paroissiale  en  dedans  et  au  dehors  furent  noircies.  Il  en  fut 
«  de  même  de  celles  de  Claude  et  d'Antoinette.  Ces  armes  fu- 
«  rent  remplacées  par  celles  du  roi .  » 

XIX*.  Duc  de  Joinville^  Henri  de  Lorraine, 

Henri  de  Lorraine,  dit  le  Balafré^  fils  aine  de  François,  hérita 
de  ses  seigneuries  autant  que  de  ses  talents  ;  il  fut  assassiné  à 
Blois,  le  23  décembre  15S8,  par  la  plus  abominable  barbarie^ 
ingrate  trahison  qui  Just  oncques  exécutée^  comme  dit  la 
généalogie  manuscrite  n®  1054  de  la  Bibliothèque  impériale. 

Il  épousa  Catherine  de  Clèves ,  comtesse  d*Eu ,  fille  du  duc 
de  Tfevers,  et  de  ce  mariage  naquirent  quinze  enfants,  dont 
huit  mâles. 

XX*.  Charles  j  duc  de  Lorraine, 

Le  fils  aîné  de  Henri ,  Charles ,  né  à  Joinville  le  20  août  157 1 , 
lui  succéda  au  duché  de  Guise  et  principauté  de  Joinville.  Il 
épousa  Henriette -Catherine  de  Joyeuse,  veuve  de  Henri  de 
Bourbon,  duc  de  Montpensier'.  En  1634,  le  28  novembre, 
elle  partit  de  Joinville  pour  aller  rejoindre  son  mari ,  exilé 
à  Florence,  où  il  mourut  le  30  septembre  1640,  ainsi  que  ses 
deux  fils  le  prince  de  Joinville  et  le  duc  de  Joyeuse.  Leurs  corps 
rapportés  à  Joinville ,  furent  inhumés  en  grande  pompe  dans 
réglise  Saint-Laurent,  le  18  août  1641  ^. 

L'auteur  de  la  généalogie  manuscrite  leur  souhaite  toute 
prospérité,  ce  qui  prouve  qu'il  s'arrêta  à  cette  époque  (fin 

*  Elle  moarat  le  28  février  I65«,  et  fut  enterrée  aax  Capucins  de  Paris; 
elle  portait  l'habit  de  cet  ordre. 

2  Le  Journal  inédit  de  Fissieux  entre  dans  de  grands  détails  au  so^et  de 
cette  cérémonie.  Le  cercueil  de  Charles  de  Lorraine  était  en  cuivre  rou{!<'. 
C'est  le  seul  qui  fût  en  cette  maUëre;  tous  les  autres  étaient  en  plomb. 


ClLLYIIl  ESSAI  SUB  LA  GÉNÉÂLOeiB 

du  seizième  siècle }  '.  Dans  tout  ce  qu'il  écrit  on  voit  uu  ser- 
viteur dévoué  aux  intérêts  de  la  maison  des  Guises. 

XXI*.  Henri  de  Lorraine  ^  //*  du  nom. 

Le  fils  pulué  de  Charles  de  Lorraine,  duc  de  Guise,  priDoe 
de  Joinville,  pair  et  grand  chambellan  de  France,  naquit  à  Paris, 
le  4  avril  1614.  Destiné  à  Tétat  ecclésiastique,  il  quitta  à  la 
mort  de  son  frère  Tarchevéché  de  Reims,  par  amour  pour  la 
princesse  de  Mantoue  avec  laquelle  il  se  retira  à  Cologne  pour 
se  soustraire  à  la  haine  de  Richelieu  qui  voulait  s'opposer  à 
cette  union.  Ambitieux  et  incapable  de  repos ,  il  s'unit  avec 
l'Espagne  contre  Richelieu,  fîit  condamné  par  contumace  en 
J 641  ;  et ,  le  7  octobre  1641 ,  par  ordre  du  roi,  partout  où 
les  armes  et  devise  de  Henri  se  voyaient  à  Joinville,  elles  furent 
noircies,  ses  biens  furent  vendus,  les  prières  pour  la  famille  des 
Guises  furent  interdites,  et  leurs  armoiries  effacées  et  brisées  *  ; 
la  justice  fut  rendue  au  nom  du  roi.  Alors  il  se  ligua  contre 
l'Espagne  et  se  mit  à  la  tête  de  l'insurrection  de  Naples.  Trahi 
par  un  de  ses  confidents ,  une  des  portes  de  la  ville  fut  livrée. 
Pris  et  conduit  à  Madrid,  il  y  resta  quatre  ans  prisonnier.  Il 
nous  a  laissé  le  récit  de  cette  expédition  chevaleresque  ;  il  mou- 
rut à  Paris  en  1664.  On  soupçonna  qu'il  avait  été  empoisonné. 
Le  corps  de  Henri  fut  rapporté  de  Paris  à  Saint-Laurent. 

XXn^.  Lauis  de  Lorrain^,  duc  de  Joyeuse. 

Par  un  traité,  Henri  abandonna  ses  droits  à  sa  mère  Cathe- 
rine  de  Joyeuse,  qui  fut  rétablie  dans  la  principauté  de  Joinville 

1  II  dit  qae  cette  géDéalogie  fut  rédigée  d*après  Nieolas-Gilles  Naa- 
clive,  CarioD,  Munster,  Charles  Estienne,  Wasbourg,  Belieforest,  du  TU- 
let,  et  autres  historiens,  par  M.  Ovre  ou  Urel  Laurent,  Bourbonols,  né 
en  1547,  d*abord  secrétaire  de  M.  Delascheval,  abl)é  de  Beljaigue,  puis 
précepteur  de  mademoiselle  Louise,  et  en  I&80  chanoine  de  Tégiise  collé- 
giale de  Saint-Laurent,  au  château  de  Joinville;  et  qu'après  avoir  reçu 
les  ordres  en  1684,  il  fut,  en  1587,  chapelain  et  attaché  au  service  de  la 
princesse,  qu'il  appelle  même  La  Reine. 

2  On  n'en  excepta  que  les  écussons  de  Téglise  Saint-Laurent  ,  de  Thô- 
pilai  et  des  couvents;  les  armes  des  sires  de  Joinville  furent  remplacées 
par  uo  cachet  aux  armes  du  roi,  et  on  subsUlua  des  fleurs  de  lys  aux 
àleriofM  de  Lorraine. 


DES  SIBES  DE  lOINYILLB.  CXLIX 

en  1642 ,  par  Louis  XIII ,  et  dans  la  possession  de  ses  biens 
dont  elle  6t  transmission  en  1654  à  Louis  de  Lorraine,  son 
quatrième  fils,  né  en  1022;  mais  il  mourut  quelques  mois 
après  cette  donation  (le  27  septembre  1654  )  d*une  blessure 
qu'il  reçut  au  siège  d*Arras,  et  fut  inhumé  à  Saint-Laurent. 

XXUI^.  LouiS'Joseph  de  Lorraine, 

Fils  unique  du  précédent,  né  le  16  août  1650,  duc  de  Guise,  de 
Joyeuse  et  d'Angouléme,  prince  de  Joinville,  et  pair  de  France, 
fils  de  Louis  de  Lorraine,  duc  de  Joyeuse,  pair  et  grand  cham- 
bellan de  France,  etde  Françoise-Marie  de  Valois- Angouléme.  Il 
mourut  de  la  petite  vérole,  le  jeudi  30  juillet  1671,  et  fut  inhumé 
à  Joinville  dans  le  tombeau  de  ses  ancêtres.  11  laissa  d'Elisabeth 
d'Orléans,  duchesse  d' Alençon,  seconde  fille  de  Gaston  de  France, 
duc  d'Orléans,  et  de  Marguerite  de  Lorraine,  le  fils  qui  suit  : 

XXIV*.  FrançoiS'Joseph  de  Lorraine, 

Duc  d'Alençon,  de  Guise,  de  Joyeuse  et  d* Angouléme,  puis 
de  France,  prince  de  Joinville,  né  à  Paris,  le  28  août  1670, 
mort  le  16  mars  1675.  Son  corps  fut  porté  à  Joinville.  Il  fut 
le  dernier  de  cette  illustre  famille  des  Guises,  «  auprès  desquels, 
disait  le  maréchal  deRetz,  les  autresprinces  paraissent  peuple  »• 
Il  eut  pour  successeur  sa  grande  tante. 

XXV®.  Marie  de  Lorraine, 

Née  le  15  août  1615.  Elle  était  fille  de  Charles  de  Lorraine, 
duc  de  Guise,  prince  de  Joinville,  pair  et  grand  maître  de 
France  et  d'Henriette-Catherine,  duchesse  de  Joyeuse.  Elle  suc- 
céda à  son  petit-neveu  François-Joseph  de  Lorraine,  dans  les 
duchés  de  Guise,  de  Joyeuse,  d' Angouléme  et  dans  la  princi- 
pauté de  Joinville,  en  1675.  Cette  princesse,  connue  sous  le 
nom  de  mademoiselle  de  Guise,  mourut  à  Paris,  dans  son  hôtel, 
le  3  mars  1688. 

De  Marie  de  Lorraine,  dite  mademoiselle  de  Guises  qui 
testa  en  1686,  la  principauté  de  Joinville  passa  successivement 
à  mademoiselle  d'Oriéans ,  à  Philippe  de  France,  frère  unique 
de  Louis  XIV,  au  duc  d'Oriéans,  régent,  et  à  sa  descendance, 

m 


XI. 


DISSERTATION 


SUR  LE  CREDO  DE  JOIN VILLE. 


Panai  les  manuscrits  de  notre  Bibliothèque  impériale» 
M.  Paulin  Paris  a  signalé  celui  qui,  sous  les  numéros 
1446-7857  »  contient  une  Profession  de  foi^  ou  Credo,  ac- 
compagnée de  réflexions  en  forme  de  commentaires. 

M.  le  chevalier  Artaud',  qui  le  premier  nous  a  donné 
un  fac  simile  de  ce  précieux  manuscrit,  dit  que  Tusage  de 
composer  de  semblables  Credo  était  fréquent  au  moyen 
âge ,  et  il  en  cite  plusieurs  exemples.  Grégoire  de  Tours, 
qui  écrivait  au  sixième  siècle,  nous  en  a  laissé  un  où  il 
expose  ainsi  sa  croyance  : 

a  Je  crois  en  un  Dieu ,  le  père  tout-puissant  ;  je  crois  en 
Jésus-Christ,  etc. 

«  Le  Dante  également  a  dit  :      . 

lo  8crissi  d'amor  plu  volte  rime 
Quando • 


*  Mélanges  publiés  par  la  Société  des  Biblit^kiles  français,  Paris, 
Firmin  Didot,  1S37.  Imprimé  seulement  à  vingt-cinq  exemplaires. 


SUR    LE  CKSDO  DB  JOIlfVILLB.  CU 

Da  qoesto  fliiso  amor  ornai  la  mano 

A  ficriver  piu  di  lui  io  to  ritrare , 

£  ragionar  di  Dio,  corne  Cristiano. 
Io  cre€U>  in  Dio  padre ,  che  puo  fare 

Tutte  le  cose ,  e  da  hii  tutti  i  béni 

Procodon  sempre  di  bel  operare  ; 
Délia  cui  grazia  terra  e  ciel  sou  pieni , 

£  da  lui  foron  fatti  di  tiiente 

Perfetti,  buoni  lucidi  e  sereni. 

In  Chrîsto , 

unico  figliaol  di  Dio,  nalo 

£lemidmen(e.,  e  Dio  di  Dio  nsclo. 

«  Pétrarque^  vers  l'an  1 3G9 ,  composait  sa  xux*  can- 
zone  adressée  à  la  Vierge  Marie.  C'est  aussi  une  sorte  de 
Credo  y  où  sont  développés  les  principaux  points  de  notro 
croyance. 

«  II  existe  une  foule  de  professions  de  foi  semblables 
dans  les  ouvrages  du  quatorzième  siècle  et  des  siècles 
suivants.  » 

MM.  Paulin  Paris  et  Artaud  ont  attribué  ce  Credo  à 
Joinville,  et  il  y  a  tout  lieu  de  croire  que  c'est  avec  raison. 
Le  manuscrit,  à  en  juger  par  la  forme  de  récriture  et  par 
ie  dessin  des  miniatures  dont  il  est  orné,  date  évidem- 
ment de  l'époque  où  vivait  Joinviile»  et,  d'un  autre  côté, 
le  style  de  Fauteur  et  l'orthographe  sont  plus  anciens  que 
le  manuscrit  des  Mémoires  de  Joinville  (n®  2016}  que 
possède  notre  Bibliothèque  impériale,  et  qu'on  s'accorde 
à  regarder  comme  postérieur  d'un  demi-siède  à  roriginal. 
Ce  qui  prouve  enfin  qu'il  appartient  à  l'époque  que  nous 
signalons,  c'est  le  fac  simile  qu'a  donné  M.  le  chevalier 


CL11  DI8S1BTATIOII 

Artaud,  document  prédeux  et  qui,  revu  avec  le  plus 
grand  soin  par  M.  Paulin  Paris,  reproduit  le  manuscrit 
original  avec  une  rigoureuse  exactitude. 

La  date  de  Tannée  et  le  lieu  où  fut  écrit  ce  Credo  s'y 
trouvent  ainsi  indiqués  :  • 

«.,...  Or  y  a  mil  deux  œot  quatre-vingt-flept  ans » 

(Page  IG,  dernière  ligne;) 

«  Je  fis  d*abord  faire  cette  dictée  en  Acre  ce  après  que  II 
«  frères  du  roy  en  furent  partis,  et  avant  que  le  roy  allast 
«  fortifier  la  ville  de  Gésarée  en  Palestine.  »  (Pag.  3,  lign.  17 
ftlSO 

^oin ville  en  effet  rapporte  dans  ses  Mémoires ,  que  lors- 
que le  comte  de  Poitiers  et  le  comte  d'Aiyou,  frères  du  roi , 
furent  partis  d'Acre,  saint  Louis  se  rendit  à  Césarée,  dont 
U  répara  les  fortifications,  et  Joinvlile  ajoute  que  lui-même , 
dans  cette  expédition  9  accompagnait  le  roi  \ 

L'auteur  de  ce  Credo,  à  en  juger  par  certaines  locutions, 
doit  avoir  été  un  laïque  et  même  un  militaire. 

Le  motif  qui  le  lui  a  fait  écrire ,  c'est,  dit-il,  que  : 

«  Comme  nus  (  nui  )  ne  pooit  estre  sans  (sauvé)  s^  il  ne  S2k 
voit  son  Credo,  il  a  fait  cet  œuvre  pour  esmouvoir  les  gens  à 
croire  ce  de  quoi  ils  ne  se  poolent  soffrir.  »  (Pag.  2,  lign.  15 
et  16.) 

Le  récit  que  Joinville  fait  dans  ses.  Mémoires  d'un  des 

*  Le  départ  des  frères  du  roi  est  à  la  date  de  1251.  La  première 
rédadion  du  Credo  dstdone  antérieure  de  cinquante-huit  ans  à  Tépoqiie 
eu  loiBviile  nous  dit  qu'il  écrivit  ses  Mémoires,  en  octobre  1309.    • 


SUE  LB  CBXDO  DB  JOIRVILLE.  CLIII 

épisodes  les  plus  dramatiques  de  la  retraite  des  croisés 
après  la  bataille  de  Mansourah,  lorsque  sa  vie  et  celle  des 
prisonniers  chrétiens  furent  en  si  grand  péril ,  se  retrouve 
également  dans  le  Credo;  Tauteur  dit  qu'il  assistait  en 
personne  à  cette  terrible  scène  :  il  était  donc  un  de  ces 
prisonniers. 

Et  comment  douter  que  ce  soit  Joinville  lui-même/ 
quand  dans  plusieurs  endroits  du  Credo  on  voit  les  mêmes 
preuves  qu'il  a  déjà  données  de  sop  intime  familiarité 
avec  le  roi,  et  que  de  plus  les  raisons  pour  établir  la  vérité 
de  ce  Credo  et  pour  exhorter  ses  compagnons  à  y  croire 
sont  précisément  celles  dont  se  servait  le  roi  pour  le  con- 
vaincre des  vérités  de  la  religion. 

Dans  ses  Mémoires  Joinville  nous  dit  : 

• 

«  Le  saint  roi  se  efforçoit  de  tout  son  pooir,  par  ses  pa- 
«  rôles ,  de  moi  faire  croire  fermement  en  la  loi  chrestienne 
«  que  Dieu  nous  a  donnée ,  ainsi  que  vous  orrez  ci-après.  » 
(Pag.  13, 1.  5  etsuiv.) 

Et  Fauteur  du  Credo  s'exprime  ainsi  : 

«  Je  le  fis  (ce  Credo)  pour  engager  les  gens  à  croire  ce  dont 
«  ils  ne  pouvoient  se  contenter  (pooient  soffrir).»  (Pag.  2, 1. 16 
et  17.) 

r^'est-il  pas  naturel  même  de  supposer  que  Joinville^ 
dont  Tesprit  était  un  peu  ondoyant  et  assez  ergoteur  sur 
plusieurs  points  de  la  religion ,  aura  rédigé  ce  Credo  à  la 
demande  de  saint  Louis,  afin  de  rendre  à  d'autres  le  ser- 


CLIV  BISSERTATIOir 

\ice  que  lui  avait  rendu  le  roi  dans  ces  pieux  entretiens 
pour  fortifier  sa  foi?  y 

On  peut  même  croire,  en  lisant  ces  paroles  '  dans  le 

Credo  : 

«  Le  roi  Louis  (que  Dieu  absoille  !  )  me  répéta  cette  tiaute  pa- 
«  rôle,  » 

que  ce  sont  les  expressions  mêmes  de  saint  Louis  que 
JoinvIUe  nous  a  transmises,  et  que  nous  connaissons 
ainsi  la  manière  de  raisonner  du  roi  sur  divers  points  de  la 
religion. 

Autre  ressemblance  singulière  avec  les  Mémoires  de 
Joiuville  et  qui  s'offre  dès  le  commencement  da  Credo  : 

«  Or  disons  donc  que  foiz  est  une  vertuz  qui  fait  croire  fer- 
«  mement  ce  que  bons  ne  voit  ne  ne  set,  mais  que  pour  voir 
«  dire  ensi  que  nous  créons  nos  pères  et  nos  mères  de  ce 
«  que  il  dient  que  nous  sûmes  lor  fil  et  si  n'avons  autre  cer- 
«  taineté,  et  donc  devons-nous  croire  plus  fermement  que 
«  nule  autre  chose  terriene  les  poins  et  les  artic4es  li  quel 
«  nous  sont  tesmoigné  et  enseingnié  de  la  bouche  del  Tout- 
«  Poissant  par  tous  les  sainz  dou  Vieil  Testament  et  dou  No- 
«  vel».  »  (P.  1,1.8.) 

*  Page  1, 1. 15^  et  page  2, 1.  1  et  1.  4. 

'  Voici,  dans  les  Mémoires  de  JoinYille,  le  passage  où  se  trouTe  ie 
même  raisonnement  : 

«  Le  saint  roi  se  eiïorçoit  de  tout  son  poor  (  pouvoir  ),  par  ses  pa 
«  roies,  de  moy  faire  croire  fermement  en  la  loy  chrestienne  que 
«  Dieu  nous  a  donnée,  aussi  (ainsi)  que  vous  orrez  ci-après II  di- 
te soit  que  foy  et  créance  estoit  une  cliose  où  nous  devions  bien  croire 
ft  fermement,  encore  n'en  feussiens-nous  certains  mez  que  par  oïr 


sua  I.B  CBEDO  BE  JûmVIUE.  CLV 

Au  troisième,  alinéa  de  la  première  page  da  Credo  se 
trouve  cet  autre  passage  : 

«  Decroîre  ce  que  l*an  ne  voit ,  me  dist  li  rois  Loys  (  que  Diex 

a  assoille  !  )  une  haute  parole  que  li  cuens  de  Montfort ,  cil  qui 

«  fu  pères  ma  dame  de  Neele ,  avoit  dite  as  Briois  (  aux  Albi- 

«.  geois  ).  Cil  dou  pais  vindrent  à  lui  et  li  distrent  qu'il  venist 

«  veoir  le  cors  Nostre-Seigneur  qui  estoit  venuz  en  char  et  en 

«  sanc  ;  et  il  lor  dist  :  Alez  le  veoir  qui  ne  le  créez,  car  endroit 

«  de  moi  le  croi-je  bien  desouz  le  pain  et  dessouz  le  vin ,  ausinc 

«  corne  sainte  Église  le  m'enseigne.  Et  il  li  demandèrent  que 

«  il  i  perdroit  se  il  le  venoit  veoir;  et  il  lor  dit  que  se  il  le 

«  veoit  face  à  face  et  il  le  creoit,  point  de  guerredon  n'en  au- 

«  roit;  et  dist  que  se  il  creoit  ce  que  Diex  et  li  sains  li  ense- 

«  gneroient,  que  il  atendoit  plus  grant  guerredon  et  plus  grant 

«  corone  ou  ciel ,  que  de  toutes  autres  bones  œuvres  que  il 

«  pourroit  faire  en  ceste  mortel  vie  ' .  » 

R  dire.  Sus  ce  point ,  il  me  fist  une  demande  :  comment  mon  père 
«  avoit  non  (nom),  et  je  11  dis  que  il  avoit  non  Simon.  Et  U  me  dit  com- 
«  ment  je  le  savoie;  et  Je  li  diz  que  je  en  cuidois  estre  certein  et  le 
«  crcoie  fermement^  pour  ce  que  ma  mère  Tavoit  tesrooigné.  Donc 
«  devez-vous  croire  fermement  tous  les  articles  de  la  foi ,  lesquiex 
«  les  apostres  tesmoignent,  ainâl  comme  vous  oez  chanter  au  diman- 
«  che  en  la  Credo.  »  (Mém.  de  Join ville,  p.  13.) 

*  «  On  lit  de  même  dans  les  Mémoires  de  JoinvîUe ,  p.  15, 1.  f  4  et 
suivantes  : 

.  «  Li  saint  roy  me  conta  que  pluseurs  gent  des  Aubijois  vindrent  au 
«  conte  de  Montfort,  qui  lors  gardoitïa  terre  des  Aubijois  pour  le  roy, 
«  et  li  distrent  que  il  venist  veoh*  le  cors  Nostre-Seigneur  qui  estoit 
«  devenuz  en  sanc  et  en  char  entre  les  mains  au  prestre;  et  leur  dist  : 
«  Allez  le  veoir,  vous  qui  ne  le  créez  ;  car  je  le  croi  fermement,  aussi 
«  comme  sainte  Esglise  nous  raconte  le  sacrement  de  Tautel.  Et  savez- 
tt  vous  ce  que  Je  y  gaignerai,  fist  le  conte,  de  ce  que  je  le  croy  en 


CLYI  DISSBATÀTION 

Parmi  les  instructions  religieuses  que  saint  Louis  don- 
nait k  Joinville  (voy.  ci^dessus,  p.  c),  et  qui  sont  rap- 
portées par  le  confesseur  de  la  reine  Marguerite,  auteur 
de  la  Vie  de  saint  Louis ,  il  en  est  une  qui  s^accorde 
parfaitement  avec  ce  qui  est  dit  et  dans  les  Mémoires  de 
Joinville  et  dans  le  Credo.  L'analogie  entre  ces  trois  do- 
cuments est  d'autant  plus  frappante,  que  le  manuscrit  du 
confesseur  de  la  reine  Marguerite  que  nous  possédons  re- 
monte très-certainement  par  son  antiquité  à  Tépoque  où 
Tauteur  écrivait. 

Voici  les  paroles  que  Joinville,  à  la  page  1  et  2  du  Credo, 
met  dans  la  bouche  du  roi  : 

«  Or  veons  donc  que  deus  choses  sont  que  nous  convient  à 
«  nous  sauvier,  ce  est  à  savoir  bones  œuvres  faire  et  fermement 
«  croire.  £n  bones  œuvres  faire  m*aprist  li  roi  Loys  que  je  ne 
«  feîsse  ne  ne  deisse  chose  se  tout  li  mondes  le  savoit,  que  je 
«  ne  l'osasse  bien  faire  et  di^e  ;  et  me  dist  que  ce  soffisoit  à  l'o- 
«  nor  dou  cors  et  au  sauvement  de  l'arme  (l'âme)  '.  » 

«  cette  mortel  vie ,  aussi  comme  sainte  Esglise  le  nous  renseigne?  Je 
«  en  aurai  one  corone  es  ciez  plus  que  les  angres  qui  le  Teoient  face 
n  à  face;  par  quoi  il  convient  que  il  le  croient.  » 

*  Voici  ce  même  passage ,  tel  que  le  rapporte  le  confesseur  de  la 
reine  Marguerite  : 

«c  Et  aucunes  foiz  avec  ce  li  benoiez  rois  dist  audit  chevalier  ces 
«c  paroles  :  Voudriez-vos  avoir  enseignement  tel ,  par  quoi  vos  eussiez 
«  ennenr  en  cest  monde  et  pleussiez  as  hommes,  et  eussiez  la  grâce 
«  de  Dieu  et  si  eussiez  gloire  en  tens  avenir  ?  Et  li  chevalier  respondi 
«  que  il  vodroit  bien  avoir  tel  enseignement  ;  et  lors  li  dist  li  benoiez 
«  rois  :  Ne  fêtes  chose  ne  ne  dites  que,  se  tout  li  mondes  savoit  ce, 
«  nonpourqnant  vos  ne  le  lèriez  mie  fère.  (  Vie  de  saint  Louis f^,  335, 
éd.  de  Capperonnier,  in-fol.;  Imp.  royale,  1761,) 


SUB  tB  CBBDO  DS  JOINYItLB.  CLYH 

Cet  autre  passage  du  Credo  «  page  3,  se  retrouve  à  peu 
près  le  même  dans  les  Mémoires  de  Joinville  : 

«...  de  croire  fermement  me  dist  li  rois  que  li  enemis  {le  diable) 
«  s*efforce  tant  que  il  puet  à  cous  giter  de  ferme  créance  ;  et 
«  me  enseigna  que  quant  li  enemis  m'envoieroit  aucune  tempta- 
«  tion  dou  sacrement  de  l'autel  ou  d'aucun  autre  point  de  la  foi , 
«  que  je  deisse  :  Enemis,  ne  te  vaut;  que  jà,  à  l'aide  de  Dieu , 
«  de  la  foi  crestienne  tu  ne  me  esteras,  nés  se  tu  me  feisse  touz 
«  les  membres  tranchier  >.  Et  me  dist  li  rois  que  ce  estoit  la 
«  ferme  créance,  laquel  créance  Diex  a  ennorée  de  son  nom  ; 
«  car  de  Grist  somes  appelé  crestien;  laquele  Diex  a  fait  profe- 
«  tisier  et  tesmoignier  as  creans  et  as  mecreanz,  ce  que  onques 
«  autre  loi  ne  fu  :  ensi  come  il  dit  en  un  livre,  au  sainz.  as  saiges 

Ce  même  passage  est  ainsi  rapporté  dans  les  Mémoires  de  Joinvilie, 
p.  6, 1.  22  : 

«  Le  roi  Loys  me  demanda  si  je  voulole  estre  honorez  en  ce  siècle 
•  et  avoir  paradis  à  la  mort ,  et  je  li  dis  :  «  Oyl.  »  Et  il  me  dist  : 
«  Donqiies  vous  gardez  que  vous  ne  faites  ne  ne  dites  à  Yostre  es- 
«  dent  nulle  riens  que  se  tout  le  monde  le  savoit  que  vous  ne  peus- 
«c  siez  congnoistre,  je  ai  ce  fait,  je  ai  ce  dit.  » 

*  On  lit  à  la  page  13, 1.  10  et  suivantes,  des  Mémoires  de  Joinvilie  : 

«  Et  disoit  que  Tennemi  est  si  soutilz ,  que  quant  les  gens  se  meu- 

«  rent ,  il  se  travaille  tant  comme  il  peut  que  il  les  puisse  faire 

«  morir  en  aucune  doutance  des  poins  de  la  foy  ;  car  il  voit  que  les 

«  bones  œuvres  que  Pomme  a  faites  ne  li  peut-il  tollir,  et  veoit  que  il 

«  Fa  perdu,  se  il  meurt  m  vray  foy  ;  et  pour  ce  se  doit  garder,  et  en 

«  tel  manière  défendre  de  cest  agait ,  que  en  die  à  l'enemi ,  quand  il 

«  envoyé  telle  temptacion  :  Va-t'en  ;  HoU  on  dire  à  l'enemi  :  Tu  ne  me 

«  tempteras  jà  à  ce  que  je  ne  croie  fermement  tous  les  articles  de  la 

«  foy;  mes  se  tu  me  fesoies  tous  les  membres  trenchîer,  si  vieîHe 

«  vivre  et  morir  en  cesti  point.  Et  qui  ainsi  le  fait,  il  valut  renemi 

«  de  son  baston  et  de  ses  espées  dont  l'enemi  le  vouloit  occire.  » 

n 


ÇLTin  DISSBBTATIOIf 

•  au  rois,  fist  Diex  porter  son  tesmoing,  as  gens  de  diverses  lois> 
«  que  nuz  n*en  puet  douteir.  » 


11  y  a  encore  d'autres  preuves  de  l'authenfieité  de  ce 
Credo. 

Dans  le  commentaire  dont  il  accompagne  son  texte , 
Tauteur,  arrivé  au  passage  du  Credo  qui  concerne  la  ré> 
surrection^  nous  fait  le  récit  du  péril  auquel  lui  et  les 
autres  prisonaiers  échappèrent  par  la  grâce  de  Dieu.  Or 
ce  récit,  si  Ton  en  excepte  quelques  différences,  est  exac- 
tement le  même  que  celui  de  Joinville  dans  ses  Mémoires  ; 
c'est  le  même  péril  auquel  a  échappé  le  sénéchal  de  Cham- 
pagne. Les  deux  ouvrages  sont  donc  de  Iqi  et  on  en  sera 
convaincu  si  Ton  remarque  que  la  miniature  qui ,  dans  le 
manuscrit  du  Credo,  accompagne  le  récit  nous  offre 
Timàge  de  Joînville  parmi  les  prisonniers  désarmés  et  me- 
nacés par  les  Sarrasins  représentés  Tépée  nue  à  la  main. 

L'usage  ingénieux  d'expliquer  le  texte  des  manuscrits 
par  des  représentations  figurées  ne  remontant  guère  en 
Europe  qu'à  Tépoque  des  croisades,  on  peut  supposer 
que  Joinville  fut  Tun  des  premiers  qui  Tintroduisit  en 
France.  On  peut  juger  par  le  petit  nombre  des  beaux  ma- 
nuscrits byzantins  échappés  au  ravage  du  temps  et  des 
barbares,  et  dont  quelques-uns  se  conservent  encore  dans 
les  monastères  du  mont  Athos,  de  i'étonnement  que  les 
croisés  durent  éprouver  à  la  vue  d*un  luxe  auquel  ils  n'é- 
taient pkw  accoutumés ,  et  qui  faisait  resplendir  d'or,  de 
pourpre  et  d'azur  ces  beaux  livres.  Joinville  surtout  dut 


SUB  LE  CftSDO  DE  JOINVILLE.  GLIX 

ea  être  émerveillé^  lui  qai,  élevé  à  la  cour  du  comte  de 
Champagne»  Q*était  pas  étranger  au  sentiment  «des  arts, 
comme  le  prouve  le  soin  qu'il  prit  d*orner  ses  chapelles  et 
verrières  de  Blécourt  de  beaux  vitraux ,  où  il  faisait  re- 
présenter soit  des  sujets  pieux ,  .soit  des  faits  historiques 
relatifs  aux  croisades  '.  Aussi  voit-on  avec  plaisir,  à  une 
époque  où  Tamourdes  beaux-arts  était  si  rare  parmi  toute 
cette  noblesse  qui  ne  semblait  vivre  que  pour  la  guerre» 
Joinville  comparer  à  Téclat  des  miniatures  où  Vor  et 
Pazur  enluminaient  les  manuscrits,  la  splendeur  dont 
saint  Louis  fit  briller  son  royaume  ^. 


-  >  Avant  même  son  départ  pour  la  Terre  Sainte»  Joinville  avait  décoré 
relise  de  Blécourt  d'autres  vitraux  où  était  peinte  l'histoire  de  la 
sainte  Vierge.  «  On  en  voit  encore  des  cestesdans  le  presbytère,  t  dit 
Baugier  dans  ses  Mémoires  historiques  de  la  province  de  Cham- 
pagne. Gh&lons,  1721,  t  i^%  p.  342. 

^  Cette  comparaison,  joste  en  elle-même  sous  le  rapport  matériel» 
n'est  pas  moins  juste  sous  le  rapport  moral.  En  effet» 

Si  parva  licet  componere  magnis^ 

c^t  avec  on  dévouement  et  un  enthousiasme  égal  à  celui  dont  saint 
Louis  était  animé  pour  garder  si  saintement  et  loyalement  son 
royaume  et  Vomer  de  tant  de  beaux  establissements  ^  que  les  re* 
ligieux  séculiers  ou  laïques  se  dévouaient  à  la  pénible  fonction  do 
scribes  pour  reproduire  les  Saintes  Ecritures»  dont  ils  faisaient  des  chefs- 
d'œuvre  de  patience  et  d'art.  Aussi,  quand  il  les  pouvaient  achever, 
c'était  par  des  actions  de  grâces  qu'ils  remerciaient  Dieu  d*avoir  pro- 
longé leur  carrière  jusqu'à  l'achèvement  de  l'œuvre  à  laquelle  ils  avaient 
dévoué  leur  vie.  Voici  celle  que  je  lis  à  la  fin  d'une  Bible  écrite  tout 
entière  en  caractères  microscopiques,  dont  la  perfection  surpasse  les 
pins  beaux  produits  de  l'art  typographique  et  dout  les  miniatures  jus- 
tifient ra<Vniration  de  Joinville  :  Benedictus  Dominus  Deus  qui  scri- 
bendo  Amulphum  de  Campaàng  usque  hue  perduMt,  AmênUi 


CUL  D1S8BBTÀTI0II 

MaiheureQsement  nous  avons  perda  ces  précleoses  pein^ 
tures  ;  mais,  du  molDS,  dans  le  manuscrit  da  Credo  se  re- 
lroa?e  la  plus  importante  de  tontes.  Elle  est  placée  an- 
dessous  de  ces  paroles  : 

Et  au  troisième  jeur  resnueUa  des  morts. 

L'intérêt  qu'elle  offre  est  d'autant  plus  grand  que  parmi 
les  personnages  qui  y  sont  représentés  je  crois  pou- 
voir affirmer  qu'on  y  voit  figurer  Joinville  lui-même  '• 

Quant  au  récit  qui  l'accompagne,  il  est  plus  complet  et 
plus  détaillé  que  celui  que  Joinville  nous  a  donné  dans  ses 
Mémoires  ;  Il  en  diffère  même  sur  plusieurs  points.  Sous  le 
rapport  historique  et  littéraire ,  nous  ne  possédons  rien 
de  plus  remarquable. 

Voici  ce  récit  tel  quMI  est  inséré  dans  le  Credo  : 

«  De  la  résurrection  vous  dirai-je  que  Je  en  oi  à  la 

prison  ou  diemenche  après  ce  que  nous  fusmes  pris  et  ot- 
on  mis  en  un  paveiUon  les  riches  homes  et  les  che- 
valiers portanz  bannière  pareus  {pareille).  Nous  oîmes 
un  grand  cri  de  gent  ;  nous  demandâmes  ce  que  estoit , 

fallait,  en  effet,  un  dévouement  presque  surhumain  pour  oser  entre- 
prendre un  tel  labeur. 

>  L'artiste  qui  peignit  «ette  miniature  est  peut-être  ce  même  clerc 
que  Joinville  avait  emmené  avec  lui  à  la  croisade  et  qui  fit  à  Saint- 
Jean  d'Acre,  en  1251,  la  première  rédaction  du  Credo  *.  On  peut 
aussi  lui  attribuer  le  dessin  des  vitraux  qui  dans  les  diverses  chapelles 
de  Joinville  représentaient  les  faits  relatifs  aux  croisades.  On  sait 
combien  à  cette  époque  le  style  des  peintures  des  vitraux  et  celui  des 
manuscrits  est  semblable. 

Lb  d<rBiftre(««U«  qw  mom  powMoii»)  fbt  r«|»ro4alM  av«e  addltiM  to  laS?. 


SCB  LB  CBEDO   DB  ^OINVILLB.  CtXI 

et  on  nous  dist  que  oe  estoient  nostre  gent  que  om  met- 
toi»t  eu  un  grant  pare  tout  clos  de  mur  de  terre.  Geus 
qui  ne  se  voloient  renioer  Tan  lesoccioit;  ceus  qui  se 
reuioient,  on  les  laissoit  en  icelle  grant  paour  de  mort  ou 
nous  estions.  Yindrent  à  nous  jusques  à  treize  ou  quatorze 
dou  consoii  dou  Soudan ,  trop  richement  appareillié  de 
dras  d*or  et  de  soie ,  et  nous  firent  demander,  par  un  frère 
de  l'Ospital  qui  savoit  sarazinois,  de  par  le  Soudan,  se  nous 
vorriens  estre  délivre  »  et  nous  deimes  que  oil  (mi),  et  ce 
pooient-il  bien  savoir;  et  nous  distrent  se  nous  donrîens 
nus  des  cbastîaus  dou  Temple  ne  de  TOspital  pour  nostre 
délivrance;  et  11  bons  cuens  Pierres  de  Bretaigne  lour  ré- 
pond! que  ce  ne  pooit  estre,  pour  ce  que  il  cbastelain  juroient 
seur  sainz,  quant  om  les  i  metoit,  que  pour  délivrance  de 
cors  dômes  ne  les  renderoient.  Et  il  nous  demandèrent 
après  se  nous  lor  donriens  nus  des  chastiaux  que  baron 
tenoient  ou  reaume  de  Iherusalem,  pour  nostre  délivrance  ; 
et  li  cuens  dé  Bretaingne  dist  que  nanil  [nenni] ,  que  li 
chastel  n'estoient  pas  du  fié  dou  roi  de  France. 

«  Quant  il  oirent  ce ,  il  nous  dirent  que  puisque  nous  ne 
voiiens  faire  ne  Tun  ne  i* autre ,  il  s^an  iroient  et  nous 
amenroient  ceus  qui  jueroient  à  nous  des  espées  ;  et  li 
cuens  de  Bretaigne  lor  djst  que  legîere  chose  estoit  de 
occire  celui  que  on  tient  eu  sa  prison  '. 

a  Quant  il  s'en  furent  aie ,  une  grant  foison  de  jeunes 
gens  sairazinz  entrèrent  ou  clos  là  où  le  nous  tenoit  pris, 
les  espées  traites ,  des  quiex  je  cuidai  vraiement  qui  ve- 

*  Cette  noble  réponse  du  comte  Pierre  de  Bretagne  ne  se  trduTe 
pas  dans  le  r^it  fait  par  JolnTille  dans  ses  Mémoires. 

n. 


CLIII  DISSSBTATIOIV 

Hissent  por  nous  occlrre,  mais  non  fesoient;  ançois  nous 
anvoia  Diex  nostre  confort  entre  ans;  car  II  amenèrent 
un  petit  home  si  Tiel  par  samblant  comme  home  poist 
estre;  et  le  tenoient  par  samblant,  celle  jeune  gent,  pour 
fol.  Et  distrent  au  conte  de  Bretaigne  qui  le  feissent  oir, 
ce  que  c'estoit  uns  des  plus  prodome  de  lor  loi.  Et  lors 
s*apoia  le  viex  petit  hom  sor  sa  croce  et  atout  sa  barlie 
et  les  treces  chenues;  et  dist  au  conte  que  il  avoit  en- 
tendu que  li  crestien  creoient  un  Dieu  qui  avoit  esté  pris 
pour  aus ,  batus  pour  aus,  mors  pour  aus ,  et  au  tiérz  jour 
estoit  resuscitez.  Et  tout  ce  li  otroia  ii  cuens,  et  lors  redit  li 
viex  hom  :  a  Que  donc  ne  vous  devez-vous  mie  plain- 
a  dre  se  vous  avez  esté  pris  pour  li,  batuz  por  li,  navrez  por 
«  li,  car  ausi  avoit-il  esté  pour  vous;  ne  ancore  B*avez  pas 
a  la  mort  sofTerte  pour  li  ausi  corne  il  avoit  feit  pour  vous.» 
Et  après  nous  dist  cr  que  si  votre  Dieu  avoit  eu  pooir 
«(  de  lui  resusciter,  et  donc  vous  avoit-il  bien  pooir  de  dé- 
«  livrer  quand  li  plairoit.  x>  Et  vraiement  encore  croi-je 
que  Diex  le  nous  anvoya,  car  il  tarda  molt  pou  après  ce 
que  s* en  fa  aies ,  que  li  consaus  le  soudan  revint ,  qui  nous 
dist  que  nous  envoissiens  quatre  de  nous  parler  au  roi, 
liquiex  nous  avoit  par  la  grâce  que  Diex  lui  avoit  don- 
née, touz  sens  {tout  seul)  pourchasié  nostre  délivrance.  Et 
sachiez  que  voirs  estoit;  car  aussi  sagement  Tavoit  pour- 
chasiée  11  rois  parla  grâce  Dieu,  corn  se  il  eust  tout  le  con- 
seil de  la  crestienté  avec  lui  \  d 

Cest  à  Teadroit  le  plus  dramatique  de  ce  récit  et  au- 

*  Yoyes,  poar  la  comparaison  de  ce  récit  avec  celui  que  Joinville 
fait  daos  ses  Mémoires,  les  pages  iOl  et  102  de  notre  é<}|tioR. 


SUB  LS  CStDO  DB  JOlNVItU.  CLMlt 

dessus  de  ces  mots  :  Les  espées  traites  det  quUx  je  cui- 
dai  gui  venistent  por  rw»s  occire ,  qu'est  placée  la  mi- 
niature doDt  nous  doQDODs  la  reprodacUon  dans  la  gran- 
denr  mime  de  rorlgfnal  : 


CLKIT  DISSIBTATIOR 

De  toutes  les  misiatures  représentant  des  sujets  relatifs 
au  texte  du  Credo  (elles  sont  au  nombre  de  quinze  pe- 
tites et  diX'sept  grandes  )«  ceile-ei  est  la  seule  qui  soit  his* 
torique  et  qui  nous  offre  une  scène  des  croisades.  Toutes 
les  autres  sont  bibliques  et  relatives  à  des  sujets  de  l'An- 
cien et  du  Nouveau  Testament. 

C'est  en  examinant  cette  miniature  et  en  la  comparant 
avec  celle  qui  se  trouve  en  tète  du  manuscrit  n®  2016  des 
Mémoires  de  Joinville,  que  j^ai  été  frappé  d'une  circons- 
tance qui  m'a  encore  confirmé  dans  l'opinion  que  Join- 
ville  est  l'auteur  de  ce  Credo. 

On  y  voit^  en  effet,  d'un  côté,  les  guerriers  sarrasins  ayant 
tous  l'épée  hors  du  fourreau,  précédés  par  un  petit  vieillard 
appuyé  sur  ses  béquilles  et  par  l'un  des  Sarrasins,  qui  inter- 
pelle les  prisonniers  chrétiens  ;  de  l'autre  côté,  on  remarque 
parmi  les  prisonniers  chrétiens  désarmés  deux  qui  sont 
placés  au  premier  rang.  Le  plus  avancé  est  le  comte  de 
Bretagne,  qui  répond  au  guerrier  sarrasin ,  et  le  second 
[le  seul  des  chevaliers  chrétiens  qui  soit  coiffé  d'un  capu- 
chon] ne  peut  être  autre  que  Join ville  ;  car,  par  un  singu- 
lier hasard^  il  a  la  tète  couverte  d'un  capuchon  ou  cha- 
peron ,  et  c'est  aussi  d'un  chaperon  qu'est  couverte  la 
tête  du  chevalier  représenté  sur  la  première  feuille  du 
manuscrit  n^  2016,  dont  nous  avons  donné  la  reproduc- 
tion très-exacte;  or,  ce  chevalier  auteur  du  livre  qu'il 
offre  à  Louis  Hutin  est  évidemment  Joinville  :  ce  dont  on 
ne  saurait  douter  à  la  vue  des  broies  qui  recouvrent  son 
manteau ,  et  qui  sont  les  armoiries  de  Joinville. 

Ce  capuchon  faisait  donc  partie  de  son  costume  ordi- 


SUB  LE  GRBOO  DE  JOUfTlLLE.  CLXV 

naire*  En  effet,  le  procès-verbal  dressé  lors  de  l'ouver- 
tare  du  caveaa  contenant  les  restes  du  sire  de  Jdn* 
ville  (voy.  ci-dessus  Disserf.  /?,  p.  lxxx)  dit  qu'il  était 
représenté  sur  son  tombeau  «  couché  y  les  mains  jointes^ 
«  et  semblait  revêtu  dun  capuce  de  bénédictin ,  etc.  » 
Enfin  la  certitude  devient  complète  lorsqu'on  lit  dans 
les  Mémoires,  un  peu  avant  le  passage  emprunté  au 
Credo ,  que  Témir  cbez  lequel  on  le  conduisit  quand  il 
fut  fait  prisonnier  lui  permit  de  se  revêtir  d'une  couver- 
ture que  lui  avait  donnée  madame  sa  mère,  et  d'un  cha- 
peron que  quelqu'un  alla  lui  chercher  '.  Or,  parmi  les 
chrétiens  prisonniers  que  représente  la  miniature ,  un  seul 
est  revêtu  de  ce  chaperon  ;  il  est  donc  impossible  de  ne 
pas  reconnaître  à  ce  signe  l'intention  qu'eut  Joinville  de 
se  faire  distinguer  au  milieu  des  prisonniers  par  tous 
ceux  qui  liraient  le  Credo  '. 


Dans  le  manuscrit,  chaque  mot  du  Credo  est  écrit  en  rouge 
et  les  commentaires  sont  écrits  en  noir,  conformément  à  Tins- 
truction  qu'il  en  avait  donnée  au  rubricateùr  : 

«  Vons  qui  regardez  cest  livre  troverez  le  Credo  en  letres  vermeil* 
«  les,  et  les  prophéties  par  euvres  et  par  les  paroles  en  lettres  noires.  » 

Conformément  à  cette  prescription,  lespr^nières  paroles  du 
Credo  : 

«  Je  erois  en  Diea  le  père  tout- poissant, 
«  Le  Creator  du  del  et  de  la  terre,  a 

sont  écrites  en  lettres  vermeilles. 

*  Voyez  page  98  de  notre  édition. 

'  Telle  est  aussi  Popinlon  de  M.  Paulin  Paris;  et  il  a  bien  voulu 
me  la  conârmer  dans  sa  lettre  du  1 1  mai. 


• 

Lecommentaire  qui  lesexpHque  estacoompagné  d'une  grande 
miniature  représentant  Dieu  le  Père  assis  sur  sou  trône,  tenant 
le  globe  du  monde  en  main;  il  accueille  les  bonnes  âmes  qui 
s'avancent  vers  lui,  et  précipite  les  mauvaises,  qui  tombent  du 
ciel  la  tête  en  bas. 

VcHci  le  commencement  du  commentaire,  écrit  en  lettres 
noires  : 

«  Sa  grande  poissanee  poes  veoir  en  la  ereation  du  monde  que  vons 
«  veez  ci«aprè8  pointe,  car  il  n'est  nus  qui  poist  faire  la  plus  petite  de 
«  tontes  ces  créatures;  creerres  en  cil  qui  fait  de  noieut  aucunes 
«  choses,  etc.  » 

La  suite  du  Credo  est  accompagnée  d'un  grand  nombre 
de  miniatures  de  diverses  grandeurs.  Au-dessous  de  ces  mots 
du  Credo,  écrits  en  rouge  :  etjut  enseveU,  on  voit  représenté 
Jonas  à  moitié  avalé  psff  un  gros  poisson;  et  le  commentaire 
ajoute  : 

«  La  profesie  de  Tœuvre  de  ce  qu*U  fut  mis  an  sépulchre ,  si  est  de 
«  lonas  que  vous  veez  ci  point,  qui  fu  mis  on  ventre  de  la  baleine  ; 
«  car  autretant  corne  Jonas  fu  ou  ventre  de  la  baleine ,  tant  fu  li  filz 
«  Dieu  ou  sépulchre.  » 

Ailleurs,  deux  miniatures  représentent,  Tune  cinq  femmes 
qui  s'avancent  joyeuses  tenant  une  lampe  de  la  main  droite^ 
et  une  coupe  dans  la  main  gauche. 

L'autre  miniature  nous  montre  cinq  autres  femmes  dont  le 
visage  et  l'attitude  annoncent  la  tristesse  ;  elles  n'ont  point  de 
lampe  et  tiennent  leur  coupe  renversée. 

Enfin,  au-dessous  de  ces  mots  par  lesquels  le  Credo  se  ter- 
mine :  et  la  vie  perdurable,  Amen,  on  lit  ces  paroles  : 

«  Nous  devons  croire  fermement  que  li  saint  et  les  saintes  qui  très» 
«  passés  sont,  et  li  prodhome  et  les  prodefemmes ,  auront  vie  et  joie 


SUB  Lfi  GEBOO  DE  JOIUVILLE.  GLXYII 

«  perdorable  es  cieax  et  seront  à  la  table  de  No^tre-Selgneur,  laquelle 
«  joie  TOUS  Terrez  point  ci-après  on  petit  (un  peu ),  selonc  ce  que 
«  Tapocalipse  le  devise.  » 

Nous  nous  boraeroDS  à  ces  iDdications  sur  le  Credo  de  Joîn- 
ville.  Nous  aurions  désiré  reproduire  en  entier  ce  monument 
littéraire,  qui  offre  un  véritable  intérêt  sous  plusieurs  rapports  ; 
mais  le  format  de  notre  édition  s'opposait  à  la  représentation 
figurée  des  miniatures ,  qui  ne  sauraient  être  séparées  du  texte 
qu'elles  accompagnent  et  expliquent. 


XII. 

m 

NOUVELLES  RECHERCHES 

SUR  LES 

MANUSCRITS  DU  SIRE  DE  JOINVILLE, 

PAR  PAULIN  PARIS, 

MEMBRE  DE  L*ACADÉH1E  DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES. 


Dans  les  premières  années  du  XIV®  siècle,  un  chevalier 
de  la  province  de  Champagne  écarté  depuis  longtemps 
du  mouvement  des  cours,  mais  dont  les  anciens  faits 
d*armes  et  de  prud'homie  n*étaient  pas  oubliés  de  la  gé- 
nération nouvelle  ^  prit  une  résolution  qui  devait  immor- 
taliser son  nom.  Il  avait  joui  de  la  familiarité  de  saint 
Louis;  et  saint  Louis  était  demeuré  pour  lui  l'objet  d'une 
affection  respectueuse ,  que  Tassentiment  universel  de  la 
grande  république  chrétienne  avait  encore  exaltée;  il  avait 
suivi  le  roi  dans  ses  dangers  extrêmes,  et  toujours  il  était 
resté  le  témoin  de  sa  vertu,  de  son  courage  héroïque  :  il 
crut  donc  c^roir  le  droit  d'adresser  aux  enfants  de  son 
ancien  maître  le  récit  de  tout  ce  qu'il  savait  mieux  que 

CLXTllI 


SUB  LES  MANUSGBITS  DB  JOIMYILLE.  CLXIX 

« 

personne  d'an  prince  honneur  éternel  de  leur  race.  Mais 
pour  exécuter  ce  projet,  combien  d'obstacles  à  surmonter! 
Un  demi-siècle  avait  passé  sur  les  événements  auxquels  il 
avait  pris  part.  Il  fallait  écrire  ou  pour  le  moins  dictei 
une  narration  suivie,  et  la  langue  latine,  en  ce  temps-là 
consacrée  aux  œuvres  sérieuses,  ne  lui  était  pas  familière. 
Sa  première  éducation ,  excellente  sous  le  point  de  vue 
chevaleresque,  offrait,  il  faut  l'avouer,  sous  le  point  de 
vue  littéraire,  un  cachet  moins  marqué  de  perfection. 
Gomine  la  plupart^des  grands  seigneurs  du  XIIP  siècle, 
il  connaissait  la  liturgie  de  l'Église  ;  il  avait  même,  comme 
nous  le  prouverons  tout  à  l'heure,  judicieusement  apprécié 
l'esprit  de  nos  dogmes  sacrés  ;  souvent  il  avait  entendu  les 
grandes  épopées  déclamées  par  les  jongleurs,  ces  rap- 
sodes des  époques  féodales;  peut-être  encore  autrefois 
le  sire  de  Join ville,  dans  mainte  chanson  légère  à  en- 
tendre ,  avait-il  marché  sur  les  traces  de  ses  nobles  amis 
Thibaut  de  Champagne  et  le  châtelain  de  Goucy,  et 
comme  eux  vanté  jusqu'à  l'exagération  la  douceur  du 
printemps  et  les  rigueurs  de  sa  maltresse  :  mais,  loin  de 
connaître  les  admirables  récits  des  historiens  de  l'anti- 
quité ,  il  ignorait  même  ceux  des  chroniqueurs  qui  plus 
nouvellement  avaient  apporté  le  pénible  tribut  de  leurs 
souvenirs  au  trésor  de  Saint-Denis,  et  les  noms  d'Éginhart 
et  de  Suger,  ces  précédents  biographes  dont  son  œuvre 
allait  faire  pâlir  la  renommée ,  n'avaient  jamais  été  pro- 
noncés devant  lui. 

Rien  cependant  n'eut  la  force  de  le  détourner  du  projet 
qu'il  avait  formé.  Il  fit  écrire  en  français  les  bonnes  pa« 
rôles  dont  le  retentissement  vibrait  incessamment  dans 


u 


CLXX  SUB  LBS  MANOSCftlTS. 

son  cœar;  il  raconta  les  premières  années,  il  décrivit  la 
doulourense  croisade  de  saint  Louis  :  en  un  mot,  il  rap- 
pela tons  les  événements  dont  le  vrai  caractère  poavait 
être  éclairé  par  son  témoignage ,  et  dans  lesquels  il  eût 
réclamé  sans  doute  une  plus  grande  part  de  gloire,  s'il 
eût  bien  senti  toute  l'importance  de  ce  mot  de  gloire;  sur* 
tout ,  s'il  n'eût  pas  fait  de  saint  Louis  le  centre  de  ses 
pensées  et ,  pour  ainsi  dire ,  le  foyer  de  son  égoïsme.  Telle 
est  chez  un  petit  nombre  d'âmes  tendres  et  désintéres- 
sées la  force  des  premières  impressions  d'admiration  et 
de  reconnaissance.  Elles  peuvent  transporter  le  sentiment 
du  moi  dans  un  autre  nous*mème;  et  quand  la  destinée 
nous  sépare  de  cet  objet  de  respectueuse  prédilection^  notre 
cœur  se  reprend  uniquement  à  tout  ce  qui  le  rappelle , 
et  suit  encore  longtemps  la  trace  de  son  nom,  de  sa  voix 
et  de  la  moindre  de  ses  habitudes. 

Depuis  que  Joinville  avait  vu  descendre  la  dépouille 
mortelle  de  Louis  IX  dans  les  caveaux  de  Saint-Denis , 
deux  grandes  occupations  partageaient  ses  journées  :  il 
assistait  au  service  divin,  alors  beaucoup  plus  long  que  de 
notre  temps;  il  rendait  la  justice  à  ses  vassaux  comme 
autrefois  le  saint  roi  sous  les  arbres  de  Vincennes.  Mais 
il  restait  dominé  par  un  grand  souvenir,  par  le  profond 
regret  d'avoir  perdu  saint  Louis,  par  la  vive  espérance  de 
le  retrouver  dans  un  autre  monde.  Le  jour,  la  nuit,  sa 
pensée  demeurait  fidèle  au  grand  roi  qu'il  avait  tant  aimé, 
et  Ton'  en  voit  la  preuve  touchante  dans  les  dernières 
lignes  de  son  ouvrage.  Après  avoir  longuement  raconté 
le  beau  service  que  l'on  fit  à  sa  dépouille  mortelle;  après 
avoir,  suivant  l'usage ,  souhaité  la  vie  éternelle  à  ses  lec- 


DE  JOIN VILLE.  CL\\\ 

teurs,  il  semble  qu'il  n*ait  plus  un  mot  à  dicter  :  «  En- 
«  core  veuil-je  dire,  »  ajoQte%t-il  cepeudant,  «  aucunes 
«  choses  qui  seront  à  son  honneur.  G*est  assavoir  que  je 
«  fis  un  songe,  et  il  me  sembloit  en  mon  songe  que  Je  le 
«*  véoie  devant  ma  chapelle  à  Joinvîlle,  et  estoit,  si  comme 
«  il  me  sembloit ,  merveilleusement  aaisé  de  cuer  ;  et  je 
«  meismes  estoie  moult  aaisé,  pour  ce  que  Je  le  véoie  en 
«  mon  chastel  ;  et  11  disoie  :  «  Sire ,  quant  vous  partirés 
«  de  ci*  je  vous  hébergerai  en  une  moie  ville  qui  a  nom 
«  Chcvillon.  Et  il  me  respondi  en  riant  :  Sire  de  Join- 
«  ville,  sire  de  Joinville ,  foi  que  vous  doi ,  je  ne  bée  mie 
«  sitost  à  partir  de  cil  Et  quant  je  me  esveillai,  si  me 
«  sembla  que  il  plesoit  à  Dieu  que  je  le  .hébergeasse  en 
«  une  chapelle;  et  ensi  l'ai  fait.  » 

Mais  qui  n'a  pas  lu  cette  vie  de  saint  Louis ,  à  laquelle 
nous  devons  au  moins  de  bien  connaître  les  mœurs  du 
XIIP  siècle?  Le  nom  du  roi  ,  personnage  principal  de 
cette  époque  singulière ,  nous  rappelle  nécessairement  le 
nom  de  Joinville;  et  tel  est  même  le* caractère  du  bîo« 
graphe,  qu'il  est  assez  difficile  de  démêler  auquel  du 
héros  ou  de  l'historien  nouç  avons  voué  le  plus  d'affection. 
Je  ne  m'arrêterai  pas  à  louer  ici  ce  que  tout  le  monde  a 
loué  :  rappeler  la  gracieuse  naïveté  du  bon  sénéchal ,  ne 
serait-ce  pas,  en  effet,  ainsi  que  Ta  dit  le  tragique  Anglais, 
essayer  de  dorer  l'or  ou  de  blanchir  les  fleurs  de  lis?  Je 
demanderai  seulement  comment  il  s'est  fait  qu'un  monu- 
ment historique  aussi  précieux  soit  demeuré  si  longtemps 
inconnu.  Nul  de  ces  nombreux  écrivains  qui  depuis  saint 
Louis  Jusqu'aux  limites  du  moyen  âge  oDt  transcrit, 
abrégé,  dépecé  les  sources  originales,  n'a  donné  la  plus 


CLXXII  SUA  LES  MANUSCBITS 

légère  attention  au  plus  important  de  tons  les  récits;  ni 
Guillaome  Guyart ,  l'auteur  de  la  Branche  aux  royaux 
lignages  y  ni  Godefroi  de  Paris  auquel  on  attribue  la 
Chronique  métrique,  ni  Jacques  de  Guise,  ni  Jean  Le- 
febvre ,  ni  les  patients  compilateurs  de  Tobscur  Miroir 
historialj  de  la  lourde  Somme,  de  la  profonde  Mer  des 
histoires  ^  ni  Gaguin,  Paul-Emile  ou  tout  autre  chroni- 
queur universel,  n'ont  soupçonné  Texistence  des  Mémoires 
du  sire  de  Joinville.  Admirable  expression  du  moyen 
âge,  répoque  de larenaissance  a  seule  eu  le  pouvoir  de  la 
mettre  en  lumière.  Une  pareille  destinée  a  vraiment  droit 
à  notre  surprise,  et  peut-être  sera-t-il  de  quelque  intérêt 
d'en  chercher,  surtout  d'en  trouver  la  cause.  C'est  là  ce 
que  Je  vais  rapidement  tenter. 

La  première  de  ces  causes  doit  sans  doute  avoir  été  le 
petit  nombre  des  copies  que  Ton  en  répandit  en  France 
pendant  la  vie  de  l'auteur.  Le  sénéchal  de  Champagne 
avait  rédigé  ses  Mémoires  moins  pour  entretenir  le  monde 
de  la  renommée  du  saint  roi  que  pour  donner  une  direc- 
tion régulière  à  la  source  unique  de  ses  pensées.  Il  ne 
s'occupa  donc  pas  avec  le  zèle  ordinaire  aux  auteurs  de 
son  temps  comme  à  ceux  du  nôtre  d'en  faire  exécuter  un 
grand  nombre  de  copies.  Peut-être  même  il  se  sera  con- 
tenté d'en  envoyer  un  exemplaire  au  roi  de  Navarre,  alors 
comte  de  Champagne  et  plus  tard  roi  de  France  sous  le 
nom  de  Louis  le  Hutin.  Ce  prince,  en  1309,  avait  vingt 
ans  :  faible  et  mal  élevé,  sans  doute  il  ne  prenait  pas  à  la 
mémoire  de  saint  Louis  un  intérêt  qui  devait  être  assez 
peu  de  saison  à  la  cour  de  son  père.  Louis  IX  et  Philippe 
le  Bel,  quel  contraste  en  effet!  L'un  avat  isecouru  les  pè- 


DE  JOINVILLE.  «LXXIU 

lerins  d'outre-mer,  leur  avait  donné  ses  trésors,  ses  guer- 
riers, sa  vie;  l'autre  avait  exterminé  leurs  plus  hardis  dé- 
fenseurs pour  s'emparer  de  leurs  richesses.  Louis  IX  le 
grand  justicier,  Philippe  lY  le  grand  spoliateur?  Il  est 
donc  possible  que  les  Mémoires  de  saint  Louis  p'aient 
pas  captivé  Tattention  du  prince  auquel  ils  étaient  adres- 
sés ,  et  que  Join  ville  n'ait  pas  cru  devoir  réclamer  contre 
une  telle  insouciance.  Semblable  au  duc  de  Sully  après  la 

mort  de  Henri  IV,  si  le  vieux  sénéchal  eût  reparu  dans 
le  palais  des  rois,  c'eût  été  pour  y  gourmander  une  géné- 
ration qui  ne  comprenait  pas  la  foi,  la  simplicité»  ni  les 
autres  vertus  du  siècle  précédent.  On  trouve  la  preuve 
des  sentiments  que  nous  lui  attribuons ,  dans  une  lettre 
qu'il  écrivit  peu  de  temps  avant  sa  mort  au  roi  Louis  le 
Hutin  à  Toccasion  de  la  guerre  de  Flandre.  La  voici  : 

((  A  sou  bon  seigneur  Loys,  par  la  grâce  de  Dieu,  roy 
a  de  France  et  de  Navarre,  Jehans,  sire  de  Join  vil  le  ses 
«  seneschaus  de  Champagne  :  Ghier  sire,  il  est  bien  voirs, 
«r  ensi  com  mandé  le  m'avés ,  que  l'en  disolt  que  vous  es- 
A  tiés  apaisiés  aus  Flamans.  Et  por  ce,  sire,  que  nos  cui- 
«  diens  que  voirs  fust,  nous  n'aviens  fait  point  d'apareil 
a  por  aler  à  vostre  mandement.  Et  de  ce,  sire,  que  vous 
a  m'avés  mandé  que  vous  sériés  à  Arras  pour  edrecier  les 
«  tors,  que  li  Flamenc  vous  font ,  il  moy  semble ,  sire , 
a  que  vous  faites  bien,  et  Diex  vos  en  soit  en  aide...  Et 
«  plutost  que  je  pourrai  ma  gent  seront  appareillé  por  aler 
a  où  il.  vous  plera.  Sire^  ne  vous  desplaise  de  ce  que,  au 
a  premier  parler,  ne  vous  ai  appelé  que  bon  seigneur, 
a  quar  autrement  ne  Tat-je  fait  à  mes  seigneurs  les  autres 


CLXXIV  SUB   LES  MA1IU8GB1TS 

«t  roys  qui  ont  esté  devant  vous,  que  Diex  absoille.  Nostre 
a  sire  soit  garde  de  vous.  » 

La  lettre  est  datée  da  mois  de  juin  1316;  mais  déjà 
cette  f(frmule  de  bon  seigneur,  que  le  roi  sans  doute  esti- 
mait d*une  extrême  familiarité,  se  trouvait  en  tète  de  la 
Vie  de  saint  Louis  qu'on  lui  avait  envoyée  quelques  an- 
nées auparavant;  et  ne  doit-on  pas  admettre  que  le  roi 
de  Navarre  avait  accueilli  froidement  un  ouvrage  dont 
les  premiers  mots  présentaient  à  ses  yeux  une  inconve- 
nance? 

Ainsi,  les  gens  de  son  hôtel  auront  consigné  la  Vie  de 
saint  Louis  parmi  les  volumes  les  plus  rarement  soulevés  : 
et  ces  volumes,  disséminés  suivant  l^usage  après  la  mort 
du.  roi,  auront  vainement  changé  de  mattre;  TouvTage 
de  Joinville  n'aura  pas  une  seule  fois  attiré  Tattention  de 
ceux  que  le  hasard  en  faisait  les  indignes  possesseurs. 

Pour  démontrer  la  rareté  des  premières  leçons  de  la 
Vie  de  saint  Louis,  parcourons  rapidement  les  anciens 
Inventaires  des  livres  de  nos  rois  :  chose  singulière!  on  ne 
la  retrouve  déjà  plus  dans  les  vingt-neuf  volumes  déposés 
dans  les  appartements  de  Louis  le  Hutin  après  làa  mort. 
Le  cinquième  article  porte  bien  :  Quatre  caiers  de  saint 
Looys,  mais  non  pas  l'histoire  de  saint  Looys;  et  nous 

ne  saurions  prendre  ici  le  change.  Comment  le  sénéchal 
de  Champagne  n'aurait -il  pas  eu  Tattention  de  réunir  en 
un  seul  volume  les  Mémoires  qu'il  destinait  au  flis  du  roi? 
Le  notaire  a  donc  plutôt  indiqué  quatre  cahiers  dictés  ou 
même  écrits  par  le  saint  roi,  ceux  peut-être  que  le  con- 
fesseur Geoffroi  de  Beaulieu  a  de  son  côté  mentionnés  : 


DE  JOINYILLE.  CLXXy 

a  Avant  sa  dernière  maladie,  »  nous  dit-ii,  «  il  écrivit 
a  de  sa  main  en  français  des  episeignements  salutaires  : 
a  je  m'en  suis  procuré  une  copie  avant  sa  mort,  et  Je  me 
a  suis  empressé  de  les  traduire  de  françois  en  latin.  » 
Félicitons,  en  passant,  le  sire  de  Joinville  d'avoir  échappé 
à  Tattention  de  Geoffroi  de  Beaulieu.  U  aurait  aussi  cru 
peuirétre'  de  son  devoir  de  traduire  son  livre  de  françois 
en  latin,  et  cette  version,  aussitôt  multipliée,  aurait  sans 
doute  empêché  d'exécuter  une  seule  copie  de  la  rédaction 
originale. 

La  reine  Clémence ,  veuve  de  Louis  le  flutin,  reeueillit 
quarante  et  un  volumes;  Jeanne  d'Évreux^  veuve  de 
Charles  le  Bel,  en  laissa  vingt  après  sa  mort.  Mais  dans 
les  inventaires  de  leurs  meubles,  on  ne  voit  pas  un  ar-- 
ticle  qui  puisse  le  moins  du  monde  se  rapporter  aux 
Mémoires  du  sénéchal  de  Champagne. 

Le  sage  roi  Charles  Y  fut  plus  curieux  de  la  vie  de 
saint  Louis.  On  la  reconnaît  pour  la  première  fois  au 
milieu  de  ses  livres  dans  la  mention  suivante  :  a  La  vie 
«  saint  Lo3's ,  et  les  fois  de  son  voyage  d'outre-mer.  b 
Puis  sur  la  marge  du  catalogue,  on  lit  encore  :  «  Le 
((  roy  l'a  par  devers  soy.  »  Or  le  roi  Teut  si  longtemps  par 
devers  soy,  qu'à  i»a  mort  elle  n'était  pas  encore  rentrée 
dans  la  première  salle  du  Louvre,  où  sa  place  était  mar* 
quée.  Mais  enfin ,  après  vingt  ans ,  elle  reparut  dans  la 
bibliothèque,  et  l'Inventaire  de  Charles  Vï,  dressé  eaUU, 
la  désigne  clairement  ainsi  :  a  Une  grant  partie  de  la  vie 
«  et  des  fais  monseigneur  saint  Loys  que  fist  faire  le  sei- 
«  gneur  de  Januville;  très-bien  escript  et  historié.  Cou* 
a  vert  de  cuir  rouge  à  empreintes,  à  deux  fermoirs  d'ar- 


CLXXVl  SUR  LES  MANDSGRITS 

ff  gent.  Escript  de  lettres  de  forme  en  francois  à  deux 
d  coulombes;  oomençant  au  deuxième  folio  et  porceque, 
a  et  au  derrenier  :  en  iele  manière.  » 
i  C'est  avec  cet  inventaire  que  nous  perdons  la  trace  du 
roannscrit  original  de  Joinville.  Car  le  soin  recomman- 
dable  qu'eut  le  bibliothécaire  de  Charles  YI  de  rappeler 
les  premiers  et  les  derniers  mots  du  volume,  nous  défend 
de  le  confondre  avec  le  manuscrit  actuel  de  la  Biblio- 
thèque royale.  Celui-ci,  d'une  conservation  irréprochable, 
n'offre  que  deux  petites  miniatures ,  et  ces  ornements  ne 
Justifieraient  pas  les  mots  très-bien  historié  de  l'inven- 
taire :  les  grands  seigneurs  du  XIY®  siècle  demandant 
beaucoup  mieux  au  talent  et  surtout  à  la  fécondité  de 
leurs  enlumineurs. 

Maintenant ,  si  Ton  veut  chercher  d'autres  causes  de 
l'oubli  dans  lequel  celte  excellente  production  est  si  long- 
temps demeurée,  nous  les  trouverons  dans  Tétat  des 
études  historiques  à  cette  époque,  et  surtout  dans  le  grand 
nombre  de  livres  déjà  composés  avant  celui  de  Joinville, 
sur  rhistoire  et  le  règne  de  saint  Louis. 

A  partir  du  XIP  siècle,  les  moines  de  Saint-Denis, 
gardiens  de  la  tombe  des  rois  et  déjà  dépositaires  de  l'o- 
riflamme, avaient  encore  été  chargés  de  former  un  nou- 
veau corps  d'histoire  de  France.  Dans  cette  vue,  ils  avaient 
choisi,  parmi  tous  les  anciens  documents,  les  ouvrages  les 
plus  authentiques  et  ceux  qui  leur  semblaient  assez  édi- 
fiants pour  avoir  un  besoin  moins  rigoureux  de  preuves 
décisives.  C'est  ainsi  que  furent  admis  dans  la  grande  col- 
lection nationale  les  récits  de  Gr^oire  de  Tours,  de  ses 
continuateurs  anonymes,  d'Ëginhart,  du  faux  archevêque 


DB  JOINTILLE.  ÇLXXYlt 

Turpin,  de  Nithard  et  de  Guillaome  de  Jumiéges.  Mais  à 
compter  des  dernières  années  de  Philippe  l"^  Tabbaye, 
plus  religieusement  visitée  et  plus  fréquemment  con- 
sultée par  nos  rois,  dont  la  \ille  de  Laon  avait  cessé 
d'être  la  résidence  habituelle,  n^aila  plus  demander  à  des 
annalistes  qui  lui  étaient  étrangers  la  continuation  des 
Chroniques  de  France;  elle  transmit  elle-même  le  récit 
des  événements  contemporains.  La  vie  de  Louis  le  Gros 
par  Tabbé  Suger  fut  suivie  de  celle  de  Louis  le  Jeune; 
puis  Rigord  et  Guillaume  de  Nangis  poursuivirent  This- 
toire  de  leurs  successeurs  jusque  par  delà  le  règne  de 
saint  Louis. 

Guillaume  de  Nangis  mourut  vers  1302 ,  et  déjà  sa  Vie 
de  Louis  IX  avait  pris  place  dans  les  Chroniques  de  Saint- 
Denis,  comme  la  tombe  du  saint  roi  au  milieu  des  tombes 
royales.  Partout  cette  histoire  était  déjà  répandue  quand 
le  sire  de  Joinville  se  mit  à  dicter  la  sienne.  C'était  arriver 
un  peu  tard.  Des  historiographes  yt^res  ayant  avancé  leur 
dernier  knot  sur  cette  haute  matière,  durent  accueillir 
avec  assez  peu  de  bienveillance  la  tentative  d'un  vieux 
chevalier  qui,  sans  avoir  jamais  été  mis  aux  lettres , 
comme  on  disait  alors ,  voulait  trancher  du  chroniqueur 
et  raconter  ce  qu'il  savait  d'un  roi  possesseur  de  la  céleste 
béatitude ,  d'un  roi  à  la  gloire  duquel  on  ne  pouvait  rien 
ajouter^  sinon  le  récit  de  beaux  et  nombreux  miracles.  Si 
le  livre  de  Joinville  eût  été  plus  tôt  répandu ,  on  ne  doit 
pas  douter  que  la  substance  n'en  eût  fortifié  le  récit  des 
Grandes  Chroniques;  les  écrivains  de  Saint-Denis  mon- 
traient dans  les  questions  générales  trop  de  bonne  foi 
pour  n'avoir  pas  mis  à  contribution  les  souvenirs  d'un 


1 


CLXXYtlI  SUB  LES  MANUSCBITS 

personnage  aussi  grave  que  le  sénéchal  de  Champagne. 
Mais  après  la  rédaction  des  gestes  de  saint  Louis,  et  après 
la  mort  de  Guillaume  de  Nangis ,  il  était  malaisé  d'ac- 
corder à  Joinville  une  importance  qui  devait  ébiUnler 
d'autant  celle  du  mdne  historiographe.  Ajoutons  que  la 
relation  la  phis  nouvelle  était  aussi  la  mohis  complète, 
Joinville  s'étant  contenté  de  raconter  ce  qu'il  savait  bien, 
même  sans  trop  plier  sa  mémoire  aux  rigueurs  de  la  chro- 
nologie. Or,  dans  un  siècle  où  la  critique  historique  était 
encore  loin  de  sortir  de  Tenfance,  tout  le  monde  devait 
préférer  le  chroniqueur  du  règne  entier  à  l'historien  de 
quelques  années. 

On  pourrait  objecter  ici  que  les  Grandes  Chroniques 
présentaient  une  lacune  que  le  livre  de  Joinville,  consacré 
particulièrement .  à  l'expédition  d'Egypte,  donnait  les 
moyens  de  remplir;  mais  en  général  les  croisades  tenaient 
fort  peu  de  place  dans  les  Chroniques  de  Saint-Denis.  On 
eût  dit  que  les  religieux  de  Tabbaye ,  admettant  le  plan 
suivi  plus  tard  par  les  savants  bénédictins,  compilateurs 
de  la  Collection  des  Historiens  de  France ^  avaient,  et 
même  avec  plus  de  raison ,  senti  l'opportunité  de  renvoyer 
à  un  ouvrage  spécial  le  récit  détaillé  de  toutes  les  guerres 
saintes.  Pourquoi  longuement  arrêter  l'attention  sur  la 
suite  de  ces  événements,  quand  le  livre  de  Guillaume  de 
Tyr,  aussitôt  traduit  en  français  que  rédigé  en  latin,  était 
encore  plus  répandu  que  les  Grandes  Chroniques  de 
France?  Or,  pour  les  compilateurs  des  guerres  d'Orient, 
Joinville  encore  était  venu  trop  tard  :  la  croisade  à  laquelle 
il  avait  pris  part  comptait  dans  les  continuateurs  de  l'ar- 
chevêque de  Tyr  des  historiens  dont  les  lumières  et  \a 


DB  JOINYUXE.  CLXXIX 

véracité  n'étaient  [mui  contestées,  pecsonne,aa  XlV^  siècle» 
ne  sentant  la  nécessité  de  comparer  entre  eux  chacun  des 
récits  de  la  même  iiistoire,  et  de  modifler  un  seul  passage 
dans  la  narration  la  plus  ancienne. 

On  ne  doit  pas  non  plus  oublier  qu'une  fois  Louis  IX 
admis  au  rang  des  saints,  tout  ce  qui  se  rapportait  à  son 
histoire  toml>ait  naturellement  dans  le  domaine  des  légen- 
daires; et  dès  ce  moment,  le  récit  des  théologiens  qui  Ta- 
vaient  connu  devait  prendre  une  autorité  pour  le  moins 
comparable  à  celle  dont  les  Chroniqties  de  Saint- Denis 
se  trouvaient  en  possession  de  leur  côté.  Nous  avons  con- 
servé trois  vies  pieuses  de  saint  Louis  :  celle  de  Geoffroi 
de  Beaulieu,  son  confesseur;  celle  de  GuiHaume  de  Char- 
tres, son  chapelain  ;  la  troisième  est  l'ouvrage  d'un  ano- 
nyme, confesseur  de  la  princesse  Blanche,  sa  fille.  Or,  ces 
personnages,  racontant  les  perfections  toutes  célestes  du 
roi,  Joignant  à  leurs  éloges  la  mention  des  nombreux  mi- 
racles attribués  à  son  intervention,  réunissaient  toutes  les 
conditions  pour  captiver  Tattention  des  auditeurs  et  des 
lecteurs  du  XIY®  siècle.  Joinville,  au  contraire,  après  tant 
d'ardents  apologistes,  devait  paraître  ^ien  froid,  bien  dé- 
coloré, bien  dépourvu  d'édification.  Cependant  TÉglise  de 
France  avait  cru  devoir  lui  adresser  un  message  quand 
elle  fut  chargée  de  réunir  les  éléments  de  Tenquéte  exigée 
pour  la  canonisation.  On.  demanda  au  «ire  de  Joinville  si 
le  roi,  dans  sa  conviction,  avait  mérité  le  paradis.  Noos  ci- 
terons la  réponse  conservée  par  le  confesseur  de  la  prin- 
cesse Blanche;  c'est  la  seule  parole  du  vieux  sénéchal 
dont  ses  contemporains  croyaient  nécessaire  de  garder  le 
souvenir,  a  Monseigneur  Jehan  de  Joinville ,  éhevalliei*^ 


CLXXX  SUB  LES  MAIfUSCBlTS 

u  home  de  âge  meur,  qui  fu  aveoqtie  le  benoit  roy  par 
(c  treute  quatre  ans  et  plus  assés  privéeinent,  par  son  se- 
«  rement  afferma  que  il  ne  vit  onques  né  n*oI  que  li  be- 
a  nois  rois  déist  à  aucun  parole  de  mesdit,  en  blàme  de 
a  lui.  Né  onques  il  ne  vit  home  plus  atrempé  né  de  plus 
c(  grant  perfection,  et  que  il  croit  qu*il  soit  en  paradis  pour 
«  plusieurs  biens  que  il  fist.  » 

Cette  réponse  vraie,  naturelle  ^et  digne  en  tout  du  sé- 
néchal de  Champagne,  ne  pouvait  faire  cependant  que  ses 
Mémoires  fussent  toujours  exactement  en  rapport  avec  les 
récits  des  légendaires.  Joinville  ramenait  trop  sur  la  terre 
le  saint  roi;  surtout  on  pouvait  Taccuser  de  porter  quel- 
quefois atteinte  à  la  réputation  de  la  reine  Blanche,  dont 
la  mémoire,  chère  à  toute  la  France,  était  surtout  vénérée 
des  hommes  de  religion.  Pour  n'en  citer  que  de  rares 
exemples,  quand  le  roi  tombe  malade  à  Pontoise,  Join- 
ville nous  raconte  qu'il  recouvra  naturellement  la  santé  : 
mais,  suivant  les  confesseurs  et  même  suivant  Guillaume 
de  Nangis,  ce  fut  l'effet  d*un  éclatant  miracle.  Plus  loin , 
les  confesseurs  déclarent  que  la  reine  Blanche  applaudît 
au  vœu  formé  pa^son  fils  de  prendre  la  croix;  mais,  sui- 
vant Joinville  :  a  Quant  la  ro3aie  oï  dire  que  la  parole  li 
tf  estoit  revenue,  ele  en  fist  si  grant  joie  corne  ele  put; 
0  et  quant  elle  sceust  que  il  se  fust  croisié ,  ainsi  come 
«  il  meisme  le  contoit ,  ele  mena  aussi  grant  deuil  come  se 
«  ele  le  véist  mort.  » 

Poursuivons  :  La  reine  Blanche,  au  rapport  des  légen- 
daires, méritait  surtout  de  grandes  louanges  pour  le  soin 
^qu'elle  avait  mis  à  garantir  son  fils  de  toute  idée  d'im- 
pureté. Mais  Joinville  va  plus  loin,   et  cette  attention 


DE  JOINVILLE.  CLXXXl 

vertueuse  devient  une  excessive  obsession  et  dégénère  en 
inquiète  tyrannie.  Je  regrette  ici  de  ne  pouvoir  traduire 
un  curieux  passage  de  Geoffroi  de  Beaulieu  :  rapprochées 
de  l'extrême  continence  objet  de  l'admiration  du  bon  con- 
fesseur dans  le  roi,  les  expressions  quil  emploie  pour- 
raient ne  pas  sembler  assez  édifiantes.  Il  suffît  de  rappeler 
que,  d'après  son  récit,  Louis  et  Marguerite  s'accordaient 
merveilleusement  à  rechercher  toutes  les  occasions  de 
pratiquer,  dans  chacune  de  leurs  relations  conjugales,  la 
mortification  la»  plus  absolue. 

Mais  Joinviiie  traite  encore  le  même  sujet  d'une  ma- 
nière un  peu  différente,  et  lui  du  moins  nous  pouvoir  le 
citer.  Quand  il  eut  donc  appris  par  les  larmes  de  saint 
Louis  la  mort  de  la  reine  Blanche ,  cette  incomparable 
princesse  que  peut-être  il  ne  regrettait  pas  assez,  il  aHa 
trouver  Marguerite.  «  Quand  je  vins  là,  je  trouvai  que  la 
a  royne  pleuroit,  et  je  U  di  que  sage  fait  celui  qui  dit  : 
a  Len  ne  doit  mie  femme  croire  y  car  ce^stoit  la  femme 
a  que  vous  plus  haiez,  et  vous  en  menés  tel  duel.  Et  de 
a  me  distque  ce  n'estoit  pas  por  elle  que  elle  pleuroit, 
«  mais  por  la  mesaize  que  le  roy  avoit  du  duel  que  il 
«  menolt  ;  et  pour  sa  fille  qui  puis  fu  royne  de  Navarre, 
«  qui  estoit  demourée  en  la  garde  des  hommes. 

a  Les  durtés  que  la  royne  Blanche  fist  à  la  royne  Mar- 
((  guérite  furent  tiex^  que  la  royne  Blanche  ne  vouloit 
a  soufdr  à  son  povoir  que  son  fils  féust  en  la  compaignie 
«  sa  femme,  mes  que  le  soir  quand  il  aloit  au  repos  avec 
((  eie.  L^  hostels  là  on  il  plesoit  miex  à  demourer  c'estoiti 
a  à  Pontoise  entre  le  roy  et  la  royne ,  pour  ce  que  la 
a  diambre  le  roy  estoit  xlesus  et  la  charnière  de  la  roync; 

JOINVILLE.  0 


CLXXXII  SUB   LES  MÀNlJi3GfiITS 

ff  eBtoit  desous.  Et  avoient  ainsi  acordé  leur  affaire ,  que 
«  il  tendent  leur  parlement  en  une  viz  qui  deseendoit  de 
a  Tune  chambre  en  l'autre ,  et  avoient  leur  besoignes  si 
cr  atirées  que  quant  les  huissiers  veoient  venir  la  royne 
«r  en  la  chambre  le  roy  son  fils,  il  battoient  les  huis  de 
<t  leur  verges,  et  le  roy  s*en  venoit  courant  en  sa  chambre, 
a  pour  ce  que  sa  mère  m  Vi  trouvast.  Et  ainsi  refesoient 
«t  les  huissiers  de  la  chambre  la  royne  Marguerite  quant  la 
<r  royne  Blanche  y  venoit,  pource  qu'ele  y  trouvast  la  royne 
fit  Marguerite.  Une  fois,  estoit  le  roy  d'encoste  la  royuQ  sa 
<r  femme,  laquele  estoit  en  trop  grand  péril  de  mort , 
«t  pour  ce  qu'ele  estoit  bledée  d'un  enfant  qu'aie  avoit 
«  eu.  Là  vint  la  royne  Blanche  et  prinst  son  fils  par  la 
tf  main  et  li  dit  :  Venés^vos  en ,  vous  ne  faites  riens  ei, 
a  Quant  la  royne  Marguerite  vit  que  la  mère  emmenoit  le 
€  roy,  ele  s'escria  :  Hélas!  vous  ne  me  lairrez  veoir  mon 
0  seigneur  né  morte  né  vive.  Et  lors  ele  se  pasma  et 
<t  cuida-ren  qu*ele  fust  morte.  Et  le  roy  qui  cuida  que 
a  ele  se  mourust  se  retourna,  et  à  grant  peine  la  remist- 
a  l'en  à  point.  » 

Il  est  difOdie  de  trouver  dans  un  ancien  rédt  plus 
d'intérêt  et,  comme  on  dit  aujourd'hui  volontiers ,  plus 
de  couleur  locale^  mais  on  n'en  conviendra  pas  moins 
qu'il  y  a  loin  de  là  aux  témoignages  de  Geoffroi  de  Beau- 
lieu  et  de  ses  frères  en  religion. 

Yoilà  donc  comme  on  peut  expliquer  Toubli  dans  lequel 
plusieurs  sièdes  laissèrent  les  mémoires  du  sénéchal  de 
Champagne.  Tandis  qu'une  foule  de  copies  ont  transmis 
Jusqu'à  nous  les  légendes  de  saint  Louis  composées  par  les 
conibœears  de  la  famille  royale,  tandis  que  les  leçons  des 


DR   JOTNVILLE.  CLXXXin 

Chroniqaes  de  Saint-Denis  et  de  la  vie  particulière  de 
Louis  IX  rédigées  par  Nangîs  sont  innombrables,  il  nous 
reste  du  monument  le  plus  précieux  de  notre  histoire  un 
seul  manuscrit  ancien  :  encore  ce  manuscrit  est-il  posté- 
rieur à  Joinvilie  de  plus  d'un  demi-siècle. 

Mais  un  autre  travail  du  fidèle  compagnon  de  saint 
Louis,  c'est  la  paraphrase  du  Credo,  dont  M.  le  chevalier 
Artaud,  en  nous  en  révélant  Texistence,  vient  de  publier 
et  le  texte  complet  en  fac-similé  et  la  traduction  naïve  et 
correcte.  Dans  la  spirituelle  Introduction  que  notre  savant 
confrère  a  placée  en  tête  de  ce  monument  précieux  de 
l'ancienne  langue  française,  on  trouve  mieux  que  Je  ne 
pourrais  les  exposer  les  preuves  nombreuses  et  palpables 
qui  lui  ont  fait  ici  reconnaitre  l'ouvrage  du  sire  de  Join- 
vilie. Il  résulte  de  ses  recherches  que,  d'abord  composé 
vers  l'an  1250,  la  copie  possédée  par  la  Bibliothèque  du 
Boi  fut  transcrite  en  1287.  Elle  est  surchargée  de  minia- 
tures ,  et  elle  n'en  contient  pas  une  seule  qui  ne  rappelle 
exclusivement  l'art  des  enlumineurs,  pas  une  lettre  qui  ne 
porte  le  cachet  particulier  des  scribes,  pas  un  mot  qui 
n'apppartienne  aux  habitudes  orthographiques  et  gram- 
maticales des  contemporains  de  Joinvilie.  Je  me  sers  avec 
intention  du  mot  habitudes,  parce  que  la  justesse  de  celui 
de  règles,  consacré  cependant  par  M.  Eaynouard,  est  con- 
testée par  d'autres  savants  critiques.  Il  se  peut,  en  effet, 
qu'à  l'aurore  de  la  littérature  française,  la  langue  vulgaire 
ne  comportât  pas  encore  de  règles  orthographiques;  mais 
il  est  certain  qu'elle  suivait  des  habitudes  dans  l'arrange^ 
ment  des  mots  et  dans  la  manière  de  les  écrire;  et  que 
ces  habitudes,  raisonnées  ou  non,  étaient  fort  utiles  et  par- 


CLXXXIT  SUR  LBS  MANUSCRITS 

faitement  raisonnables.  Reflet  prolongé  de  Félocution  la- 
tine, elles  donnaient  à  la  construction  des  phrases  une 
variété,  une  grâce  et  une  précision  qu*on  serait  quelque- 
fols  tenté  de  regretter,  si  Tadmirable  faisceau  de  notre 
littérature  moderne  ne  nous  enlevait  pas,  sous  ce  rapport 
du  moins,  le  droit  de  regretter  quelque  chose. 
.  C'est  pour  avoir  méconnu  la  force  et  la  permanence  de 
ces  règles  ou  habitudes  durant  tout  le  XIIP  siècle  et  la 
première  moitié  du  XIY®,  que  tous  les  éditeurs  des  textes 
français  de  cette  époque  sont  tombés,  avant  M.  Ray- 
nouard^  dans  un  dédale  d'incorrections  toujours  nouvelles. 
Aussi,  pour  déterminer  la  date  d'un  ouvrage,  les  observa- 
tions grammaticales  seront-elles  toujours  d'un  grand 
poids;  je  vais  même  plus  loin,  et  toutes  les  fois  que  dans 
un  manuscrit  vous  ne  retrouverez  pas  Tobservation  des 
règles  que  M.  Raynouard  a  si  judicieusem^t  reconnues  > 
vous  pourrez  admettre  hardiment  que  la  date  en  est  pos- 
térieure au  règne  de  Philippe  de  Valois  et  du  roi  Jean.  ' 
Or,  on  les  chercherait  vainement  dans  le  seul  manus- 
crit ancien  qui  nous  reste  à  Paris  de  la  vie  de  saint  Louis 
par  le  sire  de  Joinville.  Ce  volume,  d'un  petit  format  in-4% 
est  écrit  fort  nettement  sur  deux  colonnes  ;  le  scribe  que 
Ton  avait  chargé  de  son  exécution ,  a  fait  preuve  d'une 
attention  scrupuleuse;  mais,  à  Texception  d'un  petit 
nombre  de  mots  que,  suivant  l'habitude  des  meilleurs 
copistes  de  tous  les  temps,  il  aura  transcrits  sans  prendre 
la  peine  de  lire ,  il  a  reproduit  l'orthographe  des  dernières 
années  du  XIV^  siècle.  C'est  qu'en  effet  le  manuscrit  ne 
peut  remonter  au  delà  de  cette  époque.  De  toutes  les  nom- 
breuses comparaisons  auxquelles  il  est  facile  de  se  livrer 


DE  JOIIfTILLB.  CLXllV 

pour  déterminer  sa  date,  il  suffira  d'en  indiquer  une  seule 
faite  avec  deux  leçons  de  Touvrage  intitulé  :  La  Vie  et  les 
Miracles  de  saint  Louis,  celui  que  Melot  et  Capperonnier 
ont  publié  à  la  suite  de  leur  belle  édition  de  Joinville. 
Le  plus  ancien  des  nombreux  manuscrits  qui  nous  con- 
servent, ces  miracles  doit  remonter  au  temps  de  la  ré- 
daction originale,  c*est-à-dire  aux  premières  années  du 
XIV®  siècle.  Il  présente  une  singularité  :  on  dirait  qu'ayant 
dû  servir  de  modèle  à  quelque  transcription ,  il  aurait  été 
soumis  y  soixante  ans  plus  tard,  à  la  révision  la  plus  mi- 
nutieuse. On  a  gratté  certaines  lettres  dans  beaucoup  de 
mots,  certains  mots  dans  beaucoup  de  phrases,  et  Ton  a 
refait  ou  supprimé  beaucoup  de  phrases  dans  le  cours  de 
l'ouvrage.  Puis,  quand  on  s'est  contenté  de  passer  sur  les 
mots  une  barre  rouge  de  radiation ,  le  nouveau  scribe  a 
écrit  en  petit  caractère  le  mot  va  à  l'extrémité  d'une  ligne 
qu'il  tire  du  premier  mot  biffé  au  premier  mot  conservé. 
Ainsi  l'on  peut  comparer  avec  assez  de  justesse  la  plus 
ancienne  leçon  des  Miracles  de  saint  Lauis^k  ces  exem- 
plaires sacrifiés  que  les  auteurs  donnent  aux  compositeurs 
d'imprimerie  comme  la  règle  d'une  nouvelle  édition  revue, 
corrigée  et  considérablement  augmentée. 

Or,  cet  exemplaire,  perfectionné  ou  tronqué,  est  devenu 
le  modèle  exact  de  la  deuxième  leçon  des  Miracles  de 
saint  Louis  que  possède  également  la  Bibliothèque  royale; 
et  la  plus  légère  inspection  suffit  pour  montrer  que  cettt 
deuxième  copie,  ornée  de  nombreuses  enluminures  et  fort 
bien  écrite  sur  un  vélin  de  choix,  offre  une  identité  par- 
faite avec  le  précieux  manuscrit  de  Joinville.  Même  style 
de  mifii^tures,  même  agencement  de  vignettes  et  d'ini- 


CLXXXVI  SUB  LB8  MANUSGBITS 

Haies,  même  distribution  matérielle  des  lignes,  des  co- 
lonnes et  des  pages,  même  forme  de  lettres  courantes. 
C'est  donc  au  même  copiste  qu'il  faut  nécessairement  les 
attribuer  tous  les  deux  ;  et  si  mes  observations  précédentes 
sur  les  deux  exemplaires  du  livre  des  Miracles  de  saint 
Louis  sont  fondées,  si ,  dans  le  plus  moderne ,  les  formes 
ortliographiques,  comme  le  premier  aspect  de  l'exécution, 
y  révèlent  clairement  un  copiste  de  la  fin  du  XIY^  siècle, 
11  faut  en  conclure  rigoureusement  que  le  manuscrit  de 
Joinville,  le  plus  ancien  que  Ton  connaisse  aujourd'hui, 
ne  doit  pas  avoir  été  exécuté  avant  le  règne  de  Charles  Y. 
La  grande  et  l'on  peut  dire  la  seule  raison  qu'aient 
eue  Melot  et  Capperonuier  pour  dédarer,  en  tète  de  leur 
édition,  que  notre  manuscrit  était  contemporain  de  la  ré- 
daction ,  se  tire  des  derniers  mots  dictés  par  Joinville  : 
a  Et  ces  choses  vous  ramentois-Je ,  pour  ce  que  cil  qui 
cr  orront  ce  livre  croient  fermement  en  ce  que  le  livre  dist 
a  que  j*ai  vraiment  veues  et  oïes  :  ce  Ai  eseript  en  l'an 
<c  de  grâce  mil  CCC  et  IX  ou  moys  d'octovre.  d  Mais  id 
les  éditeurs  du  Louvre  ont  eu  le  grand  tort  de  faire  un 
alinéa  séparé  du  dernier  membre  de  phrase  ;  si  telle  était 
en  effet  l'ordonnance  de  la  leçon  moderne.  Il  fiiudrait  hé- 
siter avant  'de  lui  appliquer  les  règles  paléographiques  les 
plus  claires.  Mais  il  n'en  est  rien  :  tout  ce  que  nous  ve« 
nous  de  citer  appartient  à  la  rédaction  de  Joinville,  et 
Ton  sait  en  effet  que  ce  Ait  en  l'année  1309  que  le  séné- 
chal acheva  son  livre  et  qu'il  l'envoya  à  son  bon  seigneur 
le  roi  de  Navarre.  On  sait  aussi  que  tous  les  scribes  se 
croyaient  obligés  de  reproduire  dans  leurs  copies  les  dates 
de  l'exemplaipe-modèle  le  plus  ancien  :  et  e'est  ainsi  que 


DE  JOINVILLE.  CLXXXVIl 

les  innombrables  copies  de  Ylmage  du  monde  et  de  la 
Bible  historiale  portent  toutes  le  millésime  de  1265  et 
de  1291.  En  conclora-t-on  que  toutes  les  copies  en  ont 
été  faites  à  la  même  époque?  La  conclusion  ne  serait 
pas  melileure  pour  ce  qui  touche  aux  Mémoires  de  Join- 
ville. 

Le  précieux  manuscrit  dont  j*ai  déjà  peut-être  trop 
parlé  demeura  longtemps  exilé  de  la  Bibliothèque  royale. 
Il  fit  partie  de  la  collection  des  anciens  ducs  de  Bour- 
gogne, puis  il  fut  joint  à  celle  de  Bruxelles  jusqu'en  1 744, 
alors  que  le  maréchal  de  Saxe  le  rapporta  de  Belgique» 
et  que  M.  Bignon,  Tun  des  bibliothécaires  qui  ont  le 
mieux  connu  toute  l'importance  de  leur  charge ,  le  fit 
acheter  au  roi  Louis  XV . 

Depuis  ce  temps,  Ton  a  pu  sérieusement  espérer  de 
connaître  le  travail  du  sire  de  Joinville.  Si  quelque  jour 
ou  découvre  une  leçon  plus  ancienne  encore,  et  par  con- 
séquent plus  authentique,  il  est  probable  que  le  caractère 
particulier  des  premières  années  du  XIV®  siècle  s'y  dis- 
tinguera plus  nettement  ;  la  forme  des  lettres  sera  plus 
petite  et  plus  ronde  ;  les  miniatures  offriront  un  dessin 
moins  correct,  un  coloris  moins  compliqué  ;  enfin  Ton  y 
reconnaîtra  quelque  différence  de  rédaction  :  peut-être 
même ,  au  lieu  de  copier,  vers  la  fin ,  des  pages  entières 
des  Chroniques  de  Saint-Denis,  Joinville  nous  y  parlera- 
t'il  au  long,  comme  il  nous  le  promet  en  commençant,  de 
ce  que  monseigneur  Pierre  d'Alençon  lui  révéla  des  cir* 
constances  de  la  mort  du  sahut  roi.  Mais,  quoi  qu'il  puisse 
arriver ,  le  manuscrit  de  la  Bibliothèque  royale  aura  dû 
s'être  tenu  fort  près  de  la  rédaction  originale  ;  et  si  rien  ne 


CLXXXVIII  SUB  LES  MANUSCBITS 

prouve  qu*il  ait  échappé  complètement  aux  corrections 
que  Ton  a  fait  subir  à  la  seconde  copie  des  Miracles  de 
saint  Louis,  on  peut  du  moins  assurer  qu'il  garde  encore 
un  admirable  cachet  de  naïveté,  de  franchise  et  d'origina- 
lité. Des  mots  différemment  écrits,  certaines  phrases  et 
quelques  circonstances  du  récit  tronquées ,  n'auront  pas 
empêché  que  la  dictée  primitive  ne  nous  soit  parvenue 
dans  la  plus  grande  partie  de  ce  qui  doit  à  jamais  la 
recommander.  Toutefois,  on  sent  quel  intérêt  offrirait 
ejicore  une  seconde  leçon  également  ou  plus  ancienne. 
Mais  où  la  retrouver  aujourd'hui?  Peut-être  ce  volume  de 
Louis  le  Hutin,  que  Charles  Y  avait  encore  par  devers  soy, 
est-il  en  Belgique,  en  Italie,  en  Russie  même,  où  déjà  nous 
avons,  en  1815,  retrouvé  l'admirable  livre  de  prières  de 
saint  Louis  (l).  Peut-être  le  propriétaire  d'un  vieux  château 
de  France,  peut-être  l'un  de  ceux  qui  nous  écoutent  en 
est-il,  sans  le  bien  savoir,  le  fortuné  possesseur.  Peut-être 
encore  -le  vieux  manuscrit  de   Joinville  aurat-il,    au 
XV  siècle,  excité  la  cupidité  des  Anglais,  et  qui  sait  si 
quelque  nouvelle  excursion  bibliographique  ne  remettra 
pas  au  jour  le  volume  dont  on  a  depuis  si  longtemps  perdu 
la  trace  !  Tout  le  monde  applaudirait  à  l'auteur  d'une  pa- 
reille découverte,  et  peut-être  même  lui  devrions  nous , 
aux  termes  d'un  célèbre  programme,  l'une  des  publica- 

(I)  Ce  précieux  livre  de  prières  était  devenu,  depuis  les  premièivs 
années  de  la  grande  Révolution  française,  la  propriété  du  prince 
Serge  Gàlitân;  le  prince  Toffrit  en  1816  ou  1817  au  roi  Louis  XVHI, 
qai  l'avait  aussitôt  envoyé  à  la  Bibliotlièque  royale.  Le  volume  a  été 
remis  il  y  a  quelques  années  à  M.  le  directeur  des  CoUections  du 
Louvre;  il  décore  aujourd'iiui  le  idusée  des  Souverains. 


DB  JOINYILLE.  CLXXXIX 

tions  nouvelles  les  plus  curieuses  et  les  plus  importantes 
sur  Vancienne  histoire  de  France. 


Ce  mémoire  de  M.  Paulin  Paris ,  imprimé  chez  nous  en  1839 
et  lu  par  son  auteur  dans  uAe  séance  publique  de  FAcadémie 
des  Inscriptions  et  Belles-Lettres,  était  devenu  d'une  telle  ra- 
reté que  je  n'avais  pu  m'en  procurer  d'exemplaire  ni  dans  les 
bibliothèques  publiques  ni  ailleurs  ;  l'auteur  lui-même  ne  l'avait 
plus,  et  toutes  ses  recherches  avaient  été  infructueuses.  Il  me 
fut  donc  impossible  d'en  prendre  connaissance  quand  je  lédigeai 
les  dissertations  qui  précèdent.  Enfin  ayant  pu  en  découvrir  un 
exemplaire,  j'ai  cru  devoir  le  réimprimer.  Cette  excellente  dis- 
sertation méritait  à  tous  égards  d'être  reproduite. 

A.  F.  DiDOT. 


HISTOIRE 


DE 


SAINT  LOUIS 


HISTOIRE 


DE 


SAINT  LOUIS 


A  son  bon  seigneur  Looys  * ,  filz  duroy  de  France,  par  la 
grâce  de  Dieu  roy  de  Navarre^  de  Ghampaigne  et  de  Brie 
conte  palazin,  Jehan  sire  de  Joinville,  **,  son  seneschal  de 
Ghampaigne,  salut  et  amour  et  honneur  et  son  servise  appa- 
reillé '.  Ghier  sire,  je  vous  foiz  »  à  savoir  que  madame  la  royne 
vostre  mère***,  qui  moult  m*amoit,  à  cui  Dieu  bonne  merci 
face  3,  me  pria  si  à  certes  comme  elle  pot  4,  que  je  li  feisse  faire 
un  livre  des  saintes  paroles  et  des  bons  faiz  nostre  roy  ^  saint 
Looys;  et  je  les  y  oi  en  convenant  6,  et  à  l'aide  de  Dieu  le  livre 
est  assouvi  7  en  deux  parties. 

La  première  partie  si  devise  *  comment  il  se  gouverna  tout 
son  tens  selonc  Dieu  et  selonc  TÉglise ,  et  au  profit  de  son 
règne. 

La  seconde  partie  du  livre  si  parle  de  ses  granz  chevaleries 

*  Appareillé  :  Préparé ,  disposé.  — 
>  Foi*  :  fais.  —  'A  qai  Diea  fasse 
pardon.  —  *  Aassi  instamment  qu'elle 

*  Louis  le  Hiitin ,  qai  n'était  alors  que  roi  de  Navarre ,  et  qui  parvint  à 
la  couronne  de  France  après  la  mort  de  Philippe  le  Bel ,  son  père ,  arrivée 
en  1314. 

**  Entre  les  familles  qui  ont  tenu  les  premiers  rangs  à  la  cour  des  comtes 
de  Champagne,  celle  de  Joinville  fut  l'une  des  plus  iHustres,  tant  par 
l'antiquité  de  son  extraction  que  par  la  noblesse  de  ses  alliances.  Wassebourg 
vi  des  Rosiers  la  font  descendre  de  Geoffroy ,  neveu  du  grand  duc  de  Bouil- 
lon, qui  eut  pour  partage  la  seigneurie  de  Joinville,  petite  ville  de  Cham- 
pagne, située  sur  la  rivière  de  Marne ,  entre  Chanmont  et  Saint-Dizier. 

***  Jeanne  de  Navarre ,  femme  de  Philippe  le  Bel ,  morte  en  1304. 

UIST.   DE  SAINT  LOUIS,  1 


put.  —  ^  Et  des  bons  faits  de  notre  roi. 
—  *  Et  je  les  lui  promis.  —  ''Asêouvi  : 
achevé.  —  ^  Devise  :  parle.  ' 


2 


HISTOIBE 


et  denses  granz  falz  d*armes.  Sire,  pour  ce  qa'û  est  escrîpt  : 
Fai  premier  >  ce  qu*il  aûert  *  à  Dieu,  et  il  te  adrescera  '  toutes  ces 
autres  besoignes  4,  ai-je  £adt  escrire  ce  qui  afiert  aus  troiz  choses 
desus  dites;  c*est  à  savoir  :  ce  qui  affiert  au  proGt  des  âmes 
et  des  cors,  et  ce  qui  affîert  au  gouvernement  du  peuple. 

Et  ces  autres  choses  ai-je  fait  escrire  aussi  à  Tomieur  du  vrai 
cors  saint,  pour  ce  que  par  ces  choses  desus  dites  en  ^  pourra 
veoir  tout  der  que  onques  home  iay  ^  de  nostre  temps  ne  ves- 
qui  »  saintement  de  tout  son  temps ,  dès  le  commencement 
de  son  règne  y  jusques  à  la  fin  de  sa  vie.  A  la  fin  de  sa  vie  ne 
tuz*je  mie;  mais  le  conte  Pierre  d'Alançon  son  filz  y  fu ,  qus 
moult  m'ainuna  ^  qui  me  recorda  7  la  belle  (in  que  il  fist,  que 
vous  trouverez  escripte  en  la  fin  de  cest  livre  ;  et  de  ce  me 
semble-il  que  en  ne  li  fist  mie  assez  ^ ,  quant  en  ne  le  mist  ou 
nombre  des  martir/^  pour  les  grans  peinnes  que  il  souffri  ou  9 
pèlerinage  de  la  croiz,  par  l'espace  de  six  anz  que  je  fu  en  sa 
compaignte ,  et  pour  ce  meismemeut  que  il  ensuit  Nostre-Sei* 
gneut  ou  foit  de  ia  croiz.  Car  se  Diex  **"  morut  en  la  croiz , 
aussi  fist-il;  car  croisiez  estoit-il  quant  il  fu  à  Thunes  *^ 

Le  secont  livre  nous  parlera  de  ses  granz  chevaleries  et  de 
ses  granz  hardem^os,  lesquiex  sont  tiex  <>,  que  je  11  vi  quatre 
foiz  mettre  son  cors  en  aventure  de  mort ,  aussi  comme  vous 
orrez  > 3  d-aiurèsi  pour  espargnier  le  doumage  de  son  peuple. 

Le  premier  fait  là  où  il  mist  son  cors  en  avanture  de  mort, 
ce  fu  à  Tariver  que  nous  feimes  devant  Damiete^  là  où  tout 
son  conseil  li  loa  *4 ,  ainsi  comme  je  Tentendi^  que  il  demou- 
rast  en  sa  ueif ,  tant  que  il  veist  '^  que  sa  chevalerie  feroit ,  qui 
aloit  à  terre.  La  îeson  pour  quoy  en'^  li  loa  ces  choses  si  es- 
toit  tête  )  que,  se  il  an  voit  avec  eulz ,  et  sa  gent  estoient  oc- 
ds  et  il  avec,  la  besoigne  seroit  perdue;  et  se  il  demouroit  en 


»  Premier  :  d'abord.  —  *  Ca  qu*U 
aflerl  .*  c«  qui  a  irap{»ort.  —3  jdreteera  : 
mettra  dans  la  boon«T«ie.  —  <  Besoi- 
ffies  :  affaires.  —  *  ^n;  on,  —  c  lay  : 
laïc.  —  '  Recorda  :  raconta.  — r  •  On  ne 


r«talta  t»u  anet.  -^  ' Oo  :  an.  —  >«  Se 
Diex:  si  Dieu.—  •'  Tunis.—  •='  Lesquiex 
«on< /{6a;  .'lesquels  sont  tels.  —  *^  Orrez: 
entendrez.  —  '<  Li  loa  :  Inl  con- 
seilla, —  '*  Supplée»  ce.  —  '•  En:  on. 


/-■f 


/'"  '' 


DE  SAINT  LOUIS. 


sa  neif  y  par  son  cors  peust-il  recouvrer  à  recoBquerre  la 
terre  de  Egypte.  £t  il  ne  voult  nuUut  croire ,  aios  sailli  '  en 
la  mer,  tout  armé ,  Teseu  au  col ,  le  glaive  ou  poings  et  fu  des 
premiers  à  terre. 

Le  seconde  fois  qu'il  mist  son  cors  en  avantœre  de  mort,  si 
fu  tele,  que  au  partir  qu'il  fist  de  Laumasourre  *  pour  venir  à 
Damiete,  son  conseil  11  loa,  si  comme  l'en  me  donna  à  en* 
tendre,  que  il  s'en  venist  à  ûamiete  en  gsiliesi^;  et  ce  conseil 
H  fu  donné ,  si  comme  Fen  dit,  pour  ce  que ,  se  il  11  meschéoit 
de  sa  gent^,  par  son  cors  les  peust  délivrer  de  prison.  £t  es- 
pecialment  ce  conseil  li  fu  donné  pour  le  meschief  ^  de  son  cors 
où  il  estoit  par  pluseurs  maladies  qui  estoient  teles  :  car  il 
avoit  double  tierceinne^  et  menoison?  moult  fort,  et  la  mala- 
die de  Vost  ^  ^  la  bouche  et  es  jambes.  Il  ne  voult  onques  nul- 
lui  croire  ;  ainçois  dist  que  son  peuple  ne  lairoit-il  jà9,  mez  fe- 
roit  tele  fin  comme  il  feroient.  Si  li  en  avint  ainsi,  que  par  la 
menoison  qu'il  avoit ,  que  il  li  couvint  le  soir  couper  le  fons 
de  ses  baiez  >"» ,  et  par  là  force  de  la  maladie  de  Tost  se  pena- 
il  '  Me  soir  par  pluseurs  foiz,  aussi  comme  vous  orrez  diaprés. 

La  tierce  foiz  qu'U  mist  son  cors  en  avanture  de  mort,  ce 
fu  quant  il  demoura  un  an  en  la  sainte  terre,  après «e  que  ses 
frères  en  furent  v@quz.  En  grant  avanture  de  mort  fumes  lors  ; 
car  quant  le  roy  fu  demouré  en  Acre ,  pour  un  home  à  armes 
que  il  avoit  en  sa  compaiguie,  ceulz  d'Acre  en  avoit  bien  trente, 
quant  la  ville  fu  prise.  Car  je  ne  sai  autre  reson  pour  quoy  les 
Turz  ne  nous  vindrent  prepre  '>  en  la  ville,  fors  que  >3  pour  Ta- 
mour  que  Dieu  avoit  au  roy,  qui  la  poour  '4  metoit  ou  cuer 
à  nos  ennemis,  pour  quoy  il  ne  nous  osassent  venir  courre  sus. 
Et  de  ce  est  escript  :  Se  tu  çreins  Dieu ,  si  te  creindront  tou- 


ï/ 


*  El  U  no  Toolat  croire  personne , 
maU  sauta,  etc.  —  >  Mansonrah.  — 
»  Caii9  :  galère,  navire.  —  <  S'U  ar- 
rivait malhear  à  son  monde.  —  '  j|fe«- 
eftie/ .*  mauvais  état.  —-«La  fièvre 
double  tierceb  —  '  Uenoison  :  diar- 


rhée. —  •  Ost  :  armée.  --  »  Mais  il  dit 
Qu'il  ne  laisserait  Jamais  son  peuple.  — 
'^Useï:  brayea. —  »•  Le  manuscrit  de 
Lucques  porte  il  sepasma.  —  "  Prenre  : 
prendre.  —  •'  Fors  qxie  :  si  ee  n'est.  — 
'*  Poour  :  peur. 


HISTOIRE 


tes  les  riens  '  qui  te  verront.  £t  ceste  demourée  *  ûst-il  tout 
contre  son  conseil,  si  comme  vous  orrez  ^  d-après.  Son  cors 
mist-il  en  avanture  pour  le  peuple  de  la  terre  garantir,  qui  eust 
esté  perdu  dès  lors,  se  il  ne  se  feust  lors  remez  4. 

Le  quart  ^  fait  là  où  il  mist  son  cors  en  avanture  de  mort,  ce 
fil  quant  nous  revenismes  d'outremer  et  venismes  devant  Tille 
de  Gypre ,  là  où  nostre  neif  huita  si  malement  que  la  terre  là 
où  elle  hurta,  enporta  troiz  toises  du  tyson^  sur  quoy  nostre 
neif  estoit  fondée.  Après  ce  le  roy  envoia  querre  quatorze  mes- 
tres  nothonnîers  9  que  de  celle  neif,  que  d'autres  qui  estoient 
en  sa  compaîgnie ,  pour  li  conseiller  qile  il  feroit  ;  et  touz  li 
loèrent',sî  comme  vous  orrez  ci*après,  que  il  entrast  en  une 
autre  neif;  car  il  ne  véoientpas  comment  la  neif  peust  souf&ir 
les  copz  *  des  ondes ,  pour  ce  que  les  clous  de  quoy  les  planches 
de  la  neif  estoient  atacheiz  estoient  touz  eloschez  9.  Et  moustrè- 
rent  au  roy  l'exemplaire  '^  du  péril  de  la  nef,  pour  ce  que  à 
l'aler  que  nous  feismes  outre  mer,  une  nef  &i  semblable  fait 
avoit  esté  périe,  et  je  vi  la  femme  et  l'enfant  chiez  <  '  le  conte  de 
Joynguy,  qui  seulz  de  ceste  nef  eschapèrent. 

A  ce  respondi  le  roy  :  «  Seigneur,  je  voi  que  se  je  desceus 
de  ceste  nef,  que  elle  sera  de  refus,  et  voy  que  il  acéans  huit 
cens  personnes  et  plus  ;  et  pour  ce  que  chascun  aimme  autre- 
tant  ■>  sa  vie  comme  je  faiz  la  moîe  '3,  n'oseroit  nulz  demeurer 
en  ceste  nef,  ainçois  demourroient  en  Cypre;  par  quoy,  se 
Dieu  plaît,  je  ne  mettrai  jà  <4  tant  de  gent  comme  il  a  céans  en 
péril  de  mort;  ainçois  demourrai  céans  pour  mon  peuple 
sauver.  »  Et  Dieu,  à  cui  il  s'atendoit,  nous  saulva  en  péril 
de  mer  bien  dix  semainnes>  et  venimes  à  bon  port,  si  comme 
vous  orrez  ci-après.  Or  avint  ainsi  que  Olivier  de  Termes,  qui 
bien  et  viguereusement  ç'estoit  maintenu  outre  mer,  lessa  le 


'  BUnt  :  clioses.  —  '  Demouré»  : 
oéjpar.  — 3  Orrez  :  entendrez  —  <  S'il 
ne  fût  resté.  — *  Quart  :  quatrième.  — 
c  7^50»  ;  postre.  —'*  Suppléez  tant,  r- 
•  Copz  :  coups,  —  »  Eloschez  :  arra- 


chés. — ''0  J?a»»ipïairB  .•  exemple.  — 
"  Chiez  :  chez.  ~  i'  Jutretanî  :  au- 
tant. —  »  Uoie  :  mienne.  —  '<  Je  ne 
mettrai  jamais. 


DE  SAINT  LOUIS  5 

roy  et  demoura  en  Cypre ,  lequel  nous  ne  veismes  puis  d*an 
et  demi  après.  Aussi  destouma  le  roy  le  doumage  de  huit 
cens  personnes  qui  estoient  en  la  nef. 

En  la  darenière  <  partie  de  cest  livre  parlerons  de  sa  fin,  com- 
ment il  trespassa  saintement. 

Or  diz-je  à  vous ,  monseigneur  le  roy  de  Navarre ,  que  je 
promis  à  ma  dame  la  royne  vostre  mère,  à  cui  Diex  >  bone  merci 
face  !  que  je  feroie  cest  livre  ;  et  pour  moy  aquitier  de  ma  pro- 
messe, Tai-je  fait.  Et  pour  ce  que  ne  vol  nuUui  qui  si  bien  le 
doie  ^  avoir  comme  vous  qui  estes  ses  hoirs  ^ ,  le  vous  envoie- 
je,  pource  que  vous  et  vostre  frère  et  les  autres  qui  Torront, 
y  puissent  prenre  bon  exemple,  et  les  exemples  mettre  à  œvre, 
par  quoy  Dieu  leur  en  sache  gré.  ^  '  '^ 

I  En  nom  de  Dieu  le  tout  puissant,  je,  Jehan  sire  de  Joyng- 
'  ville,  séneschal  de  Ghampaigne,  faiz  escrire  la  vie  notre  saint 
Looys,  ce  que  je  vi  et  oy  par  l'espace  de  sis  anz,  que  je  fu  en 
sa  compaignie  ou  pèlerinage  d'outre  mer,  et  puis  que  nous  re- 
venimes.  Et  avant  que  je  vous  conte  de  ses  grans  &iz  et  de 
sa  chevalerie,  vous  conterai-je  que  ^  je  vi  et  oy  de  ses  saintes 
paroles  et  de  ses  bons  enseignemens,  pour  ce  qu'il  soient  trou- 
vez l'un  après  l'autre ,  pour  édefier  ceulz  qui  les  orront.  Ce 
saint  home  ama  Dieu  de  tout  son  cuer  et  ensuivi  ses  oeuvres  ; 
et  y  apparut  en  ce  que,  aussi  comme  Dieu  morut  pour  l'a- 
mour que  il  avoit  en  son  peuple ,  mist41  son  cors  «n  avanture 
par  pluseurs  foiz  pour  l'amour  que  il  avoit  à  son  peuple ,  et 
s'en  feust  bien  soufers,  se  il  vousist^,  si  comme  vous  orrez 
ci-après.  L'amour  qu'il  avoit  à  son  peuple  parut  à  ce  qu'il 
dist  à  son  ainsné  filz*  en*une  moult  grant  maladie,  que  il  ot? 
à  Fonteinne-Bliaut  :  «  Biau  filz,  fist-il,  je  te  pri  que  tu  te  faces 
amer  au  peuple  de  ton  royaume  ;  car  vraiement  je  ameraie 
miex  que unEscot venist  d'Escosse  et  gouvemast  le  peuple 

'  Darenièr»:  dernière.  — '  Diex  :  |  héritier.  —  *  Que  ••  ce  que.  —  «  Se  II 
DIca.  —^  Doie  :  doiye. -^  *  Hoirs  :  |   v<mfj«r's41avftUT9ulD.--' Aof  .-ilmit. 

*  Ce  fils  aîné  était  Louis ,  qui  mourut  âgé  de  seize  ans  t  en  1260. 

1. 

V      '  '  '  .  •       / 


/. 


6 


HISTOIBB 


du  royaume  bien  et  loialment,  que  que  tu  ie  gouvernasses  mal 
apertement.  »  Le  saiut  ama  tant  vérité  que  neis  '  aus  Sarrazini 
ne  voult-il  pas  mentir  de  ce  que  il  leur  avoit  en  convenant,  si 
comme  vous  orrez  ci-après.  De  la  bouche  fiii-il  si  sobre,  que  on- 
ques  jour  de  ma  vie  je  ne  li  oy  deviser  nulles  viandes  >,  aussi 
comme  maint  richez  homes  font;  ainçois  manjoit  paciept- 
ment  ce  que  ses  queus^  li  appareilloient  devant  li.  £n  ses  pa- 
roles fu-il  attrempez4  ;  car  onques  jour  de  ma  vie  je  ne  li  oy 
mal  dire  de  nuUui,  ne  onques  ne  li  oy  non^mer  le  dyablc , 
lequel  nons  ^  est  bien  espandii^  par  le  royaume  :  en  ce  que  je  croy 
qui  ne  plait  mie  à  Dieu.  Son  vin  trempoit  par  mesure ,  selonc 
ce  qu'il  véoit  que  le  vin  le  pooit?  soufrir.  Il  me  demanda  en 
Gypre  pourquoy  je  ne  metoie  de  Tyaue  en  mon  vin ,  et  je 
li  diz  que  ce  me  fesoieot  les  phisidens^,  qui  me  disoient  que 
j'avoie  une  grosse  teste  et  une  froide  fourcelle»,  et  que  je  n*en 
ovoie  pooir  de  enyvrer.  Et  il  me  dist  que  il  me  décevoient  ;  car, 
se  je  neTapprenoie  enmajoenesce,  et  je  le  vouloie  temprer 
ai  ma  vieillesce,  lesgoutes  et  les  maladies  de  fourcdle  me  pren- 
roient,  que  jasaez  n'auroie  santé;  et  se  je  bevoie  le  vin  tout 
pur  en  ma  vieillesce ,  je  m'enyvreroie  touz  les  soirs  ;  et  ce  es- 
toit  trop  laide  chose  de  vaillant  home  de  soy  enyvrer. 

11  me  demsoida  se  je  vouloie  estre  honorez  en  ce  siècle  et 
avoir  paradis  à  la  mort,  et  je  li  diz  oyl  '<*.  £t  il  me  dit  :  «  Don- 
ques  vous  gardez  que  vous  ne  faites  ne  ne  dites  à  vostre  escient 
0u]le  riens,  que  se  tout  le  monde  le  savoit ,  que  vous  ne 
peussiez  coi^noistre  '*,  je  ai  ce  fait,  je  ai  ce  dit.  » 

Il  me  dit  que  je  me  gardasse  que  je  ne  desmentisse,  ne  ne  des- 
detsse  nullui  de  ce  que  il  diroit  devant  moy ,  puis  que  je  n'i 
auroie  ne  péchié  ne  doumage  ou  souffrir,  pour  ce  que  des  dures 
paroles  meuvent  les  mellées  dont  mil  homes  sont  mors. 

Il  disoit  que  Vea  devoit  son  cors  vestir  et  amer  en  tele  ma- 

'JV«i*  ;  même.  -^"^  3*  ne  l'entendia  \  —  *  Espandu  :  répandu.  —  '  Pooit  : 

parler   d'aucuns   mets.   —    ^Queus  :  pouTait.  —  ^  Phisiciéns  :  médecins, 

cuisiniers.     —    *   Altrempez  :     mo-  —  ^  Fourcelle  :  estomac.  —  "*  Oyl  : 

détiy  retonu.  —  ^  Le  ms^  porte  noins.  oui,  —  *'  Congnoistre  :  reconoaUre. 


DB  SAINT  liOUlS. 


nière,  que  les  preudeshomes  '  de  cest  siècle  ne  deisseut  que  il 
en  feist  trop ,  ne  que  les  joenes  *  homes  ne  deissent  que  il  feist 
pou  ^.  £t  ceste  chose  me  ramenti  4  le  père  le  roy  '  qui  oreudroit^ 
est,  pour  les  cotes  brodéez  à  armer ^  que  en  fait  hui  et  le 
jour,  et  li  disde  que  onques  en  la  voie  d'outremer  là  où  je  fuz, 
}e  n'i  vi  cottes  brodées,  ne  les  roy  ne  les  autrui  7.  £t  il  me 
dit  qu'il  avoit  tiex*  atours  l»rodez  de  ses  armes,  qui  li  avoient 
cousté  huit  cens  livres  de  parisis.  Et  je  li  diz  que  il  les  eustmiex 
emploies  se  il  les  eust  donnez  pour  Dieu, et  eust  fait  ses  atours  de 
bon  cendal  9  «iforcié  de  ses  armes,  si  comme  son  père  ûusoit. 
Il  m'apela  une  fioiz  et  me  dist  :  «  Je  n'ose  parler  à  vous  pour 
le  soutii  ><>  senz  dont  vous  estes  de  chose  qui  toucheà  Dieu;  et 
pour  ce  ai-je  appelé  ses  frères^'  qui  ci  sont,  que  je  vous  weil 
feire  une  demande.  »  La  demande  fu  tele  :  «  Séneschal,  fistr 
il,  quel  cliose  est  Dieu?  »  Et  je  li  diz  :  «  Sire,  ce  est  si  bonne 
chose  que  meilleur  ne  peut  estre.  t»  —  «  Vraiement,  fist-il^ 
e*est  bien  respondu ;  que  ceste  vesponse  que  vous  avez  faite, 
est  escripte  en  cest  livre  que  je  tieing  en  ma  main.  Or  vous  de- 
mandé^je,  list-iU  lequel  vous  amenés  miex,  ou  que  vous  feu;^ 
siés  mesiaus'*,  ou  cpie  vous  eussiés  fait  un  péehié  mortel.  » 
Et  je ,  qui  onques  ne  U  menti,  li  respondi  que  je  en  ameraie 
miex  avoir  fait  trente,  que  estre  mesiaus.  Et  quant  les  frèress'en 
furent  partis  t  il  m'appda  tout  seulet,  me  iist  seoir  à  ses  piez. 


*  Prevdeshom9s  :  gens  sages, 

'  Joenes  :  jeunes.  —  ^  Pou  ;  pcn.  — 

♦  Me   ramenti  :  me  rappela.  —  >  Le 

roy  :  du  nA.-^  Or  endroit  :  malDten«Bt. 

— •'  Ni  ceUes  dju  roi  ni  ceUes  des  antres. 


—  «  Tiex  :  telles.  —  »  Cendal  :  taf- 
fetas, étoffe  de  soie.  —  >o  soutil  : 
subtil.  ->  »  Ses  frères  :  ces  moineau  — 
'^  Mesiaus  :  lépreux. 


*  La  cotte  d'arme  a  été  le  vêtement  le  {diu  ordinaire  dm  ancieBs  Gaulois  ; 
U  était  appelé  par  eux  sagum,  d'où  nous  avcMis  emprunté  les  mots  de  saye  ^t 
de  sayon.  Sa  forme  était  comme  celle  des  tuniques  de  nos  diacres.  Les  ba- 
rons et  les  eheraîiers  portaient  ordinairement  la  .cotte  d'arme  de  drap  d'or 
et  d'argent  fourré  d'hermine ,  de  vair,  etc.  L'abus  qui  se  glissa  avec  le  temps 
de  ces  sortes  d'habillements  vint  à  un  tel  excès,  particulièrement  dans  Içs 
voyages  d'outremer,  qu'on  en  interdit  l'usage.  Saint  Louis  lui-même  s'ab- 
stint en  Palestine  de  porter  l'écarlate,  le  valr  et  l'hermine,  selon  le  témoi- 
gnage du  sire  de  Joinville. 


HI8T0TBS 


et  me  dît  :  «  Comment,  me  deistes-vous  hier  ce  ?»  Et  je  iî  diz 
que  encore  lî  disoie-je,  et  il  me  dit  :  «  Vous  déistes  comme 
hastis  musarz  >  ;  car  nulle  si  laide  mezelerie  n'est  comme  d'estre 
en  péchié  mortel ,  pour  ce  que  Tame  qui  est  en  péchié  mortel 
est  semblable  au  dyable  :  parquoy  nulle  si  laide  meselerie  ne 
peut  estre.  Et  bien  est  voir*  que  quant  l'omme  meurt,  il  est 
guérie  de  la  meselerie  du  cors;  mes  quant  Tomme  qui  a  fait 
le  péchié  mortel  meurt ,  il  ne  sceit  pas  ne  n'est  certeins  que  H 
ait  eu  tele  repentance  que  Dieu  li  ait  pardonné  ;  par  quoy  grant 
poour  doit  avoir  que  celle  mezelerie  li  dure  tant  comme  Diex 
yert  ^  en  paradis.  Ci  vous  pri,  fist-il ,  tant  comme  je  puis,  que 
vous  metés  votre  cuer  à  ce ,  pour  J'amour  de  Dieu  et  de  moy, 
que  vous  amissîez  ûiîex  4  que  tout  meschief  avœit  au  cors,  de 
mezelerie  et  de  toute  msiadie,  que  ce  que  le  péchié  mortel  ve- 
nist  à  rame  de  vous.  » 

Il  me  demanda  se  je  lavoie  les  piez  aux  povres  le  jour  du 
grant  jeudi  ^  :  «  Sire,  dis- je,  en  maleur  ^9  les  piez  de  ces  vilains  ne 
laverai-je  jà.  »  —  «  Yraiement,  fist-il,  ce  fumai  dit;  car  vous 
ne  devez  mie  avoir  en  desdaing  ce  que  Dieu  fist  pour  nostre 
enseignement.  Si  vous  pri-je  pour  l'amour  de  Dieu,  remier;^ 
et  pour  l'amour  de  moy,  que  vous  les  acoustume^  7  à  laver.  » 

Il  ama  tant  toutes  manières  de  gens  qui  Dieucréoi^t  et 
amoient,  que  il  donna  la  connestablîe  de. France  à  monsei- 
gneur Gilles  le  Brun*  qui  n'estoit  pas  du  royaume  de  France , 


*  Vous  parlez  comme  un  étourdi  qui 
se  hâte  (trop).  ^^Foir:  vrai.  -*»  Yert 
•era.  -—  *  Miex  :  mieux.  — ^  Du  jeudi 


«aint  —  ^  En  maUetur  :  non  vraiment 
—  '  Que  TOUS  preniez  l'iiabitade. 


*  C'était  le  surnom  de  Gilles ,  seignenr  de  Tr  J^egiiie?,  connétable  de  Flan- 
dre, qui  mourut  dans  l'expédition  de  Gonstantinople,  l'an  4204,  selon  Geof- 
froi  de  Villehardouin.  Saint  Louis  élera  Gilles  le  Brun,  son  Gis,  à  la  dignité 
de  connétable  après  la  mort  d'Imbert  deBeaujeu*  Claude  Henard,  ainsi  (pie 
d'autres,  d'après  du  Tillet,  se  sont  mépris  quand  ils  ont  avancé  que  Gilles 
de  Trasegnies  le  père  était  de  la  famille  de  Lusignan ,  à  cause  du  surnom 
de  le  Brun ,  qui  y  fut  commun  et  familier  ;  mais  il  est  probable  que  ce  fut 
plutôt  un  sobriquet  venant  de  la  couleur  de  ses  cheveux ,  qui  servit  à  le 
distinguer  de  son  père,  porteur  du  même  nom. 


BB  S4INT  LOUIS  .  9 

pour  ce  qu'il  estoit  de  grant  renommée  de  croire  Dieu  et  amer. 
Et  je  croy  vraiement  que  tel  fu-il. 

Malstre  Robert  de  Cerbone  *,  pour  la  grant  renommée  que' 
il  avoit  d'estre  pretidomme,  il  le  £adsoit  manger  à  sa  table.  Un 
jour  avint  que  il  manjoît  delez  ■  moy  l'un  à  l'autre  ;  et  nous 
reprist  et  dit  :  «  Parlés  haut,  fîst-il,  car  voz  compaignons  cui- 
dent  que  vous  mesdisiés  d'eulz.  Se  vous  parlés  au  manger  de 
chose  qui  vous  doie  plaire,  si  dites  haut  ;  ou ,  se  ce  non  >,  si 
vous  taisiéâ.  »  Quant  le  roy  estoit  en  joie,  si  me  disoit  :  «  Se- 
neschal,  or  me  dites  les  raisons  pour  quoy  preudomme  *  vaut 
miex  que  béguin.  »  Lors  si  enconuuençoit  la  tençon^  de  moy  et 
de  maistre  Robert.  Quant  nous  avions  grant  piesce  desputé,  si 
rendoit  sa  sentence  et  disoit  ainsi  :  «  Maistre  Robert,  je  vour- 
roie4  avoir  le  non  de  preudomme,  mes  que  je  le  feusse,  et 
tout  le  remenant  s  vous  demourast;  car  preudomme  est  si 
grant  chose  et  si  bonne  chose,  que,  neis  au  nonamer,  emplist- 
il  la  bouche,  v 

Au  contraire,  disoit-il  que  maie  chose  estoit  de  prendre  de 
l'autrui;  car  le  rendre  estoit  si  grief,  que  neis  au  nommer,  le 
rendre  escorchoit  la  gorge  par  les  erres  ^  i^  y  sont,  lesquiex 
séneGent  ?  les  ratiaus  au  diable,  qui  touz  jours  tire  arière  vers 
iceulz  qui  Tautruf  chatel  <  weulent  rendre.  Et  si  soutihnent 
le  fait  le  dyable,  car  aus  grans  usuriers  et  aus  granz  robeurs  9, 
les  attice-il  si  que  il  leur  fodt  donner  pour  Dieu  ce  que  il  devroient 
rendre.  Il  me  dist  que  je  deisse  au  roi  Tîbaut*  de  par  li,  que 


menant  :  reste.  —  ^  Lçs  rr,''''^  '  Sine- 
fient  :  signifient.  —  *  Chotel  :  bien.  De 
là  le  mot  ehepteU  «^  ^  nebew  :  volear. 


*  Delez:  près  de«  —  '  5a  m  non.*  si 
cela  n'est  pas.  —  *  Ten^n  :  dispute. 
—  *  Je  vourroie  :  J«  ▼oudrais.  —  *  ^- 

ê 

*  Fondateur  du  collège  de  Sorbonne,  ainsi  appolé  de  son  nom  ;  nous 
avons  de  lui  quelques  petits  traités  au  5*  tome  de  la  Bibliothèque  des  Pères. 

*  Saint  Louis  mettait  de  la  différence  entre  prcudhomme  et  preuhomme, 
en  ce  que  le  premier  signifiait  un  homme  prudent ,  de  bonne  conscience  et 
craignant  Dieu,  et  que  preuhomme  était  un  homme  preux.  Saint  Louis  s'est 
donc  arrêté  à  la  signification  que  ce  mot  avait  de  son  temps,  on  plutôt  a  re- 
gardé à  la  manière  dont  il  se  prononçait. 

*  Thibaut  U  roi  de  Navarre,  qui  avait  épousé  Isabelle  fille  de  saint  Louis. 

■\^  y        . 


10 


HISTOIAB 


il  se  preîst  garde  à  la  meson  des  Preescheurs  de  Provins  que  il 
faisoit,  que  il  n'encombrast  Famé  de  H  pour  les  granz  deniers 
que  il  y  metoit;  car  les  sages  homes,  tandis  que  il  vivent^  doi- 
vent faire  du  leur  aussi  comme  executeurz  en  devroient  faire, 
c'est  à  savoir  que  les  bons  exécuteurs  desfont  premièrement 
les  tors  faiz  au  mort,  et  rendent  Fautrui  chatel,  et  du  reme- 
nant '  de  l'avoir  au  mort  font  aumosnes.  ^ 

Le  saint  roy  lu  à  Gorbeil  à  une  Penthecouste,  là  où  il 
ot  quatre-vins  chevaliers.  Le  roy  descend!  après  manger  ou 
prael  >  *,  desouz  la  chapelle ,  et  parloit  à  Tuys  de  la  porte  au 
conte  de  Bretaigne  **,  le  père  au  duc  qui  ore  ^  est,  que  Dieu 
gart.  Là  me  vint  querre  4  mestre  Robert  de.  Cerbon,  et  me 
prist  par  le  cor  ^  de  mon  mantel  et  me  mena  au  roy,  et  tuit.®  li 
autre  chevalier  vindrent  après  nous.  Lors  demandai-je  à  mestre 
Robert  :  «  Mestre  Robert,  que  me  voulez-vous.'  »  £t  me  dist  : 
•  Je  vous  veil  demander  se  le  roy  se  séoîten  cest  prael,  et  vous 
vous  aliez  seoir  sur  son  banc  plus  haut  que  li^  se  en  vous  en 
devroit  bienblasmer.  »  Et  je  li  diz  que  oil.  Et  il  me  dit  :  «  Dont 
faites-vous  bien  à  blasmer,  quant  vous  estes  plus  noblement 
vestu  que  le  roy  ;  car  vous  vous  vestez  de  vair  ***  et  de  vert,  ce 
que  11  roys  ne  fait  pas,  «  Et  je  li  diz  :  «  Mestre  Robert,  salve 
vostre  grâce?,  je  ne  foiz  mie  à  blasmer,  se  je  me  vest  de  vert 
et  de  vair;  car  cest  abit  me  lessa  mon  père  et  ma  mère  ;  mes 
vous  faites  à  blasmer,  car  vous  estes  filz  de  vilain  et  de  vi- 
lainne,  et  avez  lessié  TalMt  vostre  père  et  vostre  mère,  et  estes 
vestu  de  plus  riche  camelin^  que  le  roy  n'est.  »  Et  lors  je 


•  RemefMnt  :  restant.  —  *  Prael  : 
préau.  —  3  Ore  :  maintenant.  — 
*  Çuerre  :  chercher,  —  *  Cor  :  ooia, 


pan,-<»<  Tuii  :  tous.  —  '  Sauf  votre 
gr&ce.  -^  >  Camelin  :  étoffe  de  laine. 


*  C'était  alors  une  coutume  générale  que  d'aller  après  le  repas  faire  une 
promenade  en  un  prwl  ou  en  un  vergien  Cet  usage  se  trouve  mentionné 
dans  tous  les  romans  de  chevalerie  et  dans  une  foule  de  fabliaux. 

**  Jean  I  du  nom,  duquel  il  est  parlé  en  plusieurs  endroits  de  cette  his- 
toire, décédé  le  8  octobre  12S3. 

••"  Fourrure  de  diverses  couleurs.  Du  latin  varius. 


DS  SAINT  LOUIS. 


11 


pris  le  pan  de  son  seurcot  *  et  du  seurcot  le  roy,  et  li  diz  : 
«  Or  esgarde^  se  je  di  voir.  »  Et  lors  le  roy  entreprîst  à  def- 
fendre  mestre  Robert  de  paroles,  de  tout  son  pooir  >. 

Après  ces  choses,  monseigneur  li  roys  appella  monseigneur 
Phelippe  **  son  filz ,  le  père  au  roy  qui  ore  est,  et  le  roy  Ty- 
baut ,  et  s'assist  à  Tuys'  de  son  oratoire  et  mist  la  main  à  terre, 
et  dist  :  «  Séez-vous  ci  bien  près  de  moy,  pour  ce  que  en  ne  nous 
oie  3.  »  —  «  Ha  !  sire,  firent-il,  nous  ne  nous  oserions  asseoir  ci 
près  de  vous.  «  Et  il  me  dist  :  «  Séneschal,  6éez*vous  ci.  »  Et  si 
fiz-je  si  près  de  li,  que  ma  robe  touchoit  à  la  seue^  ;  et  il  les  flst 
asseoir  après  moy  et  leur  dit  :  «  Grantmal  apert^  avez  fait,  quant 
vous  estes  mes  filz,  et  n'avez  fait  au  prunier  coup  tout  Ce  que  je 
vous  ai  commandé,  et  gardés  que  il  ne  vous  avieingne  ^  jamais.  » 
Et  il  dirent  que  noïi  feroient-il.  Et  lors  me  dit  que  il  nous  [avoit] 
appelez  pour  li  confesser  à  moy  de  ce  que  à  tortavoitdeffendu 
à  mestre  Robert  et  contre  moy.  «  Mes,  fist-il,  je  le  vi  si  esbahi, 
que  il  avoitbien  mestier  7  que  je  li  aidasse.  Et  toute  voiz^  ne 
vous  tenez  pas  à  chose  que  je  en  deisse  pour  mestre  Robert 
deffendre  ;  car,  aussi  comme  le  séneschal  dit,  vous  vous  devez 
bien  vestir  et  nettement ,  pour  ce  que  vos  fenunes  vous  en  ame- 
ront  miex,  et  vostre  gent  vous  en  prissent  plis.  Car,  ce  dit 
le  sage,  en  se  doit  assemer  9  en  robes  et  en  armes  en  tel  ma- 
nière» que  les  preudeshommes  de  cest  siècle  ne  dîent  que  on 
en  face  trop ,  ne  les  joenes  gens  de  cest  siècle  ne  dient  que  ea 
en  face  pou.  d 

Ci-après  orrez  un  enseignement  que  il  me  fist  en  la  mer, 
quant  nousrevenions  d'outremer.  Il  avint  que  nostre  nef  hurta 
devant  Tille  de  Cypre,  par  un  vent  qui  a  non  guerbin  >",  qui  n'est 


•  Poolr  :  poayoir.  —  *  Uys  :  porte. 
—  ^  Poar  qu'on  ne  noas  entende.  — 
*  Seue  :  sienne.  —  *  Jperi:  éyident.  — 
«  Avieingne  :  arriye.  —  '  Mestier  : 


besoin.  —  *  Toute  voiz  :  tontefois. 
—  *  Âa$etner  :  orner.  —  "^  Ciier6<n,  en 
italien ,  garbino,  yent  du  sud-ouest. 


*  Le  snrcot  était  une  espèce  d*habit  ou  de  robe  sans  manches ,  commun 
aux  hommes  et  aux  femmes. 
**  Philippe,  qui  régna  après  son  père ,  sous  le  nom  de  Philippe  le  Hardi» 


n 


HISTOIBE 


miedes  quatre mestrea  veiiz>.  Et  de  ce  coup  quenostrenef  prist, 
furent  U  notonnier  si  desperez  que  îi  dessiroient  >  leur  robes  et 
leur  barbes.  Le  roy  sailli  de  son  lit  tout  deschaus  ^ ,  car  nuit 
estoit^  une  cote,  sanz  plus ,  vestue ,  et  se  ala  mettre  en  croiz 
devant  le  cors  Nostre-Seigneur,  comme  dl  qui  n*atendoit  que 
la  mort.  Lendemain  que  ce  nous  fu  avenu ,  m'apela  le  roi 
tout  seul ,  et  me  dit  4  :  «  Séneschal,  ore  nous  a  moustré  Dieu 
une  partie  de  son  pooir;  car  un  de  ses  petiz  venz,  que  à  peinne 
le  sceit-on  nommer,  deut  avoir  le  roy  de  France,  ses  enfans  et 
sa  femme  et  ses  gens  noies.  Or  dit  saint  Andaumes^  que  ce 
sont  des  menaces  Nostre-Seigneur,  aussi  comme  se  Diex  vou- 
sist  ^  dire  :  Or  vous  eussé-je  bien  mors  >  se  je  vousisse  ?.  «  Sire 
«  Dieu,  fait  li  sains ,  pourquoy  nous  menaces-tu  ?  car  es  me- 
«  naces  que  tu  nous  £aiz ,  ce  n'est  pour  ton  preu  ^  ne  pour  ton 
«  avantage  ;  car  se  tu  nous  avoies  touz  perdus,  si  ne  seroies- 
«  tu  jà  plus  povre  ne  plus  riche.  Donc  n'est-ce  pas  pour  ton 
«  preu  la  menace  que  tu  nous  as  faite ,  mes  pour  nostre  profit, 
«  se  nous  le  savons  mettre  à  œuvre.  A  œuvre  devons-nous 
«  mettre  ceste  menace  que  Dieu  nous  a  faite ,  en  tele  manière 
«  que ,  se  nous  sentons  que  nous  aions  en  nos  cuers  et  en  nos 
«  cors  chose  quidesplèse  à  Dieu,  oster  le  devons  hastivement; 
a  et  quanque  9  nous  cuiderons  qui  li  plèse,  nous  nous  devons 
«  esforder  hastivement  du  prenre;  et ,  se  nous  le  faisons  ain- 
«  sine  '®,  Nostre-Sire  nous  donra  "  plus  de  bien  en  cest  sièdc 
«  et  en  l'autre ,  que  nous  ne  saurions  deviser.  £t^  se  nous  ne 
«  le  faison  ainsi,  il  fera  aussi  comme  le  bon  seigneur  doit  faire 
«  à  son  mauvais  sergant  '*  ;  car  après  la  menace,  qi^nt  le  mau- 
«  vais  serjant  ne  se  veut  amender,  le  seigneur  fiert  '^  ou  de 
«  mort  ou  de  autres  greingneurs  meschéances  ^4,  qui  piz  valent 


'  Mettre»  Vênz  :  vents  des  quatre 
points  cardinaux.  —  '  Dessiroient  : 
déchiraient.  — ^  Desehatu  :  dèchaassé. 
—  *  Le  manuscrit  porte  et  m'apela.  — 
^  Saint  Jneiaumes:  saint  Anselme.  •— 
•  rousUi  :  voulût.  —  '  Variante  :  O» 


vous  eûsse-je  bien  tous  tues  y  si 
j'eusse  voulu,  —  •  Preu  :  profit.  — 
<*  Çuanque  :  tout  ce  que.  —  '*  Jin^ 
sine  :  ainsi.  —  *'  Donra  :  donnera. 
—  '  *  Sergant  :  serviteur.  —  "S  Fiert  .- 
frappe..  —  >*  Plus  grands  malheurs. 


»  Âvenist  :  arriyfti.  —  «  //enn«in<  : 


Je  diable.  —  »  U  s'efforce  tant  qu'il      —  '  CesH  :  ce.  —  »  Cr^oic  .-  croyais.  — 
peut  pour,  etc.  —  *  En  aixune  dùu-      *  Fous  oez  :  vous  enteadci. 
Uinee  :  en  quelque  doute. — ^  ToUir  : 


enlever.  — r  ^  ^gait  :  pi^ge,  embûche. 


\  DE  SAINT  LOUIS.  _  la 

«  que  mort.  »'Si  y  preingne  garde  li  roys  qui4>re  est,  car  il  : 
est  eschappé  de  aussi  graot  péril  ou  de  plus  que  nous  ne  feimes  :  l 
si  s'amende  de  ses  mesfais  en  tel  manière  que  Dieu  ne  fière  en  .. 
)i  ne  en  ses  ehoses  cruelment.  i 

i£  saint  roy  se  esforça  de  tout  son  pooir,  par  ses  paroles,  de 
moy  faire  croire  fermement  en  la  loy  crestiemie  que  Dieu  nous 
a  donnée^  aussi  comme  vous  orrez  d-après.  11  disoit  que  nous        .    î 
devionscroire  si  fermement  les  articles  de  la  foy,  que  pour  mort  \ 

ne  pour  meschief  qui  avenist  >  au  cors ,  que  nous  n'aiens  nulle 
▼olenté  dealer  encontre  par  parole  ne  par  fait.  £t  disoit  que 
l'ennemi  '  est  si  soutilz,  que ,  quant  les  gens  se  meurent,  il  se 
travaille  tant  comme  il  peut  ^  que  il  les  puisse  faire  mourir  en 
aucune  doutance  ^  des  poins  de  la  foy  ;  car  il  voit  que  les 
bones  œuvres  que  Vommé  a  fiedtes,  ne  li  peut-il  tollir  ^ ,  et  voit 
que  il  Ta  perdu ,  se  il  meurt  en  vraie  foy.  Et  pour  ce  se  doit-on 
garder  et  en  tele  manière  deffendre  de  cest  agait^ ,  que  en  die 
à  l'ennemi,  quant  il  envoie  tele  temptadon  :  Va-t'en.  Doit-on 
dire  à  l'ennemi  ;  Tu  ne  me  tempteras  jà  à  ce  que  je  ne  croie  /  v  "^ 
fermement  touz  les  articles  de  la  foy  ;  mes ,  se  tu  me  fesoies 
touz  les  membres  tranchier,  si  weil-je  vivre  et  morir  en  cesti  ? 
point.  Et  qui  ainsi  le  fait  ^  il  vaînt  rennemi  de  son  baston  et 
de  ses  espées  dont  Tennemi  le  vouloit  occirre. 

Il  disoit  que  foy  et  créance  estoit  une  chose  où  nous  devions 
bien  croire  fermement,  encore  n'en  feussiens-nous  certeins 
mez  que  par  oïr  dire.  Sus  ce  point,  il  me  fist  une  donande  : 
comment  mon  père  avoit  non;  et  je  li  diz  que  il  avoit  non  Sy- 
mon.  Et  fl  me  dit  comment  je  le  savoie  ;  et  j«  li  diz  qne  je  en 
cuidoie  estre  certein  et  le  créoie  ^  fermement,  pour  ce  que  ma 
mère  Favoit  tesmoingné.  «  Donc  devez- vous  croire  fermement 
touz  les  articles  de  la  foy,  lesquiex  les  apostres  tesmoingnent^ 
aussi  comme  vous  oez  9  chanter  au  dymanche  en  la  Credo.  » 


•^. 


V 


14  HISTOIRE 

I!  me  dist  que  Tév^ue  Guillaume  de  Paris  *  11  aToit  conté 
que  xm  grant  mestre  de  divinité  <  estoit  venu  à  li  et  li  avoit  dit  que 
il  vouloit  parler  à  li  ;  et  il  li  dist  :  «  Mestre,  dites  Yostre  volenté.  )» 
Et  quant  le  mestre  cuidoit  *  parler  à  l'évesque,  et  commença  à 
piorer  trop  fort.  Et  l'évesque  li  dit  :  «  Maistre,  dites,  ne  vous 
desconfortés  pas;  car  nulz  ne  peut  tant  pédiier  que  Dieu  ne  peut 
plus  pardonner.  »  —  «  Et  je  vous  di,  sire ,  dit  li  mestres ,  je 
n*en  puis  mais,  se  je  pleure;  car  je  cuide  estre  meseréant, 
pour  ce  que  je  ne  puis  mon  cuer  ahurter  ^  à  ce  que  je  croie  ou 
sacrement  de  Tautel ,  ainsi  comme  sainte  Esglise  renseigne ,  et 
si  sai  bien  que  ce  est  des  temptacions  Tennemi.  »  — -  «  Mestre , 
fist  li  évesques ,  or  me  dites ,  quant  rennemi  vous  envoie  ceste 
temptacion ,  se  elle  vous  plet.  »  —  «  Et  le  mestre  dit  :  «  Sire, 
mes  m'ennuie  tant  comme  il  me  peut  ennnier.  »  —  «  Or  vous 
demandé-je,  fist  Tévesqûe,  se  vous  prennes  ne  or  ne  argent 
par  quoy  vous  regeissiez  ^  de  vostre  bouche  nulle  riens  qui 
feust  contre  le  sacrement  de  Tautel ,  ne  contre  les  autres  sains 
sacremens  de  TEsglise.  »  —  «  Je,  sire,  fist  li  mestres,  sachiez 
que  il  n'est  nulle  riens  ou  monde  que  j'en  preisse  >  ainçois  ^ 
ameroie  miex  que  en  m'arachast  touz  les  membres  du  cors, 
que  je  le  regeisse.  »  — -  «  Or  vous  dirai-je  autre  chose ,  fist 
révesque.  Vous  savez  que  le  roy  de  France  ^erroie  au  roy 
d'Engleterre,  et  savez  que  le  chastiau  qui  est  plus  en  la  mar- 
che ^  de  eulz  deux,  c'est  la  Rochelle  en  Poitou.  Or  vous  weil  7 
faire  une  demande,  que,  se  li  roys  vous  avoit  baillé  la  Rochelle 
à  garder,  qui  est  «i  la  marche ,  et  il  m'eust  baillé  le  chastel  de 
Monlaon  ^ ,  à  garder,  qui  est  ou  cuer  9  de  France  et  ^  terre 
de  paix,  auquel  li  roys  devroit  savoir  meilleur  gré  en  la  fin 
de  sa  guerre ,  ou  à  vous  qui  auriés  gardé  la  Rochelle  sanz  per- 
dre ,  ou  à  moy  qm  li  auroie  gardé  le  chastel  de  Monlaon  saiu& 

éoit  :  mais.  —  «  JUtKtche  :  frontière,  — 
7  fTeil  :  (je)  veux.  —  •  Monlaon  .- 
LaoD.  —  *  ou  cuer  •*  aa  ccenr. 

*  Celui  dont  nous  avons  queues  écrits,  et  aous  lequel  la  qnestfoo  de  !• 
pluralité  des  bénéfices  fut  agitée. 


>  Divinité  :  théologie.  — ^  Cùidoit: 
pensait.  —  3  Ahurter  :  forcer.  — 
*   Regeissiez  :  avouassiez.  —  *  Ain- 


DE  SA.mT  LOUIS.  1& 

perdre.  »  —  «  En  non  Dieu> ,  sire,  fîst  le  mestre,  à  nioy  qui 
auroie  gardé  la  Rochelle  sanz  perdre .  v  —  «  Mestre ,  dit  Tc- 
vesque,  je  vous  di  que  mon  cuer  est  semblable  au  chastel  de 
Montleheri;  car  nulle  temptadon  ne  nulle  doute  je  n'ai  du  sa- 
erement  de  Tautel  :  pour  laquel  ohose  je  vous  di  que  pour  un 
gré  que  Dieu  me  scet  de  ce  que  je  le  croy  fermement  et  en  paix, 
vous  en  scet  Dieu  quatre,  pour  ce  que  vous  11  gardez  vostre  cuer 
en  la  guerre  de  tribulacion ,  et  avez  si  bone  volenté  envers 
11 ,  que  vous  pour  nulle  riens  terrienne  *,  ne  pour  meschiet  que 
on  feist  du  cors,  ne  le  relenquiriés  ^  :  dont  je  vous  di  que  soies 
tout  aese  ;  que  vostre  estât  plet  miex  à  Nostre-Seigneur  en  ce 
cas,  que  ne  fait  le  mien.  »  Quant  le  mestre  oy  ce,  il  s'age- 
lioilla  devant  Tévesque  et  se  tint  bin  pour  poiez  4. 

Le  saint  roy  me  conta  que  pluseurs  gent  des  Aubigois  ^  vin- 
drent  au  conte  de  Monfort ,  qui  lors  gardoit  la  terre  de  Aubi- 
jois  pour  le  roy ,  et  li  distrent  que  il  venist  veoir  le  cors 
Nostre-Seigneur,  qui  estoit  devenuz  en  sanc  et  en  char  ^  entre 
les  mains  au  prestre.  £t  il  leur  dist  :  «  Alez  le  veoir,  vous  qui  [  ne  ] 
le  créez;  car  je  le  croi  fermement,  aussi  comme  sainte  Esglise 
nous  raconte  le  sacrement  de  Fautel.  £t  savez-vous  que  je  y 
gaignerai ,  fist  le  conte ,  de  ce  que  je  le  croy  en  ceste  mortel 
vie,  aussi  comme  sainte  Esglise  le  nous  enseigne?  Je  en  aura 
une  couronnç  es  dex  7  plus  que  les  angres  ^ ,  qui  le  voient  face 
a  face ,  par  quoy  il  convient  que  il  le  croient  *.  » 

Il  me  conta  que  il  ot  une  grant  desputaison  9  de  clers  et  de 
Juis  ou  moustier  de  Qygni»*».  Là  ot  un  chevalier  à  qui  l'abbé 
avoit  donné  le  pain  léens  "  pour  Dieu,  et  requist  à  l'abbé  que 
il  li  lossast  dire  la  première  parole  ;  et  en  li  otria  '  '  à  peinne.  Et 

»  A  a  nom  de  Dlea.  —  »  Terrienne  :  I  anges.  —  '  Desputaison  :  dispute,  — 
terrestre.  —  '  Relenquiriés  :  a1)andoa-  1  'o  De  clers  et  de  Juis  m  moustier  de 
neriez,  —  *  Poiez  :  payé,  satisfait,  I  Cligny  :  de  prêtres  et  de  Juifs  an  mo- 
—  *  Jubigois  :  Albigeois.  —  «  Char  :  |  nastère  de  Clnny.  —  »•  Leens  :  la.  — 
chair.  »  i  Ciex  :  cieux.  —  ^  Jngres  :  I  "En  li  otria  :  on  lui  accorda. 

•  Jean  Villani  aUribuc  ce  trait  à  saint  Louis  lui-même.  Voyez  sa  Chro-^ 
nique  f  livre  VI.  chap.  vu.  * 


16 


HISTOIRE 


lors  il  se  leva  et  s^apuia  sur  sa  croce  ' ,  et  dit  que  l'en  H  feist 
venir  le  plus  grant  clerc  et  le  plus  grant  mestre  *  des  Juis,  et  si  ^ 
firent-ii  ;  et  li  fist  une  demande  qui  fu.  tele  :  «  Mestre,  fist  le 
chevalier,  je  vous  demande  se  vous  créez  que  la  vierge  Marie, 
qui  Dieu  porta  en  ses  flans  et  en  ses  bras,  enfantast  vierge,  et 
que  elle  soit  mère  de  Dieu.  »  £t  le  Juif  respondi  que  de  tout 
ce  ne  cr[é]oit»tl  riens.  Et  le  chevalier  li  respondi  que  moult  avoit 
fait  que  fol,  quant  il  ne  la  créoît  ne  ne  l'amoit ,  et  estoit  en- 
tré en  son  moustier  et  en  sa  meson.  «  Et  vraîement^  fist  le  ehe- 
valier,  vous  le  comparrez  4.  »£t  lors  il  hauça  sa  potence^  et 
féri^  le  Juif  lès  Toye?  et  le  porta  par  terre.  Et  les  Juis  tour- 
nèrent en  fîiie^  et  enportèrent  leur  mestre  tout  blecîé;  et 
ainsi  demeura  la  desputaison.  Lors  vint  Tabbé  au  chevalier,  et 
Il  dist  que  il  avoit  £ât  grant  folie.  Et  le  chevalier  dit  que  en- 
core avoit-il  fait  greîngneur  9  folie,  d^assembler  tele  despu- 
taison ;  car  avant  que  la  desputaison  feust  menée  à  fin,  avoit- 
il  séans  grant  foison  de  bons  crestiens  »  qui  s'en  feussent  parti 
touz  mescréanz,  par  ce  que  il  n'eussent  mie  bien  entendu  les 
Juis.  «  Aussi  vous  di-je,  fist  li  roys,  que  nulz^  se  il  n'est  très.- bon 
clerc,  ne  doit  desputer  à  eulz;  mes  l'omme  lay,  quant  il 
ot'^"  mesdire  de  la  lay  "  crestienne,  ne  doit  pas  desfendre  la  lay 
crestienne,  ne  mais  >  *  de  Fespée,  de  quoy  il  doit  donner  parmi  le 
ventre  dedens ,  tant  comme  elle  y  peut  entrer*.  » 

Le  gouvernement  de  sa  terre  fu  tele,  que  touz  les  jours 
il  ooit  à  note  ses  heures  '',  et  une  messe  de  requiem  sanz 
note  >4 ,  et  puis  la  messe  du  jour  ou  du  saint,  se  il  y  chéoit, 
h  note. 


*  Croee  ;  crois,  béquille.  —  '  L^  plos 
grand  rabbin.  ^-  ^  Si  :  ainsi.  — 
♦  Compam»  .-payerei.  —  *  Potence  : 
béquille.  —  ^  Féri  :  frappa.  — •  ^  Lès 
l'otfâ  :  près  de  l'oreille.  —  *  Fuie  : 


faite.  —  9  Greingnêur  :  pins  p>Ande. 
—  «0  Ot  :  entend.  —  ««  Ll»e«  :  toy.  —  «^ 
Ne  mais^  si  ce  n'est.  —  "  11  entendait 
les  offices  qu'on  cbantalt.  —  '*  Note  : 
chant. 


*  Ici  saint  Louis  ne  se  montre  pas  au-dessus  de  son  sldcle.   L'abbé,  se 
conformant  au  véritable  esprit  de  la  religion,  lui  est  bien  supérieur. 


DE  SAINT  LOUIS.  17 

Touz  les  jours  il  se  reposait,  après  manger,  en  son  lit;  et 
luant  il  avoît  dormi  et  reposé ,  si  disoit  en  sa  chambre  pre- 
mièrement des  mors  < ,  entre  11  et  un  de  ses  chapelains ,  avant 
que  il  oît  ses  vespres.  Le  soir  ooit  ses  compiles. 

Un  cordelier  vmt  à  li  au  chastel  de  Yères ,  là  où  nous  des- 
cendîmes de  mer;  et  pour  enseigner  le  roy ,  dit  en  son  ser- 
mon, que  il  avott  leu  la  Bible  et  les  livres  qui  parlent  des. princes 
mescréans  et  disoit  que  il  ne  trouvolt  ne  es  créans  ne  es 
mescréans,  que  onques  réaume  se  perdist,  ne  chanjast  de  sei- 
gneurie à  autre,  mez  que  par  défaute  de  droit.  «  Or  se  preiu- 
gne  garde,  fist-il ,  le  roy  qui  s*en  va  en  France,  que  il  face 
bondroit  et  hastif  à  son  peuple  ,par  quoy  Nostre-Sire  li  seufûre' 
son  royaume  à  temr  en  paix  tout  le  cours  de  sa  vie.  »  £n  dit 
que  ce  ^  enseignoit  le  roy,  gist  à  Marseille  là  où  Nostre-Seigneur 
fait  pour  li  maint  bel  miracle  ;  et  ne  voult  onques  demourer  avec 
le  roy,  pour  prière  que  il  li  sceut  faire,  que  une  seule  journée. 

Le  roy  n'oublia  pas  cest  enseignemwt  ;  ainçois^  gouverna  sa 
terre  bien  et  loiahnent  et  selonc  Dieu,  si  comme  vous  orrez  ci- 
après.  Il  avoit  sa  besoingne  atirée  ^  en  tele  manière ,  que  mon- 
seigneur de  Néelle*  et  le  bon  conte  de  Soissons**  et  nous 
autres  qui  estions  entour  li,  qui  avions  oïes  nos  messes,  allons 
oir  les  plez  ^^^  de  la  porte,  que  en  appelle  maintenant  les  re- 

«  L'office  des  mort».  -  '  S€^r/re  :  |  —  •  Mncoù  :  mats.  —  *  Mirée  :  ré- 
tonffre. —-3  A jotttei  :  eor(fe/{«r 9tt<. -*  |  glie, 

*  Simon,  fils  de  Raoul  de  Clermont,  seigneur  d'Ailly,  et  de  Gertnide, 
héritière  de  Nesle;  il  fut  régent  du  royaume  de  France,  conjointement 
avec  Mathieu  de  Vendôme,  abbé  de  Saint-Denis,  l'an  1269,  pendant  le  se- 
cond voyage  de  saint  Louis  en  terre  sainte. 

**  Jean ,  IP  du  nom ,  surnommé  le  Bègue,  fils  de^Raoul  de  Nesle,  comte 
de  Solssons,  et  de  Yolande  de  Joinville,  sa  seconde  femme,  et  par  consé- 
quent cousin-germain  de  notre  sire  de  Joinville. 

***  Dans  les  premiers  temps  de  la  monarchie,  nos  rois  envoyaient  dans 
toutes  les  provinces  de  leurs  É  tats  des  intendants  de  justice,  nommés  missi  do- 
minicU  qui  examinaient  les  jugements,  réformaient  les  abus»  et  recevaient 
les  plaintes  des.  sujets  du  prince.  A  l'imitaUon  des  d^reux,  ils  tenaient 
leurs  assises  et  leurs  plaids  dans  les  champs,  dans  les  rues,  dans  les  lieux  pu- 


18  HISTOIBB 

questes.  Et  quant  il  revenoit  du  moustier  9  il  nous  envoioit 
querre,  et  s*asséoit  au  pié  de  scm  Ht,  et  doub  fesoit  touz  asseoir 
eutour  ii,  et  nous  demandoit  se  il  y  avoit  nulz  à  délivrer  *  que 
en  ne  peust  délivrer  sanz  li  ;  et  nous  li  nommiens,  et  il  les  fai- 
soit  envoîer  querre ,  et  il  leur  demandoit  :  «  Pourquoy  ne 
prenez-vous  ce  que  nos  gens  vous  offrent?  »  Et  il  disoient  : 
«  Sire ,  que  il  nous  ofifrent  pou.  »  Et  il  leur  disoit  en  tel  naa- 
nière  :  «  Vous  devriez  bien  ce  prenre  qui  le  vous  vondroit  faire.  « 
Et  se  traveilloit  ainsi  le  saint  home,  à  son  pooir,  comment  il 
les  metroit  en  droite  voie  et  en  resonnable. 

Maintes  foîz  avint  que  en  esté  ii  aioit  seoir  au  boiz  de  Vin- 
ciemies  »  après  sa  messe,  et  se  acostoioit 3  à  m  cfeesne^et  nous 
f eseit  seoir  entour  li  ;  et  touz  seidz  ^  qui  avoient  à  faire  venoient 
parler  à  li,  sanz  destourbier^  de  huissier  ne  d'autre.  Et  lors  11 
leur  demandoit  de  sa  bouche  :  «  A-yi  ci  nullui  qui  ait  partie  ?  » 
fit  cil  se  levoient  qui  partie  «voient,  et  lors  ii  disoit  :  «  Tair 
fiiés-vous  touz,  et  on  vous  déliverra  Tun  après  l'autre.  »  Et 
lors  fl  appeloit  monseigneur  Pierre  de  Fonteinnes*  et  mon- 

a 

*  A^Aortfr  :  expédier.  ~  Tfo«<M-  1  «flrmettaitàcAtéde.'-^ilntU.'ccax.— 
nés  :  Vincennes.  —  ^  Se  acostaioit  à  :  i  *  Destourbier  .*  empêchement. 

blics,  devant  les  portes  et  dans  les  cimetières  des  églises  (ce  qui  fut  depuis 
défendu  par  nos  rois,  dans  leurs  capitutaires,  à  Tégarddes  lieux  sacrés  >,  et 
enfin  devant  les  portes  des  châteaux  et  des  villes ,  ainsi  qu'on  peut  le  voit 
dans  une  charte  du  cartulaire  del'abliaye  de  Vendôme  :  PerrexU  illucpripr 
noster,  ivitgue  placitum  in  Castro  Raynaldi,  ante  portam  ipsius  castri 
qucB  €st  a  meridie^  uhi  inierrogatus  tUe  quare  saisisset  plaixitium  ttos- 
trum,  retponditf  etc.  (TabuL  Ylndoc*  Tbuani,  ch.  52.)  C'est  ce  que  saint  Louis 
et  nos  rois  pratiquaient  ordinairement ,  lorsqu'ils  voulaient  écouter  les 
plain  tes  de  leurs  sujets  et  leur  rendre  la  j  ustice,  ainsi  que  nous  le  verrons  dans 
le  cours  de  cet  te  histoire,  d'après  le  tableau  qu'en  a  fait  le  sire  de  Joinville. 

*  Ce  jurisconsulte ,  gentilhomme  de  Vermandois,  est  nommé  en  plusieurs 
arrêts  et  assemblées  tenues  sous  le  règne  de  saint  Louis ,  entre  les  maîtres 
Un  parlement,  dans  les  mémoires  de  du  TiUet  et  de  Miraumont  ;  c'est.  lUi 
cfui  estant^r  4u  traité  ^e  questions  et  de  dédsions  de  di'oit  composé  vers 
4280,  iatitiilé  i  Le  Conseil  de  Pierre  de  Fontaines,  dont  la  meilleure  édi- 
tHHi  a  élé  puUiée  \  Par»  en  4846,  par  M.  A.  J.  Marnier ,  en  un  volume 
iih*"». 


DE   SAINT  LOUIS. 


t9 


.  seigneur  Geffroy  dQ  Viliete^,  ^tdisoit  à  l*ua  d'eulz  :  «  Délivrez- 
moy  ceste  partie.  »  Et  quant  il  véoit  aucune  chose  à  amen- 
der en  la  parole  de  ceulz.  qui  parloient  pour  autrui ,  il-meismes 
Famendoit  de -sa  bouche.  Je  le  vî  aucune  foîz  en  esté,  quç, 
pour  délivrer  sa  geat,  il  vmoit  au  jardin  de  Paris,  une  cote  de 
diamdot  Yestue ,  un  seureot  de  tyreteinne  '  sanz  manches,  un 
mantel  de  cendal  noir  entour  s<m  col,  inoult  bien  pigné>  et 
sanz  coife ,  et  un  chapel  de.  paon  blanc  ^  sus  sa  teste ,  et  fesoit 
estendre  tarâ  pour  nous  seoir  entour  li.  £t  tout  le  peuple  qui 
avoit(à  £aire)p3r  devant  U^  estoit  entour  li  en  estant  4,  et  lors 
il  les  faisoit  délivr^^  en  la  manière  que  je  vous  ai  dit  devant  du 
bois  de  Vindennes» 

Je  le  revi  un  mitre  foiz  à  Paris, .là  oà  touz  les  prélaz  de 
France  le  mandèrent  que  il  vouloient  parler  à  li,  et  le  roy  ala 
ou  palaiz  pour  eulz  oïr.  £tlà  estoit l'évesque  Gui  d'Ausserre*^, 
qui  fil  âiiz^  monseignei»  Guillaume  de  Mello,  et  dit  au  roy 
pour  touz  les  prélaz  en  tel  maniée  t  *  Sire,  ces  seigueurs  qui 
ci  sont,  arcevesques,  évesques,  m'omt  dit  que  je  vous  deiscie 
que  la  crestienté  se  périt  entre  vos  mains.  »  Le  roy  âe  seigpa^ 
et  dist  :  «  Or  me  dites  comment  ce  eât  ?  »  •—  «  Sire,  fistHl, 
c'est  pour  ce  que  eu  prise  si  pou  les  exoocammiiemeus  hui  ^t 
le  jour,  que  avant  se  lessent  les  gens  mouorir  eifcomm^iéa, 
que  il  se  facent  absodce  7,  et  ne  veulent  Ëdre  satistaocion  à 
l'Esglise.  Si  vouç  requièrent,  sîre^  pour  Dieu  H  pouree  que 

*  J)freteinne  :  grosse  étoffe  de  laine. 
-  —  '  Pi§né  :  peigné.  —  ->  Gkapeftii  de  - 

cygne.  —  *  En  estant  :  debout.   — 
*  Fitiz  :  fils.  —  ^  Se  eeigna  :  se  signa. 

*  C/t  sd^nenr  fut  baitti  de  Toafs  en  l*«n  f%4 ,  et  ambanadeur  À  Venise 
enl268: 

**"  Ce  G«y ,  évéqae  d'Auierrei  Crère  de  Dreux  de  Mello»  «cigneiir  de 
Loches  et  de  GhàtUlon-Mr-Iodre,  fut  choisi  par  le  clergé  pour  porter  la 
parole ,  comme  perscffinage  éloquent  et  versé  dans  les  affaires.  C'est  l'éloge 
que  Clément  IV  hii  donne  en  son  épitre  xcix  :  Dédit  tibi  Dominus  spiritum 
sapientia,  et  Ungu^mcontulit  eruditam,  et  sensum  tuum  insuper  mulli 
juin  temporh  experientia  soUdavit,  ita  ut  nihil  tibi  dcsit  in  uUa  gratia» 


—  7  On  fait  si  pea  de  cas  des  excom- 
asmiicatiotts  anjowd'ha} ,  que  tes 
gens  se  laissent  monrir  excommunies, 
arant  desefkire  absoudre. 


30  HISTOIRE 

faire  le  devez ,  que  vous  commandez  à  vos  prévoz  et  à  vos 
baillifz  que  tonz  ceulz  qui  se  soufferront  escommeDÎez  au  et 
jour,  que  en  les  contreingne  par  la  prise  de  leur  biens  à  ce 
que  lisse  lacent  absoudre.  » 

A  ce  respondi  le  roys  que  fl  leur  commanderoit  volentîers 
de  touz  ceulz  dont  en  le  featoit  oertein  que  il  eussent  tort.  Et 
révesque  dit  que  il  ne  le  fooient  à  nul  feur ',  que  il  ii  deveis- 
sient'  la  court  de  leur  cause.  Et  le  roy  li  dist  que  il  ne  le  fe- 
roit  autrement;  car  ce  seroit  contre  Dieu  et  contre  raison,  se  il 
contreignoit  la  gent  à  eulz  absoudre,  quant  les  clers  leur  fe- 
roient  tort.  «  Et  de  ce,  fist  le  roy,  vous  en  doins-je^  un 
exemple  du  conte  de  Bretaigne,  qui  a  plaidé  sept  ans  aus  prélaz 
de  Bretain^e  tout  excommenié;  et  tant  a  esploitié  que  Tapos- 
tole  les  a  condempnez  touz  *.  Dont  se  je  eusse  contraint  le 
conte  de  Bretain^e  la  première  année  de  li  faire  absoudre,  je 
me  feusse  meffait  envers  Dieu  et  vers  li.  »  Et  lors  se  soufrirent 
les  prélaz  ;  ne  onques  puis  n'en  oy  parler,  que  demande  feust 
faite  des  choses  desus  dites. 

La  paix*  qu'il  fist  au  roy  d'An^etenre  fist-il  contre  la  vo- 
lenté  de  son  conseil ,  lequel  li  disoit  :  «  Sire,  il  nous  semble 
que  vous  perdes  la  terre  que  vous  donnez  au  roy  d'Angle- 
terre, pour  ce  que  il  n'i  a  droit;  car  son  père  la  perdi  par 
jugement.  »  Et  à  ce  respondi  le  roy  que  il  savoit  bien  que 
le  roy  d'An^eterre  n'i  avoit  droit;  mes  il  y  avoit  reson  par 
quoy  il  li  devoit  bien  donner.  «  Car  nous  avon  deux  seurs  à 
femmes,  et  sont  nos  enfans  cousins  germains;  par  quoy  ii 
affîert  bien  que  paiz  y  soit. 

*  Feur  :  prix,  fe^n.  -^  '  DêveU^  l  donne.  —  ^  Et  il  a  tant  fait  que  1« 
sient  :  entretinMent»  —  '  Doins-je  :  je  1  pape  les  a  tons  cendamnèa.. 

*  Le  greffier  da  Tillet  examine  prudemment  la  faute  que  fit  ce  boa  prince 
par  ce  traité ,  passé  l'an  1259,  quelques  couleurs  qu^il  donnât  à  sa  cons- 
cience. Guillaume  de  Nangis  observe  bien  le  patheUnage  de  l'Anglais ,  qui 
fut  bien  aise  de  voir  son  royaume  accru  de  trois  provinces ,  et  sou  trcwr 
ruurni  de  granics  sommes ,  que  Mathieu  Paris  fait  monter  à  300,000  livres' 
tournois. 


DE  SAIITT  LOUIS.  2i 

«  Il  m'est  moidt  grant  honneur  en  la  paix  que  je  foiz  ai 
roy  d'Angleterre,  pour  ce  que  il  est  mon  home,  ce  que  n'estoit 
pas  devant.  » 

La  léaulté>  du  roy  peut  Fen  veoir  ou  &it  de  monseigneur 
de  Trie  * ,  qui  au  saint  *  *"  unes  lettres,  lesquiex  disoient  que  le 
roy  avoit  donné  aus  hoirs  la  contesce  de  Bouloingne  ]  qui 
morte  estoit  novellement,  la  conté  de  Danmartin  en  Gouere. 
Le  seau  de  la  lettre  estoit  brisié,  si  que  il  n'i  avoit  de  remenimt 
fors  que  la  moitié  des  jambes  de  l'ymage  du  seel  le  roy,  et 
l'eschameP  sur  quoy  lî  roys  tenoit  ses  piez;  et  il  le  nous 
moustra  à  touz  qui  estions  de  son  conseil ,  et  que  nous  li  ai- 
dissons  à  conseiller.  Nous  deismes  trestnit,  sanznul  descort^, 
que  il  n'estoit  de  riens  tenu  à  la  lettre  mettre  à  exécution.  Et 
lors  il  dit  h  Jehan  Sarrazin,son  Chamberlain^,  que  il  li  bail^ 
last  la  lettre  que  il  li  avoit  commandée^.  Quant  il  tint  la  lettre, 
il  nous  dit  :  «  Seigneurs ,  veez  ci  seel  de  quoy  je  usoy  avant 
que  jealasse  outre  mer,  et  voit^on  cler  par  ce  seel  que  Fem- 
preinte  du  seel  brisée  7  est  semblable  au  seel  entier;  par  quoy  je 
n'oseroie  en  bone  conscience  ladite  contée  retenir.  »  Et  lors 
il  appela  monseigneur  Reuaut  de  Trie  et  li  dist  :  «  Je  vous 
rent  la  contée.  » 

En  non  de  Dieu  le  tout-puissant,  avons  ci-arière  escriptes 
partie  de  bones  paroles  et  de  bons  enseignemens  nostre  saint 
roy  Looys,  pour  ce  que  cil  qui  les  orront  les  truissent  *  les  unes 
après  les  autres;  que  dl  qui  les  orront  en  puissent  miex  faire 
leur  proGz  que  ce  que  elles  fussent  escriptes  entre  ces  faiz.  Et  ci 
après  commencerons  de  ses  faiz,  mnonde  Dieu  et  en  non  de  li. 

'  Léaulté  :  loyauté.  — •  *  Suppléez  :  I   nime.  —  *  Giamberlain  **  cbambellan. 
esaripvit,  —  *S$chamel  :  marchepied,  i  —  <  Commandée  .*  donnée  en  garde.  — 
None  dimee  toae  d'une  voix  nna.   1  ' Lises:  brisé,  — ^  Truissent  :  troavent. 


.,~  4 


*  n  faut  lire  :  de  Trie  {RegnauU),  La  comtesse  deBoalogne,  dont 
notre  auteur  parle  ici ,  était  Hatfiilde,  fille  unique  et  héritière  de  Renaud , 
oTHDte  de  Daramartin ,  et  d*Ide ,  comtesse  de  Boulogne. 

**  Saint  Louis  est  presque  toujours  désigné  seulement  par  cette  épithète 
dans  cet  ouvrage. 


tti  HISTOIAE 

Aussi  comme  je  ii  oy  dire,  il  lEu  né  le  jour  salut  Marc  eu- 
vangéliste  aj^eès  Pasgues*.  Gelijour  porte  l'en  '  croix  au  pror 
cessions  en  moult  de  liex  *,  et  en  France  les  appelle  Ten  les 
eroiz  noires  **  :  dont  œ  ta  aussi  comme  une  prophéde  de  la 
grant  foison  de  gens  qui  moururent  ^i  ce  douz  ^  croisement, 
c'est  à  savoir,  en  celi  de  Egypte,  et  en  l'autre  là  où  il  mourut 
en  Garthage  ;  que  maint  grant  deul  ^  en  fur^t  en  cest  monde, 
et  maintes  grans  joies  en  sonten  paradis,  de  oeulz  qui  en  ce 
douz  pèlerinage  moururent  vrais  croisiez. 

Il  fu  coronné  le  premier  dymanche  des  advens  *^*.  Le  com* 
mencement  de  celi  dymanche  de  la  messe  si  est  :  ^d  te  levavi 
animam  meam^  et  ce  qui  s'ensuit  après;  et  ainsi  :  Biaus  sire 
Diex,  je  leveray  m'amme  ^  à  toy,  je  me  fie  en  toy.  £u  Dieu 
ot  moult  grant  fiance  ^  jusques  à  la  mort  ;  car  là  où  il  mouroit, 
en  ses  darrenières  paroles  reclamoit-il  Dieu  et  ses  sains,  et  es- 
pédalment  monseigneur  saint  Jaque  et  madame  sainte  Gene- 
viève. 

'  Porte  l'en  .*  l'on  porte.  —  '  Liex  :  1  deall.  —  *   STamm 
Uens.  —  3  Dotui  :  doaUe.  —  *  Deul  t  I  <  Fiance  ;  oonfiance, 

*  Saint  Loais  naquit  le  2S  avril ,  fête  de  saint  llarc,  en  1315,  k  Poissy ,  oèi 
Ton  volt  encore,  dans  la  chapelle  dite  de  Saint-Louis  de  l'élise  paroissiale , 
un  grand  vase  de  pierre  de  taille  relevée  suc  une  haute  console,  que  l'on  dit 
être  les  fonts  baptismaux  où  saint  Louis  reçut  le  baptême. 

**  Le  jour  de  Saint-Marc  toutes  les  églises  étaient  tendues  en  noir,  et  Ton 
faisait  des  processions  en  mémoire  d'une  peste  qui  avait  désolé  Rome  du 
temps  du  pape  saint  Grégoire. 

***  Le  dimanche,  !«'  décembre  1226,  parl'évêqne  de  Soissons,  l'ar- 
chevêché de  Reims  étant  alors  vacant  Philippe  Mouskés  dit  qu'il  fut  sacré 
par  l'archevêque  de  Sens ,  et  décrit  fort  au  long  les  cérémonies  de  ce  sacre. 
Le  savant  du  Gange  dit  avoir  lu ,  dans  un  ancien  rouleau  de  la  chambre 
des  comptes  de  Paris,  un  état  du  menu  de  la  dépense  qui  se  fit  à  ce  cou- 
ronnement, état  intitulé  :  Sxpensapro  coronatione  regum,  en  ces  termes  : 
Despens  fais  pour  le  couronnement  du  saint  rois  Loyst  ou  mois  de  no- 
vembre 4226.  Pasn,  896  IL,-  pain  le  roy,  postés  et  les  façons,  58  IL;  vin, 
991  II.;  cuisine,  1356  /^  4  de».;  cire  et  fruit,  138  //.;  la  chambre  durotj, 
914  II.  10  s.;  despens  pour  la  royne,  320  IL;  pour  les  gaiges  et  livroisons 
(livrées)  de  l'osiel  le  roy^  et  pour  le  roy  d'oulre-mer,  400  II.  Somme  toute, 
4333  IL  14  5. 


—  ^   STamme  :  mon  ftme.  -* 


DE  SAINT  LOtJIS.  23 

Dieu  en  qui  il  mist  sa  fiance,  le  gardoit  touz  jours  dès  s'eu- 
fance  jusques  à  la  fin  ;  et  espédalement  en  s^enfance  le  garda- 
â  là  où  il  fù  bien  mestier  *,  si  comme  vous  orrez  ci-après. 
€k)mme  à  Tame  de  U  le  garda  Dieu  par  les  bons  enseignemens 
de  samère,  qui  renseigna  à  Dieu  croire  et  à  amer,  et  U  attrait  * 
entouT  li  toutes  gens  de  religion  ;  et  li  faisoit^  si  ei^ant  comme 
il  estoit,  toutes  ses  heures  et  les  sermons  faire  et  oîr  aus  festes. 
n  recordoit  que  sa  mère  li  avoit  fait  aucune  foiz  à  entendre 
que  elle  ameroit  miex  que  il  feustmort,  que  ce  que  il  feist  un 
péchié  mortel. 

Bien  li  f  u  mestier  que  il  eust  en  sa  joenesce  Taide  de  Dieu  ; 
car  sa  mère,  qui  estoit  venue  de  Espaîgne,  n'avoit  ne  parens 
ne  amis  en  tout  le  royaume  de  France.  Et  pour  ce  que  les  ba* 
rons  de  France  virent  le  roy  enfant  et  la  royne  sa  mère  femme 
estrange  3,  iirent-il  du  conte  de  Bouloingne,  qui  estoit  oncle  le 
roy,  leur  chievetain  4,  et  le  tenoient  aussi  comme  pour  sei- 
gneur. Après  ce  que  le  roy  fii  couronné,  il  eu  y  ot  des  barons 
qui  requistrent  à  la  royne  granz  terres  que  elle  leur  donnast  ^, 
et  pour  ce  que  elle  n'en  voult  riens  faire,  si  s'assemblèrent  touz 
les  barons  à  Gorbeil.  £t  me  conta  le  saint  roy  que  îl^ne  sa 
mère,  quiestoient  à  Montléhcri,  ne  osèrent  revenir  à  Paris,  jus- 
ques à  tant  7  que  ceulz  de  Paris  les  vindrent  querre  •  à  armes. 
Et  me  conta  que  dès  Montlehéri  estoit  le  chemin  plein  de  gens  à 
armes  et  sanz  armes  jusques  à  Paris,  et  que  touz  crioient  à 
Nostre-Seigneur  que  il  li  donnast  bone  vie  et  longue',  et  le 
deffendît  et  gaidast  de  ses  ennemis.  Et  Dieu  si  flst,  si  comme 
vous  orrez  d-après  *  » 


«  Metiier  .•;beioiB.  -.  >  Mirait  :  at- 
tira. —  *  Estrange  :  étrangère.  — 
*  Chievetain  :  capitaine.  —  *  H  y  eut 
dea  barons  qui  requirent  a  la  reiD« 


qu'elle  lenr  donnât  de  grandes  terres. 
— «  Il .  lui.  — '  Jusques  à  temt  :  Jnsqa'à 
ce.  —  *  Querre  :  cherclier* 


*  Depuis  Tan  1227  jusqu'en  f  253  les  grands  yassatii  dfepatèrent  à  la  reine 
le  gouvernement  du  royaume,  par  diverses  pratkpies  ex{)li<|aées  par  les  écri- 
vains du  temps.  Le  duc  de  Bretagne  Pierre,  surnommé  Mauelerc,  en  était  te 
principal  moteur.  Quant  au  comte  de  Boulogne^  quelques-ims  (Usent  que  la 
prudence  de  Blanche  sut  le  retenir  dans  le  devoir  ;  mais  Heyer  assure  qat 


24  HISTOIBB 

A  ce  parlement  que  les  barons  firent  à  Corbeil ,  si  oonfmc 
l'en  dit,  establirent  les  barons  qui  là  furent,  que  le  bon^die- 
valier  le  conte  Pierre  de  Bretaigne  se  reveleroit  >  contre  le  roy  ; 
et  acordèrent  encore  que  leur  cors  iroient  au  mandement 
que  le  roy  feroit  contre  le  conte,  et  chascunn'auroit  avec  li  que 
deux  chevaliers;  et  ce  firent-il  pour  veoir  sele  contede  Bretaigne 
pourroit  fouler  laroyne,  qui  estrange  *  femme  estoit,  si  comme 
TOUS  avez  oy  ;  et  moult  de  gent  dient  ^  que  le  conte  eust  foulé 
la  royne  et  le  roy,  se  Dieu  n'eust  aidié  au  roy  à  cel  besoing, 
qui  onques  ne  li  failli.  L'aide  que  Dieu  li  fist,  fu  tele,  que  le 
conte  Tybaut  de  Ghampaigne,  qui  puis  fu  roy  de  Navarre  \ 
vint  servir  le  roy  à  tout4troiz  cens  chevaliers^  et  par  Taide  que  le 
conte  fist  au  roy,  convint  venir  le  conte  de  Bretaigne  à  la  merci 
le  roy  :  dont  il  lessa  au  roy,  par  paix  faisant,  la  contée  de 
Ango  ^,  si  comme  Ten  dit,  et  la  contée  du  Perche. 

Pour  ce  que  il  afQert  ^  à  ramentevoir  7  aucunes  choses  que 
vous  orrez  ci-après^  me  convint  laissier  un  pou  de  ma  matière. 
Si  dirons  aussi  que  le  bon  cpnte  Henri  le  Large*  **  ot  de  la  çon- 

'  lîe  reveUroU  :  se  révolterait,  —    T  jon,  —  •  7i  affiert  :  Il  importe,  — 


3  Estrange  :  étrangère.  •—  '  Dimt  :  Ai* 
«ent. — *ji  tout  :  aree.  —    ^  jtngo  :  An* 


^  Ramentevoir  :  rappeler.  •—  *  Large  t 
généreux,  qni  fait  de«  largesses. 


ce  fut  plutôt  le  comte  de  Flandre  qui ,  se  Jetant  sur  ses  terres ,  les  rava- 
gea. Le  comte  de  Champagne  prit  part  au  mécontentement  général;  mais 
la  beauté  de  la  reine,  si  l'on  en  doit  croire  Mathieu  Paris  {Uist,  M(g., 
p.  23; ,  lui  fit  faire  des  aveux  dont  cette  sage  princesse  sut  bien  tirer  parU. 

*  Thibault  IV,  auteur  de  plusieurs  chansons  publiées  pour  la  première 
fois  en  4742,  en  2  vol.  in-8«,  par  Lévesque  de  la  Ravallière.  Cet  éditeur  ré- 
fute victorieusement  tous  les  historiens  qui  ont  parlé  de  l'amour  de  C0 
prince  pour  Blanche  de  CastiUe,  d'âpre  Blathieu  Paris ,  historien  anglais^ 
ennemi  déclaré  de  la  maison  de  Philippe- Auguste. 

**  Il  eut  de  Marie  de  France,  fille  atnée  de  Louis  le  Jeune  et  d*ÉIéonore 
d'Aquitaine,  une  fiUe  nommée  Marie,  femme  de  Baudouin,  comte  de  Flandre» 
premier  empereur  de  Constantinople,  et  deux  fils,  Henri,  et  Thibault,  qui 
s'empara  des  comtés  de  Brie  et  de  Champagne,  au  préjudice  de  Henri,  pen- 
dant qu'il  était  à  la  suite  de  Philippe  en  Palestine.  Henri,  ayant  épousé 
en  secondes  noces  Isabelle,  sœur  de  Baudouin  IV,  et  veuve  de  Conrad,  mar- 
ipiis  deMontferrat,eut  deux  filles,  Alix,  reine  de  Chypre,  et  Philippe, 
femme  d'Ayrard  de  Brienne ,  qui  réclama  au  roi  Philippe  les  droits  do 


B£  SAINT   LOUIS.  25 

tesoe  Marie,  qui  fu  seur  au  roy  de  France  et  seur  au  roy  Richart 
d'Angleterre»  deux  filz,  dont  Tainsné  >  ot  non  Henri  et  Tau- 
tre  Thybaut.  Ge  Henri  Tainsné  en  ala  croisié  en  la  sainte  terre 
en  pèlerinage,  quant  le  roy  Phelippe  et  le  roy  Richart  assiégèrent 
Acre  et  la  pristrent^  *.  Si  tost  comme  Acrefu  prise,  le  roy  Phe- 
lippe s*en  revint  en  France,  dont  il  en  fu  moult  blasmé  ;  et  le  roy 
Richart  demeura  en  la  sainte  terre  et  fist  tant  de  grans  faiz,  que 
les  Sarrazins  le  doutoient^  trop,  sicoimue  il  est  escript  ou  livre 
de  la  terre  sainte,  que  quant  les  enfans  aus  Sarrazins  brai- 
oient,  les  femmes  les  escrioient  et  leur  disoient  :  «  Taisiez-vous, 
vez-d  4  le  roy  Richart  **  ;  »  et  pour  eulz  faire  taire.  Et  quant  les 
ehevaus  aus  Sarrazins  et  aus  Béduins  avoient  poour^  d'un 
bysson^,  il  disoient  à  leur  ehevaus  :  «  Guides-tu  que  ce  soit 
le  roy  Richart?  » 

Ge  roy  Richart  pourchassa  tant  que  il  donna  au  conte  Henri 
de  Ghampaingne ,  qui  estoit  demeuré  avec  li ,  la  royne  de  Jé- 
rusalem ,  qui  estoit  droit  her?  du  royaume.  De  ladite  royne  ot 
le  conte  Henri  deux  filles,  dont  la  première  fu  royne  de  Gypre , 
et  l'autre  ot  mesure  Hérart  de  Brienne,  dont  grant  lignage  est 
issu ,  »  comme  il  appert^  en  France  et  en  Ghampaingne.  D^ 
la  femme  monseigneur  Hérart  de  Brienne  ne  vous  dirai-je 
ore9  riens  ;  ainçois  vous  parlerai  de  [la]  royne  de  Gypre ,  qui 
afIQert  maintenant  à  ma  matière,  et  dirons  ainsi. 

Après  ce  que  le  roy  eust  foulé  le  conte  Perron  de  Bretain- 
gne***,  tuit  li  baron  de  France  furent  si  troublez  envers  le 


*  Mnsné  :  aine.  —  '  Prisirent  :  pri-  \  —*  Bysêon  :  baiMoa.  —  ^  Her  :  béri» 
rent.  —  '  Dovfoient  .*  redontaleot.  —  I  tière.--*/{apper<:U parait. — ^Ore: 
*  f^es^'Ci  :  voici.  •—  ^  Poour  :  peur,  i  maintenante 


son  épouse.  Philippe  le  condanma^sur  ceque,  d'après  le  jugement  des 
pairs»  Henri,  partant  pour  la  terre  sainte,  totam  terram  8uam  dimisii  et 
dédit  fratri  suo  Theobaldo,  guondam  comiii  Trecensi,  si  ipsum  comilem 
Henricum  de  trarusmarinis  partibus  contingeret  non  redire, 

*  Cette  Yflle  fut  prise  en  H91. 

**'  Tous  les  historiens  anglais  qui  ont  parlé  des  hauts  faits  de  Richard  en 
Palestine,  ont  omis  cette  circonstance  rapportée  par  Joinville. 

***  Pierre  de  Bretagne,  prince  d'un  grand  courage»  mais  d'un  esprit  tur- 

3 


26  HISTOIRE 

conte  Tybaut  de  Ghampaingne,  que  il  orent  conseil  de  envoler 
querre  la  royne  de  Cypre ,  qui  estoit  fille  de  Tainsné  filz  de 
Ghampaingne ,  pour  déshériter  le  conte  Tybaut,  qui  estoit  filz 
du  secont  fil  *  de  Ghampaingne.  Aucun  d'eulz  s'entremistrmt 
d'apaider  le  conte  Perron  audit  conte  Tybaut,  et  fu  la  chose 
pourparlée  en  tele  manière,  que  le  eonte  Tybaut  promist  que 
il  prenroit  à  femme  la  fille  le  conte  Perron  de  Bretaingne.  Là 
joumé  fu  prise  que  le  conte  de  Ghampaingne  dut  la  demoi* 
selle  espouser,  et  li  dut-en  amener,  pour  espouser,  à  une  abbaie 
de  Premoustré,  qui  est  delez  GhasteNThierri,  que  en  appelle 
Val-Secré ,  si  comme  j'entent.  Les  barons  de  France ,  qui  es- 
toient  auques  *  touz  parens  le  conte  Perron ,  se  pénèrent  de 
faire  amener  ladamoiselle  à  Val-Secré  pour  espouser,  et  man- 
dèrent le  conte  de  Ghampaingne  qui  estoit  à  Ghastel-Thierri ,  et 
en  dementières^  que  le  conte  de  Ghampaigne  venoit  pour  es- 
pouser, monsei^cur  Geffroy  de  la  Ghapelle*  vint  à  li  de  par 
le  roy,  à  tout  <  une  lettre  de  créance ,  et  dit  ainsinc  ^  :  «  Sire 
conte  de  Ghampaingne,  le  roy  a  entendu  que  vous  avez  con- 
venances au  conte  Perron  de  Bretaingne  que  vous  prenrez 
sa  fille  par  mariage.  Si  vous  mande  le  roy  que  se  vous  ne 
voulez  perdre  quanque^  vous  avez  ou 7  royaume  de  France, 
que  vous  ne  le  faites;  car  vous  savez  que  le  conte  de  Bre- 
taingne a  pis  fait  au  roi  que  nul  bome  qui  vive.  »  Le  conte 
de  Ghampaingne,  par  le  conseil  que  il  avoit  avec  li ,  s'en  re- 
tourna à  Ghastel-Thierri. 

Quant  le  conte  Pitres  et  les  barons  de  France  oïrent  ce , 
qui  Tattendoient  à  Yal-Secré ,  ils  furent  tous  aussi  comme  àes^ 
vez ^  du  despit  de  ce  que  il  leur  avôit  fait,  et  maintenant  en- 
voièrent  guerre  la  royne  de  Cypre;  et  si  tost  conune  die  fu 


I 


Fil  :  fils .  ' —  *  Âuques  :  presque 


tout  ce  que.  —  ^  Ou  :  an,  dans  le.  — 
^  Desvez  :  fAcbés ,  endêvés. 


3  En  dementières  :  pendant.  —  *  ji  tout  : 
a^ec. — *  Mnsine  :  ainsi.  —  ®  Quanque  : 

bulent,  ne  cessa  d*inquiéter  la  reine  tant  qu'il  fut  soudoyé  par  VAnglctcrre. 
(  Matthieu  Paris.  ) 
*  11  est  qualifié  pannetter  de  France  dans  un  titre  de  Tan  1240. 


DE  SAINT  LOUIS.  27 

venue,  ils pristrent  un  commun  acortqui  fia  tel,  que  il  raande- 
roient  ce  que  il  pourroient  avoir  de  gent  à  armes ,  et  enter- 
roient  en  Brie  et  en  Cbampaingne  par  devers  France  '  ;  et  que 
le  duc  de  Bourgoingne,  qui  avoit  la  tille  au  conte  Robert  de 
Dreues  *,  ranterroiten  la  conté  de  Cbampaingne  par  devers 
Bourgoingne ,  pour  la  cité  de  Troies  prenre,  se  il  pooient.  Le 
duc  manda  quant  que  il  pot  avoir  de  gent;  les  barons  mandè- 
rent aussi  ce  que  il  en  porent  avoir.  Les  barons  vindrent  ar- 
dant^  et  destruiant  d'une  part,  le  duc  de  Bourgoigne  d'autre; 
et  le  roy  de  France  d'autre  part ,  pour  venir  combatre  à  eulz. 
Le  descort4  fu  tel  au  conte  de  Cbampaingne  que  il-meismes 
ardoit  ses  villes,  devant  5  la  venue  des  barons,  pour  ce  que  il  ne  »^ 
les  trouvassent  garnies.  Avec  les  autres  villes  que  le  conte  de 
Cbampaingne  ardoit,  ardi-il  Espargnay  et  Yertuzet  Sezeime  ^. 

Ces  bourgois  de  Troîes ,  quant  il  virent  que  il  avoient  per- 
du le  secours  de  leur  seigneur,  il  mandèrent  à  Symon  seigneur 
de  Joingville^  le  père  au  seigneur  de  Joinville  qui  ore  est, 
qui  les  v^st  secourre?.  £t/^  qui  avoit  mandé  toute  sa  gent 
à  armes,  mut  de  Joingvilleà  i'anuitier^^  si  toét  comme  ces 
nouvelles  li  vindrent,  et  vint  à  Troîes,  ainçois»  que  il  feust 
jour,  et  par  ce  faillirent  les  barons  à  leuresmc  «**,  que  il  avoient 
de  prendre  ladite  cité  ;  et ,  pour  ce ,  les  barons  passèrent  par 
devant  Troies  et  se  alèrent  logier  en  la  praeriedeiés  "  là  où  le 
duc  de  Bourgoingne  estoit. 

Le  roy  de  France  qui  sot  «»  que  il  estoîent  là ,  ils'adreça  tout 
droit  là  pour  combattre  à  eulz  ;  et  les  barons  li  mandèrent  et 
prièrent  que  il  son  cors  se  vousist  traire  arières  '3,  et  il  se 
iroient  combatre  au  conte  de  Cbampaingne  et  au  duc  de  Lor- 
reinne* ,  et  à  tout  le  remenant  '4  de  sa  gent,  à  trois  cens  cbeva- 


•  France  :  l'Ile  de  France.  — 
»  Drews  :  Dreux.  —  3  Ardant  :  brû- 
lant.—  <  Dtteort  :  contrariété.  —  */?«. 
vant  :  avant.  —  «^  11  brûla  Épernai , 
Vertus  et  Sézanne.  —  "  Secourre  :  se- 

*  Mathieu  II*'  du  nom. 


courir.  '—  *  Se  mit  en  moovemeat  ù  la 
tombée  delà  nuit,—- ^Mnçois  :  avant. 
—  10  £stne  :  dessein.  —  "  Delés  :  près 
de.—  "Sot  :  sut.—  ^^  Qu'il  voulût  se  re- 
tirer en  arrière. —  ^^ Uemenant  :  reste. 


38 


HISTOIBE 


iiers  de  moins  que  le  conte  n'aqroît,  ne  le  duc.  £t  leroy  leur 
manda  que  à  sa  gént  ne  se  combatroient-il  jà  '^  que  son  cors  ne 
feust  avec.  Et  il  revindrent  à  li  et  li  mandèrent  que  il  feroient 
volentiers  entendre  la  royne  de  Cypre  à  paiz,  se  il  li  plaîsoit.  £t 
le  roy  leur  manda  que  à  nulle  paiz  iln'entendroit,  ne  ne  souf- 
ferroit  que  le  conte  de  Champaingne  y  entendit ,  tant  que  il 
eussent  widié  la  contée  de  Ghampaigne«  £t  il  la  widièrent  en 
tel  manière  que  dès  Yiles  là  où  il  estoient,  il  alèrent  logier 
dessous  Juylli  ;  et  le  roy  se  loja  à  YUes,  dont  il  les  avoit  cha- 
dés.  Et  quant  il  seur^t  que  le  roy  iu  aie  là ,  il  s'alèrent  lo- 
gier à  Chaorse ,  et  n'osèrent  le  roy  attendre ,  et  s*alèrent  logier 
à  Laingnes  * ,  qui  estoit  au  conte  de  Nevers,  qui  estoit  de  leur 
partie.  Et  ainsi  le  roy  acordale  conte  [de]  Champaingne  à  la 
royne  de  Cypre ,  et  fu  la  paiz  faite  en  tel  manière ,  que  ledit 
conte  de  Champaingne  donna  à  la  royne  de  Cypre  entour  deux 
mille  liYrées  de  terre  ^ ,  et  quarante  mille  livres  que  le  roy  paia 
pour  le  conte  de  Cliampaigne.  Et  le  conte  de  Champaigne 
vendi  au  roi,  parmi  les  quarante  mille  livres,  les  fiez 4  ci-après 
nommés  :  c'est  à  savoir,  le  fié  de  la  conté  de  Bloiz ,  le  fié  de  la 
contée  de  Chartres ,  le  fié  de  la  contée  de  Sanserre ,  le  fié  de  la 
vicontée  de  Chasteidun.  Et  aucunes  gens  si  disoient  que  le  roy 
ne  tenoit  ces  devant  diz  fiez  que  en  gaje;  mes  ce  n'est  mie 
voir  ^,  car  je  le  demandai  nostre  saint  roy  Looys  outre-mer. 

La  terre  que  le  conte  Tybaut  donna  à  la  royne  de  Cypre, 
tint  le  conte  de  Brienne*  qui  ore  est,  et  le  conte  de  Joigny^ 
pour  ce  que  Vaïole  le  conte  de  Brîenne  fîi  fille  à  la  royne  de 
Cypre,  et  femme  le  grant  conte  Gautier  de  Brienne. 

Pour  ce  que  vous  sachiez  dont  ces  fiez  que  le  sire  de  Cham- 


'  Jà  :  pas,  jamais.  •—  '  Laingnes  : 
Langres.  »  '  EnTiron  deux  mille  li- 
vres de  rentes  en  fonds  de  terres,  — 


*  Fié  :  fief.  —  ^  Mais  «e  n'est  pas 
vrai. 


*  GauUer  IV,  fils  de  Hugnes ,  comte  de  Brienne ,  et  petit-fils  du  comte 
Gantier  m;  il  avait  épousé  Marie ,  fiile  de  Hugues  deLusignan,  roi  de 
Chypre»  et  d'Alix ,  fille  de  Henri,  comte  de  CbamQ.agQe,  et  d'Isabelle,  reine 
de  Jérusalem. 


DB  SAINT  LOUIS.  29 

paingne  veodi  au  roy,  vindr^t,  vous  foiz-je  à  savoir  que  le  grant 
conte  'lybaut  qui  gist  à  Laingny  > ,  ot  trois  filz  :  le  premier 
ot  non  Henri ,  le  secont  ot  non  Tybaut ,  le  tiers  ot  non  Ës- 
tienne.  Ce  Henri  desus  dit  fùst  conte  de  Champaingne  et  de 
Brie ,  et  fîi.  appelle  le  conte  Henri  le  Large  *  ;  et  dut  bien  ainsi 
estre  appelé ,  car  il  fu  large  à  Dieu  et  au  siècle  ;  large  à  Pieu , 
si  comme  il  appiert  à  l'esglise  Saint-Ëstienne  de  Troies  et  aus 
autres  églises  que  il  fonda  en  Champaingne  ;  large  au  siècle , 
si  comme  il  apparut  ou  fait  de  Ertaut  de  Nongait  **  et  en  moult 
d'autres  liex  que  je  vous  conteroie  bien,  se  je  ne  doutoie  à 
enpeeschier  ma  matière.  Ertaut  de  Nogent  fu  lé  bourgoîs  du 
monde  que  le  conte  créoit  *  plus ,  et  fu  si  riche  que  il  fist  le 
chastel  de  Nogent-rErtaut  de  ses  deniers.  Or  avint  chose  que 
le  conte  Henri  descendi  de  ses  sales  de  Troies  pour  aler  ot 
messe  à  Saint-'Estienne ,  le  jour  d*une  Penthecouste;  aus  piez 
des  degrez  s'agenoilla  un  povre  dievalier,  et  li  dit  ainsi  : 
«  Sire ,  je  vous  pri  pour  ÏHSu  que  vous  me  donnés  du  vostre, 
par  quoyje  puisse  marier  mes  deux  fâles,  que  vous  veez  cK  »  Er- 
taut,  qui  aloit  darière  li,  dîst  au  povre  chevalier  :  «  Sire  che- 
valier, vous  ne  faites  pas  que  courtois,  de  demander  à  mon- 
seigneur ;  car  il  a  tan  donné  que  il  n'a  mez^  que  donner.  » 
Le  large  Conte  se  tourna  divers  Ertaut,  et  11  dist  :  «  Sire  vi- 
lain ,  vous  ne  dites  mie  voir,  de  ce  que  vous  dites  que  je  n'ai 
mez  que  donner;  si  ai  vous-meismes.  Et  tenez,  sire  chevalier, 
car  je  le  vous  donne ,  et  si  le  vous  garantirai.  »  Le  chevalier 
ne  fu  pas  esbahi,  ainçois  le  prist  par  la  chape,  et  li  dist  que 
il  ne  le  lairoit  jusques  à  tant  que  il  auroit  fine  à  U4;  et  avant 
que  il  li  eschapast ,  ot  Ertaut  fine  à  li  de  cinq  cens  livres. 

I  Laingny  :  Lagny.  -~  '  Oréolt  .*  i  ce  qail  eàt  financé  a?ec  lai. 
eroyait.  —  ^Mes  :  plas.  —  *  Jusqu'à  | 

*  Albéric  des  Trois  Fontaines  en  fait  on  grand  éloge,  fl  fonda  l'église  de 
Saint-Etienne,  à  Troyes,  où  il  fat  inhumé ,  ainsi  que  ses  successeurs. 

**  U  est  parlé  de  cet  Artault ,  seigneur  de  Nogent,  et  de  sa  femme  Ho- 
dierne,  dans  un  Utre  de  Tan  il 82,  qui  se  trouve  dans  le  cartulairc  de  Saint- 
Germain  des  Prés.  3. 


30  HISTOIB£ 

Le  seoont  frère  le  conte  Heari  ot  non  Thibaut  et  fu  conte 
de  Blois;  le  tiers  frère  ot  non  Estienne  et  fu  conte  de  San- 
oerre.  £t  ces  deux  frères  tindrent  du  conte  Henri  touz  leurs  héri- 
tages elleur  deux  contéez  et  leur  apartenances;  et  les  tindrent 
^urès  des  hoirs  le  conte  Henri  ^i  tindrent  Champaingne,  jusques 
alors  que  leroy  Tybaut  les  vendi  au  roy  de  France,  aussi  conuue 
il  est  devant  dit. 

£t  rerenroQS  à  nostre  matière  et  disons  ainsi ,  que  après  ces 
choses  tint  !e  roy  ime  grant  court  à  Saumur  en  Anjo  >*,  et  là 
fU-je ,  et  vous  tesmoing'  que  ce  fu  la  mîex  arée  quç  je  veisse 
Qiiques;  car  à  la  table  le  roy  manjoit,  emprès  11 ,  le  conte  de 
Poitiers  **^  que  il  avi^t  fait  chevalier  nouvel  à  une  Saint-Jehan  ; 
et  après  le  conte  do  Poitiers,  maagoit  ie  conte  Jehan  de 
Dreuez  ***  que  il  avoit  fait  chevalier  nouvel  aussi  ;  après  le  conte 
de  Dreuez,  mangoit  le  conte  de  la  Marche  ****  ;  après  le  conte 
delà  Marche,  le  bon  conte  Pierre  de  Bretaîgne ;  et  devant  Iq 
table  le  roy,  endroit  le  conte  de  Dlheùez,  mangoit  monseigneur 
le  roy  de  Navarre,  en  cote  et  en  mantel  de  samit  3 ,  bien  paré 

'  ^njo  :  Anjon.  —  '  Tesmotng  :  tknoigne.  —  >  SamU  S  espèce  de  taUs. 

*  Outre  les  assemblées  générales  ({ne  nos  vois  convoqutieBt  tons  les  ans 
ponr  les  affaires  publiques,  au  mois  de  mars  ou  de  mai.  Us  en  faisaient  encore 
d'autres  aux  principales  fêtes  de  l'année,  où  ils  se  faisaient  voir  avec  une 
pompe  digne  de  la  majesté  royale.  Telle  fut  l'assemblée  qui  se  tint  à  Saumur 
fan  1241 ,  où,  au  rapport  du  sire  de  Joinville,  saint  Louis,  d'ordinaire  modeste 
dans  ses  hsdiits,  fut  vêtu  superbement  ;  et  quoique  le  bon  sénéchal  ne  dise 
pas  qu'U  y  parut  la  couronne  sur  la  tête ,  cela  est  à  présumer.  Guillaume 
de  Nangis  parie  aussi  de  la  magnificence  de  cette  cour.  C'est  à  cause  de  la 
couronne  que  les  rois  portaient  sur  la  tête,  que  ces  cours  solennelles  sont 
appelées  euriœ  ccronata  dans  le  titre  de  la  coramnne  qui  fut  accordé  à  la 
ville  de  Laon  par  le  roi  Louis  le  Jeune,  en  1138.  Ces  fêtes  se  passaient  en 
festins  publics ,  en  jeux  et  en  tournois  ;  les  princes  y  montraient  leur  li- 
béralité par  les  présents  qu'ils  faisaient  à  leurs  principaux  officiera. 

**  Alphonse,  frère  de  saint  Louis,  qui  avait  été  fait  chevalier  par  le  roi, 
è  Saumur,  à  la  fête  de  la  Nativité  de  saint  Jean-Baptiste,  en  1247,  lorsqu'il 
lui  donna  les  comtés  de  Poitou,  d'Auvergne  et  d'Aibi. 

"**  Le  premier  du  nom,  fils  de  Robert  lll,  comte  de  Dreux,  et  d'Alicnor 
de  Saint-Valery. 

****  Hugues  X  ,  dit  le  Brun,  comte  de  la  Marche  et  d'Angoulênic. 


DE  SAINT   L01J1&. 


31 


de  courroie,  de  fermail  '  et  de  chapel  d'or  ;  et  Je  tranchoie  ^  de- 
vant H.  Devant  le  roy,  servoit  du  mangierle  conte  d'Artoiz  * 
son  frère;  devant  le  roy,  tranchoit  ducoutel  le  bon  conte  Jehan 
de  Sôissons.  Pour  la  table  garder,  estoit  monseigneur  Ymbert 
de  Biaugeu  ** ,  qui  pins  fu  connestable  de  France ,  et  mon- 
seigneur Engerran  de  Coucy  ***  et  monseigneur  Herchanbaut 
de  Bourbon  ****.  Darière  ces  troiz  barons  avoit  bien  trente  de 
leur  chevaliers,  en  cottes  de  drap  de  soie ,  pour  eulz  garder  ;  et 
darières  ces  chevaliers  avoit  grant  plenté  de  sergans  vestus  des 
armes  au  conte  de  Poitiers,  batues  sur  cendal  ^,  Le  roy  avoit 
vestu  une  cote  de  samit  ynde  ^ ,  et  seurcot  et  mantel  de  samit 
vermeil  fourré  d'hermines ,  et  un  cbapel  de  coton  en  sa  teste , 
qui  moult  mal  li  séoitpour  ce  que  il  estoit  lors  joenne  homme.- 
Le  roy  tint  celé  feste  es  haies  de  Saumur  ;  et  disoit  l'en  que  le 
grant  roy  Henri  d'Angleterre  les  avoit  faites  pour  ses  grans 
festes  tenir.  Et  les  haies  sont  faites  à  la  guise  des  cloistres  de  ces 
moinnes  blans  *****  ;  mes  je  croi  que  de  trop  il  n'en  soit  nul  si 
grant.  Et  vous  dirai  pourquoy  ilie  me  semble  ;  car  à  la  paroy 
du  cloistre  ******  où  le  roy  mangoit,  qui  estoit  environné  de 
chevaliers  et  de  serjans  qui  tenoient  grant  espace,  mangoient  à 
une  table  trente,  que  évesques  que  arcevesques  5,  et  encore  après 
les  évesques  et  les  arcevesques  mangoit  encoste  *  celé  table  là 
royne Blanche,  sa  mère,  au  chief  7  du  cloistre,  de  celle  part  ; 
là  où  le  roy  ne  mangoit  pas.  Et  si  servoit  à  la  royne  le  conte 


*  Fermail  :  agrafe.  —  '  Dranehoie  : 
découpai^  les  viandes.  — >  ^  Brodées 
•ar  taffetas.   —  *  Ynde  :  bleu.  — 


&  Tant  évèqnes  qu'archevêques.  — 
«  Bncosie  :  à  côté  de.  —  "'Chief  :  tête, 
haut  bout. 


*  Robert ,  frère  du  roi. 

**  Imbert  de  Beaujeu,  seigneur  de  Montpensier  et  d'Aigueperse ,  fils 
de  Guichard  de  Beaujeu  et  de  Catherine  de  Glerniont. 

•**  Enguerrand  IV,  fils  aîné  d'Enguerrand  lU ,  et  frère  et  successeur  de 
Raoul  II,  qui  pérU  avec  le  cotnte  d'Artois  à  Mansoiirah. 

**«*  ]^Y«  du  nom,  tils  d'Ardiambaud  VUI,  sire  de  Bourbon,  de  la  maison 
de  Dampierre.  Il  mourut  en  Chypre. 

*****  Religieux  de  Tordre  de  Citeaux  et  de  Saint-Benoît. 

•«•***  Le  sire  de  Johivillc  donne  ici  le  nom  de  cloître  aux  halles  de  Saumur. 


33  HISTOIBB 

de  Bouloingne,  qui  puis  fu  roy  de  Portiogal  * ,  ^t  le  bon  conte 
de  Saint-Pol,  et  un  Alemant  de  Taige  de  dix-huit  ans,  q[ue  en 
disoitque  il  avoit  esté  filz  saint  Hélizabeth  de  Thurînge;  dont 
l'en  disoit  que  la  royne  Blanche  le  besoit  ou  front  par  devodon, 
pour  ce  que  ele  entendoit  que  sa  mère  11  avoit  maintes  foiz 
besié.  '  ^ 

Au  chief  du  doistre  d'autre  part  estoient  les  cuisines ,  les  bou- 
teilleries ,  les  paneteries  et  les  despenses;  de  celi  cloistre  ser- 
voient  devant  le  roy  et  devant  la  royne  ^  de  char  * ,  de  vin  et  de 
pain.  Et  en  toutes  les  autres  dez  et  eu  prael  d'en  milieu  man- 
goient  de  chevaliers  si  grant  foison ,  que  je  ne  scé  le  nombre  ; 
et  dient  moult  de  gent  que  il  n'avoient  onques  veu  autant  de 
seurcoz  ne  d'autres  gamemens^  de  drap  d'or  à  une  feste, 
eonmie  il  ot  là  ;  et  dient  que  il  y  ot  bien  trois  mille  chevaliers. 

Après  celle  feste  mena  le  roy  le  conte  de  Poytiers  à  Poitiers^ 
pour  reprenre  ses  fiez.  Et  quant  le  roy  vint  à  Poytiers  >  ilvou- 
sist  bien  estre  arières  à  Paris;  car  il  trouva  que  le  conte  de  la 
Marche,  qui  ot  mangié  à  sa  table  le  jour  de  la  Saint- Jehan  ^  ot 
assemblé  tant  de  gent  à  armes  ilec  Joignant  4  delès  Poitiers.  A 
Poitiers  fu  le  roy  près  de  quinzeinne,  que  onques  ne  s'osa  par« 
tir  tant  que  il  fu  acordé  au  conte  de  la  Marche.  Je  ne  scé  com- 
ment, pluseurs  foiz ,  vi  venir  le  conte  de  la  Marche  parler  au 
roy  à  Poitiers  delès  Joingnant,  et  touz  jours  amenoit  avec  li  la 
royne  d'Angleterre  sa  femme,  qui  estoit  mère  au  roy  d'An- 
gleterre. Et  disoient  moult  de  gent  que  le  roy  et  le  conte  de 
Poitiers  avoient  fait  mauvese  paiz  au  conte  de  la  Marche. 

Après  ce  que  le  roy  fu  revenu  de  Poitiers,  ne  tarja  ^  pas  gran- 
dement après  ce ,  que  le  roy  d'Angleterre  vint  en  Gascoingne 
pour  guerroier  le  roy  de  France.  Nostre  saint  roy ,  à  quauque 
il  pot  avoir  de  gent ,  chevaucha  pour  combatre  à  li.  Là  vint  le 
roy  d'Angleterre  et  le  conte  de  la  Marche ,  pour  combatre 
devant  un  chastel  que  en  appelle  Taillebourc,  qui  siet  ^  sus  une 

*  Portingal  :  Portugal.  —  *  Char  :  1  *  Joignant  :  Lusignao.  —  &  Tctrja  : 
chair.  —  '  Camemen*  :  costumes.  —  1  tarda.  -—^Siet  :  est  situ^. 


DB   SAINT  LOUIS.  33^ 

maie  rrvière  que  Ten  appelle  Tarente* ,  là  où  éh  ne  peut  passer 
que  à  un  pont  de  pierre  moult  estroit.  Si  tost  comme  le  roy 
^înt  à  Taillebourc ,  et  les  hoz  virent  Tun  l'autre  * ,  nostre  gent 
qui  avoient  le  chastel devers  eulz ,  se.esforcièrent  à  grantmes- 
cfaief ,  et  passèrent  périlleusement  par  nez^  et  par  pons,  et 
coururent  sur  les  Anglois,  et  commença  le  poingnayz^  fort  et 
grant.  Quant  le  roy  vit  ce,  il  se  mist  ou  péril  avec  les  autres  ; 
car  pour  un  honmie  que  le  roy  avoit  quant  il  fu  passé  devers 
les  Anglois,  les  Anglois  en  avoient  mil.  Toutevoiz  ^  avint-il,  si 
comme  Dieu  voult ,  que  quant  les  Anglois  virent  le  roy  passer, 
ils  se  desconfirent  et  mistrent  dedens  la  cité  de  Saintes ,  et  plu- 
seurs  de  nos  gens  entrèrent  en  la  cité  mêliez ,  et  furent  pris. 

Ceulz  de  nostre  gent  qui  furent  pris  à  Saintes,  recordèrent  ^ 
que  il  oîrent  un  grant  descort  naistre  entre  le  roy  d'Angleterre 
et  le  conte  de  la  Marche  ;  et  disoit  le  roy  que  le  conte  de  la 
Marche  Tavoit  envoie  querre,  car  il  disoit  que  il  trouverroit 
grant  aide  en  France.  Celi  soir  meismes  le  roy  d'Angleterre 
meust  de  Saintes  7  et  s'en  ala  en  Gascoingne. 

Le  conte  de  la  Marche ,  comme  celi  qui  ne  le  pot  amender  ^, 
s^en  vint  en  la  prison  le  roy ,  et  li  amena  en  sa  prison  sa  femme 
et  ses  enfans,  dont  le  roy  ot,  par  la  pez  fesant,  grant  coup 
de  la  terre  le  conte;  mez  je  ne  scé  pas  combien,  car  je  ne  fu 
pas  à  celi  fait,  car  je  n'avoie  onques  lors  hauberc  9  *  vestu  ;  mez 
J'oy  dire  que,  avec  la  terre ,  le  roys  emporta  dix  mille  livres  de 
parisis  que  il  avoit  en  ses  cofres,  et  chascun  an  autant. 

Quant  nous  fumes  à  Poitiers  >  je  vî  un  chevalier  qui  avot 
non  monseigneur  Gyeffroy  de  Rançon  ;  que  pour  un  grant  ou- 
trage que  le  conte  de  la  Marche  li  avoit  fait,  si  comme  l'en 
disoit,  et  avoit  juré  sur  sains  '**  que  il  ne  seroit  jamez  roingné 


'  Tarente  :  Charente.  —  '  Les  armées 
êe  Tirent  l'ane  l'antre.  —  3  pfg^  .  ntia, 
bateau.  —  *  Poingncttf»;  combat.  — 
&  Tomtevoiz  :  toutefois.  —  *  Aecords* 


rent  :  racontèrent.  —  ?  Meust  :  partit. 
—  '  Qai  ne  put  réparer  la  perte  qu'il 
Tenait  de  faire.  —  *  Haubero  :  cotte^ 
d'armeau  —  '^  Saint  :  reliques. 


*  Gomme  cette  partie  d'annare  était  réservée  aux  chevaliers ,  le  sire  de 
JoinviUe  dit  ici  qu'il  ne  jouissait  pas  encore  de  cette  dignité. 


/    >' 


;.»■' 


f 


/ 


34  HISTOIBE 

en  guise  de  chevalier  ' ,  mes  porteroit  grève  ^ ,  aussi  comme 
les  fecmnes  fesoient ,  jusques  à  tant  que  il  se  verroit  vengié  du 
conte  de  la  Marche ,  ou  par  lui  ou  par  autrui.  Et  quant  mon- 
seigneur Gef&oy  vit  le  conte  de  la  Marche,  sa  femme  et  ses 
enfans ,  agenoillez  devant  le  roy ,  qui  li  crioient  merci ,  il  fist 
aporter  un  tretel  ^  et  fist  oster  sa  grève,  et  se  fist  roîngner  en 
la  présence  du  roy ,  du  conte  de  la  Marche  et  de  ceulz  qui  là 
estoient.  £t  en  cel  ost  contre  le  roj^  d'Angleterre  et  contre  les 
barons ,  le  roy  en  donna  de  grans  dons  y  si  comme  je  Toy  dire 
à  ceulz  qui  en  vindrent.  JVe  pour  dons  ne  pour  despens  que 
l'en  feist  en  cel  host,  ne  autres  de  sa  mer  ne  de  là ,  le  roy  ne 
requist  ne  ne  prist  onques  aide  des  siens  barons ,  n'a  ses  che- 
valiers, n'a  ses  hommes,  ne  à  ses  bones  villes,  dont  en  ce 
plainsist  4,  Et  ce  n'estoit  pas  de  merveille;  car  ce  fesoit-il  par 
le  conseil  de  la  bone  mère  qui  estoit  avec  li,  de  qui  conseil  il 
ouvroit,  et  des  preudeshomes  qui  li  estoit  demauré  du  tens 
son  père  et  du  temps  son  ayoul. 

Après  ces  choses  desus  dites  avint ,  ainsi  comme  Dieu  voult , 
que  une  grant  maladie  *  prist  le  roy  à  Paris,  dont  il  fu  à  tel 
meschief ,  si  comme  il  le  disoit,  que  Tune  des  dames  qui  le 
gardoit,  livouloit  traire  ^  le  4j:ap  suâ  le  visage,  et  disoit  que  il 
estoit  mort.  Et  une  autre  dame  qui  estoit  à  l'autre  part  du  lit , 

^  Qu'il  ne  se  fferolt  jamais  couper  1  f«j  ;  paire  de  ciseaux.  -~  *  Dontn>A  se 
les  cbeveux  comme  les  chevaliers.  —   1  plaignit,  —  *  Traire  :  tirer,  ^ 

^  Grive  :  ehevelure  longue.  -—  3  rr«-  1 

*  Mathieu  de  Westminster  dit  que  cette  maladie  snrrint  au  roi  par  excès 
des  fatigues  qu'il  avait  essuyées  à  poursuivre  le  roi  d'Angleterre,  au  point 
qu'étant  demeuré  pour  mort,  la  reine  Blanche  ne  perdit  point  courage ,  fit 
apporter  la  croix,  la  lance  et  la  couronne  qui  avaient  été  rachetées  peu 
d'années  auparavant  par  le  roi,  et  exanimif  tmo,  ut  asseritttr,  exanimato 
corpori  applicari  jussit ,  et,  suspirans ^ cum  HngvlHbus  sermonem  pro' 
rumpentibuSf  ait:  Non  nobiêy  domine  Christe,sednomini  tuo  da  gloriam  ; 
salva  hodte  regnum  Pranciœ ,  et  coronam  quam  hactenus  gratta  tua 
sustinuisii;  monstra  virtutem  tiiorum  insignium,  gua  in  terra  post  te  re* 
liquistif  in  magno  judich  apparituray  in  quibus  confidenier  gloriamw. 
À  ces  paroles,  le  roi  commence  à  respirer,  et ,  ayant  recouvré  la  voix ,  de- 
mande la  croix ,  et  fait  son  vœu. 


DB  SAINT   LOUIS. 


35 


ne  li  souffri  mie  ;  ainçois  disoit  que  il  avoit  encore  l'ame  ou 
cors.  Comment  que  il  oïst  le  descort  ■  de  ces  deux  dames,  Pîos- 
tre-Seigneur  ouvra  >  en  li  et  li  envoia  santé  tantost ,  car  il  es- 
toit  esmuyz  et  ne  povoit  parler.  Il  requist  que  en  li  donnast 
la  croix,  et  si  fist^on.  Lors  la  royne  sa  mère  oy  dire  que  la  pa- 
role li  estoit  revenue ,  et  elle  en  fist  si  grant  joie  comme  elle 
pot  plus.  £t  quant  elle  sot  que  il  fu  croisié,  ainsi  comme  il- 
meismes  le  contoit,  elle  meA  aussi  grant  deul  comme  se  elle 
le  veist  mort 

Après  ce  que  il  fii  croisié ,  se  croisièrent  Robert  le  conte 
d'Artois ,  Auphons  '  conte  de  Poitiers ,  Charles  conte  d'Anjou, 
qui  puis  fu  roy  de  Cezile  4 ,  touz  troiz  frères  le  roy  ;  et  se 
croisa  Hugue  duc  de  Bourgoingne ,  Guillaume  conte  de  Flan- 
dres ,  frère  le  conte  Guion  ^  de  Flandres ,  nouvellement  mort  ; 
le  bon  Hue  conte  de  Saint-Pol ,  monseigneur  Gauchier  son 
neveu,  qui  moult  bien  se  maintint  outre-mer  et  moult  eust 
valu  ,  se  il  eust  vescu.  Si  i  furent  le  conte  de  la  Marche  et 
monseigneur  Hugue  le  Brun  son  filz  \  le  cpnte  de  Salebruche  ; 
monseigneur  Gobert  d'Apremont  son  frère ,  en  qui  compain- 
gnie,  je,  Jehan  seigneur  de  Joinville,  passâmes  la  mer  en  une 
nef  que  nous  louâmes,  pour  ce  que  nous  estions  cousins;  et 
passâmes  de  là  à  tout  vint  chevaliers;  dont  il  estoit  li  disiesme 
et  je  moy  disiesme. 

A  Pasques ,  en  l'an  de  grâce  qui  le  milliaire  couroit  par  mil 
deux  cenz  quarante  ethuit,mandé-je  mes  homes  et  mes  fievez  ^  à 
Joinville;  et  la  vegile  7  de  ladite  Pasque,  que  toute  celé  gent 
que  je  avoie  mandé  estoient  venu ,  fu  nez  Jéban.  mon  filz  sire 
de  Acerville  ^ ,  de  ma  première  femme ,  qui  fîi  seur  le  conte 
de  Grantpré.  Toute  celle  semainne  fumes  en  festes  et  en  qua- 
rolles  9 ,  que  mon  frère  le  sire  de  Vauquelour  '<"  et  les  autres 


*  Descort  :  débat.  —  '  Ouvra  :  opé- 
ra. —  *  Auphons  :  Alphonse.  — 
*  CezUe  :  Sicile.  —  *  Guion  :  Guy.  — 
<  Fievez  :  gens  d'an  fief,  TaMaax,  — 


'  F'egile  :  Teille.  —  ^  Aeerville  ;  Ao« 
earvUIe.  —  *  ÇuaroUes  :  danses.  — 
1**  rauqueluur  :  Vaacoaieiirs. 


38  HISTOIBfi 

riches  homes  qui  là  estoient^  donnèreni  à  manger  chaseun 
l*im  après  rautre«  le  lundi ,  le  mardi  «  le  mercredi. 

Je  leur  diz  le  vendredi  :  «  Seigneurs ,  je  m*en  voiz  outre- 
mer, et  je  ne  scé  se  je  revendre.  Or  venez  avant  ;  se  je  vous  ai 
de  riens  mesfait  '^  ;  je  le  vous  desferai  Tùn  par  l'autre,  si  comme 
je  ai  acoustumé  à  touz  ceulz  qui  vourront  riens  >  demander 
ne  à  moy  ne  à  ma  gent.  »  Je  leur  desfiz  par  Tesgart  de  tout 
le  commun  de  ma  terre;  et  poipce  que  je  n'eusse  point  d'em- 
port,  je  me  levoîe  du  conseil ,  et  en  ting  quanque  il  rapor- 
tèrent ,  sanz  débat. 

Pour  ce  que  je  n'en  vouloie  porter  nulz  deniers  à  tort ,  Je 
aie  lessier  à  Mez  en  Lorreinne  grant  foison  de  ma  terre  en 
gage  ;  et  sachiez  que,  au  jour  que  je  parti  de  nostre  paîz  pour 
aler  en  la  terre  sainte ,  je  ne  tenoie  pas  mil  livrées  de  terre, 
car  madame  ma  mère  vivoit  encore;  et  si  y  alai,  moy  di- 
siesme  de  dievaliers  et  moy  tiers  de  banières  *.  £t  ces  choses 
vous  ramantevoiz-je ,  pour  ce  que ,  se  Diex  ne  m'eust  aidié, 

t  Bient  :  quelque  choee  ;  lat.  ret,  —  '  Suivi  de  troi»  bannières. 

*  Le  retonr  de  ceux  qai  ayaient^pris  la  croix  étant  Incertain,  ils  se  prépa- 
raient à  ces  longs  voyages  comme  s'ils  eussent  dû  yv  mourir,  disposaient 
leurs  affaires,  faisaient  leurs  testaments  et  pourvoyaient  leurs  enfants,  res- 
tituaient les  biens  usurpés.  Le  sire  de  Joinville ,  quoifu'il  ne  se  sentit  cou- 
pable d'aucune  de  ces  usurpations^  voulut  néanmoins  satisfaire  au  devoir 
de  sa  conscience ,  s'il  se  rencontrait  quelqu'un  à  qui  il  eût  fait  tort  La  plu- 
part des  monastères  bâtis  sur  la  fin  du  xi"  siècle  n'ont  été  fondés  qu'avec  tes 
restitutions  que  les  grands  seigneurs  faisaient ,  avant  de  partir  pour  la  croi- 
sade. 

Mathieu  Paris  dit  que  saint  Louis  envoya  cinquante  religieux  cordéliers 
et  Jacobins  par  toutes  les  provinces,  et  chargea  les  baillis  de  faire  des  en- 
quêtes exactes ,  qiu>d  si  aliquis  insHtor  vel  injuriam  passus  aliquam 
guicungue  alius,  in  aligna  accommodatione  coacta ,  vel  extorsione  pe^ 
cuniœ ,  vel  victualium ,  ut  solet  per  regios  exactores,  proferret  scriptum, 
veltaliamt  vel  tesUmonium,,  veljuraret^  vel  guomodolibei  aliter  le-- 
giiime  probarei ,  guia  paratvs  erat  omnia  restituere.  (  Édit.  de  Paris , 
1644,  in-folio,  pag.  493,  col.  1,  E.)  Le  roi  d'Angleterre  envoya  le  comte  Ri- 
chard à  la  cour  de  France  pour  solliciter  la  restitution  de  la  Normandie , 
du  Poitou  et  de  rAnjou,  ce  que  celui-ci  ménagea  si  adroitement ,  que  saint 
Louis  fut  SUT  le  point  de  se  laisser  surprendre  par  ses  supplications. 


^  DE  SAINT  LOUIS.  $7 

qui  ODques  ne  me  failli ,  je  Teusse  souffert  à  peinne  par  si  lone 
temps,  comme  par  l'espace  de  six  ans  que  je  demourai  en  la 
terre  sainte. 

En  ce  point  que  je  appareiiloie  pour  mouvoir ,  Jehan  sire 
d'Apremont  et  conte  de  Salebruche  de  par  sa  femme ,  envoia 
à  moy  et  me  manda  que  il  avoit  sa  besoigne  arée  pour  aler 
outre-mer,  li  disiesme  de  chevaliers  ;  et  me  manda  que  se  Je 
vousisse,  que  nous  loissons  ^  une  nef  entre  li  et  moy  ;  et  je  li 
otroia  :  sa  gent  et  la  moie  louèrent  une  nef  à  Marseille. 

Le  roy  manda  ses  barons  à  Paris»  et  leur  fist  faire  serement 
que  foy  et  loiauté  porteroient  à  ses  enfans,  se  aucune  chose 
avenoit  de  li  en  la  voie.  Il  le  me  demanda  ;  mes  je  ne  voz  faire 
point  de  ser^sient,  car  je  n*estoie  pas  son  home  >.  En  demen- 
tres^  que  je  venoie,  je  trouvé  Ixois  homes  mors  sur  une  charrette, 
que  un  clerc  avoit  tuez,  et  me  dist-en  que  en  les  menoit  au  roy. 
Quant  je  oy  ce,  je  envoie  un  mien  escuier  après,  pour  savoir 
comment  ce  avoit  esté.  Et  conta  mon  escuier  que  je  y  envoie, 
que  le  roy,  quant  il  issi  de  sa  chapelle,  ala  au  perron  pour  veoir 
les  mors,  et  demanda  au  prévôt  de  Paris  comment  ce  avoit 
esté.  Et  le  prévost  li  conta  que  les  mors  estoient  troiz  de  ses  ser- 
jans  du  Chastelet ,  et  li  conta  que  il  aloient  par  les  rues  fo- 
rainnes  pour  desrober  la  gent  ;  et  dist  au  roy  «  que  il  trouvè- 
rent se  clerc  que  vous  veez  ci,  et  li  tollirent  toute  sa  robe.  Le 
clerc  s'en  ala  en  pure  sa  chemise  en  son  hostel,  et  prist  s*ar- 
balestre  et  fist  aporter  à  un  enfant  son  fauchon^.  Quant  il  les 
vit,  il  les  escria  et  leur  dit  que  il  y  mourroient.  Le  clerc  tendi 
s'arbâleste  et  trait  et  enféri  Tun  parmi  le  cuer,  et  les  deux  tou- 
chèrent à  fuie  ^  ;  et  le  clerc  prist  le  fauchon  que  Fenfant  tenoit, 
et  les  ensui  ^  à  la  lune,  qui  estoit  belle  et  clere.  L'un  en  cuida 
passer  par  mi  une  soif  en  un  courtil  7,  et  le  clerc  fiert  du  fau- 
chon, fist  le  prévost,  et  li  trancha  toute  la  jambe,  en  tele  ma- 


t  Loisêons  :  looioDs,  —  >   H^e  : 
vasaal.  —  '  Dementrts  :  pendant.  — <• 
*  Fauchon  :   épée  en  forme  de  faa- 
cUJc  —  &  £t  tira  et  frappa  Tan  d'eaz 


an  cœur,  et  les  deai  antrea  prirent  la 
fuite.  —  «  Ensui  :  suivit.  —  '  L'un 
s'imagina  d«  pauw  par  aae  baie  en 
un  Jardin. 

HIST.  DE  SilNT  LOUIS.  ^ 


38  HTSTOIBE 

nière  que  elle  ne  tint  que  à  l'estival  ',  si  comme  vous  veez.  Le 
clerc  r  ensui  *  Tautre,  lequel  cuida  descendre  en  une  estrange 
meson  là  où  gent  veilloient  encore  ;  et  le  clerc  féri  ^  du  fauchon 
parmi  la  teste^  si  que  il  le  fendi  jusques  es  dens,  si  comme 
vous  poez  veoir,  fist  le  prévost  au  roy.  Sire,  fist-il^  le  derc 
moustra  son  fait  au  prévost  voisins  de  la  rue,  et  puis  si  s'en 
vint  mettre  en  vostre  prison.  Sire,  et  je  le  vous  ameinne,  si  en 
ferez  vostre  volenté,  et  veez-le  ci.  »  —  «  Sire  clerc,  fist  le  roy, 
vous  avez  perdu  à  estre  prestre  par  vostre  proesce ,  et  pour 
vostre  proesce  je  vous  retieing  à  mes  gages,  et  en  venrez  avec 
moy  outre-mer.  Et  ceste  chose  vous  foiz-je  encore,  pour  ce 
que  je  weil  bien  que  ma  gent  voient  que  je  ne  les  soustendrai 
en  nulles  de  leur  mauvestiés.  »  Quant  le  peuple ,  qui  là  estoit 
assemblé,  oy  ce,  il  se  eserièrent  à  Nostre-Seigneur,  et  li  priè- 
rent que  Dieu  li  donnast  bone  vie  et  longue,  et  le  ramenast  à 
joie  et  à  santé. 

Après  ces  choses,  je  reving  en  nostre  pais,  et  atirames^  le 
«onte  de  Salebruche  et  moy,  que  nous  envolerions  nostre  har- 
nois  à  charettes  à  Ausonne,  pour  mettre  ilec  en  la  rivière  de 
Saonne  jusques  au  Rône. 

Le  jour  que  je  me  parti  de  Joinville,  j'envoie  querre  Tabbé 
de  Cheminon*,  que  on  tesmoingnoit  au  plus  preudomme  de 
Tordre  blanche  **,  Un  tesmoingnage  li  oy  porter  à  Clerevaus, 
le  jour  de  feste  Nostre-Dame,  que  le  saint  roy  i  estoit,  à  uft 
moinne  qui  le  moustra ,  et  me  demanda  se  je  le  cognoissoie. 
Et  je  li  diz  pourquoy  il  le  me  demandoit.  Et  il  me  respondi  : 
a  Car  je  entent  que  c'est  le  plus  preudomme  qui  soit  en  toute 
Tordre  blanche.  Encore  sachez ,  fist-il  y  que  j'ai  oy  conter  à 
un  preudomme  qui  gisoit  ou  dortouer  là  où  Tabbé  de  Ghemi- 
non  dormoit,  et  avoit  Tabbé  descouvert  sa  poitrine  pour  la 

*  Estival  :  botte.  —  '  B'ensui  :  poursairit.  —  ^  LUei  :  le  féri, 

*  Abbaye  du  diocèse  de  Cbâlons ,  de  l'orclre  de  Citeaux. 

**  Le  sire  de  JoinviUe  appelle  ainsi  l'ordre  de  Ctteaux ,  parce  que  les 
religieux  portaient  on  habit  blanc. 


DE   SAINT   LOUIS. 


8» 


chaleur  que  il  avoit  ;  et  vit  ce  preudomme,  qui  gisoit  ou  dor* 
touer  où  Tabbé  de  Cheminon  dormoit,  la  Mère  Dieu  qui  ala  au 
lit  Tabbé,  et  11  retira  sa  robe  sur  son  piz  ',  pour  ce  que  le  veut 
ne  li  feist  mal.  » 

Cel  abbé  de  Cbeminon  si  me  domia  m'escharpe"^  et  moa 
bourdon;  et  lors  je  me  parti  de  Joinville,  sanz  rentrer  ou  chas- 
tel  jusques  à  ma  revenue/^à  pié,  deçchaus  et  en  langes  %  et  ainsi 
aie  à  Blechicourt  et  à  Saint-Urbain,  et  autres  cors  sains  qui  là 
sont;  et  en  dementières  que  je  aloie  à  Blechicourt  et  à  Saint- 
Urbain,  je  ne  voz  ^  onques  retourner  mes  yex  vers  Joinviile , 
pour  ce  que  le  cuer  ne  me  attendrisist  du  biau  chastel  que  je 
leissoie  et  de  mes  deux  enfans. 

Moy  et  mes  compaingnons  mangames  à  la  Fonteinne  TArce* 
vesque  devant  Dongieuz**,  et  illecques  Tabbé  Adam  de  Saint* 
Urbain,  que  Diex  absoille  ^ ,  donna  grant  foison  de  biaus  juiaus  ^ 
à  moy  et  à  mes  chevaliers  que  j'avoie.  Dès  là  nous  alames  à 
Nansone  ^,  et  en  alames  à  tout  nostre  hemoiz  7,  que  nous  avion 
fait  mettre  es  aez^,  dès  Ausone  jusques  à  Lyon  contreval  la 


'  Piz .* poitrine.  —^Langes :hBhlU 
de  pénitent.  —  '  f  os  ;  voaluà.  — '•  Âb- 
toWe  :  absolfe.  —  ^  Juiaus  :  Joyaux. 


—  ^  II  ftiat  sans  doate  lire  Aussone 
pour  Juxonne,  —  ^  Hemoiz  :  harnois, 
bagages.  —  »  Nsz  ;  nefs ,  bateaux. 


*  Le&  pèlerins  de  la  terre  sainte ,  avant  d'entreprendre  leurs  pèle- 
rinages, allaient  à  l'église  recevoir  des  mains  des  prêtres  l'escaroello  et. le 
bourdon.  Cela  a  été  pratiqué  même  par  nos  rois  ;  car,  après  avoir  chargé 
leurs  épaules  de  la  figure  de  la  croix,  ils  avaient  coutume  de  venir  à  l'ab- 
baye de  Saint-Denis,  où,  après  la  célébration  de  la  messe,  ils  recevaient 
des  mains  de  quelque  prélat  le  bâton  de  pèlerin ,  l'escarcelle  (  la  bourse  ),. 
et  même  l'oriflamme.  Ensuite  ils  prenaient  congé  de  saint  Denis,  pa- 
tron du  royaume.  (Test  ce  que  la  Chronique  de  Saint-Denis  nous  apprend  aa 
sujet  de  saint  Louis ,  lors  de  son  premier  voyage.  Q  fit  de  même  au  second  ^ 
dit  Guillaume  de  Nangis  ;  il  reçut  à  Saint-Denis  l'oriflamme,  cum  pera  et 
baeulo  peregrinationis.  Nos  auteurs  emploient  ordinairement  le  mot  d'«- 
charpe  au  lieu  d'escarcelle,  parce  qu'on  attachait  ces  escarcelles  aux 
écharpes  dont  on  ceignait  les  pèlerins.  Ces  escarcelles,  bourdons  et 
écharpes  étaient  bénits  par  les  prêtres,  qui  y  prononçaient  des  prières  et 
des  oraisons  du  sacerdotal  romain. 

**  Donjcux  sur  la  Marne,  à  une  lieué  et  demie  de  Joinvffle. 


40 


HISTOIRE 


Sônc;  et  encoste  les  nés   menoi^on  les  grans  destriers  '. 

A  Lyon  entrâmes  ou  R6tie  pour  aler  à  Ailes  *  le  Blanc  ;  et 
dedans  le  Rône  trouvâmes  un  chastel  que  Ten  appelle  Roche  de 
Gluy  *,  que  le  roy  avoit  fiait  abbatre,  pource  que  Roger,  le  sire 
du  chastel ,  estoit  criez  ^  de  desrober  les  pèlerins  et  les  mar- 
cbans. 

Au  mois  d'aoust  entrâmes  en  nos  nez  à  la  Roche  de  Mar- 
seille. A  celle  journée  que  nous  entrâmes  en  nos  nez,  fist  l'en 
ouvrir  la  porte  de  la  nef,  et  mîst  l'en  touz  nos  chevaux  ens  ^^ 
que  nous  devions  mener  outre-mer  ;  et  puis  redost  l'en  la  porte 
et  l'enboucha  l'en  bien,  aussi  comme  l'en  naye^  un  tonnel , 
pour  ce  que,  quant  la  nef  est  en  la  mer ,  toute  la  porte  est  en 
l'yaue.  Quant  les  chevaus  furent  ens,  nostre  mestre  notonnier 
escria  à  ses  notonniers,  qui  estoient  ou  bec  de  la  nef  ^,  et  leur 
dit  :  «  Est  arée  vostre  besoigne?  Sire ,  vieingnent  avant  les 
clers  et  les  proveres?.  »  Maintenant  que  il  furent  venus,  il 
leur  escria  :  a  Chantez,  de  par  Dieu;  »  et  ilss'escrierent  touz  à 
une  voix  :  P^eni  creator  spiritus.  Et  il  escria  à  ses  notonniers  : 
«  Faites  voille,  de  par  Dieu;  a  et  il  si  firent.  Et  en  brief  tens 
le  vent  se  féri  ou  voille  et  nous  ot  tolu  la  veue  de  la  terre , 
que  nous  ne  veismes  que  ciel  et  yaue  ;  et  chascun  jour  nous  es- 
loigna  le  vent  des  pais  où  nous  avions  esté  nez.  Et  ces  choses 
vous  moustré-}e  que  celi  est  bien  fol  hardi ,  qui  se  ose  mettre 
en  tel  péril,  à  tout  autrui  chatel  *  ou  en  péchié  mortel  ;  car  l'en 
se  dort  le  soir  là  où  en  ne  scet  se  l'en  se  trouverra  ou  fons  de 
la  mer. 

En  la  mer  nous  avint  une  fière  merveille ,  que  nous  trouvâ- 
mes une  montaigne  toute  ronde  qui  estoit  devant  Barbarie. 
Nous  la  trouvâmes  entour  l'eure  de  vespres^  et  najames9  tout 


>  DerirUrs  :  chevaux  de  bataiUe.  — 
2  Allés  :  Arles.  —  ^  Qriez  ;  accasé  par 
la  voix  publique.  —  '*  Etu  :  dedans  ; 
Ut.  Mus,  —  *  Naye  :  noyé.  —  «  Bec 


de  la  nef  :  proue  du  navire.  —  ?  Pro' 
veres  :  prouvairAs ,  prêtres.  —  ^  Rete- 
nant le  bien  d'autrui.  —  9  jifajavMS  : 
navlgàmes. 


*  On  ne  sait  si  c'est  Roquemaure  ou  Roquefort^  ou  Rochemare  sur  le 

Rhône, 


DE    SAINT     LOUIS. 


41 


le  soir,  et  cuidames  bien  avoir  fait  plus  de  cinquante  lieues,  et 
lendemain  nous  nous  trouvâmes  devant  icellemeismes  montai- 
gne  ;  et  ainsi  nous  avint  par  deux  foiz  ou  par  troiz.  Quant  les 
marinniers  virent  ce,  il  furent  touz  esbahiz^  et  nous  distrentque 
nos  nefz  estoient  en  grant  péril  ;  car  nous  estions  devant  la  terre 
aus  Sarrazins  de  Barbarie.  Lors  nous  dit  un  preudomme  prestre 
que  en  appeloit  doyen  de  Malrut ,  car  »  il  n'ot  onques  persé- 
cucion  en  paroisse,  ne  par  défaut  d'yaue,  ne  de  trop  pluie,  ne 
d'autre  persécucion,  que  aussi  tost  comme  ilavoit  fait  troiz  pro- 
cessions par  troiz  samedis,  que  Dieu  et  samère  ne  délivrassent.  ^ 
Samedi  estoit  ;  nous  feismes  la  première  procession  entour 
les  deuxmazdolanef:je-meismesmM  fiz  porter  par  les  braz, 
pour  ce  que  je  estoie  grief  malade.  Onques  puis  nous  ne  veismes 
la  montaigne,  et  venimes^n  Cypre  le  tiers  samedi. 

Quant  nous  venîmes  en  Cypre,  le  roy  estoit  jà  en  Cypre,  et 
trouvâmes  grant  foison  de  la  pourvéance  le  roy  *  :  c*est  à  sa- 
voir, les  celiers  le  roy  et  les  deniers  et  les  garniers.  Les  celiers 
le  roy  estoient  tiex,  que  sa  gent  avoient  fait  eia  mi  les  champs, 
sur  la  rive  de  la  mer,  grans  moyes  ^  de  tonniaus  de  vin^  que  il 
avoient  acheté  de  deux  ans  devant  que  le  roy  venist,  et  les  avoient 
mis  les  uns  sus  les  autres ,  que  quant  l'en  les  véoit  devant,  il 
sembloit  que  ce  feussent  granches  4.  Les  fourmens  et  les  orges 
il  les  r'avoient  mis  par  monciaus  en  mi  les  champs;  et  quant 
en  les  véoit ,  il  sembloit  que  ce  feussent  montaignes  ;  car  la 
pluie  qui  avoit  batu  les  blez  de  lonc  temps,  les  avoit  fait  ger- 
mer par  desus^  si  que  il  n'i  paroit  que  Therbe  vert. 

>  Or  avint  amsi  que,  quant  en  les  vot  mener  en  Egypte ,  Ten 

abati  les  crotes  de  desus  à  tout  l'erbe  vert,  et  trouva  Ten  le 

fourment  et  Torge  aussi  frez  comme  Fen  Teust^  maintenant 

batu. 

Le  roy  feust  moult  volentiers  aie  avant,  sans  arester,  en 


; 


'  Car  :  que,  —  '  Pourvéance  le  roy  : 
provision  du  roi.  —  '  Moyes  :  tas.  On 
dit  encore  mayts  en  patois  m&connais. 


t 

—  *  Granehes  :  granges. —  *  11  faut 
vraisemblablement  lire  :  comme  se  l'en 
Veust  f  c'est-à-dire  comme  si  on  t'eUU 

i. 


43  HISTOIBE 

Egypte ,  si  comme  je  li  o!  dire,  se  ne  feusseat  ses  barons  qui  ii 
loôrent  à  attendre  sa  gent  quin^estoient  pas  encore  touz  venuz  *. 
£n  ce  point  que  le  roy  séjournoit  en  Cypre,  envoia  le  grant 
roy  **  desTartarins  ses  messages  **  à  li,  et  li  manda  moult  dé- 
bonnairement  paroles.  Entre  les  autres,  li  manda  que  il  estoît 
prest  de  li  aidier  à  conquerre  la  terre  sainte,  et  de  délivrer  Jhé- 
rusalem  de  la  main  ays  Sàrrazins.  Le  roy  reçut  moult  débon- 
nairement  ses  messages,  et  li  renvoya  les  siens,  qui  demeuré* 
rent  deux  ans  avant  que  il  revenissent  à  li.  Et  par  les  messages, 
envoia  le  roy  au  roy  des  Tartarins  une  tente  faite  en  la  guise 
d'une  chapelle,  qui  moult  cousta  ;  car  elle  fu  toute  faite  de  bone 
escarlate  finne.  Et  le  roy,  pour  veoir  se  il  les  pou^roit  atraire  ^ 
à  nostre  créance,  fist  entailler*  en  ladite  chapelle,  par  ymages, 

I  Atraire  :  attirer.  —  '  Entailler  :  décoaper. 

*  Marino  Sanudo  blâme  saint  Louis  d*avoir  pris  par  l'Ile  de  Chypre  pour 
paner  en  Egypte,  parce  qne,  l'Egypte  étant  beaucoup  pins  fertile  que  l'Ile 
de  Chypre,  il  était  inutile  de  's'y  arrêter  sous  prétexte  de  rafraîchir  les 
troupes»  et  préférable  d'attaquer  les  ennemis  de  plein  abord  que  de  leur 
donner  le  temps  de  se  reconnaître.  Guillaume  de  Nangis  et  l'auteur  des 
Chroniques  de  Saint-Denys  (  k  Tannée  1248 }  marquent,  pendant  le  séjour  du 
roi  en  Chypre,  la  mort  4e  plusieurs  pèlerins ,  entre  autres ,  de  Robert,  évé- 
que  de  Beauvais,  de  Jean  de  Montfort,  du  comte  de  Vendôme,  de  Guillaume 
de  Mello,  d'Archambault  de  Bourbon,  du  comte  de  Dreux ,  de  Guillaume 
des  Barres,  et  d'autres,  qu'Us  font  aller  Jusqu'à  deux  cent  quarante.  Mathieu 
Paris  ajoute  à  ce  nombre  Tévèque  de  Noyon  et  Hugues  de  ChâtiUon ,  comte 
de  Saint-PauL  Le  comte  d'Anjou  y  fut  très-malade  d'une  fièvre  quarte. 

**  Ce  roi  n'était  pas  le  grand  khan  de  Tartarie,  mais  le  lieutenant  de  ce 
prince  dans  l'Asie  Mineure  ;  il  s'appelait  lltchiktai  (ou  plutôt  llchikbatai  ), 
ainsi  que  nous  l'apprend  de  Guignes,  dans  son  Histoire  générale  de* 
Uune^  etc.,  tom.  III,  pag.  126. 

Les  Chroniques  de  Saint-Denys  (  à  l'année  124S)  parlent  fort  au  long 
de  ce  Tartare ,  et  rapportent  la  lettre  qu'il  adressa  à  saint  Louis.  Il  était , 
disent-elles ,  baron  des  Tartarins ,  et  aiwU  non  Erchaltay. 

***  Mathieu  Paris,  Guillaume  de  Nangis  et  Zanflietont  parlé  longuement 
de  cette  ambassade  des  Tartares.  Voyez  le  Mémoire  de  M.  A.  llemusat ,  sur 
les  relations  politiques  des,,,  rois  de  France  avec  les  empereurs  mongols, 
inséré  dans  le  tome  vi  des  nouveaux  Mémoires  de  l'Académie  des  Inscrip- 
tions et  Belles-Lettres,  pag.  457  et  suivantes  ;  et,  |)Our  les  pièces  diplomati- 
ques ,  VHisloria  Tartarorum  ecclesiaslica  de  Musheim. 


DB  SAIin:  LOUIS.  43^ 

l'Anonciacioii  Nostre-Dame  et  tooz  les  autres  poins  de  la  foy. 
Et  ces  choses  leur  envoia-il  par  deux  frères  préescheurs  qui  sa- 
voient  le  sarraziimois,  pour  eulz  moustrer  et  enseigoer  comment 
il  dévoient  croire.  Il  revindrent  au  roi  les  deux  frères,  en  ce  point 
que  les  frères  au  roy  revindrent  en  France;  et  trouvèrent  le 
roy  qui  estoit  parti  d'Acre,  là  où  ses  frères  Tavoient  lessié,  et 
estoit  venu  à  Sézaire  >  là  où  il  la  fennoit  *,  ne  n*avoit  ne  pez  no 
trêves  aus  Sarrazins.  Comment  les  messages  le  roy  de  France 
furent  receus  vous  diré-je,  aussi  comme  il-meismes  le  contèrent 
au  roy  ;  et  en  ce  que  il  raportèrent  au  roy,  pourrez  oîr  moult 
de  nouvelles,  lesqueles  je  ne  weil  pas  conter,  pour  ce  que  il  me 
couvendroit  dérompre  ma  matière  que  j'ai  commenciée ,  qui  est 
tele.  Je,  qui  n'avoie  pas  mil  livrées  de  terre,  me  charjai,  quant 
j'aie  outre  mer,  de  moy  dixiesme  de  chevaliers  et  de  deux  cheva- 
liers banières  portans;  et  m'avint  ainsi  que,  quant  je  arivai  en 
Cypre,  il  ne  me  fu  demouré  de  remenant  que  douze  vins  ^livres 
de  tournois,  ma  nef  paiée  ;  dont  aucuns  de  mes  chevaliers  me 
mandèrent  que  se  je  ne  me  pourvéoie  de  deniers,  que  il  me  lè- 
roienl.  Et  Dieu,  qui  onques  ne  me  failli,  me  pourveut  en  tel 
manière  que  le  roy,  qui  estoit  àNichocie  *,  m'envoia  querre  et 
me  retint,  et  me  mist  huit  cens  livres  en  mes  cofres  ;  et  lors 
oz-jeplus  de  deniers  que  il  ne  me  couvenoit. 

En  ce  point  que  nous  séjournâmes  en  Cypre,  me  mand^  l'emr 
pereis  de  Constantinoble  ^  que  elle  estoit  arrivée  à  Baphe  **,  une 
cité  de  Cypre,  et  que  je  l'alasse  querre  ^  et  monseigneur  Erart  de 
Brienne.  Quant  nous  venimes  là ,  nous  trouvâmes  que  un  fort 
vent  ot  rompues  les  cordes  des  ancres  de  sa  nef  et  en  ot  mené 
la  nef  en  Acre  ;  et  ne  H  fu  demouré  de  tout  son  hamois  que 
sa  chape  que  elle  ot  vestue,  et  un  seurcot  à  manger  ***.  Nous  l'a- 

^Sézaira  :  Céearée.  —  ^ Fermait  :  for«   I   rante.  —  *  I/impèratrice de  Constanti- 
tiftait. — *  Douze  vins:  deux  cent  qnvL'   1  nopl«.  —  *  Qverre  :  quérir,  cherchn. 

*  Iffcosie,  capitale  de  i'tle  de  Chypre. 

**  L'ancieune  ville  de  Paphos  dans  l'iic  de  Chypre. 

***  Surcot  qui  suppléait  aux  serviettes ,  dont  on  ne  se  servait  pas  encore* 


/ 


44  HISTOIBB 

menâmes  à  la  meson,  là  où  le  roy  et  la  royne  et  touz  les  barons 
la  reçurent  moult  honorablement.  Lendemain,  je  U  envoiai 
drap  et  cendal  pour  fourrer  '  la  robe.  Monseigneur  Phelippe 
de  Nanteil  %  le  bon  chevalier,  qui  estoit  encore  *  le  roy,  trouva 
mon  escuier  qui  aloit  à  l'empereis.  Quant  le  preudomme  vit  ce, 
il  ala  au  roy  et  li  dist  que  grant  honte  avoit  fait  à  li  et  aus  au- 
tres barons ,  de  ses  robes  que  je  li  àvoie  envoie ,  quant  il  ne 
s'en  estoient  avisez  avant.  L^empereis  vint  querre  secours  au 
roy  pour  son  seigneur,  qui  estoit  en  Constantinoble  demourez , 
et  pourchassa  tant  que  elle  emporta  cent  paire  de  lettres  et  plus, 
que  demoy  que  des  autres  amis  qui  là  estoient  ;  es  quiex  let- 
tres nous  estions  tenus  par  nos  seremens ,  que,  se  le  roy  ou 
les  légaz  vouioient  envoier  troiz  cens  chevaliers  en  Constanti- 
noble ,  après  ce  que  le  roy  seroit  parti  d'outre-mer,  que  nous  y 
estions  tenu  d'aler  par  nos  seremens.  Et  je,  pour  mon  serement 
aquiter,  requis  le  roy,  au  départir  que  nous  feismes ,  par  devant 
le  conte  dont  j'é  la  lettre ,  que  se  il  y  vouloit  envoier  troiz  cens 
chevaliers,  que  je  iroie  pour  mon  serement  acquiter.  Et  le  roy 
me  respondique  U  n'avoit  de  quoy^  et  que  il  n'avoit  si  bon  tré- 
sor dont  il  ne  feust  à  la  lie.  Après  ce  que  nous  feumes  arivés 
en  Egypte,  Tempereis  s'en  ala  en  France,  et  enmena  avec  li 
monseigneur  Jehan  d'Acre,  son  frère ,  lequel  elle  maria  à  la 
contesee  de  Montfort. 

En  ce  point  que  nous  venimes  ea.  Cypre ,  le  soudanc  du 
Coyne  *  estoit  le  plus  riche  roy  de  toute  la  paennime^.  Et  avoit 
faite  une  merveille  ;  car  il  avoit  fait  fondre  grant  parti  de  son 


1^^ 


1  Fourrer  :  doubler.  .-^  '-fibilippe  de 
Nanteuil.  —  ^  Lises  :(eneosie^  à  côté. 


des  païens,  comme  chriitianismits , 
terrodei  chrétiens,  dans  les  auteurs  la- 
tins du  moyen  Age. 


J'"''  ^  —  <  De  mftme  on  lit  pàfiwtmus,  terre 

*Ge  sultan  d'Iconium,  ville  de  Lycaonie  ou  Caramanie,  que  les  Turcs 
appellent  aujourd'hui  Konieh,  fut  chrétien,  au  rapportde  Nicéphore  Grégo- 
ras;  on  voit  une  lettre  de  lui  au  pape  Grégoire  IX,  qui  voulait  lui  persuader 
d'embrasser  la  religion  chrétienne.  Vincent  de  Beauvais  raconte  fort  au 
long  la  puissance  de  ce  prince  et  la  richesse  de  ses  trésors.  Voyez  son  Spé- 
culum historiale,  Uv.  XXX ,  chap.  GiLiii;  édit.  de  Douai,  M.  DG.  XXIV., 
pag.  1281,  col.  2. 


DE  SAINT  LOUIS.  45 

or  en  poz  de  terre ,  et  Ost  brisier  les  poz  ;  et  les  masses  d*or 
estoient  demourées  à  descouvert  en  mi  un  sien  chastel ,  que 
chascun  qui  entroit  ou  chaste!  y  pooit  toucher  et  veoir  ;  et  en 
y  avoit  bien  six  on  sept.  Sa  grant  richesce  apparut  en  un  pa- 
veillon  que  leroy  d'Erménie  envoia  au  roy  de  France,  qui  valoit 
bien  cinq  cens  livres  ;  et  li  manda  le  roy  d'Herménie  que  uns 
ferrais  '  au  soudanc  du  Coyne  li  avoit  donné.  Ferrais  est  cil  qui 
tient  les  paveillons  au  soudanc  et  qui  li  nettoie  ses  mcsons. 

Le  roy  d'Erménie,  pour  li  délivrer  du  servage  au  soudanc 
du  Coyne,  en  ala  au  roy  des  Tartarins ,  et  se  mist  en  leur  ser- 
vage pour  avoir  leur  aide  ;  et  amena  si  grant  foison  de  gens 
d'armes  que  il  ot  pooir  de  combatre  au  soudanc  du  Coyne  ; 
et  dura  grant  pièce  ^  la  bataille,  et  li  tuèrent  les  Tartarins  tant 
de  sa  gent,  que  Ten  n'oy  puis  nouvelles  de  li.  Pour  la  renom- 
mée, qui  estoit  grant  en  Cypre,  de  la  bataille  qui  devoit  estre , 
passèrent  de  nos  gens  serjans  en  Herménie  pour  gaaingner  et 
pour  èstre  en  la  bataille  ;  ne  onques  nulz  d'eul^  n'en  revint. 

Le  soudanc  de  Babiloinne  *,  qui  attendoitle  roy  qu'il  venist 
en  Egypte  au  nouvel  temps ,  s'apensa  que  il  iroit  confondre  le 
soudanc  de  Hamant  ** ,  qui  estoit  son  ennemi ,  et  Tala  assiéger 
devant  la  cité  de  Hamant  ***.  Le  soudanc  de  Hamant  ne  se  sot 
comment  chevir^  du  soudanc  de  Babiloinne;  car  il  véoit  bien 
que  se  il  vivoit  longuement,  que  il  le  confondroit.  Et  iîst  tant  ba- 
gingner  ^  au  ferrais  le  soudanc  de  Babiloinne,  que  les  ferrais  l'em- 
poisonnèrent. Et  la  manière  de  l'empoisonnement  fu  tele,  que 
le  ferrais  s'avisa  que  le  soudanc  venoit  touz  jours  jouer  aus  es- 
chez  ****<,  après  relevée,  sus  les  nattes  qui  estoient  au  piez  de  son 

■  Corraption  da  mot  arabe  fer-  1  pièce  :  longterapa, -"^ Se  ehevir  :  se  dé' 
raseh,  qui  signifie  tapissier,  — ^  Grant  I  lirrer.  —  *  Bagingner:  négocier. 

*  Ce  nom  désigne  le  Grand-Caire. 

**  Ce  sultan  était  seigneur  d'Alep ,  4on  nom  était  Malek-^asser. 
***  U  s'agit  ici  de  la  ville  d'Emesse,  en  Syrie. 

****  ce  jeu  a  été  de  tont  temps  fort  en  usage  parmi  les  Indiens ,  les  Ara- 
bes et  les  Turcs  ;  il  Ure  son  nom  du  mot  arabe  shah,  qui  signifie  roi,  à  cause 
de  la  principale  \ntcc  des  échecs  qui  est  le  roi.  Anne  Commune,  au  livre  xii 


40 


HISTOIRE 


lit  ;  laquele  Datte  sur  quoy  il  sot  que  le  soudanc  s'asseoit  touz 
les  jours  ;  il  renveoima.  Oravint  ainsi  que  le  soudanc,  ijvà 
estoit  deschaus ,  se  tourna  sus  une  escorchenre  que  il  ayoit  en 
la  jambe ,  tout  maintenant  le  venin  se  féri  ou  vif,  et  li  tolli  tout 
le  pooir  de  la  moitié  du  cors  de  celle  part  vers  le  cuer.  Il  fu 
bien  deux  jours  qu'il  ne  but,  ne  ne  tnanja,  ne  ne  parla.  Le  sou- 
danc de  Hamant  lessièrent  en  paiz  et  le  menèrent  sa  gent  en 
Egypte». 

Maintenant  que  mars  entra ,  par  le  commandement  le  roy, 
le  roy  et  les  barons  et  les  autres  pèlerins  conunandèrent  que 

"S 

les  nez  refeussent  chargiées  de  vins  et  de  viand^es  * ,  pour  mou- 
voir quant  le  roy  le  commanderoit.  Dont  il  avint  ainsi  que , 
quant  la  chose  fu  bien  arée  ' ,  le  roy  et  la  royne  se  requeilli- 
rent  en  leur  nez ,  le  vendredi  devant  Penthecouste ,  et  dist  le 
roy  à  ses  barons  que  il  alassent  après  li  en  leur  nez  droit  vers 
Egypte.  Le  samedi  fist  le  roy  voille,  et  touz  les  autres  vessiaus 
aussi ,  qui  moult  fu  belle  chose  à  veoir  ;  car  il  sembloit  que 
toute  la  mer,  tant  comme  l'en  pooit  veoir  à  TuciH,  feust  cou- 
verte de  touailles  des  voilles  des  vessiaus,  qui  furent  nombrez 
à  dix-huit  cens  vessiaus,  que  granz  que  petiz.  Leroy  entra  ou 
bout  d'une  terre  que  l'en  appelé  la  pointe  de  Limeson ,  et  touz 
les  autres  vessiaus  eiitour  li.,Le  roy  descendi  à  terre,  le  jour  àt 
laPenthecouste.Quantnouseumes  oy  la  messe,  un  vent  grief  et 
fort  qui  venoit  devers  Egypte  y  leva  en  tel  manière  que  de  deux 
mille  et  huit  cens  chevaliers  que  le  roy  mena  en  Egypte,  ne  l'en 
demoura  que  sept  cens  que  le  vent  ne  les  eust  dessevrés  ^  de  la 
compaignie  le  roy,  et  menez  en  Acre  et  en  autres  terres 


I  L'armée  do  aondao  d'égypte  laissa 
lesoodao  d'Rmesae  rn  pais^et  ramena 
le  Soudan  du  Grana-Caire  en  Egypte. 


—  •  F'iandes  :  rivres.  —  3  Jrée  :  ré- 
glée. —  *  A  l*ueil  :  avec  l^il.  — 
^  Dessevrés  :  séparés. 


de  son  Alexiadey  où  elle  se  sert  de  ce  mot,  écrit  qu'il  fut  inventé  par  les 
Assyriens  ;  mais  elle  se  trompe.  Ce  jeu  fut  inventé,  selon  de  Guignes,  sons 
le  règne  de  Yalhith,  fils- de  Dabschelim,  fils  de  Brâhman,  roi  de  Tlnde. 
Voyez,  au  reste,  Hyde ,  Hisioria  ShahUudiif  S  Hi  dans  le  Syntatjma  tlU* 
tertalionum,  etc.,  vol.  H,  pag.  55  6S. 


DE   SAINT    LOUIS.  47 

estranges,  qui  puis  ne  revindrent  au  roy  de  grant  pièce*. 

Lendemain  de  la  Penthecouste  le  vent  fu  cheu  »  ;  le  roy  et 
nous  qui  estions  avec  1i  demourez^  si  comme  Dieu  voult, 
feismes  voilie  derechief,  et  encontrames  le  prince  de  la  Morée 
et  le  duc  de  Bourgoingne*  qui  avoit  séjourné. en  la  Morée.  Le 
jeudi  après  Penthecouste  ariva  le  roy  devant  Damiete,  et  trou- 
vâmes là  tout  le  pooir  du  soudanc  sur  la  rive  de  la  mer,  moult 
beles  gent  à  regarder  ;  car  le  soudanc  porte  les  armes  d'or, 
là  où  le  soleil  fécoït^^  qui  fesoit  les  armes  resplendir.  La 
noise  4  que  il  menoîent  de  leur  nacaires  ^  et  de  leurs  cors  sar- 
razinnoiz,  estoit  espoventable  à  escouter. 

Le  roy  manda  ses  barons ,  et  pour  avoir  conseil  que  il  fe- 
roit.  Moult  de  gens  li  loèrent  que  il  attendit  tant  que  ses  gens 
feussent  revenus ,  pour  ce  que  il  ne  li  estoit  pas  demeuré  la 
tierce  partie  de  ses  gens  ;  et  il  ne  les  en  vouH  onques  croire. 
Lareson  pourquoy,  que  il  dit  que  il  en  donroit  cuer  à  ses 
ennemis;  et  meismement  que  en  la  mer  devant  DamietCin'a 
point  de  port  là  où  il  peut  sa  gent  attendre,  pour  ce  que  un 
fort  vent  n*es  ^  preist  et  les  menasten  autres  terres,  aussi  comme 
les  autres  avoient,  le  jour  de  Penthecouste. 

Acordé  fu  que  le  roy  descendroit  à  terre  le  vendredi  de- 
vant la  Trinité,  et  h*oit  combatre  aus  Sarrazins ,  se  en  eulz  ne 
demouroit?.  Le  roy  commanda  à  monseigneur  Jehan  de  Biau- 
mont  que  il  feist  bailler  une  galie  à  monseigneur  Erart  de 
Brienne  et  à  moy ,  pour  nous  descendre  et  nos  chevaliers,  pour  ce 
que  les  grans  nefz  n'avoient  pooir*  de  venir  jusques  à  terre. 
Aussi  comme  Diex  voult ,  quant  je  çeving  à  ma  nef,  je  trouvai 
une  petite  nef  que  madame  de  Baruch**,  qui  estoit  cousinne 


*  Pièet  :  espace  de  temps.  — 
*  Chêu  :  tombé.  ~-  ^  Finit  :  frappait. 
—  *  Koise  :  bruit.  —  *  Nacaire  ^  mot 


arabe  qai  signifie  timbale,  —  ^  N'es  ? 
ne  les.  —  7  s'ils  n'évitaient  le  combat. 
—  •  Pùoir  :  pouvoir 


*  Le  duc  de  Bourgogne  avait  passé  l'hiver  en  Morée  :  il  paraît  probable 
qu'il  revenait  alors  de  Gonstantinople,  où  il  était  allé  ponr  satisfaire  à  la 
promesse  qu'il  avait  faite  à  Tempereur  Baudouin,  dès  l'an  1238,  de  le  secourir, 
ainsi  que  nous  l'apprend  Albéric  des  Trois*Fontaines  en  sa  chronique. 

**  Eschive  de  Monfbéliard,  fille  de  Gautier  de  Montbéiiard, 


48  HISTOIBE 

gennainne  le  conte  de  Monbeliariet  la  nostre,  m'avoit  donnée, 
là  où  il  avoît  huit  de  mes  chevaus.  Quant  vint  au  vendredi,  entre 
moy  et  monseigneur  Erart ,  touz  armés  alames  au  roy  pour 
là  galie  demander,  dont  monseigneur  Jehan  de  Biaumont  nous 
respondi  que  nous  n'en  arions  point. 

Quant  nos  gens  virent  que  nous  n'ariens  point  de  galie,  il  se 
lessèrent  cheoir  de  la  grant  nef  en  la  barge  de  cantiers,  qui  plus 
plus,  qui  miexmiex  > .  Quant  les  marinniers  virentquo  la  barge  de 
eantiors  se  esfondroit  pou  à  pou,  il  s'enfuirent  en  la  grant  nef  et 
lessèrent  mes  chevaliers  en  la  barge  de  cantiers.  Je  demandai 
au  mestre  combien  il  li  avoit  trop  de  gens ,  et  si  li  demandai  se 
il  menroit  >  bien  nostre  gent  à  terre ,  se  je  le  deschar^oie  de 
tant  gent;  et  il  me  respondi  :  «  Oyl;  »  et  je  le  deschargai  en 
tel  manière  que  par  troiz  foiz  il  les  mena  en  ma  nef  où  mes 
chévaus  estoient.  En  démenties  que  je  menoie  ses  gens ,  un 
chevalier  qui  estoit  à  monseigneur  Erart  de  Brene,  qui  avoit  à 
non  Plonquet ,  cuida  descendre  d^  la  grant  nef  en  la  barge  de 
cantiers ,  et  la  barge  esloigna ,  et  chéi  en  la  mer  et  fu  noyé. 

Quant  je  reving  à  ma  nef ,  je  mis  en  ma  petite  barge  unes- 
cujer  que  je  fiz  chevalier,  qui  ot  à  non  monseigneur  Hue  de  Wau- 
quelour,  et  deux  moult  vaillans  bachelers ,  dont  Tun  avoit  non 
monseigneur  Villain  de  Versey ,  et  l'autre  monseigneur  Guillaume 
de  Danmartin,  qui  est[o]ient  en  grief  courine  ^  l'un  vers  l'autre , 
ne  nulz  n'en  pooit,  faire  la  pez ,  car  il  s'estoient  entrepris  par 
les  cheveus  à  la  Morée  ;  et  leur  fîz  pardonner  leur  maltalent  ^ 
et  besier  l'un  l'autre,  par  ce  que  leur  jurai  sur  sains  ^  que 
nous  n'iriens  pas  à  terre  à  tout^  leur  maltalent.  Lors  nous 
esineumes  pour  aler  à  terre,  et  venimes  par  delez  la  barge  de 
cantiers  de  la  grant  nef  le  roy,  là  où  le  roy  estoit  ;  et  sa  gent 
me  commencèrent  à  escrier,  pour  ce  que  nous  alions  plus  tost 
que  il  ne  fesoient,  que  JQ  arivasse  à  l'ensaigne  saint  Denis*  qui 


I  Dans  la  chaloupe,  dans  le  plus 
grand  nombre,  et  au  mieux  qu'ils  pu- 
renl.  —  2   Menroil  :    mènerait.   — 


3  Cknirine  :  haine.  —  ■  Maltalent  : 
mauvaise  Tolonté,  rancune.  — 
*  Sains  :  reliqneiS.  —  ^  A  tout  :  arec. 

*  C'est-à-dire,  au  vaisseau  qui  portait  l'enseigne  de  Saint-Denis.  Cette  en- 


DE  SAINT   LOUIS. 


-19 


en  aloit  en  un  autre  vaissel  devant  le  roy;  mes  je  ne  les  en 
cru  pas  :  ainçois  nous  fiz  ariver  devant  une  grosse  bataille  de 
Turs',  là  où  il  avoit  bien  sii?  mille  homes  à  cheval.  Si  tost 
comme  il  nous  virent  à  terre,  il  vindrent,  ferant  des  espérons/ 
vers  nous.  Quant  nous  les  veismes  venir,  nous  fichâmes  les  poin- 
tes de  nos  escus  >  ou  sablon,  et  le  fust  de  nos  lances  ou  sablou  et 
les  pointes  eulz.  Maintenant  que  il  virent  ainsi  comme  pour  a  1er 
par  mi  les  ventres,  il  tournèrent  ce  devant  darières  et  s'en 
fouirent^. 

Monseigneur  Baudouin  de  Reins,  un  preudomme  qui 
estoit  descendu  à  terre,  me  manda  par  son  escuier  que  je  l'at- 
tendisse; et  je  li  mandai  que  si  feroie-je  moult  volentiers , 
que  tel  preudomme  comme  il  estoit,  devoit  bien  estre  at- 
tendu à  om  tel  besoing  ;  dont  il  me  sot  bon  gré  toute  sa  vie. 
Avec  li  nous  vindrent  mille  chevaliers;  et  soies  certain  que, 
quant  je  arrivé,  je  n'oz  ne  escuier,  ne  chevalier,  ne  varlet  que 
je  eusse  amené  avec  moy  de  roi)n  pays,  et  si  ne  m'en  lessa 
pas  Dieu  à  aidier. 

A  nostre  main  senestre  4  arriva  le  conte  de  Japhe  %  qui  estoit 

"  Turs  :  Turcs.  —  '  Escus  :  bou- 
elien.  ~-  3  Aussitôt  qu'ils  nous  virent 
dans  une  posture  à  leur  donner  de  nos 

seigne  de  Saint-Denis  n'était  autre  chose  que  l'oriflamnie  dont  la  forme , 
semblable  à  celle  des  bannières  de  nos  églises,  était  carrée,  fendue  par  le 
bas  en  divers  endroits,  ornée  de  franges  et  houppes  et  attacliée  par  le  haut 
Ir  un  bâton  en  travers  :  elle  était  de  soie  ou  de  taffetas  couleur  de  flamme. 
Comme  Tétat  religieux  ne  permettait  pas  que  les  moines  maniassent  les 
armes,  les  comtes  de  Vexin ,  avoués  et  protecteurs  de  Saint- Denis,  étaient 
chargés  de  porter  l'oriflamme  dans  les  guerres  particulières ,  entreprises 
pour  la  défense  des  droits  de  l'al^baye.  Nos  fois,  devenus  maîtres  du  comté 
de  Yexin ,  héritèrent  de  cette  charge ,  et,  en  cette  qualité,  la  firent  porter 
dans  toutes  leurs  guerres.  Ce  fut  Louis  le  Gros  qui ,  le  premier,  la  reçut 
des  mains  de  l'abbé  pour  aller  à  la  rencontre  de  Henri  V,  roi  d'Angleterre, 
débarqué  en  France  avec  ses  troupes. 

*  Ce  comte  de  Jaffa  était  celui  qui  avait  succédé  au  comte  Gautier  de 
Brienne ,  fait  prisonnier  par  le  sultan  du  Caire  et  les  Karismiens ,  à  la 
bataille  de  Gaza,  l'an  1244.  n  se  nommait  Jean  d*lhelin  et  était  seigneur 
de  Baruth  du  chef  de  Balian  d'ibelm  son  père  :  il  avait  pour  mère  Eschive. 


piques  dans  le  ventre,  ils  tirent  voIte< 
face,  et  s'enfuirent.  —  ^  Senestre  ; 
gauche. 


^ 


50  mSTOÎBE 

cousin  germain  \e  conte  de  Monbeliart,  et  du  lignage  de  Join- 
ville.  Ce  fu  celi  qui  plus  noblement  ariva  ;  car  sa  galie  arira 
toute  peinte  dedens  mer  et  dehors^  à  escussiaus  *  de  ses  armes, 
lesqueles  armes  sont  d^or ,  à  une  croix  de  gueules  pâtée  :  il 
avoit  bien  trois  cens  nageurs  *  en  sa  galie^  et  à  chascun  de  ses  na- 
geurs avoit  une  targe  ^  de  ses  armes,  et  à  chascune  targc  avoit 
un  penoncelde  ses  armes  batu  à  or^.  En  dementières  que 
il  venoient,  il  sembloit  que  la  galie  volast,  par  les  nageurs 
qui  la  contreingnoient  aus  avirons ,  et  sembloit  que  foudre 
cheist^  des  ciex,  au  bruit  que  lespennonciaus  menoient,  et  que 
les  nacaires,  les  tabours  et  les  cors  sarrazinnois  maioient, 
qui  estoient  en  sa  galie.  Si  tost  comme  la  galie  fu  férue  ou 
sablon  si  avant  comme  Fen  li  pot  mener,  et  il  et  ses  chevaliers 
saillirent  de  la  galie  moult  bien  armez  et  moult  bien  atirez , 
et  se  vindrent  arranger  de  coste  nous. 

Je  vous  avoie  oublié  à  dire  que,  quant  le  conte  de  Japhe  fu  des- 
cendu, il  fist  tendre  ses  paveiilons;  et  si  tost  comme  les  Sarrazins 
les  virent  tendus ,  il  se  vindrent  touz  assembler  devant  nous , 
et  revindrent ,  ferant  des  espérons,  pour  nous  courre  sus  ;  et 
quant  il  virent  que  nous  ne  fuirions  pas ,  il  s*en  r*alèrent  tan- 
tost  arières. 

A  nostre  main  destre,  bien  le  trct  à  une  grant  arbalestrée  ^, 
ariva  la  galie  là  où  renseigne  Saint-Denis  estoit  ;  et  ot  uns  Sar- 
razin ,  quant  il  furent  arrivez ,  qui  se  vint  ferir  entre  eulz ,  oa 
pour  ce  que  il  ne  pot  son  cheval  tenir,  ou  pour  ce  que  il  cuidoit 
que  les  autres  le  deussent  suivre  ;  mes  il  fu  tout  decopé. 

Quant  le  roy  oy  dire  que  renseigne  Saint-Denis  estoit  à  teire , 
il  en  ala  grant  pas  par  mi  son  vessel  ? ,  ne  onqiies  pour  le  le- 

'  Escussiaui  :  écuscont.  —  ^  Na-  I  chftt,  tombAt.  —  *  A  la  distance 
geurs  :  matelots.  —  '  Targe  :  ronda-  |  d'un  grand  trait  d'arbalète.  —  "  F'es- 
che  —  <  Baiu  à  or:  brodé.  —  ^  CheM  :  1   sel  :  vaissean. 

de  Montbéiiard,  dont  nous  avons  parlé  plus  haut.  On  lui  a  attribué  long- 
temps la  rédaction  et  mise  en  français  des  assises  de  Jérusalem ,  dont  il 
est  maintenant  pres(|ue  prouvé  que  Philippe  de  Navarre  fut  l'auteur.  Il 
mourut  en  126. 


DE  SAINT  LOUIS.  .  61 

/  gat  '  qui  estoit  avec  li ,  ne  le  voult  iessier  et  saiili  en  la  mer^ 
dont  il  fil  en  yaue  jusques  aus  esseies;  et  ala  l'escu  au  col  et 
le  heaume  en  la  teste  e!t  le  glaire  en  la  main,  jusques  à  sa 
gent  qui  estoient  sur  la  rive  de  la  mer.  Quant  il  vint  à  terre  et 
il  choisi  '■  les  Sarrazins,il  demanda  quele  gent  s*estoient;  et  en 
M  dit  que  c*estoient  Sarrazins  ;  et  il  mist  le  glaive  desous  s*es- 
selle  et  l'escu  devant  li ,  et  eust  coura  sus  aus  Sarrazins ,  se  ses 
preudeshomes  qui  estoient  avec  H ,  li  eussent  souffert. 

Les  Sarrazins  envolèrent  au  soudanc  par  coulons  messa- 
giers  **  par  trois  fois,  que  le  roy  estoit  arrivé  ;  que  onques  mes- 
sage n'en  orent ,  pour  ce  que  le  soudanc  estoit  en  sa  maladie; 
et  quant  il  virent  ce ,  il  cuidièrent  que  le  soudanc  feust  mort 
et  lessièrent  Damiete.  Le  roy  y  envoia  savoir  par  un  messager 
chevalier.  Jjq  chevalier  s'en  vint  au  roy,  et  dit  que  il  avoit  esté 
dédans  les  mesons  au  soudanc ,  et  que  c^étoit  voir.  Lors  en- 
voia querre  le  roy'  le  légat  et  touz  les  prelaz  de  l'ost ,  et  chanta 
L*en  hautement  :  Te  Deum  laudamus.  Lors  monta  le  roy  et 
nous  touz ,  et  nous  alames  loger  devant  Damiete.  Mal  apertc- 
ment  >  se  partirent  les  Turs  de  Damiete ,  quant  il  ne  firent  co- 
per  le  pont  qui  estoit  de  nez ,  qui  grant  destourbier  nous  eust 
fait  ;  et  grant  doumage  nous  firent  au  partir,  de  ce  que  il  bou- 
tèrent le  feu  en  la  fonde  3,  là  où  toutes  les  marchandises  es- 
toient et  tout  l'avoir  de  poiz  :  aussi  avint  de  ceste  chose  comme 
qui  auroit  demain  bouté  le  feu ,  dont  Dieu  le  gart!  à  Petit- 
Pont  *. 

Or  disons  donc  que  grant  grâce  nous  fist  Dieu  le  tout  puis- 
sant ,  quant  il  nous  deffendi  de  mort  et  de  péril  >  à  Tariver  là 
où  nous  arivames  à  pié,  et  courûmes  sus  à  nos  ennemis,  qui  es- 
toient à  cheval. 

I  Choisi  :  aperçut.   —  '  Mal  aper-   i   bazar.  —  *Le  Petlt-Pont  de  Paris,  qui 
tentent  :  maladroitement.  —  ^ Ponde:  |   était  alon  chargé  de  maisona. 

*  Odoti ,  évèque  de  Tusculuoi,  qui  p  écrit  une  relatioD  d'une  partie  de 
ce  voyage. 
'*  rigeoDs  rorteurs  de  biUels  ou  de  lettres. 


V 


5*2  HISTOIBE 


Cl  DEVISE  COMMENT  DaHIETB  FU  PBINSE  *. 

Grant  grâce  nous  fist  Nostre  Seigneur,  de  Damiete  que  il  nous 
délivra ,  laquelle  nous  ne  deussions  pas  avoir  prise  sanz  affa- 
mer ;  et  ce  poons-nous  veoir  tout  der,  pour  ce  que  par  affamer 
la  prist  le  roy  Jehan**  au  tens  de  nos  pères. 

Autant  peut  dire  Nostre  Seigneur  de  nous ,  comme  il  dit  des 
Oiz  Israël ,  là  où  il  dit  :  Et  pro  nichUo  habueruni  terram  de- 
siderabilem.  Et  que  dit  après  ?  il  dist  que  il  oublièrent  Dieu , 
qui  sauvez  les  avoit ,  et  comment  nous  Foubliames  vous  dire- 
je  ci-après. 

Je  vous  prenré  premièrement  au.  roy  s  qui  manda  querre  ses 
barons,  les  clers  et  les  laiz  *,  et  leur  requist  que  il  li  aidassent 
à  conseiller  comment  Ten  départiroit^  ce  que  Fen  avoit  gaain- 
gné  en  la  ville.  Le  patriarche  ***  fut  le  premier  qui  parla ,  et 

I  Je  commencerai    d'abord  à  tous  |  *  Départir  :  partager, 
parler  du  roi.  —  *  Laiz  :  laies.  ) 

*  La  YiUe  de  Damiette  est  placée  un  peu  au-dessus  des  embouchures  du 
Nil.  En  1170,  les  princes  croisés,  commandé?  par  Amaury,  roi  de  Jérusalem, 
l'assiégèrent  durant  cinquante  Jours ,  sans  pouvoir  s'en  rendre  maîtres. 
Leur  flotte,  selon  fauteur  arabe  Makrizl ,  était  composée  de  douze  cents 
voiles.  Enfin,  en  1218,  trente  et  un  ans  avant  l'arrivée  de  saint  Lou)s  en 
Égyiite ,  Damiette  fut  assiégée  par  les  croisés  réunis  ;  leur  armée,  selon  le 
même  auteur,  était  de  soixante-dix  mille  hommes  de  cavalerie  et  de  quât4« 
cent  mille  d'infanterie.  Apr^s  bien  des  succès  différents  et  un  siège  ùe 
seize  mois  et  vingt-deux  jours,  les  Francs  emportèrent  cette  place  d'assaut, 
l'an  1219.  Deux  années  après  le  départ  de  saint  Louis ,  sur  le  bruit  que  les 
Francs  menaçaient  une  seconde  fols  l'Egypte ,  le  turcoman  Moaz-eddin- 
Aibeck  fit  raser  cette  place,  de  façon  qu'il  n'en  resta  aucun  vestige,  excepté 
la  grande  mosquée.  La  ruine  de  Damiette  ne  rassura  pas  les  Égyptiens ,  et 
onze  années  après  on  combla  l'embouchure  du  Nil ,  afin  que  la  flotte  des 
Francs  ne  pût  pas  remonter  ce  fleuve  ;  depuis  ce  temps-là ,  les  vaisse-aux 
ne  peuvent  plus  entrer  dans  le  Nil  et  sont  obligés  de  mouiller  au  large, 
hors  de  l'embouchure. 

**  Jean  de  Brienne,  roi  de  Jérusalem. 

***  C'était  le  patriarche  de  Jérusalem  ;  d'après  le  sire  de  Joinvillc,  il  avait 
quatie-vingu  ans  au  temps  de  ce  voyage.  U  se  nommait  Guy,  et  était 


DE  SAINT  LOUIS..  53 

dit  ainsi  :  «  Sire,  il  me  semble,  que  il  iert  >  bon  que  vous 
retenez  les  formens  ^  et  les  orges  et  les  ris ,  et  tout  ce  de 
quoy  en  peut  vivre ,  pour  la  "  ville  garnir  ;  et  face  l'en  crier 
en  Tost,  que  touz  les  autres  meubles  fussent  aportez  en  Tos- 
tel  au  légat,  sur  peinne  de  escommeniement.  »  A  ce  conseil 
s^acordèrent  touz  les  autres  barons.  Or  avint  ainsi  que  tout  le 
mueble  que  Ten  apporta  à  l'ostel  le  légat,  ne  montèrent  que  à 
sis  mille  livres. 

Quant  ce  fa  fait,  le  roy  et  les  barons  mandèrent  querre 
monseigneur  Jehan  de  Waleri  le  preudomme ,  et  H  distrent 
ainsi  :  «  Sire  de  Waleri ,  dit  le  roy ,  nous  avons  acordé  que  le 
légat  vous  baillera  les  sis  mille  livres ,  à  départir  là  où  vous 
cuiderés  que  il  soit  miex.  »  —  «  Sire,  fit  le  preudomme ,  vous 
me  faites  grant  honeur,  la  vostre  merci  ;  mèz  ceste  honeur  et 
ceste  offre  que  vous  me  faites,  ne  prenré-je  pas,  se  Dieu  plet; 
car  je  desferoie  les  bones  coustumes  de  la  sainte  terre ,  qui 
sont  teles;  car,  quant  Fen  prent  les  cités  des  ennemis, 
des  biens  que  l'en  treuve  dedans ,  le  roy  en  doit  avoir  le  tiers , 
et  les  pèlerins  en  doivent  avoir  les  deux  pars  ;  et  ceste  coustume 
tint  bien  le  roy  Jehan ,  quant  il  prist  Damiete  ;  et  ainsi  comme 
les  anciens  dient ,  les  roys  de  Jerasalem  qui  furent  devant  le 
roy  Jehan,  tindrent  bien  ceste  coustume  ;  et,  se  il  vous  plet  que 
vous  me  weillez  bailler  les  deux  pars  des  fourmens  et  des  orges, 
des  ris  et  des  autres  vivres,  je  me  entremetrai  vôlentiers  pour 
départir  aus  pèlerins.  »  Le  roy  n'ot  pas  conseil  du  Ijaire  ^  ;  et 
ainsi  demeura  la  besoigne ,  dont  mainte  gent  se  tindrent  mal 
apaié  ^  de  ce  que  le  roy  deffit  les  bones  coustumes  anciennes. 
Les  gens  le  roy  qui  deussent  debonnerement  retenir,  leur 
loèrent  les  estaus  ^  pour  vendre  leur  danrées  aussi  chiers , 
si  comme  Fen  disoit,  comme  il  porent  ;  et  pour  ce  la  renommée 

■  lert  :  sera.  —  *  Formens  :  blés.  —  i  contente.  —  *  Estatu  :  étals. 
3  Laire  :  laisser.  —  *  Mal  apaié  :  mé-  I 

originaire  de  la  Fouille.  N'étant  encore  qu*évèque  de  Nantes  >  il  fut  promu 
h  la  dtgnité.de  patrtarciie  par  le  pape  Grégoire  IX, 

/       -  /  'y' 

•'         '  >'  '.  •         /         ' 

/ 


54  HISTOIAE 

couru  en  estrapges  terres  :  do'fit  m^at  marcheant  lessièrcot 
à  venir  enTost  '.^ 

Les  barons  qui  deussent  garder  le  leur  pour  bien  emploier 
en  lieu  et  en  tens,  se  pristrent  à  donner  les  grans  mangers  et 
les  outrageuses  viandes. 

Le  commun  peuple  se  prist  aus  foies  femmes,  dont  il  aviat 
que  le  roy  donna  congié  à  tout  plein  de  ses  gens,  quant  nous 
revcnimes  de  prison  ;  et  je  li  demandé  pour  quoi  il  avoit  ce 
fait;  et  il  me  dit  que  il  avoit  trouvé  de  certain  que  au  giet 
d'une  pierre  menue,  entour  son  paveillon  tenoient  cil  leur 
bordiaus  à  qui  il  avoit  donné  congié ,  et  ou  temps  du  plus 
grant  meschiéf  que  Tost  eust  onqnes  esté. 

Or  revenons  à  nostre  matière  et  disons  ainsi,  que  un  pou  après 
ce  que  nous  eussions  pris  Damiete ,  vindrent  devant  Tost  toute 
la  chevalerie  au  soudanc ,  et  assistrent  nostre  ost  par^devers 
la  terre.  Le  roy  et  toute  la  chevalerie  s'armèrent.  Ue^  tout 
armé^  alai  parler  au  roy,  et  le  trouvé  tout  armé  séant  sus  une 
forme  *,  et  des  preudommes  chevaliers  qui  estoient  de  sa  ba- 
taille 3,  avec  li  touz  armés.  Je  li  requis  que  je  et  ma  gent  aHs- 
siens  jusques  hors  de  Tost ,  pour  ce  que  les  Sarrazins  ne  se 
ferissent  en  nos  héberges^.  Quant  monseigneur  Jehan  do 
Biaumont  oy  ma  requeste,  il  m'escria  moult  fort,  et  me 
commanda ,  de  par  le  roy,  que  je  ne  me  partisse  de  ma  her- 
berge  jusques  à  tant  que  le  roy  le  me  commenderoit  Les 
preudeshomes  chevaliers  qut  estoient  avec  le  roy  vous  ai-je 
ramentu,  pour  ce  que  il  en  y  avoit  avec  li  huit,  touz  bons  che- 
valiers qui  avoient  eu  pris  d'armes  de  sa  mer  et  de  là  ;  et 
tiex  chevaliers  soloit  Ten  appeler  chevalier.  Le  non  de  ceulz 
qui  estoient  chevaliers  entour  le  roy,.  sont  tiex  :  monseigneur 
(jeffroy  de  Sargines,  monseigneur  Mahi^  de  IVIarley,  mon- 
seigneur Phelippe  de  Nanteul ,  monseigneur  Ymbert  de  Biau- 

I  Dont  maint  marchand  cessèrent  |   taille  :  troupe.  —  *  Ne  vinssent  nous 
de  venir  au  camp.  —  '  Séant  aus  une  1  attaquer   dans    nos     quartiers,     — ■ 
forme  :  monté  sur  un  banc.  —  ^  Ba-  f   ^  9Iahi  :  Mathieu. 


V^'- 


il' 


'  '■■■  ■''<  ''^M. 


DE  SAINT  LOUIS. 


55 


jeu ,  connestable  de  f  rance ,  qiii  n'estoit  pas  là  ;  ainçois  es- 
toit  au  dehors  de  Fost,  entre  li  et  le  mestre  des  arbalestriers  *, 
à  tout  le  plus  '  des  serjans  à  armes  *  le  roy^  à  garder  nostre 
ost ,  que  les  Turs  n'i  feîssent  doumage.  Or  avint  que  mons 
Gauchier  d'Autreche  se  fîst  armer  en  son  paveillon  de  touz 
poins,  et  qumit  il  fu  monté  sus  son  cheval  ^  Tescu  au  col,  le 
hyaume  en  la  teste  ^  il  fist  lever  les  pans  de  son  paveillon  et 
feri  des  espérons  pour  aler  aus  Turs;  et  au  partir  que  il  fist 
de  son  paveillon ,  tout  seul ,  toute  sa  mesnie  ^  escria  :  Chas- 
teiUonî  Or  avint  amsi  que,  avant  que  il  venist  aus  Turs ,  il 
chaî,  et  son  cheval  li  vola  parmi  le  cors ,  et  s'en  ala  le  cheval 
couvert  de  ses  armes  à  nos  ennemis,  pour  ce  que  le  plus  des 
Sarraziné  estoient  montez  sur  jumens,  et  pour  ce  trait  le 
cheval  aus  Sarrazins  4.  £t  nous  contèrent  ceulz  qui  le  virent , 
que  quatre  Turs  vindrent  par  le  seigneur  Gaucher  qui  se 
gisoit  par  terre;  et,  au  passer  que  il  fesoient  par  devant  li, 
li  donnoient  grant  cops  de  leur  màces  là  où  il  gisoit.  Là  le 
rescourent  ^  le  connestable  de  France  et  plusieurs  des  sergans 
le  roy,  avec  li  qui  le  rameùèrent  par  les  bras  jusques  à  son 
paveillon.  Quant  il  vint  là^  il  ne  pot  parier;  pluseurs  des 
cyrurgiens  et  des  phisiciens  de  Tost  alèrent  à  li  ;  et  pour  ce  que 
il  leur  sembloit  que  il  n'i  avoit  point  de  péril  de  mort,  il  le 
firent  seigner  de  deux  bras.  Le  soir  tout  tart,  me  dit  monsei- 
gneur Aubert  de  Narcy  que  nous  Talissons  veoir,  pour  ce  que 
nous  ne  Pavions  encore  veu ,  et  estoit  home  de  grant  non  et 
de  grant  valeur.  Nous  entrâmes  en  son  paveillon,  et  son 
chamberlanc  nous  vint  à  rencontre  pour  ce  que  nous  allissiens 
bêlement,  et  pour  ce  que  nous  ne  esveillissiens  âm  mestre. 


'  Atcc  la  plus  grande  partie.  — 
'  Serjans  à  armes  le  roy  :  sergents 
d'armes  dn  roi.  —  '  Mesnie  :  maison. 


famille,  vassaux.—  ^  Le  cheval  se 
retira  du  côté  des  Sarrasins.  —  ^  lieS' 
courent  :  secoururent. 


*  Ibibaut  de  HonUéart  eut  cette  qualité  sons  saint  Louis.  Il  est  noininé 
entre  les  grands  seigneurs  du  royaume  dans  un  arrêt  de  l'an  1270,  rapporté 
IKir  du  TiUet. 


50  HISTOIBB 

Nous  le  trouvâmes  gisant  sus  couvertouers  de  menu  vert  *,  et 
nous  traîmes  tout  souef  vers  li  s  et  le  trouvâmes  mort  Quant 
en  le  dit  au  roy,  il  respondit  que  il  n*en  vourroit  mie  avoir 
tiex  mil ,  puis  que  il  ne  vousissent  ouvrer  de  son  commande- 
ment aussi  comme  il  avoit  fait. 

Les  Sarrazins  à  pié  entroient  toutes  les  nuiz  en  Tost ,  et  oc- 
cioient  les  gens ,  là  où  il  les  trouvoient  dormans  :  dont  il  avint 
que  il  occistrent  la  gaite  *  au  seigneur  de  Courtenay,  et  le 
lessèrent  gisant  sur  une  table,  et  li  copèrent  la  teste  et  rem- 
portèrent; et  ce  firent-il  pour  ce  que  le  soudanc  donnoit  de 
chascune  teste  des  chrestiens  un  besantd'or.  Etceste  persiocu- 
tion  avenoit  pour  ce  que  les  batailles  guetoient  ^  chascun  à  son 
soir,  Tost^  à  cheval;  et,  quant  les  Sarrazins  vouloient  entrer 
en  Tost,  il  attendoient  tant  que  les  firains  des  chevaus  et  des 
batailles  estoient  passées;  si  se  metoient  en  Tost  par  darières 
les  dos  des  chevaus,  et  r'issoient  avant  que  jours  feust.  £t 
pour  ce  ordena  le  roy  que  les  batailles  qui  soloient  ^  guietier 
à  cheval ,  guietoient  à  pié  ;  si  que  tout  Tost  estoit  asseur  de 
nos  gens  qui  guietoient  4,  pour  ce  que  il  estoient  espandu  en  tel 
manière  que  l'un  touchoit  à  l'autre. 

Après  ce  que  ce  fu  fait,  le  roy  ot  conseil  que  il  ne  partiroit 
de  Damiete,  jusques  à  tant  que  son  frère, le  conte  de  Poitiers**, 
seroit  venu,  qui  amehoit  Tarière-ban  de  France;  et  pour  ce. 
que  les  Sarrazins  ne  se  ferissQnt  par  mi  Tost  à  cheval,  le  roys, 

>  Et  noas  noas  approchâmes  toat   i  —  4  De  telle  manière  que  toute  l'ar- 
doncement  de  lai.  —  '  Gait$  :  senti-   1  mée  se  reposait  sur  la  foi ,  etc. 
oelle.  —  3  Soloient  :  avaient  coutume.   * 

*  En  ce  tenps-là,  les  couTertares  de  lits  étaient'ordinairement  faites  de, 
peaux  de  prix,  d'où  vient  que  les  auteura  les  comptent  parmi  les  plus  riches 
meubles.:    ^/^   >  "'  .   '•      '     '    ,  .'  ^  /.  '/ f  .^ .  '■' . 

**  Vincent  de  Beauvais  dit  qu'Alphonse,  comte  de  Poitiers,  demeura  en 
France  avec  Blanche,  mère  du  roi,  pour  gouverner  le  royaume  durant  son 
absence,  et  que,  ver»  la  fête  de  la  Saint- Jean,  l'an  1249,  il  ae  mit  en  chemin 
avec  une  puissante  armée,  s'embarqua  à  Àigues*Mortes,  le  lendemain  de  la 
Saint-Barthélémy,  et  arriva  à  Damiette,  le  dhnanche  avant  la  fête  de  saint 
Simon  et  saint  Judc.  Guillaume  de  Nangis  dit  lit  même  chose» 


DE   SAINT   LOUIS.  ^j 

•list  clorre  tout  Tost  de  grans  fossés ,  et  sus  les  fossés  gaitoieut 
nrbalestriers  touz  les  soirs,  et  serjaùs ,  et  aus  entrées  de  Tost 
aussi. 

Quant  la  Saint-Remy  fu  passée,  que  en  n'oy  nulles  nou- 
velles du  conte  de  Poitiers,  dont  le  roy  et  touz  ceulz  de  l'ost 
furent  à  grant  messaise  '  ;  éar  il  doutoient  que  aucun  mes- 
ebief  ne  li  feust  avenu  :  lors  je  ramentu  le  légat  comment  le 
dien  >  de  Malrut  nous  avoit  fait  trois  processions .  en  la  mer, 
par  trois  samedis,  et  devant  le  tiers  samedi  nous  arrivâmes  en 
Cypre.  Le  légat  me  crut  et  fist  crier  les  trois  processions  en  l'ost 
par  trois  samedis.  La  première  procession  commença  en  Tostel 
du  légat ,  et  alèrent  au  moustier  Nostre-Dame  en  la  ville  ;  le- 
quel moustierestoit  fait  en  la  mahonunerie*  des  Sarrazins, 
et  Tavoit  le  légat  dédié  en  Tonneur  de  la  Mère  Dieu.  Le  légat 
fist  le  sermon  par  deux  samedis.  Là  fu  le  roy  et  les  riches  ho- 
mes de  Tost ,  ausquiex  le  légat  donna  grant  pardon. 

Dedans  le  tiers  samedi  vint  le  conte  de  Poitiers,  et  ne  fu  pas 
mestier  ^  que  il  feust  avant  venu  ;  car  dedans  les  trois  samedis  fu 
si  grant  baquenas^  en  la  mer  devant  Damiete,  que  il  y  ot  bien 
douze  vins  vessiaus,  que  grans  que  petiz,brisiez  et  perdus  a  tout 
les  gens  qui  estoient  dedans,  noyes^  et  perdus  ;  dont,  se  le  conte 
de  Poitiers  feust  avant  venu ,  et  il  et  sa  gent  eussent  esté  touz 
confondus. 

Quant  le  conte  de  Poitiers  fu  venu^  le  roy  manda  touz  ses 
barons  de  Tost,  pour  savoir  quel  voie  il  tendroit,  ou  en  Aiixan- 
dre^,  ouenBabiloinne  ;  dontilavint  ainsi  que  le  bon  conte  Pierre 
de  Bretaingne  et  le  plus  des  barons  de  l'ost  s'acordèrent  que 
le  roy  alast  assiéger  Alixandre;  que  ^devant  la  ville  avoit  bon 

<  Messaise  :  mal-aise,  chagrin.  —  i  —  *  Baqvenas:  tempête.  —  &  JHxan- 
'  Dien  :  doyen.  — -  3  Kestier  :  besoin.   1  dre  :  Alexandrie.  —  ^  Que  :  car. 

*  Cest'à-dire  la  mosquée.  En  1219,  lors  de  la  seconde  prise  de  Damiette, 
ce  temple  des  infidèles  avait  été  changé  par  le  légat  en  une  église,  sous  Tin- 
vocaUon  de  Motre-Dame ,  comme  nous  rapprend  Jacques  de  Vitry.  Guil- 
laume Guiart,  dans  sa  branche  des  royaux  Lignages,  rapporte  qu'en  4249, 
saint  Louis  ou  plutOt  le  légat,  le  fit  dédier  de  rechef  sous  le  nom  de  Notre- 
Dame. 


£8 


HISTOIBB 


port,  Jà  où  les  nez  arrivent,  qui  apportent  les  viandes  en  i'ost. 
A  ce  f u  le  conte  d'Artois  contraire,  et  dit  ainsi  que  il  ne  s'a- 
corderoitjà  que  en  Talastmais  que  en  Babiloinne,  pour  ce  que 
c'estoit  le  chief  ^  de  tout  le  royaume  d'Egypte;  et  dit  ainsi  que 
qui  vouloit  tuer  premier  la  serpent,  il  li  devoit  esquacher  le 
chtef  *.  Le  roy  lessa  touz  les  autres  conseulz  ^  de  ses  barons , 
et  se  tint  au  conseil  de  son  frère. 

En  l'entrée  des  advens  se  esmut  le  roy  et  Tost  pour  aler 
vers  Babiloinne,  ainsi  comme  le  conte  d'Artois  l'avoit  loé.  Assez 
près  de  Damiete  trouvâmes  un  flum^  qui  issoit  de  la  grant  ri- 
vière ;  et  fu  ainsi  acordé  quel'ost  séjourna  un  jour  pour  bouchex 
ledit  braz,  par  quoy  en  peust  passer.  La  chose  fu  faite  assez 
Icgierement  ;  car  l'en  boucha  ledit  bras  rez  à  rez  ^  de  la  grant 
rivière.  A  ce  flum  passer  envola  le  soudanccinq  cens  de  ses  che- 
valiers, les  miex  montez  que  il  pot  trouver  en  tout  son  liost^ 
pour  aidier^Fost  le  roy,  pour  delaier  nostre  alée  7. 

Le  jour  de  la  Saint-Nicholas,  commenda  le  roy  que  il  s'ati- 
rassent  pour  chevaucher,  et  deffendi  que  nulz  ne  feust  si  hardi 
que  il  poinsist  ^  à  ces  Sarrazins  qui  venus  estoient.  Or  avint  que, 
quant  Fôst  s'esmut  pour  chevaucher,  et  les  Turs  virent  que  l'en 
ne  poindrent  pas  à  eulz,  et  sorent  par  leurs  espies  o  que  le  roy 
l'avoit  deffendu,  il  s'enhardirent  et  assemblèrent  aus  Templiers, 
qui  avoient  la  première  bataille  '^  ;  et  l'un  des  Turs  porta  un  des 
chevaliers  du  Temple  à  terre,  tout  devant  les  piez  du  cheval , 
frère  Renaut  de  Bichiers  qui'  estoit  lors  maréchal  du  Temple. 
Quant  il  vit  ce,  il  escria  à  ses  frères  :  «  Or  à  eulz,  de  par  Dieu! 
car  ce  ne  pourroie-je  plus  soufi&ir.  »  lï  feri  des  espérons  et 
tout  l'ost  aussi  :  les  chevausà  nos  gens  estoient  frez,  et  lesche- 


>  CM^:  capitale.  —  <  U  lai  devait 
écraser  la  tète.  — '  Cotue^z:  conaeiU. 
—  *  Flum  :  fleoTe,  courant  d'eaa.  — 
^  Rez  à  rez  :  à  la  hauteur.  —  ^  Liseï  : 
harcUer  ou  hardoier,  c'eftt-À-dlre  har- 
celer f  cependant  Tèdition  de  da  Cangt 
porte  :  Que  fist  le  souldan  ?  il  envoya 
devers  le  roy  ,  cuidant  le  fuire  par 
cautelle ,  cinq  cens  de  ses  chevaliers 


des  mienlx  montez  qu'il  seent  choisir, 
disans  ail  roy  qu'ils  estoient  venus 
pour  le  secourir,  lui  et  tout  son  ost, 
q}ais  c'étoit  seulement  pour  delaier 
nostre  venue.  — •  '  Pour  mettre  on  délai 
à  notre  passage.  —  *  Poinsist  :  com- 
battit. —  *  Kt  sorent  par  leurs  es- 
pions. —  "^  Bataille  :  bataiUon. 


DE  SAINT  LOUIS. 


5!) 


vaus  aus  Turs  estoient jà  foulez;  dont  je  oy  recorder  que  nul 
n*en  y  avoît  eschappé,  que  touz  ne  faussent  mort^  et  phiseurs 
d'eulz  en  estoient  entré  ou  flum  et  furent  noyez. 

11  nous  convient  premièrement  parler  du  flum  qui  vient  de 
Egypte  et  de  Paradis  terrestre  ;  et  ces  choses  vous  ramentoif- 
je  pour  vous  fere  entendant  aucunes  choses  qui  affièrent  à  ma 
matière.  Ce  fleuve  est  divers  de  toutes  autres  rivières;  car 
quant  viennent  les  autres  rivières  aval,  et  plus  y  chieent  de  pe- 
tites rivières  et  de  petiz  ruissiaus;  et  en  ce  flum  n*en  chiet 
nulles  :  aînds  avoient  ainsi  que  il  vient  tout  en  un  chanel  '  jus- 
ques  en  Egypte,  et  lors  gete  de  li  ses  branches  qui  s'espandent 
parmi  Egypte.  Et  quant  ce  vient  après  la  Saint-Remy,  les  sept 
rivières  8*espandent  par  le  pais  et  cuevrent  les  terres  pleinnes; 
et  quant  elles  se  retraient,  les  gaungneurs  >  vont  chascun  la- 
bourer en  sa  terre  à  une  charue  sanz  rouelles  ;  de  quoy  il  treu- 
vent  dedens  la  terre  les  fourmens,  les  orges,  lescomminz  ^,  le 
ris,  et  vivent  si  bien  que  nulz  nM  sauroit  qu^am^der^  ;  ne  ne 
scet  Ten  dont  celle  treuve.^  vient,  mez  que  de  la  volenté  Dieu  ; 
et,  sece  n'estoit,  nulz  biens  ne  venroient  ou  pais,  pour  la  grant 
«haleur  du  solldl  qui  ardroittout,  pour  ce  que  il  ne  pluet  nulle 
foiz  ou  payz.  Le  flum  est  touzjours  trouble,  dont  ceulz  du 
pais,  qui  boire  en  welent,  vers  le  soir  le  prennent  etesquachent^ 
quatre  amendes  ou  quatre  fèves  ;  et  lendemain  est  sibone  à  boire 
que  riea  ni  fisiut  7.  Avant  que  le  flum  entre  en  Egypte^ les  gens 
qui  ont  acoustumé  à  ce  faire,  getent  leur  roys  ^  desliées  parmi 
le  flum,  au  soir;  et,  quant  ce  vient  au  matin,  si  treuvent  en 
leur  royz  cel  avoir  de  poiz  9  que  1'^  aporte  en  ceste  terre,  c'est 
à  savoir  gingimbre,  rubarbe,  lignaloecy  >°  et  canele  ;  et  dit  l'en 
que  ces  choses  viennent  de  paradis  terrestre ,  que  le  vent  abat 
des  arbres  qui  sont  en  paradis,  aussi  comme  le  vent  abat  en  la 


*  Chemel  :  eantl.  —  •  Gaungneurs  : 
cultivatenn.  —  a  Ccmminz  :  cumÎM. 
—  *  Qu'amender  :  que  faire  plus.  — 
*  TYeuve  :  trouvaille.  ^''Etquaehent  : 
écrasent.  —  '    Faut    :   manque.   — 


'  Rotfs  :  rets,  fllefs.  —  >  Ces  mar- 
chandises qu'on    vend  au   poids.  ->- 

■*  Lignaloeaj  :  bois  d'aloês ,  lignum 
aloecl  en  latin. 


f 


60  HISTOIBE 

forest  en  cest  pais  le  bois  sec;  et  ce  qui  chiet  du  bois  sec  ou 
fliun,  nous  vendent  les  marcheans  en  ce  païz.  L'yaue  du  flum  est 
de  tel  nature,  que  quant  nous  la  pendion  en  poz  de  terre  blans 
que  Ten  fet  ou  pais  *,  aus  cordes  de  nos  paveillons,  Tyaue  de- 
venoit  ou  chaut  ^u  jour  aussi  froide  comme  de  fonteinne.  Il 
disoient  ou  pais  que  le  soudancdeBabiloinneavoit  mainte  foiz 
essaie  dont  le  flum  venoit,  et  y  envoioit  gens  qui  portoient  ime 
manière  de  pains  que  Feu  appelle  béquis  ■,  pour  c-e  que  il  sont 
cuis  par  deux  foiz ,  et  de  ce  pain  vivoient  tant  que  il  revenoient 
arières  au  soudanc;  et  raportoient  que  il  avoient  cerchié  >  le 
flum  et  que  il  estoient  venus  à  un  grant  tertre  de  roches  tail- 
lées, là  où  nulz  n'avoit  pooir  de  monter  ;  de  ce  tertre  cheoit  le 
flum,  et  leur  sembloit  que  il  y  eust  grant  foison  d'arbres  en 
la  montaigne  en  haut  ;  et  disoient  que  il  avoient  trouvé  mer- 
veilles de  diverses  bestes  sauvages  et  de  diverses  façons,  lyon, 
serpens,  oliphans  3,  qui  les  venoient  regarder  dessus  la  rivière 
de  lyaiie,  aussi  comme  il  aloient  à  mont. 

Or  revenons  à  nostre  première  matière  et  disons  ainsi  que., 
quant  le  flum  vient  en  Egypte,  il  g^e  ses  branches  aussi  commo 
j'é  jà  dit  devant.  L'une  de  ses  branches  va  en  Damiete,  l'autre 
en  Alixandre  ;  la  tierce  à  Atenes  **,  la  quarte  à  Raii  '^*'*  ;  et  à 
celle  branche  qtâ  va  à  Rexi  vint-  le  roy  de  France  à  tout 
son  ost,  et  si  se  logea  entre -le  fleuve  de  Damiette  et  celui  de 

'    I 

I  Béquis  :  biscnits.  —  '  Cerehié  :  chercha.  —  *  Oliphans  i  éléphants. 

4  ' 

*  Ces  pots,  dont  rasage  est  général  en  Orient  et  en  Espagne,  éMient 
autrefois  employés  seulement  dans  les  cabinets  de  physique.  Depuis  quelques 
années  on  en  fabrique  en  France,  et  ils  sont  connus  sous  leur  nom  es- 
pagnol d'alcarazM* 

**  Tous  les  historiens  qui  rapportent  ce  passage,  nomment  cette  rivière 
Thanis,  qui  est  le  nom  de  la  branche  du  Nil  qui  passe  par  un  endroit  du 
même  nom.  C'est  la  branche  que  les  anciens  appelaient  Péiusiaque. 

***  Ce  qui  suit  en  lettres  italiques  a  été  tiré  du  manuscrit  de  Lacques^ 
page  48,  ligne  U ,  pour  remplir  la  lacune,  qui  était  visible  en  cet  endroit, 
du  manuscrit  de  l'ouvrage  du  sire  de  Joinville,  que  nous  suivons.-^ 

Le  sire  de  Joinville  parait  désigner  par  ce  nom  la  branche  de  Damiette  dont 
il  vient  de  parler. 


/ 


:   -  -"     / 


/ 


DE  SAINT  LOUIS.  61 

Rexi;  et  toute  la  puissance  du  soudain  se  logèrent  sur  le 
fleuve  de  Rexi  d'autre  par,  devant  nostre  ost,  pour  nous  def- 
fendre  le  passage;  laquelle  chose  leur  estoit  légière;  car  nuJz 
ne  pooit  passer  ladite  yaue  par  devers  eulz,  se  nous  la  passions 
à  nou'. 

Le  roy  ot  conseil  que  il  feroit  faire  une  chauciée  par  mi  la 
rivière  pour  passer  vers  les  Sarrazins.  Pour  garder  ceulz  qui  ou- 
vroient  '  à  la  chauciée,  et  ûst  faire  le  roy  deux  beffrois  que  l'en 
aç]^e  chas-chastiau*  ;  car  il  avoit  deux  chastiaus  devant  les 
chas  **  et  deux  maisons  darrières  les  chastiaus ,  pour  couvrir 
ceulz  qui  guîeteroient,  pour  les  copz  des  engins  ^  aux  Sarrazins, 
lesquiex  avoient  seize  engins  touz  drois.  Quant  nous  venimes  là^ 
le  roy  fist  faire  dix-huit  engins ,  dont  Jocelin  de  Gomaut  estoit 
mestre  engingneur  4.  !Nos  engins  getoient  au  leur^  et  les  leurs 
aus  nostres  ;  mes  onques  n'oy  dire  que  les  nostres  feissent  biau- 
cop.  Les  frères  le  roy  guitoient  de  jours ,  et  nous  li  autre  che- 
valier guetion  de  nuit  les  chaz.  Nous  venimes  la  semainne 
devant  Nouël.  Maintenant  que  les  chaz  furent  faiz,  l'en  em- 
prist  à  fere  la  chauciée ,  et  pour  ce  que  li  roy  ne  vouloit  que 
les  Sarrazins  blesassent  ceulz  qui  portoient  la  terre ,  lesquiex 
traioient  à  nous  de  visée  parmi  le  flum.  A  celle  chauciée  faire 
furent  aveuglez  4  le  roy  et  touz  les  barons  de  Tost  ;  car  pour  ce 
que  il  avoient  bouché  Tun  des  bras  du  flum,  aussi  comme  je 
vous  ai  dit  devant  (  lequel  firent  légièrement,  pour  ce  que  il 
pristrent  à  boucher  là  où  il  partoit  du  grand  flum  );  et  par  cest 
fait  cuidièrent-il  boucher  le  flum  de  Raxi,  qui  estoit  jà  parti  du 
grant  fleuve  bien  demi  lieue  aval.  Et  pour  destourber  la  chau- 

•  ji  nou  :  à  la  nage.  —  *  Ouvroient  :  1  degaerre.  —  <  Engingneur  :  ingénieur. 
travaiUaient*  —  '  Engins  :  machines   |  —  *  Agirent  en  aveagles. 

*  Galeries  coiiTertes,  flanquées  de  tours,  le  tout  en  bois  de  charpente  et 
roulant  sur  quatre  roues.  De  là  les  soldats  lançaient  des  flèches,  des  halles 
de  plomb  et  des  pierres.  Afin  que  le  feu  grégeois  ne  leur  pût  nuire,  on.  les 
couvrait  de  cuirs  de  bœuf  ou  de  cheval  bouillis. 

**  Autre  madiine  couverte  qu'on  attachait  aux  murailles  pour  les  saper, 
combler  les  fossés  et  faire  avancer  les  beffrois. 

a 


€2  HISTOIBE 

ciée  •  que  le  roy  fesoît ,  les  Sarrazias  fesoient  fera  caves  en 
terre  par  devers  leur  ost  ;  et  si  tost  comme  le  flum  venoit  aus 
caves ,  le  flum  se  flatissoit  *  es  caves  dedens ,  et  refaisoit  ime 
grant  fosse;  dont  il  avenoit  ainsi  que  tout  ce  que  nous  avions 
fait  en  trois  semaines,  il  nous  deffessoient  tout  en  un  jour, 
pour  ce  que  tout  ce  que  nous  bouchions  du  Qum  devers  nous,  il 
r'élargpssoient  devers  eulz',  poilr  les  caves  que  il  fesoient. 

Pour  le  soudanc  qui  estoit  mort,  et  de  la  maladie  que  ii  prist 
devant  Hamant  la  cité ,  il  avoient  fait  chevetain  d'un  Sarrazin 
qui  avoit  à  non  Scecedine  le  filz  au  Sdc*.  L'en  disoit  que  Tem- 
periere  Ferris**  Favoit  fait  chevalier.  Celi  manda  à  une  partie 
de  sa  gent  que  il  venissent  assaillir  nostre  ost  par  devers  Da  - 
miete,  et  il  si  firent;  car  il  alèrent  passer  à  une  ville  qui  est 
sur  le  flum  de  Rixi,  qui  a  non  Sormesac.  Le  jour  INoël,  moy  et 
mes  chevaliers  mangions  avec  monseigneur  Pierre  d'Avalon  ***. 
Tandis  que  nous  mangions, il vindrent,  ferant  des  espérons, 
jusques  à  nostre  ost,  et  occistrent  plusieurs  povres  gens  qui 
estoient  alez  au  chans  à  pié.  Nous  nous  alames  armer.  Nous 
ne  scéumes  onques  si  tost  revenir  que  nous  trouvâmes  mon- 
seigneur Perron,  nostre  oste,  qui  estoit  au  dehors  de  Tost ,  qui 
en  fu  aie  après  les  Sarrazins  :  nous  ferimes  des  espérons  après , 
et  les  rescousismes  aus  Sarrazins  3,  qui  Tavoient  tiré  à  terré  ;  et 
li  et  son  frère,  le  seigneur  du  Val,  arrières  en  remenames  en 
Tost  Les  templiers,  qui  estoient  venus  au  cri ,  firent  Tarrière- 

*  Empêcher  la  constraction  de  la  |    pilait. — 3  Les  secourûmes  contre  les 
cbaussée.  —  '  Sefiattissoit  :  se  préci-  {   SarrasÎDS. 

•  Ce  chef  se  nommait  Fakr-eddin. 

*"  Frédéric  II.  Nous  lisons  que  saint  Louis  refusa  aux  prières  des  siens,  de* 
faire  chevalier  un  Sarrazin  qui  avait  tué  le  sultan,  leur  disant  pour  excuse  : 
«  Absitame,  utvelproservanda  vila^  vcl  morte  declinanda,  quemcnmque 
a  chrisfiana  religione alienum^  haltheo militari  donarevelim  ».  (Wadding. 
Ann.  1254,  n.  26.  )  Quant  à  Fakr-eddin,  qui  est  ce  Sarrazin  dont  parle  le 
sire  de  Joinvillc,  s'il  reçut  l'ordre  de  chevalerie  de  Frédéric,  il  faut  qu'il  lui 
ait  été  conféré  durant  les  trêves  que  cet  empereur  fit  avec  les  Sarrazins  et 
lorsqu'il  se  fit  couronner  dans  Jérusalem ,  l'an  1229. 
'*  Ailleurs  il  appelle  ce  chevalier  son  cousin. 


**i 


DE   SAINT   LOUIS.  6^ 

garde  bien  et  hardiemeut.  Les  ïurs  nous  vindreot  hardoiant» 
jusques  ennostre  ost  :  pour  ce  commanda  le  roy  que  Feu  cous- 
sit  '  nostre  ost  de  fossés  par  devers  Damiete  jusque  au  flum  de 
Rexi. 

Scecedius ,  que  je  vous  ai  devant  nommé  le  chievetain  des 
Turs,  se  estoit  le  plus  prisié  '  de  toute  la  paennime.  En  ses  ba- 
nières  portoit  les  armes  de  l'empereur*  qui  Tavoit  fait  chevalier  ; 
sa  banière  estoit  bandée ,  et  une  des  bandes  estoient  les  armes 
de  l'empereur  qui  Favoitfait  chevalier;  en  l'autre  estoient  les 
armes  le  soudanc  de  Haraphe  ;  en  l'autre  bande  estoient  les  au-^ 
soudanc  de  Babiioine.  Son  nom  estoit  Scecedin  le  fils  Seic  :  ce 
vaut  autant  à  dire  comme  le  veel  ^  le  fîlz  au  veel.  Son  non 
tenoient-ii  à  moult  grant  chose  en  la  paiennime  ;  car  ce  sont  les 
gens  ou  monde  qui  plus  honneurent  gens  anciennes ,  puis  que 
il  est  ainsi  que  Dieu  les  a  gardés  de  vilain  reproche  jusques  en 
leur  vieillesce.  Secedin,  ce  vilin  Turc ,  aussi  comme  les  espies 
le  roy  le  raportèrent,  se  vanta  que  il  mangeroit ,  le  jour  de  la 
feste  saint  Sébastien ,  es  paveillonz  le  roy. 

Le  roy,  qui  sot  ces  choses^  atira  son  host  en  tel  manière  que 
le  conte  d'Artois,  son  frère,  garderoit  les  chaz  et  les  engins  ;  le 
roy  elle  conte  d'Anjou,  qui  puis  fu  roy  de  Cécile,  furent  esta- 
bliz  à  garder  l'ost  par  devers  Babiloinne;  et  le  conte  de  Poitiers 
et  nous,  de  Champaingne,  garderions  l'ost  par  devers  Damiete. 
Or  avint  ainsi  que  le  prince  des  ïurs  devant  nommé  fîst  passer 
sa  gent  en  Tille  qui  est  entre  le  flum  de  Damiete  et  le  flum  de 
Rexi ,  là  où  nostre  ost  estoit  logié  ;  et  fist  ranger  ses  batailles 
dès  l'un  des  fleuves  jusques  à  l'autre.  A  celle  gent  assembla  le 
roy  de  Sezile  et  les  desconiist.  Moult  en  y  ot  de  noiez  en  l'un 
fleuve  et  en  l'autre  ;  et  toutesvoies  ^  en  demoura  fl  grant  partie 


*  Hardoiant  :  harcelant.  —  ^  Cest- 
à-dtre  fermât.  Le  mot  coussit  du  texte 
est  probablement  une  faate  de  copiste 


pour  clouslt,  —  3  Prisié  :  prisé,  estimé. 
—  ♦  Les  au  :  celles  du.  —  *  re«l  : 
vieux.   —  0  Toutesooies  :  toutefois. 


*  U  résulte  de  ce  passage  que  les  ariuoiries  étaient  en  usage  parmi  les  Ma- 
hométans,  et  que  leurs  sultans  les  faisaient  représenter  sur  leurs  bannières. 


G4  HISTOIRE 

ausquiex  en  n'osa  assembler,  pour  ce  que  les  engins  des  Sarra- 
zins  getoient  parmi  les  deux  fleuves.  A  l'assembler  que  le  roy  de 
Gezile  6st  aus  Turs ,  le  conte  Gui  de  Forez  tresperça  Tost  des 
Turs  à  cheval ,  et  assembla  li  et  ses  chevaliers  à  une  bataille  de 
Sarrazins  serjans  qui  le  portèrent  à  terre,  et  ot  la  jambe  brisiée  ; 
et  deux  de  ses  chevaliers  le  ramenèrent  par  les  bras.  A  grant 
peinne  firent  traire  le  roy  de  Sezile  du  péril  là  où  il  estoit ,  et 
moult  fu  prisié  de  celle  journée. 

Les  Turs  vindrent  an  conte  de  Poitiers  et  à  nous ,  et  nous 
leur  courûmes  sus  et  les  chassâmes  grant  piesce  ;  de  leur  gens 
y  ot  occis,  et  revenimes  sanz  perdre.  Un  soir  avint,  là  où  nous 
guietions  les  chas-chastîaus  de  nuit^  que  il  nous  avièrentun 
engin  que  l'en  appelé  perrière ,  ce  que  il  n'avoient  encore  fait, 
et  mistrentle  feu  gregoiz  *  en  la  fonde  de  l'engin.  Quant  mon- 
seigneur Gautier  du  Gureil,  le  bon  chevalier,  qui  estoit  avec 
moy,  vit  ce ,  il  nous  dit  ainsi  :  «  Seigneurs ,  nous  sommes  ou 
plus  grant  péril  que  nous  feussions  onques  mais;  car,  se  il  ar- 
dent nos  chastiaus  et  nos  demeures,  sommes  perdu  et  ars  ;  et, 
se  nous  lessons  nos  défenses  que  l'en  nous  a  baillées  à  garder, 
nous  sommes  honnis  ;  dont  nulz  de  cest  péril  ne  nous  peut 
deffendre  fors  que  '  Dieu.  Si  vous  loe  et  conseille  que  toutes  les 
foiz  que  il  nous  geteront  le  feu ,  que  nous  nous  metons  à  cou- 

I  Fors  que  :  si  ce  n'est. 

*  Ce  feu  est  appelé  grégeois  (grec),  parce  qu*tt  fut  inventé  chez  les  Grecs 
l)ar  Callinique,  architecte,  naUf  d'Héliopolis,  ville  de  Syrie,  sons  Constautin 
le  barbu.  Les  Grecs  furent  longtemps  les  seuls  d'entre  tous,  les  peuples  qui 
en  conservèrent  Tusage;  ils  ne  le  communiquèrent  que  rarement  à  quel- 
ques-uns de  leurs  alliés.  Us  s'en  servaient  sur  mer  de  deux  façons ,  la  pre- 
mière en  emplissant  des  brûlots,  de  ce  feu ,  qu'ils  envoyaient  au  milieu  des 
Hottes  ennemies  ;  la  seconde ,  en  mettant  sur  la  proue  de  leurs  navires  de 
courses  de  grands  tuyaux  de  cuivre,  avec  lesquels  ils  le  soufflaient  dans 
les  vaisseaux  ennemis.  Sur  terre ,  des  soldats,  portant  des  tubes  de  cuivre, 
soufflaient  de  même  le  feu  grégeois  contre  leurs  adversaires.  On  lançait 
aussi  contre  les  machines  des  traits  aigus ,  entourés  d'étoupes ,  ou  des  vases 
.remplis  de  ce  feu,  qui  se  brisaient  dans  leur  chuic.  L'eau  ne  pouvait  Fétein- 
dre  ;  il  n'y  avait  que  le  vinaigre,  le  sable  et  l'urine  qui  en  eussent  le  pouvoir. 


DE  SAINT  LOUIS.  63 

tes  '  et  à  genoulz^  et  prions  Nostre  Seigneur  que  il  nous  gete  de 
ce  péril.  »  Si  tost  comme  il  gelèrent  le  premier  cop,  nous  nous 
meîsmes  à  coûtes  et  à  genoulz ,  ainsi  comme  il  nous  avoit 
enseigné.  Le  premier  cop  que  il  jetèrent  vint  entre  nos  deux 
^astelz ,  et  chaî  en  la  place  devant  nous  que  Tost  avoit  fait 
pour  boucher  le  fleuve.  Nos  esteingneurs  furent  appareillé  pour 
cstaindre  le  feu;  et  pour  ce  que  les  Sarrazms  ne  pooient  trère  à 
eulz,  pour  les  deuxeles  despaveîllons  que  le  roy  y  avoit  fait  faire, 
il  traioient  tout  droit  vers  les  nues,  si  que  li  pylet  *  leur  cheofent 
tout  droit  vers  eulz.  La  manière  du  feu  gregois  estoit  tele,  que 
il  venoit  bien  devant  aussi  gros  comme  un  tonnel  de  verjus,  et 
la  queue  du  feu  qui  partoît  de  li ,  estoit  bien  aussi  grant  comme 
un  grant  glaive  ;  il  faisoit  tele  noise  au  venir,  que  il  sembloit 
que  ce  feust  la  foudre  du  ciel  ;  il  sembloit  un  dragon  qui  volast 
par  l'air,  tant  getoit  grant  clarté ,  que  l'on  véoit  parmi  Tost 
comme  se  il  feust  jour,  pour  la  grant  foison  du  feu  qui  jetoitia 
grant  clarté.  Trois  foiz  nous  getèrent  le  feu  gregois,  cell  soir,  et 
le  nous  tancèrent  quatre  foiz  à  Tarbalestre  à  tour.  Toutes  les 
foiz  que  nostre  saint  roy  ooit  que  il  nous  getoientle  feu  grejois, 
il  se  vestoit  en  son  lit  et  tendoit  ses  mains  vers  Nostre  Seigneur, 
et  disoit  en  plourant  :  «  Biau  sire  Diex ,  gardez-moy  ma  gent  ;  » 
et  je  croi  vraiement  que  ses  prières  nous  orent  bien  mestiér  au 
bcsoing  ^.  Le  soir ,  toutes  les  foiz  que  le  feu  estoit  cheu ,  il 
nous  envoioit  un  de  ses  chamberlans  pour  savoir  en  quel  point 
nous  estions ,  et  se  le  feu  nous  avoit  fait  point  de  doumage. 
L'une  des  foiz  que  il  nous  getèrent ,  si  chéi  encoste  le  chat- 
chastel  que  les  gens  mons  de  Courtenay  gardoicnt ,  et  féri  en  la 
rive  du  flum.  A  tant  ès-vous^  un  chevalier  qui  avoît  non  CAU" 
bigoiz  :  «  Sire,  fist-il  à  moy,  se  vous  ne  nous  aidiés,  nous 
sommes  touz  ars  ^ ,  car  les  Sarrazins  ont  tant  trait  de  leur  pyles , 
que  il  a  aussi  comme  une  grant  baye  qui  vient  ardant  vers  nos- 
tre chastel.  »  Nous  saillîmes  sus  et  alameslà,  et  trouvâmes  que 

*  Coule i  coude.  —  *  Pylet  .'dards.  |  barras.  —  ^  À  tant  ês-vous  :  alors 
—  3  Kous  servicent  bien  dtiu  Vem-  \  Toici,  voilà.  —  ^  Àrs  :  brûlés. 

0. 


05  HJSTOIBE 

il  disoit  voir.  Nous  esteingnimes  le  feu ,  et  avant  que  nous  Teus- 
sioDS  estaiût,  nous  chargèreiit  les  Sarrazins  touz  de  pyles  que 
il  traioieut  au  travers  du  flum. 

Les  frères  le  roy  gaitoient  les  chas-chastiaus  en  haut ,  pour 
traire  aus  Sarrazins  des  arbalestres  de  quarnaus  '  qui  aloîent 
par  mi  Tost  aus  Sarrazins.  Or  avoit  le  roy  ainsi  attiré'  que,* 
quant  le  roy  de  Sézile  ^  guietoit  de  jour  les  chas-ehastiaus ,  et 
nous  les  devions  guieter  de  nuit.  Celle  journée  que  le  roy 
guieta  de  jour,  et  nous  devions  guieter  la  nuit,  et  nous  estions 
en  grant  messaise  de  cuer,  pour  ce  que  les  Sarrazins  avoient 
tout  confroissîé^  nos  chas-ehastiaus  ;  les  Sarrazins  amenèrent 
la  perrière  de  grant  jour,  ce  que  il  n'avoient  encore  fet  que  de 
nuit,  et  getèrent  le  feu  gregois  en  nos  chas-ehastiaus.  Leur 
engins  avoient  si  acouplez  aus  chauciées  que  Tost  avoit  fait 
pour  boucher  le  ilum,  que  nulz  n'osoit  aler  au  chas-ehastiaus, 
pour  les  engins  qui  getoient  les  grans  pierres ,  et  chéoient  en  la 
voie;  dont  il  avint  ainsi  que  nos  deux  chastiaus  furent  ars  :  dont 
le  roy  de  Sézile  estoit  si  hors  du  sens,  que  il  se  vouloit  aler 
ferir  ou  feu  pour  estaindre;  et  ce  ^  il  en  fii  couroucié,  je  et 
mes  chevaliers  en  loames  Dieu  ;  car,  se  nous  eussions  guietié 
le  soir,  nous  eussions  esté  tous  ars. 

Quant  le  roy  vit  ce,  il  envoya  querre  touz  les  barons,  et 
leur  pria  que  chascun  li  donnast  du  merrien  ^  de  ses  nez^  pour 
faire  un  chat?  pour  boucher  le  flum  ;  et  leur  moustra  que  il 
véoient  bien  que  il  n'i  avoit  boiz  dont  en  le  peut  faire ,  se  ce 
n'estoit  du  merrien  des  nez  qui  avoient  amené  nos  harnois  à 
mont.  II  en  donnèrent  ce  que  chascun  voult  ;  et  quant  ce  chat 
fut  fait^  le  merrien  fut  prisé  à  dix  mille  livres  et  plus. 

Le  roy  vit  aussi  que  Fen  ne  bouteroit  le  chat  avant  en  la 
chauciée  jusques  à  tant  que  le  jour  venroit  que  le  roy  de  Sé- 
zile devoit.guietier,  pour  restorer  la  meschéance^  des  autres 


*  Çuarfia«8  :  traits  à  pointe  qaa- 
drangalaire.  —  ^  Mtiré  :  réglé.  — 
*  Confroissié  ;. fracassé.  — *  Sézile: 
Sicile.  —  &  Lises  :  et  se.  —  «  Merrien: 

I 


merraia ,  bols  de  charpente.  — 
^  Chat  :  djgue,  gare.  —  <<  Meschéanee  : 
mamTais  état. 


7 


DE   SAINT   LOUIS.  Qi 

chastiaus  qui  furent  ars  à  son  guiet.  Ainsi  comme  Ten  Tôt 
atiré,  ainsi  fu  fait;  car  si  tost  comme  le  roy  de  Séziie  fu  venu 
à  son  gait,  il  fi^  bouter  le  chat  jusques  au  lieu  là  où  les  deux 
autres  chas-cbastiaus  avoient  esté  ars.  Quant  les  Sarrazins  vi- 
rent êe ,  il  atirèrent  que  touz  leur  seize  engins  geteroient  sur  la 
ehauciée  là  où  le  chat  estoit  venu.  Et  quant  il  virent  que  nostre 
gent  redoutoient  à  aler  au  chat ,  pour  les  pierres  des  engins 
qui  chéoient  sur  la  ehauciée  par  où  le  chat  estoit  venu,  il  ame- 
nèrent la  perrière,  et  getèrent  le  feu  grejois  ou  chat  et  Tardî- 
rent  tout.  Geste  grant  courtoisie  iist  Dieu  à  moy  et  à  mes  che- 
valielrs  ;  car  nous  eussions  le  soir  gueté  en  grant  péril ,  aussi  comm6 
nous  eussiens  fait  à  Tautre  guiet,  dont  je  vous  ai  parlé  devant. 

Quant  le  roy  vist  ce ,  il  manda  touz  ses  barons  pour  avoir 
conseil.  Or  acordèrent  entre  eulz  que  il  n'auroient  pooir  de 
faire  ehauciée,  par  quoy  il  peussent  passer  par  devers  les  Sar- 
razins; pour  ce  que  nostre  gent  ne  savoil  tant  boucher  d'une 
part ,  comme  il  en  desbouchoient  d'autre.  Lors  dit  le  connes- 
table  monseigneur  Hymbert  de  Biaujeu  au  roy,  que  un  Bé- 
duyn estoit  venu,  qui  li  avoit  dit  que  il  enseîgneroit  un  bon  gué, 
mes*  que  l'en  li  donnast  cinq  cens  besans.  Le  roy  dit  que  il  s'a- 
eordoit  que  en  li  donnast  ;  mes  que  il  tenist  vérité  de  ce  que 
il  prometoit.  Le  connestable  en  paria  au  Béduyn,  et  il  dit  que 
il  n'en  enseigneroit  jà  gué ,  se  l'en  ne  li  donnoit  les  deniers 
avant.  Acordé  fu  que  l'en  les  li  bailleroit,  et  donnés  li  furent. 

Le  roy  atira  que  le  duc  de  Bourgoingne  et  les  riches  homes  d'ou- 
tre mer  qui  estoient  en  l'ost,  guieteroient  Tost,  pour  ce  que  l'en 
n'i  feist  doumage;  et  que  le  roy  et  ses  trois  frères  passeroient  au 
gué  là  où  le  Béduyn  devoit  enseigner.  Geste  emprise  fu  atirée  à 
passer  %  le  jour  de  quaresme-prenant,  à  laquelle  journée  nous  ve- 
nimes  au  gué  le  Béduyn.  Aussi  comme  l'aube  du  jour  aparoit, 
nous  nousatirames  de  touz  poins;  et  quant  nous  feusmes  atirés, 
nous  en  alames  ou  flum ,  et  furent  nos  chevaus  à  nou.  Quant 

*  Mes  :  pourvu,  —  ^  Cette  entreprise  fut  préparie  pour  être  exécutée.     • 


^  HISTOIRE 

nous  feusmes  aies  jusques  en  mi  le  flum ,  si  trouvâmes  terre , 
là  où  nos  chevaus  pristrent  pié  ;  et  sur  la  1*ive  du  flum  trou- 
vâmes bien  trois  cens  Sarrazins  touz  montés  sur  leur  chevaus. 
Lors  diz-je  à  ma  gent  :  «  Seigneurs ,  ne  regardez  qu'à  main 
senestre;  pour  ce  que  chascun  i  tire ,  les  rives  sont  moillées^ 
et  les  chevaus  leur  chéent  sur  les  cors  et  les  noient.  »  Et  il 
estoit  bien  voir  '  que  il  en  y  ot  des  noies  au  passer,  et  entre 
les  autres  fu  naié  monseigneur  Jehan  d'Orliens',  qui  por* 
toit  banière  à  la  voivre  ^.  Nous  accordâmes  en  tel  manière 
que  nous  tournâmes  encontremont  Tyaue  et  trouvâmes  la  voie 
essuyée ,  et  passâmes  en  tel  manière ,  la  merci  Dieu ,  que  on- 
ques  nul  de  nous  n'i  chéi  ;  et  maintenant  que  nous  feumes  pas- 
sez ,  les  Turs  s'enfouirent. 

L'en  avoit  ordenné  que  le  Temple  feroit  Tavant-garde  ^  et 
le  conte  d'Artois  auroit  la  seconde  bataille  après  le  Temple. 
Or  avint  ainsi  que  si  tost  comme  le  conte  d'Artois  ot  passé  le 
flum ,  il  et  toute  sa  gent  férirent  aus  Turs  qui  s'en  fuioient  de- 
vant eulz.  Le  Temple  11  manda  que  il  leur  fesoit  grant  vileinnie, 
quant  il  devoit  aller  après  eulz  et  il  aloit  devant;  et  li  prioieut 
que  il  les  lessast  aler  devant,  aussi  comme  il  avoit  accordé 
par  le  roy.  Or  avint  ainsi  que  le  conte  d'Artois  ne  leur  osa  res- 
pondre,  pour  monseigneur  Fourcaut  du  Merle  qui  le  tenoit  \/ 
par  le  frain;  et  ce  Foucault  du  Merle,  qui  moult  estoit  bon 
chevalier,  n'oioit  choses  que  les  templiers  deissent  au  conte, 
pour  ce  que  il  estoit  seurs  ^ ,  et  eserioit  :  «  Or  à  eulz,  or  à 
eulz  !  »  Quant  les  templiers  virent  ce,  il  se  pensèrent  que  il 
seroient  honniz ,  se  il  lessoient  le  conte  d'Artois  aler  devant 
eulz;  si  férirent  des  espérons ,  qui  plus  plus  et  qui  miex  miex, 
et  chassèrent  les  Turs»,  qui  s'enfuoient  devant  eulz  tout  parmi 
la  ville  de  la  Massourre  *  jusques  aus  chans  par  devers  Babi- 

'  rolr  :  vrai.  —  '  Ortiens  :  Orléans,   l   la  vivre ,  terme  de  blaaon.  —  *  Seurs  i 
—  ^  Baniêre  à  la  voivre  :  bannière  à   1  sourd. 

*  Uansourah,  ville  d'Egypte  située  Rur  le  Nil,  dans  Tendroit  où  la  bran- 
che orientale  de  ce  fleuve  est' subOiVisée  en  deux  branches,  dont  l-uue 


DE  SAINï  LOUIS.  G9 

loine.  Quant  il  cuidèrênt  retourner  arières,  les  Turs  leur  lan» 
cèrmt  trefz  >  et  merrien  par  mi  les  rues^  qui  estoient  estroites. 
Là  fil  mort  le  conte  d'Artois,  le  sire  de  Gouei  que  l'en^  ape- 
loit  Raoul  ^,  et  tant  des  autres  chevaliers  que  il  furent  esmé  * 
à  trois  cens.  Le  Temple ,  ainsi  comme  Ten  me  dit,  y  perdit 
quatorze  vint  homes  armés  et  touz  à  cheyal. 

Moy  et  mes  chevaliers  accordâmes  que  nous  irions  sus  courre 
à  plusieurs  Turs  qui  chargeoient  leur  hamois  à  main  senestre 
en  leur  ost ,  et  leur  courûmes  sus.  £n  dementres  que  nous  les 
chacions  par  mi  Tost,  je  resgardai  un  Sarrazin  qui  montoiteur 
son  cheval ,  un  sien  chevalier  li  tenoit  le  frain.  Là  où  il  tenoit 
ses  deux  mains  à  sa  selle  pour  monter,  je  li  donné  de  mon  glaive 
par  desous  les  esseles  et  le  getai  mort,  et^  quant  son  chevalier 
vit  ce ,  il  lessa  son  seigneur  et  son  cheval ,  et  m'apoia  ^ ,  au 
passer  que  je  fis ,  de  son  glaive  entre  les  deux  espaules,  et  me 
coucha  sur  le  col  de  mon  cheval ,  et  me  tint  si  pressé  que  je  ne 
povoie  traire  ra*espée  que  j'avoie  ceinte;  si  me  convint  traire 
l'espée  qui  estoit  à  mon  cheval  :  et  quant  il  vit  que  j*oz  m*es- 
pée  traite ,  si  tira  son  glaive  à  li  et  me  lessa. 

Quant  moy  et  mes  chevaliers  venimes  hors  de  Post  aus  Sar* 
razins,  nous  trouvâmes  bien  six  mille  Turs  par  esme^,  qui 
avoient  lessiées  leur  herberges  et  se  estoient  trait  aus  chans; 
quant  il  nous  virent ,  il  nous  vindrent  sus  courre  et  occistrent 
monseigneur  Hngue  de  Trichastel,  seigneur  de  Conflans,  qui  es- 
toit  avec  moy  à  banière.  Moy  et  mes  chevaliers  ferimes  des 
espérons  et  alamesrescourre  monseigneur  Raoul  de  Wanon  qui 
estoit  avec  moy^  que  il  avoient  tiré  à  terre.  En  dementiwes  que 

I  Tre/z  :  poutres.  —  ^Bsrné :  estimé,  f  |Mur  estime,  environ. 
—  *  Jpoia  :  appuya.  —  <  Par  estne  :  \ 

passe  à  Toccident,  devant  Damiette,  et  l'autre  va  à  Achmoan.  Le  sultan 
Maleck-Kamel ,  après  la  prise  de  Damiette  par  les  croisés,  en  1219  fit  bâtir 
celte  ville,  qui  se  trouve  entre  le  Caire  et  Damiette,  afin  d*enipècber  les 
Francs  d'avancer  davantage  dans  l'Egypte. 

*  Raoul  lî,  fils  d'Enguerrand  III,  et  petit-fils  de  Raoul  I.  On  trouve  dans 
les  manuscrits  du  Roi  une  chanson  de  lui ,  que  M.  Augnis  (  Poètes  françoix 
MHint  Malherbe,  t.  ii,  p.  30)  a  fait  imprimer. 


70 


HISTOIRE 


.  je  en  revenoie,  lesTurs  m'apuièrent  de  leur  glaives  ;  mon  cheval 
s*agenoilla  pour  le  fez  '  que  il  sentie  et  je  en  aie  outre  parmi 
les  oreilles  du  cheval ,  et  resdrecai  mon  escu  à  mon  col  et 
m'espée  en  ma  main;  et  monseigneur  Eràrt  de  Syverey  * ,  que 
Dieu  absolue  !  qui  estoit  entour  moy,  vint  à  moy  et  nous  dit 
que  nous  nous  treissions  emprès  une  meson  def^te  ^ ,  et  illec 
attenderions  le  roy  qui  v^oit.  Ainsi  comme  nous  en  alions  à 
pié  et  à  cheval ,  une  grant  route  ^  de  Turs  vint  hurter  à  nous , 
et  me  portèrent  à  terre,  et  alèreut  par  dessus  moy,  et  volèrent 
mon  escu  de  mon  col  ;  et  quant  il  furent  outre  passez,  mon* 
seigneur  Erart  de  Syverey  revint  sur  moy  et  m  emmena ,  et 
ai  alames  jusques  aus  murs  de  la  meson  deffete  ;  et  illec  re- 
vindrent  à  nous  monseigneur  Hugues  d*Escoz  ^,  monsei- 
gneur Ferri  ^  de  Loupey,  monseigneur  Renau  de  Menon- 
court.  Illec  les  Turs  nous  assailloient  de  toutes  pars;  une  partie 
d'eulz  entrèrent  en  la  meson  deffete,  et  nous  piquoient  de  leur 
glaives  par  dessus  7.  Lors  me  dirent  mes  chevaliers  que  je  les 
preisse  par  les  frains,  et  je  si  fis  pour  ce  que  les  dievaus  ne  s'ei&- 
fouissent;  et  il  se  deffendcNlent  des  Turs  si  viguereusement,  car 
il  furent  loez  de  touz  les  preudommes  de  l'ost ,  et  de  ceulz  qui 
virent  le  fait  et  de  ceulz  qui  Foïrent  dire.  Là  fu  navré  ^  mon- 
seigneur Hugue  d'Escoz  de  trois  glaives  ou  visage,  et  monsei- 
gneur Raoul  et  noonseigneur  Ferri  de  Loupey  d'un  glaive  par- 
mi les  espaules  ;  et  fut  la  plaie  si  large  que  le  sanc  li  venoit  du 
cors  aussi  comme  le  bondon  d'un  tonnel.  Monseigneur  Erart 
de  Sjrverey  fu  féru  d'une  espée  par  mi  le  visage ,  si  que  le  nez 
li  chéoit  sus  le  lèvre  ;  et  lors  il  me  souvint  de  monseigneur  saint 
Jaque  :  «  Biau  sire  saint  Jaque,  que  j'ai  requis,  aidés-moy  et 
secourez  à  ce  besoing.  »  Maintenant  que  j'oî  faîte  ma  prière , 
monseigneur  Erart  de  Syverey  me  dit  :  «  Sire ,  se  vous  cuidiés 


I  Fei  :  poida.  —  '  L'édition  de  da 
Gange  porte  :  Errari  d'Ssmeray.  — 
'  Que  nous  nous  retiruMions  auprès 
d'une  maison  ruinée.  — f  Grant  route  : 
grande  troupe,    -r-  '  Édition  de  dn 


,  Cange  :  Hugues  dCSteossè.  —  *  Ferri  : 
Frédéric.  —  ^  Par-dessus  les  murs,  ou 
dans  les  parties  supérieures  du  corps , 
au  visage ,  aux  épaules.  —  '  Navré  : 
blessé. 


DE  SAINT  LOUIS.  71 

que  moy  ne  mes  hers  '  n'eussions  reprouvier  ' ,  je  vous  iroie 
querre  secours  au  conte  d'Anjou  que  je  voi  là  en  mi  les  chans.  » 
Et  je  li  dis  :  «  Messire  Ërart,  il  me  semble  que  vous  fériés  vostre 
grant  honeur,  se  vous  nous  aliés  querre  aide  pour  nos  vies 
sauver^  car  la  vostre  est  bien  en  avanture  ;  »  et  je  disoie  bien 
voir  ^^  car  il  fu  mort  de  celle  bleceure.  Il  demanda  conseil  à  touz 
nos  chevaliers  qui  là  estoient ,  et  touz  li  louèrent  ce  que  je  li 
avoie  loé  ;  et  quant  il  oy  ce^  il  me  pria  que  je  li  lessasse  aler 
son  cheval  que  je  11  tenoie  par  le  frain  avec  les  autres ,  et  je  si 
ûz.  Au  conte  d'Anjou  vint  et  li  requist  que  il  me  venist  se- 
courre  moy  et  mes  chevaliers.  Un  riche  homme*  qui  estoit 
avec  li  li  desloa  ;  et  le  conte  d'Anjou  li  dit  que  il  feroit  ce  que 
mon  chevalier  li  requeroit  :  son  frain  tourna  pour  nous  venir 
aidier,  et  pluseurs  de  ses  serjans  férirent  des  espérons.  Quant 
les  Sarrazins  les  virent ,  si  nous  lessièrent.  Devant  ces  sergaos 
vint  mons  Herre  de  Alberive,  l'espé  ou  poing;  et  quant  il  vi« 
rent  que  les  Sarrazins  nous  eurent  lessiés,  il  courut  sur  tout 
plein  de  Sarrazins  qui  tenoient  mons  Raoul  de  Vaunou  et  le 
rescoy  4  moult  bleoié. 

Là  où  je  estoie  à  pié  et  mes  chevaliers ,  aussi  blecié  comme 
il  est  devant  dit ,  vint  le  roy  à  toute  sa  bataille ,  à  grant  noyse 
et  à  grant  bruit  de  trompes  et  nacaires,  et  se  aresta  sur  un  che« 
min  levé;  mes  onques  si  bel  armée  ne  vi,  car  il  paroit  desur 
toute  sa  gent  dès  les  espaules  en  amon ,  un  heaume  doré  en 
son  chief ,  une  espée  d'Alemaingne  en  sa  main.  Quant  il  fu  là 
haresté ,  ses  bons  chevaliers  que  il  avoit  en  sa  bataiire ,  que  je 
vous  ai  avant  nommez ,  se  lancèrent  entre  les  Turs ,  et  pluseurs 
des  vaillans  chevaliers  qui  estoient  en  la  bataille  le  roy.  Et  sa- 
chiésque  ce  fu  un  très  biau-£ait  d'armes;  car  nulz  n'i  traioit  ne 
d'arbalestre  * ,  ainçots  estoit  le  fereis  ^  de  maces  et  d'espées , 

•  Hert:  héritier». — 2  Reprouvier  :  |  cecoarat.  —  *  Fereis  :  acti«B  de  frap* 
reproche.  —  3  f^oir:  vrai.  —  *  Beseoy  :  \  per. 

*  On  n'a  jamais  réputé,  iMnni  les  Français,  pour  une  action  db  valeur»  de 
tiicr  son  ennemi  avec  l'arc  on  Varbalète  ;  on  ne  faisait  étet  que  des  coups 
de  main,  d'ëpées  ou  de  lances  j  et  c'est  pour  cela  qn*on  interdit,  avec  le 


73  HISTOIRE 

ées  Turs  et  de  nostre  geut,  qui  touz  estoient  mdlez.  Un  mien 
escuier  qui  s'en  estoit  fui  à  tout  ma  banièie  et  estoit  revrau  à 
moy,  me  bailla  tm  mien  roncin  >  sur  quoy  je  monté,  et  me  traîs 
vers  le  roy  tout  coste  à  coste.  En  dementres  que  nous  estiens 
ainsi ,  mon^gneur  Jehan  de  Waleri  le  preudome  vint  au 
roy ,  et  11  dit  que  il  looit  que  il  se  traisist  *-  à  main  destre  sur  le 
flum ,  pour  avoir  Taide  du  duc  de  Bourgoingne  et  des  autres 
qui  gardoient  Fost,  que  nous  avions  lessié,  et  pour  ce  que  ses 
serjans  eussent  à  boire,  car  le  chaut  estoit  jà  grant  levé.  Le  roy 
commanda  à  ses  serjans  que  il  li  alassent  querre  ses  bons  che- 
valiers que  il  avoit  entour  li  de  son  conseil ,  et  les  nomma  touz 
par  leur  non.  Les  serjans  les  alèrent  querre  en  la  bataille ,  où 
le  hutin  ^  estoit  grant  d'eulz  et  des  Turs.  Il  vindrait  au  roy^ 
et  leur  demanda  conseil;  et  il  distrent  que  monseigneur  Jehan 
de  Waleri  le  conseilloit  moidt  bien  ;  et  lors  commanda  le  roy 
au  gonfanon  Saint-Denis  ^  et  à  ses  banières  qu'il  se  traisis- 
sent  à  main  destre  vers  le  flum.  A  Tesmouvoir  Fost  le  roy , 
r'ot  grant  noise  de  trompes  et  de  cors  Sarrazinnois.  11  n*ot 
guières  aie  quant  il  ot  pluseurs  messages  du  conte  de  Poitiers 
son  frère,  du  conte  de  Flandres  et.de  pluseurs  autres  riches 
hommes  qui  illee  avoient  leur  batailles,  qui  touz  li  prioient  que 
il  ne  se  meust  ;  car  il  estoient  si  pressé  des  Turs  que  il  ne  le 
pooit  suivre.  Le  roy  rapella  touz  ses  preudommes  chevaliers  de 
son  conseil,  et  touz  li  loèrent  que  il  attendit;  et  un  pou  après 
mons  Jehan  de  Waleri  revint ,  qui  blasma  le  roy  et  son  con*. 
seil  de  ce  que  il  estoient  en  demeure  ^.  Après  tout  son  conseil 
li  loa  que  il  se  traisist  sur  le  flum ,  aussi  comme  le  sire  de  Wa- 
leri  IL  avoit  loé.  £t  maintenant  le  connestable  monseigneur 
Bymbert  de  Biaujeu  vint  à  li ,  et  li  dit  que  le  conte  d'Artois 

<  Bonein  :  cheval.  —  '  Traîs,  irai-  1  —  *  L'oriflamme  et  celai  qai  la  por* 
tiit;  tirai,  tirAt.  —  3  Hutin  :  combat   I  tait.  —  ^  Demeure  :  retard. 

temps,  rasage  des  arbalètes  ainsi  que  des  flèches  empoisonnées.  L'empereur 
Ck>nrad-fat  un  des  princes  chrétiens  qui,  les  premiers,  en  interdirent  l'U'> 
aagow 


DE  SAINT  LOUIS.  73 

son  frère  se  deffendoit  en  une  meson  à  la  Massourre ,  et  que 
il  Talast  secourre.  £t  le  roy  li  dit  :  «  Connestable ,  aies  devant, 
et  je  vous  suivre.  »  Et  je  dis  au  connestable  que  je  seroie  son 
chevalier,  et  il  m'en  mercia  moult.  Nous  nous  meismes  à  la 
voie  pour  aler  à  la  Massourre.  Lors  vint  un  serjant  à  mace  au 
connestable,  tout  effîraé,  et  li  dit  que  le  roy  estoit  aresté,  et 
les  Turs  s'estoient  mis  entre  li  et  nous.  Nous  nous  tomames, 
et  veimes  que  il  en  y  avoit  bien  mil  et  plus  entre  li  et  nous, 
et  nous  n'estions  que  six.  Lors  dis-je  au  connestable  :  «  Sire , 
nous  n'avons  pooir  dealer  au  roy  parmi  ceste  gent;  maiz 
alons  amont  et  metons  cest  fossé  que  vous  veez  devant 
vous,  entre  nous^  et  eulz,  et  ainsi  pourrons  revenir  au 
roy.  v>  Ainsi  comme  je  le  louai,  le  connestable  le  fist.  Et  sachiez 
que ,  se  il  se  feussent  pris  garde  de  nous,  il  nous  eussent  touz 
mors  '  ;  mez  il  entendoient  >  au  roy  et  aus  autres  grosses  ba- 
tailles, par  quoy  il  cuidoient  que  nous  feussons  des  leur. 

Tandis  que  nous  revenions  aval  pardesus  le  flum,  entre  le 
ru  et  le  flum,  nous  veimes  que  le  roy  estoit  venu  sur  le  flum, 
et  que  les  Turs  en  amenoient  les  autres  batailles  le  roy,  férant 
et  bâtant  de  maoes  et  d'espées  ;  et  firent  flatir^  toutes  les 
autres  batailles  avec  les  batailles  le  roy  sur  le  flum.  Là  fu  la 
desconfiture  si  grant,  que  pluseurs  de  nos  gens  recuidèrent 
passer  à  noù  par  devers  lé  duc  de  Bourgoingne  :  ce  que  il  ne 
porent  fake  ;  car  les  chevaus  estoîent  lassez  et  le  jour  estoil 
eschaufé ,  si  que  nous  voiens,  en  dementières  que  nous  venions 
aval,  que  le  flum  estoit  couvert  de  lances  et  de  escus,  et  de  che- 
vaus et  de  gens  qui  se  noioient  et  périssoient.  Nous  venimes 
à  un  ponceH  qui  estoit  parmi  le  ru ,  et  je  dis  au  connestable 
que  nous  demourissons  pour  garder  ce  poncel  ;  «  car  se  nous 
le lessons,  il  ferrent  sus  le  roy  par  deçà;  et,se  nostregent 
sont  assaillis  de  deux  pars,  il  pourront  bien  perdre.  »  Et  nous 
le  feismes  ainsmc  ^.  Et  dit  l'en  que  nous  estions  trestous  perdus 

^  Mon  :  toéf .  —  '  Mais  Us  donnaient  1   —  *  Ponetl  :  petit  pont.  —  ^  Mnaine  : 
toute  leur  attention.  — •  '  fîatir  .*  jeter.  |    ainsi.  _ 

UIST.  DE  SAINT  LOUIS. 


74  HISTOIRE 

dès  celle  journée ,  ce  »  le  cors  le  roy  ne  feust  »  ;  car  te  sire  de 
Courtenay  et  monseigneur  Jehan  de  Saillenay  me  contèrent 
que'sisTurs  estoient  venus  au  frain  le  roy  et  Femmenoient 
pris  ;  et  il^  tout  seul ,  s^en  délivra  aus  grans  eops  que  il  leur 
donna  de  l'espée.  Et  quant  sa  gent  virent  que  le  roy  metoit 
deifense  enli,  il  pristrent  cuer,  et  lessèrent  le  passage  du  flum, 
et  se  trestrent  vers  le  roy  pour  li  aidier.  ^ 

A  nous  tout  droit  vint  le  conte  Pierre  de  Bretaingne ,  qui 
venoit  tout  droit  de  verz  la  Massoure>  et  estoit  navré  d*une 
espée  parmi  le  visage ,  si  que  le  sanc  li  chéoit  en  la  bouche. 
Sus  un  bas  cheval  bien  fourni  séoit;  ses  rênes  avoit  getées  sur 
Tarçon  de  sa  selle  et  les  tenoit  à  ses  deux  mains,  pour  ce  que  sa 
gent  qui  estoient  darières ,  qui  moult  le  pressoient,  ne  le  ge- 
tassent  du  pas  ^.  Bien  sembloit  que  il  les  prisast  pou  ;  car  quant 
il  crachoit  le  sanc  de  sa  bouche,  il  disoit  :  «  Voi  !  pour  le  chief 
DieU;  avez  veu  de  ces  rîbaus  ?»  En  la  fin  de  sa  bataille  ve- 
noit le  conte  de  Soissons  et  monseigneur  Pierre  de  Noville, 
que  Ten  appeloit  Caier,  qui  assez  avoient  souliers  de  cops  celle 
journée.  Quant  il  furent  passez,  et  les  Turs  virent  que  nous 
gardions  le  pont  ^  il  les  lessèrent ,  quant  il  virent  que  nous 
avions  tourné  les  visages  vers  eulz.  Je  ving  au  conte  de  Sois- 
sons,  cui  cousine  germainne  j*avoic  espousée*,  et  li  dis  :  «  Sire, 
îe  croi  que  tous  fériés  bien ,  se  vous  demouriés  à  ce  ponce! 
garder  ;  car,  se  nous  lessons  le  poncel,  ces  Turs  que  vous  veez 
ci  devant  vous ,  se  ferrent  jà  parmi ,  et  ainsi  iert  le  roy  as- 
sailli 4  par  derière  et  par  devant.  »  Et  il  demanda,  se  il  demou- 
roit,sejedemourroie  ;  et  jelirespondi  :  «  Oïl,  moult  volentiers.  » 
Quant  le  connestable  oy  ce,  il  me  dit  que  je  ne  partisse  de  là 
tant  que  il  revenîst',  et  il  nous  îroit  querre  secours. 

Là  où  je  demeurai  amsi  sus  mon  roncin ,  me  demeura  le 
conte  de  Soissons  à  destre ,  et  monseigneur  Pierre  de  Noville 

■  Lises  :  M.  >-  >  Si  le  roi  en  per-  i  fluent  qnittev  son  poste.  —  ^  Et 
sonne  ne  èe  fût  trouvé  là.  —  >  Ne  lai   |  ainsi  le  roi  sera  assailU. 

*  C'était  sa  première  femme  ;  elle  se  nommait  Alix  de  Grand-Pré. 


DE  SAINT  LOUIS.  7& 

à  senestre.  A  tant  et  vous  '  un  Turc  qui  vint  devers  la  bataille 
le  roy  >,  [epijj  darière  nous  estoit^et  féri  par  darières  monsei- 
gneur Pi^e  de  Noville  d'une  mabe,  et  le  coucha  sus  le  col  de 
son  cheval  du  cop  que  il  li  donna,  et  puis  se  féri  outre  le  pont  et 
se  lansa  entre  sa  gent.  Quant  les  Turs  virent  que  nous  ne  lè- 
rions^  pas  le  poncel,  il  passèrent  le  ruisseH  et  se  mistrent 
entre  le  ruissel  et  le  flum,  ainsi  comme  nous  estions  venu  aval  ; 
et  nous  nous  traisimes  entre  eulz  en  tel  manière ,  que  nous 
estions  touz  appareillés  à  eulz  sus  courre,  se  il  vousissent  passer 
vers  le  roy  et  se  il  vousissent  passer  le  poncel. 

Devant  nous  avoit  deux  serjans  le  roy ,  dont  Tun  avoit  non 
Guillaume  de  Boon  ^  et  l'autre  Jehan  de  Gamaches,  à  cui  les 
Turs ,  qui  s'estoient  mis  entre  le  flum  et  le  ru  ^,  amenèrent 
tout  plein  de  vileins  7  à  pié,  qui  leur  getolent  motes  de  terres. 
Onques  ne  les  peurent  mettre  sur  nous  ^.  Au  darrien9  il  ame- 
nèrent un  vilain  à  pié,  qui  leur  geta  troiz  foiz  feu  grégois.  L'une 
des  foiz  requeilli  Guillaume  de  Boon  le  pot  de  feu  grégoiz  à  sa 
roelle  '°  ;  car  se  il  se  feust  pris  à  riens  sur  li ,  il  eust  esté  ars  ^  ' . 
Nous  estions  touz  couvers  de  pyles ,  qui  escbapoient  des  ser- 
gens.  Or  avint  ainsi  que  je  trouvai  un  gamboison  "  d'estoupes 
à  un  Sarrazin.  Je  tournai  le  fendu  devers  moy ,  et  fis  escu  du 
gamboison,  qui  m'ot  grant  mestier;  car  je  ne  fu  pas  blecié  de 
leur  pyles  que  en  einc  lieus,  et  mon  roncin  en  quinze  lieus.  Or 
avint  encore  ainsi  que  un  mien  bourjois  de  Joinville  m'aporta 
une  banière,  à  un  fer  de  glaive  ;  et  toutes  les  foiz  que  nous 
voions  que  il  pressoient  les  serjans ,  nous  leur  courions  sus  et 
il  s'enfdoient. 

Le  bon  conte  de  Soisson8,en  ce  point-là  où  nous  estions,se  mo  • 

•  J  tant  et  wms  :  alors  voici.  —  ^  I*  I  «ar  nous.  —^Ju  darrien  ;  En  dernier 

bataillon  da  roi.  —  *  Lèrion$  :  laisse-  }  lien,  enfin.  ^  ><>  ^  sa  roelle  :  avec  son 

rions.  —  *  Euissel  :  raisseaa.  —  *  L'é-  ècu.  —  "  Jrs  :  brûlé.  —  "  Gamboison^ 

dition  de  du  Gange  porte  :  Guillaume  veste  piqoie  et  remboorrée  de  laine  et 

<f«Broii.  Ce  gentilhomme  était  de  Bre-  d'étoapes  battues  avec  du    vinaigre, 

tagne  et  l'un  des  ancêtres  de  du  Gués-  qui  se  mettait  sous  le  haubert  et  sous 

cUn.  —  ^  Ru:  rnisseau.  —  'Un  grand  la   cotle  de  maille, 

nombre  de  paysans.  —  *  Paire  avancer  I 


76 


HISTOIRB 


.  quoit  à  moy  '  et  me  disoit  :  «  Séneschal,  lessons  huer  ceste 
chiennaille  ;  que,  par  la  quoife  Dieu  !  (ainsi  coHune  il  juroiC,) 
encore  en  parlerons-nous  de  ceste  journée  es  chamlnres  des 
dames,  v 

Le  soir,  au  solleil  couchant ,  nous  amena  le  connestable  les 
arbalestriers  le  roy  à  pié,  et  s^arangèrent  devant  nous.  Et  quant 
les  Sarrazins  nous  virent  mettre  pié  en  estrier  des  arbales- 
triers, il  s^enfuirent;  et  lors  me  dit  le  connestable  :  «  Séneschal , 
c'est  bien  fait.  Or  vous  en  alez  vers  le  roy ,  si  ne  le  lossiés 
huimez  >,  jusques  à  tant  que  il  iert  descendu  en  son  paveillon»  » 
Sitost  comme  je  vîng  au  roy,  monseigneur  Jehan  4e  Walery 
vint  à  li  et  H  dit  :  «  Sire,  monseigneur  de  Chasteillon  vous  prie 
que  vous  li  donnez  Tarière-garde.  »  Et  le  roy  si  fist  moult  vo« 
lentiers,  et  puis  si  se  mist  au  chemm.  Endementières  ^  que  nous 
en  venions ,  je  li  fis  oster  son  hyaume  et  H  baillé  mon  chapel 
de  fer  pour  avoir  le  vent.  Et  lors  vint  frère  Henri  de  Ronnay  à 
li,  qui  avoit  passé  la  rivière  4,  et  li  bèsa  la  main  toute  armée,  et 
il  li  demanda  se  il  savoit  nulles  nouvelles  du  conte  d'Artois,  son 
frère  ;  et  il  li  dit  que  il  en  savoit  bien  nouvelles,  car  estoit  cer- 
tein  que  son  frère  le  conte  d'Artois  estoit  en  paradis  :  «  Hé! 
sire,  vous  en  ayés  bon  reconfort,  car  si  grant  honneur  n'avint 
onques  au  roy  de  France  comme  il  vous  e&t  avenu  ;  car  pour 
combatre  à  vos  ennemis  avez  passé  une  rivière  ^  à  nou^,  et  les 
avez  desconfiz  et  chaciez  du  champ ,  et  gaingnés  leur  engins 
et  leur  héberges,  là  où  vous  gerrés  7  encore  ennuit.  »  Et  le 
roy  respondi  que  Dieu  en  feust  aouré^  de  ce  que  il  li  don* 
noit  ;  et  lors  li  chéoient  les  lermes  des  yex  moult  grosses. 

Quant  nous  venimes  à  la  héberge ,  nous  trouvâmes  que 
les  Sarrazins  à  pié  tenoient  une  tente  que  il  avoient  estendue , 
d'une  part,  et  nostre  menue  gent,  d'autre,  lïous  leur  courûmes 


^  Plaisantait  arec  moi.  —  >  HuU 
mes  s  déaormais.  —  '  EndemenUèreê  : 
pendant.  —  <  Et  alora  le  frère  Henri 
de  Ronnay ,  qui  avait  passé  la  ri?ière, 


vint  an  roi.  —  ^  Le  canal  du  Rezi  , 
an  gué  que  le  Bédouin  avait  ensei- 
gné. —  ^  v4  nou  :  à  la  nage.  —  '  Ger- 
couclierez.  —  »  Jouré  :  prié. 


gaé, 

rés 


DE  SAINT  LOUIS.  77 

SUS,  le  mestre  du  Temple  *  et  moy  ;  et  il  s'enfuirent ,  et.  la 
tente  demoura  à  nostre  gent. 

£n  celle  bataille  ot  moult  de  gent  de  grant  bobant  ',  qui 
s'en  vindrent  moult  honteusement  fuiant  panni  le  poncel  dont 
je  vous  ai  avant  parlé,  et  s'enfuirent  ef&éément^  ne  onques 
n'en  peumes  nul  arester  delez  nous  :  dont  je  m  nommçroie 
bien,  desquiex  je  ne  soufferré  >;  car  mort  sont. 

Mes  de  m<»iseigneur  Guion  Malvoisin  ne  me  soufferrai-je 
mie,  car  il  en  vint  de  la  Massourre  honorablement;  et  bien 
toute  la  voie  que  le  connestable  et  moy  en  alames  amont ,  il 
revenoit  aval.  Et  en  la  manière  que  les  Turs  amenèrent  le 
conte  de  Bretaingne  et  sa  bataille ,  en  ramenèrent-il  mon- 
seigneur Guion  Malvoisin  et  sa  bataille,  qui  ot  grant  los  ^,  il 
et  sa  gent,  de  celle  jomée.  £t  ce  ne  fu  pas  de  merveille  se 
il  et  sa  gent  se  prouvèrent  bien  celle  journée  ;  car  l'en  me  dit^ 
îcil  qui  bien  le  savoient  son  couvine  4,  que  toute  sa  bataille  i 
n'en  faîUoit  guères^  estoit  toute  de  chevaliers  de  son  linnnage 
et  de  chevaliers  qui  estoient  ses  hommes-liges. 

Quant  nous  eûmes  desconfit  les  Turs  eX  chacîés  de  lent 
nerberges,  et  que  nulz  de  nos  gens  ne  furent  demourezr  en 
l'ost,  les  Béduyns  se  férirent  en  l'ost  des  Sarrazins,  qui 
moult  estoient  grant  gent.  Nulle  chose  du  monde  il  ne  les^ 
soient  en  l'ost  des  Sarrazins ,  que  il  n'emportassent  tout  ce  que 
les  Sarrazins  avoient  lessié;  ne  je  n'oy  onques  dire  que  les 
Béduyns,  qui  estoient sousjez  ^  ans  Sarrazins,  en  vausissent^ 
pis  de  chose  que  il  leur  eussent  tolue  ne  robée  7,  pour  ce  que 
leur  coustume  est  tele  et  leur  usage ,  que  il  courent  tousjours 
sus  aus  plus  febles. 

Pour  ce  que  il  affiert  à  la  matère ,  vous  dirai-je  quel  gent 
sont  les  Béduyns.  Les  Béduyns  ne  croient  point  en  Mahommet, 

I  Bobant  :  luxe,  belle  apparence,  l  vlne  :  Tétat  de  ses  afbires.  -^  ^  Sous* 
—  ^  Desquels  je  m'abstiendrai  de  I  j€£  ;  sajets. -— ^  ^att&'f««en<  ;  valussent, 
parler.  —  3  Los  :  gloire.  —  *  Son  cou-  \  —  '  Tolne  ne  robée  :  prise  ou  dérobée, 

*  U  s'appelait  Guillaume  de  Sonnac.  Voyez  plus  loin,  pag.  SS. 

7» 


78  HISTOIfiS 

aÎQÇois  croient  en  la  loy  Haali ,  qui  fu  oncle  Mahommet  *  ;  et 
ainsi  il  croient  le  Vieil  de  la  Montaigne,  cil  qui  nourrit  les 
Assacis  '*.  Et  croient  que  quant  rhomme  meurt  pour  son  sei- 
gneur,  ou  en  aucune  bone  entendon ,  que  Famé  d*eulz  en  va  en 
meilleur  cours  et  en  plus  aaisié  que  devant  *  ;  et  pour  ce  ne 
font  force  li  Assacis ,  se  l'en  les  occist  quant  il  font  le  con- 
mandement  du  Yeil  de  la  Montaigne.  Du  Veil  de  la  Montaigne 
nous  tairons  orendroit  ^^  si  dirons  des  Béduyns. 

Les  Béduyns  ne  demeinrent  en  villes ,  ne  en  cités ,  n*en  ebas- 
tiaus,  mez  gisent  adès^  aus  champs;  et  leur  mesnies,  leur 
femmes ,  leur  enfans  fichent  le  soir  de  nuit,  ou  de  jours  quant 
il  fait  mal  tens  ^,  en  unes  manières  de  herberges  que  il  font 
de  cercles  de  tonniaus  loiés^  à  perches,  aussi  comme  les 
zU^  chers 7  à  codâmes  sont;  et  sur  ces  cercles  gètent  piaus  de 
moutons  que  Fen  appelle  piaus  de  Damas,  conrées  en  alun  ^. 
Les  Béduyns  meismes  en  ont  grans  pelices,  qui  leur  cuevrent 
tout  le  cors ,  leur  jambes  et  leur  pies.  Quant  il  pleut  le  soir  et 
fait  mal  tens  de  nuit,  ils  s'encloent  dedens  leur  pelices,  et 
ostent  les  frains  à  leur  chevaus  et  les  lesseut  pestre  ddez  eulz. 
Quant  ce  vient  lendemain ,  ils  r'estendent  leur  pelices  au  soir 
Idl  et  les  conroient ,  ne  jà  n'i  perra  chose  9  que  eles  aient  esté 
moiilées  le  sok ,  Leur  créance  est  tele,  que  nul  ne  peut  morir 
que  à  son  jour,  et  pour  ce  ne  veulent-îl  armer;  et  quant  il 
maudient  leur  ^ans ,  si  leur  dient  :  «  Ainsi  soies-tu  maudit , 


'  Assatis  :  Aseassins,  ou  Ismaé- 
liens. —  ^  En  meilleure  vie  et  plus 
heureuse  qu'auparavant.  —  3  Oren- 
émit  :  mainteaant.  —  ^  Adès  :  tou- 


jours. -—A  Maliens  :  mauvais  temps. 

—  «  Loiés  :  liés.  —  '  Chers  :  chars.  — 
'  Conrées  en  alun  :  enduites  d*aIon, 

—  *  U  n'j  paraîtra  point. 


*  Voyez,  sur  cette  secte,  la  lettre  de  M.  Jourdain  à  M.  Michaud,  insérée, 
page  339  du  tome  II  de  Y  Histoire  des  Croisades  (Paris,  Michaud  j«,  f  823)  ; 
l'Histoire  des  Ismaéliens  par  l'iiistorien  persan  Mirkhond,  donnée  et  traduite 
par  le  même,  dans  le  tome  IX  des  Notices  et  extraits  des  manuscrits  de 
la  Bibliothèque  impériale,  etc.,  pag.  143-182  ;  les  Nouvelles  Recherches 
sur  les  Ismaéliens ,  etc.,  par  M.  C.  Defrémery  {Journal  asiatique ,  mai- 
juin  1834 ,  pag.  373-421  ;  et  janvier  1833,  pag.  5-76),  etc. 

*  Aiy  n'était  pas  oncle  de  Mahomet,  mais  son  cousin  et  son  gendre,  ayant 
épousé  Fatimé ,  sa  fiUc. 


DE  SAINT  LOUIS. 


79 


comme  le  Franc  qui  s'arme  pour  poour  <  de  mort  !»  £a  ba- 
taille il  ne  portent  rî«as(  que  Tespée  et  le  glaive.  Presque  touz 
sont  yestus  de  seurpeliz ,  aussi  comme  les  prestres  ;  de  touailles 
sont  entorteiHées  leur  testes,  qui  leur  yont  par  desous  le 
menton  >  :  dont  lèdes  gent  et  hydeuses  sont  à  regarder,  car 
les  chereus^s  testes  et  des  barbes  sont  touz  noirs  *.  Il  vi* 
vent  du  let  de  leur  bestes,  et  achètent  les  pasturages  es  ber- 
ries^  aus  riches  hommes,  de  quoy  leur  bestes  vivent.  Le 
nombre  d'eulz  ne  sauroit  nulz  nommer  ;  car  il  en  a  ou  réaume  ^ 
de  Egypte,  ou  réailmede  Jérusalem  et  ententes  les  autres 
terres  des  Sarrazins  et  des  mescréans,  à  qui  il  rendent  grant 
tréus  ^  chaseun  an. 

J*ai  veu  en  cest  pais  ^,  puis  ?  que  je  revins  d^ootre-mer,  au- 
cuns desloiaus  crestiens  qui  tenoient  la  loy  des  Béduyns ,  et 
disoient  que  nulz  ne  povoit  morir  qu'à  son  jour;  et  leur 
créance  est  si  desloiaus ,  quil  vaut  autant  à  dire  ccnnme  Dieu 
n'ait  povoir  de  nous  aidier  :  car  il  seroient  folz  ceulz  qui  ser- 
viroient  Dieu,  se  nous  ne  euidi^  que  il  eust  pooir  de  nous 
eslongier  ^  nos  vies  et  de  nous  garder  de  mal  et  de  mes- 
chéance  ;  et  en  li  devons-nous  croire ,  que  it  est  poissant  de 
toutes  choses  fèœ. 

Or  disons  ainsi  que  à  Fanoitier  revenimes  de  la  périlleuse 
bataflle  desus  dite ,  le  roy  et  nous ,  et  nous  lojames  ou  lieu 
dont  nous  avions  cliacié  nos  ennemis.  Ma  gent,  qui  estoient 
demourez  en  nostre  ost  dont  nous  estions  parti ,  m^aportôrent 
une  tente  que  les  Templiers  m'avoient  donnée ,  et  la  me  ten- 
dirent devant  les  engins  que  nous  avions  gaingnés  aus  Sar- 
razins; et  le  roy  fist  establir  serjans  pour  garder  les  engins. 


*  Poour  :  peur.  -^^  La  eonstnècUon 
est  lears  tètes  8ont  entortillées  de  piè- 
ces de  toiles  qui  leur  vont  par- dessous 
le  menton.  —  3   Berriw  :  plaines, 


prairies.  —  *■  Réaums  :  royaume.  — 
*  Tréus  :  tributs.  —  «  C'est-à-dire 
en  France.  —  '  Puis  .'depuis.  —  ^ £«> 
longier  :  allonger. 


*  Ce  passage  nous  apprend  que  les  Français  d'alors  conservaient  encore 
généralement  la  chevelure  et  la  barbe  blondes,  caractère  de  leur  origiiic 
septentrionale. 


80  HISTOlfiE 

Quant  je  fuscouchié  en  mon  lit,  là  où  je  eusse  bien  mestier  ' 
de  reposer  pour  les  bleceures  que  j*aYoie  eu  le  jour  devant, 
il  ne  m'avint  pas  ainsi  ;  car,  avant  que  il  feust  bien  jour,  Ten 
escria  en  nostre  ost  :  Aus  armes!  aus  armes  !  Je  fiz  lever  mon 
Chamberlain  >  gisoit  devant  moy,  et  li  diz  que  il  alast  veoir 
que  c^estoit.  Et  il  revint  tout  ef&aé,  et  me  dit  :  «  Sire,  or  sus  ! 
or  sus  !  que  vez-ci  les  Sarrazins  qui  sont  venus  à  pié  et  à 
cheval  ;  et  ont  desconfit  les  serjans  le  roy  qui  gardoient  les 
engins,  et  les  ont  mis  dedans  les  cordes  de  nos  paveillons  ^.  » 
Je  me  levai  et  getai  un  gamboison  en  mon  dos  et  un  chapel 
de  fer  en  ma  teste ,  et  escriai  à  nos  serjans  :  «  Par  saint  Ni- 
cholas  !  ci  ne  demourront-il  pas.  »  Mes  chevalierâ  me  virent 
si  blecié  comme  il  estoient  ;  et  reboutames  les  serjans  aus  Sar- 
razins hors  des  engins,  jusques  deyant  une  grosse  bataille  de 
Turs  à  cheval,  qui  estoient  touz  rez  à  rez  des  engins  que  nous 
avions  gaaingnés.  Je  mandai  au  roy  que  il  nous  secourust; 
car  moy  ne  mes  chevaliers  n'avions  povoir  de  vestir  haubers^ 
pour  les  plaies  que  nous  avions  eues  ;  et  le  roy  nous  envoya 
monseigneur  Gaucher  de  Chasteillon,  lequel  se  loga  entre  nous 
et  les  Turs,  devant  nous. 

Quant  le  sire  de  Chasteillon  ot  rebouté  arière  les  serjans  aus 
Sarrazins  à  pié,  il  se  retraïrent  sus  une  grosse  bataille  de 
Turs  à  cheval,  qui  estoit  rangiée  devant  nostre  ost^  pour  garder 
que  nous  ne  seurpreissions  Tost  aus  Sarrazins ,  qui  estoit  logié 
darière  eulz.  De  celle  bataille  de  Turs  à  cheval  qui  estoient 
descendus  à  pié,  huit  de  leur  chievetains  moult  bien  armés, 
qui  avoient  fait  un  hourdéis  de  pierres  taillées  ^,  pour  ce  que  nos 
arbalestriers  ne  les  bleçassent  ;  ces  huit  Sarrazins  traioient  à 
la  volée  parmi  nostre  ost ,  et  blecèrent  pluseurs  de  nos  gens 
et  de  nos  chevaua.  Moy  et  nos  chevaliers  nous  meismes  en- 
isemble  et  acordameg ,  quant  il  seroit  anuité  ^ ,  que  nous  en- 
porterionsles  pierres  dont  il  schourdoîent  ^.  Un  mien  preslre , 

■  Mestier:  besoin.  — ?  Sappléez  :  qui,  |  in<uit  de  pierres  de  taille.  -^  &  /invité  ; 
—  3  Et  ont  poassé  ces  soldats  jusque  |  devenu  nuit.  —  ®  Uourdoient  :  forti- 
dans  notre  camp.  —  *  Un  retranche-   |  fiaient. 


DE  SAINT  LOUIS.  81 

qui  avoit  à  non  monseigneur  Jehan  de  Foyssety  hx  à  son 
conseil  ',  etn'atendi  pas  tant;  ainçois  se  parti  de  nostre  ost 
tout  seul,  et  s'adreça  vers  les  Sarrazins,  son  gamboison  vestu  y 
son  chapel  de  fer  en  sa  teste,  son  glaive,  trainant  le  fer,  de- 
souz  Tessèle,  pour  ce  que  les  Sarrazins  ne  ravisassent  >.  Quant 
il  vint  près  des  Sarrazins,  qui  ri^is  ne  le  prisoient ,  pour  ce 
que  il  le  véoient  tout  seul ,  il  lança  son  glaive  desouss'essèle  et 
leur  courut  sus.  Il  n'i  ot  nul  de3  huit  qui  y  meist  deffense; 
ainçois  tournèrent  touz  en  fuie.  Quant  ceulz  à  cheval  virent 
que  leur  seigneurs  s'en  venoient  fuiant ,  il  férirent  des  espé- 
rons pour  eulz  rescourre,  et  U  saillirent  bien  de  nostre  ost 
jusques  à  cinquante  seijans;  et  ceulz  à  cheval  vintrent  ^  férant 
des  espérons  et  n'osèrent  assembler  à  nostre  gent  à  pié,  ain- 
çois ganchirent  4  par  devers  eulz.  Quant  il  orent  ce  fait  ou  deux 
foiz  outroiz,  un  de  nos  serjans  tint  son  glaive  parmi  le  milieu, 
et  le  lança  à  un  des  Turs  à  cheval ,  et  li  en  donna  parmi  les 
costes.  Quant  les  Turs  virent  ce ,  il  n'i  osèrent  puis  aler  ne 
venir,  et  nos  serjans  emportèrent  les  pierres.  Dès  illec  en 
avant  fu  mon  prestre  bien  oogneu  en  l'ost,  et  le  moustroient 
l'un  à  Tautre,  et  disoient  :  «  Vez-ci  le  prestre  monseigneur  de 
Joinville ,  qui  a  les  huit  Sarrazins  desconfiz.  » 

Ces  choses  avindrent  le  premier  jour  de  quaresme.  Ce  jour 
meismes  un  vaillant  Sarrazin ,  .que  nos  ennemis  avoient  fet 
chievetain  pour  Secedic  le  filz  au  Seic ,  que  il  avoient  perdu 
en  la  bataille  le  jour  de  quaresme-pernant ,  prist  la  cote  le 
conte  d'Artois  qui  avoit  esté  mort  en  celle  bataille ,  et  la 
moustra  à  tout  le  peuple  des  Sarrazins ,  et  leur  dit  que  c'estoit 
la  cote  le  roy  à  armer  ^,  qui  mort  estoit.  a  £t  ces  choses  vous 
moustré-je ,  pour  ce  que  cors  sans  chief  ne  vaut  riens  à  re- 
douter, ne  gent  sanz  roy  :  dont ,  ce  il  vous  plet  ^ ,  nous  les 
assaurons  7  samedi ^  vendredi,  et  vous  y  devez  acorder,  si 


>  11  faut  peut-être  lire  :  >V<  à  ce  eon-  1  «Mr^nt  :  toarnërent  à  gftoche. —  ^  Cotte 
seU.  —  "^  Ne  l'avisassent  :  TkbVsiTfitittiXki'  l  d'armes  du  roi.  — ^  Lisez  :  se  il  vous 
•eut.  —  3  Lisez  :  vindrent,  —  «  jCaU'  \  plet.  —  '  Jssaurons  :  attaquerons. 


83  HISTOIBB 

comme  il  me  semble  ;  car  nous  ne  devrons  pas  faillir  que  nous 
les  prenons  touz ,  pour  ce  que  il  ont  perdu  leur  chievetein.  » 
Et  touz  s'acordèrent  que  il  nous  venroient  assaillir  vendredi. 

Les  espies  le  roy  '  qui  y  estoient  en  Fost  des  Sarrazins , 
vindrent  dire  au  roy  ces  nouvelles.  Et  lors  commanda  le  roy 
à  touz  les  cheveteins  des  Imtailles  que  il  feissent  leur  gent 
armer  dès  la  mienuit,  et  se  traisissent  hors  des  paveillons 
jusques  à  la  lice,  qui  estoît  tele  que  il  y  avoît  Ions  merriens , 
pour  ce  que  les  Sarrazins  ne  se  férissent  parmi  Tost  ;  et  estoient 
atachiés  en  terre  en  tel  manière,  que  Vea  pooit  passer  parmi 
le  merrien  à  pié.  Et  ainsi  comme  le  roy  Tôt  commandé  il  fu  fait. 

A  solleil  levant  tout  droit  les  Sanazins  devant  nommez  de 
quoy  il  avoient  fait  leur  chievetain ,  nous  amena  >  bien  quatre 
mille  Turs  à  cheval ,  et  les  flst  ranger  touz  entour  nostre  ost 
et  ii,  dès  le  flum  qui  vient  de  Babiloine  jusques  au  flum  qui 
se  partoit  de  nostre  ost,  et  en  aloit  vers  une  ville  que  Ten 
appelé  RisîL  Quant  il  orait  ce  fait ,  il  nous  ramenèrent  si 
grant  foison  de  Sarrazins  à  pié ,  que  il  nous  r'environnèrent 
tout  nostre  ost,  aussi  comme  il  avoient  des  gens  à  cheval. 
Après  ces  deux  batailles  que  je  vous  conte,  firent  rangier  tout 
le  pooir  ^  au  soudanc  de  BabUome  pour  eulz  aidier,  se  mestier 
leur  feust.  Quant  il  orent  ce  fait,  le  chievetain  vint  veoir  le 
couvine  de  nostre  ost,  sur  un  petit  roncin  ;  et  selonc  ce  que  il 
véoit  que  nos  batailles  estoient  plus  grosses  jen  un  tieu  que  en 
un  autre,  il  r'aloit  querre  de  sa  gent  et  renforçoit  ses  batailles 
contre  les  nostres.  Après  ce,  fist-il  passer  lesBéduyns,  qui 
bien  estoient  troiz  mille,  par  devers  les  deux  rivières;  et  ce  fîst'il 
pour  ce  que  il  cuidoit  que  le  roy  eust  envoie  au  duc  de  sa 
gent  pour  li  aidier  contre  les  Béduyns ,  par  quoy  l'ost  le  roy 
en  feust  plus  fèble. 
En  ces  choses  aréer  mist-il  jusques  à  midi  ;  et  lors  il  fiiA 

'  Leg  e5j»iec  le  roy  :  1m  espions  da  |  avaient  élu  pour  commBoder  leur. 
'®^«  —  *  l>roit  aa  soleil  levant ,  celui  {  armée ,  nous  amena ,  etc.  —  *  Pooir  : 
que  les  Sarrazins  ci-devant  nommés   I  armée^  troupe. 


DE  SAINT  LOUIS. 


83 


sonner  ses  tabours,  que  Fen  appelle  nacaires ,  et  lors  nous 
coururent  sus  et  à  pîé  et  à  cheval.  Tout  premier,  je  vous  dirai 
'  du  roy  de  Sezile,  qui  lors  estoit  conte  d'Anjou ,  pour  ce  que 
c'estoit  le  premier  par  devers  Babiioine.  H  vindrent  à  li  en  la 
manière  que  l'en  jeue  '■  aus  eschez  ;  car  il  li  firent  courre  sus 
à  leur  gent  à  pié ,  en  tel  manière  que  oeulz  à  pié  li  getoient  le 
feu  gréjots.  £t  les  pressoient  tant  ceulz  à  cheval  et  ceulz  à  pié , 
que  il  desconfirent  le  roy  de  Ceziie,  qui  estoit  entre  ses  che- 
valiers à  pié  ;  et  l'en  vint  au  roy  et  li  dit  l'en  le  mesdiief  où 
son  frère  estoit.  Quant  il  oy  ce,  il  féri  des  espérons  parmi 
les  batailles  son  frère ,  l'espée  au  poing,  et  se  féri  entre  les  Turs 
si  avant  que  il  li  emprîstrent  la  eoUère  *  de  son  cheval  de  feu 
gréjois  ;  et  par  celle  pointe  que  le  roy  fist,  il  secourt  le  roy  de 
Cezile  et  sa  gent ,  et  enchacèrent  les  Turs  de  leur  ost. 

Après  la  bataille  au  roy  de  Cezile,  estoit  la  batafile  des 
barons  d'outre-mer,  dont  mesire  Gui  Guibelin  *  et  mesire  Bau- 
douin, son  frère,  estoient  chieveteins.  Après  leur  bataille  estoit 
la  bataille  monseigneur  Gautier  de  Ghateillon,  pleine  de  preu- 
dommes  et  de  bone  chevalerie.  Ces  deux  batailles  se  deffendirent 
si  viguereusement ,  que  onques  les  Turs  ne  les  porent  ne  percier 
ne  rebouter  4. 

Après  la  l)ataille  monseigneur  Gautier  ^  estoit  frère  Guillaume 
de  Sonnac ,  mestre  du  Temple,  à  tout  ce  pou  ^  de  firères  qui  li 
estoient  demourez  de  la  bataille  du  mardi;  il  ot  fait  faire 
deffense  endroit  li  des  engins  aus  Sarrazins  que  nous  avions 
gaaingnés.  Quant  les  Sarrazins  le  vindrent  assaillir,  il  gâtèrent 
le  feu  gréjois  ou  hordis?  que  il  y  avoient  feit  faire ,  et  le  feu 
s*y  prist  de  légier  *  ;  car  les  Templiers  y  avoient  fût  mettre 
grans  planches  de  sapin.  Et  sachez  que  les  Turs  n'atendirent 
pas  que  le  feu  feust  tout  ars ,  ains  alèrent  sus  courre  aus 
Templiers  parmi  le  feu  ardant.  Et  à  celle  bataille,  frère  Guil- 

'  Jeue   :  joue.    —  '  Empristrent  *  Sapplé«s  qui.  —^  A  tout  ee  pou  : 

{liaet emplistrent)  la eoHère  :  rempli-  avec  ce  peu.    ^  ">  Ou  Kordit  :  aux 

rent  la  croupière.  —  3  LIseï  :  Guy  retranchements.  —  ^  De  légier  ;  faei- 

4^lheHn.  —  <  Rehouter  :  repousser.  —  lement. 


Ô4  HISTOIBE 

}aume,  le  mestre  du  Temple,  perdi  l'un  des  yex,  et  Tautre 
avoit-il  perdu  le  jour  de  quaresme-prenaut ,  et  eo  fu  mort  ledit 
seigneur,  que  Diex  absoille.  Et  sachez  que  il  avoit  bien  un 
joumel  de  terre  darière  les  Templiers,  qui  estoit  si  cbaigié  de 
pyles  que  les  Sarrazins  leur  avoient  laneiées,  que  il  n*i  pa- 
roit  '  point  déterre  pour  la  grant  foison  de  pyles. 

Après  la  bataille  du  Ten^e  estoit  la  bataille  moif^igneur 
Guîon  MalToisin,  laquele  bataille  les  Turs  ne  porent  onques 
vaincre;  et  toutevoiz  avint  ainsi  que  les  Turs  couvrirent  mon- 
seigneur Guion  Malvoisin  de  feu  gréjois,  que  à  grant  pelnne  le 
porent  esteindre  sa  gent* 

De  la  bataille  monseigneur  Guion  Malvoisin  descendoit  la 
lice  qui  clooit  *  nostre  ost,  et  venoit  vers  le  flum  bien  le  giet 
d'une  pierre  poingnant.  Dès  illec  ^  â  s*adreçoit  la  lice  par 
devant  Fost  le  conte  Guillaume ,  et  s'estendoit  jusques  au  flum 
qui  s'estendoit  vers  la  mer.  Endroit  celi  qui  venoit  devers  mon- 
seigneur Guion  Malvoisin ,  estoit  là  nostre  bataille  ;  et  pour  ce 
que  la  bataille  le  conte  Guillaume  de  Flandres  leur  estoit 
encontre  leur  visages ,  il  n'osèrent  venir  à  nous  :  dont  Dieu 
nousfist  grant  courtoisie;  car  moy  ne  mes  chevaliers  n'a- 
vions ne  haubers  ne  escus,  pour  ce  que  nous  estions  touz 
bleciés  de  la  bataille  du  jour  de  quaresme-prenant. 

Le  conte  de  Flandres  coururent  sus  moult  aigrement  et  vi- 
guereusement ,  et  à  pié  et  à  cheval.  Quant  je  vi  ce,  je  com- 
mandé à  nos  arbalestriers  que  il  traisissent  à  ceulz  à  cheval  < 
Quant  ceulz  à  cheval  virent  que  en  les  bleçoit  par  devers  nous, 
ceulz  à  cheval  touchèrent  à  la  fuie^;  et  quant  les  gens  le  conte 
virent  ce,  il  lessièrent  Tost  et  se  fichèrent  par  desus  la  lice,  et 
coururent  sus  eus  Sarrazins  à  pié  et  les  desconfirent.  Piuseurs 
en  y  ot  de  mors,  et  piuseurs  de  leur  targes  gaaingnées.  Là  se 
prouva  viguereusement  Gautier  de  la  Horgne,  qui  portoit  la 
banière  monseigneur  d'Apremont. 

•  Paroit  :  paraîasait  —  ^  cioùii  :  1  *    Que  ilfl  tirassent  aux  Sarrasins  qni 
enfermait.  —  »  Dès  illec  :  De  là.  —  I  'étaient  à  cheval.—  &  Tournèrent  bride. 


DE  SAINT  LOUIS.  S&' 

Après  ta  bataille  le  conte  de  Flandres,  estoit  la  bataille  au 
conte  de  Poitiers,  le  frère  le  roy;  laquele  bataille  du  conte 
de  Poitiers  '  estoit  à  pié,  et  il  tout  seul  estoit  à  cheval  ;  laquele 
bataille  du  conte  les  Turs  desc^nfirent  tout  à  net,  et  enme- 
noîent  le  conte  de  Poitiers  pris.  Quant  les  boucbiers  et  les 
autres  homes  de  Tost  et  les  femmes  qui  vendoient  les  danréesr 
oïrent  ce,  il  levèrent  le  cri  en  Tost ,  et ,  à  Taide  de  Dieu,  il  se*' 
coururent  le  conte  et  chacièrent  de  Fost  les  Turs. 

Après  la  bataille  le  conte  de  Poitiers ,  estoit  bt  bataille  mon- 
seigneur Jocerant  de  Brançon ,  qui  estoit  venu  avec  le  conte 
en  Egypte,  Tun  des  meilleurs  chevaliers  qui  feust  en  Tost.  Sa 
gent  avoit  si  arée  *  que  touz  ces  chevaliers  estoient  à  pié.  Et 
il  estoit  à  cheval,  et  son  filz  monseigneur  Henri  et  le  filz  mon-» 
seigneur  Jocerant  del^antum;  et  ceùlz  retint  à  cheval,  pour  ce 
que  il  estoient  enfants.  Par  pluseurs  fois  li  desconfirent  les 
ïurs  sa  gent.  Toutes  les  foiz  que  il  véoit  sa  gent  desconfire, 
il  féroit  des  espérons  et  prenoit  les  Turs  par  derière;  et  ainsi 
lessoient  les  Turs  sa  gent  par  pluseurs  foiz  pour  li  courre  sus. 
Toutevoiz,  ne  leur  eust  riens  valu  que  les  Turs  ne  les  eussent 
touz  mors  on  chan^),  se  ne  feust  monseigneur  Henri  de 
Coonne,  qui  estoit  en  Tost  le  ducdeBourgoin^e,  sage  che* 
valier  et  preus  et  apensé  ^  ;  et  toutes  les  foiz  que  il  véoit  que 
les  Turs  venoient  courre  sus  à  monseigneur  de  Brancion,  il 
fesoit  traire  les  arbalestriers  le  roy  aus  Turs  parmi  la  rivière. 
Et  toutevoiz  eschapa  le  sire  de  Brandon  du  meschief  de  celle 
journée,  que  de  vint  chevaliers  que  il  avoit  entour  li>  il  en 
perdi  douze,  sanz  Taulxe  gent  d'armes  ;  et  il-meîsmes  fu  si  male- 
ment  atoumé  4,  que  onques  puis  sus  sespiez  n'aresta,  et  fu 
mort  de  celle  bleceure  ou  servise  Dieu. 

Du  seigneur  de  Brandon  vous  dirai  :  il  avoit  esté ,  quant  il 
mourut,  en  trente-six  batailles  et  poingnéis  ^,  dont  il  avoit  porté 
pris  d*armes.  Je  le  vi  en  un  ost  le  conte  de  Chalon ,  cui^  cousin 

I  Ces  cinq  moto  sont  inutiles.  —  I  —*  Maternent afourné  .*  maltraité.  — 
'  jtrée  :  arrangée.  —  '  Jpensé  :  réfléchi.  I  ^  Poingnéis  :  eombato.  '^^  Cui  :  à  qui* 

8 


86  HISTOIBE 

ii  estoit;  et  vint  à  moy  et  à  mon  frère,  et  nous  dit  le  jour 
d*un  grant  vendredi  '  :  «  Mes  neveus,  venés  à  moy  aidier,  et 
vous  et  vostre  gent;  car  les  Alemans  brisent  le  moustier  ^  » 
Nous  alames  avec  li  et  leur  courûmes  sus,  les  espées  traites, 
et  à  grant  peinne  et  à  grant  butin  les  cbassames  du  moustier. 
Quant  ce  fu  fait,  lepreudomme  s'agenoilla  devant  Tautel,  et 
cria  à  Nostre-Seigneur  à  baute  voiz,  et  dit  :  «  Sire,  je  te  prie 
que  il  te  preiogne  pitié  de  moy ,  et  m'oste  de  c^  guerres  entre 
crestiens,  là  où  J'ai  vescu  grant  piesce;  et  m'otroie  que  je  ,.'^'!ut^ 
puisse  mourir  en  ton  servise,  par  quo^  je  puisse  avoir  ton  v  ^ 
règne  de  paradis.  »  Et  ces  choses  vous  ai-je  ramenteu ,  pour  ce 
que  je  croi  que  Dieu  li  otroia ,  si  comme  vous  povez  avoir 
veud-devant. 

Après  la  bataille,  le  premier  v^dredi  de  quaresme,  manda 
le  roy  touz  ses  barons  devant  11 ,  et  leur  dit  :  «  Grant  grâce, 
fist-il,  devons  à  Nostre-Seigneur  de  ce  que  il  nous  a  fait  tiex  ^ 
deux  honneurs  en  ceste  semainne ,  que ,  mardi  le  jour  de  qua- 
resme-prenant ,  nous  les  cbassames  de  leur  berberges,  là  où 
nous  sommes  logés  ;  ce  vendredi  prochain ,  qui  passé  est ,  nous 
nous  sommes  deffenduz  à  eulz  4 ,  nous  à  pié  et  il  a  cheval  ;  »  et 
moult  d'autres  bêles  paroles  pour  eulz  reconforter.  Pour  ce  que 
il  nous  convient  poursuivre  nostre  matière,  laquele  il  nous 
convient  un  pou  entre-lacier,  pour  faire  entendre  comment  le 
soudanc  tendent  leur  gent  ordenéement  et  aréement  ^  ;  et  est 
voir  que  le  plus  de  leur  chevalerie  il  avoi^t  fet  de  gens  es- 
tranges  *,  que  marcheans  prenoient  en  estranges  terres  pour 

*  Grant  vendreéU  :  Tendredi  saint,  j  tels. —•^^  «uJa;  contre eai.—>^^r^ 
—  '  L'abbaye  de  MAcoo.  —  3  Tiex  :  \  ment  :  ea  bon  arroi,  régulièrement. 

*  C'était  encore ,  il  y  a  quelques  aimées ,  la  coutume  des  Turcs  de  com- 
poser leur  principale  milice,  qui  était  celle  des  janissaires,  des  enfants  de 
tribut.  Tous  les  cinq  ans,  ils  envoyaient  des  commissaires  dans  les  provinces 
de  leur  obéissance,  et  principalement  en  Albanie,  en  Bosnie  et  en  Grèce , 
pour  en  enlever  les  enfants  des  chrétiens ,  qu'ils  faisaient  élever  dans  risJa- 
raisme,  et  auxquels  ils  apprenaient  les  exercices  de  la  guerre.  Ces  soldats, 
ainsi  aguerris,  ne  ccmnaissant  ni  leurs  parents,  ni  leur  extraction,  étaient 
accoutumés  à  ne  regarder  pour  père  et  pour  maître  que  le  Grand-Seigneur. 


D£  SAINT  LOUIS.  87 

vendre  ;  et  il  les  acbetoîent  moult  vol^tiers  et  ohièrement.  Et 
ces  gens  que  fl  menoient  en  Egypte  prenoi^t  eu  Orient ,  parce 
que  quant  Tun  des  roys  d'Orient  avoit  desconût  Tautre ,  si 
prenoit  les  povresgens  que  il  avoit  conquis,  et  les  vendoientaus 
inarehans,  et  les  marcheans  les  revenoient  vendre  en  Egypte. 

La  chose  estoit  si  ordenée ,  que  les  enfaos  jusques  à  tant 
que  barbe  leur  venoit ,  le  soudanc  les  nourrissoit  en  sa  méson 
en  tel  nlanière  que ,  selonc  ce  que  il  estoient,  le  soudanc  leur 
fesoit  fa^:e  arez  à  leur  point  ;  et  si  tost  comme  il  enforçoient  <, 
il  getoient  leurs  ars  *  en  rartiilerie  au  soudanc ,  et  le  mestre  ar- 
tillier  leur  baillet  ars  si  fors  comme  il  les  pooitteser  ^.  Les  armes 
au  soudanc  estoient  d'or  ;  et  tiex  armes  comme  le  soudanc 
portoit,  portoient  celle  joene  gent  ;  et  estoient  appelez  bahariz  *, 

Maintenant  que  les  barbes  leur  venoient,  le  soudanc  les  fe- 
soit chevaliers.  Et  portoient  les  armes  au  soudanc,  fors  que 
tant  que  il  y  avoit  différence^  c'est  à  savoir  ensignes  vermeilles, 
roses,  ou  bendes  vermeilles,  ou  oiâaus,  ou  autres  enseignes 
que  il  metoient  sus  armes  d'or,  teles  comme  il  leur  plesoit;  et 
ceste  gent  que  je  vous  nomme,  appeloit  l'en  de  la  Haulequa  ** , 
car  les  beharis  gesoient  dedans  les  tentes  au  soudanc.  Quant 
le  soudanc  estoit  en  l'ost,  ceulz  de  la  Haulequa  estoient  logiez 
entour  les  héberges  le  soudanc,  et  establîz  pour  le  cors  le  sou* 
danc  garder.  A  la  porte  de  la  héberge  le  soudanc  estoient  lo- 
giez en  une  petite  tente  les  portiers  le  soudanc,  et  ses  menés- 
triers ,  qui  avoient  cors  sarrazinnois  et  tabours  et  nacaires.  Et 
fesoient  tel  noise  au  point  du  jour  et  à  l'anuitier,  que  ceulz  qui 
estoient  delez  4  eulz  ne  pooient  entendre  l'un  l'autre  ;  et  clèrement 

«  Enforçoienti  devenaient  fort».  —  i      *  Delez:  près  de. 

*  Ars  ;  arcs.  —  =^  Teser  :  tendre.  —   I 

*  Ce  mot  est  arabe  et  dérive  de  6aAr,  terme  qui  signifie  mery  et  par  le- 
quel les  Égyptiens  désignent  le  Nil.  Les  Baharis  furent  ainsi  appelés,  parce 
qu'ils  occupaient  une  caserne  sur  les  bords  de  ce  fleuve ,  dans  Tile  de 
Rauda,  en  face  du  Caire. 

**  Le  mot  haulequa,  ou  plutôt  halka ,  est  arabe,  et  désigne  b  garde  du 
prince. 


88 


HISTOIRE 


les  oioit  Ten  parmi  Fost ,  ne  les  menestriers  ne  feussent  jà  si 
hardis  que  il  sonnassent  leur  instrumens  de  jours,  ne  mais  que 
par  le  mestre  de  Haulequa  <  :  dont  il  estoit  ainsi,  que  quant  le 
soudanc  vouloit  charger  *,  il  envoioit  querre  le  mestre  de  la  Hau- 
lequa et  H  fesoit  son  commandement  ;  et  lors  le  mestre  fesoit 
sonner  les  instrumens  au  soudanc,  et  lors  tout  Fost  venoit  pour 
oîr  le  commandement  au  soudanc.  Le  mestre  de  la  Hauleca  le 
disoit,  et  tout  Tost  le  fesoit. 

Quant  le  soudanc  se  conbatoit,  les  chevaliers  de  la  Hauleca, 
sdonc  ce  que  il  se  prouvoient  bien  en  la  bataille,  le  soudanc  en 
fesoit  amiraus  3,  et  leur  bailloit  en  leur  coropaiognie  deux  cens 
ehevaliers  ou  troiz  cens;  et  comme  miex  le  fesoient  et  plus  leur 
donnoit  le  soudanc. 

Le  pris  qui  est  en  leur  chevalerie  si  est  tel,  que  quant  il  sont  si 
preus  et  si  riches  que  il  n'i  ait  que  dire,  et  le  soudanc  a  poour  que 
il  ne  le  tuent  ou  que  il  ne  le  déshéritent,  si  les  fait  prendre  et  mou- 
rir en  sa  prison,  et  à  leur  femme  toit  ^  ce  que  elles  ont.  Et  ceste 
chose  fist  le  soudanc  de  ceulz  qui  pristrent  le  conte  de  Monfort 
et  le  conte  de  Bar,  et  autel  ^  fist  Boudendart  *  de  ceulz  qtii  avoit 
desconfit  le  roy  de  Herménie  ;  car,  pour  ce  que  il  cuidoient  avoir 
bien,  il  descendirent  à  pié  et  Talèrent  saluer  là  où  il  chaçoit  aus 
bcstes  sauvages.  Et  il  leur  respondi  :  «  Je  ne  vous  salue  pas ,  » 
car  il  li  avoient  destourbé  sa  chace  ;  et  leur  fist  les  testes  coper. 

Or  revenons  à  nostre  matière  et  disons  ainsi,  que  le  soudanc 
qui  mort  estoit^  avoit  un  sien  filz  de  Taage  de  vint-dnc  ans,  sage 
et  apertet  malicieus  ;  et ,  pour  ce  que  il  doutoit  que  il  ne  le  dés« 


de  du  Gange  porte  t  Et  à  semblable 
fist-il  des  Boudendars ,  qui  sont  gens 
subgetz  audit  soutdan. 


'  Sinon  par  l'ordre  da  maître  de  la 
Halka.  —  "*  Charger  .*  donner  an  or<* 
dre.  —  >  jimiraus  :  émirs.  — >  *  Toit  : 
enlève.  —  &  Autel  :  aatant.  L'Mition 

*  U  est  ici  question  de  Bibàrs  Bondocdar,  devena  saltan  d'Egypte  après 
l'assassinat  de  Touran-Schah  et  deHotouz,  ses  prédécesseurs.  L'an  1263, 
voulant  se  venger  de  Haitom,  roi  de  la  peUte  Arménie,  qui  entretenait  des 
intelligences  avec  les  Tartares  dont  les  hordes  menaçaient  sans  cesse  la  Sy- 
rie ,  11  entra  dans  ses  États  et  y  mit  tout  à  feu  et  à  sang.  Voyez  M.  Rei- 
naud,  Extraits  des  historiens  arabes,  relatifs  aiix  croisades,  pag.  500. 


DE  S.UNT  LOUtS.  89 

héritast,  il  donna  un  réaume  que  il  avoit  en  Orient.  Maintenant 
que  le  soudanc  fu  mort,  les  amirauls  Tenvoièrent  querre  ;  et 
sitost  comme  il  vint  en  Egypte^  il  osta  et  tolli  au  sénesehal 
son  père,  et  au  connestable  et  au  mareschal  les  verges  d'or*, 
et  les  donna  à  ceulz  qui  estoient  venus  avec  li  d'Orient.  Quant 
il  virent  ce,  il  en  orent  si  grant  despit,  et  touz  les  autres  aussi 
^ui  estoient  du  conseil  le  père,  pour  le  despit  que  il  leur  avoit 
Eût;  et  pour  ce  que  il  doutoient  que  il  ne  feist  autel  d'eulz 
.comme  son  aïeul  avoit  fait  à  ceulz  qui  avoient  pris  le  c-onte  de 
.Bar  et  le  conte  de  Monfort^  ainsi  conmie  il  est  devant  dit,  il 
pourchacèrent  tant  à  ceulz  de  la  Halequa,  qui  sont  devant 
jiommez,  qui  le  cors  du  soudanc  dévoient  garder,  que  il  leur 
orent  couvent  >  que  à  leur  requeste  il  leur  occiroient  le  soudanc. 

Après  les  deux  batailles  devant  dites ,  commencièrent  à  venir 
les  grans  meschiez  en  Tost  ;  car  au  chief  de  neuf  jours  les  cors 
de  nos  gens  que  il  avoient  tuez  vindrent  au  desus  de  Tyàue  (  et 
dit  l'en  que  c'estoit  pour  ce  que  les  fielz  en  estoient  pourriz  ) , 
vindrent  flotant  jusques  au  pont  qui  estoit  entre  nos  deux  os  '  ^ 
etiieporentpasser,pource  que  le  pont  joingnoitàryaue.  Gran( 
foison  en  y  avoit ,  que  tout  le  flum  estoit  plein  de  mors  dès 
Tune  rive  jusques'à  l'autre,  et  de  lonc  bien  le  giet  ^  d'une  pierre 
menue.  Le  roy  avoit  loé  cent  ribaus  ^  ,  qui  bien  y  forent  huit 
jours.  Les  cors  aus  Sarrazins,  qui  estoient  retaillés^ ,  getoient 
d'autre  part  du  pont  et  lessièrent  aler  d'autre  part  l'yaue ,  et  les 
crestiens  fesoient  mettre  en  grans  fosses  l'un  avec  l'autre.  Je  y 
vi  les  chamberlans  au  conte  d'Artois  et  moult  d^autres,  qui 
queroient  leurs  amis  entre  les  mors  ;  ne  onques  n'oy  dire  que 
nulz  y  feust  retrouvez. 

Nous  ne  mangions  nulz  poissons  en  l'ost  tout  le  quaresme  ^ 
mes  que  bourbetes^;  et  les  bourbetes  manjoient  les  gens  mors» 


'  .*  eonTention.  -^  ^  Entre  l  baiu  :  gonjato.  *—  *  BetaUlés  :  circon« 
roi  et  celai  da  duc  de  I  cis.  —  *  Bourbetet  :  karmouts.  L'édi- 
—  3  Ciet  i  Jet.  —  *   Ri'  I  tioa  de  da  Gange  porte  burbotes, 

*  La  verge  d'or  était  la  marque  de  commandement  et  de  justice. 


'  Cowoeni 
le  camp  da 
Bourgogne. 


X 


1 


90  •    HISTOIRE 

pour  ce  que  ce  sont  glous'  poissons.  Et  pour  ce  meschief  et 
pour  Teafenneté  du  pans,  là  où  il  ne  pleut  nulle  f  oiz  goûte  d^yaue, 
nous  vint  la  maladie  de  Tost^  qui  estoit  tele  que  la  char  de  nos 
U>        jambes  sèchott  toute,  et  le  cuir  de  nos  jambes  devenoient  ta- 
r/>^  velés  >  de  noir  et  de  terre,  aussi  comme  une  vielz  hease(  ^  ;  et  à 

nous  qui  avions  tele  maladie  venoit  char  pourrie  es  gencives, 
^  ne  nuls^  ne  eschapoit  de  celle  maladie  que  mourir  ne  Fen  couve- 
nist.  Le  signe  de  la  mort  estoit  tel,  que  là  où  le  nez  seignoit  il 
oouvenoit  mourir.  A  la  qumzeinne  après,  les  Turs,  pour  nous 
affamer,  dcmt  moult  de  gent  se  merveill^nt,  prirent  pluseurs 
de  leur  gaties  desus  nostre  ost,  et  lea  firent  tremn^  par  terre 
et  mètre  ou  flum  qui  venoit  de  Damiete,  him  une  lieue  desous 
nostre  ost;  et  ces  galies  nous  donnèrent  famine,  que  nus  ne 
nous  osoit  venir  de  Damiete  pour  aporter  garnison  ^,  contre- 
mont  Fyaae,  pour  leur  galies.  Noos  ne  sceumes  oncpies  noa* 
velles  de  ces  choses  jusques  à  tant  que  un  vaisselet  au  conte 
de  Flandres,  qui  eschapa  d*eulz  par  force,  le  nous  dit,  que  les 
galies  du  soudanc  avoient  bien  gaaingné  quatr&-vms  de  nos 
galies  qâ  estoîeot  venus  vers  Damiete,  et  tuez  les  gens  qui 
estoient  dedans. 

Par  ce  avint  si  grant  chierté  en  Fost,  que  tantost  que  la  Pas- 
^e  fu  venue,  un  beuf  valoit  en  Fost  quatrc-vîns  livres ,  et  un 
mouton  Incite  livres,  et  un  porc  trente  livres,  et  un  œf  douze 
deniers,  et  un  muide  vin  dix  livres. 

Quant  le  roy  et  les  barons  virent  ce,  il  s'acordèrent  que  le 
roy  feist  passer  son  ost  par  devers  Babil<Hne  en  Fost  le  duc  de 
Bourgoingne ,  qui  estoit  sur  te  flum  qui  aloit  à  Danûete.  Pour 
requerre  sa  gent  plus  sauvement  ^,  fist  le  roy  faire  une  barba- 
fuane  devant  le  pont  qui  estoit  entre  nos  deux  os,  en  tel  manière 
que  Fen  pooit  entrer  de  deux  pars  en  la  barbaquane  à  cheval. 
Quant  la  barbaquane  fu  arée,  si  s'arma  tout  Fost  le  roy,  et  y  ot 
grant  assaut  de  Turs  à  Fost  le  roy.  Toutevoiz  ne  se  mut  Fost  ne 

>  Glouê  t  gloufoDs.  —  3  Tavelés  :   i  nison  :  mnnitions.  —  ^  Plus  sauvô' 
.tacheté«.  <—  '  Jietue  ;  botte.  — *  Car-  \  meni  :  avec  pliu  de  sûreté. 


DE  SAINT   LOUIS  91 

la  gwt,  jusques  à  tant  que  tout  le  hamois  fù  porté  outre  ;  et  lors 
passa  li  roys  et  sa  bataille  après  li,  et  touz  les  autres  barons 
après  «  fors  que  monseigneur  Gautier  de  Gbasteillon  qui  fist 
1  arière-garde.  Et  à  Feutrer  en  la  barbacane,  reseout  monsd- 
gneur  Ërart  de  Walery  monseigneur  Jeban^  son  frère^  que  les 
Turs  enmenoient  pris. 

Quant  toute  l'ost  f u  entrée  dedans ,  ceulz  qui  demourèrent 
en  labarbacane  furent  à  grant  mescbief  ;  car  la  barbacane  n'es- 
toit  pas  haute,  si  que  les  Turs  leur  traioient  de  visée  è  cheval, 
et  les  Sarrazins  à  pié  leur  getoient  les  motes  de  terre  enmi  les 
visages.  Touz  estaient  perdus,  se  cène  feust  le  conte  d'Anjou, 
qui  puis  ^  roj  de  Cezile,  qui  les  ala  rescourre  et  les  enm€na 
sauvement;  De  celle  journée  enpmrta  te  pris  monseigneur  Gef« 
froy  de  Mussanboure,  le  pris  de  touz  ceulz  qui  estment  en  la 
barbacane. 

Lavegile  de  quaresme-prenant ,  vi  une  merveille  que  je 
TOUS  weii  raconter  ;  car  ce  jour  meismear  fa  mis  en  terre  mon- 
seigneur Hue  de  Landricourt,  qui  estoit  avec  moy  à  banière. 
Là  où  il  estoit  en  bière  en  ma  cbapelle,  six  de  mes  chevaliers 
estoient  apuiez  sur  pluseurs  saz  *  pleins  d'orge  \  et  pour  ce  que  il 
parloient  haut  en  ma  chapelle  et  que  il  faisoi^it  noise  au  prestre, 
je  leur  alai  dire  que  il  se  teussent,  et  leur  dis  que  viteinne  chose 
estoit  de  chevaliers  et  de  gentilzhomes  qui  parloient,  tandis 
que  l'en  chantoit  la  messe.  Et  il  me  ecnomencièrent  à  rire ,  et 
me  distrent  en  rimt  que  il  li  remarieroient  sa  femme  ;  et  je 
les  aiehoisonnai  >et  leur  dis  que  tiex  paroles  n'estoient  ne  bo- 
nes  ne  bêles,  et  que  tost  avoient  oublié  leur  compaingnon.  Et 
Dieu  en  fist  tel  vengance  que  lendemain  fu  la  grant  bataille  du 
quaresme-prenant,  dont  il  furent  mort  ou  navrez  à  mort ,  par 
quoy  il  convint  leur  femmes  remarier  toutes  six* 

Pour  les  bleceures  que  j'oi  ^  U  jour  de  quaresme-pr^oant,  me 
prist  la  maladie  de  Tost,  de  la  bouche  et  des  jambes,  et  une  dou- 
ble tierceinne,  et  une  reume  si  grant  en  la  teste  que  la  rcuinc 

'  Saz  :  sacs.  —  ^  Enthofsonnai  :       gourmanJai.  —  ^  J'ai  :  l'eu». 


92  HISTOIRE 

me  filoît  de  la  teste  par  mi  les  nariles  *  ;  et  pour  lesdites  mala«- 
dies  acouchai  au  lit  malade  en  la  mî-quaresme  :  dont  il  avint 
ainsi  que  mon  prestre  me  chantoit  la  messe  devant  mon  lit 
en  mon  paveillon,  et  avoit  la  maladie  que  j'avoie.  Or  avint 
ainsi  que  en  son  sacrement  >  il  se  pasma.  Quant  je  vi  que  il 
vouloit^  cheoir,  je,  qui  avoie  ma  cotevestue,  sailli  de  mon  lit 
iout  descbaus,  et  Tembraçai,  et  11  deis  que  il  feist  tout  à  trait 
et  tout  bêlement  son  sacrement;  que  je  ne  le  lèroie  tant  que 
il  l'auroit  tout  £ût.  Il  revint  à  soi,  et  fist  son  sacrement  et  par* 
chanta  sa  messe  ^  tout  entièrement,  ne  onques  puis  ne  chanta. 
Après  ces  choses  prist  le  conseil  le  roy  et  le  consdl  le  sou- 
danc  journée  d'eulz  acorder.  Le  traitié  de  l'acorder  *  fii  tel , 
•que  Ten  devoit  rendre  au  soudanc  Damiete,  et  le  soudanc  de« 
voit  rendre  auxoy  le  réaume  de  Jérusalem  ;  et  li  dut  garder  le 
soudanc  les  malades  qui  estoient  à  Damiete  et  les  chars  salées ,, 
pour  ce  que  il  ne  mangoient  point  de  porc,  et  les  engiïis  le  roy. 
jusques  à  tant  que  le  roy  pourroit  r'envoier  querre  toutes  ces 
choses.  Il  demandèrent  au  conseil  le  roy  quel  seurté  il  donroient 
par  quoy  il  reçussent  Damiete.  Le  conseil  le  roy  leur  offin  que 
il  détenissent  un  des  frères  le  roy  tant  que  il  r*eussent  Danùete, 
ou  le  conte  d'Anjou,  ou  le  conte  de  Poitiers.  Les  Sarrazins  disr 
trent  que  il  n'en  feroient  riens ,  se  en  ne  leur  lessoit  le  cors 
le  roy  en  gage  ;  dont  monseigneur  Geffiroy  de  Sergines,  le  bon 
chevalier,  dit  que  il  ameroit  miex  que  les  Sarrazins  les  eus^ 
sent  touz  mors  et  pris,  que  ce  que  il  leur  feust  reprouvé  ^  que 
il  eussent  lessié  le  roy  en  gage.  La  maladie  commença  à  engre» 
gier  ^  en  l'ost  &i  tel  manière,  que  il  venoit  tant  de  char  morte 


'  ffariUt  :  narinea.  —  '  A  la  consè- 
cration,  <m  simplemeni»  -en  disant  la 


chanta  :  acheva  de  chanter.  —  *  Ré* 
prouvé  :  reproché,  —  «  Bngregier  :  em- 


messe.  —  s  youloit  :  allait.  —  *  Par*  \  pirer. 

*  Marino  Sanndo  dit  que  par  ce  traité  le  sultan  du  Grand-Caire  offrit 
d'abandonner  au  roi  la  tUle  de  Damiette  avec  le  pays  adjacent,  pour  le 
laisser  habiter  aiu  chrétiens  qui  demeuraient  dans  l'Egypte,  nonunés  pour 
lors  Christiani  de  Cinctura  :  quia  cingulum  portabant  latum^  et  vesU* 
nienlunit  per  quod  recognoscebantur  ah  aliis  {Jacobitû  scilicet  et  aliis 
Qfiristianis  ). 


:  r.  r;  / 

D£  SAINT  LOUIS.  93 

ès  gencives  à  nostre  geot^que  il  couTcnoit  que  barbiers  ostas- 
sent  la  char  morte,  pour  ce  que  il  peussent  la  viande  mascber 
et  avaler  aval  *.  Grant  pitié  estoit  d^oïr  brère  les  gens  parmi 
l'ost,  ausquîex  Ten  copoit  la  cbar  morte;  car  il  bréoient  aussi 
comme  li^oiimes  qui  traveillent  d'enfmt. 

Quant  le  roy  vit  que  il  n'avoit  pooir  d'iiec  demeurer  que 
mourir  ne  le  couvenist ,  li  et  sa  gent,  il  ordena  et  atira  que  il 
mouvroit  le  mardi  au  soir  à  Tanuitier,  après  les  octaves  de  Pas- 
ques,  pour  revenir  à  Damlete.  Le  roy  commanda  à  Josselin  de 
Comaut  et  à  ses  frères  et  aus  autres  engingneurs,  que  il  co- 
passent  les  cordes  qui  tenoient  les  pons  entre  nous  et  les  Sar« 
razins;  et  riens  n'en  firent.  Nous  nous  requeiilimes  '  le  mardi 
après  dîner  de  relevée,  et  deux  de  mes  chevaliers  que  je  avoie 
de  remenant  de  ma  mesniée  >.  Quant  ce  vint  que  il  commença 
à  anuitier,  je  dis  à  mes  mariniers  que  il  tirassent  leur  ancre  et 
^e  nous  en  alissions  aval  ;  et  il  distrent  que  il  n*oseroient , 
pour  ce  que  les  galies  au  soudanc,  qui  estoient  entre  nous  et 
Damiete,  nous  ocdrroient.  Les  mariniers  avoient  fait  grans  feus 
pour  requeillir  les  malades  dedans  leur  galies ,  et  les  malades 
c^estoient  trait  sur  la  rive  du  flum.  Tandis  que  je  prioie  le  ma- 
rinier que  nous  en  alissions,  les  Sarrazins  entrèrent  en  Tost  ; 
et  vi  à  la  clarté  du  feu  que  il  occioient  les  malades  sus  la  rive. 
Endem^tres  que  il  tiroient  leur  ancre,  les  mariniers  qui  de* 
voient  mener  les  malades  coupèrent  les  cordes  de  leur  ancres 
et  de  leur  galies,  acoururent  en  nos  petiz  vessiaus,  et  nous  en- 
clorrent  Tun  d'une  par  et  l'autre  d'autre  part,  que  à  pou  se  ala  ^ 
que  il  ne  nous  afondrèrent  en  i'yaue.  Quant  nous  fumes  es- 
chapes  de  ce  péril  et  nous  en  allons  contreval  le  flum,  le  roy, 
qui  avoit  la  maladie  de  l'ost  et  menoison^  moult  fort ,  se  feust 
bien  garanti  ès  galies,  se  il  vousist  ;  mes  il  dit  que,  se  Dieu 


'  NoQs  HOU  raaaeiDblftmef  dan^  dm  I  <  MenoUon  :  dyasenterle.  M.    Petitot 

vaiMeaax.  —  '  Mesniée  ;  compagnie.  1   tradait  en  note  menoison  par  ulcères 

—  3  En  sorte  que  peu  s'en  fallut.  —  I   qui  se  formaient  dans  les  chairs. 

*  Cette  maladie  était  le  scorbut. 


94  HISTOiaV 

plest,  il  ne  léroit  jà  soo  peuple.  Le  soir  se  pasma  par  piuseurs 
foiz;  et,  pour  la  fort  menuîson  que  il  avolt,  li  couvînt  eoper 
le  fons  de  ses  braies  <  toutes  les  foiz  que  il  desceadoit  pour 
aler  à  chambre  *.  L*en  eserioit  à  nous  qui  nagions  ^  par  Fyaue, 
que  nous  attendtssion  le  roy  ;  et  quant  nous  ne  le  Toulions  at* 
tendre,  Ten  traioit  à  nous  de  quarriaus  :  par  quoy  il  nous  cou- 
venoit  à  rester  tant  que  il  nous  donnoient  4  congé  de  nager. 

Or  vous  dirai  conunent  le  roy  fu  pris,  ainsi  comme  il«meis* 
mes  le  me  conta.  U  me  dit  que  il  avoit  lessié  la  seue  bataille  et 
s'estoit  mis  entre  li  et  monseigneur  Geffiroy  de  Sargînes  et  ^  en 
la  bataille  monseigneur  Gautier  de  Qiasteillon,  qui  fesoit  Tarière- 
garde.  £t  me  conta  le  roy  que  il  estoit  monté  sur  un  petit  ron* 
cin,  une  bouce  de  soyevestue,  et  dit  que  darière  Une  demeura 
de  touz  chevaliers  ne  de  touz  serjans,  que  monseigneur  Gef- 
froy  de  Sergines ,  lequel  amena  le  roy  jusques  à  Quazel  * ,  là 
où  le  roy  fu  pris  ^  en  tel  manière  que  li  roys  me  conta  que 
monseigneur  Geftroy  de  Sergines  le  deffendoit  des  Sarrazins, 
aussi  comme  le  bon  xallet  deffent  le  hanap  ^  son  seigneur  des 
mouches  ;  car  toutes  les  foiz  que  les  Sarrazins  Taprochoiait,  il 
prenoit  son  espié,  que  il  avoit  mis  entre  li  et  Tarçon  de  sa 
selle,  et  le  metoit  desous  s'essele,  et  leur  recouroit  sus  et  les 
chassoit  ensus  du  roy?.  £t  ainsi  mena  le  roy  jusques  à  Kasel, 
et  le  descendirent  en  une  mèson,  et  le  couchèrent  ou  giron  * 
d'une  bourjoise  de  Paris  aussi  comme  tout  mort,  et  cuidoient 
que  il  ne  deust  jà  veoirle  soir.  Ulec  vint  monseigneur  Phelippe 
de  Monfort  *",  et  dit  au  roy  que  il  vécHt  Tamiral  à  qui  il  avoit 


'  Braies,  eapèee  de  pantalon.  — 
'  Chambre  :  garde-robe.  —  '  Nagions  : 
navigaioas.  —  *  Liiez  :  Tant  que  ils 
donneraient,  ifesUà'dire  Jucqa'à   ce 


qa'itfl  donnftgaent.  —  ^  Mjfaeez  et. 
«  Hanap  :  coape.  —  '  Les  ccartoit  de 
la  personne  da  roi.  —  *  Ou  giron  : 
au  Ut. 


*  Les  historien?  orientaux  contemporains  rapportent  que  saint  Louis  fut 
pris  dans  un  lieu  appelé  Minieh, 

**  Philippe  de  Montfort ,  fils  de  Simon  IIl,  comte  de  Leicestcr,  le  grand 
ennemi  des  Albigeois,  et  frère  de  Simon  IV.  n  entreprit,  après  la  mort  de 
son  père,  Texermination  de  ces  hérétiques;  mais  depuis,  ayant  reçu  quelque 
déplaisir  do  la  relue  Blanche ,  il  se  retira  en  Angleterre ,  où  il  fut  grand 
sénéchal. 


DE  SAINT  LOUIS.  95 

traitié  de  la  trêve;  que  se  il  vouloit,  iliroit  à  li  pour  la  treuve 
refaire  en  la  manière  que  les  Sarrazins  vouloient.  Le  roy  li 
pria  que  il  y  alast  et  que  il  le  vouloit  bien.  Il  ala  au  Sarrazin, 
et  le  Sarrazin  avoit  ostée  sa  touaille  de  sa  teste,  et  osta  son  anel 
de  son  doy  pour  asseurer  que  il  tenroit  la  trêve.  Dedans  ce 
avint  une  si  grant  meschéanoe  à  nostre  gent,  que  un  traitres  ser« 
jant,  qui  avoit  à  non  Marcel,  commença  à  crier  à  nostre  gent  : 
«  Seigneurs  chevaliers,  rendés-vous,  que  li  roys  vous  le  mande  ; 
et  ne  faites  pas  occirre  le  roy.  »  Touz  cuidèrent  que  le  roy  leur 
eust  mandé,  et  rendirent  leur  espées  aus  Sarrazins.  L'amiraut 
vit  que  les  Sarrazins  amenoient  nostre  gent  prins.  L*amiraut 
dit  à  monseigneur  Phelippe  que  il  n'aferoit  pas  que  il  don- 
nast  à  nostre  gent  trêves,  car  il  véoit  bien  que  il  estoient  pris. 
Or  avint  ainsi  que  *  monseigneur  Phelippe  que  toute  nostre 
gent  estoient  pris';  et  il  ne  le  fu  pas,  pour  ce  que  il  estoit  mes- 
sage *.  Or  a  une  autre  mauvèse  manière  ou  pais  en  la  paien- 
nime,  que  quant  le  roy  envoie  ses  messages  au  soudano,  ou 
le  soudanc  au  roy,  et  le  roy  meurt  ou  le  soudanc,  avant  que 
les  messages  revieingnent,  les  messages  sont  prisons  et  esclaves, 
de  quelque  part  que  il  soient,  ou  Grestiens  ou  Sarrazins. 

Quant  celle  meschéance  avint  à  nos  gens  que  il  furent  prisa 
terre,  aussi  avint  à  nous  qui  fumes  prins  en  Tyaue,  ainsi 
comme  vous  orrez  ci-après;  car  le  vent  nous  vint  devers  Da- 
micte,  qui  nous  toli  le  courant  de  Tyaue,  et  les  chevaliers  que 
le  roy  avoit  mis  en  ses  courciers^  pour  nos  malades  deffendre, 
s'enfouirent.  Nos  mariniers  perdirent  le  cours  du  flum  et  se 
mistrenten  une  noe^^,  dont  il  nous  couvint  retourner  arières 
vers  les  Sarrazins. 

Nous  qui  alions  par  yaue,  venimes  un  pou  devant  ce  que  l'aube 
crevast,  au  passage  là  où  les  galies  au  soudanc  estoient,  qui 
nous  avoient  tolu  à  venir  les  viandes^  à  Damiete.  Là  ot  grant 
hutin  ;  car  il  traioient  à  nous  et  à  nostre  gent  qui  estoient  sus 

*  y^^  manuscrit  de  Lacqoes. — ^  Mes-   i   ^    Courciers,   espèces  de   navires. — 
9açe   :  messager,   ambassadeur.    —   |   *  Noe  f  anse.  —  ^  friandes  ."vivres. 


96  HISTOIBfi 

la  rive  de  l^yaue,  à  cheval ,  si  grant  foison  de  pyles  à  tout  le 
feu  gréjois,  que  il  sembloit  que  les  estoiles  du  ciel  chéissent. 

Quant  nos  mariniers  nous  eurent  ramenez  du  bras  du  flum  là 
où  il  nous  orent  enbatus  < ,  nous  trouvâmes  les  courciersleroy 
que  le  roy  nous  avoit  establiz  pour  nos  malades  deffendre^  qui 
s'en  venoient  fuiànt  vers  Damiete.  Lors  leva  un  vent  qui  venoit 
devers  Damiete  si  fort,  que  il  nous  toli  le  cours  de  Tyaue.  A 
Tune  des  rives  du  flum  et  à  Tautre,  avoit  si  grant  foison  da 
vaisseles  *  à  nostre  gent  qui  ne  pooient  aler  aval,  que  les  Sarra« 
zins  avoientpris  et  arrestez,  et  tuoient  les  gens  et  les  getoient 
en  Fyaue,  et  traihoient  les  cofres  et  les  hamois  des  nefz  que  il 
avoient  gaaingnées  à  nostre  gent.  Les  Sarrazins  qui  estoient  à 
cheval  sus  la  rive  traioient  à  nous  de  pyles ,  pour  ce  que  nous 
ne  voulions  aler  à  eulz.  Ma  gent  m'orent  vestu  un  haubert  à 
tournoiera,  lequel  j'avoie  vestu,  pour  ^  les  pyles  qui  chéoient  en 
nostre  vessel  ne  me  bleçassent.  En  ce  point ,  ma  gent ,  qui  es- 
toient en  la  pointe  du  vessel  aval,  m'esmèrent  :  «  Sire ,  sire, 
vos  mariniers,  pour  ce  que  les  Sarrazins  le  menacent,  vous 
vuelent  mener  à  terre.  »  Je  me  fiz  lever  par  les  bras ,  si  fèble 
comme  je  estoie,  et  trais  m'espée  sur  eulz,  et  leur  diz  que  je 
les  occirroie  se  il  me  menoient  à  terre  ;  et  il  me  respondirent 
que  je  preisse  lequel  que  je  vourroie  ^  :  ou  il  me  menroient  à 
terre,  où  il  me  ancreroient  en  mi  le  flum  jusques  à  tant  que  le 
vent  feust  choit.  Et  je  leur  dis  que  j  amoie  miex  que  il  m'an- 
crassent  enmi  le  flum,  que  ce  que  il  me  menacent  à  terre,  là  où 
je  véoie  nostre  occision  ;  et  il  m'ancrèrent. 

Ne  tarda  guères  que  nous  veismes  venir  quatre  galies  du  sou- 
danc,  là  où  il  avoit  bien  mil  homes.  Lors  j'appelai  mes  cheva- 
liers et  ma  gent,  et  leur  demandai  que  il  vouloient  que  nous 
feissions,  ou  de  nous  rendre  aus  galies  le  soudanc,  ou  de  nous 
rendre  à  ceulz  qui  estoient  à  terre.  Nous  acordames  touz  que 

»  Bnbaiu»  :    «ngagéa.    —  2  Vaita»-  \   pléei  :[ça«,  —  *  Le  parti  que  je  voo« 


les  :  barques.  —  3  u^e  cotte 

qui  servait  dans  le»  toarnois.  —«  Sup 


sotte  de  maille   |  drais.  'A 
mois,  — <  Sup-  .  I 


^A 


DE   SAINT  LOUIS. 


97 


nous  amions  miex  qae  nous  nous  randission  aus  gaties  le  sou* 
danc^  pour  ce  que  il  nous  tendroient  ensemble,  que  ce  que  nous 
nous  randisson  à  ceulz  qui  sont  à  terre,  pour  ce  que  il  nous 
esparpilleroient  et  vendroient  aus  Béduyns.  Lors  dit  un  mien 
scélerier,  qui  estoit  né  de  Doulevens  <  :  a  Sire,  je  ne  m*acorde 
pas  à  oest  conseil.  »  Je  li  demandai  auquel  il  s'acordoit,  et  il 
me  dit  :  «  Je  m'acorde  que  nous  nous  lessons  touz  tuer  ;  si 
nous  en  irons  touz  en  paradis.  »  Mes  nous  ne  le  creumes  pas. 

Quant  vi  que  prenre  nous  escouvenoit  >,  je  prins  mon  escrîn 
et  mes  joians,  et  les  getai  ou  flum,  et  mes  reliques  aussi.  Lors 
me  dit  un  de  mes  mariniers  :  «  Sire,  se  vous  ne  me  lessiés  dire 
que  vous  soies  cousin  le  roy,  Ton  vous  occira,  et  nous  avec.  » 
Et  je  diz  que  je  vouloie  bien  que  il  deist  ce  que  il  vourroit. 
Quant  la  première  galie^  qui  venoit  vers  nous  pour  nous  hurter 
nostre  vessel  en  travers,  oyrent  ce,  il  geterent  leur  ancres  près 
de  nostre  ve^l.  Lors  envoia  Diex  un  Sarrazin  qui  estoit  de  la 
terre  Tempereur,  et  en  vint  noant^  jusqu'à  nostre  vessel ,  et 
m'embraça  par  les  flancs  et  me  dit  :  «  Sire,  vous  estes  perdu, 
se  vous  ne  metés  conseil  en  vous  ;  car  il  vous  convient  saillir 
de  vostre  vessel  sur  le  bec  qui  est  teson  4  de  celle  galie.  Et  se 
vous  saillés^  il  ne  vous  regarderont  jà;  car  il  entendent  au  gaaing 
de  vostre  vessel.  -»  Il  me  jetèrent  une  corde  de  la  galie  ;  et  je 
salli  sur  Testuc  ^ ,  ainsi  comme  Dieu  volt.  Et  sachiez  que  je 
chancelai-,  que,  se  il  ne  fu  salli  après  moy  pour  moy  soustenir, 
je  feusse  cheu  en  Tyaue. 

il  me  mistrent  en  la  galie ,  là  où  il  avoit  bien  quatre-vins 
homes  de  leur  g^is ,  et  il  me  tint  touzjours  embracié.  Et  lors  il 
me  portèrent  à  terre  et  me  saillirent  âtir  le  cors  pour  moy  coper 
la  gorge;  car  cilz  qui  m*eust  occis  cuidast  estre  honoré.  Et  ce 
Sarrazin  me  tenoit  touzjours  embracié,  et  crioit  :  «  Cousin  le 
roi  !  »  En  tel  manière  me  portèrent  deux  foiz  par  terre ,  et  une 


1  C'est  sanf  doote  Donrlens ,  TÎUe 
de  Picardie.  -  ^  Qu'il  nous  fallait 
être    pris.    —   ^    pfoani  :  nageant. 


—  *  Teson  :  qnille  de  navire.  --  *  Es- 
tue  :  partie  antérieure  de  la  qaille  d'un 
navire.  » 


9S 


HISTOIRE 


à  genoillons  '  ;  et  lors  je  senti  le  coûte)  à  la  gorge.  En  ceste  per- 
sécucion  mesalva  Diexpar  Taide  du  Sarrazin^  lequel  me  mena 
jusques  ou  chastel  là  où  les  chevaliers  sarrazins  estoient.  Quant 
je  ving  entre  euz,  il  m'ostèrent  mon  haubert;  et  pour  la  pitié 
qu'il  orent  de  moy ,  il  getèrent  sur  moy  un  mien  couvertouer  de 
escarlate  fourré  de  menu  ver,  que  madame  ma  mère  m'avoit 
donné  ;  et  l'autre  m'aporta  une  courroie  blanche  ;  et  je  me 
ceingny  sur  mon  couvertouer^  ouquel  je  avoie  fait  un  pertuis 
et  Tavoie  vestu  ;  et  l'autre  m'apqrta  un  chaperon ,  que  je  mis 
en  ma  teste.  £t  lors,  pour  la  poour  que  je  avoie,  je  commençai 
à  trembler  bien  fort,  et  pour  la  maladie  aussi.  Et  lors  je  de- 
mandai à  boire^  et  l'en  m'aporta  de  l'yaue  en  un  pot  ;  et  sitost 
comme  je  la.  mis  à  ma  bouche  pour  envoier  aval  ^,  elle  me 
sailli  hors  par  les  narilles.  Quant  je  vî  ce,  je  envolai  querre  ma 
gent  et  leur  dis  que  je  estoie  mort,  que  j'avoie  Tapostume  en 
la  gorge  ;  et  il  me  demandèrent  comment  je  le  Savoie  ;  et  tan- 
tost  il  virent  que  Tyaue  me  sailloit  par  la  gorge  et  par  les  na- 
rilles, et  il  pristrent  à  plorer.  Quant  les  chevaliers  sarrazins 
qui  là  estoient  virent  ma  gent  plorer,  il  demandèrent  au  Sar- 
razin  qui  sauvez  nous  avoit ,  pourquoy  il  ploroient  ;  et  il  res- 
pondi  que  il  entendoit  que  j'avoie  l'apostume  en  la  gorge,  par 
quoy  je  ne  povoie  eschapcr.  Et  lors  un  des  chevaliers  sarrazins 
dit  à  celî  qui  nous  avoit  garantiz,  que  il  nous  reconfortast  ;  car 
il  me  donroit  tel  chose  à  boivre,  de  quoy  je  seroie  guéri  de- 
dans deux  jours;  et  si  fîst-U. 

Monseigneur  Raoul  de  Wanou  ^  qui  estoit  entour  moy,  avoit 
esté  esjareté  ^  à  la  graut  bataille  du  quarcsme-prenant,  et  ne  pooit 
ester  ^  sur  ses  pieds;  et  sachiez  que  un  vieil  sarrazin  chevalier 
qui  estoit  en  la  galie,  leportoit  aus  chambres  privées  ^  à  son  col. 

Le  grant  amiral  des  galies  m'envoia  querre,  et  me  demanda 
se  je  e3toie  cousin  le  roy.  Et  il  dit  que  j'avoie  fait  que  sage , 


*  A  genoillons  :  à  genoux.  —  ^  fin- 
voier  aval  :  avaler  (^ envoyer  en  bas). 
—  3  Aillears  :  Raoul  de  Wanon,  — 


*  Avait  en  le  jarret  coapé.  —  ^StUr  : 
se  tenir  debout.  —  ^^  Chambres  pri- 
vées :  lieux  d'aisance. 


DE  SAINT   LOUIS 


99 


et  je  li  dis  que  naïun'.  Et  il  conta  comment  et  pourquoy  le 
marinier  avoit  dit  que  je  estoie  cousin  le  roy  ;  car  autrement 
eussions-nous  esté  touz  mors.  Et  il  me  demanda  se  je  tenoie 
riens  du  lignage  à  Tempereur  Ferri  d'Alemaingne  ^  qui  lors 
vivoit;  et  je  li  respondi  que  je  entendoie  que  madame  ma  mère 
estoit  sa  cousine  germainne;  et  il  me  dit  que  tant  m'amoit-ii 
t^iex.  Tandis  que  nous  mangions,  il  fist  venir  un  bourgois  de 
Paris  devant  nous.  Quant  le  bourgois  fu  venu ,  il  me  dit  : 
«  Sire ,  que  faites- vous  ?»  —  «  Que  faiz*je  donc ,  feiz-je?  »  — 
«  En  non  Dieu,  fist-il,  vous  mangez  char  au  vendredi  !  »  Quant 
j'oï  ce,  je  bouté  m'escuele  arières.  Et  il  demanda  à  mon  Sar- 
razin  pourquoy  je  avoie  ce  fait,  et  il  li  dit  ;  et  Tamiraut  li  res- 
pondi que  jà  Dieu  ne  m'en  sauroit  mal  gré ,  puisque  je  ne 
Tavoie  fait  à  escient.  Et  sachez  que  ceste  response  me  ûst  le 
légat,  quant  nous  fumes  hors  de  prison  ;  et  pour  ce  ne  lessé-je 
pas  que  je  ne  jeûnasse  touz  les  vendredis  de  quaresme  après, 
en  pain  et  en  yaue  :  dont  le  légat  se  courrouça  moult  forment  ^ 
h  moy,  pour  ce  que  que  il  n'avoit  demouré  avec  le  roy  de  riches 
homes  que  moy.  Le  dymanche  après,  Tamiraut  me  fit  des- 
cendre et  tous  les  autres  prisonniers  qui  avdient  esté  pris  en 
Tyaue ,  sur  la  rive  du  flum.  Endementières  en  treboit  monsei- 
gneur Jehan  ^^  mon  bon  prestre,  hors  de  la  soute  de  la  galie  ^, 
il  se  pausma,  et  en  le  tua  et  le  geta  l'en  ou  flum.  Son  clerc,  qui 
se  pasma  aussi  pour  la  maladie  de  Tost  que  il  avoit,  l'en  li  geta 
un  mortier  sus  la  teste,  et  le  geta  l'en  ou  flum.  Tandis  que  l'en 
descendoit  les  autres  malades  des  galies  où  il  avoient  esté  en 
prison,  il  y  avoit  gens  sarrazins  appareillés ,  les  espées  toutes 
nues,  que  ^  ceulz  qui  chéoient,  il  les  occioient  et  getoient  touz 
ou  flum.  Je  leur  fis  dire  à  mon  Sarrazin,  que  il  me  sembloit 
que  ce  n'estoit  pas  bien  fait  ;  car  c'estoiti  contre  les  enseigne- 
mensSalehadin?,  qui  dit  que  l'en  ne  doit  nul  homme  occirre , 


*  Ncmin  :  aon.  —  >  Frédéric  II,  qui 
avait  été  couronné  roi  de  Jérusaloni,  et 
tenait  tontes  les  places  de  ce  royaume. 
—  *  Forment  :  fortement.    —  *  Jean 


de  Vajnsy  on  de  VoUsey.  —  ^  Hors  du 
bas  de  l'arrière  du  yaisseau.  —  ^  Sup' 
pléez  :  en  sorte.  —  '  Saiehadi'  :  Sa- 
ladin  ;  en  arabe ,  Salah-eddin. 


Ï-' 


100  HISTOIRE 

puis  que  en  ne  H  avoit  donné  à  manger  de  son  pain  et  de  son  sel  *. 
Et  il  me  respondi  que  ce  n*estoient  pas  homes  qui  vausisent  riens, 
pour  ce  que  il  ne  se  pooient  aidier  pour  les  maladies  que  il 
avoient.  Il  me  fist  amener  mes  mariniers  devant  moy ,  et  me 
dit  que  il  estoient  touz  roioiéss  et  je  li  dis  que  il  n*eust  jà 
fiance  en  eulz;  car  aussitost  comme  il  nous  avoient  lessiez , 
aussitost  les  lèroient-il,  se  il  véoient  ne  leur  point  ne  leur 
lieu*.  Et  Tamiraut  me  fist  response  tele ,  que  il  s*acordoit  à 
*jr  .  moy  ;  que  Salehadin  disoit  que  en  ne  vit  onques  de  bon  Cres* 
tien  bon  Sarrazin ,  ne  de  bon  Sarrazin  bon  Grestien.  Et  après 
ces  choses  il  me  fist  lùonter  sus  un  palefroy,  et  me  menoit  en- 
coste  3  de  li.  Et  passâmes  un  pont  de  nez ,  et  alames  à  la  Mas- 
soure ,  là  où  le  roy  et  sa  gent  estoient  pris  ;  et  venimes  à 
Fentiée  d*un  grant  paveillon  là  où  les  escri vains  le  soudanc 
estoient ,  et  firent  illec  escrire  mon  non.  Lors  me  dit  mon 
Sarrazin  :  «  Sire,  je  ne  vous  suivre  plus ,  car  ie  ne  puis  ;  mez 
je  vous  pri ,  sire ,  que  cest  enfant  que  vous  avez  avec  vous , 
que  vous  le  tenez  tousjourc  par  le  pomg ,  que  les  Sarrazins 
ne  le  vous  toillent.  »  Et  cel  enfant  avoit  non  Berthelemin, 
et  estoit  filz  au  seigneur  de  Monfaucon  de  Baat  4.  Quant  mon 
non  fut  mio  en  escrit ,  si  me  mena  l'amiraut  dedans  le  pa- 
vefllon  là  où  les  barons  estoient,  et  plus  de  dix  mil  personnes 
avec  eulz.  Quant  Je  entrai  léans ,  les  barons  firent  touz  si 

'  Rêmoiés  :  renégate.  —  >  S'ils  I  d'en  Droflter.  —  *  Sitooite  :  s  e6iL 
▼oysient  et  lear  aTantoge  et  roecaeioa  I  —  *  Bdit  de  da  Cange  :  d$  Bar. 

*  Ce  passage  est  susceptible  de  deux  interprétations  :  ou  ie  sire  de  Join- 
vUIe  vent  dire  qu'il  n'est  pas  permis  de  tuer  un  prisonnier,  du  moment 
qu'on  lui  a  donné  à  traire  et  à  manger  (  et  en  efTet  tel  était  l'usage  des  Ara- 
bes, usage  auquel  Saladin  rendit  hommage,  lorsqu'aprés  la  bataiHe  de  IUm^ 
riade,  U mit  à  mort  Renaud  de Châtillon ) ;  ou  bien  il  prétendqu'on  n'a  pas 
le  droit  de  rien  exiger,  et  par  conséquent  de  se  défaire  des  hommes  auxquels 
on  n'a  pas  assuré  des  moyens  d'existence.  Tel  était  l'esprii  des  institutions 
féodales  au  moyen  âge,  institutions  qui  avaient  pénétré  en  Orient,  et  dont 
Saladin  rendit  l'usage  général.  Pour  Tune  et  l'autre  interprétation,  l'on 
trouvera  des  exemples  à  l'appui ,  dans  les  Extraits  des  historiens  arabes 
relatifs  aux- guerres  des  Croisades ,  par  M.  Rehiaud,  pag.  197  et  577, 


DE  SAINT  LOUIS.  lOt 

i^ant  joie  que  en  ne  pooit  goûte  oïr,  et  en  louoient  Nostre- 
Sfeigneur,  et  disoient  que  il  me  cuidoient  avoir  perdu. 

Nous  n'eûmes  guères  demouré  illec,  quant  en  fist  lever  Tun 
des  plus  riches  homes  qui  là  feust ,  et  nous  mena  en  un  autre 
paveillon.  Moult  de  chevaliers  et  d'autres  gens  tenoient  les 
Sarrazins  pris  *  en"une  court  qui  estoit  close  de  mur  de  terre. 
De  ce  dos  où  il  les  avoient  mis  les  fesoient  traire  l'un  après 
l'autre,  et  leur  demandoient  :  a  Te  weulz-tu  renoier?  »  Geulz 
qui  ne  se  vouloient  renoier^  en  les  fesoit  mettre  d'une  part  et 
eoper  les  testes  ;  et  ceulz  qui  se  renoioient,  d'autre  part.  £n  ce 
point  nous  envoia  le  soudanc  son  conseil  pour  parler  à  nous  ; 
et  demandèrent  à  cui  il  diroient  ce  que  le  soudanc  nous  man- 
doit.  £t  nous  leur  deismes  que  il  le  deissent  au  bon  conte 
Perron  de  Bretaingne.  Il  avoit  gens  illec  qui  savoient  le  sar* 
razinnois  et  le  françois ,  que  J'en  appelé  drugemens  ' ,  qui 
enromançoient  ^  le  sarrazinnois  au  conte  Perron.  Et  furent  les 
paroles  teles  :  a  Sire,  le  soudanc  nous  envoie  à  vous  pour  savoir 
se  vous  vourriés  estre  délivrés?  »  Le  conte  respondi  ;  «  OïK  » 
—  «  Et  que  vous  donrriés  au  <  soudanc  pour  vostre  délivrance.  » 
-—  «  Ce  que  nous  pourrions  faire  et  souffrir  par  reson ,  »  fist  le 
conte,  a  Et  donriés-vous,  firent-il,  pour  vostre  délivrance,  nulz 
des  chastiaus  aus barons  d'outre^mer ?»  Le  conte  respondi 
que  il  ni  avoit  pooir;  car  en  les  tenoit  de  l'empereur  d'Ale« 
maingne,  qui  lor  vivoit.  Il  demandèrent  se  nous  renderions 
nulz  des  chastiaus  du  Temple  ou  de  TOspital  pour  nostre  dé- 
livrance. Et  le  conte  respondi  que  ce  ne  pooit  estre  ;  que , 
quant  l'eu  y  metoit  les  chastelains,  en  leur  fesoit  jurer^sur 
sains,  que  pour  délivrance  de  cors  de  homme,  il  ne  renderoient 
nulz  des  chastiaus.  Et  il  nous  respondirent  que  il  leur  sem« 
bloit  que  nous  n'avions  talent  ^  d'estre  délivrez ,  et  que  il  s'en 
iroient  et  nous  envoieroient  ceulz  qui  joueroient  à  nous  de& 

'  1^8  SarraziDs  tenoient  prisonniers  i  gnifle  interprète.—  ^Énromamer  : 
plusieurs  chevaliers,  etc. —'Corrap-  |  traduire  en  français.  —  ^  Et  ce  que 
tiun  du  mot  arabe  iergunân,  qui  si-  J  Tousdonaeriei.  —  ^  Tofcnf  :  désir. 

9. 


102  HISTOIRB 

espées,  aussi  comme  il  avoient  fait  aus  autres.  Et  s'en  alèrent. 

Maintenant  que  il  s*en  furent  alez ,  se  féri  en  nostre  pa- 
ralion  une  grant  tourbe  de  joenes  Sarrazins,  les  espées  çaintes, 
et  amenoîent  avec  eulz  un  home  de  grant  vieillesce,  tout  chanu  ', 
lequel  nous  fist  demander  se  c'estoit  voir  que  nous  créions  en 
un  Dieu  qui  avoit  esté  pour  nous  navré  et  mort  pour  nous,  et 
au  tiers  jour  resuseité.  Et  nous  respondimes  :  «  Oyl.  »  Et 
lors  nous  dît  que  nous  ne  nous  devions  pas  desc(Hiforter,  se  nous 
avions  soufertes  ces  perséeudons  pour  11  ;  «  car  encore,  dit- 
il,  n*estes-vous  pas  mort  pour  li,  ainsi  comme  il  fu  mort  pour 
vous  ;  et,  se  il  ot  pooir  de  li  resusciter^  soies  certein  que  il  vous 
délivrera,  quant  li  pléra.  »  Lors  s'en  ala  et  touz  les 'autres 
joenes  gens  après  li ,  dont  je  fii  moult  lié;  car  je  cuidoie  cer- 
teinnement  que  il  nous  feussent  venu  les  testes  trancher.  Et 
ne  tarja  guères  après  quant  les  gens  le  soudanc  vinrent ,  qui 
nous  distrent  que  le  roy  avoit  pourchacié  nostre  délivrance. 

Après  ce  que  le  vieil  home  s'en  fualé ,  qui  nous  ot  réconfor- 
tez ,  revint  le  conseil  le  soudanc  à  nous ,  et  nous  dirent  que  le 
roy  nous  avoit  pourchacié  nostre  délivrance ,  et  que  nous  envol- 
ons quatre  de  nos  gens  à  lipour  oyr  comment  il  avoit  fait.  Mous 
y  envoiames  monseigneur  Jehan  de  Walery  le  preudome, 
monseigneur  Phelippe  de  Monfort,  monseigneur  Baudouyn 
dit  Belin*,  séneschal  de  Gypre,  et  monsei^eur  Guion  dît 
Belin ,  conestable  de  Cypre ,  l'un  des  miex  entechez  chevaliers 
que  je  veisse  onques,  et  qui  plus  amoit  les  gens  de  cest  pays. 
Ces  quatre  nous  raportèrent  la  manière  comment  le  roy  nous 
avoit  pourchacié  nostre  délivrance;  et  elle  fu  tele. 

Le  conseil  au  soudanc  essaieront  le  roy  en  la  manière  que  il 
nous  avoient  essaies,  pour  veoir  se  li  roys  leur  vourroit  promet- 
tre à  délivrer  nulz  des  chastiaus  du  Temple  ne  de  l'Ospital ,  ne 
nulz  des  chastiaus  aus  barons  du  pais  ;  et  ainsi  comme  Dieu 
voult ,  le  roy  leur  respondi  tout  en  la  manière  que  nous  avions 

*  Oumu  :  chenu ,  blasa,  —  >  liaei  là  et  aa  nom  qui  «ait  ;  Gibelin. 


DE  SAINT  LOUIS.  10^ 

respondu  ;  et  il  le  menacèrent  et  li  distrent  que  puisque  il  ne 
le  vouloit  faire,  que  il  le  feroient  mettre  es  bemicles.  Beruicles 
est  le  plus  grief  tourment  que  l'en  puisse  souffrir  ;  et  sont  deux 
tiscms  *  ploians ,  endentés  au  chief  * ,  et  ^tre  Tun  en  Fautre , 
et  sont  liés  à  fors  corroies  de  bœuf  au  chief.  £t  quant  il  veu- 
lent mettre  les  gens  dedans ,  si  les  couchent  sus  leur  costez  et 
leur  mettent  les  jambes  parmi  les  chevilles  dedans  ;  et  puis  si 
font  asseoir  un  home  sur  les  tisons,  dont  il  ne  demourra  jà  demi 
pié  entier  de  os  qu'il  ne  soit  tout  debrisiés.  Et  pour  faire  au  pis 
que  il  peuent,  au  chief  de  troiz  jours  que  les  jambes  sont  enflées, 
si  remettent  les  jambes  enflées  dedans  les  bemicles  et  rebrisent 
tout  derechief .  A  ces  menaces  leur  respondi  le  roy ,  que  il  es- 
toit  leur  prisonnier  et  que  il  poroient  fère  de  li  leur  volenté. 

Quant  il  yireat  que  il  ne  pourroient  vaincre  le  bon  roy  par 
menaces ,  se  revindrent  à  li  et  li  demandèrent  combien  il  vou- 
droit  donner  au  soudanc  d'argent*,  et  avec  ce  leur  rendît 
Damiete.  Et  le  roy  leur  respondi  que  se  le  soudanc  vouloit 
prenre  résonnable  somme  de  deniers  de  li ,  que  il  manderoit  à 
la  royne  que  elle  les  paiast  pour  leur  délivrance.  Et  il  distrent  : 
«  Comment,  est-ce  que  vous  ne  nous  voulez  dire  que  vous  ferez 
ces  choses  ?  »  Et  le  roy  respondi  que  il  ne  savoit  se  la  royne 

*  TiiOM  :  pièces  de  boifl.  —  >  Garnis  de  dents^à  l'extrémité. 

*  Mathieu  Paris  {Hist,  maj.^  ann.  12S0  ;  édit  de  Paris,  m.  dg.  xliv.,  p^. 
551  -533  )  dit  que  Je  sultan  proposa  de  retenir  le  roi  et  de  l'envoyer  au  khalife 
de  Bagdad,  ou  de  le  traîner  en  trioinphe  jusqu'au  fond  de  l'Orient,  alin  de 
servir  d'exemple  aux  autres  princes  chrétiens  qui  oseraient  tenter  de  pa« 
reilles  entreprises  ;  mais  le  désir  qu'il  eut  de  retirer  d^  ses  mains  Damiette , 
défendue  par  le  duc  de  Bourgogne  et  Olivier  de  Thermes,  et  où  s'étaient 
sauvé  le  légat  Eudes  de  Châteauroax ,  avec  beaucoup  d'autres  prélats  qui  as- 
sistaient l'infortunée  reine  Marguerite,  lui  ht  abandonner  ce  dessein  pour 
tenter  une  ruse  :  il  fit  revêUr  ses  troupes  à  la  française,  et  les  envoya  de- 
vant Damiette ,  où  l'on  n'avait  pas  encore  appris  ces  tristes  nouvelles  ;  mais. 
la  garnison  reconnut  bientôt  les  infidèles  à  leur  démarche  et  à  leurs  vi- 
sages basannés.  Se  voyant  déçu,  le  sultan  traita  son  captif  avec  plus  de  dou- 
ceur, lui  permit  d'être  servi  par  sa  maison,  et  commença  à  lui  proposer  les 
conditions  de  sa  délivrance. 


104  HISTOIRE 

le  Tourroit  faire,  pour  ce  que  elle  estoit  sa  dame.  Et  lors  le  con- 
seil  s*eo  r'ala  parl^  au  soudanc;  et  raportèrent  au  roy  que  se 
la  royne  vouloit  pakr  dix  cens  mil  besaiis  d'or,  qui  valoient  dnc 
cens  mil  livres  * ,  que  il  déiivreroit  le  roy.  Et  le  roy  leur  de- 
manda par  leur  seremens  se  le  soudanc  les  dâivreroit  pour 
tant,  se  la  royne  le  vouloit  faire.  Et  il  r'alèrent  parler  au  sou- 
danc; et  au  revenir  firent  le  serement  au  roy,  que  il  le  déii- 
vreroient  ainsi.  Et  maintenant  que  il  orent  juré,  le  roy  dit  et 
promist  aus  amiraus  que  il  paieroit  volontiers  les  cinc  cent  mil 
livres  pour  la  délivrance  de  sa  gent,  et  Damiete  pour  la  déli» 
vrance  de  son  cors;  car  il  n'estoit  pas  tel  que  il  se  deust  des- 
raimbre  à  deniers'.  Quant  le  soudanc  oy  ce ,  il  dit  :  «  Par  ma 
foy  !  larges  est  le  Frans  quant  il  n'a  pas  bargigné  sur  si  grant 
somme  de  deniers.  Or  li  aies  dire,  fist  le  soudanc,  que  je  li 
donne  cent  mil  livres  pour  la  reançon  paier.  » 

Lors  fist  estre  le  soudanc  les  riches  homes  en  quatre  galies , 
pour  mener  vers  Damiete.  En  la  galie  là  où  je  fu  mis,  fii  le  bon 
conte  Pierre  de  Bretaingne ,  le  conte  Guillaume  de  Flandres , 
le  bon  conte  Jehan  de  Soissons,  monseigneur  Imbert  de  Biau- 
geu,  connestable  ^de  France;  le  bon  chevalier  monseigneur 
Jehan  dTbelinet  monseigneur  Gui,  son  frère,  i  furent  mis. 
Cil  qui  nous  conduisoient  en  la  galle ,  nous  arrivèrent  devant 
une  herberge  que  le  soudanc  avoit  fet  tendre  sur  le  flom,  de  tel 

'  Qu*U  se  dàt  racheter  à  prix  d'argent. 

*  Le  besant  était  une  monnaie  d'or  des  empereurs  d'Orient,  ainsi  appelée 
du  nom  de  Bysantium ,  qui  est  le  premier  nom  de  la  ville  de  Ck>nstanti* 
nople,  et  valant  à  peu  près  neuf  francs  cinquante  centimes  de  notre  mon- 
naie. (Voyez  le  Traité  historique  des  Monnayes  de  France]  de  le  Blanc, 
pag.  138.  )  Les  quatre  cent  mille  besants  seraient  donc  représentés  au}our« 
dlwi  par  une  somme  de  sept  millions  six  cent  mille  francs. 

L'extrait  d'un  registre  de  la  chambre  des  comptes  de  Pans  marque  que 
la  rançon  de  saint  Louis  monta  à  la  somme  de  1(!7,102  livres,  18  sous. 
8  deniers  tournois,  laquelle  somme  fut  prise  sur  les  deniers  de  son  hôtel 
Le  surplus  deMOO  mille  livres  qui  était  le  prix  de  la  rançon,  puisque  le  sul- 
tan avait  eu. la  générosité  d'en  rabattre  cent  mille  livres,  fut  pris  d«  de- 
niers destinés  aux  dépenses  de  la  guerre. 


DE  SAIIMT  LOUIS.  106 

manière  comme  vous  orrez.  Devant  celle  herberge  avoit  une 
tour  de  parches  de  sapin  et  close  entour  de  telte  tainte  s  et  la 
porte  estoit  de  la  herberge;  et  dedans  celle  porte  estoit  un  pa- 
veillon  tendu,  là  où  les  amiraus ,  quant  il  aloient  parler  au  sou- 
danc>  lessoient  leur  espées  et  leur  bamois.  Après  ce  paveillon 
r'avoit  une  porte  comme  la  première ,  et  par  celle  porte  entroit 
Ten  en  un  grant  paveillon  qui  estoit  la  sale  au  soudane.  Après 
kl  sale  avoit  une  tel  tour  comme  devant ,  par  laquelle  l'en  en- 
troit en  la  chambre  le  soudane.  Après  la  chambre  le  soudane, 
avoit  un  prael  ',  et  enmi  le  prael  avoit  une  tour  plus  haute  que 
toutes  les  autres,  là  où  le  soudane  aloit  veoir  tout  le  pays  et 
tout  l'ost.  Du  prael  movoit  ^  une  alée  qui  aloit  au  flum ,  là  où 
le  soudane  avoit  fait  tendre  en  Tyaue  un  paveillon  pour  aler  bai- 
gner. Toutes  sesherbergesestoient  closes  de  trellis  de  fust  4,  et 
par  dehors  estoient  les  treillis  couvers  de  toilles  yndes,  pour  ce 
que  ceulz  qui  estoient  dehors  ne  peussent  veoir  dedans;  et  les 
tours  toutes  quatre  estoient  couvertes  de  telle. 

Nous  venimes  le  jeudi  devant  TAscencion  en  ce  lieu  là  où  ces 
herberges  estoient  tendues.  Les  quatre  galies  là  où  entre  nous 
estions  en  prison,  entra  ^  ou  devant  de  la  herberge  le  soudane. 
En  un  paveillon  qui  estoit  assez  près  des  herberges  le  soudane, 
descendi-on  le  roy.  Le  soudane  avoit  ainsi  atiré ,  que  le  samedi 
devant  TAscencion  en  li  rendroit  Damîete,  et  il  rendroit  le  roy. 

Li  amiraut  que  le  soudane  avoit  osté  de  son  conseil  pour 
mettre  les  siens  que  il  ot  amenez  d'estranges  terres,  pristrent 
conseil  entre  eulz  ;  et  dit  un  sage  home  sarrazin  en  tel  ma- 
nière :  «  Seigneur,  vous  véez  la  honte  et  la  désboneur  que  le 
soudane  nous  fait,  que  il  nous  oste  de  Thoneur  là  où  son  père 
nous  avoit  mis.  Pour  laquel  chose  nous  devons  estre  certeins 
que ,  sMi  se  treuve  dedans  la  forteresce  de  Damiete ,  il  nous  fera 
prenre  et  mourir  en  sa  prison ,  aussi  comme  son  aieul  fist  aus 
amiraus  qui  pristrent  le  conte  de  Bar,  le  conte  de  Monfort  ;  et 

*  relie  fafnte  .*  toUe  peinte.   .-.1—4  Fu$t  :  bols.  —  *  Uin  :  oncra-on, 
'  Prael  :  préaiv  —  >  MovoH  :  partait.  I  i'cst-i-dlre  on  cmera ,  on  M  mouiller. 


106  HISTOIAE 

pour  œ  vaut-U  miex,  si  comme  il  me  semble,  que  nous  le 
façons  occire,  avant  qu'il  nous  parte  des  mains.  » 

Il  alèrent  à  ceulz  de  la  Halequa,  et  leur,  requistrent  que  il 
occeisent  le  soudanc,  sitost  comme  il  auroient  mangé  avec  le 
soudanc  qui  les  en  avoit  semons  ' .  Or  avint  ainsi  que ,  après  c« 
qu'il  orent  mangié,  et  le  soudanc  s'en  aloit  en  sa  c&ambre  et 
ot  pris  congié  de  ses  amiraus,  un  des  chevaliers  de  la  Halequa  * 
qui  portoit  Tespée  au  soudanc,  féri  le  soudanc  de  s'espée 
meismes  *  parmi  la  main  entre  les  quatre  dois,  et  li  fendi  la  main 
jusques  au  bras.  Lors  le  soudanc  se  retourna  à  ses  amiraus  qui 
ce  11  avoient  fait  faire ,  et  leur  dit  :  «  Seigneurs ,  je  me  pleing 
à  vous  de  ceulz  de  la  Haulequa  qui  me  vouloient  occire ,  si 
conune  vous  le  povez  veoir.  »  Lors  respondircnt  les  chevaliers 
de  la  Haulequa  à  une  voiz  au  soudanc,  et  distrent  ainsi  :  «  Puis- 
que tu  diz  que  nous  te  voulons  occire,  il  nous  vaut  miex  que 
nous  f  occion  que  tu  nous  occies.  >» 

Lors  Grent  sonner  les  nacaires,  et  tout  l'ost  vint  demander 
que  ^  le  soudanc  vouloit.  Et  il  leur  respondirentque  Damiete  es- 
toit  prinse  et  que  le  soudanc  aloit  à  Damiete ,  et  que  il  leur 
mandoit  que  il  alassent  après  li.  Tuit  ^  s'armèrent  et  férirent  des 
espérons  vers  Damiete.  Et  quant  nous  veismes  que  il  en  aloient 
vers  Damiete,  nous  fumes  à  grantmeschief  de  cuer^ ,  pour  ce 
que  nous  cuidions  que  Damiete  feust  perdue.  Le  soudanc  qui 
estoit  joenes  et  legiers,  s'enfui  en  la  tour  que  il  avoit  fet  faire , 
avec  troiz  de  ses  évesques  ^,  qui  avoient  mangé  avec  li  ;  et  estoit 
la  tour  darière  sa  chambre ,  aussi  comme  vous  avés  oy  ci-de- 
vant. Cil  de  la  Halequa,  qui  estoient  cmc  cens  à  cheval,  abatirent 
les  paveillons  au  soudanc,  et  l'assiégèrent  entour  et  environ  7 
dedans  la  tour  qu'il  avoient  fet  faire,  avec  troiz  de  se^  évesques 
qui.avoient  mangé  avec  11,  et  li  escrirent  ^  qu'il  descendist .  Et  lors 


*  Aussitôt  qae  les  émirs  auraient 
mangé  avee  le  sultan ,  qui  les  ayait 
in? i tés.  —  »  De  l'épée  même  du  sul- 
tan.  —  3  çue  :  ce   que.    —  •   Tuii  : 


tons.  ~&  ffetehie/de  euer  :  tristesse 
d'esprit.  —  <<  De  ses  imans.  —  '  D« 
toutes  parts  et  de  près  —  *  lises  : 
escrièrent. 


*  11  se  nommait  Biban  Bondocdar, 


DE  SAINT  LOUIS. 


107 


dît  que  si  feroit-il ,  mes  que  il  Tasseurasseut  '.  Et  il  distrent 
que  il  le  feroient  descendre  à  force ,  et  que  il  n'estoit  mie  de- 
dans Damîete.  Il  11  lancèrent  le  feu  gréjoîs^  qui  se  prist  en  la 
tour,  qui  estoit  faite  de  planches  de  sapin  et  de  telle  _de  coton. 
La  tour  s*esprit  hastivement,  que  onque  si  biau  feu  ne  vi^  ne 
si  droit.  Quant  le  soudanc  vit  ce ,  il  descendi  hastivement  e* 
s*en  vint  fuiant  vers  le  flum.  Toute  la  voie  dont  je  vous  ai  avant 
parlé,  ceulz  de  la  Halequa  avoient  toute  la  voie  rompue  à  leur 
espées.  Et  au  passer  que  le  soudanc  fist  pour  aler  vers  le  (lum. 
Tun  d'eulz  li  donna  d'un  glaive  parmi  les  costes,  et  le  soudanc 
s'enfui  ou  flum,  le  glaive  trainnant;  et  il  descendirent  là-jus- 
ques  ànou  *,  et  le  vindrent  occire  ou  flum,  assez  près  de  nostre 
galie  là  où  nous  estions.  L*un  des  chevaliers^  qui  avoit  à  non 
Faraquataye^^  le  fendi  de  s'espéeetli  osta  le  cuer  du  ventre; 
et  lors  il  en  vint  au  roy,  sa  main  toute  ensanglantée ,  et  li  dit  : 
«  Que  me  donras-tu  ;  que  je  t'ai  occis  ton  ennemi^  qui  t'eust 
mort  4 ,  se  il  eust  vescut  ?»  Et  le  roy  ne  li  respondi  onques 
riens. 

11  en  vindrent  bien  trente,  les  espées  toutes  nues  es  mains^  à 
nostre  galie ,  et  les  haches  danoises.  Je  demandai  à  monsei- 
gneur Baudouyn  dlbelm,  qui  savoit  bien  le  sarrazinnois  ^  que 
celle  gent  disoient  ;  et  il  me  respondi  que  il  disoient  que  il  nous 
venoient  les  testes  trancher.  11  y  avoit  tout  plein  de  gens  qui 
se  confessoient  à  un  frère  de  la  Trinité ,  qui  estoit  au  conte 
Guillaimic  de  Flandres.  Mes  endroit  de  moy  ne  me  souvint 
onques  de  péchié  que  j'eusse  fait;  ainçois  m'apensai  ^  que, 
quant  plus  me  deffenderoie  et  plus  me  ganchiroie^ ,  et  pis 
me  vauroit.  Et  lors  me  soignai  et  m'agenoillai  au  pié  de  l'un 
d'eulz,  qui  tenoit  une  hache  danoise  à  charpentier,  et  dis  : 
«  Ainsi  mourut  «aint  Agnès.  »  Messire  Gui  d'Ybelin ,  con- 
nestable  de  Chypre ,  s'agenoilla  encoste  moy  et  se  confessa  à 


>  Pourvu  qu'ils  lai  duanauent  sû- 
reté, —  *  ^  non  :  à  la  nage.  —  3  Son 
Tèritable  nom  était  Fareâ-eddin-Oeiai. 


Qui  t'eût  tué.  —  *  S'aponcer  : 
;  réflexion.  —  ^  Et  plus  je  ferais 


4 

faire  réflexiou. »» 

d'efforts  pour  échapper. 


108  HISTOIBE 

moy  ;  et  je  li  dis  :  «  Je  vous  asolz  '  de  tel  pooir  comme  Dieu 
m'a  domié.  »  Mez  quant  je  me  levai  d'ilec ,  il  ne  me  souvint 
onques  de  chose  que  il  m*eust  dite  ne  racontée. 

Il  nous  firent  lever  de  là  où  nous  estions  et  nous  mistrent 
^n  prison  en  la  sente  '  de  la  galle  ;  et  cuidèrent  moult  de  nostre 
gent  que  il  l'eussent  fait^  pour  ce  que  il  ne  nous  voudroient  pas 
assaillir  touz  ensemble,  mes  pour  nous  tuer  l'un  après  Tautrc. 
Léans  fumes  à  tel  meschief  le  soir  ^  que  nous  gisions  si  à  es- 
troit  que  mes  piez  estoient  endroit  ^  le  bon  conte  Perron  de 
Bretaingne ,  et  les  siens  estoient  endroit  le  mien  visage.  Len- 
demain nous  firent  traire  les  amiraus  de  la  prison  là  où  nous 
estions,  et  nous  dirent  ainsi  leur  message ,  que  nous  alissions 
parler  aus  amiraus,  pour  renouveler  les  convenances  que  le  sou- 
danc  avoit  avec  nous;  et  nous  dirent  que  nous  feussions  certein 
que,  se  le  soudanc  eust  vécu,  il  eust  fait  coper  la  teste  au  roy  et 
à  nous  touz  ".  Aussi  cil  qui  y  porent  aler  y  alèrent  ;  le  conte  de 
Bretaingne  et  le  counestable  et  je,  qui  estions  grieÊ  malades,  de- 
mourames.  Le  conte  de  Flandres^  le  conte  Jehan  de  Soissons,  les 
deux  frères  dlbelin,  et  les  autres  qui;se  porent  aidier,  y  alèrent. 

U  acordèrent  aus  amiraus  ^  en  tel  manière,  que,  sitost 
comme  en  leur  auroit  délivré  Damiete ,  il  déliverroient  le  roy 
et  les  autres  riches  homes  qui  là  estoient  ;  car  le  menu  peuple 
en  avoit  fait  mener  le  soudanc  vers  Babiloine ,  fors  que  ^  eeulz 
que  il  avoit  fiadt  tuer.  Et  ceste  chose  avoit-il  fête  contre  les  con- 
venances que  il  avoient  au  roy  :  par  quoy  il  semble  bien  que 
il  nous  eust  fait  tuer  aussi ,  sitost  comme  il  eust  eu  Damiete. 
Et  le  roy  leur  devoit  jurer  **  aussi  à  leur  faire  gré  de  deux  cens 


*  jitolz  :  absous.  —  >  Sente  :  sen- 
tine.  —  3  Nous  famea  là  dedans  en 
telle  misère  tonte  la  nnit.  <—  ^  Sup- 


plées :  U  visctge»  —  ^  Jeordèrent 
firent  un  accord.  —  ®  Fors    que 
honnis,  excepté. 


*  Voyez,  pour  ces  faits,  la  chroniqae  de  Guillaume  de  Chartres,  tome  Y, 
page  469  de  la  Collection  des  historiens  de  Frante  de  du  Chesne.  Aboal- 
Mahasen ,  historien  arabe  contemporain ,  consacre  quelques  mots  au  récit 
des  violences  exercées  par  les  émirs  envters  les  croisés  ;  mais ,  selon  lui,  l«s 
premiers  ne  venaient  que  pour  demander  de  l'argent. 

De  Serres  et  du  Haillan  disent,  sans  autorité ,  que  saint  Louis  laissa 


** 


DE  SAINT  LOUIS  109 

mil  livres,  avant  que  il  partisist  du  flum ,  et  de  deux  cens  mil  livres 
en  Acre.  Les  Sarrazins ,  par  les  couvenances  qu'il  avoient  au 
roy ,  dévoient  garder  les  malades  qui  estoient  en  Damiete ,  les 
arbalestriers,  les  armeuriers,  les  chars  '  salées,  jusques  à  tant 
que  le  roy  les  envoieroit  querre. 

Les  seremens  que  les  amiraus  dévoient  fère  au  roy  furent 
devisez  et  furent  tiex ,  que  se  il  ne  tenoient  au  roy  les  couve- 
nances ,  que  il  feussent  aussi  hooni  comme  cil  qui  par  son  pé- 
chié  aloit  en  pèlerinage  à  Mahomet  à  Maques  ',  sa  teste  des- 
couverte ;  et  feussent  aussi  honni  comme  cil  qui  lessoient  leur 
femmes  et  les  reprenoîent  après.  De  ce  cas  ne  peuent  lessier 
leur  femmes,  à  la  loi  de  Mahommet  3,  quejamez  la  puissent 
r'avoir,  se  il  ne  voit  un  autre  homme  gésir  à  \i^^  avant  que  il  la 
puisse  r'avoû:.  Le  tiers  serement  fu  tel ,  que  se  il  ne  tenoient 
les  couvenances  au  roy  y  que  il  feussent  aussi  honnis  comme  le 
Sarrazin  qui  manjue  la  char  de  porc.  Le  roy  prist  les  seremens 
desus  diz  des  amiraus,  parce  que  mestre  Nichole  d'Acre,  qui 
savoit  le  sarrazinnois ,  dit  que  il  ne  les  pooit  plus  forz  faire 
selonc  leur  loi. 

Quant  les  amiraus  orent  juré ,  il  firent  mettre  en  escrit  le  se- 
rement que  il  vouloient  avoir  du  roy ,  fu  tel  ^ ,  par  le  conseil 
des  provères  qu'il  s'estoit  renoié  ^  devers  eulz  ;  et  disoit  Tes- 
cript  ainsi  :  que  se  le  roy  ne  tenoit  les  couvenances  aus  ami- 
raus, que  il  feust  aussi  honni  comme  le  Chrestien  qui  renie 
Dieu  et  sa  mère',  et  7  de  la  compaingnie  de  ses  douze  com- 
paingnons ,  de  touz  les  sains  et  de  toutes  les  saintes.  A  ce  s'a- 

I  Oiars  :  viandes.  —  ^  A  la  Mec-    i  ^  Qui  fut  tel.  —  <  Lisez  :  qui  s'esioUnt 
que.  —  3  Saivant  la  loi  de  Mahomet.    1  rendez.  —  ?  Suppléez  :  êéparé, 
—  *  Gésir  à  U  :  concher  avec  elle.  <—    1 

pour  gage  de  sa  parole  la  sainte  hostie ,  ce  qui  ne  se  trouve  nulle  part.  Le 
seid  Mathieu  Paris  a  écrit  {Historia  major,  à  l'ann.  1251  ;  édit.  de  Paris, 
pag.  549,  col.  \  )  que  la  reine  Blanche ,  an  rapport  de  cette  fâcheuse  nou- 
velle, rassembla  la  plus  grande  somme  qu'elle  put,  et  renvoya  au  secours 
du  roi  ;  mais  un  orage  perdit  tout,  ce  qui  fit  prononcer  à  saint  Louis 
ces  paroles,  lorsqu'il  en  reçut  l'avis  :  «  Ni  ce  malheur  ni  aucun  autre  que 
ce  soit,  ne  saurait  me  séparer  de  l'amour  que  je  porte  au  Christ.  »  Il  re- 
levait ainsi  le  courage  des  siens ,  et  se  faisait  admirer  même  de  ses  enneir.is. 

BIST.  DE  SAINT  LOUIS.  10 


110  mSTOIBE 

(ordoit  bien  leroy.Ledarenier  point  du  serement  fu  tel ,  que 
se  il  ne  tenoit  les  convenances  aus  amiraus ,  que  il  feust  aussi 
honni  comme  le  Grestien  qui  renoie  Dieu  et  sa  loy ,  et  qui  est 
despit  *  de  Dieu  crache  sur  la  croiz  et  marche  desus.  Quant  H 
roys  oy  ce,  il  dit,  se  Dieu  plet,  cesd  serement  ne  feroit-il  jà. 
Les  amiraus  envoièrent  mestre  Nichole,  qui  savoit  le  sarra- 
zînnois,  au  roy,  qui  dit  au  roy  tiex  paroles  :  «  Sire,  les  amiraus 
ont  grant  despit  de  ce  que  il  ont  juré  quanque  vous  requeis- 
tes,  et  vous  ne  voulez  jurer  ce  que  il  vous  requièrent  ;  et  sciés 
certain  que,  se  vous  ne  le  jurez ,  il  vous  feront  la  teste  coper, 
et  à  toute  vostre  gent.  »  Le  roy  respondi  que  il  en  pooient 
faire  leur  volenté;  car  il  amoit  miex  mourir  bon  Grestien ,  que 
ce  que  il  vesquît  ou  courous  Dieu  et  sa  mère. 

lie  patriarche  de  Jérusalem ,  vieil  home  et  ancien  de  Taage 
de  quatre-vins  ans,  avoit  pourchacié  asseurement  des  Sarrazins, 
et  estoit  venu  vers  le  roy  pour  li  aidier  à  pourchacier  sa  dé- 
livrance. Or  est  tele  la  coustume  entre  les  Grestiens  et  les  Sar- 
razins, que,  quant  le  roy  ou  le  soudanc  meurt,  cil  qui  sont 
en  messagerie  ',  soit  en  paennime  ou  en  crestienté,  sont 
prison  ^et  esclave;  et  pour  ce  que  le  soudanc  qui  avoit  donné 
la  seureté  au  patriarche  fii  mort ,  fu  prisonnier  aussi  comme 
nous  fumes.  Quant  le  roy  et  faite  sa  response ,  Tun  des  ami- 
raus dit  que  ce  conseil  li  avoit  donné  le  patriarche ,  et  dit  aus 
Ipaiens  :  «  Se  vous  me  voulés  croire ,  je  ferai  le  roy  jurer; 
car  je  li  ferai  la  teste  du  patriarche  voler  en  son  geron  *.  » 
H  ne  le  vorent  pas  croire ,  ainçois  pristrent  le  patriarche  et  le 
levèrent  de  delez  le  roy  ^  et  le  lièrent  à  une  perche  d'un  pa- 
veillonles  mains  darières  le  dos,  si  estroitement  que  les  mains 
li  furent  aussi  enflées  et  aussi  grosses  comme  sa  teste,  et  que 
le  sanc  li  sailloit  parmi  les  mams.  Le  patriarche  crioitau  roy  : 
«  Sire ,  jurez  seurement  ;  car  je  prens  le  péchié  sur  Tame  de 
moy,  du  serement  que  vous  ferez,  puisque  vous  le  béez  bien 

'  LisM  :   m  despit,   c'est-à-dire  en   l   —  *Soot  prlsonniert.  —  <  Ceron  :  gi- 
nt^pria.   —' M«s5ager<«  ;  ambassade.    I  roa ,  sein. —  *  D'auprès  da  roi. 


DE   SAINT  LOUIS.  111 

à  tenir  '.  »  Je  ne  sçai  pas  comment  le  serement  fu  atiré  ^  ;  mez 
l*amiral  se  tindrent  bien  apaié  ^  du  serement  le  roy  et  des  au- 
.  très  riches  homes  qui  là  estoient. 

Dès  que  le  soudanc  fu  occis,  en  fist  venir  les  estrumens  au 
soudanc  devant  la  tente  le  roy ,  et  dit-en  au  roy  que  les  ami- 
raus  avoient  eu  grant  conseil  de  li  faire  soudanc  de  Babiloine. 
£t  il  me  demanda  se  je  cuidoie  que  il  eust  pris  le  royaume  de* 
Babiloine,  se  il  li  eussent  présenté  ;  et  je  li  dis  que  il  eust  moult 
fait  que  fol,  à  ce  que  il  avoient  leur  seigneur  ocds  ;  et  il  me  dit 
que  vraiement  il  ne  Teust  mie  refusé.  £t  sachiez  que  il  ne  de- 
moura  ^  pour  antre  chose ,  que  pour  ce  que  il  disoient  que  le 
roy  estoit  le  plus  ferme  Crestien  que  en  peust  trouver.  Et  cest 
exemple  en  moustroient ,  à  ce  que  quant  il  se  partoient  de  la' 
héberge ,  il  prenoit  sa  croiz  à  terre  et  seignoit  tout  son  cors  ; 
et  disoient  que,  se  Mahonunet  leur  eust  tant  de  meschief  sou- 
fert  à  faire ,  il  ne  le  creussent  jamez  ^  ;  et  disoient  que ,  se  celle 
gent  fesoient  soudanc  de  li,  il  les  occiroit  touz,  ou  il  deven- 
droient  Crestiens. 

Après  ce  que  les  couvenances  furent  acordées  du  roy  et  des 
anûraus  et  jurées,  fu  acordé  que  il  nous  déliverroient  de  F  As- 
cension ^ ,  et  que  sitost  comme  Damiete  seroit  délivrée  aus 
amiraus,  en  déliverroit  le  cors  le  roy  et  les  riches  hommes  qui 
avecli  estoient,  aussi  comme  il  est  devant  dit.  Le  jeudi  au  soir, 
ceulz  qui  menoient  nos  quatre  galies  vindrent  ancrer  nos  quatre 
galies  enmi  le  flum,  devant  le  pont  de  Damiete,  et  firent  tendre 
un  paveillon  devant  le  pont,  là  où  le  roy  descendi. 

Au  soUeil  levant,  monseigneur  Gef&^y  de  Sargines  ala  en 
la  ville  ^  et  fist  rendre  la  ville  aus  amiraus.  Sur  les  tours  de  la 
ville  mistrent  les  enseignes  au  soudanc.  Les  chevaliers  sarra- 
zins  se  mistrent  en  la  ville  et  commencèrent  à  boivre  des  vins, 
et  furent  maintenant  touz  ivres  7  :  dontTun  d'eulz  vint  à  nostre 

(  Pnisqae  Toasaves  bien  l'intention   1  fert  qa'on  lenr  eftt  fait.taat  de  nuiax, 

de  le  tenir.   —  »  Miré  :  conça.   —   I  ils  ne  croiraient  plos  en  lai. — «  U-? 

*  JpaU  t  eontent.  —  *  Qae  ce  dessein   I  sei  :    le  lendemain  de    l'Ascension^ 

tt'écliotta.  —  *  Si  Mahomet  e&t  souf-   t  —  '  Et  furent  bientôt   tous  ivres. 


112  HISTOIBB 

galie  et  traît  s'espée  toute  ensanglantée ,  et  dit  que  endroit  de 
li  ■  avoit  tué  six  de  nos  gens.  Ayant  que  Damiete  feust  rendue, 
avoit  Ten  recueilli  la  royne  en  nos  nez  et  toute  nostre  gens  qui 
estoient  en  Damiete ,  fors  que  les  malades  qui  estoient  en  Da- 
miete. Les  Sarrazins  les  dévoient  garder  par  leur  serement  :  il 
les  tuèrent  touz.  Les  engins  le  roy,  que  il  dévoient  garder  ^ussi, 
il  les  décopèr^t  par  pièces.  Et  les  pors  salés  que  il  dévoient 
garder,  pour  ce  que  il  ne  manjuent  point  de  porc,  il  ne  les  gar- 
dèrent pas  ;  ainçois  firent  un  lit  de  bacons  >  et  un  autre  de  gens 
mors,  et  mistrent  le  feu  dedans;  et  y  ot  si  grant  feu  que  il 
dura  le  vendredi ,  le  samedi  et  le  dymanche. 

Le  roy  et  nous  que  il  durent  délivrer  dès  le  soHeil  levant,  il 
nous  tindrent  jusques  à  solleil  couchant  ;  ne  onques  n'i  man- 
gasmes ,  ne  les  amiraus  aussi  ;  ainçois  furent  en  desputaison 
tout  te  jour.  Et  disoît  un  amiraut  pour  ceulz  qui  estoient  de  sa 
partie  :  «  Seigneurs ,  se  vous  me  voulez  croire,  mpy  et  ceulz 
qui  sont  ci  de  ma  partie,  nous  occirrons  le  roy  et  ces  riches 
homes  qui  ci  sont  ;  car  de  sa  quarante  ans  n'avons  mes  garde  ^, 
car  leurs  enfans  sont  petitz  et  nous  avons  Damiete  devers  nous, 
par  quoy  nous  le  poons  faire  plus  seurement  »  Un  autre  Sar- 
razin  qui  avoit  non  Sebreei^  qui  estoit  nez  de  Mortaig^,  di- 
soît encontre  et  dîsoit  ainsi  :  «  Se  nous  occions  le  roy,  après 
ce  que  nous  avons  occis  le  soudanc  y  on  dira  que  les  Ëgypciens 
sont  les  plus  mauvèses  gens  et  les  plus  desloiaus  qui  soient  ou 
monde.  »  Et  cil  qui  vouloît  que  en  nous  occeist ,  disoit  encon- 
tre :  «  11  est  bien  voir  ^  que  nous  sommes  trop  malement  dé- 
fait de  nostre  soudanc^que  nous  avons  tué  ;  car  nous  sommes 
aies  contre  le  commandemant  Mahonmiet,  qui  nous  commande 
que  nous  gardons  le  nostre  seigneur  aussi  conmie  la  prunelle 
de  nostre  œil  *  ;  et  vesci  en  cest  livre  le  commandement  tout 


•  Que,  poor  sa  part.  11,  etc.  —  *  Ba- 
con :  chair  de  porc.  —  >  Car  d'ici  à 
qoaraute  ana  nous  a'aaroBS  ploa  de 


crainte.  ~  *  Usai  :  dé  Moriaignc , 
c'est-à-dire,  de  Mauritanie,  ^^  Foir  : 
vrai. 


*  Ceci  doit  être  une  tradition  de  ttahomet,  recueiHie  par  quelqu'un  de  ses 

diKlpIee. 


DA  SAlNi:   LOUIS. 


113 


eseript.  Or  escoutez ,  fait-il ,  Tautre  commandemant  Mahom- 
met  qui  vient  après.  »  11  leur  tournoit  un  foiilet  ou  livre  que  il 
tenoit>  et  leur  moustroit  l'autre  commandemant  Mahommet, 
qui  estoit  tel  :  «  En  Tasseurement  de  la  foy  occi  Tennemi  de 
la  loy^  Or  gardez  comment  nous  avons  mesfait  contre  les 
commandemans  Mahommet,  de  ce  que  nous  avons  tué  nostre 
seigneur,  et  encore  ferons-nons  pis  se  nous  ne  luons  leroy,  quel- 
que asseurement  que  nous  li  aions  donné  ;  car  c'est  le  plus 
fort  ennemi  que  la  loy  paiennime  est*.  »  Nostre  mort  fu  pres- 
que acordée  :  dont  il  avint  ainsi,  que  un  amiraut  qui  estoit  nostre 
adversaire,  cuidaqueen  nous  deust  touz  occirre,  et  vint  sus  le 
flum,  et  commença  à  crier  en  sarrazinnois  a  ceulz  qui  lesgalies 
menoient ,  et  osta  sa  touaille  de  sa  teste  et  leur  fist  un  signe 
de  sa  touaille;  et  maintenant  il  nous  désancrèrent'  et  nous 
remenèrent  bien  une  grant  lieue  arières  vers  Babiloine.  Lors 
cuidames-nousestretouz  perdus,  et  yot  maint  lermes^  plorées. 
Aussi  comme  Dieu  voult ,  qui  n'oublie  pas  les  siens ,  il  f u 
acordé,  entour  solleil  couchant  que  nous  serions  délivrez.  Lors 
nous  ramena  l'en,  et  nûst  Ten  nos  quatre  galies  à  terre.  Nousre- 
queismes  que  en  nous  lessast  aler.  Il  nous  dirent  que  non  fe- 
roient  jusques  à  ce  que  nous  eussions  mangé  ;  «  Car  ce  seroit 
honte  aus  amiraus,  se  vous  parties  de  nos  prisons  à  jeun.  »  Et 
nous  requeismes  que  en  nous  donnast  la  viande  ^  et  nous  man- 
gerions; et  il  nous  distrent  que  en  Festoitalé  querre  en  Tost. 
Les  viandes  que  il  nous  donnèrent ,  ce  furent  bègues  de  four- 
mages^  qui  estoient  rôties  au  soUeil,  pour  ce  que  les  vers  n'i 
venissent,  et  oeis  durs  cuis  de  quatre  jours  ou  de  cinc  ;  et,  pour 


■  Lisez  :  ait.  —  ^Sur<le-champ  ils  le- 
stèrent DOS  ancres.  -—  •*  Lermes  :  lar- 
mes. —  ^  Le  mot  viande  est  employé 
dans  nos  Tleai  antenrs  dans  son  accep- 


tion primitive  de  vivres  en  général, 
de  même  qu'on  dit  encore  en  italien  le 
vivande.  —  ^  Bègues  de  fourmages  : 
beignets  de  fromage. 


*  Mahomet ,  dan»  le  Coran ,  parle  ainsi  à  ses  compagnons  :  c  Combattez 
les  infidèles  jusqu'à  ce  qu'il  n'y  ait  plus  lieu  aux  disputes  ;  combattez  jus- 
qu'à ce  que  la  religion  de  Dieu  domine  seule  sur  la  terre*  »  Voyez 
sourate  viii,  vers  39 ,  cité  dans  l'ouyrage  de  M.  Reinaud ,  intitulé  :  Monu' 
mcnts  arabes,  persans  et  turcs,  du  cabinet  du  duc  de  Blaoas  1 1,  p*   29B« 

10, 


114  HISTOIBE 

honneur  de  nous ,  en  les  avoit  £ait  peindre  par  dehors  de  di- 
verses  couleurs. 

En  nous  mist  à  terre  et  en  alames  vers  le  roy,  qu'il  ame- 
noient  du  paveillon  là  où  il  Favoient  tenu  vers  le  flum  ;  et  ve- 
noient  bien  vint  mil  Sarrazins,  les  espées  ceintes,  touz  après 
li ,  à  pié.  Ou  flum  devant  le  roy  avoit  une  galie  de  Genevois  s 
là  où  il  ne  paroit  que  un  seul  homedesus.  Mamtenant  que  il  vit 
le  roy  sur  le  flum,  il  sonna  un  siblet*,  et  au  son  du  siblet 
saillirent  bien  de  la  sente  de  la  galie  ^  quatre-vins  arbalestiers 
bien  appareillés,  les arbalestres montées,  etmistrentmaint^oumt 
les  carriaus  en  coche.  Tantost  comme  les  Sarrazins  le  virent, 
il  touchèrent  en  fuie  aussi  comme  brebis;  que  onques  n'en  de- 
meura avecle  roy,  fors  que  deux  ou troiz.Ilgtierentune planche 
à  terre  pour  requeillir  le  roy  et  le  conte  d'Anjou,  son  firère ,  et 
monseigneur  Gefifroy  de  Sergines,  et  monseigneur  Phelippe 
de  Annemos,  et  le  maréchal  de  France  que  en  appeloit  Don 
Meis^  et  le  mestre  de  la  Trinité  '^  et  moy .  Le  conte  de  Poitiers 
il  retindrent  en  prison  jusques  à  tant  que  le  roy  leur  eust  fait 
paier  les  deux  cens  mil  livresque  il  leur  devoit  ûdre  paier,  avant 
que  il  partisist  du  flum ,  pour  leur  rançon. 

Le  samedi  devant  T Ascension  4,  lequel  samedi  est  lende- 
main que  nous  feumes  délivrés ,  vindrent  prenre.  congié  du 
roy  le  conte  de  Flandres  et  le  conte  de  Soissons ,  et  pluseurs 
des  autres  riches  homes  qui  furent  prins  es  galies.  Le  roy  leur 
dit  ainsi,  que  il  li  sembloit  que  il  feroient  bien  se  il  attendoient 
jusques  à  ce  que  le  conte  de  Poitiers,  son  frère,  feust  délivré. 
Et  il  distrent  que  il  n'avoient  pooir  ;  car  les  galies  estoient 
toutes  appareillées.  En  leurs  galies  montèrent  et  s'en  vindrent 
en  France,  et  en  amenèrent  avec  eulz  le  bon  conte  Perron  de 

'  Genevois  :  Génois. —  >  Siblet  :  sif-  l  roftconnais.  —  3  Du  fond  de  cale.  — 
flet.  Ce  mot  s'est  cooserTé  dans  le  patois  I   *  Liseï  :  après  VAseetuion . 

*  Nicolas,  général  de  l'ordre  des  Mathurins,  que  l'on  appelait  en  ce  temps- 
là  l'ordre  des  Anes,  eo  quod  asinos  equitabant,  non  equos,  ainsi  que  porte 
ujc  chronique  de  lan  1498.  Ce  général  mourut  l'an  1256. 


DE  saiht  louis. 


It5 


Bretaiugae,  qui  estoit  si  malade  que  ii  ne  vesqui  puis  '  que  troiz 
semainnes  et  mourut  sus  mer.  L'en  ex>mmença  à  fere  le  paie- 
ment le  samedi  au  matin,  et  y  mist  Yexi  au  paiement  faire  le 
samedi  et  le  dymanche  toute  jour  jusques  à  la  nuit,  que  on  les 
paioit  à  la  balance,  et  valoit  chascune  balance  dix  mil  livres. 
Quant  ce  vint  le  dymanche  au  vespre  > ,  les  gens  le  roy  qui 
fesoient  le  paiement,  mandèrent  au  roy  que  il  leur  failloit' 
bien  trente  mil  livres  ;  que  avec  le  roy  n'avoitque  le  roy  de  Ce- 
zile  et  le  maréchal  de  France,  le  menistre  ^  de  la  Trinité  et  moy, 
et  touz  les  autres  estoient  au  paiement  fere.  Lors  dis-je  au  roy 
que  il  seroit  bon  que  il  envoiast  querre  le  commandeur  et  le 
maréchal  du  Temple,  car  le  mestfe  estoit  mort  ;  et  que  il  leur 
requeiet  que  il  U  prestassent  trente  mil  livres  pour  délivrer  son 
frère.  Le  roy  les  envoia  querre ,  et  me  dit  le  roy  que  Je  leur 
deisse.  Quant  je  leur  oy  dit ,  frère  Ëstienne  d'Otricourt ,  qui 
estoit  commandeur  du  Temple,  me  dit  ainsi  :  «  Sire  de  Join- 
ville,  ce  conseil  que  vous  donnés  n'est  ne  bon  ne  rèsonnable; 
car  vous  savés  que  nous  recevons  les  commandes  ^  en  tel  ma- 
nière, que  par  nos  seremens  nous  ne  les  poons  délivrer  mes 
que  à  ceulz  qui  les  nous  baillent.  »  Assés  y  ot  de  dures  pa- 
roles et  de  félonnesses^  entre  moy  et  li.  Et  lors  parla  frère 
Renaut  de  Yichiers ,  qui  estoit  maréchal  du  Temple ,  et  dit 
ainsi  :  «  Sire ,  lessiés  ester  la  tençon?  du  seigneiur  de  Joinvilie 
et  de  nostre  commandeur  ;  car,  aussi  comme  nostre  comman- 
deur dit,  nous  ne  pourrions  riens  bailler  que  nous  ne  feussions 
parjures.  Et  de  ce  que  le  séneschal  vous  loe  que ,  ce  *  nous 
ne  vous  en  voulon  prester,  que  vous  en  preignés,  ne  dit-il  pas 
moult  grans  merveilles,  et  vous  en  ferés  volenté  ;  9  et  se  vous 
prenez  du  nostre,  nous  avons  bien  tant  du  vostre  en  Acre, 
que  vous  nous  desdomagerés  bien.  »  Je  dis  au  roy  que  je 
ircie,  se  il  vouloit;  et  il  le  me  commenda.  Je  m'en  aie  en  un 


•  Qu'il  ne  vécut  depais.  —  '  F  es- 

pre  :  soir.  —  •"'  Failloit  :  manquait. 
—  *  Menistre  :  ministre  ,  supérieur 
général.   —  '»  Commandes  :  commaa. 


periea.  •—  '  Féionnêstet  :  outragean- 
tes. —  ^  Sire,  ne  faites  nnllc  attentioa 
à  la  dispute ,  ete.  —  "  Lisea  :  si.  — 
"  Lisez  :  vostre  volenté* 


116 


HISTOIBB 


des  galies  du  Temple,  en  la  mestre  galie  ;  et  quant  je  voulz  des- 
cendre en  la  sente  de  la  galie ,  là  où  le  trésor  estoit ,  je  de- 
mandé au  commandeur  du  Temple  que  il  venist  veoir  ce  que 
je  prenroie;  et  il  n'i  deigna  onques  venir.  Le  maréchal  dit  que 
il  venroit  Yeoîr  la  force  que  je  li  feroie.  Sitost  comme  je  fo 
avalé  '  là  où  le  trésor  estoit,  je  demandé  au  trésorier  du  Tem- 
ple ,  qui  là  estoit ,  que  il  me  baillast  les  clefz  d*une  huche  qui 
estoit  devant  moy  ;  et  il ,  qui  me  vit  mègre  et  deschamé  de  la 
maladie ,  et  en  Tabit  que  je  avoie  esté  en  prison,  dit  que  il  ne 
m'en  baillerott  nulles.  Et  je  regardé  une  coignée  qui  gisoit  il- 
lec,  si  la  levai  et  dis  que  je  feroie  la  clefz  «Te  roy ',  Quant  le 
maréchal  vît  ce,  si  me  prisf  par  le  poing  et  me  dit  :  «  Sire, 
nous  véons  bien  que  c'est  force  que  vous  nous  fêtes ,  et  nous 
vous  ferons  bailler  les  clefz.  »  Lors  commanda  au  trésorier  que 
en  les  me  baillast.  Et  quant  le  maréchal  ot  dit  au  trésorier  qui 
je  estoie ,  il  en  fu  moult  esbahi.  Je  trouvai  que  celle  huche 
que  je  ouvrî,  estoit  à  F^ichole  de  Choisi,  un  serjant  le  roy.  Je 
*  *^  d*^    g®^'  ^^^  ^  d'argent  que  je  y  trouvai,  et  me  lessoient  ou 
<  '  ^  vJA.*M-     chîef  de  nostre  vessel  4  qui  m'avoit  amené.  Et  pris  le  maréchal 
/»<»A^*A    ^^  France  et  le  lessaî  avec  l'argent,  et  sus  la  galie  mis  le  me» 
nistre  de  la  Trinité.  Le  maréchal  tendoit  l'argent  au  menistre, 
et  le  menistre  le  me  bailloît  ou  vessel  là  où  je  estoie.  Quant 
nous  venîmes  vers  la  galie  le  roy,  et  je  commençai  à  hucher  au 
roy^  :  «  Sire,  sire^  esgardés  comment  je  suis  garni.  «  Et  le 
saint  home  me  vit  moult  volentiers  et  moult  liement^.  Nous 
baillâmes  à  ceulz  qui  fesoîent  le  paiement,  ce  que  j'avoie  aporté. 
Quant  le  paiement  fîi  fait ,  le  conseil  le  roy  qui  le  paiement 
avoit  fait,  vînt  à  li,  et  li  distrent  que  les  Sarrazinsne  vouloient 
délivrer  son  frère  jusques  à  tant  que  il  eussent  l'argent  par 
devers  euli.  Aucuns  du  conseil  y  ot  qui  ne  louoient  mie  le  ?  roy 


1  jtveUé  :  desceudo.  —  ^  M  semble 
yi»'«  faille  auppléer  :  de  parTV-  *  Que 
je  mettraU  le  coffre  en  pièce*.  — 
4  Joinville  tliremeni  veut  dire  :  et  ils  me 
le  laiMèrent  traneporter  à  l'extrémité 


de  notre  vaisseau,  etc.  —  *  Hucher  au 
roy  :  appeler  le  roi.  ■—  •  Liement  : 
joyeusement.  —  ?  Qui  ne  conseillaient 
pa«  au,  etc. 


"* 


DB  SAINT  LOUIS. 


117 


que  il  leur  délivrast  les  deniers  jusques  à  tant  que  il  r*eust  son 
frère.  Et  le  roy  respondi  que  il  déliverroit ,  car  il  leur  avoit 
couvent;  et  il  li  retenissent  les  seues  convenances  s  se  il 
cuidoient  bien  faire.  Lors  dit  monseigneur  Phelippe  de  Da- 
moes>  au  roy,  que  on  avoit  forconté  ans  Sarrazins  une^  ba- 
lance de  dix  mil  livres.  Et  le  roy  se  courrouça  trop  fort,  et  dit 
que  il  vouloit  que  en  leur  rendist  les  dix  mil  livres  pour  ce  que 
il  leur  avoit  couvent  à  paier  les  deux  cens  mil  livres,  avant  que 
il  partisist  du  flum.  Et  lors  je  passé  monseigneur  Phelippe  sus 
le  pié,  et  dis  au  roy  qu*il  ne  le  creust  pas,  car  il  ne  disoit  pas 
voir;  car  les  Sarrazins  estoi^t  les  plus  forconteurs^  qui  feus- 
sent  au  monde.  Et  monseigneur  .Phelippe  dit  que  je  disoie 
voir  ;  car  il  ne  le  disoit  que  par  moquerie.  Et  le  roy  dit  que 
maie  encontre^  eust  tele  moquerie  :  «  Etvouscommant^,  dit 
le  roy  à  monseigneur  Phelippe ,  sur  la  foy  que  me  devez , 
comme  mon  home  que  vous  estes,  que  se  les  dix  mil  livres  ne 
sont  paies,  que  vous  les  facez  paier.  » 

Moult  de  gens  avoient  loué  au  roy  que  il  se  traisist  en  sa  nef 
qui  Tattendoit  en  mer,  pour  li  ostér  des  mains  aus  Sarrazins. 
Onques  le  roy  ne  volt  nullui  croire,  ainçois  disoit  que  il  ne 
partiroit  du  flum  aussi  comme  il  Tavoit  couvent ,  tant  que  il 
leur  eust  paie  deux  cens  mil  livres.  Sitost  comme  le  paiement  fu 
fait,  le  roy,  sans  ce  que  nulzne  Ten  prioif,^tious  dit  que  désore- 
mez  estoit  son  serement  quitez  7,  et  que  nous  nous  partissions 
de  là  et  alissons  en  la  nef  qui  estoit  en  la  mer.  Lors  s'esmut 
nostre  galie ,  et  alames  bien  une  grant  lieue  avant  que  Tun  ne 
parla  à  Tautre ,  pour  la  mésaise  que  nous  avions  du  conte 
de  Poitiers.  Lors  vint  monseigneur  Phelippe  de  Monfort  en  un 
galion,  et  escriaauroy  :  «  Sire,  sire,  parlez  à  vostre  frère  le 
conte  de  Poitiers,  qui  est  en  cel  autre  vessel.  »  Lors  escria  le 


'  *  Et  qu'ils  accompUflflent  fidèlement 
aa  promeaae.  — >  Édition  de  da  Gange  : 
Phélippes  de  Mon^fort,  —  *  Qu'on 
ayalt  fraudé  le  fiompte  des  Sarraains 


A  r 


/  /■ 


d'une,  etc.  —  ^  Les  plus  grands  trom- 
peurs en  fkit  de  compte.—  *  Mauvaise 
rencontre,  mallienr.  —  *  CommanI  .* 
comment.  —  '  X?^'*  *  r«>npU. 


•   • 


*  r 


^-^" 


tl8  HISTOIBB 

roy  :  «  Alume,  alume"^;  »  et  si  fist  l'en.  Lors  fu  la  joie  si  grant 
comme  elle  pot  estre  plus  entre  nous.  ^    ^ 

Le  roy  entra  en  sa  nef,  et  nous  aussi.  Un  povre  pécherre  * 
aia  dire  à  lacontesse  de  Poitiers  qu'il  avoit  veu  le  conte  de  Poi- 
tiers délivré,  et  die  li  (ist  donner  vint  livres  de  parisis. 

Je  ne  weil  pas  oublier  aucunes  besoignes  qui  avindrent  en 
Egypte  tandis  que  nous  y  estions.  Tout  premier,  je  vous  dirai  de 
monseigneur  Gauchier  de  Ghasteillon,  que  un  chevalier  qui  avoit 
non  monseigneur  Jehan  deMonson^  me  conta  que  il  vit  mon- 
seigneur de  Ghasteillon  en  une  rue  qui  estoit  ou  kasel  là  où  le 
roy  fu  pris,  et  passoit  celle  rue  toute  droite  parmi  le  kasel ,  si 
que  en  véoit  les  champs  d'une  part  et  d'autre.  £n  celle  rue 
estoit  monseigneur  Gauchier  de  Ghasteillon,  Tespée  ou  poing 
toute  nue.  Quant  il  véoit  que  les  Turs  se  metoient  parmi  celle 
rue,  il  leur  couroit  sus,  Tespée  ou  pomg,  et  les  flatoit  '  hors 
du  kasel;  et  au  fuir  que  les  Turs  faisoient  devant  li,  il,  qui 
traioient  aussi  bien  devant  comme  darière,  le  couvrirent  tous 
de  pylez.  Quantil  les  avoit  chadez  hors  du  kasel ,  il  se  desfli- 
choit  de  ces  pyles  qu'il  avoit  sur  li,  et  remetoit  sa  cote  à  armer 
desus  li ,  et  se  dressoit  sus  ses  estriers  et  estendoit  les  bras  à 
toutl'espée,  et  crioit  :  «  Ghasteillon,  chevalier!  où  sont  mi 
preudhome  ?  »  Quant  il  se  retoumoit  et  il  véoit  que  les  Turs 
estoient  entrés  par  l'autre  chief^,  il  leur  recouroit  sus,  l'espée 
ou  poing,  et  les  enchaçoit  ;  et  ainsi  fist  par  trois  foiz  en  la  ma- 
nière desus  dite.  Quant  l'amiraut  des  galies  m'ot  amené  devers 
ceulz  qui  furent  pris  à  terre ,  je  enquis  à  ceulz  qui  estoient  en- 
tour  li  ;  ne  onques  ne  trouvai  qui  me  deist  comment  il  fut  pris, 

•  Pécherre  :  pèchear.  — '  Flatoit  :  jetait.  —  3 Par  l'antro  bout  de  la  rue. 

"  Dtt  Gange  dit  que  ce  mot  signifie  allume  la  chandelle;  il  fonde  son 
opinion  sur  un  passage  d'un  ancien  trouvère  dans  la  description  qu'il  fait 
de  l'usage  de  la  boussole  de  ce  temps-là,  où  l'on  voit  que,  dans  l'obscurité 
de  la  nuit,  les  marins,  pour  ne  pas  s'égarer  de  leur  route,  faisaient  allumer 
une  chandelle  pour  regarder  de  temps  en  temps  l'aiguille.  Voyez  la  Bible 
Guiot  de  Provins,  y.  648.  (  Fabliaux  et  contes,  éùii.  de  Méon,  tom.  Il, 
pag    828.) 


DE  SA.rilT  LOUIS. 


119 


fors  que  tant  que  monseigneur  Jehan  Foninons  ',  le  bon  che- 
valier, me  dit  que ,  quant  en  Tamenoit  pris  vers  la  Massoure , 
if  trouva  un  Turc  qui  estoit  monté  sur  le  cheval  de  monseigneur 
Gauchier  de  Ghasteillon,  et  estoit  la  culière  toute  sanglante  du 
cheval.  £t  il  li  demanda  que  il  avoit  fait  de  celi  à  qui  le  che- 
val estoit ,  et  li  respondi  que  il  li  avoit  copé  la  gorge  tout  à  che- 
val ,  si  comme  il  apparut  à  la  culière  qui  en  estoit  ensanglantée 
du  sanç. 

Il  avoit  un^oult  vaillant  home  en  Tost,  qui  avoit  à  non  mon- 
seigneur Jaque  de  Castel  *  ,  évesque  de  Soissons.  Quant  il  vit 
que  nos  gens  s'en  revenoit  vers  Damiete,  il,  qui  avoit  grant  dé- 
sirrer  de  aler  à  Dieu,  ne  s'en  voult  pas  revenir  à  la  terre  dont 
il  estoit  né  ;  ainçois  se  hasta  d'aler  vers  Dieu.  £t  féri  .des  es- 
pérons et  assembla aus  Turs  tout  seul,  qui  à  leur  espées  Toc- 
cistrent  *  et  le  mistrent  en  la  compaingnie  Dieu,  ou.nombre  des 
marCirs. 

Endementres  que  le  roy  attendoit  le  paiement  que  sa  gent 
fésoient  aus  Turs  pour  la  délivrance  de  son  frère  le  conte  de 
Poitiers,  un  Sarrazin,  moult  bien  atiré  ^  et  moult  léal  home  de 
cors ,  vint  au  roy  et  li  présenta  lait  pris  en  pos  ^  et  fleurs  de 
diverses  manières,  de  par  les  enfans  de  Nasac  qui  avoit  esté 
soudanc  de  BabOoine,  et  li  Gstle  présent  enfrançois.  Et  li  roy 
li  demanda  où  il  avoit  apris  françois,  et  il  dit  que  il  avoit  été 
Grestian  ;  et  le  roy  li  dit  :  «  Alez-vous-en ,  que  à  vous  ne  par- 
lerai-je  plus.  »  Je  le  traïs  d'une  part  et  li  demandai  son  cou- 
vine  -,  et  il  me  dit  qu'il  avoit  esté  né  de  Provins,  et  que  il  es- 
toit venu  en  Egypte  avec  le  roy  Jehan  ^,  et  que  il  estoit  marié 
en  Egypte  et  grant  riche  home.  £t  je  li  diz  :  «  Ne  savez-vous 
pas  bien  que  se  vous  mouriés  en  ce  point ,  que  vous  iriez  en 


1  Édition  de  du  Cange  ;  Jehan  Fru- 
mons.  — 2  Avec  lears  épées  le  taèrent. 
—  3  £ign  atiré  :  bien  mi»  de  sa  per- 


•onne.  —  *  Édition  de  da  Cange  :  St 
présenta  du  lard  prins  en  pots,  etc. 
^  Jean  de  Brienne ,  roi  de  Jérasalem. 


*  Le  nom  de  ce  prélat  était  Cvy  du  Chaslcl  ;  il  n?oiirut  le  5  avril  4250, 
aprt^scinq  ans  d'épiscopat.  (  GaiUa  christiana,  tom.  IX,  art.  369,570.) 


130  I  H1ST0IAS 

enfar?  »  Et  il  dit  :  «  Oyl  (  car  il  estoit  oertein  qu€  nulle  * 
n'estoit  si  bone  comme  la  crestieime)  ;  mes  je  doute  %  se  je 
aloievers  tous^  la  povretéjà  où  je  seroie  et  le  rq^roche.  Toute 
jour  me  diroit  Ten  :  Téez  ci  le  reuoié'  ;  û  aime  miex  vivre 
riche  et  aise,  que  je  me  meisse  en  tel  point  comme  je  vois.  • 
Et  je  li  dûs  que  le  reproche  seroit  plus  grant  au  jour  du  juge^^ 
ment  là  où  chaseun  venroit  son  mesfait,  que  ne  seroit  ce  que 
il  me  contoit.  Moult  de  bones  paroles  li  diz,  qui  guèrez  ne 
valurent.  Ainsi  se  départy  de  moy,  n'onques  puis  jie  le  vi. 

Or  avez  oy  ci-devant  les  grans  persécucions  que  le  roy  et 
nous  souffirimes,  lesquiex  persécucions  la  royne  n*en  escbapa 
pas,  si  comme  vous  orrez  ci-après.  Car  troiz  jours  devant  ce  que 
elle  acouchast,  li  vindrentles  nouvelles  que  le  roy  estoit  pris; 
desquiex  nouvelles  elle  fu  si  effrée  4  ^  que,  toutes  les  foiz  que . 
elle  se  dormoit  en  son  lit,  il  li  sembloit  que  toute  sa  chambre 
feust  pleinne  des  Sarrazins,  et  s'escrioit  :  «  Aidiés,  aidiés  !  »  Et 
pour  ce  que  Tenfant  ne  feust  périz,  dont  elle  estoit  grosse,  elle 
fesoit  gésir  devant  son  lit  un  chevalier  aAcien  de  Taage  de  quatre- 
vins  ans,  qui  la  tenoit  par  la  main  ;  toutes  les  foiz  que  la  royne 
s'escrioit,  il  disoit  :  «  Dame,  n'aies  garde  ;  car  je  sui  ci.  >»  Avant 
qu'elle  feust  accouchiée,  elle  fist  wuidier  hors  toute  sa  cham- 
bre, fors  que  le  chevalier,  et  s'agenoilia  devant  li  et  li  requist 
un  don;  et  le  chevalier  li  otroia  par  son  serement,  et  elle  li  dit  : 
ft  Je  vous  demande,  fist-elle,  par  la  foy  que  vous  m'avez  baillée, 
que  se  les  Sarrazins  prennent  ceste  ville,  que  vous  me  copez 
la  teste  avant  qu'il  me  preignent.  »  Et  le  chevalier  respondi  : 
«  Soies  certeinne  que  je  le  ferai  volentiers  ;  car  je  l'avoie  jà 
bien  enpensé  ^  que  vous  occiroie ,  avant  qu'il  nous  eussent 
pris.  » 

La  royne  acoueha  d'un  filz,  qui  ot  à  non  Jehan;  et  l'appel - 
loit  Fen  Triian  7,  pour  la  grant  douleur  là  où  il  fu  né  Le  jour 

*  Liseï  :  nulle  loi,  —  '  Mais  |j«  T  ceux  qui  étaient  dans  sa  chambre.  — 
crains.  —  3  Void  lo  renégat.  —  <  JÇ^-  «Je  l'avais  dèj&  bien  résolu.  —  i  Lise»  : 
frée  :  effrayée. —»  Elle  fit  sortir  tous       TrUian. 


DE  SAINT  LOUIS.  12) 

mdsmes  que  die  fu  acouchée ,  li  dît  Ten  que  ceulz  de  Pise  et 
de  Gènes  s'ea  vouioient  fîur,  et  les  autres  communes.  Lende- 
main que  elle  fu  acouchiée,  elle  les  manda  touz  devant  son  lit, 
si  que  la  chambre  fu  toute  pleinne  :  «  Seigneurs ,  pour  Dieu 
merci,  ne  lessiés  pas  ceste  ville  ;  car  vous  véez  que  monseigneur 
le  roy  seroit  perdu  et  touz  ceulz  qui  sont  pris,  se  elle  estoit 
perdue;  et  si  ne  vous  plet,  si  vous  preingne  pitié  de  ceste  chié- 
tive  qui  ci  gist,  que  vous  attendes  tant  que  je  soie  relevée.  » 
£t  il  respondirent  :  «  Dame,  comment  ferons-nous  ce?  que 
nous  mourons  de  fain  en  ceste  ville.  »  Et  elle  leur  dit  que  jà 
par  famine  ne  s'en  iroient  ;  «  Car  je  ferai  acheter  toutes  les 
viandes  en  ceste  ville,  et  vous  retieing  touz  dès  orendroit  '  aus 
despens  du  roy.  »  Ils  se  conseillèrent  et  revindrent  à  li,  et  li 
otroièrent  que  il  demourroient  volentiers  ;  et  la  royne,  queDiex 
absoille,  fist  acheter  toutes  les  viandes  de  la  ville,  qui  li  coustè- 
rent  troiz  cens  soixante  mil  livres^t  plus.  Avant  son  terme  la 
convint  relever,  pour  la  cité  que  il  couvenoit  rendre  aus  Sar- 
razins.  En  Acre  s*en  vint  la  royne,  pour  attendre  je  roy. 

Tandis  que  le  roy  attendoit  la  délivrance  son  frère,  envoia 
le  roy  frère  Raoul,  le  frère  preescbeur,  à  un  amiral  qui  avoit  à 
non  Fnracataie  *,  Fun  des  ptus  loiaus  Sarrazins  que  je  veisse 
onques.  Et  li  demanda  que  il  se  merveilloit  moult  comment  li 
et  les  autres  amiraus  soufrirent  comment  en  H  avoit  ses  trêves 
si  villemnement  ron^ues,  car  en(l[)bvoit  tué  les  malades  que 
il  dévoient  garder  aussi,  et  du  merrim  de  ses  engins  et  avoient 
ars  les  malades  et  les  chars  salées  de  porc  que  il  dévoient  gar- 
der aussi.  Faracataie  respondi  à  frère  Raoul  et  dit  :  «  Frère 
Raoul,  dites  au  roy  que  par  ma  loy  je  n'i  puis  mettre  conseil, 
et  se  poise  moy  ^  ;  et  li  dites,  de  par  moy,  que  il  ne  face  nul 
semblant  que  il  li  anuie^,  tandis  que  il  est  en  nostre  main, 
car  mort  seroit.  »  Et  il  loa  que  sitost  comme  il  venroit  en 
Acre,  que  il  li  en  souvieingne. 

*  Dè«  à  présent.  —  'Le  Téritable  1   OctaU  —  ^  Et  cela  me  pèse,  m'afflige, 
nom  de  cet  émir  était  Fares-eddin  I  —  *  Qae  cela  lai  ftisse  de  la  peine. 

l  t 


122  HISTOIRE 

Quant  le  roy  vint  en  sa  nef,  il  ne  trouva  onques  que  sa  gent 
li  eussent  riens  appareillé,  ne  lit,  ne  robes;  ainçois  li  couvint 
gésir,  tant  que  nous  fumes  en  Acre,  sur  les  materas  '  que  le 
soudanc  11  avoit  baillez.  Et  vesti  les  robes  que  le  soudanc  li 
avait  fet  bailler  et  tailler,  qui  estoit  de  sametnoir,  forré  de  vair 
et  de  griz,  et  y  avoit  grant  foison  de  noiaus  *  tonz  d'or. 

Tandis  que  nous  fiunes  ^  par  six  jours,  je^  qui  estoie  malade, 
me  séoie  touzjours  de  coste  le  roy«  Et  Jors  me  conta  il  com- 
ment il  avoit  esté  pris,  et  comment  il  avoit  pourchacié  sa  rean- 
çon  4  et  la  nostre ,  par  Taide  de  Dieu  ;  et  me  fist  conter  com- 
ment je  avoie  esté  pris  en  Tyaue.  Et  après  il  me  dit  que  je 
dévoie  grant  gré  savoir  à  Nostre-Seigneur,  quant  il  m'avoit 
délivré  de  si  grans  périlz.  Moult  regretoit  la  mort  du  conte 
d'Artois  son  frère,  et  disoit  que  moult  envis  se  fu  souff^^  * 
de  li  venir  veoir,  comme  le  conte  de  Poitiers,  que  il  ne  lefeust 
venu  veoir  es  galies. 

Du  conte  d'Anjou  qui  estoit  en  sa  nef,  se  pleingnoit  aussi  à 
moy ,  qui  nulle  compaingnie  ne  li  tenoit  ^.  Un  jour  demanda  que  7 
le  conte  d'Anjou  faisoit,  et  en  li  dit  que  il  jouoit  aus  tables  à 
monseigneur  Gautier  d'Anemoes  '.  Et  il  ala  là  tout  chancelant 
pour  la  flebesce  de  sa  maladie,  et  prist  les  dez  et  les  tables  et 
les  geta  en  la  mer,  et  se  courouça  moult  fort  à  son  frère  de 
ce  que  il  s'étoit  sitost  pris  à  jouer  aus  diez  ;  mais  monseigneur 
Gautier  en  fu  le  miex  paie,  car  il  geta  touz  les  deniers  qui  es- 
toient  sus  le  tablier,  dont  il  y  avoit  grant  foison,  en  son  geron 
et  les  emporta  "*. 

G  après  orrez  de  pluseurs  persécucions  et  tribulacions  que 
j'oy  en  Acre,  desquiex  Dieu,  à  qui  je  m'at^doie  et  à  qui  je 


^  Materas  :  matelas.  —  *  Noiaus  : 
boatoni.  —  ^  Il  teot  lire  :  tandis  que 
nous  fûmes  en  mer.  —  *  Procuré  sa 
délivrance.  —  &  Bien  nuilgré  lui,  il  se 


fftt  abstenn.  —  ^  De  ce  qu'il  ne  lui 
tenait  pas  compagnie.  •—  '  Que  :  ce 
que.  — B  Édition  de  du  Cange  :  Gaul- 
tier de  Nemours, 


*  Dans  l'édition  citée  dans  la  note  précédente,  il  est  dit  que  saint  Louis 
gccta  tous  ses  deniers  (  de  Gaultier  de  Nemours  )  qu'il  vit  sur  les  tabliers, 
après  les  dez  et  les  tables  en  la  mer. 


DE  SAINT   LOUIS.  123 

m^attens,  me  délivra.  Et  ces  choses  ferai-je  escrire,  pour  ce 
que  d\  qui  les  orront  aient  fiance  en  Dieu  en  leur  persécucions 
€t  tribulacions  ;  et  Dieu  leur  aidera  aussi  comme  il  fist  moy. 

Or  disons  donc  que ,  quant  le  roy  vint  en  Acre ,  toutes  les 
processions  d'Acre  H  vindrent  à  rencontre  recevoir  jusques  à 
la  mer  à  moult  grant  joie  *.  L'en  amena  '  un  palefroi.  Sitost 
comme  je  fu  monté  sus ,  le  cuer  me  failli;  et  je  dis  à  celi  que  v 
le  palefroy  m'avoit  amené,  que  il  me  tenist  que  je  ne  chéisse. 
A  grant  peinne  me  monta  l'en  les  degrez  de  la  sale  le  roy.  Je 
me  assis  à  une  fenestre ,  et  un  enfant  delez  moi^  et  avoit  en- 
tour  dix  ans  de  aage,  qui  avoit  à  nom  Berthelemir^il  estoit 
filz  bertart  '  à  monseigneur  Ami  de  Monbeliart  ^  y  seigneur 
de  Monfaucon.  Ëndementres  que  je  séoie  illec  là  où  nul  ne  se 
prenoit  garde  de  moy,  là  me  vint  un  vallet  en  une  cote  vermeille 
à  deux  roies  ^  jaunes  ;  et  me  salua  et  me  demanda  se  je  le  co- 
gnoissai ,  et  je  li  dis  nanin.  Et  il  me  dit  que  il  estoit  d'Oise- 
lair  5,  le  chastel  mon  oncle.  Et  je  li  demandai  à  qui  il  estoit,  et 
fl  me  dit  que  il  n'estoit  à  nullui  et  que  il  demourroit  avec  moy, 
se  je  vouloie  ;  et  je  dis  que  je  le  vouloie  moult  bien.  Il  m'ala 
maintenant  ^  querre  coifes  blanches  et  me  pingna  7  moult  bien. 
Et  lors  m'envoia  querre  le  roy  pour  manger  avec  li  ;  et  je  y 
alai  à  tout  le  corcet  que  l'en  m'avoit  fait  en  la  prison ,  des  ron* 
gneuresde  mon  couvertouer  ;  et  mon  couvertouer  lessai  à  Ber- 
thelemin  l'enfant,  et  quatre  aunes  decamelin*  que  l'en  m'avoit 
donné  pour  Dieu  en  la  prison.  Guillemin,  mon  nouviau  varlet, 
vint  trencher  devant  moy ,  et  pourchassa  de  la  viande  9  à  l'en- 
fent  tant  comme  nous  mangames. 

Mon  vallet  novel  me  dit  que  il  m'avoit  pourchacié  un  hostel 


^  Liaei:  l'en  m'amwa^  —  '  Ber- 
tàrt  :  bfttard.  —  >  Édition  de  Pierre 
de  Rienx  :  Jmé  île  MonthêUiar,  — 
*  Roies  :  raies.  —  &  Édition  de  P. 


de  lUeuz  :  Il  estoil  natif  du  ehasteau 
Dételer,  etc.  —  *  Sur-le-champ.  — 
''  Pingna  :  peigna.  —  *  Étoffe  de  laine 
grossière.  —  ^  Et  procura  des  vivres. 


*  Tout  ce  qui  est  rapporté  Jusqu'à  la  ligne  7  dé  la  page  126  se  trouve,  h 
quelques  différences  près ,  dans  l'édition  de  P.  de  Rieux ,  et  maïu^ue  dans 
celle  de  Cl.  Ménard  et  de  du  Cange,  au  moins  dans  le  texte. 


124  HISTOIBE  \ 

tout  delez  les  bains,  pour  moy  laver  de  l'ordure  et  de  la  sueai 
que  j'avoie  aportée  de  la  prison.  Quant  ce  vint  le  soir  que  je  fus 
ou  baing,  le  cuer  me  failli  et  me  pasmai,  et  à  grant  peinne 
m'en  trait  Ten  hors  du  baing  jusques  à  mon  lit.  Lendemain  ud 
vieil  chevalier  qui  avoit  non  monseigneur  Pierre  de  Bour» 
bonne  »,  me  vint  veoir ,  et  je  le  reting  entour  moy  ;  il  m'apléja  * 
en  la  ville  ce  qu'il  me  fsiilli  pour  vestir  et  pour  moy  atoumer  K 
Quant  je  me  fu  aréé^,  bien  quatre  jours  après  ce  que  nous  fil- 
mes venuz,  je  alai  veoir  le  roy,  et  m'enchoisonna  ^  et  me  dit  que 
je  n'avoie  pas  bien  fet  quant  je  avoie  tant  tardé  à  li  veoir ,  et 
me  commenda  si  chier  comme  j'avoie  s'amour,  que  maugasse 
PKO^^yi.  avec  li  adès  ^  et  au  soir  et  au  main ,  jusques  à  tant  que  il  eust 
aréé  que  nous  ferions  7  ^  ou  d'aler  en  France  ou  de  demourer. 
Je  dis  au  roy  que  monseigneur  Pierre  de  Courcenay  me  devoit 
quatre  cens  livres  de  mes  gajes,  lesquiex  il  ne  me  vouloît  paier. 
£t  le  roy  me  respondi  que  il  me  feroit  bien  paier  des  deniers 
que  il  devoit  au  seigneur  de  Courcenay  ;  et  si  fist-il  par  le  conseil 
monseigneur  Pierre  deBourbonne.  Nous  preismes  quarante  livres 
pour  nos  despens,  et  le  remenant  ^  commandâmes  à  garder  au 
commandeur  du  palais  du  Temple.  Quant  ce  vint  que  j*oi  des- 
pendu les  quarante  livres,  je  envolai  le  père  Jehan  Caym  de  Sainte- 
Manehost  9 ,  que  je  avoie  retenu  outre-mer,  pour  querre  autres 
quarante  livres.  Le  conmiandeur  li  respondi  que  il  n'avoit  denier 
du  mien,  et  que  il  ne  me  congnoissoit.  Je  alai  à  frère  Renaut  de 
Vichiers,  qui  estoit  mestre  du  Temple  par  l'aide  du  roy,  pour 
la  courtoisie  que  il  avoit  faite  en  la  prison ,  dont  je  vous  ai 
parlé,  et  me  plaînz  à  li  du  commandeur  du  palais  qui  mes  de- 
niers ne  me  vouloit rendre,  que  je  li  avoie  commandez.  Quant 
il  oy  ce,  il  s'esfréa  fort,  et  me  dit  :  »  Sire  de  Joinville,  je 
vous  aime  moult;  mes  soies  certein  que ,  se  vous  ne  vous  ven- 
iez souf&ir.de  ceste  demande  <*,  je  ne  vous  aimeré  jamez;  car 


*  EdiUon  de  P,  de  lUeax  t  Pierre 
de  Bourbrainne,  —  »  JpUja  :  cau- 
tionna. —  »  Moumer  :  éi^aiper.  — 
*  Quand  je  me  fae  équipé.  —  *  En- 
eholeonna    :    fit  des  reproches.    — 


*  Jdèe  :  maintenant ,  déaormaie.  — 
'  Qu*U  eftt  résolu  ce  que  nous  ferlons. 
—  ■  Remenant  :  reste.  — *  De  Sainte- 
Menebonld .  —  *o  Vous  désister  de  cette 
demande. 


DE  SAINT  LOUIS. 


125 


VOUS  voidés  fere  entendant  aus  gens  ■  que  nos  frères  sont  lar* 
rons.  »  £t  je  li  dis  que  je  ne  me  soufferroie  jà,  se  Dieu  plet.  En 
ceste  mesaise  de  cuer  je  fus  quatre  jours,  oonune  cil  qui  n'avoit 
plus  de  touz  deniers  pour  despendre.  Après  ces  quatre  jours,  le 
mestre  vint  vers  moy  tout  riant,  et  me  dit  que  il  avoit  retrouvé 
mes  daûers.  La  manière  comment  ils  furent  trouvés,  ce  fu 
pour  ce  que  il  avoit  changé  le  commandeur  du  palais  et  Tavoit 
envoie  à  un  cazel  que  en  appelle  leSaffran,  et  cil  me  reudi 
mes  deniers. 

L'évesque  d'Acre  qui  lors  estoit,  qui  avoit  esté  né  de  Provins , 
me  fist  prester  la  meson  au  curé  de  Saint-Michiel.  Je  avoie  re- 
tenu Caym  de  Sainte-Manehot ,  qui  moult  bien  me  servi  deux 
ans  ,  miex  que  home  que  j'eusse  onques  entour  moy.  Or  es- 
toit  ainsi,  que  il  avoit  une  logète  à  mon  chevès,  par  où  Tra 
entroit  ou  moustier  *.  Or  avint  ainsi  que  une  contenue  ^  me 
prist,  par  quoy  j'alai  au  lit,  et  toute  ma  mesnie  aussi.  Ne  onques 
un  jour  toute  jour  je  n'oy  onques  qui  mepeust  aidierne  lever, 
ne  je  n'attendoie  que  la  mort ,  par  un  signe  qui  m'estoit  delez 
Foreille  ;  car  il  n'estoit  nul  jour  que  Ten  n'aportast  bien  vingt 
mors  ou  plus  au  moustier;  et  de  mon  lit,  toutes  les  foiz  que 
on  les  aportoit ,  je  ouoie  chanter  :  Libéra  me,  Domine,  Lors 
je  plorai  et  rendi  grâces  à  Dieu ,  et  li  dis  ainsi  :  a  Sire ,  aouré  ^ 
^ies-tu  de  ceste  soufraite  que  tu  me  fez  ^ ,  car  main  bobans  ^ 
ai  eulz  7  à  moy  chaucier  et  à  moy  lever.  Et  te  pri.  Sire ,  que 
tu  m'aides  et  me  délivres  de  ceste  maladie ,  moy  et  ma  gent.  » 

Après  ces  choses  je  requis  à  Guillemin,  mon  nouvel  escuier  *, 
et  si  fist-il  ;  et  trouvai  que  il  m^avoit  bien  doumagé  de  dix  livres 
de  tournois  et  de  plus.  Et  me  dit,  quant  je  li  demandai ,  que 
il  les  me  rendroit,  quant  il  pourroit.  Je  li  donné  congié ,  et  li 


I  Faire  entendre  aux  gens.  —  ^  Dans 
régUse.  —  3  Contenue  :  ûèm  eonti- 
nae.  —  *  Âouré  :  adoré.  —  *  De  cette 


nécessité  où  tù  m'as  réduit.  —  ^  Bo' 
hans  :  domestiques  de  luse,  — 
7  Lisex  :  ai  eus. 


*  Uy  a  YtoUriement  une  lacune  dans  cet  endroit;  mais  elle  sera  suftittaiih 
ment  remplie  si  l'on  ajoute  ;  qu'il  me  rendit  Targent  (lue  je  lui  avais  confié. 

H. 


13G  HISTOIRE 

dis  que  je  li  donnoie  ce  que  il  me  devoit,  car  il  Tavoit  bien 
déservi  >.  Je  trouvai  par  les  chevaliers  de  Bourgoingne ,  quant 
il  revindrent  de  prison ,  que  il  l*avoient  amené  ea  leur  compai- 
goie,  que  c*estoit  le  plus  courtois  lierres*  qui  ouques  feust  ;  car, 
quant  il  failloit  à  aucun  chevalier  coutel  ou  courroie ,  gans  ou 
espérons ,  ou  autre  chose  y  il  l'aloit  enbier  et  puis  à  li  donnoit. 

En  ce  point  que  le  roy  estoit  en  Acre,  se  prirent  les  frères  le 
roy  à  jouer  aus  deiz;  et  jouoit  le  o(mte  de  Poitiers  si  courtoise- 
ment, que  quant  il  avoit  gaaingné,  il  fesoit  ouvrir  la  sale  et  f esoit 
appeler  les  gentîlzhomes  et  les  gmtilzfeamies ,  se  nulz  en  y 
avoit^  et  donnoit  à  poingnées  aussi  bien  les  siens  deniers  conune 
il  fesoit  ceulz  que  il  avoit  gaingnés.  Et  quant  il  avoit  perdu , 
il  adietoit  par  esme  '  les  deniers  à  ceulz  à  qui  Q  ayoit  enjoué  < 
.  et  à  son  frère  le  conte  d'Ai^ou  et  aus  autres  ;  et  donnoit  tout, 
et  le  sien  et  l'autrui. 

En  ce  point  que  nous  estions  en  Acre ,  envoîa  le  roy  querre 
ses  frères  et  le  c<mt6  de  Flandres  et  les  autres  riches  homes,  à 
un  dymanche,  et  leur  dit  ainsi  :  «  Seigneurs,  madame  la  royne 
ma  mère  m^a  mandé  et  prié  tant  comme  elle  peut,  que  je  m'en 
voise  en  France ,  car  mon  royaume  est  en  grant  péril  ;  car  je 
n^ai  ne  pez  ne  trêves  au  roy  d'Angleterre.  Cil  de  ceste  terre  à 
qui  j*ai  parié  m'ont  dit,  se  je  m'en  vois,  ceste  terre  est  perdue  ; 
car  il  s'en  venront  touz  en  Acre  ^  après  moy ,  pour  ce  que 
nulz  n'i  osera  demeurer  à  si  pou  de  gent.  Si  vous  pri ,  fist-il, 
que  vous  y  pensez  ;  et  pour  ce  que  la  besoingne  est  grosse ,  je 
vous  donne  respit  de  moy  respondre  ce  que  bon  vous  sem- 
blera, jusques  à  d'ui  en  huit  jours  *,  »  Et  me  dit  ainsi ,  que  il 
n'entendoit  mie  comment  li  roys  eust  pooir  de  demeurer,  et 

'  Déservi  :  mérité.  —  '  lAerre  :  I  Avec  qui  il  avait  joué.  —  ^  C'est-à- 
larron.  —  3  Ssmê  :  estimation.  —  *   *   dire  :  tout  ceux  qui  sont  en  Acre. 

*  Tout  ce  qui  suit,  jusqu'au  paragraphe  suivant,  manque  dans  l'édition 
de  du  Gange.  U  y  a  visiblement  une  lacune  en  cet  endroit  du  manuscrit; 
mais  on  voit  assez  par  la  suite  qu'il  s'agit  ici  de  l'entretH^  du  sire  de 
Jotuville  avec  le  légat,  sur  la  proposition  que  le  roi  vient  de  faire. 


DE  SAINT  LOUIS. 


127 


me  proia  moult  à  certes  que  je  m^eu  vousîsse  venir  en  sa  nef. 
£t  je  \i  res^ondi  que  je  n'en  avoie  pooir  ;  car  je  n'avoie  riens, 
ainsi  comme  i)  le  savoit ,  pour  ce  que  j'avoie  tout  perdu  en 
l'yaue  là  où  j'avoie  esté  pris.  Et  ceste  response  ne  li  Os-jo  pas 
pour  ce  que  je  ne  feasse  moult  volentiers  aie  avec  li,  mez  que 
pour  une  parole  que  monseigneur  de  Bollainmonts  mon 
cousin  germain,  que  Diex  absoille,  me  dît,  quant  je  m'en  alai 
outre-mer  :  «  Vous  en  alez  outre-mer,  fist-il,  or  vous  prenés 
garde  au  revenir;  car  nulz  chevaliers ,  ne  povres  ne  richez ,  ne 
peut  revenir  que  il  ne  seet'  honni ,  se  il  laisse  en  la  main  des 
Sarrazins  le  peuple  menu  Nostre-Seigneur,  en  laquelle  com- 
paingnie  il  est  aie.  «  Le  légat  se  courouça  à  moy,  et  me  dît  que 
je  ne  le  deusse  pas  avoir  refusé. 

Le  dymanche  après  revenimes  devant  le  roy  ;  et  lôrs  de- 
manda le  roy  à  ses  frères  et  aus  autres  barons  et  au  conte  de 
Flandres,  quel  conseil  il  li  donroient,  ou  de  s'alée  ^  ou  de  sa  dc- 
mourée.  11  respondirent  touz  que  il  avoient  chargié  à  monsei- 
gneur Guion  Malvoisin  le  conseil  que  il  vouloient  donner  au 
roy.  Le  roy  li  commanda  que  il  deist  ce  que  il  li  avoient 
chargié  ;  et  il  dit  ainsi  :  «  Sire,  vos  frères  et  les  riches  hommes 
qui  ci  sont ,  ont  regardé  à  vostre  estât ,  et  ont  veu  que  vous 
n'avez  pooir  de  demourer  en  cest  paîs,  à  Tonneur  de  vous  ne 
de  vostre  règne  4;  que  de  tous  les  chevaliers  qui  vindrent  en 
vostre  compaingnie,  dont  vous  en  amenâtes  en  Cypre  deux  mil  et. 
huit  cens,  il  n'en  a  pas  en  ceste  ville  cent  de  remenant  ^.  Si  vous 
loent-il,  sire,  que  vos  en  alez  en  France,  et  pourchaciés  gens  et 
deniers  6,  par  qnoy  vous  puisses  hastivement  revenir  en  cest 
pais  vous  venger  des  ennemis  de  Dieu ,  qui  vous  ont  tenu  en 
leur  prison.  »  Le  roy  ne  se  voult  pas  tenir  à  ce  que  monsei- 
gneur Gui  Malvoisin  avoit  dit  ;  ams  demanda  au  conte  d'Anjou, 
au  conte  de  Poitiers  et  au  conte  de  Flandres ,  et  à  pluseurs 


•  Plus  loin,  Boulaincourt.  — '  Soet  : 
•oit.  —  3  S'alée  :  son  départ.  — <  Rè- 
gne :  royaume.  —  *  Bemenant  :  reste. 


—  ^  Vous  vous  procuriez  du  monde  et 
de  l'argent. 


128 


HISTOI&B 


autres  riches  homes  qui  séoient  emprès  eulz;  et  tuit  s'acor- 
dèrent  à  monseigneur  Gui  Malvoisin.  Le  légat  demanda  au 
conte  Jehan  de  Japbe,  qui  séoit  emprès  eulz,  que  il  li  sembloit 
de  ces  choses.  Le  conte  de  Japhe  li  proia  qu'il  se  soufrist  de 
celle  demande  :  «  Pour  ce,  fist-il,  que  mes  chastiaus  sont  en 
marche  >  ;  et,  se  je  loeau  roy  la  demourée,  l'en  cuideroit  qaece 
feust  pour  mon  pr(9ùGt.  »  Lors  li  demanda  le  roy,  si  à  certes 
comme  il  pot  %  que  il  deist  ce  que  il  li  en  sembloit.  Et  il  li  dit 
que  se  il  pooit  tant  faire  que  il  pooit  héberge  tenir  ans  chans 
dedans  un  an ,  que  il  feroit  sa  grant  bomieur,  se  il  demouroit . 
Lors  demanda  le  légat  à  ceulz  qui  séoient  après  le  conte  de  Ja- 
phe ;  et  touz  s'acordèrent  à  monseigneur  Gui  Malvoisin.  Je  estoie 
bien  le  quatorzième  assis  encontre  le  légat.  Il  me  demanda  que 
il  m'en  sembloit;  et  je  li  respondi  que  je  m'acordoie  bien  au 
conte  de  Japhe.  Et  le  légat  me  dit  courovcié,  comment  ce  pour- 
roit  estre  que  le  roy  peut  tenir  héberges  à  si  pou  de  gent  comme 
il  avoit.  Et  je  li  respondi  aussi  comme  couroudé,  pour  ce  que  il 
me  sembloit  que  il  le  disoit  pour  moy  atteinner  ^  :  «  Sire,  et  je 
TOUS  le  dirai,  puisqu'il  tous  plest.  L'en  dit,  sire,  je  ne  sai  ce 
c'est  Toir  4,  que  le  roy  n'a  encore  despendu  nulz  de  ses  deniers, 
ne  mes  que  ^  des  deniers  aus  clers.  Si  mette  le  roy  ses  de- 
niers en  despense,  et  envoit  le  roy  querre  cheTaliers  en  la  Mo- 
rée  et  outre-mer  ;  et  quant  l'en  orra  nouvelles  que  le  roy  donne 
bien  largement,  chevaliers  li  venront  de  toutes  pars,  par  quoy 
il  pourra  tenir  héberges  dedans  un  an,  se  Dieu  plet.  Et  par  sa 
demourée  seront  délivrez  les  povres  prisonniers  qui  ont  esté 
pris  ou  servise  Dieu  et  ou  sien,  qui  jamès  n'en  istront^',  se  li 
roys  s'en  va.  »  Il  n'avoit  nul  illec  qui  n'eust  de  ses  prochains 
'  amis  en  la  prison,  par  quoy  nulz  ne  me  reprist;  ainçois  se  pris- 
trent  touz  à  plorer.  Après  moy ,  demanda  le  légat  à  monsei- 
gneur Guillaume  de  Biaumont,  qui  lors  estoit  maréchal  de 


1  Le  comte  de  Jaffa  les  pria  de  s'abs- 
tenir de  cette  demande  :  «  Tarée  qae, 
dit-il,  mes  chftteanx  sont  sar  la  fron* 
tière,  B  etc.  —  »  Aussi  sérieasement 


qu'il  put.  —  3  Atteinner  :  piquer.  — 
*  Voir  :  trai,  —  ^  Ne  mes  que  :  «oon. 
—  ^  Qui  jamais  ne  sortiront  de  capti- 
vité. 


DB  SAIMT   LOUIS.  129 

France  ;  et  il  dit  que  j*avoie  moult  bien  dit;  «  et  vous  dirai 
reson  pour  quoy.  »  Monseigneur  Jehan  de  Biaumont,  le  bon 
chevalier,  qui  estoit  son  onde  et  avoit  grant  talent  >  de  re« 
tourner  en  France,  Tescria  moult  fâonnessement  *,  et  li  dit  : 
«  Orde  longaingne  ^,  que  voulez-vous  dire  ?  Raséez-vous  tout 
quoy  4.  »  Le  roy  li  dit  :  «  Messire  Jehan,  vous  fêtes  mal,  lessiés» 
li  dire.  »  —  «  Certes,  sire,  non  ferai  »  Il  le  convint  taire;  ne 
nulz  ne  s'acorda  onques  puis  à  moy,  ne  mes  que  ^  le  sire  de 
Chatenai. 

Lors  nous  dit  le  roy  :  «  Seigneurs,  je  vous  ai  bien  oys,  et  je 
vous  respondré  de  ce  que  il  me  pléra  à  fère,  de  hui  en  huit 
jours.  »  Quant  nous  fumes  partis  d'illec,  et  Tassant  me  com- 
mence de  toutes  pars  :  «  Or  est  fol,  sire  de  Joinville ,  li  roys, 
se  il  ne  vous  croit  contre  tout  le  conseil  du  royaume  de  France.  » 
Quant  les  tables  furent  mises,  le  roy  deiez  li  au  manger  ^,  là 
où  il  me  fesoit  touzjours  seoir,  et  ses  frères  n'i  estoient.  On- 
ques ne  parla  à  moy  tant  comme  le  manger  dura  :  ce  que  il 
n'avoit  pas  acoustumé  ,  que  il  ne  gardât?  touzjours  à  moy  en 
mangant.  Et  je  cuidoie  vratement  que  il  feust  counroucié  à 
moy,  pour  ce  que  je  dis  que  il  n*avoit  encore  despendu  nulz  de 
ses  deniers,  et  que  il  despendoit  largement.  Tandis  que  le  roy 
oy  ses  grâces,  je  alai  à  une  fenestre  ferrée  qui  estoit  en  une 
reculée  ^  devers  le  chevet  du  lit  le  roy  ;  et  tenoie  mes  bras 
par  mi  les  fers  de  la  fenestre,  et  pensoie  que  se  le  roy  s*en  ve- 
noit  en  France ,  que  je  m*en  iroie  vers  le  prince  d' Antioehe , 
qui  me  tenoit  pour  parent,  et  qui  m'avoit  envoie  querre,  jus- 
ques  à  tant  que  une  autre  aie  9  me  venist  ou  pays ,  par  quoy  ^ 
les  prisonniers  feussent  délivré,  selonc  le  conseil  que  le  sire  de 
Boulaincourt  m'avoit  donné.  En  ce  point  que  je  estoie  il- 
lec,  le  roy  se  vint  apuier  à  mes  espaules,  et  me  tint  ses  deux 


■  TaUni  !  désir.  ^  >  Le  reprit  ea 
termes  fort  injarienz.  —  3  Ordre  làn' 
gaigne  :  sale  excrément.  —  *  Rasseyes- 
TOUS  et  tenei'Toas  coi.  .—  ^  JVe 
met  que  :  si  ce  n'est,    —  ^  Oa  doit 


pent^tre  lire  :  le  roytneJM  seoir  de- 
lez  Hhu manger. — '  Cardai  :  regardât. 
—  *  A  une  fenêtre  grillée  qui  était  dans 
ane  embrasure.  —  ^  Lises  :  alée^  c'est- 
à-dire  passage,  armée  de  croisés. 


130  IISTOIHB 

mains  sur  la  teste.  Et  je  cuidai  que  ce  feust  monseigneur  Phe^ 
lippe  d'Anemos,  qui  trop  d^ennui  m*avoit  fait  le  jour  pour  le 
conseil  que  je  lui  aToie  donné;  et  dis  ainsi  :  «  Lessiés-moy  en 
pez,  monseigneur  Phelîppe.  »  Par  mal  avanture,  au  tourner  que 
je  fiz  ma  teste,  la  main  le  roy  me  chéi  *  parmi  le  visage  ;  et 
oognu  que  ç'estoit  le  roy,  à  une  esmeraude  que  il  avoit  en  son 
doy.  Et  il  médit  :  <  Tenez-Tous  tout  qnoy;  car  je  tous  weîl 
[{  demander  comment  vous  feustes  si  hardi  que  vous,  qui  estes 
\\  un  joennes  bons,  m'osastes  loer  mademourée,  encontre  touz  les 
grans hommes  et  les  sages  de  France  qui  me  looient  m'alée.  »  — 
«  Sire,  fis-je,  a  voie  la  mauvestié  en  moncuer,  si  ne  vous  loe- 
roie-je  ànul  inique  vous  la  feissiés*.  « — «  Dites-vous,  fist-il,  que 
je  feroie  que  mauvaiz  se  je  m'en  aloie  ?»  —  «  Si  m'aïst  Diex  ', 
sire,  fis-je,  oyl.  »  Et  il  me  dit  :  «  Se  je  demeure ,  demourrez- 
vous?  »  Et  jeli  disque  oyl,  sejepuisnedumiennedeTautruy  ^  » 
—  «  Or  soies  tout  aise ,  dit-il,  car  je  vous  sai  moult  bon  gré  de 
ce  que  vous  m'avez  loé  ;  mes  ne  le  dites  à  nullui,  toute  celle  se- 
mainne.  »  Je  fus  plus  aise  de  celle  parole,  et  me  deffendoie  plus 
hardiementcontreceulzquim'assailloient.£nappelle  lespaîsans 
dupais,  poulains  **.  Si  me  manda  monseigneur  Pierre  d'Avalon 
que  je  me  dépendisse  vers  ceulz  qui  m'apeloient  poulain,  et 
leur  deisse  que  j'amoie  miex  estre  poulain  que  rondn  recreu***, 
aussi  comme  il  estoient. 
A  Tautre  dymanebe,  revenimes  touz  devant  le  roy;  et 

*  Chéi  :  tomba.  —  ^  Si  m'aStt  Diex  :  i  pttu  toit  à  cens  d'iv^trai. 
Qae  Dieu  m'aide.  —  *  Soit  à  mt$  dé-  I 

*  Le  sire  de  Joinvilie  veut  apparemment  dire  ici  :  c  J'étais  persuadé  que 
le  retour  eu  France  était  mauvais  ;  ainsi  ne  vous  conseiUeraiS'Je  en  nulie 
manière  que  vous  prissiez  ce  parti.  > 

**  L'auteur  de  la  Vie  de  Louis  le  Gros  explique  la  force  de  ce  mot  au 
chapitre  24  :  Pullani  dieuntur  qui  de  pâtre  Syriano  et  matre  Francigena 
generantur.  Le  sire  de  Joinvilie  dit  que  de  son  temps  on  appelait  pou* 
lattis  les  paysans  de  la  terre  sainte,  et  que  ce  terme  passait  pour  une  in- 
jure :  Je  crois  qu'il  tire  son  origine  du  mot  Fouille,  parce  que  plusieurs 
femmes  de  ce  pays  s'éUient  fixées  dans  la  terre  sainte. 

***  C'est-à-dire,  qui  se  confeuait  vaincu  :  c'est  hx  force  de  ce  mol  recreu. 


DE  SAINT  LOUIS.  131 

quant  le  roy  vit  que  nous  feusmes  touz  venus ,  si  seigna  sa  bou- 
che \  et  nous  dit  ainsi  (après  ce  que  il  ot  appelé  Taide  'du 
Saint-Esperit ,  si  comme  je  Tentent;  car  madame  md  mère 
me  dit  que  toute  foiz  que  je  voudroie  dire  aucune  chose  ^  que 
je  appelasse  Taide  du  Saint-Esperit,  et  que  je  seignasse  ma 
bouche).  La  parole  le  roy  fut  telle  :  «  Sagneurs,  fist-il,je 
vous  merci  moult  à  tous  ceuhs  qui  m'ont  loé  m'alée  *  en  France, 
et<si  rens  grâces  aussi  à  ceulz  qui  m'ont  loé  ma  demeurée; 
mes  je  me  suis  avisé  que ,  se  je  demeure,  je  nM  voy  point  de 
péril  que  mon  royaume  se  perde;  car  madame  la  royne  a 
bien  gent  pour  le  deffendre.  Et  ai  regardé  aussi  que  les  barons 
de  cest  pais  dient,  se  je  m'en  voiz^  ijuc  le  royaume  de  Jéru- 
salem est  perdu ,  que  nulz  n'i  osera  deœourer  après  moy.  Si 
ai  regardé  que  à  nul  feur  3  je  ne  lèroie  le  royaume  de  Jéru- 
salem perdre ,  lequel  je  suis  venu  pour  garder  et  pour  con* 
querre;  si  est  mon  conseil  tel,  que  je  sui  demouré  comme  à 
orendroit  4.  Si  dis-je  à  vous,  riches  hommes  que  ci  estes ,  et 
à  touz  autres  chevaliers  qui  vourront  demourer  avec  moy,  que 
vous  veignez  parler  à  m<^  haidiement  ;  et  je  vous  donrai  tant, 
<jiie  la  coulpe  ^  n'iertpas  moie  ^,  mes  vostre,  se  vous  ne  voulez 
demourer  *•  »  Moult  en  y  ot  qui  oïrent  ceste  parole ,  qui  furent 
esbahiz;  et  moult  en  y  ot  qui  plorèrent. 

Le  roy  ordena,  si  comme  l'en  di,  que  ses  frères  retour- 
ner{oi]ent  en  France.  Je  ne  sai  se  ce  fii  à  leur  requeste ,  ou  par 
la  volenté  du  roy.  Geste  parole  que  le  roy  dit  de  sa  demourée , 
ce  fil  entour  la  Saint-Jehan.  Or  avint  ainsi  que  le  jour  de  la 

*  Il  fit  le  signe  de  la  eroix  iar  sa  1  sent.  On  dit  encore  orwdra  en  patois 
honcbe,  —  ^  M'aUe  :  mon  retoar.  —  l  lyonnais  et  beaojolaispoarmain^enan^ 
3  Feur  ;  prix.  — *  Comme  je  fais  à  pré-  |   —  *  Coulpe  :  fante.  —  «Jlfoic  ;  mienne. 

<{ui  est  tiré  de  l'usage  des  duels.  Quand  Tun  des  combattants  se  Toyait 
terrassé  par  son  ennemi  et  qu'il  reconnaissait  ne  pouvoir  plus  combattre, 
il  lui  avouait  qu'il  était  recréant  ou  recreu;  en  sorte  que  le  sire  de  Join 
Tille  repousse  ici  l'injure  par  l'injure  :  comme  on  le  traitait  de  poulain , 
il  appelait  ces  seigneurs  chevaliers  recreum 

*  Comparez  ce  récit  avec  celui  de  Guillaume  de  Nangis.  (  Kee,  des  hisU 
des  Gaules  f  etc.,  tom.  XX,  peg.  382,  385,  A.) 


À 


133  HISTOIBE 

Saint- Jaque,  quel  pèlerin  je  estoie  ■  et  qui  maint  biens  m'a- 
voit  fait  «  le  roy  fù  revenu  en  sa  chambre  de  la  messe;  et  ap- 
pela son  conseil,  qui  estoit  demouré  avec  li  :  c'est  à  savoir, 
monseigneur  Pierre  le  Ghamberiain*,  qui  fu  le  plus  loial 
homme  et  le  plus  dfoiturier  que  Je  veisse  onques  mi  hostel  de 
roy  ;  monseigneur  Gefifroy  de  Sergines,  le  bon  chevalier  et  le 
preudomme,  monseigneur  Giles  le  Brun,  et  Yxm  chevalier  et 
preudomme,  cui*  li  roys  avoit  donné  la  oonnestablie  de 
France  après  la  mort  monseigneur  Hymbert  de  Biaujeu  le 
preudomme.  A  ceulz  parla  le  roy  en  tel  manière  tout  haut , 
aussi  comme  en  couroussant  :  «  Seigneurs,  il  a  jà  un  an  ^  que 
Ten  scet  ma  demourée,  ne  je  n'ai  encore  oy  nouvelles  que  vous 
m'aies  retenu  nulz  chevaliers.  »  —  «  Sire,  firent-il,  nous  n'en 
poons  mais  ;  car  chascim  se  £ait  si  chier,  pour  ce  que  il  s'en 
wel^t  aler  en  leur  pais ,  que  nous  ne  leur  oserions  donner  ce 
que  il  demandent.  » — «  Et  qui ,  fist  li  roys,  trouverrés  à  meilleur 
marché?  «  —  «  Certes,  sire ,  firent-il ,  le  séneschal  dé  Cham- 
paingne  ;  meznous  ne  li  oserions  donner  ce  qu'il  demande.  »  Je 
estoie  enmi  la  chambre  le  roy,  et  oy  ces  paroles.  Lors  dit  le 
roy  :  «  Appelez-moy  le  séneschal?  »  Jealai  à  li  et  m'agenoillé 
devant  li  ;  et  il  me  fist  seoir,  et  me  dit  ainsi  :  «  Séneschal ,  vous 
savés  que  je  vous  ai  moult  amé,  et  ma  gent  me  dient  que  il 
vous  treuvent  dur.  Comment  est-ce  ?»  —  «  Sire,  fis-je,  je  n'en 
puis  maiz  ;  car  vous  savez  que  je  fîi  pris  en  Tyaue,  et  ne  me  de- 
moura  onques  riens  que  je  ne  perdisse  tout  ce  que  j'avoie.  » 
Et  il  me  demanda  que  je  demandoie  ;  et  je  dis  que  je  deman- 
doie  deux  mil  livres  jusques  à  Pasques ,  pour  les  deux  pars  de 
Tannée.  «  Or  me  dites ,  fist-îl ,  avez-vous  barguigné  4  nulz  che* 
valiers?  »  Et  je  dis  :  «  Oyl,  monseigneur  Pierre  de  Pontmolain, 

*  Dnqnel  J'étais  pèlerin.  —  '  1  un  mois,  —  *  Barguigné  :  marchandé  ^ 
Oui  :  i  qai. — '  Liseï  :  il  yajà   \   fait  marché  avec. 

*  Pierre  de  Nemours,  ou  d^  Ville-Beon,  chambellan  de  France  sons. 
saint  Louis,  avec  lequel  il  fit  le  voyage  de  Tunis,  ou  il  mourut.  \\  fut  in- 
humé à  ses  pieds  en  l'abbaye  de  Saint-Denis. 


PE  SAINT  LOUIS.  133 

li  tiers  à  banière,  qui  eoustent  quatre  cens  livres  jusques  à  Pas- 
ques  ».  Et  il  conta  par  sesdoiz.  «  Ce  sont,  fist-il^  mil  deux  cens 
Hvres  que  vos  nouviaus  chevaliers  cousteront.  »  —  a  Or  regar- 
der, 8ire,fis-je,  se  il  me  couvendra  bien  uitcenslivrespourmoy 
monter  et  pour  moy  armer,  et  pour  mes  chevaliers  donner  à 
manger;  car  vous  ne  voulés  pas  que  nous  mangiens  en  vostre 
ostel.  »  Lors  dit  à  sa  gent  :  «  Vraiment,  fist-il,  je  ne  voi  ci  point 
d'outrage  s  et  je  vous  retiens,  »  fist-il  à  moy. 

Après  ces  choses  atirèrent  les  frères  au  roy  leur  navie  * ,  et 
les  autres  riches  homes  qui  estoient  en  Acre.  Au  partir  que  il 
firent  d*Acre,  le  conte  de  Poitiers  empronta  joiaus  à  ceuiz  qui 
s'alèrent  en  France  ;  et  à  nous  qui  demourames  en  donna  bien 
et  largement.  Moult  me  prièrent  l'un  frère  et  l'autre  que  je  me 
preisse  garde  du  roy^  et  me  disoient  que  il  n'i  demouroit  nullui 
en  qui  il  s'atendissent  tant.  Quant  le  conte  d'Anjou  vit  que  re- 
queilUr  le  couvendroit  en  la  nef  ^,  il  mena  tel  deul  que  touz 
s'en  merveillèrent  ;  et  toutevoiz  s'en  vint-il  en  France  *. 

Il  ne  tarda  pas  grandemant  après  ce  que  les  frères  le  roy  di- 
rent partis  d'Acre,  que  les  messages  l'empereur  Ferrie  vin- 
drent  au  roy  et  il  apportèrent  lettre  de  créance,  et  dirent  au  roy 
que  l'empereur  les  avoit  envoies  pour  nostre  délivrance.  Au 
roy  moustrèrent  lettres  que  l'empereur  envoioit  au  Soudan 
qui  mort  estoit ,  ce  que  l'empereur  ne  cuidoit  pas  ;  et  li  man- 
doit  l'empereur  que  il  creust  ses  messages  de  la  délivrance  le 
roy.  Moult  de  gens  distrent  que  il  ne  nous  feust  pas  mestier  ^ 
que  les  messages  nous  eussent  trouvez  en  la  prison  ;  car  l'en 
cuidoit  que  l'empereur  eust  envoie  ses  messages,  plus  pour  nous 
encombrer  que  pour  délivrer.  Les  messages  nous  trouvèrent 
délivrés;  si  s'en  alèrent. 

Tandis  que  le  roy  étoit  en  Acre,  envoia  le  soudanc  de  Da- 

'  Outrage  :  excès.  —  '  Jfavie  :  l  s'embarqqer.  — <  Frédérie  II. —  *  Mes- 
flotte. —  3  Qa'ils  seraient  obligés  de  |  «er;  besoin.  _    -,  ,  , 

*  Tout  cf  qisi  est  rapporté  en  ce  paragraphe  manque  dans  l'édition  de 
du  Gange. 

12 


134  HISTOIRE 

mas  *  ses  messages  au  roy,  et  se  plaint  moult  à  ii  des  amiraus 
de  Egypte,  qui  avoient  son  cousin  le  soudanc  tué  ;  et  promist 
au  roy  que  se  il  li  vouloit  aidier,  que  il  li  déliverroit  le  royaume 
de  Jérusalem,  qui  estoit  en  sa  main.  Le  roy  ot  conseil  que  il 
feroit  response  au  soudanc  de  Damas  par  ses  messages  pro- 
pres, lesquiex  il  envoya  au  soudanc.  Avec  les  messages  qui  là 
alèrent,  ala  frère  Yves  le  Breton  de  Tordre  des  Frères  prees- 
cheurs,  qui  savoit  le  sarrazinnois.  Tandis  que  il  aloient  de  leur 
hostel  à  Tostel  du  soudanc,  frères  Yves  vit  une  femme  vieille 
qui  trayersoit  parmi  la  rue,  et  portoit  en  sa  main  destre  une 
escuellée  pleinne  de  feu,  et  en  la  senestre  une  phiole  pleinne 
d'yaue.  Frère, Yves  ly  demanda  :  «  Que  veus-tu  de  ce  faire?  » 
Elle  li  respondi  qu'elle  vouloit  du  feu  ardoir  paradis ,  et  de 
l'yaue  esteindre  enfer,  que  jamèz  n'en  feust  point.  £t  il  li  de- 
manda :  «  Pourquoy  veus-tu  ce  faire  .^  »  —  «  Pour  ce  que  je  ne 
weil  que  nulz  face  jamès  bien  pour  le  guerredon  <  de  paradis 
avoir,  ne  pour  la  poour  d*enfer  ;  mes  proprement  pour  Tamour 
de  Dieu  avoir,  qui  tant  vaut  et  qui  tout  le  bien  nous  peut  faire.  » 
Jehan  li  Ermin,  qui  estoit  artillier  le  roy,  ala  lors  à  Damas 
pour  acheter  cornes  et  glus  '  pour  faire  arbalestres ,  et  vit  un 
vieil  home  moult  ancien  seoir  sur  les  estaus  de  Damas.  Ce  vieil 
home  l'apela  et  li  demanda  se  il  estoit  Crestien  ;  et  il  ii  dit 
oyl.  Et  il  li  dit  :  «  Moult  vous  devez  haïr  entre  vous  Grestiens, 
que  j'ai  veu  tele  foiz  que  le  roy  Baudoin  de  Jérusalem,  qui  fu 
mezeaus^,  desconfit  Salehadin^etn'avoitquetroiz  cens  homes  à 
armes,  et  Salehadin  troiz  milliers  :  or  estes  tel  mené  par  vos 
péchiés,  que  nous  vous  prenons  aval  les  chans  comme  estes.  ». 
Lors  li  dit  Jehan  TErmin  que  il  se  devoit  bien  taire  des  péchiez 
aus  Grestiens,  pour  les  péchiez  que  les  Sarrazins  fesoient ,  qui 
moult  sont  plus  grant.  Et  le  Sarrazin  respondi  que  folement 

'  Guerredon  :  récompense.  — '  Cor-    |  lépreux. 
nés  et  glus  :  coUe  et  glu .  —  ^  Mezeaus  :  1 

/ f 

/   *  Ce  sulta  n  de  Damas  et  d'Alep  se  nommait  Nasssr. 

< 


D£  S^MT  LOUIS.  135 

avoit  respendhi.  Et  Jehan  il  idemanda  pourquoy.  Et  H  it  ditque 
il  li  diroit  ;  mes  il  li  feroit  avant  une  demande.  Et  li  demanda  se 
il  avmt  nul  enfant.  Et  il  ii  dit  oyl,un  fils.  Et  il  li  demanda  du- 
quel il  li  anuieroit  plus,  se  en  li  donnoit  une  bufe  >  ou  à  son  filz  ; 
et  il  dit  que  il  seroit  plus  couroucié  de  son  fil,  se  il  le  féroit  ', 
que  de  li.  «  Or  te  feiz,  dit  le  Sarrazin,  ma  response  en  tel  ma- 
nière ;  que,  entre  vous  Grestiens,  estes  filz  de  Dieu ,  et  de  son 
ncm  de  Grist  estes  appelez  Crestians,  et  tele  courtoisie  tous  fet 
que  il  vous  a  baillez  enseigneurs,  par  quoy  tous  congnoissiés 
quant  vous  Êdtes  le  bien  et  quant  vous  faites  le  mal  :  dont  Dieu 
vous  sceit  pire  gré  d'un  petit  péché ,  quant  vous  le  faites,  que 
il  ne  fait  à' nous  d'un  grant,  qui  n'en  congnoissons  point,  et 
qui  sommes  aveugles  ;  que  nou^  cuidons  estre  quite  de  touz 
nos  péchiez,  se  nous  nous  poons  laver  en  yaue  avant  que  nous 
mourriens ,  pour  ee  que  Mahommet  nous  dit  à  la  mort  que  par 
yaue  serions  sauf.» 

Jehan  TErmin  estait  en  ma  compaingnie ,  puis  que  je  re- 
ving  d'outre-mer,  que  jte  m'en  aloie  à  Paris.  Aussi  comme  nous 
mangions  ou  paveillon,  une  grande  tourbe  de  povres  gens  nous 
demandoientpour  Dieu^t  fesoient  grant  noise.  Un  de  nos  gens 
qui  là  estoit,  commanda  et  dit  à  un  de  nos  vallès  :  «  Liève  sus 
et  chace  hors  ces  povres.  »  —  «  A  !  fist  Jehan  fErmin,  vous  avez 
trop  mal  dit  ;  car  se  le  roy  de  France  nous  envoioit  mainte- 
nant par  ses  messages  à  chascun  cent  mars  d'argent,  nous  ne  les 
chaoerions  pas  hors,  et  vous  chadés  ceulz  envoie  ^  qui  vous 
ofifrent  qui  voua  donrront  4  quanque  l'en  vous  peut  donner  :  -  / 
c'est  à  savoir  que  il  vous  demsmdent  que  vous  leur  domiez 
pour  Dieu  ;  c'est  à  entendre  que  vous  leur  donnez  du  vostre,  et 
il  vous  donrront  Dieu.  Et  Dieu  le  dit  de  sa  bouche,  que  il  ot 
povoir  de  li  donner  à  nous  ;  et  dient  les  sainz  que  les  povres 
nous  peuvent  aeorder  à  li,  en  td  manière  que ,  ainsi  comme 
l'yaue  esteint  le  feu ,  l'aumosne  estaint  le  péché.  Si  ne  vous 

'  Bvf»  :  sunfflet.  •—  ^  Féroit  :  frap-   |  *  Donrront:  doaneront. 
poit.  —  3  Ceulst  envoyé  :  ces  envoyés.  | 

-■//■'■' 


136  HISTOIRE 

avieigne  jamès,  dit  JehaD,  que  vous  chaciés  les  povres  ensus  '; 
mes  donnés-leur,  et  Dieu  vous  donrra  *.  » 

Tandis  que  le  roy  demouroit  en  Acre,  viudrent  les  messages 
au  Yieilde  la  Montaingne  à  li.  Quant  le  roy  revînt  de  sa  messe, 
il  les  fist  venir  devant  li.  Le  roy  les  fist  asseoir  en  tel  ma- 
nière^ que  il  yavoîtunamiral  devant,  bien  vestu  et  bien  atoumé, 
et  darières  son  amiral  avoit  un  bacheler  *  bien  atoumé,  qui  te- 
noit  troiz  coutiaus  en  son  poing,  dont  Tun  entroit  ou  manche 
l'autre  ;  pour  ce  que,  se  Tamiral  eust  esté  refusé ,  il  eust  pré*^ 
sente  au  roy  ces  troiz  coutiaus  pour  li  deffier.  Darière  celi  qui  te* 
noit  les  troiz  coutiaus,  avoit  un  autre  qui  tenoit  im  bouqueran  ^ 
entorteillé  entour  son  bras,  que  il  eust  aussi  présenté  au  roy 
pour  li  ensevelir,  se  il  eust  refusée  la  requeste  au  Vieil  de  la 
Montaigne  **. 

Le  roy  dit  à  l'amiral  que  il  li  deist  sa  volenté  ;  et  Tamiral  li 
bailla  unes  lettres  de  créance,  et  dit  ainsi  :  «  Mes  sire  envoie 
à  vous  demander  se  vous  le  cognoissiés.  ».  Et  le  roy  respondi 
que  il  ne  le  congnoissoit  point  ;  car  il  ne  Tavoit  onques  veu; 
mez  il  avoit  bien  oy  parler  de  li.  «  Et,  quant  vous  avez  oy  par- 
ler de  mon  seigneur,  je  me  merveille  moult  que  vous  ne  li 
avez  envoie  tant  du  vostre  que  vous  l'eussiez  retenu  à  ami,  aussi 
comme  l'empereur  d'Alemaingne,  le  roy  de  Honguerie,  le  sou- 
danc  de  Babiloinne  et  les  autres  li  font  touz  les  ans  ;  pour  ce 
que  il  sont  certeins  que  il  ne  pevent  vivre  mez  que  tant  4  comme 
il  plèra  à  monseigneur.  Et  se  ce  ne  vous  plet  à  faire,  si  le  faites 
acquiterdu  tréu^  que  il  doit  à  l'Ospital  ^  et  au  Temple,  et  il 
se  tendra  apaié  de  vous.  »  Au  Temple  et  à  l'Ospital  li  rendoit 

■  Hors  d«  votre  maison.  ^>  Sa-  {  une.  ^  *  Çhta  tant  :  qu'autant.  -^ 
eheler  :  Jeune  homme.  —  *  Bauque"  1  &  Tréu  :  tribut.  —  ^  VOtpiial  :  l'or- 
roMi  :  boucan ,  toile  de  coton  très-   I   dre  de  Saint-Jean  de  l'Uôpital. 

*  Dans  réditlon  de  du  Gange ,  la  réponse  de  la  TieiUe  femme ,  qvà  se 
trouve  pins  haut,  est  an  peu  plos  développée,  et  les  deux  conversattons 
de  Pierre  l'Ermin  manquent. 

**  Dans  l'édition  de  du  Gange,  les  deux  circonstances  curieuses  des  cou- 
teaux-et  de  la  pièce  de  toile  manquent 


DE  SAINT  LOUIS.  >3T 

lors  tréu,  pour  ce  que  il  nedoutoient  riens  les  Assacis,  pour  ce 
que  le  Vieil  de  la  Montaingne  n'i  peut  riens  gaaigner,  se  il  fe*' 
soit  tuer  le  mestre  du  Temple  ou  de  TOspital  ;  car  il  savoit 
bien  que,  se  il  oifeist  un  tuer,  l'en  y  remeist  tantost  un  autre 
aussi  bon;  et  pour  ce  ne  vouloit-il  pas  perdre  les  Assacis  en 
Heu  là  où  il  ne  peut  riens  gaaingner.  Le  roy  respondi  à 
Famira]  que  il  venist  à  la  relevée. 

Quant  Tamiral  fu  revenu,  il  trouva  que  le  roy  séoit  en  tele 
manière,  que  le  mestre  de  TOspital  estoit  d'une  part,  et  le 
mestre  du  Temple  d'autre.  Lors  li  dît  le  roy  que  il  li  redeist 
ce  que  il  li  avoit  dit  au  matin  ;  et  il  dit  que  il  n'avoit  pas  conseili 
du  redire,  mes  que  devant  ceulz  '  qui  estoient  au  matm  avec 
le  roy.  Lors  li  distrént  les  deux  mestres  :  «  Nous  vous  commaB^> 
dons  que  vous  le  dites.  »  Et  il  leur  dit  que  il  leur  diroit,  puis 
que  il  le  commandoient.  Lors  firent  dire  les  deux  mestres,  en 
sarrazinnois,  que  il  venist  lendanain  parlera  eulz  en  TOspital  ; 
et  il  si  fist. 

Lors  li  firent  dire  les  deux  mestres  que  moult  estoit  hardi  leur 
seigneur,  quant  il  avoit  osé  mander  au  roy  si  dures  paroles  ; 
et  li  firent  dire  que  ce  ne  feust  pour  Tamour  du  roy  en  quel 
message  il  estoient  venus  >,  que  il  les  feissent  noier  en  i'orde^ 
mer  d'Acre^  en  despit  de  leur  seigneur  :  «  Et  vous  conuuan- 
dons  que  vous  en  r'alez  vers  vostre  seigneur,  et  dedens  quin- 
zainne  vous  soies  ci-arrière  4,  et  apportez  au  roy  tiex  lettre» 
et  tiex  joiaus,  de  par  vostre  seigneur,  dont  le  roy  se  tieingne 
apaiez^  et  que  il  vous  en  sache  bon  gré.  » 

Dedens  la  quinzeinne  revindrent  les  messages  le  Vieil  en 
Acre,  et  apportèrent  au  roy  la  chemise  du  Vieil  ;  et  distrént  au 
roy,  de  par  le  Viel,  quec'estoit  sénefiance^  que  aussi  conmieJa^ 
chemise  est  plus  près  du  cors  que  nul  autre  vestement,  aussi 
veult  le  Viex  tenir  le  roy  plus  près  à  amour  que  nul  autre  roy. 


I  Sinon  devant  eenx.  —  >  Il  flint  ap- 
paremment lire  :  Aitqwl  message  il 
tstoitnt  venus;  c'est-à-dire,  auprès 
duqneliU  étaient  venus  en  qualité 


d'envoyés.  —  3  orde  .*  «aie,  pleine 
d'ordare.  —  *  Vous  soye^.ici  de  re- 
tour. —  *  Jpaiez  :  satisfait.  —  ••  Si'-» 
nejlance  :  signification^ 

«2. 


138 


HISTOIBS 


Et  il  li  envoia  son  anei,  qui  estoit  de  moult  fin  or  *,  là  où  son 
nom  estoit  escript,  et  H  manda  que  par  son  anel  respousoit-il 
le  roy  '  ;  que  il  vouloit  que  dès  lors  en  feossent  avant  tout  on. 
Entre  les  autres  joiaus  que  il  envoia  au  roy,  li  envoi  vm  oliphant 
de  cristal  moult  bien  ait,  et  une  beste  que  Fen  appelleon|/Zè  \ 
de  eristal ,  aussi  peint  de  diverses  manières  de  cristal,  et  jeuz. 
de  tables  et  de  eschez  ;  et  toutes  ces  choses  estoient  fleuretées 
de  ambre,  et  estoit  Tambre  lié  sur  le  cristal  à  bêles  vignetes 
de  bon  or  fin.  Et  sachiez  que  sitost  conmie  les  messages  ou* 
vrirent  leur  escrins  là  où  ces  choses  estoient,  il  sembla  que 
toute  la  chancre  f^st  embausmé,  si  souef  fléroient  '. 

Le  roy  renvoya  ces  messages  au  Yiel,  et  li  renvoia  grant  foi- 
son de  joiaus,  escarlates,  coupes  d'or  et  frains  d'argent;  et , 
avec  les  messages,  y  envoia  frère  Yves  le  Breton,  qui  savoit  le 
sarrazinnois.  Et  trouva  que  le  Vieil  de  la  Montsôngne  ne  créoit 
pas  en  Mahommet,  aincois  créoit  en  la  loy  de  Haali,qut  iu  on- 
de Mahommet.  Ce  Haali  mist  Mahommet  en  l'onneur  là  où  il 
fu  ;  et  quant  Mahommet  se  fu  mis  en  la  seigneurie  du  peuple, 
si  disputa  son  oncle,  et  l'esloigna  de  li  ;  et  Haali,  quant  il  vit 
ce,  si  trait  à  li  du  peuple  ce  que  il  pot  avoir,  et  leur  aprist  une 
autre  créance  que  à  Mahommet  n'avoit  enseignée  <  :  dont  en- 
core il  est  ainsi ,  que  touz  ceulz  qui  croient  en  la  loy  Haali, 
dient  que  ceulz  qui  croient  en  la  loi  Mahommet  sont  mesa*éant  ; 
et  aussi  touz  ceulz  qui  croient  en  la  loy  Mahommet ,  dient 
que  tout  ceulz  qui  croient  en  la  loy  Haali  sont  mescréant. 

L'im  des  poins  de  la  loy  Haali  est  que  quant  un  homme  se 
fait  tuer  pour  faire  le  commandemsoit  son  sdgneur,  que  l'ame 


<  RespoHSint'il  :  il  épousait.  —  >  // 
faut  peut-être  lire  :  Qae  l'on  appelle 
giraffé.  Dans  rédttion  de  da  Caoge 
il  n'est  pas  question  d'orajle  ni  de 
(firajfe;  mais  de  HSj/ures  eTAornifie*  de 


dlwrses  façons  de  tristaii  etc.  — • 
3  Tant  Todear  en  était  agréable.  — 
*  Que  le  peuple  n'avait  pas  apprise 
avec  Mahomet ,  à  moins  que  l'on  «6 
préfère  lire  que  )i,  etc. 


*  Cet  anneau  servait  de  soean.  Voyez  sur  les  scea<ix  orieniaax  dç  celte 
époque,  les  Monuments  arabes ,  persans  et  turcs  du  duc  de  Blacas ,  t.  Il, 
]),  6,  cl  sur  celui  du  Vieux  de  la  Montagne  la  note  2  de  la  même  page. 


DB  SAINT  LOUIS. 


139 


de  li  en  va  œ  plus  aisié  <  cors  qu'elle  n'estoit  devant  ;  et  pour 
ce  ne  font  force  li  Assacis  d'eulz  fidre  tuer  >,  quant  leur  seigneur 
leur  commande,  pour  ce  que  il  croi^t  que  il  seront  assez  plus 
aise  quant  il  seront  mors,  que  il  n'estoient  devant. 

L'autre  point  si  est  tel,  que  il  ne  croient  que  nulz  ne  peut 
mourir  que  jeusques  au  jour  que  il  ii  est  jugé  ;  et  ce  ne  doit  nulz 
croire,  car  Dieu  a  pooir  d'alongier  nos  vies  et  d'acourdr.  Et 
en  cesti  point  croient  les  Bëduyns,  et  pour  ce  ne  se  weulent 
armer  qwmt  ils  Yount  es  batailles  ;  car  il  cuideroient  faire 
contre  le  comm^demant  de  leur  loy.  Et  quant  il  maudient 
leurs  enfims,  si  leur  dient  ainsi  :  «  Maudit  soies-tu  comme  le 
Franc,  qui  s'arme  pour  poour  de  mort!  * 

Frère  Tves  trouva  un  livre  auchevès  du  lit  au  Vieil,  là  où  il 
avoit  escript  plusieurs  paroles  que  Nostre-Seigneur  dît  à  saint 
Père,  quant  il  aloit  par  terre'.  Et  frère  Yves  li  dit  :  «  Ha  !  pour 
Dieu,  sire,  lisiés  souvent  ce  livre;  car  ce  sont  trop  bones  pa- 
rôles.  »  Et  il  dit  que  si  faisoit>-il  :  «  Car  j'ai  moult  chier  monsei- 
gneur saint  Père  ;  car,  en  rencommencement  du  monde,  Tame 
de  Abel,  quant  il  fii  tué,  vint  ou  cors  de  ]Noë  ;  et  quant  Noë 
fu  mort,  si  revint  ou  cors  de  Habraham  ;  et  du  cors  Habra- 
ham,  quant  il  morut,  vint  ou  cors  saint  Pierre  quant  Dieu  vint 
en  terre.  »  Quant  frère  Yves  oy  ce,  il  li  moustra  que  sa  cré- 
ance n'estoit  pas  bonne,  et  li  enseigna  moult  de  bones  paroles  ; 
mes  il  ne  le  volt  croire.  Et  ces  choses  moustra  frère  Yves  au 
roy,  quant  il  fu  rev^uànous.  Quant  le  Yiex  chevauchoit,  il 
avoit  un  crieur  devant  li  qui  portoit  une  hache  danoise  à  lonc 
manche  tout  couvert  d'argent^  à  tout  plein  de  coutiaus  férus  ou 
manche  4,  et  crioit  :  «  Toumés-vous'  de  devant  celi  qui  porte 
la  mort  des  roys  entre  ses  mains.  » 

Je  vous  avoie  oublié  à  dire  la  responseque  le  roy  fist  au  sou- 
danc  de  Damas,  qui  fu  tele,  que  il  n'avoit  conseil  d*aler  à  li, 


'  jtitié  :  heureux.  —  ^  Et  pour  cela 
les  ABBassins  n'hésitent  point  à  se 
fair»  tuer.  —  3  a  saint  Pierre,  quand 


il  était  sur  la  terre.  —  ^  Le  manche 
plein  de  couteaux  aiguisés.  —  ^  lit' 
tournea-TOttS. 


140 


HISTOlBB 


jusques  à  tant  que  il  soeut  se  les  amiraus  de  TÉgypte  ii  acorde- 
roient  sa  trêve  qae  il  avoieat  rompue ,  et  il  en  envoieroit  à 
eulz  ;  et,  se  il  ne  vouloient  adrecier  *  la  trè?e  que  il  li  avoient 
rompue,  il  li  aideroit  à  voiger  volentier^*  de  son  cousin  le 
soudanc  de  Babiloine,  que  il  li  avoient  tué. 

Tandis  que  le  roy  estoit  en  Acre,  il  envoya  monseigneur  Je^ 
hande  Valendennes  en  Egypte,  lequeJ  requist  aus  amiraus 
que  les  outrages  que  il  avoient  faiz  au  roy  et  les  doumages,  que 
il  les  rendiss^t  ^.  £t  il  li  distrent  que  si  feroient-il  moult  vo- 
Jentiers,  mes  que  le  roy  se  vousist  alier  à  eulz  contre  le  sou- 
danc de  Daâias.  Monseigneur  Jehan  de  Yalenciennes  'i  les  ^ 
blasma  moult  des  grans  outrages  que  il  avoient  faiz  au  roy,  qui 
sont  devant  nommez  ;  et  leur  loa  que  bon  seroit  que  pour  le 
ciier  le  roy  adébonnairir  ^  devers  eulz,  que  il  U  envolassent  touz 
les  chevaliers  que  il  tenoient  en  prison.  Et  il  si  firent;  et  d'à* 
boundant  li  envolèrent  tous  les  os  le  conte  Gautier  de  Brienne, 
pour  mettre  en  terre  benoîte  ^.  Quant  monseigneur  Jehan  de 
Valendennes  fu  revenu  en  Acreàtout  7  deux  cens  chevaliers  que  il 
ramena  de  prison,  sanz  Tautre  peuple,  madame  de  Soiette% 
qui  estoit  cousine  le  conte  Gautier  et  seur  monseigneur  Gau- 
tier  sei^eur  de  Emel,  cui  fille  Jehan,  sire  de  Joiaville,  prist  puis 
à  femme  ^  que  il  revint  d'outre-mer;  laquelle  dame  de  Soiette 
prist  les  os  au  conte  Gautier  et  les  fist  ensevelir  à  TOspital  en 
Acre.  £t  fist  faire  le  servise  en  tel  manière,  que  chascun  che- 
valier offiri  un  cierge  et  denier  d'argent,  et  le  roy  o^i  un  cierge 
et  un  besant,  tout  des  deniers  madame  de  Soiette.  Dont  Ten  se 
merveilla  moult  quant  le  roy  fist  ce  ,  car  l'en  n'avoit  onques 
veu  offrir  que  de  ses  deniers  ;  mez  il  le  fist  par  sa  courtoisie. 


«  Jdreeier  :  rétablir.  —  '  Suppléez  : 
Ift  mort.  —3  Qu'ils  les  réparassent.  — 
*  ÉditioQ  de  do  Gange  :  Jghan  de  f^tU- 
kmee;  mais  cette  leçon  est  faatiTe.  — 


'  Adébonnairir  :  rendre  bon.  —  *  Be- 
noite  :  bénite.  •—  '  ^  tovi  :  avec. 
—  *  Que  Jean,  sire  de  Joinville, 
épousa  depais,  ete. 


*  Marguerite  de  Resnel,  princesse  de  Sa^eUe  ou  Sidon,  nièce  de  Jean 
de  Brienne  1^  roi  de  Jérusalem ,  puis  empereur  de  Constantinople.  D'après 
les  Assises  de  Jérusalem ,  cette  princesse  avait  le  droit  de  battre  monnaie. 


DE  SAINT  LOUIS.  t4t 

Entre  les  chevaliers  que  monseigneur  Jehan  de  Valenciennes 
ramena,  je  en  y  trouvai  bien  quarante  de  la  cour  de  Champain- 
gne.  Je  leur  fiz  tailler  cotes  et  hargaus  de  vert  ',  et  lès  menai  de- 
vant le  roy^  et  li  priai  que  il  vousist  tantfèreque  ildemourassent 
avec  li.  Le  roy  oy  que  il  demandoient  *,  et  il  se  tut.  £t  un  che- 
valier de  son  conseil  dit  que  je  ne  fesoie  pas  bien  quant  je 
aportoie  tiex  neuvelles  au  roy,  là  où  il  avoit  bien-  sept  niil 
livrées  d'outrage  3.  Et  je  11  dis  que  par  mal  avanture  en  peust-il 
parler,  et  que  entre  nous  de  Campaingne  avions  bien  perdu 
trente-cinq  chevaliers,  touz  banière  portans,  de  la  cort  de  Cham- 
paingne;  et  jedis:  «  Le  roy  ne  fera  pas  bien,  se  il  vous  en  croit, 
au  besoing  que  il  a  de  chevaliers.  »  Après  celle  parole  je  com- 
mensal moult  forment  à  plorer  ;  et  le  roy  me  dit  que.  je  me 
teusse,  etilleurdonrroitquantque  ^  je  li  avois  demandé.  Le  roy 
les  receut  tout  aussi  comme  je  voz  ^,  et  les  mist  en  ma  bataille . 

Le  roy  respondi  [aux  messagiers  d'Égipte*]  que  ii  ne  feroit 
nulle  trêves  à  eulz ,  se  il  ne  li  envoioit  toutes  les  testes  des 
Grestiens  qui  pendoient  autour  les  murs  d'Acre  **^  dès  le  tens 
que  le  conte  de  Bar  et  le  conte  de  Monfort  ftirent  prins;  et  se 
il  ne  li  envoioient  touz  les  enfants  qui  avoient  esté  prins  petis 
et  estoient  renoiés ,  et  se  il  ne  li  quitoient  les  deux  cens  mil 
livres  que  il  leur  devoit  encore.  Avec  les  messages  aus  ami- 

*  Hargaus  de  vert  TtnnoU  tonnés  1   >  De  trop,    d'excédent.    —   *  Quant 
de  Tair.«—' Ce  qu'ils  deraftiidAient.—  1  que  :  tout  ce  que,  — -  &  f'tu  :.youIu& 

*  Les  mots  entre  crochets  nous  sont  fournis  par  le  manuscrit  de  Lucques. 
**  Le  manoBcrit  de  Lucques  T^rie du-Kaire,  rédition  de  P.  de  Rieux.d» 

Quahere  ;  celles. de  Ménard  et  de  du  Cangei  du  Quassere.  U  y  a  évidem.- 
ment  dans  le  texte  que  nous  suivons ,  une  faute  de  copiste.  Les  têtes  des 
Francs  ne  pouTaient  pas  être  exposées  autour  des  murs  d'Acre ,  puisque 
cette  ville  était  alors  au  pouvoir  des  Chrétiens,  Il  faut  donc  substituer  à 
ce  nom  celui  du  Grand-Caire,  sur  les  murs  duquel,  selon  Makrizi,  les  têtes 
des  Chrétiens  pris  avec  le  comte  de  Bar,  en  1239,  et  le  comte  de  Hontfori» 
à  la  bataille  de  Gaza»  en  1244,  et  à  celle  de  Mansoarah,  furent  exposées , 
chacune  au  bout  d'une  lance.  Le  manuscrit  de  Lucques  ne  dit  rien  de  cette 
demande  de  saint  Louis. 


143  HiSTOiar 

i^us  d'Egypte,  envoya  le  roy  monseigneur  Jehan  de  Yalen- 
dennes ,  vaillant  home  et  sage» 

A  rentrée  de  quaresme  s'atira  le  roy  à  tout  ce  que  il  ot  de 
gent  pour  aler  fermer  '  Sézaire  %  que  les  Sarrazins  avoient 
abatue,  qui  estoità  douze  lieues  par  devers  Jérusalem.  Mon- 
seigneur Raoul  de  Soissons,  qui  estoit  demoré  en  Acre  malade, 
fu  ayec  le  roy  fermer  Césaire.  Je  ne  sai  comnient  ce  fu ,  ne 
mez  que  par  la  volenté  de  Dieu,  cpie  onques  ne  nous  &rent  nul 
doumage  toute  Tannée.  Tandis  que  le  roy  fermoit  Césaire, 
nous  revindrent  les  messagiers  des  Tartarins  *,  et  les  nouvelles 
que  il  nous  aportèrent  vous  dirons-nous. 

Aussi  comme  je  vous  diz  devant,  tandis  que  le  roy  séjor- 
noit  en  Cjrpre,  vinckent  les  messages  de  Tartarins  à  li,  et  li 
firent  entendre  que  il  li  aideroient  à  conquerre  le  royaume  de 
Jérusalem  sur  les  Sarrazins»  Le  roy  leur  renvoia  ses  messa- 
ges, et  par  ses  messages  que  il  leur  envola,  leur  envoia  une 
chapelle  que  il  leur  fist  faire  d'escariate.  Et  pour  eulz  atraire 
à  nostre  cr^mce ,  M  leur  fist  entailler  '  en  la  chapelle  toute 
nostre  créance,  Tannonciatton  de  Tangre  ^^  la  nativité,  le  baup- 
tesme  dont  0ieu  fu  baptizié ,  et  toute  la  passion  et  l'ascension 
et  l'avènement  du  Saint-Esprit  ;  calices,  Uvres  et  tout  ce  que  il 
convînt  ^  à  messe  chanter,  et  deux  frères  preescheurs  **  pour 
chanter  les  messes  devant  eulz.  Les  messagers  le  roy  arivèrent 
au  port  d'Anthioche  ;  et  dès  Anthioche  jusques  à  leur  grant 
roy  trouvèrent  bien  un  an  d'aleure^,  à  chevaucher  dix  lieues  le 
jour.  Toute  la  terre  trouvèrent  subjette  à  eulz ,  et  pluseurs  ci-* 
tez  que  il  avoient  destruites ,  et  grans  monciaus  d'os  de  gens 
mors.  Il  eoipiistrent  comment  il  estoient  venus  en  telle  aucto* 
rite,  par  quoy  il  avoient  tant  de  g^is  mors  et  confondus  ?';  et 

^  Fermer  :  fortifier.  — *  Césarè*  de  f  d'itofRes  rapportés.  — *  Jngrê  :  angr» 
Palettine. — *  A»f oiMer  ;  repréeeater  1  —  &  CovHni  t  «ooTiiit,  fiillut.  — 
par  aM»nciati<m,  par  des  morceaux  I  <'.rtfleiire  :  marche.^' Tués  et  détruit*. 

*  JoinvUie  vent  sans  doute  parler  des  meseagets  chrétiens  envoyés  pat 
saint  Lonis. 


** 


André  de  Longjumeau  et  son  compagnon. 


DE  SAINT  LOUIS.  143 

la  manière  fa  tde  aussi  comme  il  le  raportèreut  au  roy  :  que  il 
[  estoient  *]  venu  et  concréé  d'une  grande  berne  '  de  sablon , 
là  où  il  ne  croissoit  nul  bien.  Celle  berrie  commensoit  à  unes 
très-grans  roches  merveilleuses ,  qui  sont  en  la  fin  du  monde 
devers  Orient,  lesquiex  roches  nulz  bons  ne  passa  onques,  si 
comme  les  Tartarins  le  tesmoingnent  ;  et  disoient  que  léans  * 
estoit  enclos  le  peuple  Got  etMargoth  **^  qui  doivent  venir  en 
la  fin  du  monde ,  quant  Antecrist  v^idra  pour  destruire.  En 
celle  berrie  estoit  le  peuple  des  Tartarins  j  et  estoient  subjet 
à  prestre  Jehan  ***  et  à  Tempereour  de  Perce  **** ,  cui  terre 
venoit  après  la  seue  3,  et  à  pluseurs  autres  roys  mescréans ,  h 
qui  il  rendoient  tréu^  et  servage  chascun  an  pour  reson  du  pas- 
turage  de  leurs  bestes;  car  il  ne  vivoient  d'autre  chose.  Ce 
prestre  Jehan  et  l'empereur  de  Perce  et  les  autres  roys  tenoient 
en  tel  despit  les  Tartarins ,  que  quant  il  leur  aportoient  leur 
l'entes,  il  ne  les  vouloient  recevoir  devant  eulz ,  ains  leur  tour- 
noient le  dos.  Entre  ^zoutun  sage  home ,  qui  cercha  ^  toutes 
les  berries  ;  et  parla  aux  sages  hommes  des  benries  et  des  liex  \  et 
leur  moustra  le  servage  là  où  il  estoient ,  et  leur  pria  à  touz  que 
il  missent  conseil  comment  il  ississent  7  du  servage  là  où  il  ^ 
les  tenoit.  Tant  fist  que  il  les  assembla  larestouz  au  chief  9.de 
la  berrie,  endroit  '°  la  terre  prestre  Jehan,  et  leur  moustra  ces 
choses  ;  et  il  li  respondirent  que  il  devisast  ",  et  il  le  feroient. 

'  IsHsseni  :  sortiuent.  — *  Le  prêtre 
Jean.  — ^  Au  ehief  :  an  bout.  •— 
»•  Endroit  :  TLs-à-via.  —  '  «  nevUast  : 
parlât,  ordonnât. 

*  Ce  mot  mancpie  dans  le  mannscrit  2016. 

**  Il  s'agit  ici  de  Gog  et  Magog,  doct  il  est  parlé  dans  la  Bible,  dans  les 
yen  sybillins ,  dam  Tinoent  de  Beauvaifl ,  Marco  Polo  »  etc. 

***  On  désignait  par  ce  nom  an  prinoe  asiatique,  professant  le  christianisme 
et  rbéresie  de  Nestorius  ;  il  fut  vaincu  et  détrôné  par  Gengift-Kban. 

****  paf  cet  empereor  de  Perse  il  faut  entendre  le  roi  du  Kbarism,  Mo- 
hammed, et  son  fils  DJélakeddin  Mankbemi ,  qoi  lui  succéda ,  tous  dsux 
vaincus  et  renversés  par  Gengi^-Khan.  Chassés  de  leur  pays,  lesKharismins 
ou  Gorasrains  s'avancèrent  dans  la  Syrie ,  et,  comme  nous  le  verrous  plus 
tard ,  unis  avec  le  sultan  d'Egypte,  ils  remportèrent  une  grande  victoii^ 
sur  les  Chrétiens. 


'  Berrie  :  plaine.  —  '  Leans  :  là- 
dedans.  — ^  Dont  la  terre  yenait  après  la 
aienne.  — *  Tréu  !  tribut.  —  ^  Cereha  : 
fouilla,  pareonrat,  >—  *  Lie»  :  lieux.  — 


144  HISTOTBB 

£t  il  dit  ainsi ,  que  il  n'avoient  (kooir  de  esploitier  %  se  il  n'a- 
voient  un  roy  et  un  seigneur  sur  eulz  ;  et  il  leur  enseigna  la 
manière  comment  il  auroient  roi ,  et  il  le  creurent.  Et  la  ma- 
nière fn  tele,  que  de  cinquante-deux*  généradons  >  que  il  y 
avoit,  chascune  généracion  li  aportast  une  saiete  ^  qui  feussent 
sdgnées  de  leurs  nous  ;  et  par  Tacort  de  tout  le  peuple  fu  ainsi 
dcordé  que  l'en  metroit  ces  cinquante-deux  devant  un  enfant 
de  cinc  anz;  et  celle  que  Tenfant  prenroit  premier,  de  celle 
généracion  feroit  l'en  roy.  Quant  l'enfant  ot  levée  une  des  see- 
tes,  le  sagehons  fist  traire  arière  toutes  les  autres  généracions; 
et  fu  establi  en  tel  manière ,  que  la  généracion  dont  l'on  devoit 
faire  roy,  esliroient  entre  leur  4  cinquante-deux  des  plus  sages 
hommes  et  des  meilleurs  que  il  auroient.  Quant  il  furent  es* 
leus,  chascuns  y  porta  une  saiete  seignée  de  son  non  :  lors  fu 
àcordé  que  la  saiete  que  l'enfant  lèveroit,  de  celle  feroitl'en 
roy.  Et  l'enfant  en  leva  une  ** ,  et  le  peuple  en  furent  si  lié  ^ 
que  chascun  en  fist  grant  joie.  Il  les  fist  taire,  et  leur  dit  : 
«  Seigneurs ,  se  vous  voulez  que  je  soie  vostre  roy ,  vous  me 
jurerez  par  Geli  qui  a  fait  le  ciel  et  la  terre,  que  vous  tendres 
mes  commandemans.  »  Et  il  le  jurèrent. 

Les  establissemens***  que  il  leur  donna,  ce  fu  pour  tenir  le 
peule^  en  paiiL  ;  et  furent  tel ,  que  nul  n'i  ravist  autrui  chose  7 , 

>  Esploitier  :  réouir.  —  *  Généra-  1   *  Peule  :  peuple.  —  i  Autrui  chose  : 
ciOM  :  tribos.  —  ^    Saiete  :  flèche.  )   chose  d'autrni. 
—  *  Leur  :  eux.  — *  Lié  :  joyeux,  —  1 

*  Le  mannscrit  20f  6  ne  porte  qae  cinqiumte  :  ce  qui  ne  B*accorde  pas  ayec 
la  suite  du  récit. 

**  L'édition  de  da  Gange  porte  :  <  Et  par  sert  arriva  que  l'enfant  leva  la 
saje  tte  d'icely  saige  omme  qui  ainsy  les  avoit  enseignez.  »  Cette  addition  semble 
nécessaire  pour  donner  an  récit  de  JoinviUe  la  liaison  et  la  clarté  qu'il 
laisse  à  désirer  dans  les  manuscrits. 

***  L'auteur  vient  de  raconter,  à  ce  qu'il  semble,  l'élévation  de  Gengis- 
Rhan  au  trône.  Voyez  sur  l'histoire  de  ce  prince  et  sur  ses  établissements 
appelés  Yassa  ou  Yaça,  le  mémoire  de  Langlès  sur  un  manuscrit  persan 
de  la  Bibliothèque  impériale ,  dans  les  Notices  et  extraite  des  manus* 
«rits,  etc.,  tom.  V,  pag.  192-229. 


DE  SAINT  LOUIS.  U5 

ne  que  l'un  ne  férist  l'autre ,  se  il  ne  vouloit  te  poing  perdre 
ne  que  uuIe  n'eust  compaingnie  à  autrui  femme  ne  à  autrui 
fille ,  se  il  ne  vouloit  perdre  le  poing  ou  la  vie.  Moult  d'autres 
bons  establissemens  leur  donna  pour  pez  avoir. 

Après  ce  que  il  les  ot  ordenez  et  aréez ,  il  leur  dit  :  «  Sei- 
gneurs, le  plus  fort  ennemi  que  nous  aions,  c'est  prestre 
Jehan.  £t  je  vous  commant  que  vous  soies  demain  touz  appa- 
reillez pour  li  courre  sus  ;  et  se  il  est  ainsi  que  il  nous  descon- 
fise (  dont  Dieu  nous  gart  !  ),  face  chascun  le  miex  que  il  porra. 
£t^  nous  le  desconfisons ,  je  commant  que  la  chose  dure  troiz 
jours  et  troiz  nuis ,  et  que  nulz  ne  soit  si  hardi  que  il  mette 
main  à  nul  gaaing  ' ,  mes  que  à  gens  occire  ;  car  après  ce  que 
nous  aurons  eu  victoire^  je  vous  départirai  *  le  gaing  si  bien  et 
si  loialement ,  que  chascun  s'en  tendra  âpaié  3.  »  A  ceste  chose 
il  s'accordèrent  touz. 

Lendemain  coururent  sus  leur  ennemis,  et,  ainsi  c^mme 
Dieu  vont ,  les  desconfirent.  Touz  ceulz  que  il  trouvèrent  en 
arnoies  deff^dable8^,occistrenttouz;  et  ceulz  que  il  trouvèrent 
en  abit  de  religi(m ,  les  prestres  et  les  autres  religions ,  n'occis- 
trent  pas.  L'autre  peuple  de  la  terre  prestre  Jehan^  qui  ne  fu- 
rent pas  en  la  bataille ,  je  mistirent  touz  en  leur  subjection. 

L'un  des^^rmces.  de  l'un  desqpéuples^  devant  nommé,  fu    pj'  i- 
bien  perdu  troiz  moys ,  que  onques  l'en  n'en  sot  nouvelles  ;  et 
quant  il  revint,  il  n'ot  ne  fain  ne  soif,  que  il  ne  cuidoit^  avoir 
domouré  que  un  soir  au  plus.  Les  nouvelles  que  il  en  raportè- 
rent  furent  tdes,  que  \V*  avoit  trouvé  un  trop  haut  tertre, 

•  Gaaing  :  gain. — ^Départirai:  I  — *  Deffendables  :  de  défense, — *Cui' 
Distribuerai.  — *  S'en  tiendra  satisfait.   I   doit  :  pensait. 

*  Le  mannscrit  que  nous  suivons  parait  ici  fautif  :  aussi  n'avons-nous 
point  balancé  à  transposer  les  mots  princes  et  peuples,  tout  en  regrettant  de 
n'y  être  pas  autorisé  par  le  manuscrit  de  Lucques,  défectueux  en  cet  en- 
droit 

**  Le  premier  il  se  rapporte  aux  messagers  de  saint  Louis ,  et  le  second 
au  prince  tartare.  Le  conte  rapporté  ici  se  retrouve  dans  le  Bonum  uni- 
verselle de  Apibus  de  Thomas  de  Gantimpré,  liv.  II,  chap.  liy  ,  n"  14. 

BIST.  DE  SAINT  LOTUS.  j3 


146 


HISTOIRE 


et  là-sus  avoient  trouvé  les  plus  bêles  gens  que  il  eussent  on- 
ques  veues,  les  miex  vestus,  les  nûex  parés  ;  et  ou  bout  du  tertre 
vit  seoir  un  roy  *  plus  bel  des  autres  ' ,  miex  vestu  et  miex 
paré ,  en  un  thrône  d'or.  A  sa  dextre  séoient  six  roys  couron- 
nez, bien  parez  à*  pierres  précieuses,  et  à  senestre^^autant. 
Près  de  H ,  à  sa  destre  main  avoit  une  royne  agenoillée ,  qui  H 
disoit  et  prioit  que  il  pensast  de  son  peuple.  A  sa  senestre 
avojt  un  moult  bel  home,  qui  avoit  deux  èlez i  resplendissans 
aussi  comme  le  soUeil  ;  et  entour  le  roy  avoit  grant  foison  de 
bêles  gens  à  èlez.  Le  roy  appela  celi  prince,  et  li  dit  :  «  Tu  es 
venu  de  Fost  des  Tartarins.  »  Et  il  respondi  :  «  Sire ,  ce  sui 
mon^.  »  —  «  Tu  en  iras  à  H,  et  li  diras  que  tu  m'as  veu,  qui 
sui  Sire  du  ciel  et  de  la  terre  ;  et  li  diras  que  il  me  rende  grâces 
de  la  victoire  que  je  li  ai  donnée  sur  prestre  Jehan  et  sur  sa 
gent.  Et  li  diras  encore,  de  par  moy ,  que  je  li  donne  poissance 
de  mettre  en  sa  subjectîon  toute  la  terre.  »  —  «  Sire,  fist  le 
prince ,  comment  me  croira-t-H  ?  »  —  «  Tu  li  diras  que  il  te 
croie,  à  teles  enseignes  que  tu  iras  combattre  à  l'empereur  de 
Perse ,  qui  se  combatra  à  toy  à  tout  troiz  cens  mille  hommes  et 
plus  à  armes.  Avant  que  tu  voises<>  combatre  à  li ,  tu  requer- 
ras à  vostre  roy  **  que  il  te  doint  les  provaires  7  et  les  gens  de 
religion  que  il  a  pris  en  la  bataille  ;  et  ce  que  ceulz  te  tesmoin» 
gneront,  tu  croiras  femement  et  tout  ton  peuple.  »  —  «  Sire, 
list-il ,  je  ne  m'en  saurai  aler,  se  tu  ne  me  £aiz  conduire.  » 
Et  le  roy  se  tourna  devers  grant  foison  de  chevaliers ,  si  bien 
armez  que  c'estoit  merveille  du  regarder  ;  et  appela,  et  dit  : 
«  George ,  vient  çà.  »  Et  cil  i  vint  et  s'agenoilla.  Et  le  roy  li 
dit  :  «  Liève  sus,  et  me  meinne  cesti  à  la  herberje  sauvé- 


■  Pins  beau  qaeles  antres.  —  ^  J  : 
ayee.  —  '  Sene$ir0  :  ganeh».  —  *  Elez  : 
ailes,  -~  *i*ea  saie  irenn  en  rérité,  ■— 


•    roises 
prêtres. 


ailles.  —  '   Provaires 


*  Selon  toute  apparence,  ce  roi  n'étoit  autre  que  Dieu  lui-même,  de 
qui  Gengis-Khan  disait  avoir  reçu  l'annonce  de  ses  futures  conquête». 
^'Wx  le  mémoire  de  LanglOs,  cité  plus  haut,  pag.  197. 

^'  L'édition  de  du  Gange  porte  :  au  roy  de  Tar tarie. 


»k 


DE  SAINT  LOUIS.  147 

ment  * .  »  Et  si  fist-il  en  un  point  du  jour  '.  Sitost  conune  son 
peuple  le  virent ,  il  firent  moult  grant  joie  et  tout  Tost  aussi , 
que  nulz  ne  pourroit  raconter.  Il  demanda  les  provaires  au 
grant roy,  et  il  les  y  donna;  et  ce  prince  et  tout  son  peuple 
reçurent  leur  enseignemens  si  débonnairement,  que  il  furent 
touz  baptiziés.  Après  ces  choses  il  prist  troiz  cens  hommes  à 
armes^  et  les  fist  confesser  et  appareillier,  et  s'en  ala  combatre 
à  l'empereur  de  Perse,  et  le  desconfist  et  chassa  de  son 
royaume;  lequel  s'en  vint  fuiant  jusques  ou  royaume  de  Jéru- 
salem, et  ce  fil  ce]  empereur  qui  desconfist  nostre  gent  et  prist 
le  conte  Gautier  de  Brienne,  si  comme  vous  orrez  après. 

Le  peuple  à  ce  prince  crestien  estoit  si  grant,  que  les  mes- 
sagiers  le  roy  nous  contèrent  que  il  avolent  en  leur  ost  huit 
cens  chapelles  sus  chers^.  La  manière  de  leur  vivre  estoit  tele, 
car  il  ne  mangoient  point  de  pain,  et  vivoient  de  char^  et  de 
iet.  La  meilleur  char  que  il  aient,  c'est  de  cheval,  et  la  met- 
tmtjgâiir  en  souciz  ^  et  sédiîer  £^rès,  tant  que  il  la  trenchent 
aussi  comme  pain  noir.  Le  meilleur  bevra^  que  il  aient  et  le 
plus  fort ,  c'est  de  lait  de  jument  confist  en  herbes.  L'en  pré- 
senta au  grant  roy  des  Tartarins  un  cheval  chargé  de  farine , 
qui  esteit  venu  de  troiz  mois  d'aleure  loing^,  et  il  la  donna  aus 
messagiers  le  roy?. 

Il  (Mdt  moult  de  peuple  crestien,  qui  croient  en  la  loy  des 
Griex*,  et  ceulz  dont  nous  avons  parlé  et  d'autres.  Ceulz  en- 
voient sur  les  Sarrazins  quant  il  veulent  guerroier  à  eulz  ;  et  les 
Sarrazins  envoient  sus  les  Grestiens,  quant  il  ont  à  faire  à 
euUs.  Toutes  manières  de  femmies  qui  n'ont  enfans,  vont 
«n  la  bataille  avec  eulz;  aussi  bien  donnent-il  soudées  "" 
aus  fenunes  conune  aus  hommes,  selonc  ce  que  elles  sont  plus 


t  StnmimeiU  :    en  s&rcté,   sain  et 

Miaf.  —  )  Bn  an  initant.  —  'Sar  det 

chars.  —  '  Char  :  cbair,  viande.  —  ^  Je 

J  ne  conprenda  pas  ee  mot.  On  a  pro- 

Spnaé  de  lire  sous  Uz  ,  sons   eni. 


*  Après  trois  mois  de  voyage.  —  ^  Le  ;  (   soldes. 


do.  —  *  Des  Grecs  nestoriens.  ->  '  Us 
envoient  cenx-là  (les  Chrétiens) 
contre  les  Sarrasins  quand  ils  venlent 
gnerroyer  contre  eux ,  et  les  Sarrasins 
contre  les  Chrétiens,  etc  —  **  Soudées , 


^    V/ .; 


'^  /  /  ^  /f,.    ^^/^..      /- 


148 


HISTOIRE 


viguereuses.  Et  contèrent  les  messages  le  roy  que  les  soadaicns  ' 
et  les  soudaieres  manjuent  ensemble  es  hostiex  >  des  riches 
hommes  à  qui  il  estoient  ;  et  n'osoîent  les  hommes  toucher 
aus  femmes  en  nulle  manière ,  pour  la  loy  que  leur  premier 
roy  leur  avoit  donnée.  Toutes  manières  de  chars  il  menèrent 
en  leur  ost.  Il  manjuent  tout.  Les  femmes  qui  ont  leur  enSama 
[les  ^  ]  convoient^ ,  les  gardent ,  et  atoument  ^  la  viande  à  ceux 
qui  vont  en  la  bataille.  Les  chars  crues  il  mettent  entre  leur 
celles  et  leur  paniaus^ ,  quant  le  sanc  en  est  bien  hors;  si  la 
manjuent  toute  crue.  Ce  que  il  ne  peuent  manger  jètent  en  un 
sac  de  cuir  ;  et  quant  il  ont  fain ,  si  oevrent  le  sac  y  et  man- 
guent  touzjours  la  plus  viex  devant  7  :  dont  je  vi  un  Coramyn  * 
qui  fu  des  gens  Tempereour  de  Perse,  qui  nous  gardoit  en  la 
prison,  que  quant  il  ouvroit  son  sac  nous  nous  bouchions 9, 
que  nous  ne  povions  durer,  pour  la  puneisie  '**  qui  issoit 
du  sac. 

Or  revenons  à  nostre  matière  et  disons  ainsi,  que  quant  le 
grant  roy  des  Tartarins  ot  receu  les  messages  et  les  présens,  H 
envoia  querre'par  asseurement"  pluseurs  roys  qui  n'estoient 
pas  encore  venus  à  sa  merci ,  et  leur  fist  tendre  la  chapelle ,  et 
leur  dit  en  tel  manière  :  «  Seigneurs,  le  roy  de  France  est  venu 
en  nostre  sujestion,  et  vezci  le  tréu  '*  que  il  nous  envoie;  et  se 
vous  ne  venez  en  nostre  merci ,  nous  Fenvoierons  querre  pour 
vous  confondre.  »  Assés  en  y  ot  de  ceulz  qui,  pour  la  poour 
du  roy  de  France,  se  mistrent  en  la  merci  de  celi  roy. 

Avec  les  messages  le  roy  vindrent'^  ;  si  leur  aportèrent  let- 
tres de  leur  grant  roy  au  roy  de  France ,  qui  disoient  ainsi  : 
^  Bone  chose  est  de  pez  ;  quar  &i  terre  de  pez  manjuent  cil 
qui  vont  à  quatre  piez,  Terbe  pesiblement.  Ol  qui  vont  h  deus. 


'  Soxidaiers.  :  soldats.  — ^  Hostiex  : 
bôtels ,  logis.  —  3  Ce  mot  manque  aa 
manascrit  2016.  —  *  Convoient  : 
transportent.  —  &  Mournent  :  ap- 
prêtent.  —  «  Paniaus  :  couvertures 
Ue  cheval  entre  la  selle  et  l'animal.  ' 


—  '  Devant  :  avant,  d'abord.  — 
*  Coramyn  :  Corasmin. — '  Ajoutez  :  let 
narines,  —  '•  Puneisie  :  puanteur.  — 
'*  Par  asseurement  :  en  leur  donnant 
sûreté.  —  «  Tréu  :  tribut.  —  '^  Ajou. 
tez  :  seulz  d&s  Tartarins, 


DB  SAINT  LOUIS  149 

labourent  la  terre  dont  les  biens  viennent  passiblement  *.  Et 
ceste  chose  te  mandons-nous  pour  toy  aviser  ;  car  tu  ne  peus 
avoir  pez  se  tu  ne  l'as  à  nous ,  et  tel  roy  et  tel  (  et  moult  en 
nommoient)  et  touz  les  avons  mis  à  Tespée.  Si  te  mandons 
que  tu  nous  envoies  tant  de  ton  or  et  de  ton  argent.  chascuH 
an ,  que  tu  nous  retieignes  à  amis  ;  et  se  tu  ne  le  fais ,  nous 
destruirons  toy  et  ta  gent  aussi  comme  nous  avons  fait  ceulz  que 
Dous  avons  devant  nommez.  »  Et  sachiez  qu'il  se  repenti  fort 
quant  il  y  envoia  '. 

Or  revenons  à  nostre  matière ,  et  disons  ainsi,  que  tandis  que 
le  roy  fermoit  Cézaire ,  vint  eu  Tost  monseigneur  Alenars  de 
Senaingan** ,  qui  nous  conta  que  il  ayoit  fet  sa  nef  ou  réaume 
de  Nozoe*^,  qui  est  en  la  fin  du  monde  devers  Occident  ;  et 
au  venir  que  il  fist  vers  le  roy,  environna  *  toute  Espaîngne ,  et 
le  couvint  passer  par  les  destroiz  de  Marroch.  En  graut  péril 
passa  avant  qu'il  venist  à  nous.  Le  roy  le  retint,  li  dixiesme  de 
chevaliers.  Et  nous  conta  que  en  la  terre  de  INozoe  que  les  nuiz 
estoient  si  courtes  en  Testé ,  que  il  n'estoit  nulle  nuit  que  Ten 
ne  veist  la  clarté  du  jour  à  Tanuitier,  et  la  clarté  de  l'ajoui^- 
née  *^**.  Il  se  prist,  il  etsa  gent,  à  chacier  aus  lyons,  et  plu- 
seurs  em  pristrent^  moult  périlleusement  ;  car  ilaloient  trdire 
aus  lyons  en  férant  des  espérons  tant  comme  il  pooient.  Et 
quant  il  avoient  trait ,  le  lyon  mouvoit  à  eulz  ;  et  maintenant 
les  eussent  attains  et  dévorez ,  ce^  ne  feust  ce  que  il  lassoient 


Qae  le  roi  de  France  se  repentit  I  ^    Envij'onna    :    tourna.   - 
l  de  son  message  an  roi  des  Tartares.    1   prirent.  —  *  Lises  :  «e  (  tff  ). 


tourna,   -r    ^  En 
fort' 


I 

*  Dans  l'édiUon  du  Louvre  passiblement  est  traduit  par  paUihlemoat  : 
ce  serait  alors  le  même  mot  qui  est  écrit  pesihlement  dans  la  ligne  précé- 
dente. Comme  le  conjecturent  les  continuateurs  de  D.  Bouquet,  il  se  peut 
i\\\e^ssihlement  signifie  laboriensemenL 

**  On  lit  Clenard  de  Semingam,  dans  l'édition  de  4547. 
***  Ou  plutôt  Norœ,  Norwége. 

****'  L'édition  de  Ifénard  porte  quHl  n'y  avoU  nuyt  là  où  C&n  ne  veist 
bien  encores  le  jour  au  plut  tard  de  la  nuyt. 

13. 


150  HISTOIBB 

cheoÈr  aucune  piesce  de  drap  mauvsiiz.  Et  le  lyons  s'arestoit 
desus,  etdessiroit'  le  drap  et  dévoroît;  que  il  cuidoit  tenir  un 
home.  Tandis  que  il  dessiroit  ce  drap,  et  l'autre  r'aloit  traire  a 
li  f  et  le  lyou  lesaoit  le  drap  et  li  aloit  coinre  sus  ;  et  sitost 
eomme  di  lessoil  eheoir  une  pîesee  de  drap,  le  lyon  r*enten- 
doit>  au  drap ,  et  en  ce  faisant  il  occioient  les  lyons  de  leur 
saietes* 

Tandis  que  le  roy  fennoit  Gézaire,  vint  à  ti  monseigneur 
lïargoe  de  TodV  Et  disoit  le  roy  que  il  estoit  son  cousin; 
car  il  estoit  descendu  d'une  des  seurs  le  roy  Phelippe**,  que 
i*eniper^r  meisnies  ot  à  femme.  Le  roy  le  retint,  li  dixiesme  de 
chevaliers,  un  an  ;  et  lors  s'en  parti,  si  s'en  r'ala  en  Gonstan- 
tinnohle  dont  il  estoit  revenus.  U  conta  au  roy  que  l'empereur 
de  Gonstantinnoble,  U  et  les  autres  riches  bornes  qui  estoient  en 
Constantinnohle,  lors  estoient  allé  à  un  peuple  que  l'en  appel- 
loit  Cooitnaitis*** ,  pour  ce  que  il  eussent  leur  aide  eu- 

*  IHitkvit  :  déobiralt  —  *  ltênt9néDii  :  reportait  tou  ttteBtioii. 

*  P.  de  Rieox  et  Ménard  ont  imprimé  de  Covcy,  Vn  Cange  montre 
clans  une  note  qu'il  s'agit  de  Philippe  de  Toucy ,  fils  de  Naf:^t  de  Touqf. 
<t  iMile  ou  r^ent  de  l'empire  de  Gonstantinople.  durant  l'absence  de  Bau- 
doin IL  Cette  coi^ecture  de  du  Gange  est  pldaement  JustiGée  par  le  ma- 
nuscrit 3016,  dont  il  n'avait  pas  connaissance. 

**  Philippe-Auguste.  Agnès,  sœur  de  ce  monarque  épousa  en  prc- 
miéffei  noces  fempereur  de  Goostanthiople ,  Andronic.  Veuve  de  ce 
prince ,  elle  contracta  un  second  mariage  avec  un  seigneur  grec  nommé 
Branas  ou  Frana*  ;  et  leur  fille,  mariée  à  Narjot  de  Toucy ,  fut  mère  du 
seigneur  dont  parle  ici  le  sire  de  Joinvilie. 

***  Peuple  hun ,  alors  établi  dans  la  Moldavie.  Voyez ,  sur  les  Co- 
mans,  Foyage  au  mont  Caucase  et  en  Géorgie^  par  Jules  Klaproth  (  Pa- 
ris, H.  DCCC.  XXm.,  in-S»),  chai».  ^  *  tom.  1*%  pag.  85-f04;  et  Histoire 
des  Mongols,  depuis  TchinguiZ'Jirkan  jusqu'à  Timour^Bey  ou  Tamer- 
lan,  par  M.  le  baron  C.  d'Ohsson  ;  La  Haye  et  Amsterdam,  les  frères  Van 
Cleef,  1854,  in-8%  liv.  II,  chap.  ni,  tom.  II,  pag.  135-152,  181. 

Le  premier  des  savants  que  nous  venons  de  nonmer,  a  encore 
publié  un  vocabulaire  latin,  persan  et  coman,  de  la  bibliothèque  de  Prancesco 
Petrardia,  dans  ses  Mémoires  relatifs  à  l'Asie,  tom.  m  ^P^s,  M  DCCC 
XX VIII,  in-8«),  pag.  113-236. 


DE  SAINT  LOUIS.  toi 

contre  Vatache  * ,  qui  lors  estoit  empereur  des  Griex  ;  et 
pour  ce  que  l'un  aidast  Tautre  de  foy  >,  couvint  que  Tem- 
pereur  el  les  autres  riches  homes  qui  estoient  avec  li ,  se  sein- 
gnissîent  et  meisseint  de  leur  sanc  en  un  grant  hanap  >  d^ar- 
gent.  £t  le  roy  des  Ck)mmmns  et  les  autres  riches  hommes  qui 
estoient  avec  li ,  refirent  ainsi  et  menèrent  leur  sanc  avec  le 
sanc  de  nostre  gent,  et  trempèrent  en  vin  et  en  yaue,  et  en  bu- 
rent et  nostre  gent  aussi**;  et  lors  il  distrent  que  il  estoient 
frère  de  sanc. 

Encore  firent  pass^  un  chien  ^tre  nos  gens  et  la  leur,  et 
descopèrentle  chien  de  leurs  espées,  et  nostre  gent  aussi***  ;  et 
distrent  que  ainsi  feussent-ildéoopé,  se  il  fsiilloient  Tun  à  Tautre. 

Encore  nous  conta  une  grant  merveille,  tandis  que  il  estoit 
^n  leur  ost  :  que  un  riche  chevsdier  estoit  mort,  et  li  avoît  Ten 
fet  ime  grant  fosse  large  en  terre,  et  Tavoit  l'en  assis  moult 
noblement  et  paré  en  une  chaere^  ;  et  li  mist  l'en  avec  li  le 

t  ne  foy  :  de  bonne  foi,  fidèlement,   i  >  Chaere  :  chaire,  chaise. 
»-  *  Hanap  :  coape,  vase  à  boire.  —   | 

*  Jean  IhicaB  Tatace,  empereur  grec  à  Nicée  de  1222  à  1255,  rival  des 
emperetffs  français  Robert  de  Conrtenay  et  Baudouin  H. 

**  Les  éditeôrs  du  Recueil  des  Hàtoriens  des  Gnulet,  etc.,  font  à  ce 
sujet  l*obeervationaiiTante  :  c  Coutome  barihare  à  laquelle  Baudoin  se  con- 
formait, quoique  ayec  répugnance.  —  Hérodote  (liv.  IV,  cbap.  lxx)  dit 
que  les  Scythes,  pour  se  Uer  réciproquement  par  des  serments,  versent  du 
vin  dans  une  grande  coupe,  et  y  mêlent  du  sang  que  les  ooniractants  tirent 
de  leur  C(»ps  avec  la  pointe  d'une  alêne,  ou  en  se  coupant  une  petite  por* 
tion  de  chair  :  chacun  trempe  dans  la  coupe  où  ce'mélange  s'est  fait,  son 
sabre ,  ses  flècbes ,  sa  sagare  et  son  Javelot.  Après  cette  cérémonie,  qui  est 
accompagnée  de  grandes  imprécations,  ceux  qiâ  ont  fait  le  serment  boa- 
vent  le  vin  et  le  sang,  et  en  donnent  à  boire  aux  personnages  les  plus  dis- 
tingués de  leur  suite.  Celte  coutume,  que  Pomponius  Mêla  attribue  aussi 
aux  Scythes  [sauciantse  qui paciscuntuVt  exemptumque sanguinem,  uhi 
pernûecuere,  dégustant,  lib.  II,  cap.  I  ),  se  retrouve  chez  les  peuples  tartai^es. 
Elle  ne  parait  pas  d'origine  grecque  ;  car  Hérodote ,  dans  son  livre  1"', 
n**  74 ,  la  distingue  expressément  de  celles  que  ces  nations  avaient  euv 
pruntées  à  la  Grèce,  i 

***  Les  Comans  tenaient  cet  autre  usage  des  peuples  slaves. 


152  HISTOIBE 

meilleur  cheval  que  il  eust  et  le  meilleur  sergent  tout  vif.  Ije 
serjant  avant  que  il  feust  mis  ea  la  fosse  avec  son  seigneur, 
avec*  le  roy  des  Commains  et  aus  autres  riches  seigneurs , 
et  au  prenre  congié  que  il  fesoit  à  eulz,  il  li  mettoient  en  es- 
charpe'  grant  foison  d'or  et  d'argent,  et  li  disoient  :  «  Quant 
je  Y&aé  *  en  l'autre  siècle  ^ ,  si  me  rendras  ce  que  je  te  baille.  » 
£t  il  disoit  :  «  Si  ferai-je  bien  volentiets.  »  Le  grant  roy  des 
Commains  li  bailla  une  lettres  qui  aloient^  à  leur  premier  roi  ; 
que  il  li  mandoit  que  preudomme  avoit  moult  bien  vescu  et 
que  il  l'avoit  molt  bien  servi ,  et  que  il  li  guerredonnast  son 
servise^.  Quant  ce  fu  fait,  il  le  mistrent  en  la  fosse  avec  son 
seigneur  et  avec  le  cheval  tout  vif;  et  puis  lancèrent  sus  la 
fosse  planches  bien  chevillées,  et  tout  l'ost  courut  à  pierres  et 
à  terre.  Et  avant  que  il  dormissent  orent-il  fet,  en  remem- 
brance^  de  ceulz  que  il  avoient  enterré,  une  grant  montaingne 
sur  eulz. 

Tandis  que  le  roy  fermoitCézaire,  j'alai  en  sa  héberge  7  pour 
le  veoir.  Maintenant  que  il  me  vit  entrer  en  sa  chambre ,  là  où 
il  parloit  au  légat,  il  se  leva  et  me  trait  d'une  part,  et  me  dit  : 
«  Vous  savez,  fist  le  roy,  que  je  ne  vous reteing que  jusques  à 
Pasques  ;  si  vous  pri  que  vous  me  dites  que  je  vous  donra  de 
Pasques  en  un  an^.  Et  je  li  dis  que  je  ne  vouloie  que  il 
me  donnast  plus  de  ses  deniers ,  que  ce  que  il  m'avoit  donné; 
mes  je  vouloie  fere  un  autre  marché  à  li  :  «  Pour  ce^  Gs-je,  que 
vous  vous  courouciés  quant  l'en  vous  requiert  aucune  chose,  si 
weil-je  que  vous  m'aies  couvenant  que ,  se  je  vous  requier 
aucune  chose  toute  ceste  année,  que  vous  ne  vous  courrouciés 
pas  ;  et  se  vous  me  refusés ,  je  ne  me  courroucerai  pas.  »  Quant 

'  Dans  ion  èeharpe.  —  >  F'énré  :  1  berge  :  logement.  —  *  Ainsi  je  tous 
viendrai.  —  '  Siècle:  monde.  — <  Une  j  prie  de  me  dire  ce  qu'il  faadra  que 
lettre  qui  était  adressée.  —  ^  Qu'il  le  |  je  vous  donne  pour  que  tous  reeties 
récompensât  de  ses  services»  —  <  ^n  j  avec  moi^jasqu'à  Pâques  de  l'an  pro- 
temembrançe  :  en  mémoire.  —  '  ffé-  *  chain. 

*  j^vec  le  roy  doit  signifier  ici  en  présence  du  roi  des  Comainsei  des 
autres  seigneurs. 


DB  SAINT  LOUIS. 


153 


il  oj  ce,  si  eommença  à  rire  moult  clèrement ,  et  me  dit  que  il 
me  retenoit  par  tel  couvenant.  Et  me  prist  par  tel  couvenant , 
et  me  mena  par  devers  le  légat  et  vers  son  conseil ,  et  leur  re- 
corda  le  marché  que  nous  avions  fait  ;  et  en  furent  moult  lié  % 
pour  ce  que  je  estoie  le>plus  riche  qui  feust  en  Tost. 

Ci  après*  vous  dirai  comment  je  ordenai  et  atirai  mon 
aifère  en  quatre  ans  que  je  y  demourai,  puis  que  les  frères  le 
roy  en  furent  venus.  Je  avoie  deux  chapelains  avec  moy,  qui  me 
disoient  mes  hores  *  ;  Tun  me  chantoit  ma  messe  sitost  comme 
Taube  du  jour  aparoit,  et  Tautre  attendoit  tant  que  mes  che- 
valiers et  les  chevaliers  de  ma  bataille  estoient  levés.  Quant  je 
avoie  oy  ma  messe ,  je  m'en  aloie  avec  le  roy.  Quant  le  roy 
vouloit  chevaucher,  je  li  fesoie  compaingnie.  Aucune  foiz  estoit 
que  les  messages  vendent  à  11 ,  par  quoy  il  nous  couvenoit  be- 
soigner  à  la  matinée. 

Mon  lit  estoit  fait  en  mon  paveillon  en  tel  manière ,  que  nul 
ne  pooit  entrer  ens  ^ ,  que  il  ne  me  veist  gésir  en  mon  lit  ;  et  ce 
fesoie-je  pour  oster  touties  mescréances  de  femmes^.  Quant  ce 
vint  contre  la  Saint-Remy*"",  je  fesoie  acheter  ma  porcherie 
de  pors  et  ma  bergerie  de  mes  chastris  ^ ,  et  farine  et  vin  pour 
la  garnison^  de  Tostel  tout  y  ver  ;  et  ce  fesoie-je  pour  ce  que 
les  danrées  enchiérissent  en  yver,  pour  la  mer  qui  est  plus  fé- 
lonnesce?  en  yver  que  en  esté.  Et  achetoie  bien  cent  tonniaus 
de  vin,  et  fesoie  touz  jours  boire  le  meilleur  avant;  et  fesoi 
temprer  le  vin  aus  vallés  ^  d*yaue,  et  ou  vin  des  escuiers  mom 
d'yaue.  A  ma  table  servoit  l'en  devant  mes  chevaliers,  d'une 


'  Ué  :  joyeux.  —  '  Hores  :  hea. 
res.  —  '  Efu  :  dedans.  —  *  Tout  faux 
•oopçoa  de  commerce  avec  les  fem- 


mes. —  &  Chastris  :  moutoa».  — *  Car' 
tdson  :  approvisionnements.  *-  '  Félon' 
nesee  :  mauvaise.  —  *  F  aies  :  vaUeU. 


*  Cet  alinéa  et  les  deux  sutvanlB,  tous  trois  relatifs  anx  affaires  per- 
sonnelles da  sire  de  JolnvUle,  manquent  dans  les  éditions  de  P.  de  Rienx, 
de  CI.  llénard  et  de  du  Gange,  qui  ne  contioment  pas  non  pliis  les  der- 
niers  mots  de  l'alinéa  précédent ,  pour  ce  que  Je  estoie  le  plus  riche  qui 
feust  en  CosU 

**  Aux  approches  de  la  Saint-Remy»  c'est- à-dirc  du  i*'  octobre. 


154  HlStOIftB 

grant  phiole  de  vin  et  d'une  grant  phiole  d*yatie  ;  si  le  tem- 
proient  si  comme  il  Youloient. 

ÏÂ  roys  m^aroit  baillé  en  ma  bataille  cinquante  chevaliers  : 
toutes  les  foiz  que  je  mangoie ,  je  avoie  dix  chevaliers  '  à  ma 
table  avec  les  miens  dix  ;  et  mangoimt  Tun  devant  l'autre, 
selonc  la  coustume  du  pays,  et  séoient  sur  nates  à  terre.  Toutes 
les  foiz  que  l'en  crioit  ans  armes,  je  y  envoioie  cinquante^atre 
chevaliers  que  en  appeloit  tHsenierSy  pour  ce  que  il  estoient 
leur  disiesme  toutes  les  foiz  que  nous  chevauchions  armé.  Tuît 
li  cinquante  chevaliers  manjoient  en  mon  ostel  au  revenir*. 
Toutes  les  festes  années^  je  semonnoie^  touz  les  riches  hom- 
mes de  Tost;  dont  il  couvenoit  que  le  roy  empruntast  aucune 
foiz  de  ceulz  que  j'avoie  semons. 

Ci  après  orrez  les  justices  et  les  jugemens  que  je  vis  hite  à 
Gézaire,  tandis  que  le  roy  y  séjoumoit. 

Tout  premier  vous  dirons  d'un  dievalier  qui  tu  pris  au  bor- 
del, auquel  Fen  parti  un  jeu^ ,  selonc  les  usages  du  pays.  Le 
Jeu  parti  fu  tel  :  ou  que  la  ribaude  le  menroit  par  l'ost  en  che- 
mise y  ime  corde  liée  aus  géntitaires^ ,  ou  il  perdroit  son  che- 
val et  s'armeure.? ,  et  le  chaceroit  l'en  de  l'ost  Le  chevalier 
lessa  son  cheval  au  roy  et  s'armeure,  et  s'en  ala  de  l'ost.  Je  alai 
prier  an  roy  que  il  me  donnast  le  chevd  pour  un  povre  gentil- 
homme qui  estoit  en  l'ost  Et  le  roy  me  respondi  que  ceste  prière 
n'estoit  pas  rèsonnable,  que  le  cheval  valoit  encore  quatre- 
vint  livres*.  «  Gomment  m'avés-vous  les  convenances  rom- 
pues, quant  vous  vous  courouciés  de  ce  que  vous  ai  requis?  » 
Eï  il  me  dit  tout  en  riant  :  «  Dites  quant  que^  vous  vourrez, 
je  ne  me  oouxouce  pas.  »  Et  toutevoies  n'oi-je  pas  9  le  cheval 
pour  le  povre  gentilhome. 


génitoiret.  —   '  S'armeure  :  soa  ar- 
mnre.  —  *  Qiiant  gve  :  tout  ce  que. 


au  r«toar.  —  ^  Aimies  :  annaeUes. 
•—  *  SenumniHê  :  Itovitais.  —  ^  Auqaél 
«•  donaa  l'option.  «**  «  GéMimUrpt  •* 

*  On  Ut  quatre-vingts  à  cent  livres  dans  les  éditions ,  qui  a|outent  que 
ce  n'était  pas  petite  somme. 


DE  SAINT  LOUIS. 


155 


La  seconde  justice  fu  telle  ^  que  les  chevaliers  de  nostre  ba- 
taille chassoient  une  beste  sauvage  que  Ten  appelle  gazei^  qui 
est  aussi  oomme  un  chevrel.  Les  frères  de  TOspital  s'enbati- 
rent  '  sur  eulz  et  boutèrent  > ,  chacèrent  nos  chevaliers.  Et  je 
me  pleing^  au  mestre  de  l'Ospital;  et  le  mestre  de  TOspital 
me  respondi  que  il  m'en  feroit  le  droit  et  l'usage  de  la  terre 
sainte,  qui  estoit  tele  que  il  feroit  les  frères  qui  l'outrage 
avoient  faite,  manger  sur  leur  mantiaus,  tant  que  cil  les  en 
lèveroient  à  qui  l'outrage  avoit  esté  faite  *m  Le  mestre  leur  en 
tint  bien  convenant  4.  £t  quant  nous  veismes  que  il  orent  mangé 
une  piesee  ^  sur  leur  mantiaus ,  je  alai  au  mestre  et  le  trouvai 
manjant,  et  H  priai  que  il  feist  lever  les  frères  qui  manjoient 
sur  leur  mantiaus  devant  li  ;  et  les  chevaliers  aussi  ausquiex 
l'outrage  avoit  esté  faite ,  l'en  prièrent.  £t  il  me  respondi  que 
ii  n'en  feroit  nient  ^;  car  il  ne  vouloit  pas  que  les  frères  feis« 
sent  vileinnie  à  eeulz  qui  vcnroient  en  pèlerinage  en  la  terre 
sainte.  Quant  je  oy  ce ,  je  m'assis  avec  les  frères  et  commençai 
à  manger  avec  eulz,  et  li  dis  que  je  ne  me  lèveraie  tant  que 
les  frères  se  lèveroient.  Et  me  dit  que  c'estoit  force?,  et  m'o- 
troia  ma  requeste;  et  me  fist,  moy  et  mes  chevaliers  qui  es- 
toient  avec  moy,  manger  avec  li,  et  les  frères  alèrent  manger 
avec  les  autres  à  haute  table**. 

Le  tiers  jugement  que  je  vi  rendre  à  Gézaire,  si  fu  tel  :  que 
un  serjant  le  roy  qui  avoit  à  non  le  Goulu  y  mîst  mam  à  un 
chevalier  de  ma  bataille.  Je  m'en  alai  pleindre  au  roy.  Le  roy 
me  dist  que  je  m'en  pooie  bien  souffrir  y  se  li  sembloit  ^  que 
il  ne  Tavoit  fait  que  bouter.  Et  je  li  dis  que  je  ne  m'en  souf- 


*  S'enbaiirmi  :   m  jetèrent,    <~ 
t    Boutèrent  ponuèrent.      — 

*  PMnç  :  plaignie.  —  *  Cowoenant  : 
promené,  parole.  —  ^    U*«  pieseet  : 


qaelqne  temps.  —  *  JVien^  .*  niant, 
rien.  —  ?  Qne  c'était  loi  faire  yio* 
lenee.  —  *  Qne  Je  ponyaii  bien  m'en 
délister,  s'il  lai  semblait. 


*  L'édiUon  de  4547  porte  :  et  ceulx  à  qui  Voultrage  avoit  este  foMct 
i*»j  trouveroient  et  les  manteaulx  leurs  demouwewyent 

**  L'édition  de  P.  de  Rieux  ajoute  ici  :  ei  nous  laissèrent  les  man^ 
teaulx,  addition  reproduite  par  Ménard  et  du  Gange. 


loC  HISTOIRE 

fcroie  jà;  et  se  il  ne  m'en  fesoit  droit,  je  lèroie  son  servise, 
puisque  ses  serjans  bateroient  les  chevaliers.  Il  me  fist  fera 
droit ,  et  li.drois  Ai  tel  selonc  les  usages  du  pais* ,  que  le  ser- 
jant  vint  en  ma  heberje  deschaus  et  en  braies,  sanz  plus,  une 
espée  toute  nue  en  sa  main ,  et  s'agenoilla  devant  le  chevalier, 
et  li  dit  :  «  Sire ,  je  vous  amende  '  ce  que  je  mis  main  à  vous  ; 
et  vous  ai  aportée  ceste  espée  pour  ce  que  vous  me  copez  le 
poipg,  se  il  vous  plet.  »  £t  je  priai  au  chevalier  que  il  11  par- 
donnast  son  maltalent,  et  si  fist-ih 

La  quarte  amende**  fu  telle ,  que  frère  Hugne  de  Joy,  qui 
estoit  maréchal  du  Temple ,  fiit  envoie  au  soudanc  de  Damas 
de  par  le  mestre  du  Temple ,  pour  pourchacicr  '  comment  le 
soudanc  de  Damas  s'acordât  que  une  grant  terre  que  le  Temple 
soloit  tenir  3 ,  que  le  soudanc  vousit  que  le  Temple  en  eust  la 
moitié  et  il  Tautre.  Ces  couvenances  furent  faites  en  tel  ma- 
nière ,  se  11  roy  s'i  acordoit.  Et  amena  frère  Hugue  un  saurai  4 
de  par  le  soudanc  de  Damas, 'et  aporta  les  couvenances  en  es- 
cript,  que  on  appelolt  morde-foy  ^.  Le  mestre  dit  c^  choses 
au  roy  :  dont  le  roy  fu  forment  effraé^ ,  et  li  dît  que  moult 
estoit  hardi  quant  il  avoit  tenu  nulles  couv^ances  ne  paroles 
au  soudanc,  sanz  parler  à  li;  et  vouloit  le  roy  que  il  11  feust 
adrecié?.  Et  l'adrècement  fîi  tel,  que  le  roy  fist  lev»  les  pans 
de  troiz  de  ses  paveillons ,  et  là  fu  tout  le  commun  de  Tost  qui 
venir  y  volt  ;  et  là  vint  le  mestre  du  Temple  et  tout  le  couvent 
tout  deschaus  parmi  Tost,  pour  ce  que  leur  héberge  estoit  de- 
hors Tost.  Le  roy  fist  asseoir  le  mestre  du  Temple  devant  li 
et  le  message  au  soudanc ,  et  dit  le  roy  au  mestre  tout  haut  : 

'Je  voM  ftifl  réparation.  —  *  Pour-  |  —  <  Amiral  :  émir.  —  *  Monie-foy  : 
«/ka«ier .' procurer,  négocier. — >  jetait  1  authentique.  •— <>  Fortement  goiu> 
aeeotttaiiié  de  tenir  en  sa  posseuion.  |   ronce.  —^  Fait  réparation.  ^ 

*  Du  Gange  fait  observer  que  les  Assises  de  Jérusalem  ne  disent  rien 
d'un  tel  usage. 

**  Ce  quatrième  jugement  est  omis  dans  les  éditions  de  1547,  <  61 7,  < 668; 
elles  ne  le  remplacent  qo^en  disant  qu'il  fut  rendu  plusieurs  au  ires  juge- 
ments selon  les  droits  et  usages  de  là  terre  sainte. 


DE  SAINT  LOUIS.  157 

«  Mestre,  VOUS  direz  au  message  le  soudanc  que  ce  vous  poise 
^e  vous  avez  fait  nulles  trêves  à  li  sanz  parlev  à  moy  ;  et  pour 
ce  que  vous  n'en  aviés  parlé  à  moy,  vous  le  quîtés  de  quanque 
il  vous  ot  couvent  *  et  li  rendes  toutes  ses  eouvenance».  »  Le 
mestre  prist  les  convenances  et  les  bailla  à  Tamiral.  Et  lors  dit 
le  roy  au  mestre  que  il  se  levast  et  que  il  feîst  lever  touz  ses 
frères;  et  si  fist-il.  «  Qr  vous  agenoillés  et  m'amendes  ce  que 
vous  y  estes  aies  contre  ma  volenté.  »  Le  mestre  s'agenoilla  et 
tendit  le  chief  de  son  mantel  au  roy,  et  abandonna  au  roy 
quanque  il  avoient  à  prenre  pour  s'amende ,  tele  comme  il  la 
voudroit  deviser»  :  «  Et  je  dis ,  fist  le  roy,  tout  premier^, 
que  frère  Hugue  qui  a  faites  les  convenances ,  soit  banni  de 
tout  le  royaume  de  Jérusalem.  »  Le  mestre  et  frère  Hugue , 
compère  le  roy  du  conte  d'Alençon,  qui  fa  né  à  Chastel-Pè- 
lerin  * ,  ne  onques  la  royne  ne  autres  ne  porent  aidier  frère 
Hue,  que  il  ne  li  couvenist  4  wider  la  terre  sainte  et  du  royaume 
de  Jérusalem. 

Tandis  que  le  roy  fermoit  la  cité  de  Cézaire ,  revindrent  les 
messages  d'Egypte  à  li^  et  li  aportèrent  la  trêve  tout  ainsi 
comme  il  est  devant  dit,  que  le  roy  Tavoit  devisée.  Et  furent 
les  couvenanees  teles  du  roy  et  d'eniz,  que  le  roy  dut  aler  à 
une  journée  qui  fu  nommée  à  Japbe  ^  ;  et  à  celle  journée  que 
le  roy  dut  aler  à  Japhe,  les  amiraus  d'Egypte  dévoient  estre 
à  Gadre**  par  leur  seremens,  pour  délivrer  le  royaume  de 
Jérusalem.  La  trive ,  tele  comme  les  messages  Tavoient  apor- 
tée,  jura  le  roy  et  les  riches  homes  de  l'ost,  et  que  par  nos  sai- 

'  De  tout  ce  qn^l  voas  a  promis.  —  1  tnier  :  d'abord.  -^  *  Lui  fallût.  — 
^Deviser  :  ordonner,  régler.  — 3  pre-  \  ^  Japhe i  Jaffa. 

'  Compère  da  roi ,  dont  il  avait  tenu  l'un  des  fils  sur  les  fonts  baptis- 
maux,  savoir,  Pierre,  comte  d'Alençon,  né  à  Castel-Pèlerin,  château  bâti 
par  les  croisés  à  trois  milles  d'Âcre,  à  la  pointe  du  Carmel. 

**  Nos  anciens  trouvôres,  nommément  l'auteur  du  Roman  (TA- 
iexandre ,  apx)eUent  ainsi  la  ville  de  Zara  en  Dalmatic.  L'annotateur  de 
l'édition  du  Louvre  voit  dans  Cadres  l'ancienne  ville  de  Gadara  ;  mais  les 
récits  suivants  du  sire  de  Joinville  ne  peuvent  s'appliquer  convenable- 
ment qu'à  Gaza,  dans  l'ancien  pays  des  Philistins. 

14 


158  HISTOIBE 

remens  nous  leur  devions  aidier  encontre  le  soudanc  de  Damas. 

Quant  le  soudanc  de  Damas  sot  que  nous  nous  estions  aliez 
à  ceulz  d'Egypte,  il  envola  bien  troiz  mille  Turs  bien  atirés  à 
Cadres,  là  ou  ceulz  d'Egypte  dévoient  veniy  ;  pour  ce  que  il  sot 
bien  que  se  il  pooit  venir  jusques  à  nous ,  que  il  y  pourroient 
bien  perdre.  Toutevoiz  <  ne  lessa  pas  le  roy  que  il  ne  se  must 
pour  aler  à  Jaffe.  Quant  le  conte  de  Japbe  vit  que  le  roy  ve- 
noit  j  il  atira  son  cbastel  en  td  manière  que  ce  sembloit  bien 
estre  ville  d^endable  ;  car  à  cbascun  deâ  carmaus'  «  dont  il 
y  av(Mt  bien  cîno  cens,  avoit  une  targe  de  ses  armes  et  un  pa- 
noncel;  laquel  cbose  fu  bêle  à  regarder,  car  ses  armes  estoient 
d*or  à  une  eroiz  de  gueles  pâtée,  rïous  nous  lojames  entour  le 
cbastel  >  aus  chans,  et  environnâmes  le  cbastel  qui  siet  sur 
la  mer  dès  Tune  mer  jusques  à  l'autre.  Maintenant  se  prist  le 
roy  à  fermer  ^  un  neuf  bourc  tout  entour  le  viex  cbastiau,  dès 
Tune  mer  jusques  à  Tautre  ;  le  roy  meismes  y  vis-je  mainte 
foiz  porter  la  bote  aus  fossés ,  pour  avoir  le  pardon  4. 

Les  amiraus  d'Egypte  nous  faillirent  de  eouvenances  que  il 
nous  avoient  promises  ^  ;  car  il  n'osèrent  venir  à  Gadres ,  pour 
les  gens  au  soudanc  de  Damas  qui  y  estoient  Toutevoiz  nous 
tindrent^vil  couvanant,  en  tant  que  Û  envolèrent  au  roy  toutes 
les  testes  aus  crestiens ,  que  il  avoient  pendues  aus  murs  du 
cbastel  de  Cbaare*  dès  que  le  conte  de  Bar  et  le  conte  de 
Montfort  for^t  pris;  ksquîez  le  roy  fist  mettre  en  terre  be- 
noîte. £t  li  envolèrent  aussi  les  enfans  qui  avoient  esté  pris 
quant  le  roy  fu  pris;  laquel  cbose  il  firent  envis  ^,  car  il  s'es- 
toient  jà  renoiés.  Et  avec  ces  cboses  envolèrent  au  roy  un  oli- 
pbant ,  que  le  roy  envoia  en  France 


,** 


>  Toutev9ii  :  toatefoia.  «-  *  Car- 
niaiu  :  créneaux,  —  '  Fermer  :  forti- 
fier, —  *  Pardon   :    indulgence .  — 


^  Nous  manquèrent  de  parole  pour 
ce  qu'ils  nous  ayaient  promis.  —  •  Bn- 
vis  :  malgré  eux ,  inviti. 


*  Du  Caire.  Voyez  ci-dessus,  pag.  141. 

«*  Deux  ans  après,  saint  Louis  envoyait  cet  éléphant  au  roi  d'Angleterre. 
Uatthieu  Paris  conjecture  que  ce  fut  le  premier  qui  soit  venu  dans  ce  pays,- 
voire  même  de  ce  cdté-ci  des  Alpes,  et  il  ajoute  que  les  populations  accou- 


DB  S^INT  LOUIS.  150 

Tandis  que  noas  séjoundoitt  à  Japhe,  un  amiraut  qui  «stoit 
de  la  partie  au  soudaEDc  de  Damas ,  vint  faucilkr  blez  à  ua  ka- 
fiel ■  à  troi2  lieiies  de  Tofit.  flfii  acordé  que  nous  li  courrions 
Biffi.  Quant  il  nous  senti  ?en«ns ,  ii  toudia  en  fuie.  Endemen- 
tres  que  il  6*en  faôKÀl^  un  joenne  vaUet|sentfl  home  se  mist  à  11 
diftcer ,  et  porta  deui  de  «es  chevaliers  à  t^rre  sanz  la  lance 
brisier  ;  et  Tamiral  £ki  «tn  tel  ninière,  que  â  li  lirisa  le  glaive 
ou  cors. 

Ce  message  aus  amiraas  d^Ègfpbd  *  prièrent  le  roy  que  il 
leur  donnast  une  joimiée  par  quoy  il  poussent  venir  vers  le  roy , 
et  il  y  envoiètent^  sansftiule.  Le  roy  ot  conseil  que  il  ne  le  re- 
fuseroît  pas^  et  leur  donna  journée;  et  il  li  orent  couvrit,  par 
leur  serement  ^  que  il  à  celle  journée  seroient  à  Gadres. 

Tandis  que  nous  attendions  celle  journée  ^pie  le  roy  ot  don- 
née aus  amiraus  d'Egypte,  le  conte  d'£u%  quiestoit  dieva- 
lier,  vtat  en* l'est,  et  amena  avec  li  monseigneur  Emoul  de  Gu- 
minée**,  le  bon  chevalier,  et  ses  deux  £téres,  li  dixiesme.  Il 
demoura  ou  servise  le  roy,  et  au  sien***  le  roy  le  fist  che- 
valier. 

En  ce  pcNnt  revint  le  prince  d'Ànthyoche****  enl'ost,  et  la 
princesse  sa  mèrt*****^  auquel  li  roys  fist  grant  honneur,  et 
le  fist  chevalier  moult  honorablement.  Son  aage  n'estoit  pas  de 
plus  que  sdse  ans  ;  mes  onques  si  sage  ^ant  né  vi.  Il  requist 

1  Kasel  :  boarg.  —  ^  Cm  messagers  des  émirs  d'Egypte.  —  ^  Enverraient. 

raient  pour  contempler  une  si  grande  nouveauté.  Voyez  YHistoria  major 
à  Tannée  I25S;  édit.  de  Paris,  M.  DC.  XLIV.,  pag.  606,  F. 

*ATant  166S,  les  édUioiu  portaient  le  comte  de  Den*  Du  Caage  a 
pensé  qu'il  fallait  lire  U  comte  d*Eu  »  et  c'est  en  effet  la  leçon  du  manus- 
crit 2016.  n  s'agit  de  Jean ,  fils  d'AIfonse  de  Brienne,  et  de  Marie ,  com> 
lened'Ba. 

**  Guminée  ou  Guymenée  est  une  faute,  «elon  du  Gange» qui  subs- 
titue Oumes  :  ce  serait  Araoul,  fils  putné  d'Amoul  U,  comte  de  Gnines. 

***  Au  nen  est  peut-être  à  changer  en  tutsiù 

•♦*•  BoémoDd  VL 

*****  Lucie,  fille  du  comte  Paul  de  Rome,  épouse  du  prioce  d'Antioche 
Boémond  V. 


IGO  HISTOIAE 

auroyque  il  l'oïst  parles  deyant  samère;  leroylî  otroia. 

Les  paroles  que  il  dit  au  roy  devast  sa  mère,  furent  tdes  : 
«  Sire^  il  est  bien  voir  que  ma  mère  me  doit  encore  tenir  quatre 
ans  en  sa  maiuboumie*  ;  mes  pour  ce  n'est-il  pas  drois  que  elle 
doie  lessier  ma  terre  perdre  ne  décheoir  ;  et  oes  choses  «  sire., 
diz-je^  pour  ce  que  la  cité  d'Anthioche  se  perd  entre  ses  mains. 
Ci  vous  pri,  «re,  que  vous  11  priez  que  elle  me  baille  de  Targent^ 
par  quoy  je  puisse  aler  secourre  ma  gent  qui  là  sont,  et  aidier. 
Et,  sire ,  elle  le  doit  bien  faire  ;  car  se  je  demeure  en  la  cité 
de  Tyrple*  avec  li,  ce  n'iert  pas  sanz  granz  despens,  et  les 
granz  despens  que  Je  ferai  si  yort  pour  nyent  faite.  » 

Le  roy  l'oy  moult  volentiers ,  et  pourchassa  de  tout  son  pooir 
à  sa  mère  comment  elle  li  baillast  tant  comme  le  roy  pot  traire 
de  li.  Sitost  conmie  il  parti  du  roy,  il  s'en  ala  en  Anthioche, 
là  où  il  fist  moult  son  avenant^.  Par  le  gré  du  roy  il  escartela 
ses  armes,  qui  sont  vermeilles*,  aus  autres  de  France,  pour 
ce  que  11  roys  l'avoit  fait  chevalier. 

Avec  la  prince*^  vindrent  quatre  ménestriers  de  la  grande 
Hyerménie^,  et  estoient  frères;  et  en  aloient  en  Jérusa- 
lem en  pèlerinage,  et  avoient  troiz  cors,  dont  les  voiz  ^  des 
cors  leur  venoi^t  parmi  les  visages.  Quant  il  encommençoient 
à  corner,  vous  deissiez  que  ce  sont  les  voiz  des  eynes^  qui  se 
partent  de  l'estanc  ;  et  fesoient  les  plus  douces  mélodies  et  les 
plus  gracieuses ,  que  e'estoit  merveilles  de  Toyr.  Il  fesoient 
troiz  merveilleus  saus  7  ;  car  en  leur  metoit  une  touaille  de- 
sous  les  piez  et  tournoient  tout  en  estant^ ,  si  que  leur  piez 
revenoient  tout  en  estant  sur  la  touaille;  les  .deux  tournoient 
les  testes  arieres,  et  Tainsné  aussi.  Et  quant  en  li  fesoit  tourner 

I  Mainboumie  :  tutelle,  ea  râtelle,  i  —  ^  Foiz  :  sons.  —  *  Cynet  •*  cygnef. 
—*  Tripoli  en  Syrie.  —  '  Fort  bien  1  —  '  Satu  :  sauts  ,  danses.  '-  *  .  En 
•es  affaires.  — *Hyerménie  :  Arménie.   {  estant  :  tout  debout. 

*  On  doniie  pour  annes  à  la  famille  des  Boémonds  et  aux  rois  de  Sicile 
de  cette  branche,  un  écu  de  gueules  à  une  bande  échiquetto  d'argent  el 
d'azur  de  deux  traits. 

**  Cet  alinéa  manque  dans  les  éditions  antérieures  à  4761. 


DE  SAlIfT  LOUIS.  |61 

la  teste  devant ,  il  se  seignoit  ;  car  il  avoit  paour  que  il  ne  se 
Lrisast  le  col  au  tourner. 

Pour  ce  que  bone  chose  est*  que  la  manière  du  conte  de 
Brienne,  qui  fu  conte  de  Jaffe  par  pluseurs  années ,  et  par  sa 
yigour  il  la  deffendi  grant  temps,  et  vivoit  grant  partie  de  ce 
que  il  gaaingnoit  sus  les  Sarrazins  et  sur  les  ennemis  de  la 
foy.  Dont  il  avint  une  foiz  que  il  desconiit  une  grant  quantité 
de  Sarrazins  qui  menoient  grant  foison  de  dras  d'or  et  de  soie, 
lesquiexil  gaaingna  touz  **  ;  et  quant  il  les  ot  gaaingnés,  à 
Jaffe  il  départi  tout  à  ses  chevaliers,  que  onques  riens  ne  li  en 
dcmoura.  Sa  manière  estoit  tele ,  que  quant  il  estoit  parti  de 
ses  chevaliers,  il  s'enclooit  en  sa  chapelle,  et  estoit  longue^- 
ment  en  croisons  avant  que  il***  alast  le  soir  gésir  avec  sa 


'  *  Quoi  qu'en  disent  les  éditeurs  du  Recueil  des  Historiens  de  France,  H 
y  a  lien  de  soupçonner  ici  quelque  lacune. 

**  Les  historiens  des  croisades  mentionnent  fréquemment  des  expéditions 
semblables,  dont  le  succès  mettait  leurs  auteurs  en  possession  des  richesses 
de  l'Orient.  Geoffroi  Yinisauf ,  après  s'être  étendu  longuement  sur  un  fait 
d'armes  de  ce  genre ,  donne  ainsi  le  détail  des  articles  qu'il  valut  k  Richard 
Cœur  de  lion  :  «  Per  capistra  jugales  equos  et  camelos  cum  sarcinis  offe- 
rebant,  et  mulos  et  mulas  portantes  diversi  generis  species  pretiosas,  aurum 
et  argentum  multum  nimis,  pallia  holoserica,  purpuram,  ciclades  et  os- 
trum ,  et  multiformium  omamehta  vestium,  praeterea  arma  varia,  tela  mul- 
tiplicia,  insutas  loricas  vulgo  dictas  gasiganz^  culcitra  acu  variata  operosa 
papiliones  et  tentoria  pretioslssima ,  panés  biscoctos,  frumentum,  hor- 
deum  et  farinam,  electuaria  plurima,  et  medicinas,  pelves,  utres  et  scac* 
caria»  olias.  argenteas  et  candelabra/  piper,  cynimum,  zucarum  et  oeram , 
aliasque  diversorum  generum  species  electas,  pecnniam  infinitam,  et  rerum 
copias  innumerabiles»  »  etc.  (  Jtinerarium  régis  Anglùrum  Richardiy  etc., 
liv.  VI,  chap.  IV  ;  dans  le  recueil  deThomas  Gale,  intitulé:  Historia  Angli- 
canœ  Scripfores  guingùe ,  vol.  II,  pag.  407.  ) 

Plus  tard,  Matthieu  Paris  raconte  une  capture  semblable  opérée  par 
Guillaume  Longue-Épée  au  détriment  de  riches  marchands  orientaux  qui 
se  rendaient  à  une  foire  du  côté  d'Alexandrie  *.«...  omnem  illamcatervam; 
qnam  vulgàres  karavanam  appeUant ,  sibi  mancipavit  :  camelos  videlicet , 
mulos  et  asinos,  oloserids,  pigmentis ,  speciebns,  anro  et  argento  onustos , 
nccnon  et  quxdam  plaustra  cum  suis  bubalîs  et  bobus,  »  etc.  {HisL 
AngL,  snb  ann.  12S0;  edit  Paris. ,  pag.  525,  coL  4,  A.) 

***  La  lacune  du  manuscrit  de  Lucques  finit  id;  le  ttxte  s'y  reprend 

14. 


102  HISTOIBE 

femme ^  qui  moult  fii  boue  dame  et  sage,  et  seur  au  roy  de 
Cypre. 

L'empereur  de  Perse  qui  avoit  non  Barbaqti€m  *,  que  Tun 
des  princes  **  avoit  desconfit,  si  comme  j'ai  dit  devant,  s'en 
vint  à  tout  [son]  ost  '  ou  royaume  de  Jérusalem  ;  et  prist  le 
chastel  de  Tabarie*  que  monsei^eur  Huedes  de  Monbcliart 
le  connestable  avoit  fermée,  qui  estoit  seigneur  de  Tabarie  de 
par  sa  femme***.  Moult  grant  doumage  firent  à  nostre 
gent;  car  il  destniit  quantque  il  trouvoit  hors  Gbastel-Pèlerin , 
et  dehors  Acre,  et  delwrs  le  Safiar  ****  et  dehors  Jafifo 
aussi.  Et  quant  il  ot  £edt  ces  doumages^,  il  se  trait  à  Cadres, 
encontre  le  soudanc  de  BabiloinDe,qui  là  devoit  venir,  pour  gre- 
ver et  nuire  à  nostre  gent.  Les  barons  du  pays  orent  conseil 
et  le  patriarche,  que  il  seîroient  [combatre]  àli  ^,  avant  que  lé 
soudanc  de  Babiloinne  deust  vaiir.  Et  pour  eulz  aidier,  il  en- 
voièrent  querre  le  soudanc  de  la  Chamelle  ***** ,  l'un  des 

I  Avec  son  armée.  Le  mot  entre  cro-  J  riade.' — ^ Fermé  :  fortifié.  —  ^Âyee 
ehetc  nous  est  foami  par  le  manoserit  j  lal.  Le  mot  entre  crochets  est  pria 
de  UMqvet.  —  *    Tabart»  .*    Tibi*  |  a«  maamnit  de  Lneqttoa. 

par  les  mota  t  se  allast  ie  soir  coucher  avec  sa  femmes  qui  moull  Su$ 
bonne  dame  et  saige^  et  seur  du  bon  roy  de  Chippre. 

*  «  Qnant  à  ce  Barfrafpnm  que  le  lire  de  JoinviUe  qualifie  empereur 
de  Perse, Je  ne  le  trouve,  dit  du  Gan^,  noHuné  en  aucun  auteur.  » 
C'est  le  cbef  <iui,  après  la  mort  de  OJélal-eddin,  prit  le  commandement 
des  débris  des  Kharismins. 

Vo^i  sur  les  Kharismins  et  sur  la  bataille  de  Gaza ,  en  1214  « 
Vtiistoire  des  croisades  par  Micbaud,  LIV,  p.  130-435  ;  et  les  Extraits  des 
historiens  (urabes^  etc-,  de  M.  Reinaud,  p.  445-447. 

**  Le  maoQscrit  de  Lacques  ajoute  :  des  Tartarins, 

***  Eschive,  fille  de  Raoul,  et  petito-fiUe  de  Guillaume  de  Bures, 
prmoe  de  Tibériade. 

****  Le  Saphat ,  manuscrit  de  Lucques.  —  Probablement  la  ville  de 
Sefed,  prte  du  lac  de  Tibériade. 

**""*  L'ancienne  viQe  dîÉmèse,  Voyez  Guillaume  de  Tyr,  liv.  .VII 
chap.  12  ;  liv.  XXI,  chiq).  e.  —  Cest  le  sultan  d*^m[>te  qui  est  ici  appelé 
soudanc  de  Babiloinne,  et  le  prince  d'Emèse  est  désigné  par  le  titre  de 
soudanc  de  la  Chamelle.  Du  Gange  cite  Topinion  peu  soutenaUe  des  géo* 
graphes  qui  veulent  que  la  Chamelle  soit  la  ville  de  Gamau. 


DB  SAHIT  LOUIS.  163 

meilleurs  chevaliers  qui  feust  en  tome  paieimiiiie,  auquel  il 
firait  si  grânt  faoïmmr  ea  Acre  que  il  li  estendoient  les  dras 
d'or  et  de  soie  par  où  il  devoit  aler.  Il  en  Tindrent  jusques  à 
Jaffe,  nos  gens  et  le  soudanc  avec  eulz.  Le  patriarche  tenoit 
eseommunié  le  conte  Gautier,  pour  ce  que  il  ne  li  vooloit  rendre 
une  tour  que  il  aToit  en  Jaffe,  que  Ten  appeloic  la  tour  le  pa* 
triarche.  jKostre  gent  prièrent  le  conte  Gautier  que  il  idastavee 
euiz  pour  combatre  à  Fempereur  de  Perse;  et  il  dit  que  si  £b- 
roiMl  Yolentiers ,  mez  que  le  patriarche  l'absousist  jusques  à 
leur  ret«»r.  Onques  te  patriarche  n'en  vodt  riem  fsdre;  et 
toiKevdlz  s'esmut  le  conte  Gautier  et  en  aka^ec  euiz.  Mostre 
geat  firent  troÎE  batailles  ' ,  dont  le  conte  Gaulier  en  ot  une ,  le 
soudanc  de  la  Chamelle  l'autre,  et  le  pstdarebe  et  ceulz  de 
la  terre  l'autre  ;  en  la  bataille  au  conte  de  Brienne  furent  les 
Hospitaliers.  Il  cheTsoichèrent  tant  que  il  virent  leur  «mernis 
eus  yex.  Mamtenant  que  nostre  gent  les  virent,  il  s'arestè* 
mit,  et  cil  *  et  les  ennemis  ûr&A  troiz  batailles  aussL  En* 
dementres  que  les  Corràs*''  arréoîent  leur  batailles,  le 
conte  Gautier  vint  à  nostre  gent,  et  kur  eseria  :  «  Seigneur, 
pour  Dieu  aloos  à  euiz;  que  nous  leur  donnons  t^ups^^*"^, 
pour  ce  que.  nous  nous  sonunes  arestés.  »  IHe  onques 
n'i  ot  nul  qui  l'en  ***^  vousist  aoire.  Qasm  k  conte  Gautier 
vist  ce,  il  vint  au  patriarche  et  li  reqiûst  absohioion  en  la  ma- 
nière desusdite;  onques  le  patriarche  n'en  voult  rien  faire. 
Avec  le  conte  de  Brienne  avoit  un  vsôllant  derc  qui  e^oit  eves- 
que  de  Rames***** ,  qui  maintes  bêles  chevaleries  avoit  -faites 

*  Batailles  :  corps  de  troupes. 

*  Bt  cti  msnque  dans  le  manascrit  de  Luocpies. 

**  Les  GorriBs ,  Gorenins ,  Goraimieiu on  Khansmiiis,  éUieiit  mie  Uliin 
de  Turcs  qui,  après  avoir  trairersé  la  Perse,  avaient  pénétré  en  Syrie 

***  Le  manuscrit  2016  porte  sens  ,  ce  qni  est  une  maùYaise  leçon. 

***^  C'est  encore  le  manascrit  de  Luoques  qui  nous  fournit  Vcn,  au  Heu 
de  me ,  leçon  inadmissible  du  manuscrit  20<e. 

*'***  names.  Rame  ou  Bornes,  en  latin  Ramula ,  était  une  vilk  i'v>is^'^- 


164  HISTOf&B 

en  la  eompaingniele  conte.  Et  dUt  au  conte  :  «  Ne  troublés  pas 
vottre  conscience  quant  le  patriarche  ne  vous  absout;  car  H 
a  tort,  et  vous  avés  droit,  et  je  vous  absoîl  en  non  du  Père  et 
du  Filz  et  du  Saint*Esperit.  Alons  à  eulz.  »  Lors  férirent  des 
espérons  et  assemblèrent  à  la  bataille  l'empereour'  de  Perse , 
qui  estoit  la  darenière.  Là  ot  trop  grant  foison  de  gais  mors 
d'une  part  et  d'autre,  et  là  fu  pris  le  conte  Grautier  ;  car  toute 
nostre  gent  s'enfuirent  si  laidement,  que  il  en  y  ot  pluseurs 
qui  de  désespérance  se  noièrent  en  la  mer. 

Cette  désespérance  leur  vint  pour  ce  que  une  des  batailles 
Tempereour  de  Perse  assembla  au  soudanc  de  la  Chamelle, 
lequel  se  deffendi  tant  à  eulz*,  que  de  deux  mille  Turs  que  il  y 
mena,  il  ne  l'en  demeura  quequatre-vîns*  quant  il  se  parti  du 
champ. 

L'empereur  prist  conseil  que  il  irott  assiéger  le  soudanc  de- 
dans le  chastel  de  Chamelle,  pour  ce  que  il  leur  sembloit  que 
il  nese  deust  pas  longuement  tenir  à  sa  gent  que  il  avoit  per- 
due ^.  Quant  le  soudanc  vit  ce ,  il  vint  à  sa  gent  et  leur  dit  que 
il  se  iroit  combatre  à  eulz  ;  car  se  il  se  lessoit  asségier,  il  seroit 
perdu.  Sa  beçoigne  atira  en  tel  manière  que  toute  sa  gent,  qui 
estoient  mal  armée,  il  les  envola  par  une  valée  mal  **  couverte; 
et  sitost  comme  il  oïrent  férir  les  tabours  le  soudanc ,  ii  se 
férirent  en  l'ost  l'empereur  par  darières ,  et  se  pristrent  à  oc- 
cirre  les  femmes  et  les  enfans.  Et  sitost  comme  l'empereur, 
qui  estoit  issu  aus  chans  pour  combatre  au  soudanc  que  il 

'  Et   attaquèrent  le  corps  de  trou-   1  eux.  — 3  Après  avoir  perda  tant  de 
pee  de  l'empereur.  —^A  eiUz  :  contre  ■  soldats  de  sa  troape. 

pale  de  la  Palestine ,  près  de  celle  de  Lydde  ou  Diwpolis ,  où  révôché  a  élé 
transféré.  Dans  un  acte  de  janyier  4256»  cité  par  M.  le  comte  Beugnot 
(  Assises  de  Jérusalem,  tom.  l**,  pag.  22 ,  en  note,  col.  2  ) ,  Jean  d^lbeUn, 
qui  a  d^à  passé  sous  nos  yeux,  prend  le  titre  de  sire  de  Rames, 

*  Deux  cent  quatre-vingts.  De  Rienx ,  Ménard  et  du  Gange  ont  imprimé 
quatrevingU,  au  lieu  de  quatorze-vints, 

*  *  Mal  manque  dans  le  manuscrit  de  Lucques. 


DE  SAINT  LOUIS.  165 

véoit  aus  yex,  oy  le  cri  dô  sa  gent ,  il  retourna  en  son  host 
pour  secourre  leur  femmes  et  leur  ea&Ds;  et  le  soudanc  leur 
courut  sus,  il  et  sa  gesA;.  dont  il  avint  si  bien,  que  de  vint- 
cinc  milie  que  il  estoient,  il  ne  leur  demeura  homme  ne  femme. 

Ayant  que  l'empereur  de  Perse  alast  devant  la  Chamelle ,  il 
amena  le  conte  Gatitier  devant  Jaffe  ;  et  le  pendirent  par  les 
bras  à  unes  fourches,  et  11  dirent  que  il  ne  le  despenderoient 
point;  jusques  à  tant  que  il  auraient  le chastel  de  Jaffe.  Tandis 
que  il  pendoit  par  les  bras,  il  escria  à  ceulz  du  chastel  que  pour 
mal  que  il  lî  feissent,  que  il  ne  redissent  la  ville ,  et  que  se  il 
la  rendoient ,  il-meismes  les  occirroit. 

Qtiant  l'empereur  vit  ce ,  il  envoia  le  conte  Gautier  en  Ba- 
biloinne  et  en  fist  présent  au  soudanc,  et  du  mestre  de  l'Os- 
pital,  et  de  pluseurs  prisonniers  que  il  avoit  pris.  Ceulz  qui 
menèrent  le  conte  en  Balûloinne,  estoient  bien  troiz  cens,  et  ne 
furent  pas  occis  quant  l'empiereur  fu  mort  devant  la  Cha- 
melle*. Et  ces  Coremins  assemblèrent  à  nous  le  vendredi 
que  il  nous  vindrent  assaillir  a  p\é**.  Leurs  banières  es- 
toient vermeilles  et  estoient  endoncéesjuesques  vers  les  lances; 
et  sur  leur  lances  avoient  testes  faites  de  chevaulx ,  qui  sem- 
bloient  testes  de  dyables***. 

Pluseurs  des  marcheans  de  Babiloinne  crioient  après  le  sou- 
danc ,  que  il  leur  feist  droit  du  conte  Gautier,  des  grans  dou- 

*  Ausquels  advint  ^is^bien  qu*ila  ne  te  trouvèrent  point  à  la  tue- 
rie,  devant  le  chatteau  de  la  Chamelle,  édition  de  4547.  —  A  qui  il  print 
trop  bien,'  car  ils  ne  se  trouvèrent  pas  à  la  murtrerie  quifutfaicte  de- 
vant le  chastel  de  la  Chamelle,  de  l'empereur  de  Perse  et  de  ses  gens, 
édiUon  de  Cl.  Ménard. 

^*  Et  les  Correvinsse  assemblèrent  à  nous  le  vendredi,  qui  nousviur 
rent  assaillir  à  pié ,  manuscrit  de  Lncques. 

***  £t  estoient  endantées  jusques  aux  lances  ;  et  sur  leur  lanc^ 
avoient  fait  testes  de  chevaulx,  qui  sembloit  testes  de  diables,  manuscrit 
de  Lucques.  -^  Â  l'exemple  des  éditeurs  du  tom.  XX  du  Recueil  des  histo* 
riens  des  Gaules,  etc., nous  avons,  d'après  ce  manuscrit,  stibstitné  te  mot 
chevaulx  à  eheveus,  que  porle  le  n?  2046.  Cette  description  des  banniCrcs 
est  omise  dans  les  éditions  de  4S47,  1617,  1669. 


1«6 


HISTOIAB 


magef  que  il  leur  anroit  £aiz;  et  te  soadane  leur  rijandonna  c|iie 
ils'alassent  venger  de  11.  Et  il  l'alèreiil  oeeirre  en  la  prison  et 
martyrer  :  dont  nous  devons  croire  que  il  est  es  ddxou  nombre 
desmartirs. 

Le  soudanc  de  Damas  pristsagentqui  estoientà  Gadres,  et 
entra  en  Egypte.  Les  amîraos  se  vindrent  oombatre  à  li.  La 
bataille  du  soudanc  desooofist les  amiiaus  à  qui  i!  assembla,  et 
i'iQitre  bataille  des  amiraos  d'£gypte  desoonfist  l'anrière-ba- 
taille  du  soudane  de  Damas.  Aussi  s'en  vint  le  soudanc  de 
Dunas  arrière  à  Gadres,  navré  «n  la  teste  et  eii  la  main.  Ainsi 
avant  que  il  se  partirent  de  Gadres ,  envolèrent  les  amiraus 
d*Égypte  leur  messines  et  firent  paiz  à  li,  et  nous  faillirait  de 
toutes  nos  convenances  '  ;  ^  feumes  de  lors  en  avant  que  nous 
n'eûmes  ne  trêves  ne  pez  ne  à  ceuiz  de  Damas  ne  à  ceulz  de 
Badiiloine.  Et  sachez  que  quant  nous  estions  le  plus  de  gens  à 
armes,  nous  n'estions  nulle  foiz  plus  de  quatorze  cens. 

^Tandis  que  le  roy  estoit  en  Test  devant  Jaffe,  te  mestre  de 
Saint-Ladre  ot  e^ié  delez  *  Rames,  à  troiz  grams  lieuesde  Fost **, 
bestes  et  autres  choses,  là  où  il  cuidoitfère  un  granft  gaaîng^; 
et  il  qui  ne  tenoit  nul  conroy  en  l*ost  4,  ainçois  £^oit  sa  volenté 
en  Tost,  sans  parler  au  roy,  ala  là.  Quant  il  ot  aqueilUe^  sa 
praie*** ,  les  Sarrasins  11  coururent  sus  et  te  desconûroit  en 
tel  manière,  que  de  toute  sa  gent  que  il  avoit  avec  li  en  sa 
bataille ,  il  n'en  eschapa  que  quatre.  Sitost  comme  il  entra  en 
Tost,  il  commença  à  crier  aus  armes.  Je  m'alai  armer,  et  prié 
au  roy  que  il  me  lessast  aler  là;  et  il  m'en  donna  congé,  et  me 
commanda  que  je  menasse  avec  moy  le  Temple  et  l'Ospital. 


>  Bt  auinqvèrMt  à  toatot  bm  eon- 
▼entions.  — '  DeJ«s  .*  près.  — >3  Le 
maître  de  Saint-Lasare  avait  guetté  h 
trois frattdeslienes  da  camp,  et  près  de 


Rame,  des  bètes  et  4*antres  choses 
doat  il  croyait  tirer  an  grand  profit* 
—  <  Bt  lui  qui  ne  gardait  nnl  ordre  à 
Tarmèe.  —  *  Reeneilli  sa  proie. 


*  Cet  alinte,  TaHdis  qrutf...,  et  lemivaDt,  I^  êerJétnL.,,  ont  été  imprimes 
pour  la  preuière  fois  dans  l'éditioa  du  Louvre. 
**  Ces  mots  BOUS  s(mt  fournis  par  le  manuscrit  de  Luoques. 
***  Et  comtne  il  emmenoit  son  qaing,  manuscrit  de  Luoques. 


DE  SAIiNT  LOUIS.  167 

Quant  nous  venimes  là,  nous  trouvâmes  que  autres  Sarrazins 
estranges  estoîent  enbatus  en  la  yalée>  là  où  le  mestrc  de 
Saint-Ladre  aToît  esté  desconfit.  Ainsi  comme  ces  Sarrazins 
estranges  regardoiont  ces  mors,  les  mesire  des  arbalestriers  le 
roy  leur  coururent  sus  ;  et  ayant  ([ue  nous  v^iissiens  là,  nostre 
gent  les  orent  desconfiz  et  pluseurs  en  ocdrrent. 

Un  serjant  le  roy  et  un  des  Sarrazins  s'i  portèrent  à  terre 
Fun  l'autre  de  cop  de  lance.  Un  serjans  le  roy  quant  il  vit  ce, 
il  prist  les  deux  dievaus  et  les  emmenoit  pour  embler  *  ;  et 
pour  ce  que  Ten  ne  le  Teist,  il  se  mist  parmi  les  mirales* 
de  la  cité  de  Rames.  Tandis  que  il  tes  emmenoit,  une  yiela 
citerne  sur  quoi  il  passa ,  li  fondi  desous;  fi  troiz  cheval  et  il 
alèrent  au  fons,  et  en  le  me  dit.  Je  y  alm  veoir,  et  vi  que  la 
citerne  fondoit  encore  sous  eulz  et  que  il  ne  faâloit  ^  giières 
que  il  ne  feussent  touz  couvers.  Ainsi  en  revenimes  sanz  riens 
perdre ,  mes  que  4  ce  que  le  mestre  de  Saint*Ladre  y  avoit 
perdu. 

Sitost  comme  le  soudanc  de  Damas  fu  apaisiés  à  ceulz  d'E- 
^gypte,  il  manda  sa  gent  qui  estoient  à  Gadres,  que  il  en  rêve* 
dissent  vers  li.  £t  si  firent-il ,  et  passèrent  par^devant  nostre 
ost  à  moys^  de  deux  lieues;  ne  onques  ne  nous  osèrent  courre 
sus ,  et  si  estoient  bien  vint  mille  Sarrazins  et  dix  mile  Bé« 
duyns.  Avant  que  il  venissent  endroit  nostre  ost,  les  gardè- 
rent le  mestre  des  arbalestriers  le  roy  et  sa  bataille  troiz  jours 
et  troiz  nuits ,  pour  ce  que  il  ne  se  férissent  en  nostre  ost  des- 
pourveument^. 

Le  jour  de  la  Saint- Jehan  qui  estoit  après  Pasques ,  oy  le 
roy  son  sermon.  Tandis  que  Fen  sermonnoît,  un  serjant  du 
mestre  des  arbalestriers  entra  en  la  chapelle  le  roy  tout  armé, 
et  li  dit  que  les  Sarrazins  avoient  enclos  le  mestre  arbalestrier. 

>  S'étaient  abattus ,  porté*  en  U  T«l-  I  fallait.  — *  Sinon,  «^  ^  A  raoiaa.— 
lée.  —  2  Pour  l«s  dérober.  —  '  U  ne  s'en  I  ^  Despourvevment  :  aa  dépourvu. 

*  Murailles,  manuscrit  de  Lacques. 


168  HISTOIBB 

Je  requis  au  roy  que  il  m'y  lessast  aler,  et  il  le  m'otria,  et  me 
dit  que  je  menasse  avec  moy  jusques  à  quatre  cens  ou  cinc 
cens  homes  d'armes,  et  les  me  nomma  ceulz  que  i(  voultque 
je  menasse^.  Sitost  comme  nous  issimes  *  de  l'ost,  les  Sar- 
razins  qui  estoient  mis  entre  le  mestre  des  arbalestriers  et  de 
Tost,  s  en  alèrent  à  un  amiral  qui  estoit  en  un  tertre  devant  le 
mestre  des  arbdestriers  à  tout  bien  mil  homes  à  armes.  Lors 
commença  le  hutin*  ^treles  Sarrazins  et  les  serjans  au  mestre 
des  arbalestriers,  dont  il  y  avoit  bien  quatorze  vint^;  car  à 
Tune  des  foiz  que  Tamiraut  veoit  que  sa  gent  estoient  prise  ^^ 
il  leur  envoioit  secours  et  tant  de  gent,  que  il  metoient  nos 
serjans  jusques  en  la  bataille  au  mestre"^*.  Quant  le  mestre  véoit 
que  sa  gent  estoient  prisée  ***^  il  leur  envoioit  cent  ou  sl\  vint 
homes  d'armes ,  qui  les  remetoient  jusques  en  la  bataille  l'a- 
miral. 

Tandis  que  nous  estions  là,  les  légas***^  et  les  barons  du 
pays,  qui  estoient  demeurez  avec  le  roy,  distrent  au  roy  que  il 
fesoit  grant  folie  quant  il  me  metoit  en  avanture  ;  et  par  leur 
conseil  le  roy  me  renvoia  querre,  et  le  mestre  des  arbalestriers 
aussi.  LesTurs  se  départirent  de  là,  et  nous  revenimesen  Tost 

Moult  de  gens  se  merveillèrent  quant  il  ne  se  vindrent  com* 
batre  à  nous,  et  aucune  gens  distrent  que  il  ne  le  lessèrent  fors 
que  pour  tant  quc^  il  et  leur  chevaus  estoient  touz  affamés  à 
Cadres ,  là  où  il  avoient  séjourné  près  d'un  an. 

Quant  ces  Sarrazins  furent  partis  de  devant  Jaffe,  il  vindrent 


•  IsHme$  :  sortîmes.  —  *  Hutin  :  i  Tingts.  —  *  Prise  :  pressée.  —  *  Qu'il» 
combat,  mêlée,  —  '  Deaz  cent  quatre-   I   ne  s'en  abstinrent  que  parce  que. 

"  Si  les  m'envoya  ceulz  gui  lui  pleut  que  je  menasse,  manuscrit  do 
Lacques. 

**  QuHlz  remcctoient  noz  sergentz  jusques  à  la  bataille  du  maistre, 
manuscrit  de  Lucques. 

***  El  pareillement  Saiseit  le  maistre  des  arbalestiers,  quand  il  veoit 
que  ses  gens  estoient  des  plus/ebles,  éditions  de  Ménard  et  de  du  Gango; 

****  On  lit  le  légat  dans  les  éditions  de  1547,  <617  et  1668. 


DE  SAINT  LOUIS.  169 

devant  Acre  et  mandèrent  le  sei^eur  de  l'Arsur*,  qui  estoit 
Gonnestable  du  royaume  de  Jérusalem,  que  il  destruiroient  les 
jardins  de  la  ville  se  il  ne  leur  envoioit  cinquante  bezans**; 
et  il  leur  manda  que  il  ne  leur  en  envoieroit  nulz.  Lors  firent 
leur  batailles  ranger^  et  s'en  vindrent  tout  le  sablon  d'Acre  si 
près  de  la  ville,  que  Ten  y  traisist  bien  d*un  arbalestre  à 
tour***.  Le  sire  d*Arsur  issi  de  la  ville  et  se  mist  ou  Mont 
saint  ****,  là  où  le  cymetère  Saint-Nicholas  est,  pour deffendre  les 
jardins.  Nos  serjans  à  pié  issirent  d'Aore,  et  commencièrent  à 
bardier  à  eulz  '  et  d'arez  et  d'arbalestres. 

Le  sire  d'Arsur  appela  un  cbevalier*****  qui  avoit  à  non  mon-- 
seigneur  Jehan  le  Granty  et  li  commanda  que  il  alast  retraire  * 
la  menue  gent  qui  estoient  issus  de  la  ville  d^Acre,  pour  ce  que 
il  ne  se  meissent  en  péril. 

Tandis  que  il  les  ramenoit  arières,  un  Sarrazin  li  commença  à 
escrier  en  sarrazinnois,  que  il  jousteroit  à  li  ^  se  il  vouloit  ;  et  ce- 
li  li  dit  que  si  feroit-il  volentiers.  Tandis  que  monseigneur  Jehan 
aloit  vers  le  Sarrazin  pour  jouster,  il  regarda  sus  sa  main  se* 
nestre  ;  si  vit  un  tropiau  de  Turs,  là  où  il  y  en  avoit  bien  huit, 
qui  c'estoient  arestez  pour  veoir  la  jouste.  Il  lessa  la  jouste  du 
Sarrazin  à  qui  il  devoit  jouster,  et  ala  au  tropel  de  Turs  qui  se 
tenoient  tout  quoi  pour  la  jouste  regarder,  et  en  féri  un  parmi 

>  A iM harceler.  — '  Retraire:  retirer.  —  *  Avec  lai. 

*  Le  mannscrit  de  Lacques  porte  :  et  mandèrent  ^u  teignent  d'Atur, 

Asiur  ou  Artnf,  Anopha ,  Arsnpha,  viUe  maritime  voisine  de  Jaffa,  et 
nommée  AnUpatru  chex  les  anciens ,  était  alors  possédée  par  la  maison 
d'U)elin.  Les  Assises  de  Jérusalem  et  d'autres  iiTres  du  moyen  âge  font 
mention  de  Jean  d'Ibelin ,  seigneur  d'Assur  ;  mais  Joinville  est  le  seul  qui 
lui  attribue  le  titre  de  connétable  du  royaume  de  Jérusalem. 

**  Le  manuscrit  de  Lucques,  comme  les  éditions  de  1547, 1617, 1668,  por* 
tent  cinquante  mille  hesant. 

***  Les  éditions  de  Blénard  et  de  du  Gange  donnent  xet  s'en  vindrent  le 
long  des  sables  d^Acre,  si  près  de  la  ville,  qu*on  eust  bien  tiré  jusgues  e  n 
ville  avec  une  arbaleste  de  tour, 

****  Ou  mont  Sainct'Jehan,  manuscrit  de  Lucques. 

*****  i^  même  manuscrit  ajoute  :  de  Gennes, 

15 


t70  HISTOIBS 

le  cors  de  sa  lânee  et  le  getamort.  Quant  fes  antres  virent  ce,  il 
)i  coururent  sus  end^ivieiitres  que  il  revenoit  vers  nostre  gent^et 
Tun  le  fieit  gnoit  cop  d'une  maco  sur  le  chapel  de  fer  ;  et  au  pas* 
ser  que  li  fist,  tnons^gneur  Jehan  li  donna  de  s'espée  sur  une 
touailie  dont  il  y  avolt  sa  teste  entorteillée,  et  li  fist  la  toaaiile 
Toler  emni  les  champs '^.  Il  portoient  lors  les  touailles  quant 
il  se  vouloient  conibatre,  pour  ce  que  elles  reçoivent  un  grant 
coup  d'espée.  L'un  des  autres  Turs  féri  des  espérons  à  K ,  et  H 
vouloH;  donner  de  son  glaive  parmi  les  espaules  ;  et  monseigneur 
Jehan  vit  le  glaive  venir,  si  guenchi  ^  Au  passer  que  leSarrazia 
fist,  monseigneur  Jehan  1!  donna  arière-ndain  d'une  espée  parmi 
les  bras,  ^  quefl  li  fist  son  ^aive  voler  ennuies  ehans.  £t  ainsi 
s'en  revint  et  ramena  sa  gentà  pié  ;  et  ses  troiz  biaus  cop»  fî$t- 
il  devant  le  seigneur  d'Arsur  et  les  riche$  homes  qui  estoient 
en  Acre,  et  devant  toutes  les  femmes  qui  estoient  sus  le$  xmrs 
pour  veoir  celle  gant. 

Quant  celle  grant  foyson  de  geni  sarrazins  qui  furent  devant 
Acare  et  n'osèsent  eombatre  à  nous,  aussi  comme  vous  aves 
oy,  ne  à  oeulz  d'Acre**,  il  oîrent  dire,  et  vérité  estoit,  que 
le  roy  fesoit  fermer  la  dté  de  Sayete  '  et  à  pou  de  bones  gens, 
se  traïtrent  m.  ed)e  part.  Quant  monseigneur  Symon  de  Mon- 
celiart***,  qui  estoit  mestre  des  arbalestrii^rs  leroyetcbe- 
vetam  de  la  gent  le  roy  à  Saiete ,  oy  dire  que  ceste  gent  ve- 

>  Gmnohi  i  §^  ièUntutu^*  Fortmer  Uk  ciU  do  SiiioQ« 

*  Et  rung  â^eulx  Iwif  donna  un  grand  coup  de  masse  s^r  ton  haul' 
bert;  mais  le  ehevalier^  à  son  retour,  lup  donna  ung  tet  coup  dé  son  espée 
sur  la  teste,  qu'il  luy  ancitla  les  touailles  qu'il  portoH  en  sa  tesie^  édi- 
tion de  P.  de  Rieux. 

**  Les  continnatenrs  de  D.  Bouquet  supposent  qn*U  convient  d'ajouter  id  » 
ils  se  relièrent  de  devant  cette  place.  Le  manuscrit  de  Lucques  porte.  Quant 
ceste  grande  quantité  de  Turcs  qui  furent  devant  Acre,  et  ne  se  osèrent 
cornbalre  à  nous,  ainsi  comme  vous  avez  oy  devant  ne  à  ceulz  éPAcre, 
oyrentdire,  et  vérité  estoit,  que  le  roy  faisoit  fermer  la  cité  de  Seeiie,  et 
à  peu  de  hone  gens  d'armes,  ils  se  tirèrent  celle  part, 

***  Dans  le  manuscrit  de  Lacques  ce  chevalier  est  appelé  Symon  de 
Monlsceliarf. 


DE  SAINT  LOUIS.  171 

noient ,  se  retrait  ou  chastel  de  Saiete ,  qui  est  moult  fort  et 
enclos  est  de  la  mer  en  touz  senz  ;  et  ce  fist-il,  pour  ce  que  il 
Téoit  bien  que  il  n'atolt  pooir  à  eulz*.  Avec  li  recela  '  ce  que 
il  pot  de  gmt;  mes  pou  en  y  ot,  car  le  chastel  estoit  trop  es- 
trolt.  Les  Sarrasins  se  férirent  en  la  ville,  là  où  il  ne  trouvèrent 
nulle  deffense  ;  car  die  n'estoit  pas  toute  close.  Plus  de  deuz 
mille  personnes  oecirent  de  nostre  gent  ;  à  tout  le  gaaing  que 
il  firent  là ,  8*en  alèrelit  en  Damas. 

Quant  le  roy  oy  eeâ  nouvelles ,  moult  en  fu  eonrouciés  se 
amender  le  peust  **;  et  aux  bar<»s  du  pays  en  fil  mouk  bel  ^*% 
pour  ce  que  le  roy  vouloit  aler  fermer  un  tertre  là  où  il  {y 
eut****]  jadis  un  ancien  chastel  au  tens  des  Machabiex.  Ce 
chastel  siet  ainsi  comme  Ten  va  de  Jaffe  en  Jérusalem.  Les 
barcms  d'outre-mer  se  descordèroit  du  chastel  refermer  •,  pour 
ce  que  c'estoit  loing  de  la  met  à  cinc  lieues;  par  quoy  nulle  \/ 
viande  ne  nous  peut  venir  de  la  mer^  que  les  Sarrazins  ne  nous 
tollissent^,  qui  estoient  plus  fut  que  nous  n'estions.  Quant 
ces  nouvelles  vindreut  en  Tost  de  Sayette  que  le  boure  qui 
estoit  destruis  *****,  et  vindrent  les  barons  du  pays  au  roy,  et  li 
dîstrent  que  il  li  sooit  plus  grant  honneur  de  refermer  le  bourc 
de  Saieitc  que  les  Sarrazins  avoient  abatu,  que  de  faire  une 
forteresse  nouvelle  ;  et  le  roy  s'acorda  à  eulz  4. 

Tandis  que  le  roy  estoit  à  Jaffe,  l'en  li  dit  que  le  soudanc 
de  Damas  li  soufferoit  ^  bien  à  aler  en  Jérusalem  par  bon  as- 
seurement^.  Le  roy  en  ot  grant  conseil  ;  et  la  fin  du  conseil  fu 

*  Jtecefa  ;  retira.  —  >  Ne  furent  pas    |  leur  avis.  —  ^  SoyifferiM  :  souffrirait, 
d'avis  de   refortitler  le   château.  —    {  permettrait.  —  *  Eu  tonte  sftreté. 

<  ToUissent  :  enlevassent.  —  *  Fut  de   1 

*  Qu'H  n'av&U  pûs  le  povair  de  rétisUr  conire  tube,  manuscrit,  de 
Lacques. 

**  Il  enfui  grandemant  datent  ;  miiU  Une  le  povoit  umeader,  édition 
de  1S47. 

***  Les  barons  du  pats  en  furent  bien  joyeulat,  iMd.     ' 

•**«  ifannscrit  de  Lnoqnes. 

*****  1^  même  manuscrit  porte  :  du  bourg  de  SeeUe  qui  estait  des 
iruict. 


172  HISTOIBB 

tel ,  que  nulz  ne  loa  le  roy  que  il  y  alast,  puisque  il  couvaiist 
que  il  lessast  la  cité  en  la  main  des  Sarrazins. 

L'en  en  moustra  au  roy  un  exemple  qui  fu  tel,  que  quant  le 
grant  roy  Phelippe  *  se  parti  de  devant  Acre  pour  aler  en 
France ,  il  lessa  toute  sa  gent  demourer  en  Tost  avec  le  duc 
Hugon  *  de  Bourgoingne,  Taienl  cesti  *  duc  qui  est  mort  nou- 
vellement. Tandis  que  le  duc  séjoumoit  à  Acre ,  et  le  roy  Ri- 
chart  d'Angleterre  aussi ,  nouvelles  leur  vindrent  que  il  pooient 
prenre  lendemain  Jérusalem ,  se  il  vouloient ,  pour  ce  que  toute 
la  force  de  la  chevalerie  le  soudanc  de  Damas  s'en  estoit  alée 
vers  li  pour  une  guerre  que  il  avoit  à  un  autre  soudanc**.  Il 
étirèrent  leur  gent,  et  fist  le  roy  d'Angleterre  la  première  ba- 
taille ,  et  le  duc  de  Boiurgomgne  l'autre  après,  à  tout  les  gens 
le  roy  de  France.  Tandis  que  il  estoient  à  esme^  de  prendre  la 
ville ,  en  li  manda  de  l'ost  le  duc  que  il  n'alast  avant  ;  car  le 
duc  de  Bourgoingne  s'en  retournoit  arière,  pour  ce  sanz,  plus, 
que  l'en  ne  deist  que  les  Anglois  n'eussent  pris  Jérusalem. 
Tandis  que  il  estoient  en  ces  paroles,  un  sien  chevalier  li 
escria  :  «  Sire ,  sire ,  venez  jusques  ci ,  et  je  vous  mousterrai 
Jérusalem.  »  Et  quant  il  oy  ce ,  il  geta  sa  cote  à  armer  devant 
ses  yex  tout  en  plorant ,  et  dit  à  Nostre-Seigneur  :  «  Biau  site 
Diex,  je  te  pri  que  tu  ne  seuffires  que  je  voie  ta  sainte  cité , 
puisque  je  ne  la  puis  délivrer  des  mains  de  tes  ennemis.  » 

I  Phllippt-Avgrutte.— ^  CetH:  de  ce.  |  rance.  Oadit  encore,  à  Lyon,  émê,  au 
—  3  E$mê  :  estime ,  croyance ,  espi-   |   lien  d'e«prif ,  à'inteUigence» 

*  Hugues  m,  mort  à  Tyr  en  «85,  père  d'Eudes  III,  et  aïeul  de  Hu- 
gues IV,  qui  fut  duc  de  Bourgogne  depuis  12t8  jusqu'en  1272.  JoinvîUe 
écrivait  peu  après  cette  dernière  époque  >  puisqu'il  dit  que  Hugues  (  IV  ) 
était  mort  nouvellement, 

**  L'édition  de  P.  de  lUenx  porte  t  en  une  guerre  gu*il  avait  à 
Mesêa  contre  le  soMan  du  lieu.  Au  lieu  de  Messa,  Ménard  et  du  Cange . 
ont  Imprimé  Neua  ;  mais  ni  le  manuscrit  2(N6  que  nous  sulTons,  ni  celui 
de  Lucques  ne  font  mention  de  ce  lieu.  Il  s'agit  probablement  de  Hamab , 
vilie  de  filyrie  située  sur  l'Oronte.  Voyez  les  Extr,  des  Met.  arabes,  de 
ML  nelnaud,  pag.  338. 


DE  SAINT  LOUIS.  173 

Geste  exemple  moustra  Vea  au  roy,  pour  ce  que  se  il,  qui 
estoit  le  plus  grant  roy  des  Crestfens ,  fesoit  son  pèlermage 
sanz  délivrer  la  cité  des  amemîs  Dieu ,  tuit  li  autre  roy  et  U 
autre  pèlerin  qui  après  li  yenroiem ,  se  teuroirat  touz  apaiés  < 
de  faire  leur  pèlerinage  aussi  comme  le  roy  de  France  auroit 
fet,  ne  ne  feroient  force  de  la  délivrance  de  Jérusalem. 

Le  roy  Richart  fist  tant  d'armes  outre-mer  à  celle  foys  que 
il  y  fu,  que  quant  les  chevaus  aus  Sarrazins  avoient  poour  d'au- 
cun bisson* ,  leur mestre  leur  disbient  :  «  Guides-tu,  fesoient- 
il  à  leur  cbevaus ,  que  ce  soit  le  roy  Ricbart  d'Ai^leterre  ?  » 
Et  quant  les  enfans  aus  Sarrazinnes  bréoient  ^ ,  elles  leur  di- 
soient :  «  Tai-toy,  tai-toy,  ou  je  irai  querre  le  roy  Richart,  qui 
te  tuera*.  » 

Le  due  de  Bourgoingne ,  de  quoy  je  vous  ai  parlé ,  fu  moult 
bon  chevalier;  mes  il  [ne**]  fii  onques  tenu  pour  sage  ne  a 
Dieu  ne.au  siècle 4;  et  il  y  parut  bien  en  ce  fet  devant  dit.  Et 
de  ce  dit  le  grant  roy  Phelippe ,  quant  l'en  ti  dit  que  le  conte 
Jehan  de  Ghalons***  avoit  un  filz  et  avoit  à  non  Hugue  pour  le 
duc  de  Bourgoingne  9  il  dit  que  Dieu  le  feist  aussi  preuhomme 
comme  le  duc  pour  qui  il  avoit  non  Hugue,  Et  en  li  demanda 
pourquoyiln'avoitditaussi/^rettflfofnme  :  «  Pour  ce,  fist-il,  que 
il  a  grant  différence  entre  prenhomme  elpreudomme  ;  car  il 
a  maint  preuhomme  chevalier  en  la  terre  des  Grestiens  et  des 
Sarrazins,  qui  onques  ne  crurent  Dieu  m  sa  mère****.  Dont 
je  vous  di ,  fist-il ,  que  Dieu  donne  grant  don  et  grant  grâce  au 

*  Se  tiendraient  tons  satisfaits.  —  i  criaient.  —  <  Ni  envers  Dieu  si  envers 
'■  Msson  :  buisson,  — •  '  Bréoient  :  \    le  monde. 

.   "  JoinvUle  a  déjà  dit  cela,  pag.  29.  shakspere  rend  le  même  témoi- 
gnage de  Talbot.  Voyez  Fini  Part  of  King  Hennr  Vit  act.  II ,  se.  III. 

**  Manuscrit  de  Lacques. 

***  Jean,  comte  de  Gbâlons  et  d'Âuxerre,  eut' de  sa  première  femme» 
Mahaut  on  Malhilde,  fille  du  duc  de  Bourgogne  Hugues  IIl ,  un  fils  qui 
reçut  ce  même  nom  de  Hugues, 

«**  *  Le  manuscrit  de  Lucques  donne  cette  variante  :  qui  oncques  ne  crcu^ 
reni  bien  Dieu  ne  aymèrenL 

15. 


174  HISTOIBB 

chevalier  crestien  que  il  seuffre  estre  Taillant  de  cors,  et  que 
il  seuffre  en  sou  serrise  en  li  gardant  de  péchié  mortel  ;  et  celi 
qui  ainsi  se  demeinne  vdoit  Vm  appeler  preudomme,  pour  ce 
que  ceste  proesse  li  vint  du  dcm  Dieu.  £t  ceulz  de  qui  j'ai  avant 
parlé  peut  Fen  appeler  prawsAomin^j^  pour  ce  que  il  sont  preus 
de  leur  cors  et  ne  doutent'  Dieu  ne  péchié*.  » 

Les  grans  deniers  que  le  roy  mist  à  fermer  Jaffe  ne  couvient- 
il  pas  parler,  que  c'est  sanz  nombre;  car  il  fenoaa  le  bourc 
d^  Tune  des  mers  jusqoes  à  l'autre,  là  où  il  ot  bien  vint  et 
quatre  tours  ;  et  furent  les  fossés  curez  de  lun^  dehors  et  de- 
dans. Troiz  portes  y  avoit ,  dont  le  légat  enfist  l'une  et  un  pan 
du  mur.  Et  pour  vous  moustrer  le  coustage  que  le  roy  i  mist, 
vous  foiz-je  à  savoir  que  je  demandai  au  légat  combien  ceHe 
porte  et  ce  pan  du  mur  IL  avoit  cousté  ;  et  il  me  demanda  com- 
bi^  je  cuidoie  qu'elle  eust  cousté  ;  et  je  esmar^  que  la  porte 
que  il  avoit  fet  faire  ti  avoit  bien  cousté  cmc  cens  livres,  et  le 
pan  du  mur  troiz  cens  livres.  Et  il  me  dit  que ,  se  Dieu  h 
aidast,  que  la  porte ,  que  le  pan  li  avoit  bien  cousté  trente 
mille  livres.  Quant  le  roy  ot  assouvie^  la  forter^ce  du  bourc 
de  Jaffe,  il  prêt  conseil  que  il  iroit  refermer  ^  la  cité  de  Sayete, 
que  les  Sarrasins  avdeoit  abatue.  Il  s'esmut  pour  aler  là  le  jour 
de  la  festedes  aposfcres  saint  Pierre  et  saint  Pol ,  et  ju8t7  le 
roy  et  son  ost  devant  le  cha^l  d'Arsur,  qui  moult  estott  fort. 
Celi  soir  appela  le  roy  sa  gent,  et  leur  dit  que  se  il  s'aoordoîent, 
que  il  îroît  prenre  une  oité  des  Sarrazins  que  en  appelé  Na^ 
pies  s ,  laquel  cité  les  anciennes  escriptures  appelent  Samarie. 
Le  Temple  et  l'Ospital  li  resq[»ondirent  d'un  acort,  que  il  estoit 


'  Se  demehme    :   se    conduit,  •— 
'  Dcmieni  :  craignent,  redoutent.  — 

>  Lun  :  boae.  —  *  Bsmai  :  estiaiai.  •» 


*  Assouvie  :  acherée.  —  «  Refermer  : 
Niort ifier.  --»'  Jmst  t  coveka,  jseuU, 
•— >  ^  MaplooM. 


*  La  différence  que  saint  Louis  veut  établir  ici.  d'après  Pfaitippe- Au- 
guste ,  entre  preukomme  (preux  chevalier,  vaillant  guerrier)^  et  prend' 
homme  («âge  et  religieux  personnage)  n'est  pas  indiquée  dans  les  autres 
livres  français  du  moyen'âge.  Les  Bollandistes  l'ont  exprimée  d'une  manière 
plus  positive  dans  leur  version  latine  :  c  Afagnam  enim  differentiam  Inter- 
cedere  dicebat  iuler  vlrum  fortem  ac  virum  probum»  » 


DE  SAINT  LOUIS.  175 

bon  que  Ten  y  essaiast  à  preiire  la  dté*  ;  mes  il  ne  s'acor- 
deroieat  jà  que  son  oors  y  alast' ,  pour  ce  que  ce*  aucune 
chose  avenoit  de  li ,  toute  la  terre  seroit  perdue.  Et  il  dit  que 
Il  ne  les  y  lèroit  jà  aler,  se  son  cors  n'i  aloit  avec  ** .  £t  pour  ce 
demoura  cdle  emprise ,  que  les  seigneur  terrier  ne  s'i  voudront 
acorder  que  il  y  alast.  Par  nos  journées  venimes  ou  saUon 
d'Acre,  là  où  le  roy  et  l'ost  nous  lojames  illec.  Au  lieu  vint  à 
moy  un  grant  peuple***  de  la  grant  Homénie  qui  aloit  en  pè- 
lerinage en  Jérusalem ,  par  grant  tréu  rendant  aux  Sarrazîns  ^ 
qui  les  oonduisolent^  et  im  latimier  ****  qui  savoit  leur  language 
et  le  nostre.  Il  me  Ihent  prier  que  je  leur  moustrasse  le  saint 
roy.  Je  alai  au  roy  là  où  fl  se  séoit  en  un  paveillon^  apuié  à 
Festache^  du  paveillon ,  et  séoit  ou  sablon  sanz  tapiz  et  sanz 
nulle  autre  chose  desouz  li.  Je  li  dis  :  «  Sire,  il  a  là  hors  un 
grant  peuple  de  la  grant  Herménie  qui  vont  en  Jérusalem,  et 
me  proient,  sire,  que  je  leur  face  moustrer  le  saint  roy;  mes 
je  ne  bée  jà  à  baisier  vos  os  ^.  »  Et  il  rist  moult  derement, 
et  me  dit  que  je  les  allasse  querre  ;  et  si  fis-je.  Et  quant  il  oreni 
veu  le  roy,  il  le  command^ent  à  Dieu,  et  le  roy  eulz.  Lende- 
mam  just  Tost  en  un  lieu  que  en  appelé  Passe-poulain,  là  -où 
il  a  de  moult  fodes  eaues  ^ ,  de  quoy  Ten  arrose  ce  dont  le  sucre 
vient.  Là  où  nous  estions  logié  illee  7 ,  Tunde  mes  chevaliers  me 
dit  :  «  Sire,  fist-il ,  or  vous  ai-je  logié  en  plus  biau  lieu  que  vous 
ne  feustes  hyer.  »  L'autre  chevalier*****  qui  m'avoit  prise  la 


«  Q«'il  7  allât  de  «a  penoaae»  ^  i  ..  s  11^1,  j«  ««aflplm 
Ce  (m)  :  si.  —  ^  En  payantgrantiri-  1  ter  tm  reliqaM.  —•  ' 
ut  aax  Sarrasin*.  — *  Estaeke  :  poteaa.   1   '  Illee  :  là. 


k'aaplM  i^s  eooftM  à  bai- 
Ce  (se)  :  si.  —  ^  En  payantgrantiri-   )   ter  Toa  reliqaM.  —  '  Emvee  i  eaax.  — 
bttti 


*  Les  Templiers,  les  Hospitalliers  et  les  barons  du  païs  fespondirent 
quHl  estait  bon  que  on  assiegast  la  citéf  mannscfit  de  Lacques. 

**  L'édition,  de  P.  de  Rieux  porte  t  Et  le  roy  respondit  qu'il  ne  per^ 
mettroit  jà  que  ses  gens  y  allassent,  s^il  n*y  estoit  en  personne, 

***  En  ce  lieu  vint  à  moy  ung  grant  pevfde,  manuscrit  de  Lucques. 

•*♦*  Un  truchement  latin,  éditions  de  P.  de  Rieux,  Ménardet  du  Cange. 

*****  L'édition  de  du  Cange  porte,  d'après  celles  de  P.  de  Rieux  et  de  cl. 
Ménard  :  Et  l*aultre  de  mes  chevaliers  qui  m'avoit  logié  eeluy  jour  devant 


176  HISTOIBB 

place  devant,  sailli  sus  tout  effraez ,  et  U  dit  tout  haut  :  «  Vous 
estes  trop  hardi  quant  vous  parlés  de  chose  que  jeface.  >»  £t 
il  sailli  sus  et  le  prist  par  les  cheveus.  Et  je  sailli  et  le  féri  du 
poing  entre  les  deux  espaules ,  et  il  le  lessa  ;  et  je  li  dis  :  «  Or 
hors  de  mon  ostel  ;  car,  si  m'aist  Dieu  <,  avec  moy  ne  seres- 
vous  jamez.  »  Le  chevalier  s'en  ala  si  grant  deuls  démenant,  et 
m'amena  monseigneur  Gilles  le  Brun  le  connestable  de  France  ; 
et  pour  la  grant  repentanoe  que  il  véoit  que  le  chevalier  avolt 
de  la  folie  que  il  avoit  faite,  me  pria  si  à  certes  comme  il  pot, 
que  je  le  remenasse  en  monliostel.  Et  je  respondique  jene  H 
remenroie  pas,  se  le  légat  ne  me  absoloit  de  mon  serement. 
Au  légat  en  alèrent  et  li  contèrent  le  fait  ;  et  le  légat  leur  res- 
pondi  que  il  n'avoit  pooir  d-eulz*  absoudre,  pour  ce  que 
le  serementestoit  rèsonnable  ;  car  le  chevalier  Tavoit  moult  bien 
déservi  ^  Et  ces  choses  vous  moustré-je ,  pour  ce  que  vous 
vous  gardés  de  Cère  serement  que  il  ne  couvieingne  faire  par 
résou;  car,  ce  dit  le  sage,  qui  volentiers  jure,  volentiers  se 
parjure. 

Lendemain  s'ala  loger  le  roy  devant  la  cité  d' Arsur,  que  l'en 
appelé  Tyri  en  Ja  Bible.  lUec  appela  le  roy  des**  riches  homes 
de  l'ost,  et  leur  demanda  conseil  se  il  seroit  bon  que  il  alast 
prenre  la  cité  de  Belinas'^*  avant  que  il  alast  à  Sayete.  Nous 
Ipames  tuit  que  il  estoit  bon  que  le  roy  y  envoiast  de  sa  gent  ; 
mez  nulz  ne  li  loa  que  son  cors  y  alast  :  à  grant  peinne  l'en 
destourba  l'en****.  Acordé  fu  ainsi,  que  le  conte  d'Eu  îroit  et 

*  Si  m'tM  JMêU  :  qne  Dieu  m«  i  serment,  ita  me  Dent  a^fuvet,  —  >  O^ 
•oit  «a  aide.  C'est  la  tradactioii  da  j  servi  :  inérité. 

(la  Teille),  tuy  va  dire  :  Fous  estes  trop  Jol  ardy  à  monseigneur^  vous 
allez  hlasmer  chouse  que  j*ai  faiste, 

*  De  moy,  manuscrit  de  Lucqnes. 
**  Le  même  manuscrit  porte  :  ses» 

***  Belinat  àsÂi  être  la  ville  que  les  anciens  appelaient  Paneas  on  Cèsarée 
de  Philippe,  Ce  qui  empêche  de  songer  à  Balanaa  en  Pbénicie,  c'est  que 
saint  Louis  ne  se  dirigeait  pas  de  ce  côté. 

****  Lemamucritde  Lucques  porte  :  à  grant  peinç  Ven  destour iia  l'un, 
ce  qui  donne  le  même  sens. 


ii£  SAINT  LOUIS.  1117 

moiiseigneur  Plielippe  de  Montfort ,  le  sire  de  Sur  < ,  moiisei- 
gneurGiles  le  Brun,  coimestable  de  France,  monseigneur 
Pierre  le  Chamberlain ,  le  mestre  du  Temple  et  son  couvent, 
le  mestre  de  TOspital  et  son  couvent ,  et  son  frère  aussi.  Nous 
nous  armâmes  à  Tanuitier  %  et  venimes  un  pou  après  le  point 
du  jour  ea  une  plainne  qui  est  devant  la  cité  que  en  appelé  Be- 
linas,  et  Tappele  TEscripture  ancienne  Cézaire  Phelippe,  £n 
celle  cité  sourt  ^  une  fonteinne  que  l'en  appelé  Jour,  et  enmi 
les  plainnes  qui  sont  devant  la  cité ,  sourt  une  autre  très-beie 
fonteinne  qui  est  appelée  Dan,  Or  est  ainsi ,  que  quant  ces 
deux  ruz4  de  ces  deux  fonteiimes  viennent  ensemble ,  ce  appelé 
l*en  le  fleuve  de  Jourdain  là  oii  Dieu  fu  bauptizié. 

Par  Tacort  du  Temple  et  du  conte  d'Eu^  de  TOspital  et  des 
barons  du  pais  qui  là  estoient,  fu  acordé  que  la  bataille  le  roy^ 
en  laquelle  bataille  je  estoie  lors ,  pour  ce  que  le  roy  avoit  re- 
tenu les  quarante  chevaliers  qui  estoient  en  ma  bataille  avec 
H  * ,  et  monseigneur  Geffroy  de  Sergînes  le  preudomme  aussi, 
iroient  entre  le  chastel  et  la  cité;  et  li  terrier  enterroient^  en 
la  cité  à  main  senestre,  et  TOspital  à  main  destre^  et  le  Temple 
enterroit  en  la  cité  la  droite  voie  que  nous  estions  venu.  Nous 
nous  esmeumes  lors  tant  que  nous  veinmes  delez  la  cité ,  et 
trouvâmes  que  les  Sarrazins  qui  estoient  en  la  ville,  orent  des- 
confit les  seijans  le  roy  et  chaciés  de  la  ville.  Quant  je  vi  ce, 
ving^  aus  préudeshomes  qui  estoient  avec  le  conte  d'Eu,  et 
leur  dis  :  «  Seigneurs ,  se  vous  n*alés  là  où  en  nous  a  com- 
mandé ,  entre  la  ville  et  le  chastel ,  les  Sarrazins  nous  occir- 
ront  nos  gens  qui  sont  entrés  en  la  ville.  »  L'alée  y  estoit  si 
périlleuse ,  car  le  lieu  là  oii  nous  devions  aler  estoit  le  péril- 

'  Sur  :  Tyr.  —  >  A  la  tombée  de  1  *  RaiMeanx. —  ^  Et  les  barons  da  pays 
la   nuit.  —  *  Souri  :  jaillit,  coule.  —  I   entreraient.  -—  «  ring  :  (je  )  vins. 

*  Les  mots  lors,  pour  ce  que.,,  avec  li^  sont  omis  dans  te  manus- 
crit de  Locqoes.  Claude  Ménard  et  du  Gange  les  remplacent  par  ceux-ci  : 
oU  festoie  avecques  mes  chevaliers  pour  iors^  en  laquelle  aussi  estoient  le» 
quarante  chevaliers  que  le  roy  m'avait  baillez  dèspiecza  de  la  v%aison  de. 
Champaigne. 


178  RISTOIBE 

leus;  car  il*  y  avoit  troiz  paire  de  murs  ses'  à  passer,  et 
la  coste  estoît  si  roite  **  que  à  peinne  s'i  pooit  tenir  che?aus;  et 
le  tertre  là  où  nous  devions  aler,  estoit  garni  de  Turs  à  grant 
foison  à  cheval.  Tandis  que  je  parloie  à  eulz,  je  vi  que  nosser- 
jans  à  pîé  deffesoient  les  murs.  Quant  je  vi  ce,  je  dis  à  ceulz  à 
qui  je  parloie ,  que  Ten  avoit  ordené  que  la  bataille  le  roy 
iroit  là  où  les  Turs  estoient  ;  et  pms  que  en  Tavoit  conmiAndé, 
je  iroie.  Je  m*esdreçai  *,  moy  et  mes  deux  chevalin»,  à  oealz  qui 
deffesoient  les  murs ,  et  vi  que  un  serjant  à  cheval  cuidoit  pas- 
ser le  mur ,  et  H  chéi  son  cheval  sus  le  cors.  Quant  Je  vi  ce  » 
je  descendi  à  pié  et  pris  mon  cheval  par  le  frain.  Quant  les  Turs 
nous  virent  venir,  absi  comme  Dieu  vouH^,  il  nous  lessèrait 
la  place  là  où  nous  devions  aler.  De  celle  place  là  où  les  Turs 
estoient,  descendoit  ime  roche  taillée  en  la  cité.  Quant  nous 
feumes  là  et  les  Turs  s*en  furent  partis,  les  Sarrazins  qui  es* 
toient  en  la  cité ,  se  desconfirent  et  lessèrent  la  ville  à  nostre 
gent  sanz  débat.  Tandis  que  je  estoie  là,  le  maréchal  du  Temple 
oy  dire  que  je  estoie  en  péril  ;  si  s'en  vint  là  à  mont  vers  moy. 
Tandis  que  je  estoie  là  à  mont,  les  Alemans  ***  qui  estoient  en 
la  bataille  au  conte  d'Eu  vindrent  après  moy;  et  quant  il  vi- 
rent les  Turs  à  cheval  qui  s'^ifuioient  vers  le  chastel,  il  8*68* 
murent  pour  aler  après  eulz  ;  et  je  leur  dis  :  «  Seigneurs,  vous 
ne  fêtes  pas  bien  ;  car  nous  sonmies  là  où  en  nous  a  commandé, 
et  vous  alez  outre  commandement.  » 
Le  chastiau  qui  siet  desus  la  cité,  a  non  Subeibe****,  et  siet 

*  Sif  :  MCC.  —  3  Je  marehfti.   —  |    3  frouU  ;  voulat. 

*St  périVeua  guHl,  manascrit  de  Lncques. 

**  5i  droicte^  ibidem. 


***  Les  chevaliers  de  l'ordre  Teutonique. 
****  Sabbette,  manuscrit  de  Lacques. 


«  On  aperçoit  à  une  demi-lieue  de  Banias,  le  village  de  Soudba  ou  Son- 
beita ,  placé  mr  le  sommet  du  mont  Pandion.  C'est  la  forteresse  on  ci- 
tadeUe  de  Banias;  elle  appartenait  aux  Templiers,  et  JoinviUe  la  nomme 
:io»bèbe„..  Ayant  passé  le  pont...  nous  entrâmes...  dans  l'antique  Panlas 
ou  Panéade,  que  l'archevêque  de  Tyr  nomme  aussi  Bélmaz,.,,  Gontmal 


DE  SAIJNT   LOUIS. 


179 


biai  demi-lieue  haut  es  montaigoes  de  Libans  ;  et  le  tertre  qui 
monte  ou  chastel  est  peuplé  de  grosses  roches  aussi  comme  li 
huges  s  Quant  les  Alemans  virent  que  il  chassoient  à  foUe  > , 
il  s'en  revindrent  arière.  Quant  les  Sarrazins  virent  ce>  il  leur 
coururent  sus  à  pié,  et  leur  donnoient  de  sus  les  roches  grans 
cops  de  leur  maces,  et  leur  arrachoient  les  couvertures  de  leur 
chevaus.  Quant  nos  seijans  virent  le  meschief,  qui  estoient  avec 
nous',  il  se  eommencièrent  à  |efireer;  et  je  leur  dis  que  se  il 
s'en  aloient,  que  je  les  feroit  geter  hors  des  gages  le  roy  à 
touzjours  mès^.  £t  il  me  distrent  :  «  Sire,  le  jeu  nous  est  mal 
partie  ;  car  vous  estes  à  cheval,  si  vous  enfuirés;  et  nous  som- 
mes à  pié,  fit  nous  oeoiront  les  Sarrazins.  »  £t  je  leur  dis  : 
«  Seigneurs,  je  vous  asseure  que  je  ne  m'enfoiraê  pas  ;  car  je 
demourrai  à  pié  avec  vous*  »  Je  descendi  et  envolai  mon  cheval 
avec  les  Templiers,  qui  estoient  bien  une  arbalestrée  ^  darières. 
Au  revenir  que  les  Alemans  fesoient,  les  Sarrazins  fénrent  un 
mien  chevalier  qui  avoit  non  monseigneur  Jehan  de  Bussey, 
d'un  carrel  parmi  la  gorge  ;  et  chéi  tout*  devant  moy.  Mon- 
seigneur Hugues  d'Escoz  \  eui  niez  il  estoit?,  qui  moult  bien 
se  prouva  en  la  sainte  terre,  me  dit  :  «  Sire,  venés  nous  aidier 
pour  reporter  mon  neveu  Taval  **.  »  -<-  «  Mal  dehait  ait  ^ , 
fiz-je ,  qui  vous  y  aidera  ;  car  vous  estes  alez  là-sus  9  sanz  mon 
commandonent.  Se  il  vous  en  est  mescheuj  ce  est  à  bon  droit. 


>  Huges  :  hnehei,  eoffrea. — ^  Qa'ilc 
s'étaient  foUement  engagés  à  lapoor- 
•uite  de  f  ennemi.  —  3  A  tout  Jamais. 
—  4  Est  mal  partagé,  n'eat  pas  égal 


entre  nous.  —  ^  k  une  portée  d'ar- 
balète. —  *  Hugues  d'Ecosse.  — 
'  A  qui  il  était  neveu.  —  «  Qu'il  ait  ma- 
laise, celui.  — •  *  ti^m:  là-haut. 


sons  k  terrasse,  MUes  ivcc  las  restes  des  édifices  «nttqpies  sur  la  pente 
occidentale  de  rAnti-Liban,  des  minea  inrorraas,  un  tracé  de  mars  d'en- 
ceinte ,  les  tours  et  les  fossés  d'un  diMean  féodal  :  voilà  tout  ce  qui  reste 
de  Panias  on  Césiféede  Philippe.  »  (  Corretptmdanct  d^OrieiU,  tonu  VU, 
pag.  396,  397.  ) 
*  Au  lieu  de  tout,  le  manuscrit  de  Luoqnes  porte  :  nwrt, 
**  On  lit  dans  l'édition  de  du  Cange ,  comme  dans  celles  de  P.  de  Rieux 
et  de  Hénard  :  me  disl.,,  qutje  luy  allasse  aider  à  p&rier  son  mveu  aval 
pour  le  faire  enterrer. 


180  HTSTOiaE 

Reportés-le  Faval  en  la  longaingne  ',  car  je  ne  partirai  de  ci  jus- 
ques  à  tant  que  Ten  me  revenrra  qu^rre.  « 

Quant  monseigneur  Jehan  de  Valenciennes  oy  le  meschief  là 
où  nous  estions,  il  vint  à  monseigneur  Oliviers  de  Termes*  et 
à  c^s  autres  chieveteins  de  la  corte  laingue  ** ,  et  leur  dit  : 
«  Seigneurs,  je  vous  pri  et  conunant  de  par  le  roy,  que  vous 
m*aidiés  à  querre  le  séneschal.  «  Tandis  que  il  se  pourchassa 
ainsinc  *,  monseigneur  Guillaume  de  Biaumont  vint  à  ii  et  li 
dit  :  «  Vous  vous  traveillés  pour  nient  ;  car  le  séneschal  est 
mort.  »  Et  il  respondi  :  «  Ou  de  la  mort  ou  de  la  vie  diré-je 
nouvelles  au  roy.  »  Lors  il  s'esmut  et  vint  vers  nous,  là  où 
nous  estions  montés  en  la  montaingne  ;  et  maintenant  que  il 
vint  à  nous,  il  me  manda  que  je  venisse  à  Ii  ;  et  si  fis-je  ^ . 

Lors  me  dit  Olivier  de  Termes  que  nous  estions  illec  en 
grant  péril  ;  car  se  nous  descendions  par  où  nous  estions  montés, 
nous  ne  le  pourrions  faire  sanz  grant  péril  **^ ,  pour  ce  que  la 
coste  estoit  trop  maie  < ,  et  les  Sarrazins  nous  descendroient 
sur  les  cors  :  «  Mes  se  vous  me  voulés  croire,  je  vous  déliver- 
rai  sanz  perdre.  »  Et  je  li  diz  que  il  devisât  ce  que  il  vourroit, 
et  je  [  le****]  feraie.  «  Je  vous  dirai,  fit-il, comment  nous  esclia- 
perons  :  nous  en  irons,  fist-il ,  tout  cependant ,  aussi  comme 
nous  devions  aler*****  vers  Damas  ;  et  les  Sarrazins  qui  là  sont, 
cuideront  que  nous  les  weillons  prenrç  par  darières.  Et  quant 
Qous  serons  en  ces  plainnes,  nous  ferrons  ^  des  espérons  en- 

*  Longahùgnê  :  TSirle. —  *  Mnsine  :  i  maaTaise.  •»  ^  Perrons  :  frapperoiM , 
ainal.  —  3  gt  ainsi  fls-je.  —  *  MtUe  :   |  piquerons. 

*  Fils  de  Raymond ,  seigneur  de  Termes  en  Langnedoc. 

**  Torte  langue  y  dans  les  éditions  antérienres  à  1761.  —  Langue  torte 
et  langue  d'oc  sont  des  noms  d'an  même  idiome. 

P.  de  Rieax  ajoute  ici  :  entre  lesquels  estoit  messire  Arnoul  de  Com' 
menge,  duquel  f  ai  devant  parlé* 

***  A  la  place  de  péril,  le  mannscrit  de  Lucques  donne  perte, 

****  Uanascrit  de  Lucques. 

*****  Ainsi  comme  se  (si)  nous  en  voullions  aller,  manuscrit  de  Luc- 
ques. 


DE  SAINT   LOUIS.  181 

tour  la  cité,  et  aurons  (avant*]  passé  le  ru'  que  il  puissent 
venir  vers  nous;  et  si  leur  ferons  grant  doumage,  car  nous 
leur  métrons  le  feu  en  ses  fonn«B  *  batus  qui  sont  enmi  ces 
chans.  »  Nous  feimes  aussi  comme  fl  nous  devisa  ;  et  il  fist 
prenre  canes  de  quoy  l'en  fet  ces  fleutes,  et  Gst  mettre  char- 
bons dedans  et  ficher  dedans  les  fourmens  batus.  Et  ainsi 
nous  ramena  Dieu  à  sauveté^ ,  par  le  conseil  Olivier  de  Ter- 
mes. Et  sachiez  quant  nous  veoimes  à  la  héberge  là  où  nostre 
gent  estoient,  nous  les  trouvâmes-  to^  désarmés;  car  il  n'i  ot 
onques  nul  qui  s'en  preist  garde.  Ainsi  revenimes  lendemain  à 
Say^e,  là  où  le  roy  estoit. 

Nous  trouvâmes  que  le  roy  son  cors^  avoît  fait  enfouir  les 
cors  des  Grestiens  que  les  Sarrazins**  avoient  occis,  aussi 
comme  il  est  desus  dit  ;  et  il-meismes  son  cors  portoit  les 
cors  pourris  et  touz  puans  pour  mettre  en  terre  es  fosses,  que 
jà  ne  se  estoupast^,  et  les  autres  se  estoupoient.  Il  fist  venir 
ouvriers  de  toutes  pars ,  et  se  remist  à  fermer  la  cité  de  haus 
murs  et  de  grans  tours  ;  et  quant  nous  venimes  en  Tost,  nous 
trouvâmes  que  il  nous  ot  nos  places  mesurées,  il  son  cors^, 
là  où  nous  logerions.  La  moy  place?  il  prist  delez  la  place  le 
conte  d*Eu,  pour  ce  que  il  savoit  que  le  conte  d'Eu  amoit  ma 
compaignie. 

Je  vous  conterai  **^  des  jeus  que  le  conte  d'Eu  nous  fesoit. 
Je  avoie  fait  une  mèsou,  là  où  je  mangoie,  moy  et  mes  cheva- 
liers, à  la  clarté  de  Fuis*  :  or  estoit  l'uis  au  conte  d'Eu****;  et 

*  iln  ;  ralatean.  —  '  Form»ns  :  fro-  |  »t  bovchitlei  narines.  —  <  Lni-mème 
menta.  —  *SaMveié .'saint.  —  ^  Le  roi  1  en  personne.  •—  '  Ma  plaee.  —  *  UU  : 
en  personne,  —  ^  Sans  qne  Jamais  il  I   porte  ;  d*oà  huisiier. 

*  Manuserit  de  Lncqnes. 

**  n  y  a  dans  te  manmcrit  2016,  les  Crestiêns  que  les  CresUens  avaient 
occis.  Pas  plus  que  les  éditeurs  do  Recueil  des  Historiens  des  Gaules,  nous 
n'avons  pa  hésiter  à  préférer  b  leçon  du  manuscrit  de  Lucques  :  les  corps 
des  Crestiêns  que  les  Sarrasins, 

***  Cet  alinéa  et  te  suivant  sont  du  nombre  de  ceux  qui  n'avaient  pas 
été  imprimés  avant  1761. 

*•**  Qf  fgf^  i  f^^yg  devers  le  conte  d^Eu,  manuscrit  de  Lucques. 

HlSr.  DE  8A1KT  LOUIS.  16 


182 


HISTOIBE 


if  qui  moult  estoit  soutilz  ' ,  fîst  une  petite  bible  *  que  il 
getoit  eus  *  ;  et  fesoit  espier  quant  nous  estions  assis  au  manger, 
et  dressoit  sa  bible  du  lonc  de  nostre  table ,  et  nous  brisoit  nos 
pos  et  nos  vouerres. 

Je  m^estoie  garni  de  gélines  ^  et  chapons  ;  et  je  ne  sai  qui  li  avoit 
donné  une  joene  oue  4 ,  laquele  il  lessoit  aler  à  mes  gélines , 
et  en  avoit  plus  tost  tué  une  douzainne  que  Ten  ne  venist  illec; 
et  la  femme  qui  les  gardoit  batoit  Toue  de  sa  gounelle'^**. 

Tandis  que  le  roy  fermoit  ^  Sayete,  vindrent  marcheans  en 
Tost ,  qui  nous  distrent  et  contèrent  que  le  roy  des  Tartarins 
avoit  prise  la  cité  de  Bandas  ***  et  Tapostole  des  Sarrazîns  **** 
qui  estoit  sire  de  la  ville,  lequel  on  appeloit  le  califre  de  Bandas, 
La  manière  comment'  il  pristrent  la  cité  de  Bandas  et  du? 

—  3  Céline  :  poule ,  gallitui  ;  d'où  ge- 
linotte.—  *Cne  jeane  oie.  — '  Gou- 
nelle  :  rob«  ;  anglaîa,  çown,  —  ''  Fer* 
moit  :  fortifiait.  —  ?  Et  le. 


*  SoutiU  :  subtil  ,  malicieux.  — 
'  Avec  laquelle  il  lançait  des  projec- 
tiles dedans.  A  la  place  A'ens,  le  ma- 
nuscrit  de  liUCiues  donne  œufs.  — 


*  Petite  baliste  ou  machine  k  jeter  des  pierres  : 

Volent  carrel  et  pel  et  dars 
Et  pierres  granz ,  et  les  perrières 
Et  les  bibles,  qui  sont  tropflères, 
Getent  trop  menoetement. 

{Le  Roumaffis  de  Claris  et  de  Laris,  manuscrit  de  la  Bibliothèque  impé- 
riale, n»  75S4  —  5,  folio  164  recto,  col.  2,  v.  27. ) 

**  Voici  la  leçon  du  manuscrit  de  Lucques  :  une  jeune  ourse,  laquelle 
il  laitsùit  aller  û  met  géUnes,  et  Qn  avoit  plut  tost  tué  une  douzeineque 
OH  n'euti  etté  au  lieu  pour  en  prendre  une;  et  la  femme  qui  les  gardoii 
haitoit  icelle  ourse  de  sa  quenoille. 

Ce  qui  suit  jusqu'à  que  tu  eusses  onques,  n'est  pas  dans  l'édition  de  Cl. 
Ménard,  et  ne  se  trouve  qu'en  note  dans  celle  de  du  Cange.  On  croyait 
que  c'était  un  chapitre  ajouté  par  P.  de  Rieux  ;  mais  il  se  lit,  sauf  des  dif- 
férences de  rédaction,  dans  nos  deux  anciens  manuscrits. 

«**  Baudas  dans  Jolnville  et  dans  Froissart  ;  ailleurs  Baudtic  ou  Bal- 
âae,  aujourd'hui  Bagdad,  Les  Tartares  qui  prirent  cette  ville  étaient  com- 
mandés par  Honlagou. 

****  Le  calife ,  pape  (  ou  apostole  )  des  Sarrashis  :  Regnum  de  Baudas, 
uhi  est  papa  Saracenorum  ^qui  vocatur  kabatus ,  sive  ealiphas,  dit 
Jacques  de  Yitry,  au  Uv.  HL  de  son  histoire  de  l'Orient.  (  Getta  Dei  per 
Francos,  pag.  1125,  lig.  38.  ) 


DE  SAINT  LOUIS.  18S 

ealife,  nous  contèrent  les  marcheans,  et  la  manière  fa  tele. 

Car  quant  il  orent  la  cité  du  calife  assiégée,  il  manda  au  ca- 
life que  il  fesoit  volentiers  mariage  de  ses  enfsms  et  des  siens; 
et  le  conseil  leur  louèrent  que  il  s'acordassent  au  mariage*. 
£t  le  roy  des  Tartarins  li  manda  que  il  li  envcûast  jusques  à 
quarante  personnes  de  son  conseil  et  des  plus  grans  gens,  pour 
jurer  le  mariage  ;  et  le  calife  si  fist.  Encore  li  manda  le  roy 
des  Tartarins,  que  il  li  envoyast  quarante  des  plus  riches  et 
des  meilleurs  homes  que  il  eust;  et  le  calife  si  fist  **.  A  la 
tierce  foiz  li  manda  que  il  li  envoiast  quarante  des  meilleurs 
que  il  eust;  et  il  si  fist.  Quant  le  roy  des  Tartarins  vit  que  il 
ot  touz  les  chevetains  de  la  ville,  il  s'apensa  que  le  menu 
peuple  de  la  ville  ne  s*auroit  pooir  de  deffendre  >  sanz  gou- 
verneur. Il  fist  a  touz  les  six  vint  *  homes  coper  les  testes ,  et 
puis  fist  assaillir  la  ville,  et  la  prist  et  le,  calife  aussi. 

Pour  couvrir  sa  desloiauté,  et  pour  geter  le  blasme  sur  le 
calife  de  la  prise  de  la  ville  que  il  avoit  fête,  il  fist  prenre  le 
calife  et  le  fit  mettre  en  une  cage  de  fer,  et  le  fist  jeunuer 
tant  comme  l'en  peust  faire  homme  sanz  mourir  ;  et  puis  ii 
manda  se  il  avoit  fain.  Et  le  calife  dit  que  oyl;  car  se  n'estoit 
pas  merveille.  Lors  li  fist  aporter  le  roy  des  Tartarins 
un  grant  taillouer^  d'or  chargé  de  joiaiis  à  pierres  précieuses, 
et  li  dit  :  «  Cognois-tu  ces  joiaus?  »  Et  le  calife  respondi  que 
oyl  :  «  Il  furent  miens.  »  Et  il  li  demanda  se  il  les  amoit  bien  : 
et  il  respondi  que  oyl.  «  Puis  que  tu  les  amoies  tant ,  fist  le 
roy  des  Tartarins ,  or  pren  de  celle  part  que  tu  vourras  et 
manju^.  »  Le  califes  li  respondi  que  il  ne  pourroit;  car  ce 
n'estoit  pas  viande  que  l'en  peust  manger.  Lors  li  dit  le  roy 

<  N'aarait  poaToir  dft   se    déren-   1   bassin.  —<  Marf/u  :  mange. 
dre.  —  »  Cent  Tlngt.  —  *  TaUlawr  :   \ 

*  Le  cotueil  du  caliphe  se  accorda  et  adviea  gu^il  se  devoit  accorder  au 
mariage^  manuscrit  de  Lacques. 

**  On  lit  au  même  manuscrit  :  quarante  des  plus  riches  hommes  quHl 
avoit;  ce  qu*iljlst. 


184  HISTOIRE 

des  TartariDS  :  «  Or  peus  veoir  au  ealioe  ta  defifense*;  car  se 
tu  eusses  donné  ton  trésor  d'or,  tu  te  feusses  bien  defiendu  à 
nous  par  ton  trésor^  se  tu  Teusse  despendu  s  qui  au  plus  grant 
besoing  te  £auit*  que  tu  eusses  onques.  » 

**  Tandis  que  le  roy  fermoit  Sayete^  je  alai  à  la  messe  au 
peint  du  jour,  et  il  me  dit  que  je  l'attendisse,  que  il  vouloit 
chevaucher  ;  et  je  si  fis.  Quant  nous  fumes  ans  cbans ,  noua 
venknes  par  devant  un  petit  moustier,  et  veismes  tout  à  cheval 
un  prestre  qui  chantott  la  messe.  Le  roy  me  dit  que  ce  mous* 
tier  estoît  fait  en  l'omif ur  du  nûrade  Xfœ  Dieu  fist  du  dyable 
que  il  geta  hors  du  cers  de  la  fiUe  à  la  veuve  femme;  et  il  me 
dit  que  se  je  vouloie ,  que  if  orroit  léans  ^  la  messe  que  le  prestre 
avoit  comm^usiée;  et  je  li  dis  que  il  me  sembloît  bon  à  fère. 
Quant  ce  vînt  à  la  pez^  donner,  je  vi  que  le  derc  qui  aidoit 
la  messe  à  chanter,  estoit  grant,  noir,  megre  et  hericîés,  et 
doutai  que  se  il  portoit  au  roy  la  pez^  que  espoir^  c'estoit  un 
Assacis^,  un  mauvez  homme,  et  pourroit  occirre  le  roy.  Je 
alai  prenre  la  pei  au  clerc  et  la  portai  au  roy.  Quant  la  messe 
fu  diantée  et  nous  fumes  montez  sus  nos  chevaus,  nous  trou- 
vâmes le  légat  aus  chans;  et  le  roy  s'approcha  de  li  et  m'ap- 
pda,  et  dit  au  légat  :  «  Je  me  pleing  à  vous  dou  séneschal, 
qui  m'apporta  la  pez  et  ne  voult  que  le  povre  derc  la  m'a- 
porta.  »  Et  jjB  diz  au  légat  la  reson  pourquoy  je  l'avoie  fait; 
et  le  légat  dit  que  j'avoie  moult  bien  fet.  Et  le  roy  respondi  : 
«  Vraiment  non  fist.  »  Grantdeseort?  yot  d'eulz  deuz,  et 

*  Despendu  :-  dépensé.  — ^  '  Foui  :  |  — •*  Un  Huebisehi,  AaMMin.  Voya 
mnnqne.  •*  *  Léans  :.  là-dedans.  -»  |  ei-deMvS)  p.  78.  — ">  Deeeori  :  désae- 
•— *,Pes:  paix. —^JEspoir:  peut  •être.  I  cord. 

*  Or  à  présent  peulx-tu  veoir  ta  grande  faulte,  édition  de  P.  de 
Rieux.  —  1468  mots  au  calice  du  mannscrit  SOIS  embarrassent  réditenr 
de  1761,  qui  demande  si  l'on  ne  pourrait  pas  y  substituer  6  caliphe.  Peut- 
être  au  calice  veut-U  dire  dans  ce  vase,  dans  ce  bassin;  mais,  ainsi  que 
le  font  observer  les  continuateurs  de  D.  Bouquet,  le  passage  est  réellemeat 
fort  obscur. 

**'  Cet  alinéa  Tandis  que,,,  et  tout  ce  qui  suit  jusqu'à  ne  sai-je  q^ 
il  devindreni,  manquent  dans  les  éditions  de  1547,  1617  et  166S« 


V 


**  • ;  I     ^      ,.•■■/ 


Dl  SAINT  LOUIS.  185 

je  ea  demound  en  pez.  Et  ces  nouvelles  vous  ai-je  contées, 
pour  ce  que  vous  veez  la  grant  humilité  de  lî. 

Ce  mirade  que  Dieu  fist  à  la  fille  de  la  femme,  par  l'Evan- 
gile qui  dît*  que  Dieu  estoit,  quant  il  fist  le  miracle,  in 
parte  Tyri  et  S^ndonis  >  ;  car  lors  estoit  la  dté  de  Sur  que  je 
vous([aî  nommée,]  appelée)  7^H,  et  la  dté  de  Sayette  que  je 
vous^^f  devant  nommjée,  5&fotn6**.       f^*   v,,   m  ^m 

Tandis  que  le  roy  fermoit  >  Sayête,  vindrent  à  li  les  messages 
à  un  grant  seigneur  de  la  parfonde  Grèce,  lequel  se  fesoit  ap- 
pder  le  grant  Gommenie  et  sire  de  Trafentesi  **".  Au  roy  appor- 
tèrent divers  joiaus  à  présent.  Entre  les  autres  li  apportèrent 
ars  de  cor  3  9  dont  les  coches  entrbient  à  vis  dedans  les  ars  ; 
et  quant  en  les  sadioit  hors ,  si  trouvoit  Ten  que  il  estoieat 
dehors  moult  bien  tranchant  et  moult  bien  faiz****.  Au  roy  re* 
quistrent  que  il  li  envoiast  une  pùcelle  de  son  palais,  et  il  la 
prenroit  à  femme.  Et  le  roy  respondi  que  il  n'en  avoit  nulles 
amenées  d'outre-mer  ;  et  leur  loa  que  il  alassent  en  Constantin- 
noble  à  l'empereour,  qui ^toit  cousin  le  roy,  et  li  requds- 
sent  que  il  leur  baiilast  une  Svaum  pour  leur  sdgneur, 
tde  qui  feust  du  lignage  le  roy  et  du  sien.  Et  ce  fist-il, 
pour  ce  que  Tempereiir  eust  aliance  à  son*****  grant 
riche  home  contre  Yatache ,  qui  lors  estoit  empereur  des 
Griex  ***•**. 


I  Dans  le  p^jn  de  Tyr  et  de  Sidon.  I   cor  :  arcs  de  cormier. 
—  >  FermoU  :  fortiflait.  —  ^  ^rs  de  \ 


*  Du  miraele  que  Nostre-Seigneur  JUi  à  la  JUU  de  la  w(fve  femme, 
parle  VBvangiUe  et  dit,  maniucrit  d-denus. 

**  J'ai  restitué  ce  passage  d'après  Je  manuscrit  de  Lacques. 

**«  U  grant  Çammenênas,  sire,  de  TraffetûtUe»,  manuierit  de  Lacques. 
U  s'agit  Ici  de  Comnèoe ,  seigueur  de  TréMzonde. 

****   Quant  on  Uê  UuehoU  hore,  on  trouvoit  que  eestoit  eheumet 
dedens  moult  bien  faietes  et  bien  êreneham,  naBOScrit  de  Lacques. 

*****  A  eettuy,  manuscrit  de  Lacqoes. 

*••♦**  Voyei  cHlessiH ,  p.  «J. 

16. 


,// 


186 


HISXOl&E 


La  royne,  qui  Douvelement  estoit  relevée  de  dame  Blan- 
che^ dont  elle  ayoit  geu'  à  Jaffe,  arriva  à  Sayette;  car 
elle  estoit  venue  par  mer.  Quant  j'oy  dire  qu*ele  ettoit  venue, 
je  me  levay  de  devant  le  roy  et  alai  encontre  li  \  et  ramenai 
jusques  ou  ebastel.  Et  quant  je  reving  au  roy,  qui  egtoit  en  sa 
chapelle,  il  me  demanda  se  la  royne  et  les  enfants  estoient 
baitiés^,  et  je  li  diz  oil**.  Et  il  me  dit  :  «  Je  soy^  bien  quant 
vous  vous  levsites  de  devant  moy,  que  vous  aliés  encontre  la 
royne,  et  pour  oe  je  vous  ai  fet  attendre^  au  sermon.  »  Et 
ces  cfaoseç  vous  ramentoif-je^,  pour  ce  que  j'avoie  jà  esté 
einc  ans  entour  H,  que  encore  ne  m'avoit-il  parlé  de  la  royne 
nedes.enfans***,queje  oi8se,neàautrui;  etcen*estoit  pa^ 
hone  manière,  si  comme  il  me  nemble,  d'estre  estrange?  de 
sa  femme  et  de  ses  ^ans. 

Le  jour  de  la  Touz-Sain$  je  semons  >  touz  lej»  riches  homes 
de  rost  en  mon  hostel,  qui  estoit  sur  la  mer  ;  et  lors  un  povre 
chevalier  arriva  en  une. barges,  et  sa  femme  M  quatre  fila 
que  il  avotent.  Je  leç  Hz  venir  manf;er  m  mon  ho$teK  Quant 
nous  eumesi  mangé,  je  appQ||p  les  riches  homes  qui  léan$'<>  es* 
toient,  et  leur  diz  :  «  Fesonsune  grant  aiunosne  et  deschargons 
oest  povre  d'omme  (<  de  ces  enfans,  et  preingne  chascun,  le  $ien^ 
et  je  en  prenrai  un.  »  Chascun  en  prist  un,  et  se  combatoiait 
de  ravoir.  Quant  le  povre  chevalier  vit  ce ,  il  et  sa  femme  il 
commencièrent  à  plorer  de  joie.  Or  avint  ainsi ,  que  quant  le 
conte  d*Eu  revint  de  manger  de  Tostel  le  roy,  il  yint  veoir  les 


I  Dont  elle  était  accoachée.  — 
»  Au-devant  d'elle.  —  3  Haitiés  :  en 
bonne  santé.  —  *  Soy  :  sus.  —  &  J'ai 
ordonné    qu'on   tous    attendit*    — 


5  RamenMf'je  :  rappelé-je.  —  '  Es- 
trange: étranger.  — *^  Semons  :  invitai. 
—  *  Barge  :  barque.  —  '*  Léans  :  là- 
dedans.  •«•  **  Ce  pauvre  homme.         * 


*La  princesse  BUnche,  née  à  Joppé  en  1292  ,  morte  en  Espagne  en 
1320,  femme  de  Ferdinand  de  la  Cerda,  fils  du  roi  de  Castilte  Aifonse  X. 
—  Le  manuscrit  de  Luoques  ajoute  le  nom  Marguerite  aprè»  La  royne. 

**  l^  même  manuscrit  porte  t  et  ton  enfjànt  estoient  v^mz,  je  luy.  dis. 

ffU-c  oy, 

*'*  Ne  de  ses  enjfans,  manuscrit  de  Lucques. 


DE  SAINT  LOUIS.  fS7 

riches  homes  qui  estolent  en  mon  hostel,  et  me  tolli  <  le  mien 
en&nt ,  qui  estoit  de  l'aige  de  douze  ans,  lequel  servi  le  eonte 
si  bien  et  si  loialement,  que,  quant  nou»revenimes  en  Franee, 
le  conte  le  maria  et  le  fist  chevalier  ;  et  toutes  les  foiz  que  je 
estoie  là  où  le  conte  estoit,  à  peinne  se  pooit  départir  de  moy, 
et  me  disoit  :  «  Sire,  Dieu  le  vous  rende  ;  car  à  cest  honneur 
m*avez-vous  mis.  »  De  ces  autres  trois  frères  ne  sai-je  que  if 
devindrent. 

Je  prié*  au  roy  que  il  me  lessast  aler  en  pèlerinage  à 
Nostre-Dame  de  Tortouze**,  là  où  il  a  voit  mouH  grant  pè* 
lerinage,  pour  ce  que  c'est  le  premier  autel  qui  onques  feust 
fait  en  Tonneur  de  la  mère  Dieu  sur  terre  ;  et  y  fesoit  Nostre» 
Dame  moult  grant  miracles,  dont  entre  les  autres  i  avoit  un 
hors  du  senz  *  qui  avoit  le  dyable  ou  cors.  Là  où  ses  amis , 
qui  Tavoient  léans  amené ,  prioient  la  mère  Dieu  qu'elle  li 
donnast  santé ,  Fennemi  ^,  qui  estoit  dedans ,  leur  respondi  : 
e  Nostre-Dame  n'est  pas  ci,  ainçois  est  en  Egypte,  pour  aidier 
au  roy  de  France  et  aus  Crestiens  qui  aujourd'ui  ariveront  en 
la  terre,  0  à  pié^  contre  la  paennime  4  à  cheval.  »  Le  jour  fu 
mis  en  escript  et  fut  aporté  au  légat;  que  ^  monseigneur  le  me 
dit  de  sa  bouche  **\  £t  soies  certein  qu'elle  nous  aida  ;  et 

•  ToUi  :  f nleta.  —   >  Un   foa .  —   |  —  *  Çue  :  car. 
>  L'êitnemi  :  le  diable.  >—  ^  Les  païens.   I 

*  Ici  finit  la  lacune  des  éditions. 

**  Tortose ,  sur  la  côte  de  Pbénicie,  XAntarade  des  anciens,  peut-être 
aussi  l'ancienne  Orthosia,  —  Jacques  de  Vitry,  liv.  !•*,  chap.  XLn  (  Gefta 
Dei  per  Francos ,  page  1072,  lig.  54),  dit  que  les  Musulmans  conduisaient  là 
leurs  enfants  pour  les  faire  baptiser,  persuadés  que  c'était  un  moyen  de 
les  préserver  de  toute  maladie.  —  i  I^'égllse  de  Tortose,  maintenant  con- 
vertie en  étabte  «t  en  caravanséral,  est  le  seul  édifice  de  l'ancienne  ville  que 
le  temps  B*ait  pas  trap  endommagé.  L'édifice,  situé  à  l'orient  du  château,  est 
formé  de  trois  nefs  et  conserve  ses  vofttes,  ses  piliers  et  ses  murailles,  dont 
les  pierres  ont  la  beauté  du  marbre.  Mandrell,  qui  a  mesuré  ce  monument, 
lui  a  trouvé  oent  traite  pieds  de  long,  quatre-vingt-treize  de  large,  soixante 
et  un  de  bailleur.  »  (  Correspondante  d^  Orient,  par  HM.  Michaud  et  Poq.*. 
joulat,  (om.  VI,  pag.  428,  429.  ) 

***  Qui  mesmes  le  me  dist,  manuscrit  de  Lurqiies. 


188 


HISTOIAB 


nous  eust  plus  aidé  se  nous  ne  Teussioiis  eourtMioiée,  et  It  et 
son  filz,  si  comme  j'ai  dit  devant. 

Le  roy  me  donna  congîé  d'aler  là»  et  me  dit  à  grant  con- 
seil que  je  li  achetasse  cent  camelins  de  diverses  couleurs*, 
pour  donner  aus  eordeliers  quant  nous  vendrions  en  France. 
Lors  m'assouaga'  le  cuer;  car  je  pensai  bien  que  il  n'i  de- 
mourroit  guères.  Quant  nous  vBiimes  en  Gypre  à  Triple**, 
mes  chevaliers  me  demandèrent  que  je  vouloie  faire  ^s  ca- 
melins» et  que  je  leur  deisse  :  o  Espoir,  fesoie-je ,  si  les  robe  é  > 
pourgpaingaer***.  » 

Le  prince  3,  que  Dieu  absoiUe ,  noiis  fist  si  grant  joie  et  si 
grant  honeur  comme  il  pot  onques,  et  eust  donné  à  moy  et 
à  mes  chevaliers  grans  dons,  se  nous  les  vousissons  avoir  pris. 
Nous  vousimes  rien  prenre ,  ne  mes  que  de  ses  reliques ,  des- 
quelles je  aportai  au  roy ,  avec  les  camelins  que  je  11  avoie 
achetez. 

Derechief  je  envoiai  à  madame  la  royne  quatre  camelins^ 
Le  chevalier  qui  porta  ****,  les  porta  entorteillés  en  une  touaille^ 
blanche.  Quant  la  royne  le  vit  entrer  en  la  chambre  où  elle 
estoit,  si  s'agenoilla  contre  U,  et  le  chevalier  se  ragenoilla^ 
contre  li  aussi;  et  la  royne  li  dit  :  «  Levez  sus,  sire  chevalier, 
vous  ne  vous  devez  pas  agenoiller  qui  portés  les  reliques.  » 
Mes  le  chevalier  dit  :  «  Dame,  ce  ne  sont  pas  reliques,  ains 
sont  camelins  que  mon  seigneur  vous  envoie,  i*  Quant  la  royne 
oy  ce,  et  ses  damoiselles,  si  commeneièrent  à  rire  ;  et  la  royne 


*  J$souaga  :  soalagea.  ^-^  '  Peut- 
être  ,  fàlsaiS'Je ,  les  ai-je  dérobés.  — 
>  De  Tripoli.  ~«  TtmaHle  :  serviette; 


espagnol,  toalla;  anglais,  lowel.  -^  ^ 
Se  ra0eno<//(i  ;  s'agenouilla  &  son  tour. 


*  Le  manuicrit  de  Luoqnes  porte  :  cent  livrées  de  camelot  de  diverses 
eoulleurs.  Le  camëot  était  différent  du  camelin,  grosse  étoffe  de  laine, 
an  stijet  de  laquelle  ou  peut  consulter  nos  Recherches  sur  le  commerce, 
la  fabrication  et  l'usage  des  étoffes  de  soie,  etc.,  tom.  II,  pag.  48-51. 

**  Quant  nous  vinsmes  à  Triple  (  Tripoli),  manuscrit  de  Luoqnes. 

***  Et  je  leur  dis  que  je  les  veulhye  revendre  pour  gaigner,  manuscrit 
de  Lucques. 
^    *••♦  ^»  les  luy  présenta,  ibid. 


DB  SÂIlfT  LOUIS.  ia9 

dît  à  mon  cbévriier  :  «  Dites  à  vostre  seigneur  que  mal  '  jour 
K  soit  donné,  qoaDt  il  m'a  fet  ageaoiiler  contre  ses  eamelins.  » 

*  Tandis  que  le  roy  estoit  à  Sayette ,  li  apporta  l'en  une 
pierre  qui  se  levoit  par  escales  ' ,  la  plus  merreilleuse  du  monde  ; 
c^i  quant  l'en  IcYoit  une  escale,  l'en  trouvoit  entre  les  deux 
pierres  la  forme  d'un  poisson  de  mer.  De  pierre  estoit  le  pois- 
son; mais  il  ne  Mloit  riens  en  sa  fourme ,  ne  yex ,  ne  areste, 
ne  couleur,  ne  autre  chose  que  il  ne  feust  autreteP  comme 
s'il  feust  vil  Le  roi  manda  une  pierre,  et  trouva  une  tanche** 
dedans ,  de  brune  eoleur  et  de  tel  façon  conmie  tanche  doit 
estre. 

A  Sayette  vindrent  les  nouvelles  au  roy  que  sa  mère  estoit 
morte.  Si  grant  deul  en  mena,  que  de  deux  jours  en  ne  pot 
onques  parler  à  li.  Après  ce  m-envoia  querre  par  un  vallet  de 
sa  chambre.  Quant  je  viug  devant  li  en  sa  chambre,  là  où  il 
estoit  tout  seul,  et  il  me  vit  et  estandi  ses  bras  et  me  dit  :  » 
«  A!  séneschal,  j'ai  parduema  mère.  »  —  «  Sire,  je  ne  m'en 
merveille  pas,  fis-je,  que  à  mourir  avoit-elle  ;  mes  je  me  mer- 
veille que  vous  qui  estes  un  sage  home,  avez  mené  si  grant 
deul  ;  car  vous  savez  que  le  sage  dit ,  que  mésaise  ^  que  l'omme 
ait  ou  cuer,  ne  li  doit  parer  ou  visage  ;  car  cil  qui  le  fet,  en  fet 
liez^ses  ennemis  et  en  mésaise  ses  amis.  »  Moult  de  biausser- 
vises  en  fit  faire  outre-mer;  et  après  il  envoia  en  France  un 
sommier^  chargé  de  lettres  de  prières  aus  esglises,  pour  ce 
que  il  priassent  pour  li?. 

**^  Madame  Marie  de  Vertus,  moult  bone  dame  et  moult 
sainte  femme,  me  vint  dire  que  la  royne  menolt  moult  grant 

I  Mal  :  maiiTftic.  —  '  BtcaUt  :  |  — *  Sommimr  :  cheval  de  charge, bête 
Aeaillea.  —  ^  Jutrêtel  :   pareil.  —    I  de  somme.  —  '   lA  :  eUe. 
*  Qaelqne  chagrin.  —  ^  Lies  ;  joyeax.   1 

*  Cet  aHnéa,  publié  p«r  P.  de  Rien,  a  été  omis  dans  redit,  de  CL  Mé- 
nard  et  mis  en  note  à  la  suite  de  celle  de  da  Gange» 

**  Le  manuscrit  de  Lncques  donne  eette  variante  :  Leroy  me  donna 
une  pierre ,  et  trouvay  une  tanche, 

***  Cet  alinéa  et  le  suivant  sont  compris  dans  l'édition  de  1547,  omis 
dans  celte  de  1617 ,  et  insérés  dans  les  notes  de  du  Gange. 


1Q0  HISTOUE 

deulz,  et  me  pria  que  j'alasse  vers  ii  pour  la  réeoitforter.  Et 
quant  je  viag  là,  je  trouvai  que  elle  pleuroit,  et  je  U  dis  que 
voir  '  dit  celi  qui  dit  que  Ten  ne  doit  femme  croire  :  «  Car  ce  es- 
toit  la  femme  que  vous  plus  haies,  et  vous  en  portez  tel  deuU  » 
£t  elle  me  dit  que  ce  n'estoit  pas  pour  li  que  elle  ploroit,  mes 
pour  la  mésaise  que  leroy  avoit  du  deul  que  il  menoit ,  et  pour 
sa  fille  qui  puis  fii  royne  de  Navarre,  qui  estoit  demourée  en  la 
garde  des  homes.  » 

Les  durtez  que  la  royne  Blanche  fist  à  la  royne  Marguerite 
furent  tiex  >,  que  la  royne  Blanche  ne  vouloit  soufrir  à  son 
pooir  que  son  filz  feust  en  la  compaingnie  sa  femme,  ne  mez 
que  le  soiç  quant  il  aloit  coucher  avec  li.  Les  hostiex  ^  là  où  il 
plesoit  miex  à  demeurer  >  c'estoit  à  Pontoise,  entre  le  roy  et 
la  royne,  pour  ce  que  la  chambre  le  roy  estoit  desus  et  la 
chambre  estoit  desous*.  Et  avoient  ainsi  acordé  leur  besoi- 
gne ,  que  il  tenoient  leur  parlement  en  une  viz  ^  qui  descen- 
doit  de  Tune  chambre  en  Tautre;  et  avoient  leur  besoignes  si 
attirées**,  que  quant  les  huissiers  veoient  venir  la  royne 
en  la  chambre  le  roy  son  filz,  il  batoient  les  huis  de  leur  ver- 
ges***, et  le  roy  s'en  venoil; courant  en  sa  chambre,  pour  ce  que 
sa  mère  ne  Fi  trouvast  ;  et  ainsi  refesoient  les  huissiers  de  la 
chambre  la  royne  Marguerite  quant  la  royne  Blanche  y  venoit, 
pour  ce  qu'elle  y  trouvast  la  royne  Marguerite.  Une  foiz  es- 
toit le  roy  de  costé  la  royne  sa  femme,  et  estoit^  en  trop  grant 
péril  de  mort,  pour  ce  qu'elle  estoit  bledée  d'un  enfant  qu'elle 
avoit  eu.  Là  vint  la  royne  Blanche,  et  prist  son  filz  par  la  main 
et  li  dist  :  «  Venés-vous-en,  vous  ne  faites  riens  ci.  »  Quant  la 

*  yoir  :  vrai.  —  '  Tiggg  .  telles.  — *  ■  d'escalier,  en  forme  de  coquille  d'ea^ 
^  Hostiex:   hôtels,  logis. —   '  Sorte  |  cargot. — ^  Et   elle  était., 

*  Let  logis  oU  il  plaisait  mieulx  à  demourer  au  roy  et  à  la  noyne  > 
c*esioit  à  Pontoise;  pour  ce  que  la  chambre  du  roy  estait  dessoubs,  et  la 
chambre  la  royne  estait  dessus ,  manuscrit  de  Lacques. 

**  Et  avoient  leufcas  si- bien  ordonné  ^  ibidem. 
■  ***  Ils  battaient  les  chiens  ajfin  de  les/aire  crier  ;  et  quant  le  roy  l'en- 
tendait  .Use  mnssait  (  se  cachait  )  de  sa  mère  y  édition  de  P.  de  Ricuik. 


DE  SAINT  LOUIS.  191 

royne  Marguerite  vk  que  la  mère  enmenoit  le  roy,  die  s'es« 
cria  :  «  Hélas!  vous  ne  me  laîrés*  yeoir  mon  seigneur  *  ne 
morte  ne  vive.  »  Et  lors  elle  se  pasma ,  et  cuida  Ten  qu^elle 
feust  morte;  et  le  roy,  qui  cuiâa  qu'elle  se  mourût,  retourna, 
et  à  grant  peinne  la  remist  Ten  à  point. 

En  ce  point  que  la  cité  de  Sayette  estoit  jà  presque  toute 
fermée,  le  roy  fist  fère  pluseurs  processions  en  l'ost^  et  en  la 
fin  des  prooessions  fesoit  prier  le  légat  que  Dieu  ordenast  la 
besoigne  le  roy  à  sa  volenté,  par  quoy  le  roy  en  feist  le  meil- 
leur au  gré  Dieu,  ou  de  râler  en  France,  ou  de  demeurer  là» 

Après  ce  que  lés  processions  furent  faites,  le  roy  m'apela  là 
où  je  me  séoie  avec  les  riches  homes  du  pays,  de  là  en  un 
prael,  et  me  fist  le  dos  tourner  vers  enlz.  Lors  me  dit  le  légat  * 
«  Séneschal,  le  roy  se  loe  moult  de  vostre  servise,  et  moult  vo- 
lentiers  vous  pourchaceroit  vostre  profit  et  vostre  honneur; 
et  pour  vostre  cuer,  me  diMl,  mettre  aise,  me  dit-^il  que  je 
vous  deisse*  que  il  a  atirée  sa  besoigne  pour  aler  en  France  à 
ceste  Pasque  qui  vient.  »  Et  je  11  respondi  :  «  Dieu  l'en  lait' 
fère  sa  volenté  !  » 

Lors  me  dit  le  légat  que  je  le  eonvoiasse^  jusques  à  son 
hostel  **.  Lors  s'enclost  en  sa  garderobe  entre  li  et  moy  sanz 
plus,  et  me  mist  mes  deux  mains  entre  les  s^es  ^y  et  oommensa 
à  plorer  moult  durement;  et  quant  il  pot  parler,  si  me  dit  : 
«  Séneschal,  je  sui  moult  lié^,  si  en  rent  grâces  à  Dieu,  de  ce 
que  le  roy  et  les  autres  pèlerins  eschapent  du  grant  péril  là 
où  vous  avez  esté  en  celle  terre.  Et  moult  sui  à  mésaise  de 
euer  de  ce  que  il  me  couvendra  lessier  vos  saintes  eompain* 
gnies,  et  aler  à  la  court  de  Rome,  entre  celle  desloial  gent  qui 

*  Lairis:  Ulsteres.  —  '   Seigneur:  \  vofasse  ;  accotnpagnaâse.  -~^5fue«: 
MMi.  —3  Lait  :  UiMe.  —   *  Con-   1  siennes. —v /.i«  :  Joyeux. 

*  Pour  vostr*  ewenr  mmcire  à  aiu,  m'a  dU  (pu  Je  vouê  dU,  maoïiterit 
ito  Lacques. 

**  Lors  se  leva  le  légat,  et  me  dit  que  je  le  convoyasse  jusques  en 
hosUl  :  ce  que  je  fais,  ibidem. 


193  SISTOIBB 

y  gont;  mèfi  je  vous  dirai  que  je  pense  à  fère  :  je  pense  encore 
à  fère  tant  que  je  demeure  un  an  après  vous,  et  bée  â  despen- 
dre' touz  mes  deniers  à  fermer  le  fort4x>urc  d^Acre*;  si 
que  je  leur  mousterrai  tout  cler  que  je  n'enporte  point  d'ar- 
gent :  si  ne  me  courront  mie  à  la  main.  » 

Je  recordoie  **  une  foiz  au  légat  deux  pédùez  que  un  mien 
inrestre  m'avoît  lecordez;  et  il  me  respondi  en  tele  manière  : 
«  Nulz  ne  scet  tant  de  desloiaus  péchiez  que  l'en  fait  en  Acre, 
/  comme  je  &iz  ;  dont  il  couvient  que  Dieu  les  venge,  en  td 
manière  que  la  dté  d'Acre  soit  lavée  du  sanc  ans  hafoiteuis, 
et  que  il  y  vieigne  après  autre  gent  qui  y  habiteront.  La  pro- 
phéde  du  preudonmie  est  avârée  en  partie***;  car  la  dté 
est  bien  lavée  du  sanc  aus  halnteurs  ;  mes  encore  n'i  sont  pas 
venus  cil  qui  y  doivent  habiter,  et  Dieu  les  y  envoit*  bons  à  sa 
volenté  1  » 

Après  ces  choses,  me  manda  le  roy  que  je  m'alasse  armer 
et  mes  chevaliers.  Je  li  demandm  pourquoy;  et  il  me  dit  pour 
mener  la  royne  à  Sur  et  ses  enfians  jeuscpies  à  Sur,  là  où  il 
avoit  set  lieues.  Je  ne  li  r^ris  onques  la  parole  ;  et  si  estoit  le 
commandement  si  périlleus,  que  nous  n'avions  lors  ne  trêves 
ne  pez,  ne  à  ceulz  d'Egypte  ne  à  ceulz  de  Damas.  La  merd 
Dieu,  nous  y  venimes  tout  en  pez  sans  nul  empeeschanent  et 
à  Fanuitier,  quant  il  nous  convint  deux  foiz  descendre  en  la 
terre  de  nos  ennemis  pour  fère  feu  et  cuire  viande,  pour  les 
enfans  repestre  et  alaitier. 

Quant  que  le  roy  se  partist  à  la  dté  de  Sayete  ****,  que  il  avoit 
fermée  de  grans  murs  et  de  grans  tours ,  et  de  grans  fossés 

*  (Je)  songe  à  dépenser.  —  >  Entoit  :  envoie  {n^.)» 

*  L'édition  de  1547  et  les  suivantes  portent  :  à  faire  fermer  et  clorre  les 
faubcbaurgz  i?Atre» 

**  Voici  encore  un  alinéa  omis  dans  les  anciennes  éditions. 

***  C'est  le  mmiiscrit  cte  Lnoqoes  qui  nous  donne  les  mots  avitiê  en  par- 
tie ,  an  lieu  des  mots ,  bien  moins  admissibles ,  avertie  ou  parHe^  da  ma- 
noscrit  2016. 

*"**  Quant  le  roy  se partût  de  la  dté  d»  SeetU,  manuscrit  de  Lucqnes. 


DE  SAINT   LOUIS.  193 

curez  dehors  et  dedans,  le  patriarche  et  les  barons  du  païs  vin- 
drent  â  li  et  H  dîstrent  en  tel  manière  :  «  Sire,  tous  avez  fer- 
mée la  cité  de  Sayete,  et  celle  de  Césaire,  et  le  bourc  de  Jaffe, 
qui  >  moult  est  grant  profit  à  la  samte  terre  ;  et  la  cité  d'Acre 
avés  moult  enforciée  des  murs  et  des  tours  que  vous  y  avez  fet. 
Sire ,  nous  nous  soumes  regardez  entre  nous,  que  nous  véons 
que  vostre  demeurée  puisse  tenir  point  de  proufit  *  au  royaume 
de  Jérusalem*;  pour  laquel  diose  nous  vous  loons  et  conseil- 
lons que  vous  alez  en  ^cre  à  ce  quaresme  qui  vient,  et  atirez 
vostre  passage ,  par  quoy  vous  en  puissîés  aler  en  France  v^ 
après  ceste  Pasque.  »  Par  le  conseil  du  patriarche  et  des  ba- 
rons^ le  roy  se  parti  de  Sayette  et  vint  à  Assur  là  où  la  royne 
estoit,  et  dès  illec  venimes  à  Acre  à  l^ntrée  de  quaresme. 

Tout  le  quaresme  fist  arréèr^  le  roy  ses  nefz  pour  revenir  en 
France,  dont  fl  yot  treize,  que  nefz  que  galles^.  Les  nefz  et 
les  galies  furent  atirées  en  tel  manière,  que  le  roy  et  la  royne 
se  requeillirent  en  leur  nefz  la  vegile  de  Saint-Marc^  après  Pas- 
ques,  et  eûmes  bon  vent  au  partir.  Le  jour  de  la  Saint-Marc, 
me  dit  le  roy  que  à  celi  jour  il  avoit  esté  né;  et  je  li  diz  que 
encore  pooit-il  bien  dire  que  11  estoit  renez,  quant  il  de  celle 
périlleuse  terre  eschapoit. 

Le  samedy  vdmes  Tille  de  Cypre,  et  une  montaigne  qui  est 
en  Cypre,  que  en  appelé  la  montaingne  de  ht  Croîz,  Celi  sa- 
medi leva  une  bruine  et  descendi  de  la  terre  sur  la  mer,  et 
pour  ce  cuidèrent  nos  mariniers  que  nous  feussionsplus  loing 
de  Fille  de  Cypre  que  nous  n'estions,  pour  ce  que  il  véoient 
la  montaigne  par  desus  la  bruine.  Et  pour  ce  firent  nager 
habandonnéement  ^  :  dont  il  avint  ainsi  que  nostre  nef  hurta 

I  Ce  qui.  —  ^  Ne  peat  paaHre  pro-  I  nnscrit  de  Lucqnes  en  annonce  qaa* 
Stable.  --*  jlrréer,  disposer,  armer.  |  torae,  —  *  Firent  vogner  à  force  de 
—  *  Tant  navires  qae  galères.  Le  ma-   |    bras  et  à  force  de  voiles. 

*Sire,  nous  avons  regardé  entre  nous,  que  nous  ne  voyons  que  tfe- 
Ktrmais  vostre  âemourée  puisse  riens  prof^ier^  etc., 'manuscrit  de  Lue- 

ques. 

17 


194 


HISTOIBE 


à  une  queue  de  sablon  qui  estoit  en  la  mer.  Ot  avint  ainsi , 
que  se  nous  n'eussions  trouvé  ee  pou  de  sablon  là  où  nous  hur- 
tames,  nous  eussions  hurté  à  tout  plein  de  roefaes  qui  estôient 
couvertes ,  là  où  nostre  nef  eust  esté  toute  esmiée  < ,  et  nous 
touz  périlz*  et  noiez.  Maintenant  le  cri  leva  eu  la  nef  si  ^ant, 
que  chascuB  crioit  hé  las  I  et  les  mariniers  et  les  autres  batoient 
leur  paumes  *,  pour  ce  que  chascun  avoit  poour  de  noier.  Quant 
je  oy  ce,  je  me  levai  de  mon  lit  où  je  gisoie,  et  alai  ou  ehastel 
avec  les  mariniers.  Quant  je  ving  là,  frère  Samon**,  qui  es-* 
toit  Templier  et  mestre  desus  les  mariniers ,  dit  à  un  de  ses 
valiez  :  «  Giete  ta  plomme^.  >»  Et  si  fist-il.  £t  maintenant  que 
il  Tôt  getée,  il  s'escria  et  dit  :  «  Ha  las  !  nous  sommes  à  terre.  « 
Quant  frère  Remon  oy  ce,  il  se  désirra  jusques  à  la  courroie^* 
et  nrist  à  arracher  sa  barbe,  et  crier  :  «  £t  mi,  ai  mi  !  »  £n  ce 
pointmefistunmienchevalier,quiavoitnonmo7»6»g»tf»rJe^ii 
de  Monsan,  père  Tabbé  Guillaume  de  Sainè-Michiel,  une  grant 
débonnaireté,  qui  fu  tele;  car  il  m'aporta  sanz  dire  ^,  un  mien 
seurcot  forré  et  le  me  geta  ou  dos,  pour  ce  que  je  n'avoîe  que 
ma  cote.  £t  je  li  escriai  et  li  diz  :  a  Que  ai-je  à  fère  de  vostre 
seurcot,  que  vous  m'aportez  quant  nous  noyons?  »  Et  il  me 
dit  :  «  Par  m'ame  ^  !  sire ,  je  auraie  plus  chier  que  nous  feu^ 
sions  touz  naiez,  que  ce  que  une  maladie  vous  preit  de  firoit, 
dont  vous  eussiez  la  mort'** .» 

Les  mariniers  escrièrent  :  «Sa 7,1a  galiel  »  pour  le  roy 
requeillir;  mais  de  quatre  g^lies  que  le  roy  avoit  là ,  il  n'i  ot 


'  Eêtniée  :  miêe  en  miettefl,  brisée. 
•—  *  Pttume$  :  vaiaik  —  ^  PUmme»  et 
plus    bas  plommée  :  sonde.    —  ^11 


déchira  sa  robe  jusqa'à  la  ceinture.  — « 
A  Sans  dire  mot.  -^  <  Par  mon  âme. 
—  '  Cà. 


*  On  lit  pétillez  dans  l'éditioli  de  du  Gange ,  où  commence ,  aprë^  les 
deux  mots  suivants ,  et  noiez^  une  nouvelle  lacune ,  qui  ne  finit  qu'aux 
mots  sïtost  comme  il  fu  jour.  Les  mêmes  lignes  manquaient  dans  les 
éditions  de  1547  et  1617. 

**  Frère  Remond,  manuscrit  de  Lncques. 

***  n  semble  pourtant,  comme  le  font  judi^usementobseryer  les  con- 
tinua tenn  de  D.  Boiiquel,  que  la  submersion  de  tous  les  passagers  ,  y 
compris  JoinviUe,  eût  été  un  plus  grand  malheur. 


DE    SAINT    LOUIS.  195 

onques  galle  qui  de  là  s'aprochast,  dont  il  ûrent  moult  que 
sage  I  ;  car  il  avoit  bien  uit  eeas  persones  en  la  nef  qui  touz 
feussent  ssdlli^ès  galies  pour  leur  eors  garantir,  et  ainsi  les 
eussent  eff(»idées. 

Cil  qui  avoit  la  plommée ,  geta  la  seccnide  foiz,  et  revint  à 
frère  Remon,  et  li  dit  que  la  nef  n'estoit  mes'  à  terre;  et  lors 
frère  Remon^la  dire^  au  roy,  qui  estoit  en  croiz*  sur  le 
pont  de  la  nef,  tout  desehaus,  en  pure  cote  et  tout  descherdé 
devant  le  cors  Nostre-Seigneur  qui  estoit  m  la  nef,  comme  di 
qui  bien  cuidoit  noier. 

Sitost  comme  il  fu  jour  nous  veimes  la  rocbe  devant  nous, 
là  où  nous  f eussions  burté  se  la  nef  ne  feust  adhurtée4  à  la 
4]ueue  du  sablon. 

Lendemain  envoiale  roy  querre  le  mestre  notbonnier  des  ne&, 
lesquiex  envoie*^  quatre  plungeurs  en  la  mer  aval,  et  plungè^ 
rent  en  la  mer;  et  quant  il  revenoient,  le  roy  et  le  mestre  no- 
tbonnier les  oyoi^t  l'un  après  l'autre,  en  tel  manière  que  l'un 
des  plungeurs  ne  savoit  que  l'autre  avoit  dit.  Toutevoiz 
trouva  Ten  par  les  quatre  plungeurs,  que  au  fréter  que  nostre 
nef  avoit  fait  ou  sablon  «  en  avoit  bien  esté  quatre  taises  du 
tyson^  sur  quoy  la  nef  estoit  fondée. 

Lors  app^e  le  roy  les  mestres  notbonniers  devant  nous ,  et 
leur  demanda  quel  conseil  il  donroient  du  cop  que  sa  nef  avoit 
receu.  H  se  conseillèrent  ensemble,  et  loèrent  au  roy  que  il  se 
descendist  de  la  nef  là  où  il  estoit  et  entrast  &i  une  autre  ; 
«  Et  ce  conseil  vous  loons-nous  ;  car  nous  entendons  de  cer» 
tein  que  tooz  les  ès^  de  vostre  nef  sont  touz  eslocbez  7  :  par 


fouies  les  planches  de  vostre  m/  s^nt 
esbranlées.  Cette  traduction  nous  est 
foaraie  par  ane  variante  du  inaqq- 
scrit  de  Lncqqes, 


<  En  qnoi  ils  firent  très-sagement. 
—  »  Mes  .-plus.  —  *  Le  dire.  — 
*  Adhwrtée  :  henrtée.  \je  manuscrit 
de  Lacqnes  porte  arrestée,  —  ^  Toi- 
ses de  la  qoille.  —  ^  Es  :  ais.  —  '  Que 

*  Le  manuscrit  de  Lucques  porte  qui  gisoit  en  croix  adeniZy  c'est-à- 
dire  prosterné  en  croix ,  la  face  contre  terre. 

**  Les  maisires  noihiers  des  nefs ,  lesquels  envoyèrent^  manusccit  de 
Lucques.  Pins  loin  on  lit  encore  :  les  maisires  noihiers^ 


196 


HISTOIBB 


} 


quoy  nous  doutons  que  quant  vostre  nef  renra  en  la  haute 
mer,  que  elle  ne  puisse  soufirîr  les  cops  des  ondes,  qu'elle  ne 
se  despiesoe  ;  car  autel  ■  avint-il  quant  vous  venistes  de  France, 
que  une  nef  hurta  aussi.  Et  quant  elle  Tint  en  la  haute  mer, 
elle  ne  pot  soufrir  les  cops  des  ondes,  ainçois  se  desrompi,  et 
furent  touz  périz  quant  que  *  il  estoient  en  la  nef,  fors  que 
une  femme  et  son  enfant  qui  en  esdiapèrent  sdF  une  piesce  de 
la  nef.  »  Et  je  vous  tesmoing^  que  il  disoîent  voir;  car  je  vi 
kl  firamne  et  l'enfant  en  Tostel  au  conte  de  Joingny  en  la  cité 
de  Baffe  *,  que  le  conte  norrissoit  **. 

Lors  demanda  le  roy  à  monseigueur  Pierre  le  Chamberlain, 
et  à  monseigneur  Gile  le  Brun  connestable  de  France,  et  à 
monseigneur  Gervaise  Desoraines***  qui  estoit  mestre  queu  le 
roy,  et  à  Tarcedyacre  de  I^icocye  qui  portoit  son  seel,  qui  puis 
fu  cardonnal,  et  à  moy,  que  nous  11  loions  de^  ces  choses; 
et  nous  H  respondimes  que  toutes  choses  terriennes  ^  Fen  de- 
Toit  croire  ceulz  qui  plus  en  savoient  :  «  Dont  nous  tous  loons 
devers  nous  que  vous  fadez  ce  que  les  nothonniers  vous 
loent.  » 

Lors  dit  le  roy  ans  nothonniers  :  «  Je  vous  demant  sur  voz 
loialtés^  se  la  nef  feust  vostre  et  elle  feust  chargée  de  vos  mar- 
chandises ,  se  vous  en  descendriés.  »  Et  il  respondirent  touz 
ensemble  que  nanin.^  ;  car  il  ameroient  miex  mettre  leur  cors 
en  avanture  de  noier,  que  ce  que  il  achetassent  une  nef  quatre 
mil  livres  et  plus****.  «  Et  pourquoy  me  loez-vous  donc  que  je 
descende?  »  —  «  Pour  ce,  firent-il,  ce  n'est  pas  geu  para?; 
car  or  ne  argent  ne  peut  esprisier*  le  cors  de  vous,  de  vostre 


*  Auiel  f  antant.  —  '  Qucmique: 
tons  tant,  tutti  quanU» — '  Tesmoing: 
certifie.  —  ^  Ce  qae  nous  conselllioas 
relativement  à«  —  ^  Qoe  snr  tontes 
les  choses  terrestres.    «^  ^  Kanin  : 


nenni ,  non.  -^  '  Geu  parti  :  alterna- 
tive.  Le  manuscrit  de  Lacques  donne  : 
Pour  ce  f  fireni»iU ,  que  ce  n'est  pat 
chose  pariklle,  •»  *  Avoir  le  mhme 
prix  que. 


*"  ViUe  de  Chypre,  Fandenne  Paphos. 

**  Le  manuscrit  de  Lacques  si^oale  :  pour  Dieu» 

***  Monseigneur  Gervaise  de  Croignes,  manuscrit  de  Lacques. 

****  Qui  leur  cowteroit  dix  mil  livres  et  plus^  même  manuscrit. 


f>E  SAINT  LOUIS.  197 

femme  et  de  >os  enSBUQtsqui  sont  séans*,  et  pour  ce  ne  vous 
loons-nous  pas  que  vous  metez  ne  vous,  ne  eulz,  en  aventure.  » 

Lors  dit  le  roy  :  «  Seigneurs,  j'ai  oy  vostre  avis  et  l'avis  de 
ma  gent;  or  vous  redirai-je  le  mien,  qui  est  tel,  que  se  je  des- 
cent  de  la  nef,  que  il  a  céans  tiex  >  cinc  cens  persones  et  plus, 
qui  demorront  m  Tille  de  Gypre  pour  la  poour  du  péril  de  leur 
cors;  car  il  n'i  a  celi  qui  autamt  n'ait  en  sa  vie  comme  j'ai  *^, 
et  qui  jamez  par  avanture  en  leur  paiz  ne  renterront  :  dont 
j'aimme  miex  mcm  cors  et  ma  femme  et  mes  enfans  mettre  ea 
la  main  Dieu ,  que  je  feisse  tel  doumage  à  si  grant  peuple  ^ 
comme  il  a  céans.  » 

Le  grant  doumage  que  lé  roy  eût  fait  au  peuple  qui  estoit 
en  sa  nef,  peut  l'm  veoit  à'  Olivier  de  Termes  qui  estoit  en  la 
nèfle  roy,  lequel  estoit  un  des  plus  hardis  hommes  que  je  on- 
ques  veisse  et  qui  miex  s'estoit  prouvé  en  la  terre  sainte,  n'osa 
demoorer  avec  nous  pour  poour  de  naier  ;  ainçois  demeura  en 
Cypre,  et  fu  avant  un  an  et  demi  que  il  revenist  au  roy  ;  et  si 
estoit  grant  home  et  riche  home,  et  bien  pooit  paier  son  pas- 
sage :  or  regardez  que  petites  gens  eussent  fet  qui  n'eussent 
eu  de  quoy  paier,  quant  tel  homme  ot  si  grant  destourbier*. 

De  ce  pérfl  dont  Dieu  nous  ot  eschapez ,  entrâmes  en  un 
autre;  car  le  vent  qui  nous  avoit  âatis^  sus  Chypre,  là  où  . 
nous  deumes  estre  noies,  levai  si  fort  et  si  orrible,  car  il  nous 
batott  à  force  4  sur  Tille  de  Cypre;  car  les  mariniers  getèrent 
leur  ancres  encontre  le  vent,  ne  onques  la  nef  ne  porent  arèstei^ 
tant  que  il  en  y  orent  aportés  cinc.  Les  parois  de  là  chambre 
le  roy  convint  abatre,  ne  il  n'avoit  nulli  léans  ^  qui  y  osast  de- 
meurer, pour  eé  que  le  vent  ne  les  emportast  en  la  mer.  Bu 

1  Tiex  :  telloo.  -^  '  Destourbier  :  I  *.  Qu'il  nous  pouaaait  avec  Tiolence, 
empèehemeat.  —  3  Flatis  :  Jetés.  —  I  —  *  Nulli  léans  :  nul  là  dedans. 

*  Le  maniucrit  de  Lacques  donne  le  même  passage  en  d'autres  termes  : 
Car  en  or  ne  argent  ne  peuU'-on  aprecier  vostre  cors,  celuy  devoéire 
femme  et  de  vos  en/fans  ^  qui  sont  dans, 

**  Et  il  n^y  a  celuy  qui  autant  n^ayme  sa  vie  comme  je  fois  la  mûmne, 
manuscrit  de  Lucques. 

17. 


t98  HISTOIBB 

ce  point  le  coimestabte  de  France  nurnsetgoeur  Giies  le  Brun 
estiens  couchié  en  la  chambre  le  roy ,  et  en  ce  point  la  royne 
ouvri  Tuis  '  de  la  chambre  et  cuida  trouver  le  roy  en  la  seue  *  ; 
et  je  li  demandai  qu'elle  estoit  venue  quenre  :  elle  dit  qu'eJle 
/Ç  estoit  venue  parler  au  roy  pour  oe  que  il  promeist  à  Dieu 
'  v^  aucun  pèlerinage,  ou  à  ses  sains,  par  quoy  Dieu  nous  délivrast 
de  ce  péril  là  où  nous  estions  ;  car  les  mariniers  avoient  dit  que 
nous  estions  en  péril  de  naier.  Et  je  li  diz  :  «  Dame ,  prometés 
la  voie^  à  monseigneur  saint  Nieholas  de  Warangeville,  et  je 
vous  sui  pl^e^  pour  li  que  Dieu  vous  remenra  en  France,  et 
le  roy  et  vos  enfans.  »  —  «  Séneschal,  fis^elle,  vraiement  je  le 
ferois  volentiers  ;  mez  le  roy  est  si  divers  ^  que  se  il  le  savoit 
que  je  Teusse  promis  sanz  li ,  U  ne  me  lèroit  jamez  aler,  »  — 
«  Vous  ferez  une  ch^,  que  se  Dieu  vous  rameinne  en  France, 
que  vous  li  promettrés  une  nef  d'argent  de  cino  mars,  pour  le 
roy,  pour  vous  et  pour  vos  enfans,  et  je  vous  sui  piège  que 
Dieu  nous  remenra  en  France  ;  ear  je  promis  à  saint  Mcholas 
que  se  il  nous  reschapoit  de  ce  péril  là  où  nous  avions  la  nuit 
esté,  qpe  je  Tiroie  requenre  de  Joinville  à  pié  et  deschaus.  »  £t 
elle  me  dit  que  la  ntf  d'argot  de  dne  mars  que  elle  la  prot 
mettoit  à  saint  Nicl^olas,  et  me  dit  que  je  l'en  f eusse  piège; 
et  je  li  dis  que  si  serme-je  moult  volentiers.  £Ue  se  parti  de 
tUec,  et  ne  tarda  que  un  petit;  si  revint  à  nous  et  me  dit  ; 
«  Saint  Nîcholas  nous  a  garantis  de  cest  péril;  car  le  vent  est 
cfaeu«  • 

Quant  la  royne,  que  Dieu  absoille,  feu  revenue  en  France, 
elle  fist  fère  la  nef  d'argent  à  Paris.  £t  estoit  en  la  nef,  le  roy, 
la  royne  et  les  trois  enfisuis,  touz  d'argent  ;  le  marinier,  le  mat, 
le  gouvernail  et  les  cordes  touz  d'argent ,  et  le  voile  tout  d'ar- 
gent. Et  me  dit  la  royne  que  Ifi  façon  avoit  cousté  cent  livres. 
Quant  la  nef  fu  faite ,  la  royne  la  ni'envoia  à  Joinville  pour  fère 
conduire  jusques  à  Saint-Nicbolas,  et  je  si  fis  ;  et  encore  la  vis- 

■  Vit  :  porte.  -^  '  MM.-aieue.  1  eautioa.  -»  ^  iHvert  :  diff^rvnt  des 
—  •'  ^oit  :  pèlerinage.  —  «  Piège  :    I   autres. 


I>£  SAINT.  LOUIS.  199 

je  à  Saint^lcholas  quant  nous  menâmes  la  sereur  >  le  roy  à 
Haguenoe ,  au  roy  d'Allemaingne  *. 

Or  revenons  à  nostre  matière  et  disons  ainsi ,  que  après  ce 
que  nous  fumes  eschàpé  de  ces  périlz,  le  roy  s'asistsur  le  ban** 
de  la  nef  et  me  fist  asseoir  à  ses  piez ,  et  me  dit  ainsi  :  «  Sé« 
neschal ,  nous  a  bien  moustré  nostre  Dieu  son  grant  povoir; 
que  un  de  ses  petits  vens ,  non  pas  le  mestre  des  quatre  vois, 
dut  avmr  naié  le  roy  de  France,  sa  femme  et  ses  enfans,  et 
toute  sa  compaingnie.  Or  li  devons  gré  et  grâce  rendre  du  pé- 
ril dont  il  nous  a  délivrez. 

•  Sénèschal  ***^  fist  le  roy,  de  tdes  tri))uladon8  quant  elles 
aviennent  aus  gens ,  ou  de  grans  maladies ,  ou  d'autres  perse* 
euoioDS«  dient  les  sams  que  ee  sont  les  menaces  I^ostre-Seix 
gneur;  car  aussi  comme  Dieu  dit  à  oeulz  qui  esdiapent  de 
grans  maladies  :  «  Or  véez-vous  bien  que  je  vous  eusse  bien 
9  mors'  se  je  vousisse  ^  »  et  ainsi  peut-il  dire  à  nous  :  «  Vous 
«  véez  bi€»  que  je  vous  eusse  noiez  $e  je  vousisse.  »  Or  devons, 
fist  le  roy,  regarder  à  nous ,  que  il  n'i  ait  chose  qui  li  desplaise 
que  nous  n'ostions  hors****  ;  car  se  mm  le  fesions  autrement 
fiprès  oeste  menace  que  il  nous  a  faite,  il  ferrai  sus  nous  ou 
par  mort ,  ou  par  autre  gprant  mesçhéanee^ ,  au  douwiage  des 
cors  et  des  amas.  » 

l^  roy  dit  :  «  Sénèschal ,  le  saint  dit  ;  »  Sire  Dieu,  poqrquoy 
«  nous  menacea*tu  ?  car  se  tu  nous  avoiés  touz  perdus ,  tu  n'en 
«  s^oies  jàpour  œ  plus  povre  ;  et  se  tu  nous  avoies  tou%  gaai- 

*  Strmtr:  sœur,  soror.  —  2  Mors  9  l  *  Ferra  :  frappera.  —  *  Meschéanoe  : 
fait  mourir.  -^^  Vomisse  :  touI  une.  —  1   malheur. 

*  U  s'agit  ici  de  Blanche ,  tille  de  Philippe  le  Hardi ,  mariée  aa  duc 
d'Autriehe  Rodolphe,  depuis  roi  de  Bohême.  Ce  paasage  montre  que  Joiii- 
▼flic  écrivait  sous  le  règne  de  Philippe  le  Bel///  7  -f  -/  './"/J 

**  Sur  le  bort,  sianuscrit  de  tucques. 

***  Cet  alinéa  et  le  suivant  sont  omis  dans  l'édition  de  P.  de  Rieux. 

****  Ce  passage  est  pins  développé  dans  le  manuserit  de  Lacques  ;  on  y 
lit  :  qu*il  n*y  ait  chose  qià  luy  desplaive,  pourguoy  il  noiu  a  ainsi  es- 
penlez  (  épouvantés);  et  te  hqus  trmvons  chose  qui  Iwj  despiaise,  que 
nous  le  mettions  hors. 


soo 


HISTOIBE 


«  goez,  tu  n'en  seroies  jà  plus  riche  pour  ce  :  dont  nous  poons 
«  veoir,  fait  le  saint ,  que  ces  menaces  que  Dieu  nous  fet  ne 
«  sont  paspoursonpreuavanciers  nepourson  doumagedes- 
«  tourber  '  ;  mez  seulement  pour  la  grant  amoiur  que  il  a  en 
«  nous,  nous  esveille  par  ses  menaces,  pour  ce  que  nous  voîons 
«  der  en  nos  défautes,  et  que  nous  estions  ce  qui  lidesplet.  • 
«  Or  le  fesons  ainsi ,  fist  le  roy ,  si  ferons  que  sages^.  » 

De  Fille  de  Cypre  nous  partîmes,  puis  que^  nous  eûmes  pris 
en  Tille  de  Tyaue  firesche  et  autres  choses  qui  bèscHng  nous  es- 
toient.  A  une  ille  venimes  que  en  appelle  la  LempUmsé^ ,  là  où 
nous  prdsmes  tout  plein  de  connins^,  et  trouvâmes  un  her- 
nûtage  ancien  dedans  les  roches,  et  troUYames  les  courtilz  que 
les  hermites  qui  y  dormirent  anciennement  aboient  fait;  oli- 
vier* ,  figuiers  y  seps  de  vingne  et^  autres  arbres  y  avoit.  Le 
ru  7  de  la  fonteinne  couroit  parmi  le  courtil.  Le  roy  et  nous 
alames  juesques  au  diief  du  courtil  ^ ,  et  trouvâmes  un  ora- 
toire en  la  premtke  voûte,  blanchi  de  chaus**,  et  une  croiz 
vermeille  de  terre.  En  la  seconde  voûte  entrâmes,  et  trou- 
vâmes deux  cors  de  gens  mors,  dont  la  char  estoit  toute  pour- 
rie ;  les  costes  se  tenoient  encore  toutes  ensemUe,  et  les  os 
des  mains  estoient  sur  leur  piz9  ;  ^  estoient  coudiez  contre 
orient,  en  la  manière  que  Ten  met  les  cors  en  terre.  Au  re« 
quëillir'<>  que  nous  feismes  en  nostre  nef,  il  nous  feflli"  un 
de  nos  mariniers,  dont  le  mestré  de  là  nef  cuida  que  il  feust  là 
demouré  pour  estre  hermite;  et  pour  ce  Nicholas  de  Soisi, 
qui  estoit mestre  seijant  le  roy,  lessa  troiz  sacz  de  becuiz** 


<  Poar  accroître  son  profit.  —  ^  Det' 
tourber  :  cmpècber ,  détourner.  «^ 
^  Nous  agirons  aagtmenU'^^kptèt  qne. 
—  *  Lampedoase.—  ^Connins  :  lapins. 
Il  y  a  encore  à  Bordeaux  la  me  des 
rrois-Connils.  —  '  A«,  radical  de  ruis^ 


seau,  —  *  Jasqn'an  bout  da  Jardin.  — 
*  Plz  :  poitrine  ;  italien  petto  ,  espa- 
gnol peeho,  latin  peetue.—  ^  Au  re» 
gueiUir  ;à  la  rentrée.  Le  mannscritde 
Lncqaes  donne  :  au  retourner,  -^  >■ 
Failli  :  manqua . —  '^  Beeuiz  ;  biscuits. 


•  St  dedans  le  Jardin  que  Vhermiie  qtii  y  demouroit  anciennement 
avQÎt  fatt ,  y  avoit  olliviera ,  mannscrit  de  Lucques. 

**  Dtt  Cange  a  imprimé ,  comme  Ménard ,  blanche  de  champ ,  quoiqu'il 
y  eût  blanchie  de  chaux  dans  l'édition  de  1S47. 


DB  SAINT  LOUIS.  201 

sur  la  rive ,  poor  oe  que  dl  les  trouvast  et  en  vequist. 
Quant  nous  fumes  partis*  de  là,  nous  Yeisines  une  grant 
ylle  en  la  mer,  qui  avoit  à  non  ParUennelée**,  et  estoît  peu- 
plé de  Sarrazins  qui  estoîeift  en  la  subjection  du  roy  de  Sezîle 
et  du  roy  de  Thunes*.  La  royne  pria  le  roy  que  H  y  envoiast 
troiz  galies  pour  prenre  du  fruit  pour  ses  engins;  et  le  roy  li 
otria,  et  commanda  aus  galies  que  quant  la  nef  le  roy  passeroît 
par  devant  Fille ,  que  il  feussent  touz  appareillés  de  venir  à 
luy***.  Les  galies  entrèrent  en  Tylle  par  un  port  qui  y  es- 
toit  ;  et  avint  que  quant  la  nef  le  roy  passa  par  devant  le  port, 
nous  n'oymes  onques  nouvelles  de  nos  galies.  Lors  commen- 
dèrent  les  mariniers  à  murmurer  Tun  à  Tautre.  Leroy  les  fist 
appeler,  et  leur  demanda  que  il  leur  sembloit  de  cest  heure  *  ; 
et  les  mariniers  li  distrent  que  les  Sarrazins  avoîent  pris  sa 
gent  et  les  galies  :  «  Mes  nous  vous  loons  et  consefllons,  sire, 
que  vous  ne  les  attendes  pas  ;  car  vous  estes  entre  le  royaume 
de  Gezile  et  le  royaume  de  Thunes ,  qui  ne  vous  aimment 
guères ,  ne  Tun  ne  Tautre  ;  et  se  vous  nous  lessiez  nager,  nous 
[tous  **^]  aurons  encore  ennuit  ^  délivré  du  péril  ;  car  nous  vous 
aurons  passé  ee  destroit.  »  —  «  Vraiment,  fist  le  roy,  je  ne  vous 
en  croirai  jà  que  je  lesse  ma  gent  entre  les  mains  de  Sarrazins, 
que  je  n'en  face  au  moins  mon  pouer  <  d'eulz  délivrer;  et  vous 
eommant  ^  que  vous  tournez  vos  voueles,  et  leur  alons  courre 
sus*****.  »  Et  quant  la  royne  oy  ce ,  elle  commença  à  mener 
moult  grant  deul,  et  dit  :  «  Hé  lasse  !  ce  ai-je  tout  fet******  I  » 

*  ThuikM  :  Tuiiif .  -->  '  Oe  cette  l  —  *  Power  ;  pouvoir,  possible.  — 
aTentnre.  — •  '  Snnuit  :  eette   nnit.  I  ^  ConunaMt  :  commande,  recommande» 

*11  y  a  une  lacnoe-dans  les  éditions  de  I6J7  et  1668,  depuis  ces  mots , 
Quant  nouê/umes  parUt,  jusqu'à  n  te  eouchoU  le  roy. 

**  Pantelerie  on  Pantalarée ,  entre  la  Sidle  et  TAfrique. 

***  On  Ut  à  fnoy  dans  le  manuscrit  2(H6;  à  luy  dans  le  manuscrit  de  Luc* 
qnes  et  dans  rédition  de  P.  de  Rienz. 

****  Manuscrit  de  Lucques. 

*****  Ge  qui  va  suivre,  jusqu'à  si  se  coucheit  le  roy /manque  dans 
réditton  de  1547. 

***** *  Q^  jf^y  ^  gi^  gy  /0i,l  cefoU^  manuBCTlt  de  Lacques. 


202 


HISTOIBK 


y 


V 


Tandis  que  Fen  touimoit  les  voiles  de  ta  aef  le  roy  et  des  au- 
tres, nous  veismes  les  galies  issir  de  Tylle.  Quant  elles  vindrent 
au  roy,  le  roy  demanda  aus  mariniers  pourquoy  il  avoient  ce 
fet  ;  et  il  respondirent  que  il  n'en  pooient  mes ,  que  ce  fir^it 
les  fiU  de  bourjois  de  Paris,  dont  il  y  avoit  six  qui  mangoient 
les  fruiz  des  jardins,  par  quoy  il  ne  les  pooient  avoir,  et  il  ne 
les  vouloient  lessier.  Lors  commanda  le  roy  que  en  les  meist 
en  la  barje  de  cautiers'  ^  et  lors  il  conmiencèrent  à  crier  et  à 
brère.:  «  Sire,  pour  Dieu,  raimbez-nous'  de  quant  que  nous 
avons  *  j  mes  que  vous  ne  nous  metiez  là  où  ^  met  les  mur- 
triers  et  les  larrons  ;  car  touzjours  mes  nous  seroit  réprouvé  ^.  » 
La  royne  et  nous  touz  feismies  nos  pooirs  comment  le  roy  se 
vousist  souffrir  ^  **  ;  mes  onques  le  roy  ne  voult  ^  escouter 
nullui  ;  ainçois  y  furent  mis  et  y  demeurèrent  tant  que  nous 
feumes  à  terre,  A  tel  meschief  y  furent,  que  quant  la  mer  gros- 
soioit,  les  ondes  leur  voloient  ^ar  dessus  la  teste ,  et  les  cou- 
venoit  asseoir,  que  le  vent  ne  les  emportast  en  la  mer.  £t  ce  fu 
à  bon  droit  ;  que  ^.  leur  gloutonnie  nous  fist  tel  doumage  que 
nous  en  fumes  délaies?  uitbones  journées  ***,  parce  que  le  roy 
fist  tourner  les  nefz  ce  devant  derière  ^. 

Un  autre  avanture  nous  avint  en  la  mer,  avant  que  nous  ve- 
nissions  à  terre,  qui  fu  tele,  que  une  des  béguines  la  royne  9, 
quant  elle  ot  la  royne  chaucée****,  si  ne  se  prist  garde,  si  jeta 
sa  touaille  de  quoy  elle  avoit  sa  teste  entorteiUée,  au  cbief  de 
la  paielle  de  fer  là  où  la  soigne  la  royne  ardoit  <°  ;  et  quant  elle 


'  En  U  ebalonpe.  —  '  Aflrfm&e?- 
M0««  .*  raehetM-noas.  —  ^  Kèprfuvmi  : 
reproché.  —  *  Voulût  ae  désister.  — 
*  F'ovM  :  Tovlat.  —  «  Çtte  :  car.  — 
''  Délaies  :  retardés.  ^  *  PU  retoar* 


âer  les  vaisseaux  en  arrière.  —  '  Une 
des  reltgienses  qai  serTaient  la  reine. 
—  *^  Auprès  de  la  poêle  ou  du  bassin 
de  fer,  oà  la  chandelle  de  nuit ,  la 
TeiUense  de  la  reine,  bràlatt. 


*  Le  nianiMCvit  de  Luoques  donne  :  prenez  tout  ce  que  noue  avone* 

*"  Nos  povoirs  envers  le  roy ,  affin  qu'il  lui/  pleust  se  apaiser,  iDème 
Aianiucrit. 

***  Ce  séjour  d'une  semaine  devant  cette  tie ,  indicfué  dans  Tâdltioi»  de 
1547  ,  ne  l'est  point  dans  celles  de  (6(7  et  de  4668. 

**'*  he  manuscrit  de  Lucques  porte  :  œuechù; 


DE  SAINT  LOUIS. 


203 


fu  alée  coucher  en  la  chambre  desous  la  chambre  la  royne,  là 
où  les  femmes  gisoient ,  la  chandelle  ardi  tant  que  le  feu  se 
prist  en  la  touailte ,  et  de  la  touaille  se  prist  à  telles  *  dont  les 
drâs  la  royne  estoient  couvers.  Quantla  royne  se  esteiHa^  elle 
vit  la  chambre  toute  embrasée  de  feu ,  et  sailli  sus  toute  nue, 
et  prist  la  touaille  et  la  jeta  en  la  mer,  et  prist  les  tonalités  et 
les  estaint*.  Cil  qui  estoient  en  la  barge  de  cairtiers  criè- 
rent :  Basset** ,  le  feu!  le  feul  »  Je  levai  ma  tei^e,  et  vi 
que  la  touaille  ardoit  encore  h  clere  flambe  sur  la  mer,  qui 
estoit  moult  quoye*.  Je  vesti  ma  coste  au  plutost  que  jepoi, 
et  alai  seoir  avec  les  mariniers.  Tandis  que  je  seole  là ,  mo» 
escuier  qui  gisoit  devant  moy,  vînt  à  moy  et  me  dit  que  le  roy 
estoit  esveîllé ,  et  que  il  avoît  demandé  là  où  je  estoîe  :  «  Et 
}e  lî  avoie  dit  que  vous  estîés  ans  chambres;  et  le  roy  me  dit  : 
«  Tu  mens.  »  Tandis  que  nous  parlions  illec ,  à  tant  ès-vous  ^ 
«lestre  Geffroy  le  clerc  la  royne ,  qui  me  dit  :  «  Ne  vous  effiréez 
pas  ;  car  il  est  ainsi  avenu.  »  Et  je  li  diz  :  «  Mestre  Geffroy, 
alez  dire  à  la  royne  que  le  roy  est  esveillé ,  et  qu'elle  voise  vers 
li  pour  li  apaisier.  »  Lendemain  le  connestable  de  France  et 
monseigneur  Pierre  le  chamberlanc  et  monseigneur  Ger- 
vaise***  distrent  au  roy  :  «  Que  a  ce  anuit  esté^,  que  nous 
^tmes  parler  de  feu?  »  Et  je  ne  dis  mot.  Et  lors  dit  le  roy  ;  «  Ce 
soit  par  mal  avanture  là  où  le  séneschal  est  plus  celant  ^  que  je 
tie  sui  ;  et  je  vous  conterai,  dist  le  roy,  que  ce  est,  que  nous 
deumes  estre  ennuit  touz  ars.  y>  Et  leur  conta  comment  ce  fu, 
et  me  dit  :  «  Séneschal ,  je  vous  comment  ^  que  vous  ne  vous 
couchiez  dès  or  en  avant,  tant  que  vous  aàés  touz  les  feus  de 


«  TeUet  :  toiles.  —  '  Quoye  :  cal- 
me. —  3  ^  tant  ès*vous  :  alors  voilà. 
—    4   Qa'est-il  arrivé  cette  nnit  ?  — 


&  Celant  :  discret.  Le  manoserlt  de 
Lacqaes  porte  :  nonehcttant,  —  *  Com- 
ment :  commande,  recommande. 


*  On  lit  au  manuscrit  de  Lacques  :  print  la  touaille  et  la  gecta  toute  ar- 
dant  en  la  mer,  etestaignii  les  ioilles. 

•*  Le  mot  Basset,  qu'il  faut  peut-êtr  e  lire  vallet  dans  le  manuscrit  2016 
manque  dans  celui  de  Lucqi|cs. 

***  Ce  dernier  ajoute  lepannetier. 


204  HISTOIRE 

céans  estains,  nemezquele  grant  feu  qui  est  en  la  soute  de  la 
nef'  ;  et  sachiez  que  je  ne  me  coucherai  jeusques  à  tant  >  que 
vous  revdgnez  à  moy.  »  Et  amsi  le  fiz-je  tant  comme  nous 
feumes  en  mer  ;  et  quant  je  revenoie ,  si  se  couchoit  le  roy . 

Une.  autre  avanture  nous  avint  en  mer;  car  monseigneur 
Dragonès ,  un  riche  home  de  Provence ,  dormoit  la  matinée 
en  la  nef^  qui  bien  estoit  une  lieue  devant  la  nostre,  et  appela 
un  sien  escuyer  et  li  dit  :  «  Va  estouper  ce  pertuis  4  ;  car  le  sol- 
leil  me  fiert  ou  visage.  »  Geli  vit  que  il  [ne]  pooit  estouper  le 
pertuis ,  se  il  n'issoit  de  la  nef  ^^  de  la  nef  issi.  Tandis  que  11 
aloit  le  pertuis  estouper,  le  pié  li  failli,  et  chéi  en  Tyaue;  et 
celle  ^  n*avoit  point  de  barge  de  cautiers;  car  la  nef  estoit 
petite.  Maintenant?  fîi  esloingnée  celle  nef.  Nous  qui  estions 
en  la  nef  le  roy,  cuidions«en  que  ce  fust  une  somme  ou  une 
boutide^,  pour  ce  que  celi  qui  estoit  cheu  on  l'yaue  ne  metoit 
nul  consdl  en  li.  Une  des  galies  le  roy  le  queilli  et  Taporta  en 
nostre  nef,  là  où  il  nous  [compta*]  conunent  ce  li  estoit  avenu. 
Je  li  demandai  commcait  ce  estoit  que  il  ne  metoit  conseil  en 
li  garantir,  ne  par  noer9  ne  par  autre  manière.  Il  me  respondî 
que  il  n*estoit  nul  mestier  ne  besoing  que  il  meîst  conseil  en 
.  ;^Â)li;  car  sitost  comme  il  commença  à  cheoir,  0  se  commanda  à 
^  *  Nostre-Dame**,  et  elle  le  soustint  par  les  espaules  dès  que  il 
chéi ,  jusques  à  tant  que  la  galie  le  roy  le  requeilli.  En  Ton- 
neur  de  ce  miracle ,  je  l'ai  fet  peindre  à  Joinville  en  ma  cha- 
Çl  ^{,  1  pelle ,  et  es  verrières  de  Blehecourt ***. 
'l\^^^  Après  ce  que  nous  eûmes  esté  dix  semainnes  en  la  mer,  ar- 

^  rivâmes  à  un  port  qui  estoit  à  deux  lieues  dou  chaste!  que  en 

>  An  baf  de  l'arrière  do  vaiMeaa.    I  8*11  ne  sortait  da  navine.  —  "  Cette 

—  '  Jeusqueâ  à    tant  :  jasqa'à  ce.    I  nef.  —  ">  Maintenant  :  bientôt.   — 

—  'En  ea  nef.  —  *  Boucher  ce  troti.   l  >  Un  paqnet  on  vnv fntaille.  —  >  NI 

—  ^  Qu'il  ne  pouvait  boucher  ce  trou,   |  en  nageant. 

*  Manuscrit  de  Liicques. 
**  Le  même  manoscrit  ^joate  :  de  Faulvert. 

***  Et  aux  verreries  de  Véglise  de  Blehecourt,  manuscrit  de  Lue« 
quesb 


f.m 


DE  SAINT  LOUIS. 


205 


appeloit  Yéres  ' ,  qui  estoh;  au  conte  de  Provence  qui  puis  fu 
roy  de  Cezile.  La  royne  et  tout  le  conseil  s'acordèrent  que  le 
roy  descendeist  illec,  pour  ce  que  la  t^re  estoit  son  frère  '. 
Le  roy  nous  respondi  que  il  ne  descendroit  jà  de  sa  nef  jeus*. 
ques  à  tant  que  il  veuroit  à  Aiguemorte* ,  qui  estoit  en  sa 
terre.  En  ce  point  nous  tint  le  roy,  le  mercredi,  le  jeudi ,  que. 
nous  ne  peumes  onques  vaincre^.  En  ces  nefz  de  Marseille  a, 
deux  gouTemaus ,  qui  sont  attachiez  à  deux  tisons  4  gi  mer- 
TeUleusement,  que  sitost  comme  Ten  auroit  tourné  un  roncin  ^ 
Fen  peut  tourner  la  nef  à  destre  et  à  senestre.  Sur  Tun  des 
lisons  des  gouvemaus  se  séoit  le  roy  le  vendredi ,  et  m'appela 
et  me  dit  :  «  Séneschal ,  que  vous  semble  de  cest  oevre?  »  Et 
je  li  diz  :  «  Sire,  il  seroit  à  bon  droit  que  il  vous  enavenist  aussi 
comme  il  fist  à  madame  de  Bourbon,  qui  ne  voult  descendre  en 
cest  port,  ains  se  remist  en  mer  [pour aller**]  à  Aguemorte,  et 
demeura  puis  sept  semai'nnes  sur  mer.  »  Lor  aiqpela  le  roy  son 
conseil ,  et  leur  dit  ce  que  je  li  avoie  dit ,  et  leur  demanda  que 
il  looient  à  fere  ;  et  li  loèrent  touz  que  il  descendeist  ;  car  il  ne 
feroit  pas  que  sage^  se  il  metoit  son  cors ,  sa  femme  et  ses  en? 
uns  en  avanture  de  met,  puisque  il  estoit  hors.  Au  conseil 
que  nous  li  donnâmes  s'aoorda  le  roy,  dont  la  royne  fiit  moult 
liée. 

Ou  chastel  de  Tères  descendi  le  roy  de  la  mer,  et  la  royne 
et  ses  enfans.  Tandis  que  le  roy  séjoumoit  à  Yères  pour 
pourchacier?  chevaus  à  venir  en  France,  Tabbé  de  Clyngny  ^ , 
qui  puis  fil  évesque  de  TOUve***,  li  présenta  deux  palefrois  qui 

de  charge.  —  ^  Que  sage  :  sagement. 
—  ^  Pourchaeier  :  se  procurer,  ache- 
ter; angl.  topurehase.  —  •Cluoy. 


1  Hyères.— 3  Appartenait  à  son  firère. 
— >  *  Qae  nous  ne  pûmes  jamais  lai  faire 
changer  de  sentiment.  —  ^  A,  deax 
pièces  de  bois.  —  ^  Aoncin  :  cheval 


*  La  ville  d* Aiguës-Mortes  est  oonnne  depuis  le  règne  de  9aAat  Lonii. 
Ce  prince  y  fit  bâtir  la  tour  à  îaqaeUe  on  donne  mlgalrement  le  nom  de 
Constance ,  et  qui  devait  servir  de  fanal  aux  navigateurs. 

**  Manuscrit  de  Lucques. 

***  n  s'agit  de  <SuiUauiiie  de  Pontolse ,  d'abord  prieur  de  la  Chanté , 
puis  abbé  de  Cluny,  ensuite  évèque  deroiive,  et  non  de  Langres* 

18 


200 


HISTOIRS 


vouroioit  bien  aujourd'ui  cînc  cens  livres,  im  pour  li,  et  l'autre 
pour  la  royne.  Quant  il  li  ot  présenté,  si  ^t  au  roy  :  «  Sire, 
je  venrai  demain  parler  à  vous  de  mes  besoignes  ^  »  Quant  ce 
vint  lendemain ,  l'abbé  revint  ;  le  roy  Toy  moult  diligenment 
et  moidt  longuement.  Quant  Vnbhé  s'en  fu  parti ,  je  vinz  au 
roy  et  li  diz  :  «  Je  vous  weil  *  demander,  se  il  vous  plet ,  se 
vous  avez  oy  plus  débonnèrement  Tabbé  de  Clygny,  pour  ce 
[que]  il  vous  donna  byer  ces  deux  palefrois.  »  Le  roy  pensa 
longuement,  et  me  £t  :  «  Vraiement  oyl.  »  —  «  Sire,  fiz-je , 
savez  pourquoi  je  vous  al  fête  ceste  demande  ?  »  — -  «  Pourquoy  ?  » 
fist-il.  —  «  Pour  ce,  sire,  fîz-je,  que  je  vous  loe  et  conseille 
que  vous  deifendés  à  tout  vostre  conseil  juré,  quant  vous 
venrez  en  France,  que  il  ne  preingnent  de  ceulz  qui  auront  à 
besoigner  par  devant  vous;  car  soies  cert«n,  se  il  prennent , 
li  en  escouteront  plus  volentiers  et  plus  diligentment  ceulz  qui 
leur  donront,  ainsi  comme  vous  avez'fet  Tabbé  de  Qyngni.  » 

Lors  appela  le  roy  tout  [son*]  conseil ,  et  leur  recorda  er- 
rant^ ce  que  je  li  avoie  dit  ;  et  il  li  dirent  que  je  li  avoie  loé  bon 
conseil  4. 

Le  roy  oy  parler  d*un  cordelier  quî*avoit  non  frère  Hugue; 
et  pour  la  grant  renommée  dont  il  estoit,  le  roy  envoia  querre 
celi  cordelier  pour  li  oyr  parler.  Le  jour  que  nous  venimes  à 
leure**,  nous  regardâmes  ou  chemin  par  où  il  venoit,  et 
veismes  que  trop  ^  grant  peuple  le  suivoit  de  homes  et  de 
femmes.  Le  roy  le  fist  sermonner^.  Le  commencement  du 


*  Besoignes  :  affaires  ;  anglais,  bu- 
sintst,  —  ■■'  ffeil  :  veai,  —  3  Errant  : 
incontinent ,  toat  de  suite.  Tout  en 
riant,  manascrit    de  Lucques.     — 


*  Donné  bon  conseil ,  comme  porte 
le  même  mannscrit.  —  ^  Trop  :  très. 
—  ®  Sermonner  :  prêcher. 


comme  l'a  supposé  Ménard.  L'évèché  d'Olive  on  d'AndrcTlUe  était  en 
Morée,  et  dépeiidait  de  la  métropole  de  Fatras,  où  l'abbaye  de  Climy 
possédait  le  priesré  de  Sainte-llarie  d'Ierocomata,  qui  doit  être  Le  jnonas- 
tère  de  Hiero  Komto  d'aujourd'hui. 

*  Manuscrit  de  Lucques. 

**  Le  même  manuscrit  porte  :  pour  le  venir  tl  pour  l*ayr  parler.  Le 
iokr  quHl  vint  à  Yèrrs. 


BE  SAINT  LOUIS.  207 

sermon  fu  sur  les  g<ens  de  religion  ' ,  et  dit  ainsi  :  <«.  Seigneurs^ 
fist-iU  je  vois  plus  de  gent  de  religion  en  la  court  le  roy ,  en 
sa  coœpaignie  ;  sur  ces  paroles  je  tout  premier,  fîst-il ,  et  dit 
ainsi ^  que  il  m  sont  pas  en  estât  d'eulz  sauver^,  ou  le& 
saintes  Escriptures  nous  mentent,  que  il  ne  peut  estre >  ;  car 
les  saintes  Escriptures  nous  dient  que  le  moinne  ne  peut  vivre* 
hors  de  son  cloistre  sanz  péehé  mortel,  ne  que^  le  poissoD 
peut  vivre  sanz  yaue.  Et  se  les  religieus  qui  ^t  avec  le  roy^ 
dient  que  ce  soit  cloistre ,  et  je  leur  diz  que  c'est  le  plus  large 
que  je  veisse  oùques  ;  car  il  dure  deçà  mer  et  delà.  Se  il  dient 
que  ai  cesti  cloistre  l'en  peut  mener  aspre  vie  pour  Tame  sau- 
ver,  de  ce  ne  les  croi-je  pas  v  mes  quant  j'ai  mangé  avec  eulz 
grant  foison  de  divers  mes  de  char  et  de  bons  vins  fors  **  ;  de 
quoi  je  sui  certein  que  se  il  eussent  esté  en  leur  cloistre ,  il  ne 
fussent  pas  si  aisié  comme  il  sont  avec  le  roy.  » 

Au  roy  enseigna  en  son  sermon  comment  il  se  devoit  main- 
tenir au  gré  de  son  peuple  ;  et  en  la  fin  de  son  sermon  dit  ainsi , 
que  il  avoit  leue  la  Bible  et  les  livres  qui  #ont  encoste^^  la  Bible, 
ne  Onques  n'avoit  veu  ne  ou  livre  des  créans ,  ne  ou  livre  des 
<  mescré.ans,  que  nul  royaume  ne  nulle  seigneurie  feust  onques 
perdue ,  ne  changée  de  seigneurie  en  autre,  ne  de  roy  en  autre, 
fojs  que  par  défaut  de  droit  :  «  Or  se  gart,  fist-il,  le  roy,  puis 
que  il  en  va  en  France ,  que  il  face  tel  droiture  à  son  peuple 
que  en  retiengne  Tamour  de  Dieu,  en  tel  manière  que  Dieu  ne 
li  toille  le  royaume  de  France  à  sa  vie  *>.  » 

Je  dis  au  roy  que  il  ne  le  lessast  pas  partir  de  sa  compai- 
gnie ,  tant  conmie  il  pot^  ;  mes  il  n'en  vouloit  riens  fère  pour 

'  Sur  les  religieux.  —  'Ce  qui  i  &  Dorant  sayie,  comme  porte  le  ma- 
ne  pent  être.  —  '^  Ne  que  :  pas  plus  I  noscrit  de  Lacques.  —  ^  Tant  qu'il 
que.     —  *  EneoUe  :  à  côté  de.  —   )  pourrait. 

*  Variante  du  manuscrit  de  Lacques  :  Le  commenc&metU  de  son  set' 
mon  fut  »ur  les  gent  de  religion  en  la  eourt  du  roy ,  en  ta  compaignie; 
et  disi  ainsif  quHlz  ne  sont  pas  en  estai  de  eulx  tauver. 

**  I<a  rédacUon  du  manuscrit  de  Lncriues  me  semble  ici  préférable  : 
Mait  je  vous  dis  que  j'ay  mangé  avecguet  euls  grant  foison  de  divers 
mcciz  de  chair,  et  beu  de  divers  vins  fors  et  clcrs. 


308  HISTOIBfi 

ii*.  Lors  me  prist  le  roy  par  la  main ,  et  mie  dit  :  «  Alons  li 
encore  prier,  v  Nous  venimes  à  li ,  et  je  le  dis  :  «  Sire  ^  foites 
ce  que  mon  seigneur  tous  proie ,  de  d^nourer  avec  li  tant 
comme  il  yert  >  en  Provence.  »  Et  il  me  respondi  moult  irée- 
\/  ment  *  :  «  Certes,  sire,  non  ferai;  dins  irai'  en  tel  lieu  là  où 
Dieu  m'amera  miex  que  il  ne  feroit  m  la  compaignie  le  roy.  » 
Un  jour  demoura  avec  nous,  et  lendemain  s'en  aia.  Ore  m'a 
l'en  puis  dit  que  il  gist  en  la  cité  de  Marsdlle,  là  où  il  fet 
moult  bêles  miracles. 

Le  jour  que  le  roy  se  parti  de  Tères  **,  il  desoendî  à  pié  du 
chastel  pour  ce  que  la  coste  étoit  trop  roite;  et  ala  tant  à  pié 
que,  pour  ce  que  il  ne  pot  avoir  son  palefroi,  que  il  le  couvint 
monter  sur  le  mien.  Et  quant  ses  palefrois  furent  venus ,  il 
counit  sus  moult  aigrement  à  Poînce  Tescuier  ***  ;  et  quant  ii 
l'ot  bien  mésamé  *^**,  je  li  dis  :  «  Sire,  vous  devez  moult  sou- 
frir  à  Poînce  l'escuier  ;  car  il  a  servi  vostre  aieul  et  vostre  père 
et  vous.  »  —  «  Séneschal ,  fîst-il,  il  ne  nous  a  pas  servi,  mes 
nous  l'avons  servi  quant  nous  l'avons  soufert  entour  nous, 
aus  mauvèses  taches ^  que  il  a;  car  le  roy  Phelippe  mon  aieul 
me  dit  que  l'en  devoit  guerre  donner  à  sa  mesnie  4,  à  l'un 
plus,  à  Tautre  moins,  selonc  ce  que  il  servent.  Et  disoit  encore 
que  nul  ne  pooit  estre  bon  gouverneur  de  terre,  se  il  ne 
savoit  ausi  hardiement  escondire  ^  comme  il  sauroit  donner. 
Et  ces  choses,  fist  le  roy,  vous  apren-je,  pour  ce  que  le  siècle 
est  si  engrès^  de  demander,  que  pou  sont  de  gent  qui  resgar- 
dent  au  sauvement  ^  de  leur  âmes  ne  à  l'onneur  de  leur 

'  YêrX  :  sera.  —  ^  Iréement  :  en  co-  I  «on.-- '  J?<cotuMr0  .*  refuser,  écondaire. 
1ère.  —*  Avec  les  maoTaises  qualités.  1  —  ^  Sngris:  avide.  —  ^  Sankvement: 
—  *  Récompenser  les  gens  de  sa  mal*  |    saint. 

*  Maniiflcrit  de  Lacques  :  //  tMdùt  qu'il  l'en  atoUJà  prié;  mais  il  Cle 
oordelier  )  n'en  voulUni  riens  faire  pour  Ivy.  Toyei  d-deasus,  pag.  21. 

**  An  Uen  de  Yères  qni  se  Ut  dans  le  manuscrit  de  Lacques,  il  y  a  Mirret 
dans  le  manascrlt  SXNS. 

Cet  alinéa  manque  dans  les  éditions  antérieures  à  1761. 

***  ji  Ponce  ion  eseuyer^  manuscrit  de  Lucques. 

***♦  Quand  il  Veut  bien  tancé,  idem. 


t 


i*^*  i 


DB  SAINT  LOUIS.  /  209 

eoTS,  que  il  puissent  traire  Tautrui  chose  par  devers  eulz,  soit 
à  tort,  soit  à  droit.  » 

Le  roy  s*en  vint  par  la  contée  de  Provence  jusques  à  une 
cité  que  en  appelé  Jys  en  Provence,  là  où  Ten  disoit  que  le 
cors  à  Magdeleînne  gisoit;  et  fumes  en  une  voûte  de  roche 
moult  haut,  là  où  l'en  disoit  que  la  Madeleinne  avoit  esté  en 
hermitage  dix-sept  ans.  Quant  le  roi  vint  à  Biaukaire,  et  je  le 
vi  en  sa  terre  et  en  son  pooir,  je  pris  congé  dé  li  et  m^en  ving 
par  la  daufine  de  Viennois  manice  ',  et  par  le  conte  de  Chalon 
mon  oncle ,  et  par  le  conte  de  Bourgoingne  son  filz  *,  Et 
quant  j*oi  une  pîesce  *  demouré  à  Joinville  et  je  oy  fbtes  mes 
besoignes,  je  me  muz  vers  le  roy,  lequel  je  trouvai  à  Soîssons  ; 
et  me  fist  si  grant  joie,  que  touz  ceulz  qui  là  estoient  s'en 
merveillèrent.  lUec  trouvai  le  conte  Jehan  de  Bretaigne^  et  sa 
femme  la  fille  le  roy  Tybaut,  qui  offri  ses  mains  au  roy  ',  de 
tele  droiture  comme  elle  devoit  avoir  en  Champaingne  ;  et  le 
roy  l'ajourna  au  parlement  à  Paris  ^  et  le  roy  Thybaut  de 
Navarre  le  secont^,  qui  là  estoît  pour  oyr  et  pour  droit  fère 
aus  parties. 

Au  parlement  vint  le  roy  de  Navarre  et  son  conseil ,  et  le 
conte  de  Bretaingne  aussi.  A  ce  parlement  demanda  le  roy 
Thybaut  madame  Ysabel  la  fille  le  roy  pour  avoir  à  femme  *"  ;  et 

*  Niée:  nièce.  -«>3  Unepieiâe:  quel-  1  pour  faire  hommage  au  roi.  —  ^  Le 
que  temps.  —  '  Laquelle  se  présenta  I  deuxième  du  nom. 

*  Par  le  Dauîphiné  de  Vienne  (  qui  appartenoit  à  )  ma  niepce,  et  par  la 
conté  de  Chalon  (  qui  appartenoit  à)  mon  oncle ,  et  par  la  conté  de  Bour- 
qoigne  (  qai  appartenoit  à  )  son  fils^  manuscrit  de  Lacques. 

La  daupliine  de  Viennois  était  Béatrix  de  Savoie,  fiUe  de  Pierre ,  comte 
de  Savoie,  et  d'Agnès  de  Faucigny.  Joinville  se  dit  oncle  de  Béatrix ,  soit 
qu'elle  fût  sa  nièce  par  alliance ,  ou  bien  sa  parente  en  un  degré  infé^ 
rieur.  ^ 

Jean ,  comte  de  ChAlons,  était  le  fils  du  comte  d'Âuxonne  Guillaume,  et 
Crère  de  Béatrix ,  seconde  femme  du  père  de  l'historien  Joinville  :  celui-ci 
sç  qualifie  ainsi  neveu  de  Jeau. 

Hugues,  tils  de  ce  même  Jean,  épousa  Alix  de  Méranic,  héritière 
d'Othon  III,  comte  palatin  de  Bourgogne. 

**  Le  manuscrit  2016  ï)orte  :  Ysabel  la  fille  le  roy  pour  avoir  à/emms 

18. 


210  HI$T01B£ 

les  paraies  que  nos  gens  de  Cbampaigae  menoient  par  darière 
moy,  pour  Tamour  que  il  orent  veue  que  le  roy  m'avoit 
moustxée  à  Soissons,  je  ne  lessai  pas  pour  celque  je  ne  venisse 
au  roy  de  France  pour  parler  dudit  mariage  *.^a  Alez,  dit  le  roy, 
si  vous  apaisiés  ou  conie  de  Bretaingne  '  ;  et  puis  si  ferons 
nostre  mariage.  »  Et  je  li  dis  que  pour  ce  ne  devoit-il  pas 
lessier.  Et  il  me  respondi  que  à  nul  feur  "  il  ne  feroit  le  ma- 
riage, jeusques  à  tant  que  la  pez  fust  faite ,  pour  ce  que  Fen 
ne  deist^  que  il  mariast  ses  enfans  ou  déshéritement  de  ses 
barons. 

Je  raportai  ces  paroles  à  la  royne  Marguerite  de  Navarre 
et  au  roy  son  filz,  et  à  leur  autre  conseil  ;  et  quant  il  oyrent  ce, 
il  se  hastèrent  de  fère  la  pez.  Et  après  ce  que  la  pez  fu  faite, 
le  roy  de  France  donna  au  roy  Thybaut  sa  fille  ;  et  furent 
les  noces  fêtes  **  à  Melun  grans  et  plenères  ;  et  de  là  l'amena 
le  roy  Thybaut  à  Provins,  là  où  la  venue  fu  faite  à  grant  foison 
de  barons  ***. 

Après  ce  que  le  roi  fu  revenu  d'outre-mer,  il  se  maintint  si 
dévotement  que  onques  puis  ne  porta  ne  vair,  ne  gris,  ne  es- 
carlatte,  ne  estriers,  ne  espérons  dorez.  Ses  robes  estoient  de 
camelin  ou  de  pers  ;  ses  pennes  ^  de  ses  couvertouers  et  de  ses 
robes  estoient  de  gamites,  ou  de  jambes  de  lièvres  ****. 

'  Et  faites  la  paix  avec  le  comte  de  i   — ^    Poar  qae   l'on    ne    dit  pas.  —> 
-^etagoe.  —  '   Feur  :  prix ,  manièrek   1   *  Penne»  .*  bordures. 

TUi  esUnt  jUle  le  roy.  Ces  derniers  mots  sont  une  répétition  inutile,  qui 
n'est  pas  dans  le  manuscrit  de  Lucques,  et  qu'à  Texemple  des  continuateurs 
de  D.  Bouquet,  nous  avons  retranchée. 

*  Il  senU>le  à  l'éditeur  de  1761  qu'il  faut  lire  ici  :  et  malgré  les  paroles 
gue  nos  gens,  etc.  Dans  le  manuscrit  de  Lucques,  Joinville  dit  au  contraire  : 
Les  paroles  que  nos  gens  de  Cfiampaigne  menoieni  en  derrière  de  moy, 
de  ^  quHls  avoient  veu  que  le  roy  nî'avoU  monstre  à  Soissons  si  grand 
amour,  me  firent  parler  à  lui  du  mariage» 

-*En  1253. 

*^*  Le  manuscrit  de  Lucques  ajoute  :  et  de  grans  despens. 

*♦**  On  lit  de  garmites,  ou  de  jambes  de  lièvres,  ou  d'aigneaulx,  dans 
le  manuscrit  de  Lucques,  et  gamuies  dans  l'édition  de  1547. 

Le  maniisorit  de  Lucques  contient  ici  de  plus  les  lignes  suivantes  :  Il 


\^ 


DE  SAINT  UOmS.  SU 

Quant  les  ménestriers  aus  riches  homes  venoient  léaiis  et  il 
apportoient  leur  vielles  après  manger»  il  attendoit  à  oïr  ses 
grâces  tant  que  le  ménestrier  eust  fait  *  sa  lesse  *  :  lors  se 
levoit,  et  les  prestres  estoient  devant  H,  qui  disoient  ses*  grâces^ 
Quant  nous  estions  privéement  léans ,  il  s^asséoit  aus  pies  de 
son  lit  ;  et  quant  les  preescheurs  et  les  cordeliers  qui  là  estoient, 
li  ramentevoient  aucun  Kvre  qu'il  oyst  volentlers,  il  leur  disoit  : 
«  Vous  ne  me  lirez  point  ;  car  il  n'est  si  bon  livre  après 
manger,  comme  quolibez  :  c'est-à-dire,  que  chascun  die  ce 
que  il  veut.  *  Quant  aneunz  riches  homes  **  mangoient  avec  li, 
il  leur  «stoit  de  bone  compaingnie. 

De  sa  compaingnie  ***  vous  dirai-je.  Il  fii  tel  foiz  que  l'en 
tesmoingnoit  qu'il  n'avoit  si  sage  à  son  conseil  comme  il  estoit  ; 
et  parut  à  ce  que  tout  senz  son  conseil ,  tout  de  venue  ^  dont 
je  ai  oî ,  il  respondi  à  touz  les  pvélas  du  royaume  de  France 
d'une  requeste  que  il  li  firent,  qui  fu  tele****. 

'   Lêsse  :  tirade. 

esioU  si  sobre  de  sa  bouche  gu*il  tte  devisait  nullement  ses  viandes  fors 
ce  que  les  cuisiniers  luy  appareillaient,  et  on  le  mectoit  devant  luy  et  il 
mangeoit  ;  son  vin  trempait  en  ung  gobellet  de  verre,  et,  selon  ce  que 
le  vin  estoit,  il  mectoit  de  Veaue  par  mesure ,  et  tenait  le  gobellet  en  sa 
main  ainsi  comme  on  luy  trempait  son  vin  derrière  sa  table.  Il  faisoU 
toujours  manger  les  paouvreSf  et  après  manger  leur  faisait  donner  de  ses 
def tiers. 

Ces  lignes  ne  sont  pas  dans  le  niannscrit  2016  ;  mais  on  les  a  déjà  lues,  du 
moins  en  parUe,  à-dessus,  pag.  10. 

*  Tant  que  les  ménestriers  eussent  faict  silence,  manuscrit  de  Luoques. 

**  Le  même  mannscrit  ajoute  :  estrangiers. 

***  Le  mannscrit  de  Lucques  fournit  la  variante  que  voici  :  De  sa  sa- 
pienee  vous  dirai-je,  qui  fu  telle,  que  on  tesmoignoit  qu'il  n'avoit  en 
son  conseil  si  saige  homme  comme  il  estoit;  et  paraissait  à  ce  que 
quant  on  luy  parlait  d'aucunes  choses,  il  ne  disoit  pas  :  «  Je  m^en  con^ 
seillerai;  »  ains  quant  il  veait  le  droit  tout  cler  et  appert,  il  respondoit 
sans  long  séjourner  :  dont  fay  oy  qu'il  respondit  à  tous  les  prélatz  de 
France,  d'une  requeste  qu'itz  luyfeirènt,  qui  fktt  telle,  laquelle  l'etvesque 
d^ Auserre  flst  pour  eulm  tous,  etc. 

****  Les  trois  alinéa  suivants  sont  omis  dans  les  éditions  de  161>et  1608. 
Le  premier  est  dans  celte  de  1547;  mais  les  deux  autres  y  man<iucnt. 


SIS  HISTOIBB 

'^L'éresque  Gui  d'AuoeriB  M  dit  pour  eulz  touz  :  «  Sire,  fist- 
ii,  ces  arcevesques  et  ces  évesqaes  qui  ci  sont,  m'ont  chargé 
que  je  vous  die  que  la  cretieuté  dédnet  et  font  entre  vos  mains, 
et  décherra  encore  plus  se  vous  n'i  mctés  conseil,  pour  ce  que 
nulz  ne  doute  hui«t  le  jour  escommoiiement  *.  Si  vous  requé- 
rons, sire ,  que  vous  commandez  à  vos  haillifis  et  à  vos  seijans    iy'j^ 


que  il  contreingnent  les  escommeniés  *  an  et  jour,  par  quoy  il 


r 


Êioent  satisfaccion  à  l'Église.  »  Et  le  roy  leur  respoMlouz  /^' 
sanz  conseil,  que  il  commanderoitvolentiers  àsesbaïUiz  età4ses 
serjans  que  il  constreignissent  les  escommeniés  ainsi  comme 
il  requéroient;  mes  que  en  li  donnast  la  congnoissimce  se,  la 
sentence  estoit  droiturière  ou  non.  Et  il  se  conseillèrent  et 

ê 

respondirent  au  roy,  que  de  ce  que  il  afféroit  à  la  cresti^té 
ne  li  donroimt-îl  la  congnoissance.  Et  le  roy  leur  respondi 
aussi ,  que  de  ce  que  il  afféroit  à  li,  ne  leur  dourrdt-il  jà  la 
congnoissance,  ne  ne  commanderoit  jà  à  ses  seijans  que  il 
constreinsissent  les  escommeniés  à  eulz  fère  absoudre,  fu  tort, 
fu  droit  :  «  Car  se  je  le  fesoie,  je  feroie  contre  Dieu  et  contre 
droit.  Et  si  vous  en  mousterrai  un  exemple  qui  est  tel  :  que  les 
évesques  de  Bretaigne  ont  tenu  lé  conte  de  Bretaigne  bien  sept 
ans  en  escommeniement ,  et  puis  a.eu  absolucion  par  la  court 
de  Rome;  et  se  je  l'eusse  contreint  dès  la  première  année ,  je 
l'eusse  contreint  à  tort  **.  » 

Il  avint  que  ***  nous  fumes  revenu  d'outre-mer,  que  les 
moinnes  de  Saint-Urbain  esleurent  deux  abbés;  l'évesqtie 
Pierre  de  Chaalons,  que  Diex  absoille,  les  chassa  touz  deuz  et 
béney  en  abbé  monseigneur  Jehan  de  Mymeri,  et  li  donna  la 
croee.  Je  ne  voil  recevoir  ***%  pour  ce.  qu'il  avoit  fet  tort  à 

*  Ne  craint,  ne  redonte  anjoard'hoi  les  eieommnnicfttioaa. 

*  Le  manuscrit  de  Luoqoes  ajoute  s  qui  auront  soutenue  la  sentence, 
^*, Gomme  le  font  remarquer  tes  conUouateurs  de  D.  Bouquet ,  on  V9U 

que  saint  Louis  savait  se  tenir  en  garde  contre  les  entreprises  du  clergé; 
***  Q^amt,  manuscrit  de  Lucques. 
**•*  Je  ne  levouUu  recepvoir,  maBUScrit  de  Lucques, 


'k* 


r 


DE  SAINT  LOUIS.  2ia 

Tabbé  Geoffroy,  qui  avoit  appelé  contre  li  et  estoit  aie  à  Rome. 
Je  tingtantrabbaieen  ma  main,  que  ledit Geffroy  emporta  la- 
croce,  et  celi  la  perdi  à  qui  l'évesque  Tavoit  donnée;,  et  tandis 
que  le  ooiitens  '  en  dura,  Tévesque  me  fit  escommemer  :  dont 
il  ot  à  un  parlement  qui  fu  à  Paris,  grant  tribouil  *  de  moy  et' 
de  révesque  Pierre  de  Flandres,  et  de  la  contesse  Marguerite 
de  Flandre,  et  de  l'ercevesque  de  Reins,  qu'elle  desmanti^  A 
Tautre  parlement  qui  vint  après,  prièrent  touz  les  prélas  au- 
roy  que  il  venist  parler  à  eulz  tout  seul.  Quant  il  revint  de 
parler  aus  prélas,  il  vint  à  nous  qui  l'attendions  en  la  chambre 
ou  palais  *,  et  nous  dît  tout  ei^riant  le  tourment  que  il  avoit 
eu  aus  prélas,  dont  le  premier  fii  tel,  que  l'ercevesque  de* 
Reins  avoit  dit  au  roy  :  «  Sire,  que  me  ferez-vous  de  la^ 
garde  Saint-Remi  de  Reins  que  vousme  tollee^  ?  car  je  ne  vou- 
roie  avoir  un  tel  péchié  comme  tous  avez ,  pour  le  royaume 
de  France.  »  —  «  Par  les  sains  de  céans,  fist  le  roy,  si  fériés  4 
pour  Compieigne  **y  par  la  convoitise  qui  est  en  vous;  or  en. 
y  a  un  parjure.  L'évesque  de  Chartres  me  requist ,  fist  le  roy,.. 
que  je  li  feisse  recroire  ce  ***  que  je  tenoie  du  sien  ;  et  je  li  dlz- 
que  non  feroie,  jeusques  à  tant  que  mon  chatel  **^*  seroit  paies. 
Et  li  dis  que  il  estoit  mon  home  de  ses  mains,  et  que  il  ne  se 
menoit  ne  bien  ne  loialment  vers  moy,  quant  il  me  vouloit 
déshériter  s.  L'évesque  de  Chalons  me  dit,  fist  le  roy  :  «  Sire, 
«  que  me  ferez-vous  du  seigneur  de  Joinville ,  qui  toit  à  ce 
«  povre  moine  l'abbaïe  de  Saint-Urbain?  »  —  «  Sire  évesque, 
fist  le  roy,  entre  vous  avez  establî  que  l'en  ne  doit  oyr  nul  es- 
ccmmenié  en  court  laie;  et  j'ai  veues  lettres  scelées  de  trente- 
deux  seaux,  que^  vous  estes  escommenié  :  dont  je  ne  vous  es- 


*  Canien»  :  eontestotion. —  '   Tri"  i  ^Vonsen  feriesaatant.— ^DépoaiUer, 
bovil  :  troBble.— »  Tollez  :  enleres.  —  I  —  «  Qui  portent  que. 


*  J  la  chambre  aux  plaUz^  manuscrit  de  Lncqaes, 
**  Pour  la  compagnie^  idem. 
*♦*  Créance  de  ce,  idttn, 
*••*  Giste,  idem. 


914  RISTOIKE 

coûterai  jeusques  a  tant  que  vous  soies  absoulz.  »  Et  ces  choses 
vous  moustré-je,'i^ÛT  ce  que^^il  se  délivra  tout  seul  par  son 
senz ,  de  ce  que  iravoitlL'fère. 

L'abbé  Geffroy  de  Saint-Urbain,  après  ce  que  je  li  oz  '  faite 
sa  besoiogne ,  si  me  rendi  mal  pour  bien ,  et  appela  contre 
moy.  A  nostre  saint  roy  fist  entendant  >  que  il  estpit  en  sa 
garde.  Je  requis  au  roy  que  il  feist  savoir  la  vérité,  «e  la  garde 
estoit  seue  ou  moy  ^  :  «  Sire ,  fist  Tabbé .  ce  ne  ferez-^vous  jà, 
se  Dieu  plet;;  mez  nous  tenez  en  plet  ordené  entre  nous  et  le 
seigneur  de  Joinville;  que  nous  amons  mieux  avoir  nostre 
aU)aîe  en  vostre  garde^  que  nous  à  oeli  qui  Téritage  est  **.  »  Lors 
me  dit  le  roy  :  «  Dient-il  voir,  que  la  garde  de  Tabbaïe  est 
moye  ?»  —  «  Certes,  sire,  fiz-je,  non  est,  ains  est  moye.  »  Lors 
dit  le  roy  :  «  Il  peut  bien  estre  que  Téritage  est  vostre;  mez  *** 
^  la  garde  de  vostre  abbaïe  n'avés-vous  riens;  ains  couvient, 
se  vous  voulés  et  selonc  ce  que  vous  dites  et  selonc  ce  que  le 
séneschal  dit,  qu'elle  demeure  ou  à  moy  ou  à  li.  Ne  je  ne 
lèrai  jà  pour  choses  que  vous  en  dites,  que  je  n'en  face  savoir  la 
vérité;  car  se  je  le  metoie  en  plet  ordené,  je  mesprenroie 
vers  li  4  [  qui  ]  est  mon  home^  se  je  li  metoie  son  droit  en  plet, 
douquel  droit  il  me  offre  à  fère  savoir  la  vérité  clèrem^t.  »  11 
fist  savoir  la  vérité;  et  la  vérité  seue,  il  me  délivra  la  garde 
de  Tab^aïe  et  me  bailla  ses  lettres****. 

■  Oz  :  eus.  —  ^  Fit  eotendre.  —   i   tort.  Le  mot  qai  suit  eatre  oroebets 
3  Sieone  oa  mienne.  —  <  Je  lui  ferais  I  manque  dant  le  manaierit  2016. 


*  Et  ces  choses  vow  desclaray-je /àj[fin  quejvous  voyez  tout  der 
comme f  manuscrit  *  e  Lacqoes.  ^-^ — .— ^ 


** 


Le  manuscrit  de  Lucques  offre  cette  variante  :  que  nul  ne  peult  pas 
uvoiv  nostre  abbaye  en  garde^  que  vous,  à  qui  est  Vhéritage, 

«  Dans  la  iecon  que  nous  avons  tirée  du  manuscrit  2016,  disent  les  cont^ 
noateurs  de  D.  Bouquet,  que  non  a  celi  serait  un  peu  moins  obscur  que  nous 
à  qui.  > 

***  C'est  sans  doute  à  l'abbé  que  ceci  s'adresse. 

****  «  Ce  fut  en  vaip  que  le  comte  de  Champagne  voulutre  vendiquer  le  ju- 
gement de  cette  affaire  par  des  lettres  qui  se  conservent  manuscrites  dans  les 
archives  du  château  de  Joinville,  et  qui  sont  conçues  en  ces  termes  :  «  K 


DE  SAINT  LOUIS.  215 

*  Il  avifit  que  le  saint  roy  pourchassa  tant ,  que  le  roy  d'An- 
gleterre^  sa  femme  et  ses  enfans,  vindrent  en  France**  pour 
traitier  de  la  pez  de  li  et  d'eulz.  De  ladite  pez  furent  moult 
contraire  ceolx  de  son  consdl,  et  li  disotent  ainsi  :  «  Sire ,  nous 
nous  merveillons  moult  que  vostre  volenté  est  tele ,  que  vous 
Toulés  donner  au  roy  d' Angleterre  si  grant  partie  de  vostre  terre 
que  vous  et  vostre  devuicier  avez  conquise  sus  li  et  par  leur  mef^ 
fait  Dont  il  nous  semble  que  se  vous  entendez  que  Vous  n'i  aies 
droit,  que  vous  ne  fêtez  pas  bon  rendage  au  roy  d'Angleterre, 
se  vous  ne  li  rendez  toute  la  conqueste  que  vous  et  vostre  de« 
vancier  avez  faite;  et  se  vous  entendez  que  vous  y  aies  droit, 
il  nous  semble  que  vous  perdez  quantque  vous  li  rendez.  »  A 
ce  respondi  le  saint  roy  en  tele  manière  :   «  Seigneurs-,  je  sui 

c  son  très-chier  seignor  et  très-cMer  père  Lois ,  par  la  grâce  de  Deo  roi^ 

•  de  Franoe,  Tlûbaut  par  celle  même  ^aœ,  rois  de  Navarre,  de  Cham- 
«  paigne  et  de  Brie  cuenz  palatins ,  salut,  à  lui  appareillez  à  faire  toute  sa 
«  Yolenté.  Sire ,  nous  vous  fesons  savoir  que  notre  araé  et  féal  séuéctiaux 
c  de  Champaigne  nous  a  montré  que  li  abbé  et  11  convent  de  Salnt-Drbain 
«  l'ont  fait  ajorner  le  lundi  après  les  witiennes  de  Pentecôte  par  devant 
«  vous  ;  et  por  ce ,  sire ,  que  ledis  sénéchaux  tient  la  garde  de  laditte 
c  abbaye  et  de  la  ville  de  Saint-Urbain  et  de  la  terre  que  li  abbé  et  li  con* 
ff  vent  dessus  dits  ont  de  la  châtellenie  de  Joinville  et  de  no%  nos  vos  re- 

•  qnérons  que  nnl  plait  ne  teigne  de  choee  qui  teigne  k  nos,  comme  nous 
«  soyens  appareillez  de  faire  droit  à  l'abbé  et  convent  dessus  dits  doudit 
c  sénéchaux  et  tous  autres  qui  se  plaindront  de  li.  Donné  à  Fossez  l'an  de 
c  grâce  M.  ce.  LiYi.  le  vendredi  après  la  Pentecôte.  >  Louis  IX,  sans 
avoir  égard  à  cette  requête,  Jugea  Vaffaire  en  faveur  du  sire  de  Joinville.  » 
{Recueil  des  historiens  des  Gaules,  etc.,  tom.  XX,  pag.  29  ,  not.  12.  ) 

*  Le  récit  de  Joinville  se  reprend  ici  dans  les  éditions  de  Cl.  Ménard  et 
de  du  Gange,  même  aussi  dans  celle  de  Pierre  de  Rieax ,  laquelle  toutefois 
diffère  des  deux  antres  par  l'ordre  comme  par  la  rédaction  de  presque 
tous  les  derniers  articles  du  livre. 

**  On  trouve  une  longue  relation  de  ce  voyage  du  roi  d'Angleterre, 
Henri  III,  dans  r^ûtona  tnajor  de  Matthieu  Paris,  sous  l'année  1254, 
édit.  de  Londres,  hoclxixiv,  pag.  772-77 A,  Louis  IX  alla  au-devant  du 
prince  anglais  jusqu'à  Chartres;  et  dès  qu'ils  se  virent,  les  deux  souverains 
se  prédpitèrent  dans  les  bras  l'un  de  l'autre.  A  Paris,  il  se  donna,  à  l'occa- 
sion de  cette  visite ,  un  fesUn  si  brillant  que  l'écrivain  déclare  que  jamais 
dans  les  temps  passés,  d'Assuénis,  d'Arthur  ni  de  Charlefnagne,  il  n'y  en 


216  HISTOIRE* 

certain  que  *  les  deTan<»ers  au  roy  d'Angleterre  ont  perdu  tout 
par  droit  la  conqueste  que  je  tieing  ;  et  ia  terre  que  je  H  donne, 
ne  li  donné-je  pas  pour  chose  que  je  soie  tenu  à  li  ne  à  ses 
hoirs,  mes  pour  mettre  amour  entre  mes  enfans  et  les  siens, 
qui  sont  cousins  germains.  Et  me  semble  que  ce  que  je  li 
donne  emploié-je  bien^  pour  ce  que  il  n*estoit  pas  mon  home,  si 
en  entre  en  mon  houmage.  »  Se  '  fu  Tomme  du  monde  qui  plus 
se  traveilla  de  paiz  entre  ses  sousgis  ',  et  es^écialement  entre 
les  riches  homes  voisins  et  les  princes  du  royaume ,  si  comme 
entre  le  conte  de  Chalon,  oncle  au  seigneur  de  Joinville,  et 
son  fil  le  conte  de  Bourgoingne ,  qui  avoit  grant  guerre  quant 
nous  revenimes  d'outre-mer.  Et  pour  la  pez  du  père  et  du  fil, 
il  envola  de  son  conseil  ^  en  Bourgoingne  et  à  ses  despeos;  et 
par  son  pourchas^  fu  fête  la  pez  du  père  et  du  fil. 

'Puis  ot  grant  guerre  ^tre  le  secont  roy  Tibaut  de  Gham- 
pàigne  et  le  conte  Jehan  de  Chalon ,  et  le  conte  de  Bourgoin- 
gne son  filz,  pour  Tabbaie  de  Lizeu**  ;  pour  laquelle  guerre 
appaisier  monseigneur  le  roy  y  envoia  monseigneur  Gervaise 
Descrangnes  **'^,  qui  lors  estoit  mestre  queu  de  France,  et  par 
son  pourchas  il  les  apaisa. 

Après  c^te  guerre  que  le  roy  appaisa,  revint  autre  une  grant 
guerre  entre  le  conte  Thybaut  de  Bar  ^  le  conte  Henri  de  Lu- 
cembourc,  qui  avdit  sa  sereur  ^  à  femme  ;  et  avint  ainsi,  que  il  se 
combatirent  Tun  à  l'autre  desouz  Priney  ^ ,  et  prist  le  conte 
Thybaut  de  Bar  et  7  le  conte  Henri  de  Lucembourc,  et  prist 


«  Ce.  —  *  Sousgi»  :  Sujets.  — 
^  Qaélqaes-uns  de  ses  eonseiHers*  — 
*  Par  ses  soins.  —  ^Sereur:  sœnr.  — 


*  Pigney  on  Piney  en  Champagne.  —^ 
'  La coBJonetioii  tttéXk  supprimer  Ici. 


avait  eu  nn  pareil.  Au  nombre  des  «onyiyes  fignraieDt  douze  éréqnes, 
vingt-cinq  ducs  et  barons,  dix-huit  comtesses,  dont  deax  étaient  sœnrs  de 
reines ,  etc.  Le  roi  de  France  tenait  te  milieu  de  la  table,  ayant  à  as  droite 
te  roi  d'Angleterre,  à  sa  gaudie Ttiibault,  roi  de  Navarre. 

*  Les  deux  mots  certain  qw  sont  omis  dans  le  manuseritaolS;  mais  ils 
sont  nécessaires^  et  le  manuscrit  de  Lncqaes  nons  les  fournit. 

**  Lesueil,  manuscrit  de  Luoqnes.  U  s'agit  ici  de  Luxeu ,  ou  Loxeuil, 
.en  Franche-Comté. 

A**  Gervaise  des  Craignes,  manuscrit  de  Lucques. 


DE  SAINT  L0UI8.  217 

le  chastel  de  liney  qui  estoit  au  contede  Lucemboure  de  par  sa 
femme.  Pour  celle  guerre  appaisier,  envoîa  le  roy  monseigneur 
Peron  le  clifflub^rlain,  Tomme  du  mmàe  que  il  créoit  plus, 
et  aus  despens  le  roy  ;  et  tant  fist  le  roy  que  il  furent  apai- 
sié*. 

De  ces  gens  estranges  que  le  roy  avoit  apaisié,  lidisoient  au- 
cuns de  son  conseil  que  il  ne  fesoit  pas  bien ,  quant  il  ne  les 
lessoit  guerroier  ;  car  se  il  les  lessast  bien  apovrir,  il  ne  li  cour- 
roient  pas  sus  sitost,  comme  se  il  estoient  bien  riche.  Et  à  ce 
respondoit  le  roy ,  et  disoit  que  il  ne  disoient  pas  bien.  «  Car 
se  les  princes  voisins  véoient  que  je  les  lessasse  guerroier,  il 
se  pourroient  aviser  entre  eulz,  et  dire  :  «  Le  roy  par  son  malice 
«  nous  lesse  guerroier.  »  Si  en  avenroit  ainsi  que  par  la  hainne 
que  il  auroient  à  moy,  il  me  venroient  courre  sus,  dont  je  pour- 
roie  bien  perdre  en  la  hainne  de  Dieu  que  je  conquerroie  ** , 
qui  dit  :  «  Benoit  soient  tuit  li  apaiseur.  »  Dont  il  avint  ainsi, 
que  les  Bourgoignons  et  les  Looreins  que  il  avoit  apaisiés, 
l'amoient  tant  et  obéissoieut,  que  je  les  vi  venir  plaidier  par 
devant  le  roy  des  descors*  que  il  avoient  entre  eulz,  à  la  court 
le  roy,  à  Rains,  à  Paris  et  à  Orliens***. 

Le  roy  ama  tant  Dieu  et  sa  douce  mère,  que  touz  ceulz  que 
il  pooit  atteindre  qui  disoient  de  Dieu  ne  de  sa  mère  chose 
d^oneste  ne  vilein  serement,  que  il  les  fesoit  punir  grief- 

*  Deteors  :  discordes. 

*  Dans  cet  arttcle,  le  manuscrit  de  Lncqnes  présente  plusieurs  varian- 
•tes  :... .  se  combattirent  r«ii  à  Vautre  de  leur  autorité.,,  print  te  chastel 

de  Lixey.,,  qu''il  croyoitplus,  et  tant  ae  travailla  le  roy  que  la  paix 
vint  entre  eulx. 

**  Dont  je  y  pourrais  bien  perdre,  sans  la  haine  de  Dieu  que  je  con- 
querroisy  manuscrit  de  Lucques. 

***Ant.  P.  de  Rieux  ajoute  ici  un  chapitre  numéroté  xc  et  intitulé  : 
Comme  Charles  duc  d^ Anjou ,  et  frère  du  roy,  par  le  moyen  des  papes 
Urbain  et  Clément,  fut  roy  de  Sicile,  et  comme  Maufroy  fut  tué  en  une 
baiaUle.  U  n'y  a  rien  qui  corresponde  à  ce  chapitre  dans  les  deux  manus- 
crits, ni  dans  les  éditions  de  1647  et  IG68. 

HIST.  DE   ST  LOUIS.  19 


218  HISTOIRE 

ment  :  dont  je  vi  que  il  fist  mettre  un  orfèvre  en  l'eschielc*  à 
Cézaire  s  en  braie  et  en  chemise,  les  boiaus  et  la  fressure  d'un 
porc  entour  le  col,  et  si  grant  foison  que  elles  li  avénoient  jois- 
ques  au  nez.  Je  oy  dire  que  puis  que  je  reving  d'outre-mer, 
que  il  en  fist  euire  le  nez  et  le  baleure  ***  à  un  bourjois  de 
Paris  ;  mes  je  ne  le  vi  pas.  Et  dist  le  saint  roy  :  «  Je  yonrroie 
estre  seigné^  d'un  fer  chaut,  par  tel  convenant  <  que  touz  vi- 
leins  sèremens  feussent  ostez  de  son^  royaume,  w"?^ 

Je  fu  bien  vint-deux  ans  en  sa  compagnie  ***,  que  onques 
Dieu  ne  li  oy  jurer,  ne  sa  mère,  ne  ses  sains  ;  et  quant  il  vou- 
loit  aucune  chose  affermer,  il  disoit  :  «  Vraiement  il  fu  ainsi,  » 
ou  «  vraiment  il  yert  ainsi.  » 

Onques  ne  li  oy  nommer  le  dyable ,  se  ce  ne  fii  en  aucun 
livre  là  où  il  affèroit  à  nommer,  ou  en  la  vie  des  sains  de  quoy 
le  livre  parloit.  Et  c'est  grant  honte  au  royaume  de  France,  et 
au  roy  quant  il  le  seuffre,  que  à  peinne  peut  l'en  parler  que  en 
ne  die  :  «  Que  dyable  y  ait  part  !  »  Et  c'est  grant  faute  de  lan- 
guage,  quant  l'en  approprie  au  dyable  Tomme  ou  la  fenù&e  qui 
est  donné  à  Dieu  dès  que  il  fubaptiziés.  En  l'ostd  de  Jœaville, 
qui  dit  tel  parole,  il  doit  la  bufe  ou  la  paumeUe^,  et  y  est  ce 
mauvez  language  presque  tout  abattu. 
'^'  Il  me  demanda  se  je  le  lavoie  les  pies  aus  povres  le  jeudy 
absolu?;  et  je  li  respondi  que  nanin  ,  que  il  ne  mesembloit 
pas  bien.  Et  il  me  dit  que  je  ne  le  dévoie  pas  avoir  en  despit  ; 
car  Dieu  l'avoit  fait;  «  car  moult  envis  ^  fériés  ce  que  le  roy 


*  A  Cénrèé  ta  PaJcttine.  —  >  Brû- 
ler avec  an  fer  chaud  le  nez  et  la  lèvre 
inférieare.  —  >  s$igné  :  signé,  mar- 
qué. —  ^  Â  conditioB.  —  *  Liaes  son 


aa  lien  de  «khi.  —  >  Rei^it  un  soufflet 
ou  une  tape.  —  ">  Jev^dy  absolu  :  jeudi 
saint.  —  "  Envis  :  à  contre-cœur,  In* 
fHtûs, 


*  On  faisait  monter  le*condamné  aux  plus  hauts  degrés  d*iine  échelle , 
poar  l'exposer  aax  regards  du  peuple. 

**  Le  pape  Clément  IV,  comme  le  font  observer  les.contmuateurs  de 
D.  Bouquet ,  eut  la  sagesse  de  désapprouver  cette  rigueur  barbare.  Par  une 
bulle  qui  se  conserve  an  Trésor  des  chartes ,  il  exhorte  saint  Louis  à  punir 
les  blasphémateurs ,  mais  sans  mutilation  et  sans  peine  de  mort 

***  Le  manuscrit  de  Lucques  donne  trente^deux ,  chiffre  qui  uè  répond 
j»a8  au  nombre  d'années  écoulées  de  4248  à  4270. 

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DE  SAINT  LOUIS,  2t9 

d'Angleterre  fet,  qui  lave  les  piez  aus  mézeaus  *  et  bèze  ^  » 
Avant  que  il  se  couchast  en  son  lit,  il  lEésoit  venir  ses  eofans 
devant  li,  et  leur  recordoit  les  fez  '  des  bons  roys  et  des  [bons  **] 
empereurs  y  et  leur  disoit  que  à  tiex^  gens  devoient-il  prenre 
exemple;  et  leur  recordoit  aussi  les  fez  des  mauvez  riches 
hoounes,  qui,  par  luxure  et  par  leur  rapines  et  par  leur  ava- 
rice, avoient  perdu  leur  royaumes.  «  Et  ces  choses ,  fesoit-il , 
vous  ran)entoif-je4,  pour  ce  que  vous  vous  en  gardez,  par  quoy 
Dieu  ne  se  courousse  à  vous  ^.  »  Leur  heures  de  Nostre-Dame 
leur  fesoit  apprenre,  et  leur  fesoit  dire  leur  heures  du  jour  **^, 
pour  eulz  acoustumer  à  oyr  leur  heures  quant  il  tenroient 
leur  terres. 

Le  roy  fu  si  large  aumosnier^  que  partout  là  où  il  aloit  en 
son  royaume,  il  fesoit  donner  aus  povresesglises,  à  maladeries^, 
à  mesons-Dieu,  à  hospitaulz,  et  à  povresgentilzhommes  et  gen- 
tilzfemmes.  Touz  les  jours  il  donnoit  à  mangera  grant  foison 
de  povres,  sanz  ceulz  qui  mangoient  en  sa  chambre  ;  et  main- 
tes foiz  vi  que  il  leur  tailloit  leur  pain  et  leur  donnoit  à 
boivre. 

De  sontens  furent  édefiées  pluseurs  abbaïes;  c'est  à  savoir, 
Royaumont,rabbaïede  Saint-Antoinne  delez  Paris,  Tabbaïe  du 
Liz,  l'abbaïe  de  Mal-Bisson?^  et  pluseurs  autres  religions*  de 
preescheurs  et  de  cordeliers.  Il  fist  la  mèson-Dieu  de  Pon- 
toise,  la  mèson4)ieu  de  Brînon^*^*,  la  mèson  des  aveugles 


>  Mézwus  .'lépreux.-—  '  RaeoDtait  1  ^  McUaderie*  :  léproseries.  —  ''  Mau- 
les  faits.  —  ^Sur  de  telles.  •— ^  AaivMn-  |  buisson,  —  ^  Religions  :  maisons  reli- 
ft)</y«;rappelé-je.  —  ' Contre  vous.—    I  gieoses. 

*  Le  sens  de  lâ^pBR^  parait  être  :  c  Feriez -vous  donc  avec  répu- 
gnance^ ce  que  fait  le  roi  d'Angleterre,  qui,  >  etc.  Voyez  ci -dessus, 
pag.  12. 

**  Manuscrit  de  Lucques. 

***  Ei  les  leur  faisoU  dire  devant  luy  Us  heures  du  jour,  manuscrit 
de  Lucques. 

***•  De  Femon,  même  manuscrit. 


N(. 


320  HfSTOIRE 

de  Pai'is ,  l'abbaîe  des  cordelières  de  Saint-Gloa ,  que  sa  seur 
madame  Isabiau  fonda  par  son  otroî  '. 

Quant  aucuns  bénéfices  de  sainte  Esglise  eschéoit  au  roy  *, 
avant  que  il  le  donnast  il  se  eonseilloit  à  bones  persones  de' 
religion  et  d'autres,  ava^t  que  il  le  donnât  ;  et  quant  il  s'estoit 
conseillé,  il  leur  donnoit  les  bénéfices  de  ssdnte  Esglise  en  bonc 
foy,  loialment  et  selonc  Dieu.  Ne  il  ne  vouloit  nulz  bénéfices 
,  donner  à  nulz  clers  ^  se  Jljie  renonçoit  aux  autres  bénéfices 
des  esglises  que  il  avoit.  En  toutes  les  villes  de  son  roiamne  là 
où  il  n*avoit  onques  esté,  il  aloit  aus  preescheurs  et  aus  cor- 
deliers,  jse  il  en  y  avoit  nulz,  pour  requérir  leur  oroisons. 

y  7 /tlomment  le  vey  cor^iga  ses  bailUz,  ses  prévos,  ses  maieurs';  et 
/  comment  il  establi  nouviaus  establissemens;  et  comment  Ëstienne 
I      Boisliaue  fu  son  prévost  de  Paris  *", 

Après  ce  que  le  roy  Loys  fu  revenu  d'outre-mer  en  France, 
il  se  contint  si  doucement  ^^^  envers  Nostre-Seigneur,  et  si  droi- 
turièrement  envers  ses  subjez,  si  regarda  etapensa  que  moult 
estait  belle  chose  d'amender  le  royaume  de  France.  Premiè- 
ment  establi  un  général  establissement  sur  les  subjez  par  tout 
le  royaume  de  France  en  la  manière  qui  s'ensuit  :  «  Nou5 
;   Looys,  par  la  grâce  de  Dieu  roy  de  France ,  establissons  **** , 

*  Otroi  :  permiuion  —  ^  Muieur*  :  maires.  ^ 

*  Advenoient  à  la  donation  du  roy,  manascrit  de  Lucques. 

**  Cette  rubrique  est  la  seule  qui  se  rencontre  dans  le  manuscrit  2016 
et  dans  celai  de  Lacques  ;  mais  elle  y  fait  parUe  du  texte  ;  elle  forme  un 
alinéa  écrit  des  mêmes  caractères  »  disposé  de  la  même  manière  que  les 
autres.  Les  éditions  de  Ménard  et  de  du  Gange  en  ont  changé  la  rédaction  : 
Cy  après  verrez  comment ,  etc. 

***  Si  dévotement  t  manuscrit  de  Lucques. 

****  «  QQiie  ordonnance,  dit  du  Gange,  fut  expédiée  à  Paris,  l'an  1236, 
et  se  trouve  en  quelqqes  registres  de  la  Gliambre  des  comptes,  plus  étendue 
qu'elle  n'est  ici.  » 

Elle  n'a  été  insérée,  telle  que  JoinviUe  la  rapporte,  ajoutent  les  conti- 
nuateurs de  D.  Bouquet ,  ni  dans  la  grande  collection  des  Ordonnances , 
ni  dans  le  Recueil  général  des  anciennes  lois  françaises  ;  mais  les  dispositions 


///,.  •'     'A 


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DE  S4mT  LOUIS.  221 

que  touz  nos  baillifz,  vieontes,  prévoz,  maïros  et  tôuz  autres, 
en  quelque  afère  que  ce  soit,  ne  que  il  soient*,  face  sere- 
mentque  tant  comme  il  soient  en  offices  ou  en  bailliez,  il  feront 
droit  à  chascun  sanz  excepcion  de  persones ,  aussi  aus  povres 
comme  aus  riches,  et  à  Testrange  conune  au  privé,  et  garderont 
les  us  et  les  coustumes  qui  sont  bones  et  esprouvées.  £t  se  il 
avient  chose  que  les  baiiliz  ou  les  vicontes  ou  autres,  si  commo 
serjant  ou  forestiers,  facent  contre  leur  seremens  et  il  en  soient 
attains,  nous  voulons  que  il  en  soient  puniz  en  leur  biens  et  en 
leur  persones,  se  le  inesfait  le  requiert  ;  et  seront  les  baillifz* 
puniz  par  nous,  et  les  autres  par  les  baillifz.  Derechief  ;  les 
autres  prévoz**,  les  baillifs  et  les  serjans  jureront  que  il  garderont 
loialment  nos  rentes  et  nos  droiz,  ne  ne  soufferront  nos  droiz 
que  il  [soient]  soustrait  ne  osté,  ne  amenuisié***  ;  et  avec  ce  il 
jureront  que  il  ne  prenront ,  ne  ne  recevront  par  eulz  ne  par 
autres,  ne  or,  ne  argent,  ne  bénéfices  par  de  costé  %  ne  autres 

'  Indirectement.  * 

qu*elle  oonlient  se  retrouvent  plus  ou  moi^  conipléteaieDt  en  deux, ordon- 
nances datées  du  mois  de  décembre  I2S4  et  de  l'année  2256.  Yoyei  la  Col- 
lection des  Ordonnances,  in-fol.,  tom.  I,  pag.  65-81  ;  le  Recueil  des  an- 
ciennes lois  françaises,  tom.  I,  pag.  264-277.  L'ordonnance  de  1254  est  eti 
trente-neaf  artides,  et  celle  de  1659  en  vingt-six;  elles  sont  d'ailleurs  le 
plus  souvent  conformes  Tune  à  l'autre.  JoinviUe  en  donne  une  sorte  de 
traduction  libre.  Cet  édit  est  rapporté  aussi,  sauf  des  variantes,  par  Guii- 
lanme  de  Nangis  ;  et  Ton  en  rencontre  pareillement  le  texte,  soit  latin ,  soit 
français ,  en  divers  recueils  manuscrits  on  imprimés. 

La  Bastie  a  inséré  la  copie  de  l'un  des  plus  anciens  textes  français,  d'a- 
près le  manuscrit  du  roi  9646,  dans  le  tome  XV  des  Mémoires  de  1* Acadé- 
mie des  inscriptions  et  belles- lettres, .pag.  726-736. 

*  En  quelque  (tfftce  qu'ilz  soient  manuscrit  de  Locques. 

**  On  lit  privez  dans  le  manuscrit  2016  :  c'est  sans  doute  une  faute  du 
copiste. 

Les  édiUons  de  1617  et  1668  i^ontent  :  auâiteun  des  comptes  et  autres 
officiers  entremetteurs  de  nos  finances.  Les  continuitears  de  D;  Bouquet 
font  Judicieusement  observer  qu'il  n'y  avait  point  ûl  auditeur  des  comptes 
sous  Louis  IX  :  ils  ont  été  créés  en  1520,  par  un  édit  de  François  !•'. 

**'*  Qu'ils  soient  fortraictz,  ne  diminuez,  mamucritde  Lucqses.  -^ 
Le  mot  soient  est  omis  dans  le  mamucrit  201& 

19. 


213  .  HISTOIBE 

choses,  se  ce  n*est  fruit  ou  pain,  ou  vin,  ou  autre  présent,  jeos* 
ques  à  la  somme  de  dix  soûls*,  et  que  ladite  somme  ne  soit  pas 
seunnontée* .  Et  avec  ce  il  jureront  que  il  ne  feront,  ne  ne  pren- 
ront**  nul  don,  quel  que  il  soit,  à  leur  femmes ,  ne  à  leur 
enfans,  ne  à  leur  frères ,  ne  à  leur  seurs ,  ne  à  autre  persone, 
tant  soit  privée  d'eulz  '  ;  et  sitost  comme  il  sauront  que  tiex 
dons  serons  reœus ,  il  les  feront  rendre  au  plustost  que  il 
pourront.  Et  avec  ce  il  jureront  que  il  ne  retenront  don  nul, 
quel  que  il  soit,  de  home  qui  soit  de  leur  baillie  ***.  Deréchief, 
il  jureront  que  il  ne  donront  ne  n*envoieront  nul  don  à  home 
qui  soit  de  nostre  conseil,  ne  aus  femmes,  ne  aus  enfans,  ne  à 
ame  qui  leur  apartieingne ,  ne  à  oeulz  qui  leurs  contes  reten- 
ront ****  de  par  nous,  ne  à  nulz  enquesteurs  que  nous  envoions 
en  leur  baillies  ne  en  leur  prévosiés,  pour  leur  fez  enquerre.  Et 
avec  ce  il  jureront  que  il  ne  partiront  ^  à  rente  nulle  de  nos 
^rentes  ou  de  nostre  m^Muioie  *''***,  ne  à  autres  choses  qui  nous 
appartieîngnent.  Et  jureront  et  promettront  que  se  il  seveut 
sour  eulz  4  nul  officiai ,  serjant  ou  prévost  qnr  soient  des* 
loiam,  rapineors,  usurier  çu  plein  d*autE«8  riees ,  par  quoy  il 
doivent  perdre  nostre  service,  que  il  ne  les  soustîdngnent  par 
don,  ne  par  promesse^  ne  par  amour,  ne  par  autres  choses; 
ainçois^  les  puniront  et  jugeront  en  bone  foy.  Deredaief  nos 
prévos,  nos  vîcontes,  nos  maires,  nos  foretiers,  et  nos  autres 
serjans  à  pié  ou  à  cheval,  jureront  que  il  ne  donront  nuls  dons 
h  leur  souverains^,  ne  à  femmes,  ne  à  enfans  ******.  Et  pour  ce 


f  Seurmoniie  :  dèpa«aé«.  -^  ^  Qnel- 
qa'intime  qu'elle  «oit  avae  cas.  — 
'  Partiront  :  auront  part.  —  *  Sons 


enik  —  *  jiinçêi$:  mais,  a«  aontraire» 
—  0  A  lears  supérlears. 


*  De  dix  Uvret,  msunserit  de  Lncqnou 

•*  Qu'ils  ve  prendront  ne  feront  prendre,  fdein. 


*«*  ^>||  ne  reeepveroni  préeeiU  â*hommê  qui  tait  en  leur  bailliage , 
ne  d'amtru  qui  emuee  oyeal  »  ne  qui  plaident  par  devant  eulz ,  idem. 

****  Reeepvenmt,  ideîa. 

*****  ^  fftnig  nulle  que  on  face  de  nos  rentes,  de  nos  bailliages,  ou 
de  nostre  monnotfe,  idea. 

******  j^  maniucrit  de  Lnciiaei  ajoute  i  qui  leur  appartienne. 


D£  SAINT  LOUIS.  233 

que  iMHis  voulons  que  ces  sèremeos  soient  feriBement  establiz, 
nous  voulons  que  il  soient  pris  en  pleinne  assise,  devant  touz, 
et  ders  et  lais^ chevaliers  et  serjans,  jà  soit  ce  que  il  ait  '  juré 
devant  nous  ;|àce  que  il  craignent  à  encourre  le  vice  de  par-       '' 
jure ,  non  pas  tant  seuUement  pour  la  paour  de  Dieu  et  de       '     > 
nous ,  mez  pour  la  honte  du  mondef^  Nous  voulons  et  esta-  ^ 

Uissons  que  touz  nos  prévos  et  nos  baiilifz  se  tieingaeut  de 
jurer  parole  qui  tieingne  au  despif  de  Dieu,  ne  deNostre-Damc 
et  de  touz  sains,  et  se  gardent  de  geu  de  dez ,  de  taverne.  Nous 
voulons  que  la  forge  de  deiz  soit  deffendue  par  tout  nostre 
royaume,  et  que  les  foies  femmes^  soi^t  boutées  hors  des 
mèsons;  etquiconques  louera  mèson  à  foie  femme,  il  rendra 
au  prévost  ou  au  baillif  le  loier  de  la  mèson  d'un  an.  Après , 
Qousdeffendotts  que  nos  bailUfz  outréement^  n'achatent  ne  ne 
faoent  acheter  par  eulz  ne  par  autres,  possessions  ne  terres  qui 
soient  en  leur  baillies,  ne  en  autre,  tant  comme  il  soient  en 
nostre  servise;  ne  ne  marient  filz **  ne  (ille  que  il  aient,  ne 
autres  personesqui  leurapartieingnent,  à  nulle  autre  persone 
de  leur  baillie ,  sanz  nostre  espécial  congié  ^  ;  et  avec  ce,  que  il 
ne  les  mettent  en  religion  du  leur,  ne  que  il  leur  acquière  bé- 
néfice de  sainte  Esglise,  ne  possession  nulle  ;  et  avec  ce,  que  il 
ne  preingnent  oeuvre  ne  procuraeions  en  mèson  de  religion,  ne 
près  d'eulz,  aus  despens  des  religîeus.  Ceste  defifense  des  ma- 
riages et  des  possessions^cquerre ,  si  comme  nous  avons  dit^ 

<  Quoiqu'il  ait.  •—  *  D9»ipM  :  mépris,  i  tréemeni  :  avec  eiecs.  i^  &  Sans  notre 
—  '  Les  femmes   publiques»  —*  Ou-  \  permission  spéciale. 

*  Le  maoBScrlt  2016  porte  :  à  ce  que  il  doutaient  encore  le  vice  de 
parjurer,  non  peu  tant  seulement  pour  la  paour  de  Dieu  et  de  nous, 
me;z  pour  la  bonté  de  Dieu  et  du  monde,  A  l'exemple  des  continoateors 
de  D.  Booqaet,  nous  avons  préféré  la  leçon  plus  claire  et  plus  cohérente 
du  manuscrit  de  Lucques. 

**  En  nostre  service f  sans  nostre  congié.  Et  si  telz  achaptz  se  font, 
nous  voulions  quHlz  soient  et  demourent  eu  nostre  main.  Nous  def fen- 
dons à  nos  bailli/z  que,  tant  comme  Hz  seront  en  nostre  service,  ne  ma- 
rient  Jilz,  manuficrit  de  Lucques. 


224         «  HISTOIRE 

ne  voQloDS-nous  pas  qu'elle  se  eseonde^.aus  prévos,  ne  aus 
mahres ,  ne  aus  autres  de  meneur  office.  Nous  commandons 
que  baillifz ,  ne  prévos ,  ne  autres ,  ne  tieingnent  trop  grant 
plenté  >  de  seijans  ne  de  bediaus ,  pour  ce  que  le  peuple  ne  ^ 
80Î1  grevé  ;  et  voulons  que  les  bediaus  soient  sommez  en  pleinue 
assise,  ou  autrement  ne  soient  pas  tenu  pour  bediau.  Où  nos 
serjans  soient  envoies  en  aucun  lieu  loing,  ou  en  estrange  pays, 
nous  vouions  que  il  soient  pas  creu  sanz  lettre  de  leur  souve- 
<  rains.  Nous  commandons  que  baillif  ne  prévost  qui  soit  en 
nostre  office ,  ne  grève  les  bonnes  gens  de  leur  justice  outre 
droiture,  ne  que  nulz  de  ceulz  qui  soient  desous  nous ,  soient 
mis  en  prison  pour  deble  que  il  doivent ,  se  ce  n'est  pour  la 
nostre  seulement.  Nous  establissons  que  nulz  de  nos  baillifz 
ne  iiève  amande  pour  debte  que  nos  subjez  doivent,  ne  pour 
malefiaçon  ',  se  ce  n'est  çn  plein  plet  ^  où  elle  soit  jugée  et  esti- 
mée, et  par  conseil  de  bones  [  gens],  jà  soit  ce  que  elle  est  esté 
jugée  par  devant  eulz.  Et  se  4  il  avient  que  cil  qui  sera  d'aucun 
blasme  ne  weillepas  attendre**  le  jugement  de  la  court  qui 

'  Plenié  :  mvUitude.  —  *  Maie/açon  :  méfait.  —3  piet .  procès.  — "*  Se  :  si. 

*  Qu'elles  se  extendent,  manuscrit  de  Lucques. 

Les  lignes  qu*on  vient  de  lire  correspondent  aux  articles  U,  13,  16  de 
Tordonnance  de  décembre  1254 ,  conçus  en  ces  terme&  : 

«  U.  Protiibentes  insuper  senescallis  ne  quamdiu  baillivi  fuerint,  sibi 
vel  suis  domesticis  aut  propinquis  matrlmonia  copulent ,  tempère  sue  bai- 
livie,  sine  nostro  spécial!  consensu,  nec  predictos  in  religionibus  ponant, 
aut  bénéficia  ecclesiastica  vel  possessiones  eis  aoquirant. 

«  1S.  Gista  eliam  vel  procurationes  in  domibus  religiosis  vel  circa,  èum 
eipensis  eorum  non  recipiant  sine  nostra  licenlia  spécial!. 

«  16.  Prohibilionem  verô  istam  quam  facimus  de  matrimoniis  non  copu- 
landis  et  possessionibus  non  acquirendis,  non  extendimus  ad  prepositos, 
majores  et  alios  ofticiales  minores  qui  majorias ,  preposituras  et  alia  orii- 
cia  tenebunt  in  locis  mansionum  suarum,  dum  tamen  hxc  faci^nt  sine 
nostra  vel  allerius  lesione.  » 

**  De  bonnes  gens,  jaçoit  ce  qu'elle  ait  esté  guignée  par  avant  ce.  Et 
s*U  advient  que  aucun  en  soit  reprins  ne  veille  pas  actendrt ,  manuscrit 
de  Lucques. 

Ces  dispositiom  sont  énoncées  comme  il  suit  dans  Tarticle  as  de  l'or- 


DE  SAINT  LOUIS.  225 

offert  li  est,  ainçois  offre  certeîime  soixtme  de  deniers  pour 
l'amande,  si  comme  Fen  a  eonmuinénieiit  receu  ;  nous  voulons 
que  la  court  reçoive  la  somme  des  deniers ,  se  elle  est  rèso«. 
nableet  couvenable,  ou ,  se  ce  non,  nous  vouions  que  ramende 
soit  jugée  sdone  ce  que  il  «st  dessus  dit,  jà  soit  ce  que  le  cou- 
pable se  mette  en  la  volenté  de  la  court.  Nous  deffendims  que 
le  baâlif,  ou  le  mère,  ou  le  prévost,  ne  omtreingnent  pas  par 
menaces,  ou  par  poour,  aucune  cavelladon  <  nos  subjez  à  paier 
amende  en  repost  ou  appert.  £t  establissons  que  dl  qui  ten- 
dront ,les  prévostez,  viconte  et  autre  baillif*,  que  il  ne  les 
puissent  à  autrui  vendre  sanz  nostre  congé  ;  et  se  pluseurs  acha- 
tent  ensemble  les  offices  dessus  nommez,  nous  vouions  que  Tim 
des  acheteurs  face  Toffice  pour  touz  les  autres,  et  use  de  la 
franchise  qui  appartiemient  aus  chevauchées,  aus  tailles  et  aus 
communes  charges ,  si  comme  il  est  accoustumé.  £t  deffendons 
que  lesdiz  offices  il  ne  vendent  à  frères,  à  neveus  et  à  cousins, 
puis  que  il  les  auront  achetés  de  nous  ;  ne  que  ii  ne  requièrent 
debte  que  n*en  leur  doie  par  eulz,  ce  '  ce  n'est  des  debtes  qui 
appartiennent  à  leur  office;  mez  leur  propre  debte  requiè- 

'  Cavelladon  :  chicane  ;  anglais ,  eavillaHon,  —  *  Ce  :  si. 

doonance  :  «  Emendas  aotem  pro  malefîciis  seu  delictis  a  baillivis  nostris 
levari  nolumus,  nisi  in  foro  Judiciario  pubUce  de  bonorum  coasUio  fue- 
rint  Judicate  Tel  eatimate,  quanqnam  aatea  foeriot  gagiate  (  quoique  ' 
les  amendes  aient  été  auparavant  consignées  ou  payées,  )  Si  tamen  iUe  cui 
crimen  imponitur,  curia  sibi  offerente  judicium,  Id  nolnerit  expectare, 
et  pecuniam  certain  offerat  pro  emeiida,  et  taie  sit  crimen  de  quo  efficnda  ' 
pecouiaria  recipi  oonsuevit ,  liceat  curie  eam  recipere ,  si  sibi  competens 
videatar  ;  alioquin  émendam  faciet  judicari  vel  estimari,  secundom  qaod 
dietom  est ,  licet  reus  se  velit  sabjicere  omnimode  curie  voluntati.  Ga-  < 
veant  tamen  Judices  et  bailUvi  ne  minis  vet  terroribus  vd  machinaUoni- 1 
Iras  callidis,  clam  Tel  palam,  aliquem  ad  emendam  orferendam  induoantt 
Tel  sine  causa  rationabili  accusent.  » 

*  Le  manuscrit  de  Lucques  porte  :  par  menaces,  par  pouvoir,  ou  par, 
aucune  cavilacion  nos  subgectz  à  payer  amande  en  repost  ou  appert  {en 
secret  on  en  public),  et  ne  les  accusent  pas  sans  cause  raisonnable.  Avec 
ce  nous  establissons  que  ceulx  qui  tiendront  nos  prévostés,  vioontex  ou 
bailliages^  etc. 


226  HISTOIBB 

rënt  par  l*auctorité  du  baillif  ;  tout  aussi  eomme  se  il  ne  fus- 
sent pas  en  nostre  serrise/.  Nous  deffend(His  que  baillifs  ne 
prévoz  ne  travaillent'  nos  subjcz  en  causes  que  il  ont  par  de- 
vant eulz  menées,  par  muement*  de  lieu  en  autre  ;  ains  ^  oyent  ** 
les  besoignes  que  il  ont  par  devant  eulz ,  ou  lieu  là  où  il  ont 
esté  acoustumez  à  oyr,  si  que  U  ne  lessent  pas  à  poursuivre 
leur  droit  pour  travail  ne  pour  despens.  Derechief,  nous  oom- 
itiand(ms  que  il  ne  dessaisissent  home  de  sésinne  que  il  tieingne, 
sanz  congnoissance  de  eause,  ou  sanz  eommandem^t  espécial 
de  nous  ;  ne  que  il  ne  grèvent  nostre  gent  de  nouvelles  exactions, 
de  tailles  et  de  coustumes  <  nouvelles,  ne  si  ne  semoingnent  ^  que 
Vea  ùice  chevauchée  pour  avoir  de  leur  argent ,  d*aler***  en 
ost^  sanz  cause  nécessaire;  et  c^z  qui  voudront  aler  en  ost 
en  propres  persones,  ne  soient  pas  contraint  à  racheter  leur 
viole  7  par  argent.  Après,  nous  deffendons  que  bailliz  ne  prévos 
ne  facent  dépendre  de  portw  blé ,  ne  vin,  ne  autres  marchan- 
dises hors  de  nostre  royaume,  sanz  cause  nécessaire;  et  quant 
il  oouvendra  que  deffense  en  soit  fête ,  nous  voulons  qu'elle 
soit  faite  communément  en  conseil  de  preudoumes,  sans  soue- 
peçon  de  fraude  ne  de  boidie*.  Item ,  nous  voulons  que  touz 
bailliz  vies  9 ,  vicontes ,  prévos  et  maires  soient ,  après  ce  que 
il  seront  hors  de  leur  offices,  par  Tespace  de  quarante  jours**** 
ou  pays  où  il  ont  tenu  leur  offices,  en  leur  propres  persones  ou 

.  *  TnmailkiU  :  Iktigaeat.  •—  >  Mue-  |  impôta.  —  *,  Mi  ne  commandent.  — 
tnent  :  mutation ,  changement.  —  1  ®  à  l'armée.  —  '  Foie  :  voyage.  — 
s  Jin*  :  mais.  —  *  Onutumes  :  droits,  I  *  Ni  de  troraj^rle.  —  *  Vieax,  anclcoa. 

.*Oq  lit<luM  rordomianco  (fcaac«iBe)  de  4254  s  <  Et  si  ne  ymiloiis 
que  ceub  qoi  achèteront  iceUes  préroetés  ou  bailUe»,  esploiteot  iean 
doibtes  propres;  c'est assaroir  oeltea qfil lear sont deues , non pa» despré- 
vosMs  oa  antres  baiUies,  ou  à  leurs  oompaignoos,  de  leur  propre  ancto» 
rite,  ainçois  par  la  inain  do  bailly  ou  do  plus  haut  juge  les  requièrent» 
amsl  eomme  se  U  ne  teooient  prévostés  ne  baiUies.  » 

**nj9k  ùiex  dans  le  mannaerit  2016. 

***  CariMUê  vouloHttfuemMi  qui  doive  c/uvoMchée,  ne  soit  semoni  d'al- 
ier,  manuscrit  de  Lncqqes. 

****  Cinquante  jours ,  dans  l'ordonnance  de  1234. 


B£  SAtlii:  LOUIS.  327 

par  procureur,  pour  ce  que  il  auroient  meefet  contre  ceulz  qui 
se  Tourroient  pleilidre  d'eulz  *.  Par  cest  establisseinent  amenda  '  /  '/  ' 
moult  le  royaume./ La  prévosté  de  Paris ^toit  lors  vendue  ^^  .-.  > 
aus  btnifjôis  de  1?aris,  ou  à  aucuns;  et  quant  il  avenoit  que  ^/<<' 
«ucuns  Tavoit  achetée,  si  soustenoient  leur  enfans  et  leur  nevéus 
en  leur  outragés;  car  les  jourenciaus  avoient  fiance  en  leur 
parens  et  en  leur  amis  qui  la  prévosté  tenoient**.  Pour  ceste  / 
chose  estoit  trop  le  menu  peuple  défoulé,  ne  ne  povoient  avoir 
droit  des  riches  h(«ne6 ,  pour  les  grans  prés^ks  et  dons  que  il 
fesoient  aus  prévos.  Qui  à  ce  temps  disoit  voir  *  devant  le  pré^ 
vost)  ou  qui  vouloit  son  fièrement  garder  ^  qui  ne  feust  par- 
jure, d'aueuiœ  debte  ou  d'aucune  chose,  ou  feust  t^u  de 
respondre***,  le  prévost  en  levoit  amende,  et  estoit  puni: 
Par  les  grans  injures****  et  par  les  grans  rapines  qui  estoient 
faites  en  la  prévosté ,  le  menu  peuple  n'osoit  demourer  ei) 
la  terre  le  roy  3,  ains  âloient  demourer  en  autres  prévostés 
et  en  autres  seigneuries.  Et  estoit  la  terre  le  roy  si  vague,  que 
quant  il  tenoit  ses  plez  *****,  il  n'i  venoit  paspkis  dç  dix  pei^onœs 
ou  de  douze.  Avec  ce  il  avoit  tant  de  maulfeteurs  et  de  larrons 
à  Paris  et  en  dehors ,  que  tout  le  pais  en  estoit  plein.  Le  roy, 
qui  metoit  grant  diligence  comment  le  menu  peuple  feust  gardé, 
sot  toute  la  vérité.  Si  ne  voult  plus  que  la  prévosté  de  Paris 
feust  voidue  ;  ains  donna  gages  bons  et  grans  à  ceulz  qui  dèii 
or  en  avant  la  garderoient.  £t  toutes  les  mauvèses  coustumes 
dont  le  peuple  pooit  estre  grevé,  il  abatit  ;  et  fist  enquerre  par 
tout  le  royaume  et  par  tout  le  pays,  où  Ten  [pourroit  trouver 

*  Amenda  :  gagna.  —  '  VtAr  :  vrai.  —  '  Da  roi. 

*  4^  guHlz  pûisaent  respondre  aux  nauvtaulx  bailliz  de  ce  qu*Uz  au- 
roni  me/fait,  manuscrit  de  LuG(pie«. 

**  Cest  dans  le  même  manuscrit  que  nous  prenons  les  mots,  qui  la  pre? 
voêté  tenoient ,  au  lieu  de  qui  les  ieu0ietU,  du  manuscrit  2016. 

***  Dont  il  feust  tenu  de  respondre ,  mannscril  de  Lacques. 

****  On  lit  par  les  grans  jures  dans  le  manuscrit  2<H6  ;  injures  nous  est 
fourni  par  celui  de  Lucques. 

*****  Qffg  quant  le  prévosi  tenoit  ses  plaids»  même  manuscrit. 


338  HIST0UB 

homme  qui  *]  fetst  b<»ie  justbe  et  roide,  et  aespargnast 
plus  le  riche  home  que  le  povre.  Si  li  fu  enditié  ^  Estiennc 
BoiUaue** ,  lequel. maÎDtmt  et  garda  si  la  ptévosté,  que  nul 

t  Endiiié  :  indique»  i»digitatu$, 

*  Ce  qui  se  trouve  ici  «nlre  crochets  est  empnvité  au  manuscrit  de 
Luoqiies. 

**  A  ce  nom  les  continuateurs  de  D.  Bouquet  écrivent  en  note  :  «  Etienne 
Boylesre,  Boilyaue  ou  Boileaue,  est  appelé  dans  un  compte  de  1266 ,  Ste* 
phanu$  Bibens  ûquam.  Il  avait  épousé  Harguerite  de  laGuesle  en  1225,  et 
l*OR  peut  en  conclure  qu'il  était  né  vers  1200.  Il  fit,  en  1228,  un  partage 
.  noble  avec  ses  frères  Geoffroy  et  Robert.  La  qualité  de  chevalier  lui  est 
attribuée  dans  le  contrat  de  mariage  de'  son  fils  Foulques,  vers  le  milieu 
du  XIII*  sièele*  Ces  documents  autorisent  à  le  dédarer  de  race  nc^le.  De- 
puis son  temps  jusqu'au  n6tre,  on  trouve  des  BoisleaveouBoUeau,  d'abord 
en  Anjou ,  puis  à  Paris,  en  Touraine,  eu  Bretagne ,  en  Angleterre.  Appar- 
tiennent-ils tous  à  une  même  famille  d'origine  angevine  ?  on  l'a  supposé 
ainsi  dais  plusieurs  notices  biographiques.  Selon  ce  système,  Nicolas  Boi- 
leau  Despréaux  serait  un  descendant  du  prévôt  de  Paris,  contemporain  de 
saint  Louis.  Cependant  on  ne  peut  guère  prendre  pour  un  petit-fils  'ou 
anière-petit-fils  de  ce  prévôt ,  le  Jean  Boileau  anobli  par  Charles  V,  en 
1371  ;  car  U  n*avait  pas  besoin  de  lettres  d'anoblissement  s'il  était  Issu  d'un 
chevalier  de  si  haut  parage  s  or  c'est  de  ce  Jean  Boileau  qu'un  arrêt  du 
10  avril  1699  fait  descendre  Despréaux  et  ses  frères.  Ajoutons  que ,  selon 
toute  apparence,  cet  arrêta  été  rendu  sur  un  très-faux  exposé  :  des  notes 
de  Charles- René  â*Hozier  et  de  Clairambanlt ,  qui  se  conservent  manus- 
crites à  la  Bibliothèque  du  Roi ,  ne  laissent  sur  ce  point  presque  aucun 
doute. 

«  Estienne  Boilesve  accompagna  saint  Louis  à  la  croisade  de  1248,  y 
partagea  la  captivité  de  ce  prince  en  12S0,  et  ne  recouvra  sa  liberté  qiie 
moyennant  une  rançon  personnelle  de  mille  livres  d'or,  nouvel  indice  de 
sa  haute  condition.  De  retour  en  France,  il  fut  tait  prévôt  de  Paris  en 
1234  ou  plus  probablement  en  1258.  On  rapporte  qu'il  fit  pendre  un 
sien  filleul,  parce  qu'on  disait  qu'il  ne  se  pooit  tenir  de  rober  (  dérober  )  ; 
item  un  sien  compère  qui  avoit  nié  (  un  dépôt).  Le  roi  aUoit  souvent  se 
'seoir  auprès  de  lui,  afin  d'encourager  tous  les  juges  k  imiter  la  rigoureuse 
équité  de  ce  ma^trat.  Le  premier  des  registres  Olim  indique  les  en- 
quêtes faites  par  Estienne  Boilesve  aux  parlements  de  la  Chandeleur  1265, 
de  la  Pentecôte  1264  et  1265,  de  la  Chandeleur  126Z  :  ces  dates  doivent 
servir  à  rectifier  celles  de  1216  et  1260,  qu'on  a  quelquefois  données  pour 
la  première  et  la  dernière  de  sa  magistrature.  Il  étaR  remplacé,  en  1270 , 
par  Renaud  Barbou  ou  Bourbout,  et  l'on  en  peut  conclure  qu'il  est  mort 
en  1269.  On  a  de  faii  un  recueil  connu  sous  les  noms  de  Livre  des  métiers^ 


DE  SMRT  LOUIS.  229 

inalÊuteur,  ne  liane  ' ,  ne  mortrier  n'œa  demeurer  à  Paris , 
qai  tantost  ne  feust  pendu  ou  destmit;  ne  parent^  ne  li- 
gnage^ ne  or,  ne  argent  ne  le  pot  garantir.  La  teire  le  roy 
oommença  à  amender,  le  peuple  y  vint  pour  le  bon  droit  que 
en  y  fesoit.  Si  moultq[>lia  tant  et  amenda ,  que  les  ventes ,  les 
saisinnes ,  les  aehas  et  ks  antres  choses  valoient  à  double , 
que  quant  li  roys  y  prenoit  devant*.  «  En  toutes  oes  choses 
que  nous  avons  ordenées  pour  le  proufit  de  nos  subj^  et  de 
nostre  royaume,  noâs  retenons  à  nous**  pooir>  d'esdardr, 

'  Ni  larron. —  *  Pooir  :  poaToir. 

Livre  de  Vétablistemeni  des  métiers ,  Premier  registre  des  métiert  ou 
Livre  blanc.  Ce  recueU  n*a  jamais  été  iiii{»riiné  en  entier;  mais  il  en 
existait  nn  exemplaire  manuscrit  dans  la  biblioUièqiie  de  la  Sorbonne,  un  an 
Châtelet»  un  entre  les  mains  du  commissaire  de  police  Lamare,  et  on  à  la 
Chambre  des  Comptes ,  qui  passait  pour  original,  et  qui  a  péri  dans  Tin- 
cendie  de  1797.  Celui  de  la  Sorbonne,  aq|o«rd*hui  le  plus  ancien  »  se  con- 
serve h  la  Bibliothèque  du  Boi,  n<»  S50,  et  n'est  point«à  confondre  avec  la 
copie  très-moderne  inscrite  dans  le  même  dépôt  sous  le  n°  Siippl.  2370  *'. 
11  en  subsiste  deux  à  la  préfecture  de  police,  savoir,  celui  de  commissaire 
Lamare,  et  un  antre  provenant  de  la  collection  Lamoignon.^  Celui  que 
possèdent  les  Archives  du  royaume  CJ.  97  )  est,  quant  au  corps  du  volume, 
Tancien  exemplaire  du  Châtelet,  qui  était  resté  entre  les  mains  du  procu- 
reur général  Joly  de  Fleury  ;  il  contient  beaucoup  de  pièces  accessoires  et 
une  table  de  comparaison  de  ces  diverses  copies.  Boilesve  avait  iméré 
Ini-mâine  dans  son  recueil  plosteors  disposiUoos  d'ordonnances  royales. 
Des  articles  du  même  genre  ont  été  interpolés  ou  ajoutés  en  plus  grand 
nombre  dans  les  manuscrits  de  son  livre  ;  en  sorte  qu'il  est  devenu  assez 
difficile  de  distinguer  le  texte  primitif,  depuis  la  perte  de  rexemplaire  de 
la  Chambre  des  Comptes.  » 

*  On  lit  au  manuscrit  os  Luccfues  :  et  les  autres  levées  valloient  à 
double  autant  que  le  roy  y  prenoit  par  avant. 

**  Le  manuscrit  201 6  porte  :  à  nostre  roy  aume^  nous  recevons  à  nostre  ma- 
'festé,  mots  anqnels  nous  avons  substitué  ceux  qui  se  Usent  dans  te  manuscrit 
de  Lucques  :  et  de  nostre  royaume^  nous  retenons  à  nous.  Cette  leçon  est 
plus  conforme  au  dernier  article  de  Tordonnance  (française)  de  1254,  ainsi 
conçu  t  «  Toutes  les  choses  devant  dites  et  chacune  d'iceiles ,  lesciuf^Ues 
Nous  à  présent ,  pour  le  repos  de  nos  sujets,  avons  ordenées.  Nous  von- 
.Ions  que  nit  destroitement  gardées  de  nos  baillis  et  subgés;  retenue  à 
nous  la  plénité  de  la  royal  puissance  de  y  déclarer,  muer  ou  corriger, 
adjouster  on  ;  amenuiser.  ».  Dans,  le  texte  latin  :  retenla  npbis  plenitu- 
aine  régie  potestatis  declarandi,  etc. 

20 


230  H1ST0IBE 

d*ameiider,  d'ajouster  et  d'amenuisier^  selonc  ce  que  nous  aurons  / 
conseil*  »'Pâr  cest  estabiisseaient  amenda  moult  le  royaume 
de  France,  si  comme  pluseurs  sages  et  anciens  tesmoignent. 

Dès  le  tctts  de  s'en&nce,  fa  le  roy  i^ifeeus*  des  povres et 
des  souffiraiteus  ;  et  acoustuoié  «stoit,  que  le  roy  piartout  où 
il  aloit,  que  six  vint  povres  dissent  tout  adès  *  repeu  en  sa 
nièsoa,  de  pam,  de  vin,  de  char  ou  de  poisson^  chascun  jour. 
En  quaresme  et  es  aurens  ^  croissoit  le  nombre  des  povres  ;  et 
pluseuTs  fofz  «vmt  que  le  roy  les  servoit  et  leur  metok  la 
viaAde  devant  eulz,  et  leiur  trenchoit  la  viande  devant  eulz,  et 
leur  donnoit  au  départir  4,  de  sa  propre  main ,  des  deniers. 
Meismement  aus  hautes  vegiles  des  festes  soUempnielx  ^,  il  ser- 
voit ces  povres  de  toutes  ces  choses  desusdites,  avant  que  il 
mangast  ne  ne  beust.  Avec  toutes  ces  choses  avoit-il  chascun 
jour  au  disœr  et  au  souper  près  de  li ,  andejis  hpmes  et  dé- 
brisiés  ^,  etJeur«fesoît  donner  tel  viande  ?  comme  il  mangoit; 
et  quant  il  avoient  mangé,  il  emportoient  certeinne  somme 
d'argent.  Par  desus  toutes  ces  choses ^  le  roy  donnoit  chascun 
jour  si  grand  et  si  larges  aumônes  aus  povres  de  religion ,  aus 
povres  hospitaus,  àus  povres  malades,  et  aus  autres  povres  col- 
lèges, et  aus  povres  gentilzhomes  et  famés  et  damoiselles,  à 
femmes  décbenes ,  à  povres  femmes  veuves  et  à  celles  qui  gi- 
soient  d'enfant* ,  et  à  povres  *  qui  par  vieillesce  ou  par  ma- 
ladie ne  pooien];  labourer  9  ne  maintenir  leur  mesUer,  que  à 
peinne  porroit  l'en  raconter  le  nombre  ;  dont  nous  poon  bien 
dire  que  il  fu  plus  bienaeureus  que  Titus  l'empereur  de  Rome, 
dont  les  anciennes  escriptures  racontent  que  trop  se  dolut'<>  et 
fil  deseonforté  d'un  jour  que  il  n'avok  donné  nul  bénéfice.  Dè^ 


*  Piteus  :  compatissant.  —  ^  Tout 
adès  i  toujours.  —  3  Et  pendant  l'a- 
vent.  —  *  Départir  :  départ.  —  »  5W- 
lemfniex  :  soleanellcs.  —  ^  DébrisUs  : 


estropiés.  —  '  Fiande  :  noarrifurc, 
—  "  Qnl  étaient  en  couche.  — *  Lahov^ 
ttr  :  fAvalUer.  —  **  Je  dolut  :  ae 
]4aigntt* 


*  Le  manascrit  de  Lacques  ajonte  mènestrierg,  qui  doit  être  traduil, 

ce  me  semiric,  par  ouvriers,  en  ancien  provençal  et  en  catalan  men^x^ra/»» 

menestayrals ,  en  espagnol  menestrales ,  et  tninistêlli  dans  la  basse  la- 
tinité. ,  I 


PE  SAINT  LOUIS.  231 

ie  commanciemait  que  il  vint  à  9011  royaume  tenir  et  U  se  sot 
apareevoir  s  il  eommença  à  édefier  moustiers  et  i^useurs  mè- 
SQQS  de  ï'eljgion;  entre  lesquiex  Tabbaye  âe  Royauoiont'' 
porte  rooneur  et  la  hautesee.  11  fist  édefier  pliiseufs  mèsons- 
Dteu,  la  iiièson*Dieu  de  Pwis,  edle  de  Pontoiset  cdle  de  Com- 
pîeiiigiie  et  de  Yamcm,  et  leur  domia  grans  rentes.  11  fonda 
Tabbaye  de  Saint^Mathe  de  Aoau',  où  il  mist  femmes  de 
Tordre  des  Frères  preesebeura,  et  fonda  oeUe  de  Ixme-ehanip, 
où  il  nist  femmes  dé  Tordre  des  Fl'ères  meneurs,  et  leur  donna 
grans  rentes.  £t  otroia  à  sa  mère  èi  fonder  l'abbaîe  du  liz 
ddez  Melun*sur-Sdnne,  et  celle  delezPontoise,  que  Ten  nomme 
MuUBUson.  £t  fist  fère  k  mèson  des  Aveugles  delez  Paris,  pour 
mettre  les  ayeugles  de  la  cité  de  Paris  ;  il  leur  ôst  fère  une 
chapdle  pour  oyr  leur  servise  Dieu.  £t  fist  fère  le  bcm  roy  la 
mèson  des  Cbartriei^  ^  au  dehors  de  Paris ,  et  assigna  rentes 
suffisantes  aux  moines  qui  illeo  ^  estoient,  qui  servoient  Nostre- 
Seigneur.  Assés  tôt  après  il  fist  fère  une  autre  mèson  au  dehors 
Paris,  ou  chemin  de  Saint-Denis  **,  que  fu  appelée  la  mèson 
ausFUles  DieUf  et  fist  mettre  grant  multitude  de  femmes  en 
Tostel  ^,  qui  par  povreté  estoient  mises  en  péehié  de  luxure ,  et 
leur  donna  quatre  cens  livrées  de  rente  pour  elles  soustenir 


*** 


•  Et  qu'il  sut  »c  connaitre.  —  *  De  1  Mers  :  Chartreux.  -^  <  lUee  ;  là.  — 
Saint-Matthieu  de  Rouen. — ^  Char-   \  ^  Ostel  :  logiSy  maison. 

"  Monastère  de  rordre  de  Ctteaux,  dans  le  diocèse  de  Beauvais,  fondé  en 
1228. 

Ce  qui  oonGerne  cette  abbaye  et  les  autres  étabUssements  reHgieiix  qui 
vont  être  indiqués ,  manque  dans  les  éditions  antérieures  à  47S1  »  éditions 
qui  ne  recommenceront  à  correspondre  aux  manuscrits  qu'à  l'alinéa  : 
/■iprès  ces  ehmes  âe$U8  âiUê,,.. 

**  Les  mots,  et  mtHgna  rentes,.*  de  Sait^Denis,  sont  omis  dans  le 
manuscrit  2016  ;  en  sorte  qu'on  y  lit  t  la  mèson  aux  Chartriers  au  dehors 
de  Paris,  quefu  appelée  la  meson  aux  Filles  Dieu,  Le  roamiscrit  de  Luc- 
ques  nous  a  fourni,  comme  aux  continuateurs  de  S.  Bouquet ,  le  mdyen 
de  réparer  une  si  grave  et  si  visible  omission. 

""*  Et  leur  donna  trois  cens  Hvres  de  renie  pour  êtes  abstenir,  manu»* 
ait  de  Lucques.   —  Les  continuateurs  de  ÎK  Bouquet  font  observer 

'abstenir  pourrait  bien  ôtre  là  véritable  leçon. 


232 


HISTOIBE 


Et  fist  CD  pluseurs  liex  de  son  royaume  mèsons  de  bé^ioes, 
et  leur  donna  rentes  pour  elles  vivre,  et  commanda  Ten  que  eci 
y  receust  celles  qui  vounroient  fère  ccmtenance'  à  vivre  dias- 
tement.  Aucun  de  ses  famiiés  groussoient  '  de  ce  que  il  fesoît 
si  larges  aumosnes  et  que  il  y  despendoit  ^  moult  ;  et  il  disoit  : 
«  Je  aimme  miéx  que  l'outrage  ^  de  grans  despens  que  je  faiz, 
soit  fait  en  aumosnes  pour  Tamour  de  Dieu,  que  en  boban  ^  ne 
en  vainne  gloire  *  de  ce  monde.  Jà  pour  les  grans  despens  que 
le  roy  fesoit  en  aumosne ,  ne  laissoit-il  pas  à  fère  grans.despens 
en  son  hostel,  chascun  jour.  Largement  et  libéralement  se  eon- 
tenoit  le  roy  aus  paorlemenset  ans  assemblées  des  barons  et  des 
chevaliers,  et  fesoit  servir  si  courtoisement  à  sa  court,  et  large- 
ment et  habandonnéement^^  et  plus  que  il  n'i  avoit  eu  lonc 
temps  passé  à  la  court  de  ses  devanciers.  Le  roy  amoit  toutes 
gens  qui  se  metoi^t  à  Dieu  servir  et  qui  portoient  habit  dé 
religion  ;  ne  nulz  ne  venoit  à  li  qui  fiullîst  à  avoir  chevance  de 
vivre  **.  Il  pourveut  les  frères  du  Carme  7  et  leur  acheta  une 


I  Vœa  de  continence,  —  '  Grous- 
soient :  grondaient.  Le  manuscrit  de 
Lacques  porte  :  Ânewu  de  ses  famU- 
tiers  grumettèreni,  —  ^  Despendoit  : 


dépendait.  —  ,*  Outrage  :  excès.  — 
&  Soban  :  laxe.— *  Hàbandonnéement  : 
i  l'abandon.  —  '  On  Mont-Carmel , 
les  carmes. 


*  Les  Espagnols,  qui  ont  la  même  expression,  t'écrivent  en  un  seul 
mot,  vanagloria. 

**  Je  crois  qu'il  faut  rendre  ce  dernier  membre  de  phrase  par  ni  nul  ne 
venait  à  lui  qui  manquât  d*obtenin  abondance  de  nourriture,  contraire- 
ment à  l'interprétation  des  continuateurs  de  D.  Bouquet,  qui,  après  avoir 
rapporté  la  viirianle  présentée  par  le  manuscrit  de  Luoques  (  quiJalUt  à 
son  bienfait  \  ajoutent  :  qui  échappât  à  ae»  bienfaits,  et  qui  manquât 
d'obtenir  de  quoi  vivre.  A  coup  sûr,  saint  Louis  eût  voulu  donner  de 
quoi  vivre  seulement  à  tous  les  religieux  qui  se  seraient  présentés  à  lui , 
que  les  finances  de  la  France  n'y  auraient  pu  suffire;  mais  sans  doute 
sa  générosité  n'allait  pas  Jusque-là,  et  le  pieux  monarque  se  bornait  à  faire 
donner  aux  gens  d'église  qui  l'abordaient ,  la  nourriture  et  te  couvert 
pendant  le  temps  de  leur  vi^te.  Ainsi  faisait,  pour  tous  les  étrangers,  un 
riche  baron  anglais  de  l'époque,  auquel  son  biographe  décerne  de  grands 
éloges  pour  cette  large  hospitalité  :  «  Cesti  Fouke,  dit-il,  fust  bon  viandour 
e  large;  et  fesoit  turner  le  real  chemyn  par  mi  sa  sale  à  soun  .maner 
(  manoir  )  de  Àllcston,  pur  ce  que  nul  ostraunge  y  dut  passer  s'il  n'avoit 


DE  SâlIlT  LOUIS.  239 

placie  iur  Seioiie  devers  Charenton,  et  fist  fèce  une  leur  mèsoD, 
et  leur  acheta  vestemens,  calices  et  tiex'  choses  comme  il 
apartieat  à  fère  le  service  Nostre-Seigneur.  Et  après  il  pour- 
vent  les  trères  de  Saint-Augustin,  et  leur  acheta  la  granche  *  à 
un  bourjois  de  Paris  et  toutes  les  appartenances,  et  leur  fist  * 
fère  un  moustier  dehors  là  porte  de  Monmartre.  Les  frères 
des  saz  **  il  les  pourveut,  et  leur  donna  place  sur  Seinne  par 
devers  Saint-Germein-des-Prez,  où  il  se  herbergèrent  ;  mez  il 
n*î  demourèrent  guères,  car  il  ùxtmt  ahatus  assez  tost.  Apres 
ce  que  les  frères  de  Saz  furent  herhergiés ,  revint  un  autre 
mamère  de  frères  que  l'en  appelé  Fordre  de  Blan8'ManHam**% 
et  réquistrent  au  roy  que  il  leur  aidast  que  il  poussent  demourer 
à  Paris.  Le  roy  leur  acheta  un  mèson  et  vieilz  places  entour 
pour  eulz  herberger,  delez  la  viex  porte  du  Temple  à  Paris , 
assés  près  des  Tissarans  ^.  Icedz  Blans  frirent  abatus  au  con- 
cile de  Lyon,  que  Grégoire  le  dixiesme  tint.*  Après  revint  une 
autre  numière  de  frères,  quisefesoientappelery9^re«  deSainte- 

<  Tiex  :  telles.  —  '  Granehê  :  graa*  1   la  rae  de  la  Tixeranderie. 
g«.  —  '  Des  Tisserands,  e'est-à>dijre  de  I 

viannde  ou  berbergage  oa  aatre  honoar  ou  bien  du  snen  (  sien }.  •  (  His- 
toire de  Foulques  Pitz-ff^arin.  Paris,  SUvestre,  1840,  in-SS  pag.  97.) 

*  Bi  leur  enftslt  manuscrit  de  Lucques. 

**  Les  flores  du  Saz  ou  de  la  Pénitence,  établis  par  saint  Louis  sur 
la  paroisse  de  Saint- André  des  Ars ,  ne  subsistèrent  que  peu  de  temps. 
Cuillaunie  de  la  Villeneuye  les  représente  comme  parcourant  le  matin 
les  rues  de  Paris  en  criant  du  pain  aus  sas!  Voyez  les  Crieries  de  Paris, 
V.  80  (  Fabliaux  et  contes,  édlt.  de  Méon,  tom.  II,  pag.  280),  Us  Ordres 
de  Paris  par  Rutebeuf ,  v.  73  et  suiv.  (  ibid,,  pag.  295-297) ,  et  une  note 
de  H.  Jubinal,  dans  les  œuvres  complètes  de  ce  trouvère,  publiées  à  Paris 
en  1239,  in-8»,  tom.  P*,  pag.  182,  I6S. 

***  Des  religieux  qui  portaient  des  manteaux  blancs,  et  qui  se  qualifiaient 
serfs  de  la  Vierge  Marie,  vinrent  en  1238  de  Marseille  à  Paris,  où  Louis  IX 
les  établit  dans  une  maison  voisine  de  la  vieille  porte  du  Temple.  Gré- 
goire X  ayant,  an  second  concile  de  Lyon ,  en  1274,  supprimé  les  ordres 
mendiants,  à  l'exception  des  carmes;  des  franciscains,  des  dominicains  et 
des  augustins,  la  communauté  des  serfs  de  la  Vierge  Marie  cessa  d'exister, 
et  fut  remplacée,  en  1297,  par  des  guillemltes  on  guiUemins,  réunis  d^uis 
aux  bénédictins. 

20. 


234  HISTOIRE 

Croiz,  et  portent  la  croiz  derant  leur  (hz  \  et  reqilistrent  au 
roy  que  il  leur  aidast.  Le  royle  fist  voleirîiers,  et  les  herberga 
en  une  rue  qui  est  appelée  le  quarrejwir  du  Temple,  qui  ore 
est  appelée  la  rue  Sainte-Croix,  Einsi  avir oïma  le  bon  roy  de 
gens  de  religion  la  ville  de  Paris. 

Après  ces  choses  desus  dites,  avint  que  le  toy  manda  toaz  ses 
barons  à  Paris  en  un  quaresme.  Je  me  excusai  ver  fi  powr  une 
quartaine>  que  j'avoie  lors,  et  li  priai  que  ii  vousist  ^  souffîrir*; 
et  il  me  manda  que  il  vouloit  outréement  ^  que  je  y  alasse  car 
il  àvoit  itlee  bon  phisicièns  ^  qui  bien  savoieât  guérir  de  la  quar- 
téinne.  A  Paris  m'en  alai.  Quant  je  ring  le  soir  de  la  vegile 
Nostre-bame  en  mars,  je  ne  trouvai  ne  roy,  n'autre**  qui  me 
sceut  à  dire  pourquoy  le  roy  m*avoit  mandé.  Or  arint  ainsi 
comme  Dieu  voult ,  que  je  me  dormi  à  matines  ;  et  me  fuavis 
en  dormant,  que  je  veoie  le  roy  devant  un  autel  à  genoillons; 
et  m^'estoit  avis  qu^  pluseurs  prélas  revestus  le  vestoient  d'une 
chesuble  vermeille  de  sarge  de  Éeins.  Je  appelai  après  ceste 
vision  monseigneur  Guillaume,  mon  prestre,  qui  moult  estoit 
sage;  et  li  contai  la  vision:  Et  il  me  dit  ainsi  :  «  Sire,  voua 
verres  que  le  roy  se  croisera  demain.  »  Je  li  demandai  pour- 
quoy il  le  cuidoit;  et  il  médit  que  il  le  cuidoit,  par  le  songe 
que  j'avoie  songé  ;  car  le  chasible  de  sarge  vermeille  senefknt  la 
croiz ,  laquelle  fu  vermeille  du  sanc  que  Dieu  y  espandi  de  sont 
oosté  et.  de  ses  mains  et  de  ses  piez  :  «  Ce  que  le  chasuble  estoit 
de  sarge  de  Reins,  s^efie  que  la  eroiserie  sera  de  petit  es^loit, 
aussi  comme  vous  verres,  se  Dieu  vous  donne  vie.  » 

Quant  je  oi  oye  la  messe  à  la  Magdeleine  à  Paris ,  je  alai  en 
la  chapelle  le  roy,  et  trouvai  le  roy  qui  estoit  monté  en  Teschau- 
faut  au  reliques,  et  fesoit  aporter la  vrai  croiz  aval.  Endementres 
que  le  roy  venoit  aval,  deux  chevaliers  qui  estoient  de  son  con- 

•  Sur  leur  poitrine.  — -  Çuariaine  :  I  «  Outréement  ;  absoloment.  —  &  PhU 
flèvre  quarte.  —3  f^ousist  :  voulût.  —  1  sieiens  :  mééeeips;  angl.  fhysioians. 

*  A  la  place  de  9ouJi[rir,  la  maaiucrit  de  Lucques  porte  laisser. 

**  Je  ne  trouvay  nully  ne  la  royn^  ne  autre,  manuscrit  de  Lua|ttc$. 


DE  SAINT  LOUIS.  235 

fieil,  commencèrent  à  parler  l*un  à  l'autre,  et  dit  l'un  :  «  Jamez 
lœ  me  eceez ,  se  le  xoy  ne  se  ercâse  illec.  »  Et  l'autre  respondi 
que  se  le  toy  se  eroise,  ee  yeit  une  des  douUoureuses''  journées 
qui  onques  feust  ^à  France  :  «  Car  se  nous  ne  nous  crois<His, 
nous  popdrom  le  toy  >  ;  <)t  se  iipvs  nous  croisons,  nous  perdrons 
Dieu,  que*  nous  ne  nous  croisarons  pas  pour  li *^  » 

Or  avint  ainsi,  qaid  le  royse^roisa  lendemain***,  et  sestroiz 
filz  avec  li  ;  et  puis  est  avenu  que  la  croiserie  fii  de  petit  e^loit  ^, 
selonc  la  prophéeîe  mon  prestre.  Je  âi  moult  i^essé  du  roy  de 
France  et  du  roy  de  Navarre  de  moy  eroisier.  A  ce  respondi-je 
que  tandis  comme  je  aYoie  esté  ou  serviae  Dieu  et  le  roy.  outre* 
ma ,  et  poiis  que  je  en  reving,  les  serjaos  au  roy  de  France  et 
le  roy  de  Navarre  m'avoient  destruite  ma  gent  et  apovroicz  ^  ; 
«  que  il  ne  seroit  janièsheaco  que  moy  et  eolz  n'en  vauâsaent^ 
piz;  Et  leur  ^tisoie  ainsi,  que  se  je  mvonloie  ouvrer  au  gré 
Dieu,  que  je  demourroi  ci  pour  mon  peuple  «dier  <A  deftodre; 
car  se  jemetoie  mon  cor  en  l'av^  du  pèlerinage  de  la  eroiz, 
là  où  je  verroie  tout  d^  que  ce  serolt  au  mai  et  au  doumage 
demagent  ****^  (j'en  courrouceroyeOieu^***  ] ,  qui  mist  son  cor 
pour  son  peuple  sauver. 

Je  entendi  que  tous  eeulz  firent  péché  mortel ,  qui  U  loèrent 
Talée  ^;  potnr  ce  que  ou  point  que  il  estoit  en  France  ^  tout  le 
royaume  estoit  en  bone  pez  en  limeismes  et  à  toui^s  voisins; 
ne  onques  puis  que  U  en  parti  ;  Testât  du  royaume  ne  iist  que 

*  La  terear  du  roi.  -*  '  Çue  :  ctt».  I  iemt  :  vftloMOit.  —  ^  <^l  lui  coiweil- 
—  3  La  croiMule  eat  pou  de  succès,  -r  I  lèrent  ce  voyage ,  conune  porte  le  ma- 
<  Jpovraiez  :  appauvri.  —  ^  Fawsù'  \  nvscrit  de  Lscqaes. 

*  Nous  avons  tiré  le  mot  doulloureuses  du  manuscrit  de  Lucques  ;  celui 
que  nous  suivons  d'habitude  porte  délivreuses. 

**  le  manuscrit  de  Lneiiaes  «Joute  i  nmia  pour  paeur  Uu  p^^ 

***  Nous  soaunes  à  l'année  iaSS. 

****  jfn  adventure  oupeUerimige  de  la  croix,  là  où  je  vo^  tout  cler 
que  ce  êerait  ou  mal  et  domnutige  de  me$  paouvres  gens ,  efcc,  mamis- 
crit  de  Lucques. 

*****  Nous  avons  pris  dans  ce  teite  tes  motsjVfi  courroueeroie  Dieu, 
qui  manquent  au  manuscrit  2016. 


* 

f 


236  HISTOIBB 

empirer.  Grant  péché  Orent  cil  qui  )i  loèrent  Talée,  à  la  grant 
flebesce  *  là  où  son  cors  estoit  ;  car  il  ne  pooit  souffrir  œ  le 
charier,  ne  le  chevaucher.  La  flebesce  de  li  estoit  si  graoït, 
que  il  souflûri  que  je  le  portasse  dès  Tostel  au  conte  d'Ausserré, 
là  où  je  pris  congé  de  li,  jeuàques  ans  Gorddiers  entre  mes 
bras  ;  et  si  feble  comme  il  estoit,  se  il  feust  demouré  en  France  ^ 
peu8t-4l  encore  avoir  vescu  assez  et  fait  moult  de  biens  [  et  de 
bonnes  oeuvres^]. 

De  la  voie*  que  fl  fist  à  Thunes^  ne  weil-je  riens  conter  ne 
dire,  pour  ce  que  je  ni  fo  pas,  la  merci  Dieu;  ne  je  ne  wdl 
chose  dire  ne  mettre  en  mon  livre,  de  quoy  je  ne  soie  certein. 
Si  parlerons  de  nostre  saint  roy  sanz  plus ,  et  dirons  ainsi ^ 
que  après  ce  que  il  fu  arrivé  à  Thunes,  devrait  le  chastel  de 
Carthage,  une  maladie  le  prist  du  flux  du  ventre,  dont  il  aooii- 
cha  au  lit,  et  senti  bien  que  il  devoit  par  teos  trespasser  **  de 
cest  siècle  à  Tautre.  Lors  appela  monseigneur  Phelippe  son 
filz,  et  li  commanda  à  garder  aussi  comme  par  testament,  touz 
les  enseignemens  que  il  li  lessa ,  qui  wat  d-après  escript  en 
françois ,  lesquiex  enseignemens  le  roy  escript  de  sa  sainte 
main,  si  comme  l'en  dit. 

«  Biau  filz,  la  première  chose  que  je  t'enseigne ,  si  est  que  tu 
mettes  ton  cuer  en  amer  Dieu  ;  car  sanz  ce  nulz  ne  peut  estre 
sauvé.  Garde-toy  de  fere  chose  qui  à  Dieu  desplese,  c'est  à 
savoir  péchié  mortel  ;  ainçois  devroies  soufrir  toutes  manières 
de  vileinnies,  tormens,  que  fere  mortel  péché.  Se  Dieu  t'envoie 
adversité,  si  le  reçoif  en  patience**  et  en  rent  grâces  à  Nostre-. 


^  / 


'  /  / 

•  Flebesce  :  foiblesse.  —  »  P^oie  :  voyage.  '—  *  Tuais. 

*  Les  molB  entre  crochets  sont  empruntés  an  manuscrit  de  Luoques.  - 
**  Cette  phrase  est  plus  développée  dans  le  manuscrit  île  Luoques;  on 

y  Ut  i  le  print  duftux  du  ventre;  et  Phelippes,  sonJUs  aitné,  fut  maiade  , 
de  fièvre  carte,  avec  leftux  du  ventre  quête  roy  avoity  quis'acoutcka 
au  lictf  et  aemhloit  par  temps  qu'il  deust  trespasser. 

***  Au  Heu  de  adversité,  que  donne  le  manuscrit  deLucques,  le  manu- 
scrit 2016  porte,  par  erreur,  perversité. 


DE  SAINT  LOUIS.  237 

Seigneur,  et  pense  <iue  ta  Tas  déservi  < ,  et  que  il  tournera  tout 
à  preu  ^  Se  il  te  donne  prospérité*,  si  l'en  mercie  humbleinent , 
si  que  tu  né  soies  pas  pire  ou  par  orgueil  ou  par  autres  maniè- 
res, dont  tu  dotes  miex  valoir  3;  car  Ten  ne  doit  pas  Dieu 
de  ses  dons  guerroier.  Gonfesse-toy  souvent,  et  eslt  confesseur 
preudomme  qui  te  sache  enseigner  que  tu  doies  £aiire  et  de 
quoy  tu  te  doies  garder;  et  te  doiz  avoir  et  porter  en  tel 
manière,  que  ton  confesseur  et  tes  amis  te  osient  reprenrés  4 
de  tes  mesfaiz**.  Le  servise  de  sainte  Esglise  escoute  dévote- 
ment et  de  cuer  et  de  bouche,  espécialement  en  la  messe, 
que  la  consécration  est  faite***.  Le  cuer  aies  douz  et^iteus^ 
aus  povres,  aux  ehiétis  et  aus  mésaisiés  ^,  et  les  conforte  et  aide 
selonc  ce  que  tu  pourras.  Maintien  les  bones  coustumes  de 
ton  royaume,  et  les  mauvèses  abesse.  Ne  convoite  pas  sus 
ton  peuple,  ne  te  charge  pas  de  toute  ?  ne  de  taille  ****,  Se  tu 
as  aucune  mésaise  ^  de  cueur,  di-le  tantost  à  ton  confesseur, 
ou  à  aucun  preudonmie  qui  ne  soit  pas  plein  de  vainnes  paro- 
les; si  là  porteras  plus  légièrement.  Garde  que  tu  aies  en  ta 
compaignie  preudommes  et  loiaus  qui  ne  soient  pas  plein 
de  convoitise,  soient  9  religîeus,  soient  séculiers ,  et  souvent 
parle  à  eulz;  et  fîii  et  eschlesve  '"^  la  compaingnie  des  mauvez. 
Escoute  volentiers  la  parole  Dieu  et  la  retien  en  ton  cuer,  et 


*  Déiervi  :  mirité.  —  >  Preu  :  pro- 
fit. —  3  Des  choses  qai  doWent  te  ren- 
dre meilleur.  —  *  Osent  reprendre. 
—  &  Piietu  :  oompatissant.  —  *  Aux 


chétifSi  et  aaz  malaisés.  —  ^  Toute  .*. 
Impôt;  d'où  maltôtier.  —  "  Mésaise  : 
malaise ,  peine.  —  ^  soit.  —  ><>  ES' 
ehieve  :  irite ,  esquive. 


*  Pareiltemeiity  au  lien  de  prospérité,  qu'on  lit  dans  le  premier,  le 
second  offre  propriété,  qu'à  l'exemple  des  continuateurs  de  D.  Bouquet, 
nous  n'avons  pas  hésité  à  rejeter  de  notre  texte. 

**  Que  ton  confesseur  et  tes  amys  te  represgnent  et  enseignent  tes 
faits,  manuscrit  de  Luçques. 

***  Dévotement  et  sans  truffer  (nàileTf  plaisanter)  de  bouche  et  espatte- 
ment  {  ébattement  )  àla  messe,  à  Vfteure  que  la  consécration  sera  faicte, 
manuscrit  de  Lucqnes. 

****  Le  manuscrit  de  Lucques  ajoute  :  «i  ce  n'est  pour  ta  grant  nécessité^ 

On  a  proposé  de  lire,  ne  lb  charge  (lui,  ton  peuple),  au  lieu  de  te  : 
mais  («  se  lit  dans  les  deux  manuscrits. 


2^  HISTOIBE 

pourcbace  voléntiers  proières  et  pardons.  Ainmie  toupreu  '  et 
ton  biea ,  et  hai  touz  maus  où  que  il  soient*  Nui2  ne  soit  si 
bardi  devant  toy,  que  il  die  parole  qui  atraie  et  esmeuve  péché, 
ne  qui  mesdie  d'autrui  par  derières  en  détractions;  ne  ne  seuf- 
fre  que  nulle  vileinnie  de  Dieu  soit  dite  devant  toy.  Ren  grâces 
à  Dieu  souvent  de  touz  les  biens  que  il  t*a  faiz ,  si  que  tu  smes 
digne  de  plus  avoir.  A  justices  tenir  et  à  droitures  soies  loiaus  et 
roide,  et  à  tes  subjez,  sanz  tourner  à  destre  ne  à  senestre; 
mez  aides  au  droit  *,  et  soutien  la  querelle  du  povre  jeus- 
ques  à  tant  que  la  vérité  soit  desclaûriée  **.  Et  se  aucun  a  action 
encontre  toy ,  ne  le  croi  pas  jusques  à  tant  que  tu  en  saches  la 
vérité  ;  car  ainsi  le  jugeront  tes  conseillers  plus  hardiement 
setonc  vérité,  pour  toy  ou  contre  toy.  Se  tu  tins  riens  de 
Tautrui,  ou  par  toy  ou  par  tes  devanders,^  c'estcbose  certeinne, 
rmt-le  sanz  demeurer;  et  se  c'est  chose  douteuse***,  fai*le  en- 
querre  par  sages  gens  isnellement  et  diligemment*.  A  ce  dois 
mettre  t'entente^  conunent  tes  gens  et  tes  songez  vivent  en  pez  et 
en  droiture  desouz  toy.  Meismement  les  bones  villes  et  les  cous- 
tûmes  de  ton  royaume  garde  en  Testât  et  en  la  franchise  où  t^ 
devanciers  les  ont  gardées.  Et  se  il  y  a  aucune  chose  à  amender, 
si  Tamende  et  adresce  ^ ,  et  les  tien  en  faveur  et  en  amour; 
car  par  la  force  et  par  les  richesses  des  grosses  villes ,  doute- 
ront ^  les  privez,  les  estranges  6,  de  mespendre  vers  toy,  espé- 
cialement  tes  pers  et  tes  barons****^.  Honneure  et  aime  tous  les 


*  Preu  :  profit.  Le  manuftcrit  de 
Lucqaes  donne  honneur.  —  *  Isnelle- 
ment :  promptement,  oo  incontinent, 
comme  porte  le  manuscrit  de  LncqucA. 


—  '  T*entente  :  ton  attention.  — *  Cor- 
rige et  redresse.    —    ^    Douteront   : 
craindront ,  redouteront.  -^  ^  Estrçm- 
I   ges  :  étrangers. 


*  Mais  toujours  à  droite ,  idem. 

**  SottsUen  la  vérité  du  paouvre  jusques  la  vérité  soitscoue,  nianu- 
scrft  de  Lucques. 

On  doit  saos  doute  maioteotr  ici  la  leçon  du  manuscrit  %^\^ ,  soustien 
la  querelle. 

***  Soustenable^  manuscrit  de  Lucques. 

***t*  Et  tes  barons  ayme  »  et  honnore  toutes  tes  personnes  de  saiucte 
Église ,  manuscrit  de  Luc(|aes. 

Le  manuscrit  201 6  porte  :  et  tes  barons  honueure.  El  aime  toutes  les  pcr- 


DE  SAINT  LOUIS.  239 

pers<mes  de  sainte  Esiglise)  et  garde  que  en  ne  leur  soustraie 
ne  apetise  leur  dons  et  leur  aumosnes  que  tes  devanciers  leur 
auront  donné.  L*en  raconte  d'un  roy  Phelippe^  mon  aïeul,  que 
une  fois  H  dit  tm  de  ses  eonseilliers ,  que  moult  de  torfaiz  ^ 
li  fesoient  ceulz  de  sainte  Esglise ,  en  ce  que  U  U  toUoient  ses 
droictures  '  et  apetissoient  ses  justices  ;  et  estoit  moult  grant 
merveille  commet  il  le  souffrôit.  Et  le  bon  roy  respondi  que 
il  le  créoit  bien  ;  mez  il  regardoit  les  bontés  et  les  courtoisies 
que  Dieu  li  avoit  faites  :  si  vouloit  miex,  lesser  aler  de  son  droit, 
que  avoir  contens  ^  à  la  gent  de  sainte  Esglise  *.  A  ton  père  et 
à  ta  mère  porte  honneur  et  révérence,  et  garde  leur  com- 
mandement. Les  bénéfices  de  sainte  Esglise  donne  à  bones 
persones  et  de  nette  vie,  et  si  le  fai  par  conseil  de  preudommes 
et  de  nettes  gens  **.  Garde-toy  de  esmouvoir  guerre,  sans  grant 
conseil ,  contre  home  crestien  ;  et  se  il  le  te  convient  fère , 
si  garde  sainte  Esglise  et  ceulz  qui  riens  n'i  ont  mesfait.  Se  guer- 
res et  contens  meuvent  entre  tes  sousgis  ^,  apaise-les  au  plutost 
que  tu  pourras.  Soies  diligens  d'avoir  bons  prévos  et  bons 
baillis ,  et  enquier  souvent  d'eulz  et  de  ceulz  de  ton  ***  hostel , 
comme  il  se  maintiennent ,  et  se  il  a  en  eulz  aucun  vice  de 
trop  grant  convoitise ,  ou  de  fausseté,  ou  de  tricherie.  Travaille 

'  ToTtt  et  méfait!.  —  >  Ha  lui  enie-   ]  testatioAs.  —  *  Smisgis  :  sujets. 
Talent  ses  droits.  —  ^  Contens  :  coo-   1 

Bonnes  de  saineie  Ssgîise,  Suivant  cette  ponctoàtioil ,  saint  Louis  reoom- 
mandenùt  à  sgn  Als  d'honorer  tes  pairs  et  les  iMirons,  cVaInaer  tes  ecetérias- 
Uques  ;  mais  tons  les  éditeurs ,  P.  de  Rieux ,  Cl.  ICikiard ,  du  Change ,  «t 
Capperonnier  ttiéme,  ont  terminé  ta  phrase  précédente  par  le  mot  baron», 
et  rapporté  honore  ainsi  qœ  aime  aux  gens  d'église.  Mous  en  avons  usé  de 
même ,  suivant  en  cela  Texemple  des  contimiateurs  de  D.  Bouquet 

'*  Variantes  du    manuscrit  de  Lucques  dans  la  phrase  :  L'en  ren^ 

conte à  la  gent  de  sainte  Esglise.  *-*  On  racompie,,.   mouli  de 

loris  et  de  forfaits. . .  lui  tollissoient  (  enlevaient)  sa  droicltpre  (ses  droits) 
et  admenuisoient...  laisser  aller  djt  80%  droit  aux  gens  d'Église,  qife 
avoir  discort, 

**  Et  de  bonnes  gens,  manuscrit  de  Lucques. 

***  TON  hostel,  comme  dans  le  manuscrit  de  Luoqnes,  et  non  son 
hostel,  Iccon  évidemment  fautive  du  manuscrit  2016. 


240  .   HISTOIRE 

que  touz  vilains  péchiez  soit  osté  de  ta  terre  ;  espécialment 
vilains  sèremens  et  hérésie  £ai  abatre  à  ton  pooir.  Pren-te  garde 
que  lesdespens  de  ton  hoste)  soient  rèsonnable*.  Et  en  la  fin, 
très-douz  fil,  que  tu  faces  messes  chanter  pour  ra'ame  et  oroisons 
dire  par  tout  ton  royaume;  et  que  tu  m*otroies  espédal  part 
et  planière  en  touz  les  biens  que  tu  feras.  Biau  chier  filz ,  je 
te  donne  toutes  les  bénéissons  '  que  bon  père  peut  donner 
à  fil.  Et  la  benoîte  Trinité  et  tuit  li  saint  te  gardait  et  def- 
fendent  de  touz  maulz  ;  et  Diex  te  doint  grâce  de  fère  sa  vo- 
lenté  touzjours ,  si  que  il  soit  honoré  par  toy ,  et  que  tu  et 
nous  puissions  après  ceste  mortel  vie,  estjre  ensemble  avec  li  et 
li  loer  **  sanz  fin.  Amen  ***.  » 

Quant  le  bon  roy  ot  enseigné  son  filz  monseigneur  Plielippe, 
Fenfermeté  »  que  il  avoit  commença  à  croistre  forment  **** ,  et 
demanda  les  sacremens  de  sainte  Esglise.  Et  les  ot  en  sainne 
pensée  et  en  droit  entendement,  ainsi  comme  il  apparut;  car 
quant  l'en  Tenhuiliolt  et  en  disoit  les  sept  pseaumes,  il  disoit 
les  vers  ^  d'une  part.  Et  oy  conter  monseigneur  le  conte  d'A- 

'   BénMttont    :    bénédictions.   —  |  espagnol,   enfermedad,  —  ^  yen  :. 
*    Enfermeté  :  Infirmité,   maladie;  |  Tcraets. 

*  Raisoimables  et  ndmeaurés^  manuscrit  de  Lacques. 

**  Ei  goitlotiéf  idem, 

***•  Claude  Ménard  a  publié  (édit.  de  JoiuTilie,  1617,  pag.  S5I-334  )  la 
copie  que  lui  avait  communiquée  Loisel ,  de  l'Enseignement  de  taint 
Loys  à  son  fils,  tel  qu'il  se  lisait  en  des  registres  de  la  Chambre  des 
Comptes*  Gomme  cette  copie- ne  diffère  du  texte  de  Joinville  que  par  des 
variantes  d'une  faible  importance,  nous  ne  la  reproduisons  point.  Nous  en 
transcrirons  seutement  les  premières  et  dernières  lignes  ;  elles  suffiront 
pour  donner  une  idée  des  différences  de  langage  :  <  Ghters  fieus,  première 
cose  que  je  t*enieigne>  si  est  que  tu  mettes  toutten  cuer  en  Dieu  amer  ;  car 
sans  chou  nus  ne  se  puet  sauver.  Garde-toy  de  faire  toute  cose  qui  des^ 
plaire  H  puet  :  cb'est  péchiez  mortens. ...  Au  daerrain,  très-cher  fiex. 
Je  te  doins  toutes  les  bénéichons  ke  bons  pères  et  preus  puet  donner  à  fiU. 
£t  li  benoîte  Trinitez  et  tout  li  saint  te  gardent  et  deffendent  de  tout  mal. 
Et  Uiex  te  doint  grâce  de  faire  sa  volenté  tous  jours,  si  k'il  soit  hounercz 
par  toi,  et  que  nous  puissons,  après  cheste  vie,  [estre]  ensamble  avoecluy 
et  luy  locr  s^ns  fin.  Amen.  » 

Fermement,  manuscrit  de  Lucques. 


**** 


DE  SAINT  LOUIS.  241 

Icnçon  son  fite,  que  quant  il  aprochoit  de  la  mortt  il  appela 
les  sains  pour  li  aidier  et  seeourre*,  elmeismemeot  moosdgDeur 
saint  Jaque,  en  disant  s'oroison',  qui  eommence  :  Esto  Do- 
mine; c'est-à-dkre  Dieu  sait  eaintefieur  >  et  garde  de  nostre 
peuple  **>.  M(niseigneur  saint  Denis  de  France  appela  lors  en 
s*aide  3,  en  disant  s'oroison*^*  qui  vaut  autant  à  dire  :  «  Sire 
Dieu^  donne-nous  que  nous  puissions  despire  4  l'aspreté  de  ce 
monde****, si  que nousnedoutiens^nulle  adversité.  »£toy  dire 
lors  à  nMHîBdgoeur  d'Alençon,  que  son  père  rédamoit  sainte 
Geoevière  *****.  Après,  se  fist  le  saint  roy  coucher  en  un  lit  cou* 
vert  de  cendre,  et  mist  ses  mains  sur  sa  poitrine ,  et  en  regar- 
dant vers  le  ciel  rendr  à  nostre  Créateur  son  esperit,  en  celle 
hore  meismes  que  le  fiiz  Dieu  morut  ******  enla  croiz. 

Précieuse  *******  chose  et  digne  est  déplorer  le  trespassemmt 
de  ce  saint  prince ,  qui  si  saintement  et  loialment  garda  son 
royaume,  et  qui  tant  de  bdes  aumosnes  y  fist,  et  qui  tant  de 
biaus  establissemens  y  mist.  Et  ainsi  comme  Tescrivain  qui  a 
fait  son  livre  ********,  qui  l'oilumined^or  etd'azur,  enlumina  le- 
ditroy  son  royaume  de  belles  abbaïes  que  il  y  fist,  des^jmisions 
Dieu,  des preescheurs,  des  cordeliers,  et  des  autres  relijg^ons  \ 
qui  sont  d-deranl  qommées  *********. 

*Sonorai«oii.  — '5a<fifé:/le«r;Mn€-  I  *  ÙBspire  :  mépristr,  despiMn,  — 
tifleatear.    —    >  En  son  itide.    —  I  ^  En  aorte  quA  sam  ]i«  redooHoaa.  - 

*   Le  manucrit  de  Lucqms  i^oote  :  en  diêant  les  oraisons, 

**  Voroison  qui  commence ,  Esto,  Domine,  plebi  tue  *,  etc.,  c'est-à-dire , 
Stf«  Dieu ,  soyez  sancUfieur  et  garde  de  vostre  peuple  y  idem. 

***  Monseigneur  saint  Denis  appelle  lors  en  soy  en  disant  Vorai- 
son,  idem. 

«***  jsiézister  contre  la  propriété  de  ce  monde ,  idem. 

*****  j  monseigneur  d'Mlenton,  que  Dieu  absoUle,  oy-je  dire  que 
son  pire  réclamoU  lors  madame  saincte  Geneviefve,  manuscrit  de  Luoqncs. 

******  Mourut  pour  le  salut  du  monde ,  idem. 

*******  XYaiA  4761,  les  éditeurs  imprimatent  Pitetùe. 

********  çg  livre,  manuscrit  de  Lucques.       • 

**  *******  Enlumina  le  devant  dit  roy  de  belles  abbayes  son  royaume 

quHl  yJUt^  et  de  la  grant  quantité  de  maisons  Dieu  et  maisons  deptes' 

21 
ê 


%i7  H16T0IBE 

Lendemain  de  feste  saint  Berthemî  Tapostre,  trefipasfia  de 
cest  siècle  un  bon  roy  t^oys,  en  Tan  derineamaeion  Nostre-Sei- 
gneur,  Tan  de  grâce  mil  cclxx  *,  et  furent  ses  os  gardés  en 
im  èscrin  et  enfouis  à  Saint-Denis  en  France,  là  où  il  avoit 
esteae  sa  sépulture,  ouquel  lieu  il  ta  ^terré,  là  où  Dieu  a  fait 
maint  biau  miracle  pour  li  par  ses  désertes  *. 

Après  ce,  par  le  ponrchas  »  du  roy  de  France**  et  par  le 
commandement  Fapostelle^,  \int  Tercevesque  de  Roan  et  frère 
Jean  de  Samoys,  qui  puis  fu  évesque  ;  vindr^t  à  Sâ^nt-Defiis 
en  France ,  et  là  demourèrent  lonc-temps  pour  énqnerre  la 
vie  des  œuvres  et  de  miracles***;  et  en  me  manda  gue  je 
alasse  à  eulz,  et  me  tindrent  deux  jours  ****.  Et  après  ce  qtie  il 
orent  enquis  à  moy  et  à  autrui,  ce  que  il  oreot  trouvé  fu  porté 
à  la  court  de  Rome;  et  diligenment  virent  l'apostelle  et  les 
cardonnaulz  ce  que  en  leur  porta;  ei  selonc  ce  queilvvent, 
il  li  firent  droit  et  le  mistrent  ou  ^  non^re  des  martir^olHifes- 
seurs  :  dont  grant  joie  fu  et  doit  esire  à  tonf  le  royaume  de 
France,  et  grant  honneur  à  toute  sa  lignée  qui  à  li  vourront  ^ 
retraire  *****  de  bien  faire,  et  grant  boimeur  à  touz  ceulz  de  son 
•lignage,  qui  par  bone^  œuvres  te  vourront  ensuivre;  grant  dés- 
honeurà  son  lignage  qui  mal  voudront  fère;  càreales  mousterra 

■  DétérU»  :  mérites.  —  '  P<mrcka8  /Ile  manuscrit  de  Lacques — *  Mirent  au. 
dUigenee.  —  ^  Da  pape,  comme  porte  i   —  ^  fourrant  :  Tondront. 

cheurs  et  de  plusieurs  autres  religieux,  comme  cy  devant  est  diet,  ma- 
nuscrit de  Lucques. 

*  Il  n*y  a  que  mil  CC  et  X  dans  le  manuscrit  2016.  ï\  faut  Lxx,  comme 
dans  le  manuscrit  de  Lucques.  Saint  Louis  mourut  à  Tunis ,  le  25  août 
1270f  à  l'heure  de  nones,  c'est-à-dire  à  trois  heures  après  midi. 

**  Philippe  le  Hardi. 

***'De  la  vie  et  des  œuvres  du  sainctroi,  manuscrit  de  Lucques. 

"***  L'enquête  de  l'archevêque  de  Rouen,  Guillaume  de  FlaTacourt,  et 
du  cordelier  Jean  de  Samois,  depuis  évéque  de  Rennes  et  de  Lisieux,  eut 
lieu  en  l'année  1282. 

*****  Ressembler  de  bien  faire,  et  grant  deshonneur  à  tousceutao  de 
son  lignage  qui  par  l^nes  œuvres  ne  le  vouldront  ensuivre;  grand 
déshonneur,  dis-je  à  son  lignage  qui  mal  voufdront  faire,  manuscrit 
de  Lucques, 

""' ^- '■'•/■  ■'  ■•'•  '■  ■       ■       ..--■••    -,    i'  .'..ît  .•  .■- 


DE  saiht  louis.  ^3 

au  4)01,  et  dira  Ven  qae  le  saint  roy  dont  il  soat  estrait,  feist 
envû  *  une  teie  BiauTestié. 

Après  oe  que  ces  hooes  nouvelles  furent  venues  de  Rome  ^, 
le  roy  danna  journée  laidemain  de  la  Saint-Berth^emi ,  à  la- 
quelle journée  le  saint  c<Hrs  fu  levé.  Quant  le  ^int  cors  fu  levé, 
Faroevesque  de  Reins**  qui  lors  estoit,  que  Dieu  absoille ,  et 
monseigneur  Henrrde  Yill^rs,  mon  neveu  *** ,  qui  lors  estoit 
aorchevesque  de  Lyon.»  le  portèrent  devant  »  et  pluseurs,  que 
arcevesques,  que  évesques,  que  je  ne  sai  nommer  ;  ou  chafaut 
que  l'en  ot  establi  fa  poité  ****. 

lUee*  sermona  irère  Jehan  de  Samois;  et  entre  les  autres 
grans  fez  que  nostre  saint  roy  avait  faiz,  ramenteut  l'en  '  des 
graus  fais  que  leur  avoie  tesmoingnez  par  mon  sèrement  et  que 
j'avoie  veus  ;  et  dit  ainsi  :  «  Pour  ce  que  vous  puissiés  veoir  que 
c'estoit  le  plus  loiaus  homme  qui  onques  feust  en  son  temps, 
vous  weil-je  dire  que  il  f u  si  loiaus ,  car  envers  les  Sarrazins 
vot-il  tenir  oouvenant  ^  aus  Sarrazins  de  oe  que  il  leur  avoit  pro- 
mis par  sa  simple  parole;  et  se  il  fust  ainsi  que  il  leur  eust  tenu, 
ileust  perdu  dix  mille  livres  et  plus.  »  £t  leur  recorda  *****  tout  le 
£nt  si  comme  il  est  ci-devant  eseript.  £t  quant  il  leur  ot  le  fait 
reoordé,  si  dit  ainsi  :  «  Necuidés  pas  que  je  vous  mente;  que 
je  voi  tel  home  ci,  qui  ceste  chose  m'a  tesmoingné  par  son  sè- 
rement. » 

*  Eftt  Ailt  a^ree  répugnance.  -—  '  Ea  1  Loequea.—  ^  H  lear  8Qavlat«  —  *  (Am> 

ce  lieo,  comme  porte  le  manuscrit  de  l  venant  :  parole,  promesse. 

I 

*  La  balle  de  canoniiaUon  de  saint  Louis,  pàt  BooUkee  VUt,  est  do 
41  août  1297. 

**  Pierre  Barbet ,  mort  en  octobre  1298. 

***  Les  mots  moti  neveu  aoof.  omis  dans  le  manuierit  de  Lnctiaei. 

**»*  £g  portèrent  devant  ^  et  plusieurs  autres  ^  tant  archevesques  que 
évesques  après  »  que  je  ne  sçais  nommer;  ou  chaffault  (à  l'échafaud) 
que  on  avoit  establi  fut  porté,  même  manuscrit. 

*****  Qu*il  fut  si  loyal  que  envers  les  Sarrazins  il  voullut  tenir  ce  qui 
leur  avoit  promis  par  simple  paroUe;  car  s*il  eust  esté  ainsi  qu'il  ne 
leur  eust  tenu,  il  eust  gaigné  dix  mille  livres  et  plus.  Et  leur  recorday, 
iU. 


244  BISTOIBS 

Aiurès  oequelesemumfiifaUUfleroy  et  ses  frères  ai  re- 
porterait le  saÎDt  eon  en  Tesglise  par  l'aiiâe  de  leur  lignage^ 
que  fl  durent  fère  honneur  ;  car  grant  honneor  leur  est  faite  ^ 
se  en  eulz  ne  demeure  >,  ainsi  comme  je  vous  ai  dit  devant. 
Prions  à  li  que  il  weîi  *  prier  à  Dieu  que  il  nous  doint  ce  que 
besoing  nous  yert  ^,  aus  âmes  et  aus  cors.  Amen. 

Encore  wdi-je  dire  de  nostre  saint  roy  aucunes  choses  qui 
seront  à  Tonneurs  de  li  :  c^est  à  savoir  que  il  me  semUoit 
en  mon  songe  que  je  le  véoie  devant  ma  diapelle  à  Joinville, 
et  estoit,  si  comme  il  me  sembloit,  merveilleusement  lié  ^  et 
aise  de  cuer  ;  et  je-meismes  estoie  moult  aise,  pour  ce  que  je  le 
véoie  en  mon  diastd,  et  li  disoie  :  «  Sire^  quant  vous  partirés 
de  d,  je  vous  herbergerai  à  une  moie^  mèson  qui  siet  en 
une  moie  ville  qui  a  non  CheviUon,  »  Et  il  merespondi  en  riant, 
et  me  dît  :  «  Sire  de  Joinville ,  foi  que  doi  vous ,  je  ne  bée 
mie  ^  sitost  à  partir  de  ci.  » 

Quant  je  me  esveillai ,  si  m'apensai  et  me  sembloit  que  il 
plesoit  à  Dieu  et  à  li  que  je  le  herbeijasse  en  ma  chapelle,  et 
je  si  ai  fet';  car  je  li  ai  establi  un  autel  à  Tonneur  de  Dieu  et 
de  li  **  ;  et  y  a  rente  perpétuelment  establie  pour  ce  foire.  Et 
ces  choses  ai-je  ramentues  ^  à  monseigneur  le  roy  Looys,  qui 
est  héritier  de  son  non  ;  et  me  semble  que  il  fera  le  gré  Dieu 
et  le  gré  nostre  saint  roy  Looys,  si  pourchassoit  des  reliques  le 
vrai  cors  saint  et  les  envoioit  à  ladite  chapelle  de  Saint-Lorans 
k  Joinville;  par  quoy  cil  qui  venront  à  son  autel ,  que  il  y 
eussent  plus  grant  dévotion  ***. 

■  S'ils  n'y  mettent  olwtaele.  —  1  —  <  Je  n'aapire  poa.  —  '  Ramentues  : 
*  f^etl  :  TeaiUe.  —  s  Yert  :  sera.  —  |  racontées.  Le  mannserit  de  Lacques 
'  Lié  :  Joyeax.  — .  «  lUùiê  :  mienne.    I  porte  raeomptées, 

*  Crue,  manuscrit  de  Lucqnes. 

**  Ung  àutei  à  l'honneur  de  Dieu  et  de  lutf,  là  où  Von  chantera 
à  Unusours  mais  en  Photineur  de  luy  ;  et  fay  establi  rentes  perpé- 
tuelles pour  ce  faifis ,  idem. 

***  Si  que  par  son  pourchatz  on  peult  avoir  des  reliques  du  vray  corps 
cy-devant  dit,  par  quoy  ^uiconques  viendra  à  son  autel  qui  ayt  plus 
grand  dévotion,  id. 


DE  SAINT  LOUIS.  245 

Je  faiz  savoir  à  touz  que  j'ai  céans  *  mis  grant  partie  des 
faiz  nostre  saint  roy  devant  dit^  que  je  ai  veu  et  oy,  et  grant 
partie  de  ses  faiz  que  j*ai  trouvez,  qui  sont  en  un  romant  **, 
îes^iex  j'ai  fet  escrire  en  cest  MweJ  Et  ces  choses  vous  ra- 
/'mentoif-jé,  pour  ce  que  cil  qui  orront  ce  livre  croient  ferme- 
.'  ment  en  ce  que  le  livre  dit,  que  j'ai  vraiement  veus  et  oyes***. 
Ce  fu  escript  en  l'an  de  grâce  mil  ccc.  et  ix.,  ou  moys  d*oc-  ;' 
ovre****. 

*  Cy-devflfi^,  manuscrit  de  Lacques.  ^  ^  .,/  , ,.       '        »  J  ./.  y. 

**  Sn  romant  y  klem.  —  On  voit,  comme  le  font  remarquer  les  con-   ^    '  ' 
tinoatears  de  D.  Bouquet,  qu'il  y  avait  une  histoire  de  saint  Louis  en 
langage  vulgaire ,  avant  le  livre  de  Joinville.  S'agit-il  de  celui  du  confes- 
seur de  la  reine  Marguerite ,  ou  de  celui  de  Guillaume  de  Nangis,  ou  de 
quelque  autre? 

***  Que  fay  vrayement  veu  et  oy.  Et  les  autres  choses  <fui  ne  sont 
escriptes ,  ne  vous  tesmoigne  que  soient  vrayes^  parce  que  je  ne  les  ay 
vues  ne  oiez ,  manuscrit  de  Lucques. 

****  Le  manuscrit  de  Lucques  ne  porte  ni  cette  date  ni  aucune  autre. 


21. 


APPENDICES. 


247 


APPENDICES. 


ENSEIGNEMENT 


DE  SAINT  LOUIS 


A   SA   FILLE    ISABELLE. 


Chièio  Olie,  pour  che  que  je  quit  *  que  tous  retendrez  plus 
▼oleDtiers  de  moy ,  pour  Tamour  que  vous  aves  à  moy,  que 
TOUS  ne  feriez  de  pluisours  autres ,  j'ay  pensé  ke  je  vous  fadie 
aucuns  enseignemens  escris  de  ma  main»  Ghière  fille,  je  vous 
enseigne  que  vous  amez  Nostre^gneur  de  tout  vostre  cuer 
et  de  tout  vostre  pooir  *  ;  car  sans  chou  ^  nus  ne  puet  rien  va- 
loir, uule  cose  ne  puet  bien  estre  améene  si  droiturièrement  4  ne 
si  proufitabiement.  Ch*est  ii  sires  à  qui  toi^  créature  puet 
dire  :  «  Sire,  vous  estes  mes  Qiex,  vous  n'avez  mestier  ^  de  nui 
de  mes  biens.  Chou  est  li  sires  qui  envoya  son  fill  en  terre  et  le 
livra  à  mort  pour  nous  délivrer  de  la  mort  d'infer.  Ghière  fille, 
se  vous  ramez,  li  poorfil^  en  sera  vostres.  Moût  est  la  créature 
desvoiie  ?  qui  aillorsmet  Famour  de  son  cuer,  fors  en  luy  ou  de- 
sous  luy.  Ghière  fille,  la  mesure  dont  noua  le  devons  amer^  si 
est  amer  sans  mesure,  n  a  bien  déservy  ^  que  nous  Tamons,  car 
il  nous  ama  premiers.  Je  vaunNM9ke  vous  seussiez^bien  penser 
as  œvres  ke  li  benoiet  fins  Dieu  *<»  fist  pour  nostre  raencbon. 


>  Çmit  :  Cttide,  peaM.  >—  '  Pooir  : 
poBToir.  —  *  CAott  ;  cda.  —  *  Droi- 
tmriàrément  .* légitimement.  —  *  Jffe«- 
(ter:  beiein.  —  *  PwrfU  ;  profit,  -> 


1 


De$wM«  :  égarée.  —  *Dé*«irv^  :  mé» 
rite.  —  *  rawroi  :  To«draie.  —  lo  U 
béni  flif  de  Uieo. 


249 


250 


ENSEIGNEMENT  DE  SAINT   LOUIS 


/ 


1  I 


Chière  fille»  aiiés  gnmt  désirier  comment  vous  li  pussiez  plus 
plaire»  et  metez  grant  entente  à  eschiver  '  toutes  les  coses  que 
vous  cuiderez  qui  li  doivent  desptaire.  Espéciaument  >  vous 
devez  avoir  cheste  volenté  ke  vous  ne  feriez  péchié  mortel 
pout  nule  cose  qui  peust  avenir  ;  et  ke  vous  vous  laisseriez  an- 
chois ^  les  membres  couper,  et  la  vie  tolîr  4  par  cruel  martire, 
que  vous  le  fesissiez  à  ensient  s.  Chière  fille,  acoustumez-vous 
souvent  à  confesser,  et  eslîsiez  tous  jours  confessours  qui  soient 
de  sainte  vie  et  de  souffisant  lettrure  ^,  par  qui  vous  soiiez  en- 
signée  et  doctrinée  des  coses  que  vous  deve%  eschiever  et  des 
coses  ke  vous  devez  faire.  £t  soiiez  de  tel  manière  par  quoyv^ 
vostre  confessours  et  vostre  autre  ami  vous  osent  ensignier  et 
reprendre.  Chière  fille,  oyez  volontiers  le  servise  de  sainte  Glise  ; 
et  quant  vous  serez  au  moustier,  gardez-vous  de  muser  et  de 
dire  values  paroles.  Vos  cnrisons  otites  en  pais'ou  par  bouche 
ou  par  pensée,  et  espéciaument  entroès  con  7  li  corps  nostre 
signour  Jhésu-Cris  sera  présens  à  la  messe,  soiiez  plus  en  pais 
et  phis  ententive  à  orison»  et  une  pîèche  devant.  Chière  fille» 
oyez  vol^tiers  parier  ^é  Nostiie-Signour  en  iqsrmons  et  en  pri- 
vez pariem^s.  Toutevoye  ^  privez  pariemens  eschivez ,  que  9 
de  gens  moût  esl^ez  en  boutez  et  ensainteez.  Pourcachiez  '® 
volentîers  les  pardons.  Chière  filjg^  se  vous  avez  aucune  per- 
sécution ou  de  maladie  ou  d'autre  cose,  ea  qiioy  vous  ne  puis* 
siez  mètre  conseil  en  bone  manière ,  souffirez^le  débonnaire- 
ment,  et  en  merchiiez  '  '.  Nostre-^gneur  et  Fèii  sachiez  bon  gré  ; 
car  vous  devez  quider  ke  eh'est  pour  vostre  bien,  et  devez  qui- 
der  que  vous  Taiiez  déservi  «>,  et  plus,  se  fl  vausist  ^^,  pour 
chou  '^  que  vous  l'avez  pau  *^  amé  et  pau- servi  et  avez  main- 
tes coses  farctes  contre  sa  volenté.  Se  vous^  avez  aucune  pros- 
périté ou  de  santé  de  cors  ou  d'autre  cose,  merehiiez-ent  INostre* 


^  B$éMver  :  éviter.—'  B9péctaumênt  : 
spécialement.  ->  >  yinehois  :  plutôt. 
—  *  Tolir  :  rarir,  iollere,  —  *  Ensient  : 
escient.  —  «  Lettrure  :  littératai^,  ins- 
truction. —  7  Eniruêê  eon  :  pendant 


qne.  —  .•  Tùuievo^  t  tontefola.  ~  '  Si 
ce  n*e8t.  — ^  Pùurcaehiez  :  recberchei. 

—  *'  JUereMiez  :  remereiei.  —  '*  Dé- 
servi  .-mérité.  ~  ^  rtnsiet  :  troulftt. 

—  '<  Chou  :  cela.  —  '*  Pou  ;  peu. 


A  SA  FILLE  ISABBLLE. 


2âl 


Seigneur  humdement  *,  et  l'en  sachiez  bcm  gré,  et  vous  preaez 
bieu  garde  que  de  chou  n'empiriez  ne  par  orgueil  ne  par  autre 
megprison  '  ;  car  chou  est  moût  graos  péchiez  de  guerroyer 
Nostre-Seignour  pour  i'occoison  ^  dé  ses  dons.  Se  vous  avez 
aucune  malaise  de  cuer  ou  d'autre  eose,  dites^le  à  vestre  cour 
lèMow  ^u  à  aucune  autre  persoosie  ^e  vou&  guidiez  qui  soit 
loyaus  et  ki  voie  doive  bien  cfaéler  4,  pour  chou  ke  vôud  le  por- 
tez pte  en  pais,  se  ich'est  cote  ke  vot»  puissiez  dire.  Chière 
fille,  aye£  le  eueur  piteux  ^  vers  toutes  gens  que  vous  énten- 
derez  qui  soieitt  à  meschief  ^  oq  de  ener  ou  de  c6rsi  et  les  se- 
coures volentiers  ou  de  confort  7  ou  d'aucune  aumosne,  selonc 
étmi  ke  tous  leporrez  faire  enbone  manière.  Ghière  fille, 
amez  toutes  bonnes  gms,  soioat  de  religion  ^,  soient  du  siècle, 
par  qui  vous  eotenderéz  ke  Nostre^^ires  soit  hounerez  et  ser- 
vis. Les  povi^es  amez  et  secourez^  et  espédauinent  cheu\  qui 
pour  l'amour  Nostre-Sîgnour  se  sont  mis  à  povreté.  Chière 
fiUe^  obéissez  humelement  à  vostre  marit  et  à  vostre  père  et  à 
vostre  mère  es  coses  qui  sont  selonc  Dieu.  Vous  devez  chou 
volentiers  faire  pour  l'amour  que  vous  avez  à  aux  9,  et  assez 
plus  pour  l'amour  Nostre-Signour  qui  ensi  l'a  ordené  à  cascun 
sekmc  qu'il  affîert  '^.  Contre  Dieu  vous  ne  devez  à  nului  obéir. 
Chière  fille,  metez  grant  peine  que  vous  soiîez  si  parfaite,  que 
cbil  '  *  qui  orront  parler  de  vous  et  vous  verront  i  puissent  pren- 
dre bon  exemple.  11  me  samble  qu'il  est  bon  ke  vous  n'ayez 
mie  trop  grant  souravis  »*  de  reubes  '^  ensamble,  ne  de  joaux, 
selonc  Testât  où  vous  estes;  ains  me  samble  miex  que  vous  fâ- 
chiez vos  aumosnes  au  mdns  >4  de  chou  qui  trop  seroit^  et 
que  vous  ne  metez  mie  trop  grant  tans  ne  trop  grant  estuîde  *^ 
en  vous  parer  ne  achesmer>^.  Et  prenez  garde  que  vous  ne 


*  Humelement  :  hamblement.  — 
*  Mesprison  :  faute.  —  3  Oeeaison  :  oc- 
caiioB.  —  •  Ckéler  :  celer.  —  *  Piteux  : 
miséricordieux.  —^Mesehief:  souf- 
france. —  '  Confort  :  consolation.  — 


*  Religion  :  clergé.  —  Aux  .*  eux.  — 
»•  Suivant  ce  qu'il  conrient.  —  '•  CkiL- 
ceux.  —  '2  Souravis  :  luxe.  —  "  ng^^ 
bes  :  robes.  — •<  Mains  :  moins.  — '*  Es- 
(uide  .  étude.  —  '*  Achesmer  :  parer. 


352  ENSEIGNBUBNT  DB  SAINT  LOUIS  A  SA  FILLE  ISABELLE. 

fâchiez  outrage  '  en  vostre  atour  ;  mais  toosjours  vous  endinez 
anchois  devers  le  mains  *  que  àeven  le  plus,  diière  fiUe,  aiiez 
un  désirier  ^  en  vous,  ke  4  jamais  ne  se  départe  de  vous,  eh'est 
à  dire  comment  vous  puissiez  plus  plaire  à  Nostre-Signour,  et 
metez  vostre  cuer  à  chou  ke  se  vous  estiez  chertaineque  vous 
ne  fuissiez  jamais  guerredonnée  ^  de  bien  que  vous  fesiasîez, 
ne  punie  de  mal  que  vous  fesîssiez,  si  vous  devriez-vous  garder 
de  faire  cose  ki  despleust  à  Nostre  signour,  et  entendre^  à 
faire  les  coses  qui  li  plahroîent,  à  vostare  pooir;  purement  pour 
l'amour  de  hii.  Chière  fille ,  pourcachiez  7  volentiers  onsons 
de  bones  gens,  et  m'i  accompaigniez.  £t  se  il  avîent  k'fl  plaise 
à  Nostre-Signour  que  jou  trespasse  de  cbeste  vie  devanlt  vous, 
je  vous  pri  que  vous  pourcachiez  messes  et  oriscms  et  autres 
bien&its  pour  m'ame.  Je  vous  commant  *  que  nus  ne  voie  chest 
escrit  sans  congiet».  Nostre  aire  Diex  vous  fochebone  en  toutes 
coses,  autant  comme  je  désire  et  plus  assez  ke  je  ne  saroie  dé- 
sirer. Amen. 


'  Outrage  :  exeèi.  —  '  PlntAt  vers 
ie  noliia.  —  ^  DésMer  :  désir. — *  Ke: 
QDi.  •—  ^  Guerredonée  :  récompensée. 


—  6  Et  Toas  appliquer.  >—  '  Pourea» 
«Mes  .*  reeherelMi.  —  •  CoêmmoU  :  rt- 
commande.  —  ^  Congiet  :  permission. 


■*  L'Enseigiieiiientde  saint  Louis  à  sa  fille  babeUe  aété donné  par  le  oon- 
iesseur  de  la  reine  Marguerite,  qui  rapporte  également  les  enseignements 
du  saint  roi  à  son  fils.  (  Rec.  des  historiens  de  France,  tom.  xix,  pag.  82 
86.  )  Ceux-ci  se  lisent  en  latin  dans  le  lirre  de  Geoffroy  de  Deanlieu  (  ibid,, 
^ag.  8,  9)  et  dans  celai  du  moine  anonyme  de  Saint-Deois  {ibid,,  pag.  47- 
50)  ;  il  en  existe  une  ancienne  venlon  bançaise»  que  les  continuateurs  de 
D.  Bouquet  ont  transcrite,  pag.  26,  27.  Après  JoioTlIIc,  Guillaume  de  Nan- 
((is  a  encore  reproduit  ces  mêmes  enseignements  en  latin  et  en  français. 
Gomme  le  fait  olnenrer  M.  Daunou,  le  fonds  de  ces  préceptes  demeure  ie 
même  dans  tous  ces  textes,  mais  avec  plus  oo  moins  de  yariantes. 


LETTRE 


DE  JEAN  PIERRE  SARRASIN 

Chambellan  da  roi  de  France 
A  NICOLAS  ARRODË 

Prév6t  des  marchands  de  Paris  en  1189  et  IMI 
8Ua  Lk  PIIBMIÈRB  CBOISÀDB  DB  SAINT  LOCiS. 


A  seigneur  Nicolas  Arrode ,  Jehans  Sarrasin ,  chambrelens 
le  roy  de  France,  salus  et  bonne  amour.  Je  vous  fais  à  savoir 
que  li  roys  et  la  roîne  et  lî  quens  <  d'Artois  et  li  quens  d'An- 
jou et  sa  femme  et  je,  somes  haitié*  dedans  la  cité  deDamiete, 
que  Dieus ,  par  son  miracle ,  par  sa  miséricorde  et  par  sa  pitié, 
rendi  à  la  crestienté  le  dimanche  de  la  quinzaine  de  Pente - 
coste.  Après  ce  je  vous  fais  à  savoir  en  quel  manière  ce  fu.  11 
avint  quant  li  roys  et  li  os  ^  de  la  crestienté  furent  entrés  es 
neâ  à  Aigue-Morte ,  que  nous  feismes  voile  le  jour  de  feste  de 
Saint-Augustin ,  qui  est  en  la  fin  d'aoust,  et  arrivâmes  en  l'isle 
de  Cipre  quinze  jours  devant  ^  la  feste  de  saint  Remy,  c'est  à 
savoir  le  jour  de  la  feste  de  saint  Lambert.  Li  quens  d'An- 
giers  descendi  à  la  cité  de  Lymeçon  ^ ,  et  li  roys  et  nous  qui 
avec  lui  estions  en  la  nef,  que  on  apeloit  ta  Monnoie,  descen- 
dîmes bon  matin,  et  quens  d'Artois  entor  tiercé  à  ce  port  meis- 
mes.  Nous  feusmes  en  cette  isle  à  moût  pou  ^  de  gent  *  et  sé^ 

*  Qttent  :  comte,  —  >  tiaitié  :  en  i  vont  :  ayant.  —  ^  Lymeçon  :  Limi,aso. 
bonne  santé.  —  ^  Os  .*  armée.  —  *  De-  j  —  *  Avec  très-pea. 

*  ISous/eUmes  en  cette  isle  amont  pou  de  gent,  édit.  de  MM.  Bllcband 
et  Poujoular. 

HIST.  DE  SJkINT  UDUIS.  253'  32 


25t  LETTRE 

journaismes  illuec  jusques  à  rAscenâion  pour  atendre  l'his- 
toire >  qui  n'estoit  mie  venue. 

Des  messages  que  H  Tartarin  envolèrent  au  roy  de  France, 

Il  avint  que  au  Noël  devant  >,  que  li  uns  des  graus  princes 
des  Tartarins  que  on  apeloit  Eteltay^  etcrestiens  estoit,  en- 
vola au  roy  de  France  en  Nycoisie  en  Gjpre  ses  messages.  Li 
roy  envola  à  ces  messages  £rère  Andrieu,  de  l'ordre  de 
Saint- Jacques  9  et  li  message  qui  nient  *  lib  savoient  que  on 
y  deust  envoyer,  le  connurent  aussi  bien,  et  frère  Andrieus 
eulz,  con  nom^oimoistriens  K  uns  l'auire.  Lt  ^oysiîst  venir  ces 
messages  devant  lui ,  et  parlèrent  assés  en  lor  langages  ;  et  frère 
AndrieOs  disoit  en  françois  au  roy  que  li  plus  grans  princes  des 
Tartarins  avoit  esté  cresti^is  le  jour  de  la  ThtplKiigne  ^^  ^  grant 
plenté't  de  Tartarins  aveo^^s  Id,  meismement  ^  des  plus  graos 
seigneurs.  Encore  disoient-il  <pie  Etlieltay<,  à  tout  son  ost^  de 
Tartadns,  seroit  en  aide  au  roy  de  France  et  de  4a  (»?estienté 
encontre  le  caliphe  de  Bandas  7  et  fflico&tre  les  Sarrasins  ;  car  il 
entendroit  venger  ks  grans  hontes  «t  las  grans  damaiges  que  li 
Choramins  et  li  autres  Sarrasins  avoient  faites  à  nostre  seigneur 
Jésus-Christ  ^  à  la  crestîenté.  il  disoîent  que  leur  sires  man- 
doit  encore  au  roy  que  il  passast  en  Egypte  au  nouviau  temps 
pour  guerroier  le  Soudan  de  Babiloine,  et  li  Tartarin  en  ce 
point  meisme  enterroient  ^  pour  gueiroier  en  la  terre  le  ca- 
liphe de  Baudas;  car  en  telle  manière  ne  pourroient-il  aider  li 
uns  aus  autres.  Li  roys  de  France  ot  conseil  d'envoyer  ses 
messages  avec  euls  à  Ëtheltay,  leur  seigneur,  «t  au  «ouverain 
seigneur  des  Tartarins,  que  on  apeloit  Quio-Quan.  Pour  sa- 
voir la  vérité  de  ces  choses^  il  disoient  que  jusques  là  oo  Quio- 
Quan  manoit  9,  des  Tartarins  avoit  bien  demi-an  d'errure  »®  ; 

»  mtibîre  !  flflitte  —  »  tievant  :  au-  |   '  Baudas  :  Bagdad.  —  8  ÉtUerroient  : 
paravant.  —^1%iphaigne:Èpiphiiin\e.  1   tntreraient  ~  »  Manoit  :  demearait , 
—  <  Plenté  :  multitade.  —  *  Meisme-   I   manebai.  —  ••  Errue  :  voyage. 
nent  :  mène  —  6  Avec  ion  armée.  —   J 

•  rieu,  éaît  de  M  M.  Michaud  et  Poujoulat. 


DB  JEAN  PIEBBE  SARRASIN. 


255 


mais  Etheltay,  lor  sires,  et  ii  os  49S  T|irt9riii&  «'estwut  mie 
loin;  car  il  esltomt  m  Perse,  que  'û  avoicnt  toute  destruite  et 
mise  en  la  subjection  des  Tartarios.  Biea  disoient  encore  que  li 
TartarûDS  estoîeut  moût  à  la  voteuté  le  roy  et  de  la  crestie&té. 
Quant  ce  vint  i  la  quinzaine  de  la  Chandelqr,  U  message  les 
Tartarins  et  U  message  le  roy  s'en  alèrent  tous  ensamble,  ce 
est  savoir  frère  Andrieus  de  Saint-Jacques  et  uns  siens  frère  elt 
maistre  Jehans  Goderiche  et  um  autres  clers  de  Poissy,  et 
Herbers,  li  sommeliers»  et  Gerbers  de  Sens.  Et  quant  ce  vint  à 
la  mi-quaresme^  li  roys  oï  nouvelles  d'euls  que  il  s'en  aloient 
la  banière  desploye  au  maistre  des  Tartarins,  parmi  la  terre 
des  mescréans,  et  que  il  avoimt  ce  que  il  voloient  par  la  dou- 
tance  '  des  messages  au  maistre,  des  Tartarins.  Après  ces 
choses,  li  roys  et  toute  Testoire,  que  il  esmoit  *  bien  à  deux  mille 
et  cinq  cens  chevaliers  et  cinq  mille  *  arbalestriers ,  et  grant 
plenté  d'autre  gent  à  pié  et  à  chevaU  entrèrent  es  nés  ^  et  mon- 
tèrent sus  mer  à  Lymeçon  et  aus  autres  pors  de  Cypre,  le 
jour  de  FAscension ,  qui  adonques.  fu  le  trezième  jour,  [et] 
murent  pour  aler  en  la  cité  de  Damiete,  où  il  n'avoit  pas  de 
Cypre  plus  de  trois  journées.  Nous  fumes  sus  mer  vingt-deux 
jours,  et  moult  eûmes  de  contraires  4  et  de  travaux  ^  en  la  mer. 

Commeni  U  crestîen  prisent  terre. 

Le  vendredi  après  la  Trinité,  entôr  tierce,  revenismes  devant 
Damiete,  et  grant  partie  de  nostre  estoire  avecques  nous  ;  mais 
ele  n'i  estoit  mie  toute  d'assés  ®,  et  bien  i  avoit  trois  lieues  jus- 


estimait.  —  3  Ifés  :  nefc,  navires.  — ' 
*  Cimtrairei  :  «oatrariétés.  —  &  TYo- 


vaux  :  peites.  —  *  Mats  U  elté  n'était 
pas  asset  près ,  trad,  Miehaud  et  Pou- 


*  La  seule  eepte  q«e  Ton  connaisse  de  la  lettre  de  Jean  Pierre  Sarrasin 
porte  que  il  esmoit  bien  à  deuxième  et  cinquième  chevaliers  et  cinquième 
mil  arbalestriers;  mais  il  est  évident  qne  le  copiste  a  mal  la  des  abré- 
viations de  l'originaL  Joinviile  parle  de  deux  mille  huit  cents  chevaliers  que 
le  roi  menait  en  Egypte.  Le  traducteur  de  la  Collection  de  MAI.  Micbaud 
et  I*oi]^oulat  rend  cette  partie  du  texte  par  1,603  chevaliers  et  5,000  arba- 
létriers. 


256  LETTRE 

ques  à  terre.  Li  roys  fist  Pestoire  aanerer,  et  manda  lantosl 
tous  les  barons  qui  là  estoient.  H  s'assemblèrent  tous  dedans 
Monnoîe ,  la  nef  le  roy,  et  s'accordèrent  que  fl  iroient  prendre 
terre  lendemain  bien  matin  et  malgré  les  ennemis ,  isi  il  lor 
osoient  deffendre.  Commandé  jfu  que  on  apareillast  toutes  les 
galères  et  tous  les  meismes  vaissiaux  de  l'estoiie ,  et  que  len- 
demain bien  matin  y  entraissent  tout  cil  qui  entrer  y  porroîent. 
Bien  fii  dît  que  chascun  se  confessast  et  apareillast,  et  feist 
son  testament  et  atomast  bien  son  affaire  <  com  por  morir,  se 
il  pleust  à  nostre  seigneur  Jésus-Gbrist.  Quant  ce  vint  lende- 
main bien  matin,  li  roys  oït  le  service  Nostre-Seigneur  et  tel 
messe  que  on  fait  en  mer,  et  s'arma  et  commanda  que  tout 
s'armaissent  et  entraisseut  en  petis  vaissiaux.  Li  roys  entra  en 
une  coche  de  Normandie ,  et  nous  et  nostre  compaignon  avec 
lui ,  et  li  légas  aussi ,  si  que  il  tenoit  la  vraie  crois  et  seignoît 
I  les  gens  armées  qui  estoient  entre  les  menus  vaissiaux  pour 
I  aler  prendre  terre.  li  roys  fist  entrer  en  la  barge  de  cantier* 
monseigneur  Jehan  de  Biaumont,  Maihieu  de  Mar  etGeofroy 
de  Sargines,  et  fist  mètre  le  confanon  monseigneur  saint  Denis 
avec  euls.  Celé  barge  aloit  devant ,  et  tuit  li  autre  vaissel  alè- 
rent  après  et  suirent  >  le  confanon.  La  coche  où  li  roys  estoit  et 
li  légas  deleis  ^  lui ,  qui  tenoit  la  sainte  vraie  crois ,  et  nous  es* 
tions  tousjours  allans  derrières.  Quant  nous  aprochames  de 
la  rive  à  une  arbalestrée ,  moût  grant  plenté  de  Turc  à  pié  et 
f  a  cheval  et  bien  armés ,  qui  estoient  devant  nous  sus  la  rive , 
traissent  à  nous  ^  moût  espessement  et  nous  à  eus;  et  quant 
nous  aprochames  de  terre ,  bien  deux  mil  Turc  qui  estoient 
à  cheval  se  férirent  ^  en  la  mer  biœ  avant  encontre  nos  gens, 
et  assés  de  euls  à  pié.  Quant  nos  gens  qui  estoient  bien  armé  es 

'  Et  arrangeât  bien  ses  affaires,  l  près  de.  —  <  Tirèrent  sur  aoas.  —  ^  Se 
-*  »  5uirenf  .*  suivirent.  —  »  Dekia  :   I  lancèrent. 

*  Au  lieu  de  barge  de  cantier,  qui  signifie  chaloupe  (Archéologie  na" 
vale,  par  A.  Jal.  Paris.  1840,  in-8*,  tom.  U,  pag.  404),  MM.  Michaud  et  Pou- 
joulat  ont  écrit  barge  de  Gautier. 


DE  JEAN  PIERBE  SARBASIN.  267 

vaissiaux,  meismement*  li  chevalier,  virent  ce  *,  n'entendirent 
pasà  suir  *  le  confanon  monseigneur  saint  Denis,  ainsalèrent  en 
la  mer  tout  armé,  li  uns  jusques  as  aiselles,  li  autres  jusques  as 
mameles,  li  uns  plus  en  parfont,  li  autres  mains,  selon  ce  que  la 
mer  estoit  plus  parfonde  en  un  lieu  que  en  un  autre.  Assés  y  ot 
de  nos  gens  qui  traissent  lor  chevaus  par  grant  péril,  par  grans 
travaux  et  par  grans  prouesses  hors  des  vaissiaux  où  il  estoient. 
Adonques  s'efforcièrent  nos  arbalestriers ,  et  traissent  si  du- 
rement et  si  espessement  que  c'estoit  merveilles  à  veoir.  Lors 
vinrent  nos  gfflis  à  terre  et  la  guaignièrent.  Quant  li  Turc  virent 
ce,  si  se  ralièrent  ensamble  et  parlèrent  en  leur  langage ,  et 
vinrent  sur  nos  gens  si  durement  et  si  fièrement  y  que  il  sem- 
bloit  que  il  les  deussent  tous  occire  et  découper  ;  mais  nos  gens 
ne  se  murent  de  sus  le  rivage,  ains  se  combatirent  si  vigou- 
reusement que  il  sambloit  que  il  n'eussent  onques  souffert 
ne  prisons,  ne  travaux,  ne  angoisses  de  la  mer,  par  la  vertu 
de  Jésus-Christ  et  de  la  sainte  vraie  crois  que  li  légas  tenoit  en 
haut  desus  son  chief  encontre  les  mescréans.  Quant  li  rois  vit 
les  autres  saillir  et  descendre  en  la  mer ,  il  voult  ^  descendre 
avec  euls;  mais  on  ne  li  vonloit  laissier,  et  toutes  voies  ^  des- 
cendi-il  outre  lor  gré  et  entra  en  la  mer  outre  la  chainture ,  et 
nous  tous  avec  lui;  et  puis^  que  li  roys  fu  descendu  en  la 
mer,  dura  la  bataille  grant  pièce  ^.  Quant  la  bataille  ot  duré 
par  mer  et  par  terre  dès  la  matinée  jusques  à  midi ,  lors  tous 
se  traissent  7  li  Turc  arrières  et  s'en  alèrent  et  entrèrent  de- 
dens  la  cité  de  Damiete.  Li  roys  demoura  sur  la  rive  et  tout 
Fost  de  la  crestienté.  Il  ot  en  celé  bataille  ou  peu  ou  nul  perdu 
descrestiens;  des  Turc  y  ot  occis  bien  jusqu'à  cinq  cens,  et 
moult  de  leur  chevaus.  Il  y  ot  occis  quatre  amirauls.  Li 
roys  qui  avoit  esté  chevetains  ^  en  la  bataille  où  li  queus  de 


»  Meismemeni  :  même.  -—  *  Suir  :  wri- 
yre. — ^f^oult:  yoalat. — *  Touteivoiei: 
toutefois.  —  ^  Puis  :  depuis.  — ^  Grant 


pièce  :  longtemps.,  —  ">  S^  iraisseni  : 
se  tirèrent.  — ^  Chevetains:  cliefs, 
capitaines. 


*  Dans  l3  Nouvelle  Collection  des  mémoires^  la  première  partie  de  cotte 
phrase  est  défigurée. 

22. 


!s58 


LBTT1I£ 


Bar  et  de  MoDtfbrt  avoient  esté  deaconfis  devers  Cadres  s  fu 
occis  en  celé  bataille.  Ceestoit,  disoît-OD,  liplus  grans  sires  de 
toute  la  terre  d'Égjrpte ,  après  le  Soudan ,  et  bons  chevaliers  et 
hardis  et  sages  ^  de  guerre.  Landemain,  ce  est  à  savoir  le  diman- 
die  devant  les  octaves  de  la  Pentecouste,  au  matin,  vint  un  Sar- 
rasin au  roy  et  dist  que  tous  les  Sarrasins  s'en  estoient  aie  de- 
vant la  cité  de  Damiete  t  et  que  on  le  pendist  se  ce  n'estoit 
voirs^.  lÀ  roys  le  fist  garder  et  envoya  gens  pour  savoir  la 
certaôneté.  Avant  que  il  fiist  nonne ,  certaines  nouvelles  vin- 
drent  au  roy  que  grant  plenté  de  nos  g^is  estoient  jà  dedens 
la  dté  de  Damiete ,  et  la  banière  le  roy  seur  une  haute  tour. 

De  kl  grant  garnison  et  de  la  grant  force  de  la  cité  de  Da- 
miete. 

Quant  nos  gens  oïrent  ce,  moult  durement  loèrent  Nostre- 
Seigneur  et  mercièrent  de  la  grant  débonnaireté  que  il  avoit 
faite  ans  crestiens  ;  car  la  cité  de  Damiete  estoit  si  fors  de  murs 
et  de  fossés  et  de  grant  plenté  de  tours  fors  et  hautes,  et  de  hor- 
déis  4  et  debarbacanes  ^,  et  de  grant  plenté  de  gens  d'armes 
et  de  viandes^  et  de  quanque  mestiers  estoit  7  pour  ville  def- 
fendre,  que  à  peine  peust  nuls  bons  ^  cuider  que  ele  peust 
estre  prise  se  par  trop  grant  painne  non  9  et  par  trop  travaux , 
par  force  de  gens.  Moult  la  trouvèrent  nos  gens  bien  garnie  de 
quanque  mestier  estoit.  On  trouva  dedens  en  prison  cinquante- 
trois  esclaves  de  crestiens^  qui  avoient  esté  laiens  '^^  ce  disoient, 
vingt-deux  ans.  il  furent  délivrés  et  amenés  au  roy,  et  disoient 
que  li  Sarrasins  s'en  estoient  fui  dès  le  samedi  par  nuit ,  et  que  li 
Sarrasins  disoient  li  un  à  l'autre  que  li  pourcel  estoient  venu.  On  y 
trouva  aussi  je  ne  sai  quans  Suriens  >  '  crestiens,  qui  manoieut 
laiens  '  '  ensubjectiondes  Sarrasins.  Quant  cil  virent  les  crestiens 

*  CmAnaf  rGan.  -~*5aoM.*  savant. 
— J  P^oin:  vrai.  —  *  Hordii»  :  boards, 
Mpècf  de  fortifications  sur  Iai|«elle  on 
peut  consulter  l'Histoire  de  la  guerre 
de  Navarre,  par  G.  Anelier,  pa(.  093. 
—  *  Sarbacanes  :  créneaux,  embrasu- 


m,  —  «  riandes  :  vivr».  — '  Et  de 
tontce  qnl  était  néçeasaire.  —  "  lions  s 
bomme.  —  ^  Sinon  par  trop  grande 
peine.  —  '"  Laiens  :  là.  —  "  Suriens  : 
Syriens.  —  ■'•'  Oemearaieut  là  dedans. 


DE  JEAN    P|£BB£  SAURASIN.  259 

en  la  ville ,  il  prirent  erois  et  les  portoteat ,  et  por  oe  u'orent 
garde.  On  leur  laissa  leur  maisons  et  ce  qu'il  avoient  dedens  ^ 
après  ce  que  il  ormt  parlé  au  roy  et  au  légat  Li  roys  et  li  os  se 
dealogea ,  et  s'en  alèrent  logier  devant  la  dté  de  Damiete  len- 
demain de  la  feste  saint  Barnabe  Tapostre,  Li  roys  mtt^  premier 
dedens  Damiete,  et  fist  despeehîer  le  maistre  mahomerie  '  et 
toutes  les  autres,  ^  en  fist  &ire  églises  édifiées  *  en  l'honneur 
de  JbésurChrist.  Nous  cuidons  bien  que  nous  ne  nous  mou- 
vons de  la  cité  jusqu'à  la  feste  Tous  Saints,  pai'  la  croissance 
dou  flun  de  paradis  que  on  àpele  ie  ml;  eset  m  [ne]  puet  [aler] 
en  Alexandrie  ne  en  Babiloine  ne  au  Chaaire,  quant  il  s'est  es- 
pandu  par  la  terre  d'Egypte^  ne  il  ne  doit  descroistre,  cedist-on, 
devant.  Adonques  sachiez  que  nous  ne  savons  mie  du  soudan 
de  Babiloine;  mais  on  fait  entendre  au  roy  que  autre  soudant 
le  guerroient.  £t  sachiez  bien  que  onqiies  puis  que  Diex  nous 
ot  rendu  la  cité ,  on  ne  vit  près  de  nostre  ost  fors  Beduins 
Sarrasins ,  qui  vienent  aucunes  fois  à  onze  lieues  près  de  Fost  ; 
et  quant  nos  arbalestri^*s  vont  traire  *  à  euls,  si  s'enfuient. 
Cil  meismes  viennent  par  nuit  dehors  Tost  pour  embler  ^  che- 
vaus  et  testes  de  gens ,  et  dist-on  que  li  soudans  donne  dix  be- 
sons  par  chascune  teste  de  crestien  que  on  li  aporte.  £t  cou- 
poient  en  tele  manière  li  Sarrasins  Beduins  les  testes  des 
pendus,  et  deffouoient  4  les  cors  qui  estoient  enfois  en  terre  pour 
porter  au  soudan ,  si  que  on  dist  [  que]  uns  Beduins  Sarrasins 
qui  y  venoit  tous  seuls  y  fut  pris  ;  pour  ce  le  garde-on  encore.  Ces 
larrecins  pooient-il  faire  légièrement  s,  car  jà  soit  **  ce  que  ^  li 
roys  ait  dedras  la  cité  de  Damiete  la  ro3me,  sa  femme ,  et  une 
partie  de  son  hamois?  dedens  le  palais,  et  les  fremetés^  le 
Soudan  de  Babiloine ,  et  li  légas  dedens  les  sales  et  les  freme- 
tés  le  roy  qui  fu  occis  en  bataille  quant  nous  arrivâmes,  et 

*  Briser  la  principale  mosquée.  —  1  gtèrement  ;  facilement.—:  •  Jà  soit  m 
'  Traire  :  tirer.  —  ^  Embler:  enlever.  que  :  quoiqae.  —  '  Uarnois  :  éqnipage. 
-^  *De//auoient  :  eihumaieat.-^^  U'  \  —  «  fremeiés  :  cbâteaax. 

*  EdieseSf  nouv.  Gollect.  des  mémoires. 
*•  FaloU,  ibid. 


260 


LBTTBS 


cbascuns  des  barons  ait  ausi  son  grant  ostel  et. bel  dedensla 
cité  de  Damiete,  neqiiedent'  li  os  de  la  erestienté  et  li  roys 
et  li  légas  sont  logié  dehors  la  ville.  Pour  ces  larrecips  que  li 
Sarrasins  Béduins  faisoient,  ont  li  crestiens  commencié  à  faire 
entre  Tost  bons  fossés  profons  et  larges;  mais  il  n'est  mie  en- 
core parfait.  Ainsi  rendi  nostre  sire  Jésu-Christ,  par  sa  misé- 
ricorde, la  noble  cité  et  la  très-f(Mrt  de  Damiete  à  la  erestienté 
quant  Tan  de  rincamatton  estoit  mil  deux  c^ns  quarante-neuf 
ans,  le  dimanche  après  les  octaves  de  Pentecouste ,  c'est  à  savoir 
le  si»esme  jour  du  mois  de  juin,  qui  adonques  *  fii  un  dimanche. 

Qans  ans  il  ot  ^  entre  les  deux  prises  de  Damiete, 

' .  Ce  fut  trente  ans  après  ce  que  li  crestiens  l'orent  conquis 
par  grans travaux  et  par grans labours  encontre  les  Sarrasins, 
et  la  reperdirent  dans  Tan  meismes ,  quant  il  alèrent  pour  as- 
seoir 4  le  Chaire ,  et  li  flum  crut  et  s'espandit  entour  eulz ,  que  il 
ne  porent  [aler]  ne  av£uit  ne  arrière.  Pour  eele  chose  euidon^ 
nous  que  li  os  ne  se  voise  ^  mouvoir  de  Damiete,  devant  ce  que  li 
flum  sera  descrus  et  revenus  arrière  dedans  ses  chaneus^.  Faites 
savoir  ces  lettres  à  tous  nos  amis.  Ces  lettres  fiurent  faites 
en  la  cité,  de  Damiete  ;  la  vegile  7  de  la  Nativité  monseigneur 
saint  Jehan-Baptiste,  qui  fu  ce  mois  meismes. 

Comment  H  roys  fist  aoumer  ^  richement  les  églises  de 
Damiete,  et  comment  li  os  de  la  erestienté  se  parti  de 
Danriete. 

Quant  Damiete  fii  prise,  ainsi  comme  nous  avmis  dit  devant, 
li  cardonnaux  9  et  li  roys  de  France  firent  ordonner  archevesque 
en  la  maistre  église  de  la  ville,  qui  avoit  esté  faite  de  sa  maistre 
mahommerie.  Il  y  establirent  chanoine  pour  y  faire  le  service 
Nostre-Seigneur.  Bonnes  rentes  et  riches  leur  assena  '^  li  roys  et  à 

'  jyequedent  :  néanmoins.  —  '  Jdon-  gile  :  veille.  —  *  Aoumer  :  orner,  — 

ques  :  alors.  —  3  Combien  d'années  il  »  Cardonnaux  :  cardinal.  —  '<>  Assena  : 

y  ea  t.  —  <  Asseoir  t  assiéger.  —  '  f^oise  :  assigna, 
aille.  —  6  Ckaneus  :  canaux.  —  '  Fe- 


DE  JEAN  FIEBBE  SABRASIN.  261 

Tarchevesque  et  aus chanoines,  as  Templiers,  as  Hospitaliers, 
ans  frères  des  Alemans',  aus  frères  Meneurs^ aux  frères  de 
Saint' Jacques ,  aus  frères  de  la  Trinité  et  as  autres  que  nous 
nepoons  mie  nommer.  As  barons,  as  princes  de  la  terre 
d'outre-mer,  assena  H  roys  bêles  manandises  ^  et  riches ,  selon 
ce  qui  convenoit  à  chascun ,  dedans  Damiete.  Les  églises  qui 
avoient  esté  establies  des  mahommeries  et  les  autres  Ûst  H 
poys  richement  aoumer  de  galises,  d'encensiers  3,  de  candélabres, 
de  seaus,  de  crois ,  de  crucifis,  de  livres,  de  casuves^ ,  d'aubes, 
d'estoles,deÊinons,dedras  d'autel,  de  dras  de  soie,  d'ymages  de 
]Nostre-Dame,  de  capes  de cuer*,  de  tuniques,  de  dalmatiques, 
de  reliquaires,  dephilatères^  d'or  et  d'argent,  de  crystal ,  et  de 
toutes  autres  choses  que  il  convenoit.  Prouvoires^  et  **  chape- 
lins,  clers  et  personnes  7  de  sainte  Eglise,  faisoit  li  roys  mettre 
par  tous  les  lieus  où  mestier  estoit^,  et  rentes  leur  assenoit  9 
et  livroit ,  desqueles  il  pooient  bêlement  et  honnestement  vivre 
selon  ce  qu'il  convenoit  à  chascun.  Grant  painne,  grant  en- 
tente, grant  estude  et  grans  cous  >**  mettoit  liroys  à  ces  choses  et 
as  autres,  par  lesquelles  li  services  nostre  seigneur  Jhésu-Crist 
fust  maintenu  en  la  cité  de  Damiete  et  au  pays,  et  la  foi  crès- 
tienne  tenue  ethonnourée.  La  fremetés  meismes  de  Damiete, 
qui  estoit  très-fort  à  grant  merveilles ,  faisoit-il  encores  renfor- 
Gier,ies  fossés  réparer,  barbacannes  en  tel  lieu  où  eles  n'estoient 
mie ,  lices ,  fossés ,  conduis,  et  autres  choses  que  nous  ne  savons 
mie  toutes  nommer.  Li  roys  mettoit  teuls  <<  painnes  et  teuls 
cous  à  c«s  dioses  que  nous  avons  devant  nommées ,  qu'il 
avoit  '  >  assés  de  teuls  en  l'ost  des  crestiens  qui  dîsdient  que 

'  Aai  frères  Tentoniqaes.  —  '  Ma-  i  —  '  Personnes  :  ecclésiastiques.  On 

nandises  :  richesses.  —  3  Richement  |   dit  encore  en  anglais  parson  dans  le 

orner    de    calices,    d'encensoirs.  —  j  même  sens,  —  ^  Où  besoin  était.  — 

*  Casuves  :  chasubles. —  ^  PhiMères  :  1     Âssenoii  :  assiiniait.  —  «^  Cous  :  frais, 

reliquaires.  —  8  Prowoires  :  prêtres.  I  —  "  Teuls  :  telles.  —  *'  Qu'il  y  aralt. 

*  De  mer^  Nouy.  GoUect  des  luém.  —  Le  traducteur  a  compris  comme 
nous. 

**  Jus,  ibid.  —  Nous  comprenons  la  phrase  tout  autrement  que  MM.  Mi- 
chaud  et  Poujoulat. 


i 


262  LSTTBE 

ce  eaioit  gramt  folie  ôt  grans  outrages  '  et  que  Ineii  s'en  peust- 
on  faire  à  maiiis  '.  La  loyne,  la  eoatesse  d'AIrtois ,  la  contesse 
de  Pokiers  et  une  partie  dea  erestieuse  estaient  dedans  Daaiiete 
par  les  maisons.  lÀ  roys,  li  cardonnaux^  et  la  plus  grant 
partie  et  la  plus  forte  de  l'ost  estoient  logjiés  devant  la  eité, 
ontre  le  pont  qui  estoît  aeur  le  filun  du  Nil ,  en  celé  isle 
meismes  de  Maalol,  Ik  où  il  estoient  arivé;  il  estoient  logié 
seur  la  rire  du  Hrm^  ta  que  li  fhm  estoit  nxtte  Tost  et  I>a- 
miete.  Celé  hât  de  Maalot,  qui  est  devant  Damiete,  d*autre  part 
le  flum ,  est  plentive  ^  de  moût  de  bien,  Li  roys  et  li  crestiens 
estoient  là  endroit  4  logié  on  sablon.  Grans  ennuis  et  grans 
angoisses  souffîrolant  de  la  grant  chaleur,  de  la  grant  plenté  ^ 
de  moosehes  et  de  piiees  grmis  et  grosses  qui  estoient  en  Tost. 
Li  Bédouins  et  li  Sarrasins  qui  aloiesit  es(Hans  entour  Tost , 
quant  il  trouToientqui  avoient  eseartéTost,  il  leur  couroioit 
sus  et  li  nostres  à  eus.  Aucunes  foia  en  avoient  li  Sarrasins  le 
meilleur,  mais  plus  souvent  li  nostres,'  Ainsi  avenoit  que  on 
trouvoit  assés  de  crestiens  qui  estoient  mors  en  lescfaans  entour 
Tost.  Entour  la  mi-aoust  avint  que  li  Ture  vinr^t,  leur  ba- 
tailles raugiées  et  ordonnes,  pour  oombatre  cele  psfft  où  li  ares- 
tiens  estoknt  logtés.  Li  roys  fist  crier  partout  Fost  et  deffen- 
dre  que  nus  ^  ne  fust  tant  [  hardis}  qui  issist  7  des  lices,  par 
quoi  nus  crestiens  ne  Tosa  mouvoir.  Li  Sarrasins  se  tindrent  en 
tel  manière  une  grant  pièce  en  sus^  des  lices  ;  etquant  ne  sai 
quans9des  Sarrasins  virent  quenus  des  crestiens  n'issoient,  il  se 
départiratit  des  autres  et  s'en  vindrent  vers  les  liées  des  eresti^is 
pour  emUer  *"*.  MessîreGauehersd'Autrechenepot  >■  ce  souffrir, 
et  sailli  sur  un  cheval  tout  armé,  et  se  féri  »  *  hors  les  lices  contre 
le  commandement  le  roy  ;  mais  nulz  ne  le  sui.  Vigoureuse- 
ment couru  sus  ces  Sarrasins  qui  estoient  si  approchiés.  Grant 
bataille  ot  entr'eulz  si  vigoureusement ,  et  si  bien  se  maintint 

■  Otttrages  :  exeèa.  —  >  Maini  :  i  sortît.  —  *  £»  sus  :  à  distance.  — 

moins.  — «  s  Plentfve  :  abondaote.  —  l  '"*  Je  ne  sais  combien.  -^  •"  Embler  : 

•  Là  endroit  :  là.  même.  —  »  Plenté  :  \  voîor.  —  »♦  Vot  :  put.  —  •»  Se  féri  :  se 

abondance.  — «  ffus  :  nul.  —  '  Issist  :  I  laaca. 


DE  JEAN  PiERBE  SABBASIN.  263 

raessires  Gauchiecs  tous  seuls ,  que  il  en  ocd  trois  et  ^e  li 
autres  s'enfuirent  vers  ks  batailles  des  Sarvasias  qui  esloieBt 
bien  rangpées  et  se  regardoient,  maïs  il  ne  se  mouvoient 
Mesaîres  Gauchiers  féri  [son]  cheval  des  espérons  après  ceids 
qui  s'enfuyoîent ;  mais  ses  chevaus,  qui  estoit  lassés,  obay  s 
et  raenires  Gauchiers  dessous.  Qu»it  K  Sanrasîus  qui  s'en- 
iuioient  Tirent  monseigneur  Gauchkr  cfaeu ,  il  retournèrent  isn. 
nelement  >  vers  hâ  et  descendirent  pour  lui  occire  ;  mais  mes» 
sire  Ymbers  de  Bîau*Geu  s'en  perçut  et  sailli  isnelemeat  sur 
un  dieval,  et  autres  chevaliers  après  lui,  et  fériient  chevaus  ées 
espeimis  grant  aleure  ^  celé  part.  Quant  li  Turc  les  perçurent, 
n'or^t  mie  loisir  d'occire  monsagneur  Gaucbler,  ainçois^  re- 
sailUrent  isnelement  sur  leur  dievaus  et  s'enfuirent  aus  autres. 
Messires  Gauchiers  lu  raportés  en  Fost,  et  fu  mors  dedans 
le  tiei^  jour  de  celecheute.  Li  Sarrasins  s'^  votouroèrent  arrière 
leur  batafiles  rangies,  quant  il  virent  que  li  ciestiens  ne  se  com- 
bateroient  mîe  à  eus  là  endroit.  Après  aviat  entour  la  fe^e 
saint  Luc  l'évangelisle  que  fi  grans  et  généraus  ten^ste  fo 
en  la  mer  et  en  ces  parties,  que  li  grans  plenté  des  nés  ^  lureiit 
périllés  ^  es  pors  de  la  marine  *,  et  moult  grant  plenté  de  gens 
noies,  et  grant  plenté  de  viandes  lurent  perdues  en  la  mer.  Celé 
grant  tempeste  fu  presque  partout  les  pors  d'outre-mer.  Au 
port  de  Lymaçon  en  i'isle  de  Chypre ,  ne  courut  mie  ode  grant 
tempeste.  A  ce  port  ariva  li  quens  de  Poitiers  à  toirte  l'esloire  7. 
Et  quant  il  et  ses  gens  se  furent  raireschis  en  celé  isle  un  pou 
de  temps ,  fl  remonta  sur  mer  et  arriva  à  Damiete  sains  et 
saus  à  toute  Testoire.  Moût  ot  li  roys  grant  joie  et  toute  li  os, 
9e  la  venue  le  conte  de  Poitiers  et  de  ses  gens.  Et  quant  ce 
vint  entour  la  feste  sainte  Cécile,  li  roys  fist  appareiliier  ses  nés. 


*  Chay  :  cheat,  tomba.  — ^  Isneh' 
ment  ;r«pideiii«nt.<—  > atours  :  train. 
Dans  rédition  de  la  noaveUe  Collec- 
tion de  niéinoire«,  ces  deui  mots  se 


troQTcnt  à  la  suite  l'un  de  l'autre. 

—  *  Aineoi»  :  mais.    —  ^  Nés  :  ncfSi, 
navires.'  —  ^  Pétilles  :  mis  eo  péril. 

—  '  Avec  la  flotte. 


*  La  première  édition  de  ceUclettre  porte  de  la  matinée,  que  le  traduc- 
teur n'a  pas  rende. 


Ô€4 


LETTRE 


Tant  y  avoit  de  barges  »,  de  galies  %  de  grans  nés  et  de  petites, 
chargées  de  viandes,  d'armes,  d'engiens,  de  harnas  et  de  toutes 
manières  de  choses  que  mestier  avoient  à  hommes  età  cfaevaus, 
que  ce  estoit  une  grant  merveille  à  veoir.  Tant  y  avoit  de  vais- 
siaus  et  petis  et  grans,  que  tout  H  fluns  en  estoit  couvert  cèie 
part.  U  ost  se  deslogea,  et  issirent^  de  Tislé  de  Maalot^et  pas- 
sèrent en  Tautre  isie  d'autre  part  là  où  Damiete  siet.  U  ordon- 
nèrent leur  batailles  et  s'en  alèrent  tout  contrémont  le  flun^, 
si  que  li  os  qui  estoit  es  nés  estoit  adès  ^  encontre  Tautre  ost 
qui  aloit  par  terre.  Cil  qui  aloient  par  terre  avoient  le  flum  et  la 
navie  ^à  destre  7.  Tout  s'en  alloient  ensemble  tout  contrémont 
le  flun  vers  midi.  Damiete  avoient  à  destre  et  le  chastel  à 
sénestre  ^  contre  le  grant  ost  des  Turcs  qui  estoient  assemblés 
outre  le  flun  de  Thanis ,  ou  lieu  que  on  appelle  la  Massorre. 
Là  endroit  se  part  li  flun  de  Thanis  du  grant  flun  du -Nil  à 
sénestre,  ets'enqueurt  9  en  la  mer  par  proche  delès  le  chastel. 
Li  Sarrasins  savoient  bien  que  Tintenciop  du  roy  et  des  barons 
estoit  d'asségier  la  noble  cité  de  Babiloine  et  le  Chaaire,  et  de 
prendre  toute  la  terre  d'£gypte,  se  nostre  sire  Dieu  leur  voloit 
doner  l'aide,  et  que  là  endroit  leur  convenoit-il  passer  le  flun  de 
Thanis  pour  leur  navie,  qu'Une  pooient^®  lai'ssier  sans  grant  da- 
mage ,  et  là  endroit  séjoumoient  ces  deux  os  à  moût  petites 
journées,  et  très-lentement  s'en  aloient  contrémont  le  flun; 
car  livens  estoit  si  fors  et  si  roidesqui  ventoit  entre  «uls,  que 
les  nés  ne  li  autre  vaissel  ne  pooient  estre  mené  contrémont , 
se  par  trop  grant  travail  non  <<  et  trop  grant  painne.  £t  il  ne 
pooient  mie  laissier  leur  navie,  11  rois  et  cil  qui  aloient  par  terre 
sans  grant  péril  et  grant  damage  moût ,  car  il  mirent  à  aler 
de  Damiete  jusques  à  la  Massoure,  où  il  ne  [y  a]  mie  plus 
de  dix-huit  lieues,  plus  de  trente- et-un  jours  et  plus  encore; 
car  il  murent  tout  droit  de  Damiete  le  vingtième  jour  du  mois 


•  Barges  -.barques.  —  '  Galies .'ga- 
lèves,  —  *  lasirent  ;  sortirent.  —  <Et 
remontétent  le  ûenve,  —  &  Jétës  :  toa- 
jonrs.  —  «  Navie  :  flotte  j  en  anglais. 


navv,  —  '  Désire  :  droite.  — ■  Sénés* 
Ure  :  gauclue.  —  *  S'en  queurl  :  court . 
-i  *o  Pooient  :  poavalent.  —  '•  Sinon 
par  trop  grand  traTaiL, 


DE  JEAN  PIBBBE  SARRASIN.  2<»5 

de  novembre  ^  et  ne  vmdrent  là  devant  '  le  jour  de  la  feste 
de  saint  Thomas  Tapostre,  qui  est  cinc  jours  devant  la  Nati- 
vité nostre  seigneur  Jhésu-Grist  II  avint  tout  droit  ainsi  que 
il  s*en  aloientpar  leur  petites  journées,  et  le  lendemain  la 
feste  saint  Nicolas,  au  point  du  jour,  que  li  Turc  firent  un 
embuschement  s  et  envoièrent  cinc  cens  Turc,  des  plus  preus 
et  des  plus  hardis ,  des  miex  armés  et  des  mîex  montés  de 
toute  lor  ost,  qui  se  férirent  en  Tavant-garde  de  nostre  ost  si 
vigoureusement,  si  asprement  et  si  hardiement,  qu'il  sembloit 
qu'il  deussent  toute  nostre  ost  desconfire  -,  mais  li  Templier 
ne  li  autre  de  nostre  ost ,  qui  estoient  Tavant-garde ,  ne  fu- 
rent onques  esbahis  ;  hardiement  les  reçurent  aus  tranchans 
des  espto.  Fier  poignéis^  et  aspre  y  ot  tant  com  il  dura  ;  mais 
nedemoura  mie  que  li  Turc  le  desconfirent,  et  s'enfuirent 
grant  aleure^  versrembuschement,  de  là  s'enfuirent  ensamble 
à  lor  ost.  En  ce  poignéis  trouva-on  des  Turs  trois  occis,  des 
crestiens  n^en  trouva-on  que  deus  tant  seulement.  Puis  lors  en 
avant  ne  trouvèrent  mie  nos  gens  grans  contcns  ^  jusques  à 
tant  que  il  vindrent  au-  coron^  de  celle  isle  »  là  où  les  deus  iaues 
s^enforcent  Et  pour  ce  qu'il  ne  porent  mie  passer  contre  l'ost 
aus  Sarrasins  qui  estoient  logiés  outre  Tiaue,  car  li  flun  du  Nil 
estoit  à  nos  gens  à  destre,  et  li  flun  de  Thanis  à  sénestre,  par 
quoi  il  ne  porént  aler  de  nule  part  se  il  ne  retournèrent  arrière. 
Pour  ces  choses  il  se  logièrent  illeques  7  dès  le  flun  du  Nil  jus- 
ques au  flun  de  Thanis.  Celui  jour  meismes  que  il  furent 
logié,  passèrent  li  Sarrasin  le  flun  de  Thanis,  et  se  férirent  ^  en 
nostre  gent  à  pié;  mais  li  chevalier  et  cil  à  cheval  de  nostre  ost 
s'en  perçurent  et  coururent  celé  part  à  grant  aleure  et  férirent 
entre  les  Sarrasins.  Mais  H  Sarrasin  ne  se  tinrent  mie  longue- 
ment ,  ains  se  desconfirent  moult  laidement.  Assés  en  y  ot 
d'occis  et  de  pris;  li  remenansd  s'enfuit,  et  par  grant  mes- 

•  Devant  ;  avant.  —  »  Embusche'  1  —  *  Contens  ^  lattes.  --  «  Coron  : 
Ment  :  embuscade.  —  «  Poignéis  :  coin.  —  '  Illeques  :  là.  —  "  Férirent  : 
choc,  —    *  Meure  ;  allare,  course.    I  lancèrent.  —  ^  Remenans  .'reste. 

23 


266 


LETTRE 


chéance'  d'euls-meismes  il  ne  porait  ftiir  vers  le  Oun  de 
Ttianis,  aîns  s'enfuirent  vers  k  géant  flan  du  199,  là  où 
nostre  nam  esloil  «ocrée,  ffostre  eratien  te  ^^laçoîeat ,  oe- 
dant  et  alMtaift  ;  mais  lî  Sorasin  Tindrent  aa  flim>  il  se  féri- 
rent«BS  *  à  pîé  el  à  ehevai  pour  eschiver^  la  ment;  mais  peu 
lorYaSat,  carnostre  gent  qui  estoît  es  nés^,  quant  il  virent  oe, 
coururent  aus  armes  ;  «t  quant  il  véoient  les  Samsins  qui 
nooient'^  à  pié  eu  à  dheval ,  il  les  féroienf^  d'«spéesou4lehaces 
et  d'autres  armes ,  cft  de  grans  perces  7  loegnes  et  pesais ,  et 
ains  les  oceioient  «n  Tîaue.  fin  trie  manière  teiBDt  presque  tout 
perdu  1i  Sarrasin  qui  furent  à  «el  assaut  Lendemain  repassèrent 
Il  Tur  }e  flun  ^  phis  gr»it  plefité^e  gent  qu'il  n^avoioit  fait  le 
jour  devant;  moult  estoient  eogrant*  d'eols  levan^;  il  se 
férirent  en  nostre  os^  Nos  gns  les  reçureoit  crudeoMut  aus 
espéesetauslnices,  grant  balaffle  joLii  Turc  ne  peient  en- 
durer plus.  Il  fur^A  deeconfis  eatele  manière  et  aussi  male- 
ment  «u  plus  oomme  il  avoient  esté  le  jour  ^deisant.  En  ces 
deus  assaus  ot  bien  oeds  et  noies  deux  cens  Turcs  ou  phis, 
des  crestiensott  peu  ou  mils.  Quant  li  Turc  virent  qu'il  avoient 
ainsi  perdu  à  ees  assailliesque  il  ainoîent  faites ,  il  se  tinàrent 
tout  eoi  et  toiA  serré  outre  le  flun  de  Thanis,  seor  la  rive, 
là  où  il  estoieut  logiéS)  et  ilurcment  s'appareillièrent  poiur 
deffendre  aus  noss  que  il  »  passaissent  le  flun.  Assés' 
i  ot  de  Tmn  qui  dîsoient  que  se  nostre  gent  povoient  passer 
le  flun  avant  qu^  ne  fiûiwntnMUt  damagié  et  amenoisîé  '» 
de  lor  gent ,  que  il  avoientpovoir  de  conquanre  BabOoinne  et  le 
Chaaîre  et  toute  la  terre  d'Egypte,  maugréks  Turs.  Puis  '  *  ces 
deux  bataSIes  devant  dites^  fiireut  nos  gens  auques  en  pais 
des  salHies"  des  Turcs  jusques  à  la  fesie  saint  JBastîen. 


I  Mes^têamôe  «•  maHiear,  <-*  >  Em: 
dedans.  —  3  SscMver  :  esquiver,  éviter. 
—  *  Né*  :  nefs,  navires.  —  *  Nooient  : 
Aaseaient.  —  «  Féroient  :  frappaient. 


—  '  JPeret»  :  perches.  —  *  BngranU  : 
(Tésireax.  ~  »JVos  .•  lAvtm,  —  m^> 
menuUU  :  amoindris.  —  **  P^IU  :  de- 
puis. —  *'  SaiUies  :  attattues.' 


DE  JEAN  PiBBBB  SABRASIN. 


207 


Comment  li  roys  et  li  cresfien  s'en  alèrent  droit  à  la  Mas- 

sorre. 

NouvelesqiH  estoient  eonnies  par  nostre  ost  éës  ee  que  il 
murent  >  de  Damiete,  ftirent  adonques  seuw  et  noncées  tout 
eertaifiement  ;  car  li  soudaos  de  Balriloiiie,  qui  aroît  esté  malade 
près  d*un  an,  estoit  nouvelemeot  mors.  Il  ayoit  eoToyë,  ains  * 
qu'il  fu8t  mors,  bons  messages  à  son  fils,  qui  adonques  de« 
mouroit  es  parties  d'Onoit,  que  il  Tenist  hastivement  en  Egypte, 
pour  estre  nres  de  la  terre  ^  et  poiur  estre  contre  les  crestiens 
qui  la  vonloiwt  conquerre;  car  il  avoit  fait  jur»  à  tous  les 
amiraut  4  et  à  tous  les  grans  hommes  du  pays  seur  le  livre 
de  la  loi  Mahomet  que  on  apele  alehoran,  sairement  de  féauté 
et  d*ômmage  que  il  le  recevroient  à  ^  seigneur  et  à  Soudan, 
quant  il  sferoit  venus.  Il  avoit  fait  chevetaî&e^  et  garde  de 
toute  sa  terre  et  du  très-grant  ost  que  il  avoit  assemblé  encontre 
les  crestiens,  un  graut  amh'aut,  riche  et  puissant,  prudhommc, 
chevalier  et  grant  guerrier,  jusques  à  tant  7  que  ses  flls  fust 
venus.  Gtl  amiraus  avoft  non  Fackardi/k.  Quant  lî  roys  et  li  os 
et  cil  de  la  crestienté  virent  que  il  ne  povoient  passer  le  flun 
pour  Tost  des  Sarrasins  qui  estoient  logîés  par  Tautre  part  seur 
la  rlve^  par  le  conseil  des  barons  li  roys  commanda  que  on  fîst 
une  cfaancie  forte  et  haute  et  large,  de  terre  et  de  mairien^, 
parmy  le  flun  de  Thanîs  en  tel  manière  que  tout  li  flun  de 
Thanis  s'encourist  9  par  le  chanel  *•  dou  flun  du  Nil,  diHit  il 
se  portoft  là  endrmt;  car  adonc  porroit  passer  K  os  de  là 
crestiçnté  par  le  chanel  du  flun  de  Thanis  quant  ele  seroit  vuidie 
de  riaue,  ou  ele  seroit  petisie"  ;  et  se  on  ne  pooit  mie  ce 
fahre  que  cil  flun  de  Thanis  s'encounist  par  le  chanel  du  flun 
du  Nil|  au  mains  quant  la  chaude  seroit  faite  bien  avant  de- 


I  Mw§fU  f  «'«a  allèrent.  —  '  Jins  : 

avant  — ■  *  Seigneur  do  pay«.  —  <  ^- 

mlra«f.*  émirs.—  ^A  :  comme.— «^Aa* 

vetaine  :  cspitaine.   —  ?  Jusque$  à 


tont.'^aaqn'àMque.— B  Mairies:  mer- 
rai  n,  bols.  —  •  S'eneourist  :  courût, 
•'éeoolftl*  —  '<>  Ckanei  :  r-anal  ;  angl. 
ehemei.  —  ><  P«ii9ie:  diminuée. 


268 


LfiTTBS 


dans  le  fluD  de  Thanis,  et  Tiaue  seroit  bien  estrechie^  on 
teroit  plus  légièrement  *  pont  de  mairien  de  chaude  seur  la 
rive  qui  estoit  par  devers  les  &irrasins.  Ainsi  le  devisoient-il  ; 
mais  ce  n'estoit  mie*  chose  légière  à  faire.  Li  roys  fist  faire  deus 
chas  3 ,  moult  bons  et  moult  fors,  et  fist  drecier  ses  engiens , 
l)errières,  mangonniaus,  trébuches  et  autres  choses,  pour  geter 
contre  les  Sarrasinsqui  lepassagedeffendirent  Quant  ces  choses 
furent  ainsi  atirées^,  li  nostre  boutèrent^  avant  le  chas 
sur  le  pas  ^;  cil  qui  aportoient  le  mairien  et  la  terre,  et  cil 
qui  faisoient  la  chaude,  se  tapissoient  desous.  Quant  li  Sarra- 
sin se  perçurent  de  ces  choses ,  il  firent  drecier  grant  plenté 
d*engiens  encontre  tes  nos;  et  pour  dépcschier  7  les  chas 
et  la  chaucie,  si  grant  plenté  faisoient  geter  de  pierres  grosses 
et  petites,  que  tous  s'en  merveilloient.  II  frondilloient  et  lan- 
çoient  et  traioient  quarriaux  d'arbalestre  à  tour**.  Il  traioient 
dars  turcois^,  il  lançoient  et  getoient  feu  grégois;  eu  toutes 
manières  assailloient  nos  engiens  et  ceuls  qui  cele  chaude 
faisoient,  que  ce  estoit  une  grant  laideur  à  veoir  et  à  ce  oïr. 
Pierres,  dars,  sajctes,  quarriaux  d'arbalestre  et  feu  grégois 
[chaoient  9]  aussi  espessement  com  pluie.  Quant  cele  chaucie 
fu  faite  par  très-grans  travaux,  graus  paines,  grans  cous,  grans 
frès,  plus  assés  que  moult  de  gens  ne  creroient  mie  légière- 
ment, jusque  le  milieu  du  fiun ,  li  Sarrasin  s'enforcièrent  si 
durement  à  relais  de  gens  et  par  nuit  et  par  jour,  que  il  sem- 
bloit  que  il  commençaissent  tousjours  adès'"  cele  besoigne 
tout  de  nouvel.  Pour  trois  raisons  ne  pourent  onques  li  crestien 


1  Sttreckie  :  rétrieie.  —  '  Légière- 
ment :  facilement.  —^  Chas  .-chaU, 
espèce  de  machines  de  gaerre.  >— 
*  Mirées:  disputées.—-  ^Boutèrent: 


poussèrent.  —  ^  Pas  :  passage.  — 
7  Dépesehier  :  dépecer,  mettre  en  piè- 
ces. ^—  s  J\irc(Hi  i  tares.  ^  '  Chaoient  : 
tombaient.  —  <'  Jdès  :  aussitôt. 


*  Une,  édit.  Michaad  et  Poajoulat. 

*M1  8'agit  Ici  d'arbalètes  à  tourniquet.  Le  traducteur  de  Sarrasin  rend 
ainsi  ce  passage.  «  Ils  faisaient  tour  à  tour  Jouer  la  fronde,  et  lançaient  et 
tiraient  carreaux  d'arbalète,  »  etc. 


DB  JE.41S    PIEBBE  SARRASIN.  3G9 

faire  ceie  chaucie  tout  outre  ;  car  quant  ii  Qun  fu  ci  estrechié  ' , 
riaue  s'en  couroit  aval  si  radement  *  par  oel  lieu  estrechié,  et 
de  si  grand  ravine  ^  trébuchoit  contreval/,  que  nule  chose  que 
on  y  getast  ne  pooit  arrester  que  ele  ne  s'en  alast  aval  :  ce 
fil  la  première  raisqn.  La  seconde  raison  ta  que:li  Sarrasin  ge- 
toient  tant  de  grosses  pierres  et  pesans  encontre  nos  engiens, 
que  il  les  dépeçoient  presque  tous.  La  tierce  4  raisim  iii  que 
li  Sarrasin  landèrent  et  getèrent  tant  de  dars  et  de  sajete»  el 
de  qoarriaiix  d'arbalestre  allumés  et  embrasés  de  feu  grégois, 
avec  les  grosses  pierres  que  li  engiens  gêtoient  sur  nos  deus 
cbas,  dessous  lesquels  dl  se  tapissoient  qui  la  chaucie  faisoient, 
que  les  grosses  pierres  les  brisoient  tous,  et  li  feu  grégois  <>t 
les  torches  esprises  ^  que  il  gêtoient,  les  firent  esprendre**.  En 
tele  manière  furent  tous  ars  ^  et  nus  en  cendre. 

En  dementiers  ?  que  nostre  crestien  entendoient  *  à  faire  celé 
chaucie, 4i  Sarrasin  passèrent  à  moult  grans  effors  le  flun 
soudainement.  Il  se  férirent  s  en  Tost  des  c^estiens  de  deus 
pars.  En  une  des  parties  de  Tost  où  il  se  férirent  estoient  li  Hos- 
pitalier et  li  frère  de  Ïïostre-Dame  des  Alemans.  Des  deus 
parties  furent-il  moult  crueusement  <°  reçus.  Grant  bataille  y  ot 
et  plénière;  tant  comme  elle  dura,  assés  y  ot  fait  de  grans 
prouesses  et  de  biaux  cops  et  de  grans  hardemens  et  d'une 
part  et  d'autre.  En  la  fin  li  Turc  furent  desconfis  et  de  çà 
et  de  là  ;  grant  plenté  en  y  ot  d'occis.  Li  nostre  les  chacièrent, 
occiant  et  abatant  jusques  au  grant  flun  du  Nil;  pour  la 
grant paour  ''  que  il  avoient  de  la  mort,  il  se  fénrrat  en  Tiaue. 
Grant  plenté  en  y  ot  ce  jour  d'occis  et  de  noies  des  Sarrasios 


'  Esireehii  :  rétréci.  —  ^Bademeni: 
raide.  —  ^  Ravine  :  impétuosité.  — 
*  Tierce  :  troiaième.  —  ^  Esprises  : 
allumées.  —  Jrs  ^  :  brdlléa.  —  ''  En 


dementiers  :  pendant  qae.  —  >  En- 
tendoient: s'occupaient.  — ^  Férirent: 
lancèrent.  —  ■<>  Crueusement  :  ccncUe. 
ment.  —  M  Paour  :  peur. 


*  L'édition  de  la  nouvelle  Collection  des  mémoires  porte  contre  en  bas 
val  :  J'ai  cru  devoir  supprimer  le  second  et  le  troisième  mots,  qui  sont  la  tra- 
duction des  autres. 

**  De  même  on  lit  dans  b  première  édition  :  embraser,  csprendrc 

23. 


370  LKTTU 

en  âinviet  manières.  Gfant  damage  leçoroit  le  jour  li  mes- 
créant  *  de  leur  gent.  Moult  de  gens  disent  par  Tost  de  la  crcs- 
tiemé  qatb  sedl  denostreostqui  estoient  par  devers  la  cbaucie 
eossentTiguereusement  etisnelementsen  dementres*  que  la 
bataille  fa  et  la  ehase,  asaîlli  au  pas^ ,  que  li  crestîen  eussent 
le  floB  pavé  mangré  les  Sarrasins,  et  le'passage  conquis.  En 
eele  luitaille  perdirent  li  Hospitalier  onze  de  leur  frères  ;  de 
Rostre-Dame  des  Alemans  en  y  perdirent  quatre  des  leur  ;  mais 
moult  forent  ce  jour  loé  et  prûé  par  Tost.  Geste  bataille  fu 
tout  droit  le  Jour  de  la  f este  de  saint  Bastion  lemartir,  qui  est 
el  mois  de  ganTîer.  Après  avînt  le  samedi  devant  le  (3iandeltor4 
que  moult  grans  ^em  et  moult  fors  venoit  devers  Tost  ès^  Sar^ 
rasios  tout  contreval  le  flun  du  Nil ,  là  où  nostre  navie^^  estoit 
aencrée;  il  prisent ^piatre  barges,  si  lesendiainèrent  ensemble 
decbainnesdefer,  il  les  emplirent  d'estoupes,  de  pailles,  foure?, 
de  busebe  seobe.  de  pois,  de  sain  *  et  d'autres  nourrissemens  de 
fou,  il  les  esprisent»  de  feu  grégois  et  il  les  espamsent  ><>  en 
riaue  tout  contreval  le  flun,  pour  ce  qu*il  cuidièrent  nostre 
navieardoir  "  ;  mais  notre maromder**,  qui  forent  isnel  ■*  etas- 
pre  et  tournant,  coururent  grant  aleure,  àcros  >^  et  à  percbes ,. 
et  maugré  le  vent  et  la  flambe  <4,  qui  s*estendoient  contreval,  et 
le  feu  qui  durement  croissoit  et  estinceloit  contre  eulz,  les  bou« 
tèrent  ''  arrière  ensus>^  de  nostre  navie,  si  qu'el  n'ot  garde. 

Comment  U  roys  et  U  crestien  passèrent  le  flun  de  ThaîOsi 

Quant  li  roys  de  France  et  li  baron  de  Tost  de  la  crestienté 
virent  que  la  cbaucie  ne  pooitestre  parfaite  >?  parles  raisons  que 

'  iMelMMiil  .*  rapidement.  —  >  i?ii 
dgmmUret  :  pendant.  —  >  Paa  :  pas- 
Mite.  — >  *  dUmdPitor  .'Cbandelenr.  — 
*£»  .•  sor  les.  —  «  Ifavié  :  flotte.  — 
**  Fe%re  :  paille;  d'oà  fourrage,  — 
'  Sain  :  (raisse.  —  ^EipritetU  ;  embra- 


sèrent  —  »•  Espainsent  :  jetèntnt.  — 
'*  ^rdMr  :  brûler.  —  "  /sue/  :  lestes. 
—  **ATec  des  crocs.  —  **'Flambe  : 
flamme.  —  >*  Boutèrent  :  repoussè- 
rent —  »fl  Ensua:  loin.  —  "  Parfaite: 
achevée. 


•  L'édiUon  de  MU.  Uichaud  et  Ponjoubt  porte  matelot  maronnhr,  c*c«l- 
à-dlre  deox  mots  dont  l'un  est  la  traduction  moderne  de  l'autre. 


DE  JEAN  PlBRBfi  SARBASIN.  271 

nom  afODS  devant  dites,  H  parlorent  eosamble  comment  il 
poiroient  passer  le  flun  et  eombotre  ans  Sarrasins  qui  là 
esloient  lo^  et  qui  le  passage  tour  deffendoient.  11  mandè- 
rent Sarrasins  tnâfcenrs'  qui  estoient  venu  en  nostre  ost  de  Tost 
as  meseréans,  et  leur  demandèrent  se  il  savoient  en  oe  flun  de 
Tbanis  un  gné.  Il  y  en  ot  un  qui  dist  au  roy  que  ilavoit»  bien 
aval  au  flun  de  Thanis  un  gué  »  mais  il  estoit  bien  parfons.  U 
ouidoit  bie&f  ce  dîsoît-ii,  que  H  roys  peust  bien  par  là  passer, 
liroys  et  li baron  quilàestoioità  ceeonseîK  virentqueil  ne 
poœeQt^paaser  ennuie  manière  par  autre  lieu  queilsetissent, 
et  disent  que  il  ensaierment  à  passer  par  le  gué  que  li  Sarra- 
ws  leur  ^soiU  Lendemain  qu*il  fu  le  jour  de  quaresme-pre- 
naiH,  devant  Taube du  jour,  li  roys  et  U  troi  frère  et  le  plus 
grant  partie  de  la  chevalerie  et  des  antres  g^is  à  cheval  fur^H: 
armé  et  monté,  et  issirent  4  de  Tost  leur  batailles  raigiées  et 
ordenées.  li  roys  laissa  bonnes  gardes  en  Tost  pour  garder  leur 
hamois  et  les  gens  qui  demouroient  à  pLé  et  à  cheval.  Quant  li 
roys  et  li  autre  qui  monté  estoient  por  passer  le  Qun ,  furent 
ans dians  fors  de  Tost,  li  roys  commanda  àtrestous  commu- 
nément, ans  haus  et  aus  bas,  que  nus  ne  fusttant  hardis  que 
H  se  desroutast  ^ ,  ains  se  teoist  chascuns  en  sa  bataille^,  et  que 
les  batailles  se  teniasent  près  les  unes  des  antres  et  àlaissent  tout 
ce  paset  toutes  ordonéement,  et  quant  li  premiers  seroient  passé 
le  flun,  que  il  atendissent  sur  l'autre  rive  d*autre  part  tant  que 
li  roys  et  li  autre  fussent  passé. 

Quant  li  roys  ent  ainsi  commandé  et  ordenées  ses  batailles, 
li  Sarrasins  les  y  mena,  et  il  alèrent  tout  après  jusqùes  au  gué 
que  li  Sarrasins  leur  monstra.  Quant  il  vinrent  là  endroit,  il 
trouvèrent  le  gué  assés  plus  périlleus  que  il  ne  cuidoient*, 
car  les  rives  estoient  durement  hautes ,  et  d'une  part  et  d'autre 
pleines  de  boue  et  de  betumés  et  de  lymon ,  et  Tyaue  assés  plus 

<  TraiUur»   :  traîtres.   —  .a  il  y  i   *  Itsirent :  soriirtnt,  —  ^  Desroutast  : 
avait.  >-  3  PoiHeni  :  pouvaient.  —  |  ècartftt.  —  *<  Bataille  :  bataillon. 

*  La  même  édition  porte  evidoient. 


272  LETTBE 

parfonde  et  plus  périlleuse  que  li  Sarrasins  ne  leur  avoit  dit;  car 
il  eonvenoit  la  endroit  *  par  force  leinr  chèvaus  nager  en  teuis 
lieus  y  avoit.  Quant  il  furent  là  venus,  et  li  Sarrasins  leur  ot 
monstre  le  gué ,  li  roys  li  tist  conduire  arrière  en  nostre  ost 
et  li  fist  donner  grant  avoir.  Li  quens  d'Artois  et  li  autre  qui 
faisoient  Tavant-garde  se  férirentenriaue  par  grimt  hardèment, 
et  par  grans  prouesoes  passèrent  et  par  grans  périls  de  leur 
cors  et  de  leur  chevaus.  En  tele  manière  piassa  li  roys  et  tout 
li  autre  après.  Ki  ot  celui  d*euls  tous,  tant  fnst  bien  montés, 
qui  n'enst  paour  de  noier,  ains  que  il  ftissent  outre.  Quant  cil 
qui  estoient  en  Tavant-garde  or^t  passé  le  flnn,  et  il  furent 
seur  la  rive  d*autre  part,  encontre  le  commandeinent  et  Tordè- 
nement  que  K  roys  y  avoit  fait,  il  s'en  alèrent  isnelement  '  grant 
aleure  tout  contremont  de  la  rive  du  fiun,  jusquas  à  tant  que  il 
vindrent  au  lieu  où  li  engienaus  Sarrasins  estoient  dredé  encontre 
la  devant  dite  chaucie^.  Moût  matin  soudainement  se  férirent  en 
Fost  des  Sarrasins  qui  là  endroit  estoient  logié  et  qui  dé  ce  ne 
se  prenoient  garde,  et  de  tels  y  avoit  qui  estoi^t  encore  tout 
endormi  et  de  tds  qui  se  gisoient  en  leur  lis.  Cil  quieschargai- 
toient^  Fost  aus  Sarrasins  furent  premièrement  tous  desoonfis 
et  presque  tous  mis  à  Fespée.'  Nos  gens  se  féroient  par  lés  her- 
berges  des  Turcs;  tout  occioîeht  à  faiit,  sans  espargnier  nuls 
hommes,  fenmi^,  enfans,vielsnejones,granset  petits,  haus  et 
bas ,  riches  et  povres  ;  tout  découpoient ,  détrenchoient  et  me- 
toient  à  Fespée.  Se  il  trouvoient  pucetes ,  viels  gens  et  enfans 
qui  se  fussent  répons^  pour  eschiver  la  mort,  quant  il  les  trou- 
voient, n'i  avoit  mestier  crier  ne  braire  ne  crier  merci,  que  tous 
ne  fussent  mis  à  la  mort.  Là  fu  ocds  Fachardins  li  chievetaine^ 
de  Fost  aus  Sarrasins ,  et  ne  sai  quant  7  autres  amiraus,  haus 
hommes  et  puissans,  avecques  les  autres.  Granz  pitiez  estoit  à 
veoir  de  tantde  cors  gens  mors  et  de  si  grant  effusion  de  sanc,  se 

•  Là  endroit  :  en  cet  endroit.   —  i    veillaient.  —  '  Répons  :  cachés.  — 
'/«nc/emcnl:promptement.— 3cAc»A-       ^  Ckievetaine  :   chef,   capitaine.   - 
cte  :  chaussée.  —  «  EschargaitoUnt  .   I   "  Quant  :  combien. 


DE  JEAN  PIEBBE  SABBASIN. 


278 


ce  ne  fustdes  anemis  de  la  foi  crestieime.  Quant  H  nostre  vûreDt 
que  il  faisoi^t  ainsi  leur  volenté  des  Sarrasins  et  que  tout  s'en- 
fuyoirat  devant  eus,  il  les  commendèrent  à  chadersansconseil 
et  sans  apensément  ' .  A  tant  frères  Oilles,  11  grans  eonmiandères 
du  Temple,  boins  chevaliers,  preus  et  hardis  et  sage  *  de  guerre 
et  clerveans  ^,  dist  au  conted' Artois  que  il  feist  ses  gens  areslar 
et  ralier  tous  ensamble,  et  que  on  atendist  le  roy  et  les  autres 
batailles  qui  n'avoient  mie  passé  le  flim.  Bien  encore  disoit  frères 
Giles  que  H  quens  d'Artois  et  dl  qui  estoient  avecques  lui, 
avoient  fait  un  des  grans  hardemens  et  une  des  plus  grans 
ehevaleries  qui  fust  faite,  grant  temps  avoit;  en  la  terre  d^ou* 
tre-mer.  Ce  looit  encore  que  on  se  traisistrers  les  engiens  des 
Sarrasins  qui  estoient  dreeié  delés^  la  chaude;  car  se  il  cha* 
çoient  ainsi  esparpeillié  comme  il  estoient  et  devisé,  1i  Sarrasin 
se  rassembleroienttous  ensamble,  car  il  s*enprendroienl  garde, 
et  retoumeroient  et  leur  courroient  sus,. et  légièrement^  les 
desconfiroient,  car  il  n'estoient  que  un  pou  de  gens  au  regard  ^ 
de  la  grant  plenté  des  Sarrasins  qui  là  estoient  assamblé.  Uns 
chevaliers  que  nous  ne  savons  mie  nommer,  qui  estoit  avecques 
le  conte  d'Artois,  respondi  en  tel  manière  :  «  Adès  i  aura-il  du 
poil  du  leu7.  Se  lî  Templier  et  li  Ospitalier  vousissent",  et  li 
autre  de  cest  pays,  la  terre  fust  ore  toute  conquise.  »  Gil-meis- 
mes  qui  là  estoient,  parloient  au  conte  d'Artois  en  tele  ma- 
nière :  «  Sire ,  et  ne  vééâ-vous  que  li  Turc  sont  desconfis , 
et  que  il  s'enfuient  grant  aleureo?  Ne  sera-ce  mie  grant  mau- 
▼aistié  et  grant  couardise  se  nous  ne  chaçons  nos  anemis?  »  Lj 
quens  <<*  d'Artois ,  qui  estoit  chevetaine  de  Tavant-garde  ^  s'ac- 
cordoit  bien  à  chacier,  et  dist  à  frère  Giles  que,  s'il  avoitpaour, 
que  il  demourast.  Frères  Giles  respondi  en  tele  manière  :  «  Sire, 


I  ÂpensetÊient  .*  dessein,  réflexion. — 
*  Sage  :  «ayant.  — '  Clerv«aM«.' clair- 
voyant. —  *  Delés  :  près  de.  —  ^  Li- 
giirement  :  facilement.  ^^Au  regard  : 
en  comparaison.  —  '  Toujours  y  an- 
ra-t-il  du  poil  dà  loup  (c'est'à'dire 
de  la  traliison).  Voyei,  sur  cette  ex- 


pression,  qoe^l'on  retrouve  dans  VHiS' 
totre  de  Charle»  VII,  de  Jean  Cbar- 
tier,  nos  tbeeherches  dé  philologie  eoni' 
parée  sur  V argots  etc,  pag.  331,  col. 
2,  art.  Poil  (Avoir  du).  —  »  Vovsis- 
sent  :  ▼onlussent.  —  '  Aleyt^  :  train. 
—  >o  Qutns  :  comte. 


374 


LBTTBE 


je  m  iiii  '  frètt  tt'avoos  p»  paoïir,  nom  ne  àmomùon^  pas,, 
aîns  yroDS  mwqam  tous;  mm  nààtz  que  nmit  Aoutns  que 
wmsmTOBSii'en  fereignoDSjà.  M 

En  demcBkrtt  ^  qqe  il  parloîestaiBBU  4ix  èheralMn  HBèMt 
ta  tous  aeoumt  aaconl&d'AirlQis  «t  U  dîtant  de  par  le  roy 
qua  tl  ne  se  renmst  ^  el  que;  il  atendîst  taat  que  K  ro3rs  f U8t 
vcfRt.  U  respoodi  que  H  Sanaain  ealoient  deseonfis  et  que  il 
nedemourrok  mie»aiisle8cfaaeeroit.Tanlofiteottnirentaprèa 
les  SatrasBis  parmi  les  berbères,  les  ehaeiàent  tout  devisé  et 
tout  départi,  sans  routa  tenir,  jusque  là  que  il  vindrent  à  ime 
vilete  que  on  apelei  Ai  Mtumnre.  Tantost  se  fénreot  dedens  U 
uns  après  Tautre;  tous  eeula  oeiotait  que  il  pooient  atmndre. 
li  Sarrasin  pooi^t  à  paines  croire  que  lî  nostre  chaebaisa^Mt 
si  fi^tonent^  ne  que  il  se  fus8ent|embatu^  si  périlleuseiDent  et 
eqiKindu  par  les  rues  de  ce  cassel  ?  ;  bien  virent  que  il  en  fe- 
rment aveeques  leur  voienté.  U  firent  sonner  tabura,  ews  et 
buisines;  isneLement  se  rassamblèrent  et  avironnèrent  no(s 
gens  de  toute  psfft,  cruelenient  leiur  eoururent  sus  ;  car  il  avoient 
les  cuers  moût  angoisseux  de  la  grsuit  oceisi<m  de  leur  gent  que 
il  ^voient  veue  et  seue.  Moût  trouvèrent  nos  gens  à  grant  mes* 
cbief  ^y  car  il  n'esteient  mieensamble.  U  et  leur  cbeval  ealoient 
si  las  que  il  défmlloient  tout,  tant  avoient  couru  et  racouru  par 
les  berbergps  des  Turs  que  il  ne  se  pooieut  aidier.  Li  Sarrasin 
le»  trouvèrent  espandus  par  tropiaus,  légièremei^9  en  firent 
Leur  voienté.  Tou&lesdétre&ehièrent  et  découpèrent  et  prisent  >^ 
et  toièreut  et  traînèrent  en  prison.  Aucun  en  y  ot  qui  se  mir 
sent  *'  au  fuir  vers  le  flun,  qui  cuidoient  eschiever  ■*  la  mort  ; 
mais  li  Sarrasin  les  suioient  de  si  près,  wxmA  et  abatant  d^ 
baces  danoises,  de  madaies*^,  de  lances  et  d'espées.  Quant  cil 
vindrent  au  flun,  qui  estoit  grans  et  rades  <4  et  parfons,  il  se  fé- 


'  Mi  :  mea.  —  ^Demourons  :  de- 
neurerona.  —  »  £«  dementres  :  pea- 
dant.  —  «Qu'il  ne  bougeât  pas.  — 
*  PoursuWisMDt  en  si  petit  nombre.  — 
«  Embatu  :  engagés.  —  '  Casset  :  bi- 


coque. —  c  Sfeaehi^  :  nauvats  état. 

—  ^Légiènment  :  aidaient.  —  '<>  Pri- 
ient  :  prirent.  —  '•  Miseni  :  mirent. 

—  '*  Eschiever  :  esquiver.  —  '3  J/a- 
chcs  :  masses.  —  «  Hades  :  rapide. 


BE  JEAN  PlEBfiE  SARBASlIf.  275 

rirent  ensdesrois*  et  furent  tous  noîés.  En  «ele  bataille  furent  ^u 
mors  ou  pris,  on  ne  set  mie  bien  lequel^  Robers  li  quens  é*Ar- 
tois,  frères  le  roy  Loys  de  France,  ilBonls  fi  sires  de  €oncî,  Ro- 
giers  li  sires  de  Kosm-en-Tieraisse ,  Jehan  sires  de  Cheyisi , 
^rars  sire  de  Bralne  en  Champaîgne,  <httllaume8  Longue-Espée 
quens  de  Salesbières^  en  Engleterre;  tont  li  Templier  furent 
perdu,  et  n^en  demonra  que  quatre  ou  cinc.  Moût  grant  plenté 
de  nos  barons,  de  chevsdiers,  d'artmlestrîers  et  d«  sergans  à 
clieval ,  des  plus  preus  et  des  plus  eiâens  de  toute  nostre  osft , 
furent  perdu ,  n'onques  n'en  sot-on  certaîtteté  *.  Li  roys,  quant 
il  ot  passé  le  tlun,  et  les  autres  batailles  qui  estoient  avecques 
lui,  vindrent  tout  ordonéement  et  tout  rang^  celé  part  oi!i  li  Sar- 
rasin estoient;  mais  li  Sarrasin,  qui  les  nostres  orent  si  hii- 
dcment  desconfis,  furent  monté  en  si  grant  orgueil ,  que  il  ne 
prisotent  mie  le  roy  ni  toiït  le  remanant  4  de  nostre  ost  un 
boton.  Tantost  comme  il  perçurent  le  roy ,  pfar  grant  orgueil, 
par  grant  beuban^  et  par  grant  desrol  ^,  Tindrent  hardiement 
et  fièrement  encontre  euls.  Quant  li  roys  rit  ce ,  bien  se  pensa 
que  cil  qui  devant  aie  estoient,  avoient  mise  la  trestienfté  qui  là  es- 
toit,  en  mauvais  point.  11  commanda  à  tous  oeus  qui  avec  lui  es- 
toient, que  fl  se  tenissent  tout  serré.  Moût  lesBdmonestoitet  disoit 
que  il  ne  dévoient  point  douter  celé  grant  plenté  de  mescréans 
qui  venoient  contre  euls,  car  nostre  sire  Diex  Jbésu-Crist, 
por  qui  il  estoient  là  aie ,  estoit  plus  fors  et  plus  puissans  que 
tous  li  mondes.  Quant  li  Sarrasin  s^aprocièrent  de  nostre  gent, 
la  noise  y  fu  si  grans  de  cors  et  de  buismes,  de  tabours,  de 
cris  de  gens,  et  de  cbevaus,  que  ce  eâtoit  grans  faideurs  7  à  oîr. 
Il  achanissent^  tour  en  tour,  et  troîssent  sigrant  plenté  de  s^- 
jetés  et  de  quarriaux ,  que  pluie  ne  grésil  ne  fdssent  mie  plus 
grant  obsciuté,  si  que  moût  y  ot  navré  de  nos  gens  et  de  leur  die- 
vâus.  Quant  les  premières  routes  des  Turs  orent  widié  tout  leur 


*  U«  je  kncèrent  deètas  en  dévor- 
dre.  —  "  StUetkières  :  Salisbury.  — 
3  N'en  ■ot-<»a  le  nombre  an  juste» 
—  *  Jtemanani  :  rette.  —  ^  Bevban  : 


fierté,  fanfaroimadtt.—  ^  Desroi  :  dé- 
sordre. —  ''indeurs  :  frayeur.  — 
^  jichanissent.  MM.  Micbaud  et  Poujou- 
lat  traduisent  ce  mot  Tpar  attaquèrent. 


276 


LETTBE 


carcoit  et  totit  trait,  il  se  traissent  arrière  ;  mais  les  secondes 
routes  vindrent  tanU^t  après  où  il  avoit  encore  plus.  Cil  trais- 
sent encore  plus  espessement  assés  que  n'avoient  fait  li  autre. 
Li  roys  etnostre  gent  n'avoient  nul.arbalestrier  là  endroit; 
cil  qui  avoient  passé  le  flun  avecques  le  roy,  avoient  esté  tous< 
oecis  avecques  Tavant-garde,  car  li  Sarrasin  occirent  sans  es- 
pargnier  trestous  les  arbalestriers  que  il  prenoient.  Quant  li  roys 
et  nostre  gent  virent  que  il  perdoient  ainsi  leur  chevaus  et 
euls-meismes,  il  férirent  des  espérons  tout  ensemble  contre  les 
Turs  pour  eschiver  les  sajetes.  Assés  en  abatirent  et  occistrent, 
en  lor  venue,  aus  glaives  et  aus  espées;  mais  la  plenté  des 
Turs  y  estoit  si  grant  que  peu  ou  nient  <  y  paroit.  Quant 
il  y  avoit  aucun  Turc  ou  occis  ou  abatu ,  tantost  revenoient 
autres  en  lor  lieus  tout  frès  et  tout  nouvel.  U  Turc  virent 
que  nostre  gent  et  11  cheval  estoient  moult  blecié  et  à  grant 
mescbief',  se  pendirent,  isnelement  leur  ars^  aus  senestres^ 
bras  desous  les  rpueles,  et  lor  coururent  sus  moult  cruelment. 
Aus  mâches  ^  et  aus  espées  si  durement  tenoient  nos  gens  à 
destroit^  de  toutes  pars,  que  ce  estoit  une  merveille  à  veoir. 
Assés  y  ot  de  nos  gens  qui  furent  à  celé  bataille,  qui  puis  dirent 
et  affermèrent  7  certainement  que  se  li  roys  ne  se  fustmainte* 
nus  si  hardiement  et  si  vigoureusement,  qu'il  eussent  esté  et 
tout  mort  et  tout  pris.  Onques  li  roys  ne  trestourna  son  viaire* 
ne  mestui  à  9  son  cors  des  Tur^.  Il  confortoit  et  admonestoit 
nostre  gent  de  bien  faire,  si  que  il  en  estoient  tout  rafreschi. 
Moult  se  desfendoient  vigoureusement ,  si  au  desous  comme  il 
estoient,  et  souffroient  celé  grant  plenté  de  Sarrasins  qui  déche- 
voient  euls,  les  unes  routes  après  les  autres.  Ainsi  dura  celé  ba- 
taille jusques  entour  noni^e.  Li  chevalier  et  les  autres  gens  qui 
^toient  à  nos  herberges,  qui  bien  véoient  que  les  choses  ne  les 
povoient  secorre,  pour  le  flun  qui  estoit  entre  deus,  tous  et  pe* 


•  Nient  :  n*ant,  rien.—  »  Mesehiff: 
mauvais  état.  —  3  ^rt:  arcs.  —  *5c- 
nestres:  gauches.  —  &  Mâches  :  mas- 
ses. —  «  ^  destrou  :  en  échee.  —  '  af- 


fermèrent :  afflrmèrent.  —  •  Viaire  : 
visage.  —  * Mestwt  à.  MM.  Michand 
et  Poujoalat  traduisent  par  s'écarta^ 
l'cat-ètre  faut-il  lire  n'estui  a. 


DE  JEAN  PI^BtiE  SARRASIN.  277. 

tis  et  grans,  bràioieat  et  ploroient  à  haute  vois,  batoient  lor 
pis  '  et  lor  testes,  tordoient  lor  poins,  esrachoîent  lor  cheveus^ 
esgratinoient  lor  visage  et  disoient  :  «  Las  lias  !  las  !  li  roys  et  si 
frère  et  toute  la  compagnie  sont  tout  pçrdu.  »  Adonc  couru- 
rent les  gens  à  pié  et  li  communs  pueples  de  Tost  hardiement 
et  très-hastivement  au  mairien,  aus  engiens  '  et  aus  autres  es- 
tromens  de  Tost^  et  commencièrent  à  essaier  se  il  porroient 
faire  aucune  voie  dessus  ce  pas^,  par  laquelle  il  peussent  passer 
outre  pour  aidier  le  roy.  Par  grans  paines,  par  grans  travaus 
firent  une  voie  de  mairien  assés  périlleuse  par  dessus  le  pas, 
car  riaue  estoit  par  desous  si  rade  ^  et  si  parfonde  et  si  périlleuse 
pour  le  lieu  qui  estoit  estrecliiés^  por  la  chauciée  qui  là  estoit 
faite,  que  nuls  n'i  chéist  ^  qui  tantost  ne  fust  perdus.  Tantost 
passèrent  périlleusement,  plus  isnelement  7  que  il  porent,  pour 
aidier  le  roy;  mais  quant  U  Sarrasin  les  virent  venir  et  passer 
le  Qun,  il  se  traissent  arrière  et  se  partirent  de  là  endroit  et  s'en 
alèrent  à  leur  herberge.  £n  cde  bataille  perdirent  li  Sarrasin 
assés  de  leur  gens,  qui  furent  occis.  Des  nostres  n'i  ot-îl  gai- 
res  de  mors  ;  mais  assés  eu  y  ot  de  navrés  ^,  et  assés  perdirent 
de  lor  chevaus,  qui  furent  tous  occis  et  navrés  en  diverses  ma- 
nières. Li  nostre,  quant  il  orent  retenu  et  gaignié  le  champ  à 
l'aide  de  Dieu,  s'en  retournèrent  jusque  delès  le  pas  9.  Là  firent 
tendre  lor  paveillons  et  leur  tentes  et  se  logèrent  delès  les  en- 
giens des  Sarrasins,  dont  il  y  en  avoit  vint-quatre.  Assés  trou- 
vèrent nos  gens  illeques  endroit  «>  mairien,  tentes,  paveillons  et 
autres  hamois,  que  li  Sarrasin  avoient  laissiés  quant  il  furent 
souspris  de  Tavant-garde.  Gelé  nuit  demoura  li  roys  là  endroit 
à  "  peu  de  g^t;  mais  li  pons  qui  estoit  fait  desus  le  flun,  fu 
avant  bien  atirés  '*  et  bien  parfais  de  grans  fus  «^  et  de  mairien, 
si  '4  que  on  povoit  aler  seurement  par  dessus^  de  l'un  ost  à 


«  Pis  :  poitrine,  peetus.  —  '  En- 
gtens  :  engins  ,  machines.  —  ^  Pfta  : 
passage.  —  *  Rade  :  rapide.  — ^  Es- 
treehiés  :•  rétréci.  —  «  Chéist  :  chût, 
tombftt . — ^  Isnelement  :  promptemept. 


—  »  Naorés  :  blessés.  —  ^  Près  dn  pas* 
sage.  —  '  *  A  cet  endroit  mème.^  ••>#.• 
aTCC,  —  '2  Atirés  :  arrangé.  —  «3  jsy^, . 
pièces  de  bois;  fustes,^ —  i^  si  :  en 
sorte, 

24 


278 


LETTRE 


Fautre.  Le  jour  des  cendres ,  qui  fu  le  lendemain,  eommasida 
li  roys  que  les  vînt-quatre  engîens  que  fi  avoieift  gaaignés  fus- 
sent dépescblés',  et  que  on  y  feist  bones  liées  entour  nos- 
tre  ost.  Quant  ce  vint  le  Tendredi  aTant  la  Cen^e  y  M  Sarrasin 
se  rassemblèrent  de  toutes  pars.  Quant  H  aprocièreni  de  nos 
gens,  â  corne  est  lor  coustume,  si  grant  plemé  traissent  de  sa- 
jettes,  de  quarriaus  lancièrent,  frondillèrent  et  j^èrem  pieives, 
que  aucuns  de  t^uls  qai  là  estoient  disent  qne  !1  n*a!raeiit  on- 
ques  veu  plus  espessement  grésiller;  et  {de]  tant  4e  diverses  «la* 
nières  longues  et  espoentables  et  onbles  assaillirettt  nos  fens  ans 
lices ,  que  dl  du  pays  qui  là  estoient  disoient  que  il  u^wm&kX  on- 
ques  mais  veu  es  parties  >  d*outre-mer  si  liaréBement  asBaâlir  ne 
si  cruelement.  Il  sembloitbten  qu^il  ne  doutaissent'  ne  {ne]  pri- 
saissent  rien  la  mort.  Tantost  quant  li  uns  estoient  las,  U^KiIre 
revenoient  en  leur  lieus,  qui  esCoîenI  tout  très  et  tout  noviwii  ; 
il  ne  sambloit  pas  que  il  inissent  hommes,  xaak  beMi  sauvages 
toutes  erragiées.  ïi  "nostres  «stotent  nus  au  bersail  *  4edeii8  leur 
lices  ;  merveîlteusement leur  prioit  )i  roys  eft  adsumestoitde  bien 
faire.  Bien  disent  aucuns  qui.  devant  avoioiteaté  nequi  âirest 
après,  ne  virent  le  roy  ^re  mauvais  sarablant,  ne  oooait  ni  es- 
bahi,  n*il  sambloit  bien  à  se  diîère  ^  quil  n'eust  en  son  cuer  ne 
paour  ne  doutance  ^ne  esmai?.  Li  Turc  et  li  nostre  6*entre-fé- 
roient  de  mâches  ',  de  lances,  d*espées,  de  haces  danoises,  de  £au- 
sars,  de  coutiaus  et  d'autres  arnieures,toiiC  ainsi  comme  il  £eis- 
sent  seur  pierres  ou  seur  fus*,  on  seur  autres  dièses  qui  rien 
DO  sentissent.  Quant  celé  bataille  ot  si  longuement  duré,  et  li 
Sarrasin  furent  lassé  et  ûrent  assés  perdu ,  il  se  traissent  arrière 
et  retournèrent  à  leur  herberges.  Plus  assés  ot  »  ocds  en  celé 
bataille  et  navrés  de  TUrs  que  des  nostres.  Après  ces  choses  se 


'  Depetehiés  :  dépecéa,  mis  en  piè- 
ces. —  >  Dans  les  contrée*.  —  '  Dou- 
iaiêêent  :  redovtaaMst.  —  *  MM.  Mi- 
ebavd  et  Poaioulat  tradnitent  étaient 


exposé*  aux  traits.  —  ^  A  sa  fi^are. 
—  ®  Doutanee  :  crainte.  —  '  Esmai  : 
émoi. —  >  S'entre-firappaient  de  masses. 
— «0«.nyeut. 


*  La  coUecUon  Midiaud  «t  Poajoulat  porte  êew  fut  bois,  c'cstà-dire  U 
traduction  à  la  suite  de  /us. 


DE  JEAN  PIEEBE  SABBASIN.  279 

tinreDt  U  Turc  tout  cd  une  pièce  s  se  ne  fu  aucuns  paletois  *  qui 
fu  de  peu  de  gens  en  aucuns  lieus.  ISe  demoura  mie  moult  après 
celé  bataille  que  li  fils  le  Soudan  qui  mors  estoit,  que  il  avoit 
mandé  ains  que  il  mourust,  es  parties  ^  d'Orient,  vint  à  tout 
grant  gens  en  Tost  des  Sarrasins  qui  estoient  assemblés  à  la 
Massorre.  Cil  d*Égyptale  reçurent  à  moult  grant  joie,  à  timbres, 
à  muses  ^^  à  flahutes  et  autres  manières  d'estrumens  ;  à  seigneur 
et  Soudan  le  reçurent  ainsi  come  il  avoit  juré  à  son  père  «  [et]  U 
fdrent  féauté  selon  les  us  et  les  coustumes  dou  pays.  De  sa 
venue  crut  moût  durement  la  force  et  li  pooir  des  mescràms. 

Comniènt  H  roys  et  H  crestien  estoient  à  grant  mescàie/^  à 

la  Massorre. 

Grant  pitié  et  grmit  angoisse  doivent  avoir  à  leur  cuers 
toutes  maniées  ctes  crestiens,  et  à  grant  pitié  et  h  grans 
larmes  et  à  grans  gémîssemens  doivent  estre  racontées  entre 
toutes  manières  de  crestiens  qui  aimeirt;  de  vrai  cuer  Tonneur 
etrensauetiement  de  la  foi  crestienne,  des  choses  qui  advindrent 
au  roy  et  à  ta  crestienté,  qui  estoient  logiés  à  la  Massorre  et 
qui  le  fluB  avotent'e(mquis  sur  les  Sarrasins  par  force,  par  quoi 
toutes  ebosés  leur  avindrent  puis  par  contraire  et  encontre 
leur  volenlé.  Une  grande  mortalité  si  pesmes  ^  et  si  généraus 
vint  es  hommes  et  èschevausen  dementres?  que  il  séjomoient 
là,  que  à  paines  véist-on  nul  jour  que  parles  chapeles  ne  fust 
bien  vint  bières  ou  trente.  Chaseun  atendoit  la  mort  tout  pres- 
tement, nul  n*en  cuidoit  eschaper.  A  paines  trouvast-on  en 
si  grant  ost  celui  qui  ne  plonrast  ou  qui  ne  doulost  ^  un  sien 
ami  qui  fust  mort.  A  paines  trouvast-on  t^te,  ne  paveillon 
ne  loge,  que  il  ni  eust  ou  mort  ou  malade  de  celé  pestilence. 
Cil  qui  estoient  anui  tout  haitié  9  avoient  grant  doutanee  que 

*  Pièce  :  espace  de  temiMir  —  ^  Si  l  état.  •-'^  Pesmes  :  aauTalM,  pessitna^ 

ce  n'est    qaelqae    escarmouche^    —   1  —  "^  Eu  dementrtis  :  penûani. — *  Dou- 

3  Dans    les  contrées.  —  *  Avec  des   I  litst  :  regrettât.  —  ^  \ujourd'hui  bien 

mnsettes.   —  ^  Meschitf  :  imauvais   1  portants. 


^80  LETTBE 

il  ne  fuissent  demain  ou  mors  ou  malades,  là  sain  estoient 
tout  en  blanc  <  de  garder  les  enfers  '.  Tout  autel  ^  estoit-il 
des  chevaus.  Viandes  estoient  toutes  faillies  4  en  Tost,  à 
hommes  et  à  chevaus.  Famine  estoit  si  grant  en  l'ost  que  li 
haitiémesmes  estoient  si  maigres  et  sidé£ailli  que  il  ne  se  pooient 
aidier.  Il  menjoient  les  charoignes  des  chevaus,  des  asnes,  des 
mulets  et  des  autres  bestes  de  Tost,  quant  il  les  povoient  trou« 
ver,  et  leur  sambloient  moult  grant  richece.  Après  il  prenoient 
encor  pluiseurs  choses,  quant  il  les  pooient  trouver  ;  qui  trou- 
vast  un  chien  ou  un  «hat ,  il  fust  mengié  dellen^  de  grant  de- 
vise. Assés  y  avoit  de  haus  hommes  et  de  puissans  qui  s'enba-. 
toient  ^  tout  dessemons  ?  es  lieus  là  où  il  savoient  que  on  man- 
joit,  pour  la  faim  que  il  avoient.  Nulle  viande^  ne  povoit  venir 
de  Damiete,  car  li  uouveaus  soudans  avoit  fait  venir  par  terre 
seur  chars  et  seur  autres  estrumens  cinquante  galles  »  au  flun 
dou  Nil  entre  nostre  ost  et  Damiete,  et  les  avoit  moult  bien 
garnies  de  Turs  fors  et  hardis  et  bien  armés.  Cil  entretenoicnt 
si  bien  nos  gens,  que  nus  ne  povoit  aler  ne  venir  par  nostre  ost. 
Ces  cinquante  galles  qui  estoient  ou  flun  prisent  ^°  assés  de  nos 
vaissiaus  qui  portoient  viande  de  Damiete  à  nostre  ost.  Entre 
ces  autres  domages,  il  en  firent  deus  trop  grans  à  la  crestienté, 
car  nostre  gent  qui  estoient  à  Damiete  envolèrent  pat  deus  fois 
deus  caravanes  de  nés  ",  où  il  avoit  bien  cent  cinquante  vaissiaus 
et  plus,  qui  portoient  pain  et  vin,  farine,  char  salée  et  autre 
chose  qui  mestier  avoit^*  à  nostre  ost,  et  qui  bien  estoient  gar- 
nies de  maronniers  et  de  gent  armée.  Quant  il  s'en  aloieutcon- 
tremont*  le  flun,  les  galles  les  assaillirent  et  les  desconfîrent. 
Assés  en  occisent ,  les  autres  prisent ,  et  les  nés  et  quanque  il 
avoit  >^  dedens  les  nés  détindrent;  les  viandes  envolèrent  en 


*  CooTerto  d«  taches  blanches.  — 
*  Buferg  :  malades,  inilrmi,  —  »  De 
même.  —  *  Tous  les  vivres  man  - 
qnaient.  —  *  ^DeUenJ  —  «  S'enba- 
toient  :  se  jetaient  —  ?  Dessemons  : 


•ans  invitation.  —  *  Fiandê  :  vivres. 
—  »  Galies  :  galères.  —  »•  Prisent  : 
prirent.  —  >>  J^és  :  ne  fil,  navires.  — 
•<  Était  utile.  —  »  Et  toat  ce  qu'il 
y  avait. 


La  nouvelle  Collection  des  mémoires  porte  outremonU 


DE  JEAN  PIERRE  SARRASIN. 


28  r 


Tost  des  Sarrasins,  qui  moult  en  fu  remplis.  En.  tele  manière 
prisent-il  les  deux  carvanes  l'une  après  Tautre.  li  ost  de  la 
crestientéenfu  apovrie,  et  li  ost  des  Turcs  en  fu  enrichis.  Quant 
li  roys  et  li  crestien  sorent  ces  grans  meschéances',  qui  chas- 
cun  jour  leur  croissofent  de  toutes  pars,  moult  furent  esbahis; 
il  disoient  apertement  que  il  estoient  tout  perdu.  Cilmeismequl 
haitié  estoient  et  qui  aidier  se  pooient,  avoient  prise  la  besoî- 
gne  contre  cuer,  que  nul  ne  faisoit  son  pooir  de  la  besoigne 
faire.  Il  disoient  que  tout  le  meilleur  de  nostre  ost  estoient  perdu 
avecques  le  conte  d'Artois.  Encore  disoient-il  que  li  saudoier 
ne  poToient  estre  paie  de  choses  que  U  roys  leur  deust.  Encore 
disoient-il  que  assés  de  crestiens  s'en  estoient  aie  en  Fost  des 
Sarrasins  par  défaute  de  viande',  et  que  c'estoient  cil  qui  plus 
de  mal  faisoient  à  nos  gens.  Par  ces  choses  que  nous  avons  de*- 
vaut  dites  estoient  moultaflobiés^  et  amenuisiés  liost  des  cres- 
tiens; presque  chascun  jour  il  avoient  assaus  ou  paletéis  4  ou 
petit  ou'grant  à  nos  lices.  Le  jour  du  jeudi  d'absols^ ,  le  ven- 
dredi de  crois  aourée^,  le  samedi  dePasques  et  le  diemence  de 
la  grant  Pasque ,  firent  li  Sarrasins  aussi  grans  assaus  à  nos 
lices  et  ausi  longuement,  et  vindrent  en  autel?  conroi'  que 
nous  avons  dit  devant  que  il  firent  le  vendredi  après  les  Gen- 
dres. Li  roys  se  douta  moult  que  li  Sarrasins  ne  Tassausissent 
aucun  jour  si  durement,  que  il  les  preissent  par  force  et  les 
meissent  tous  h  Tespée.  Nos  gens  meismes ,  qui  avecques  lut 
estoient ,  disoient*  assés  tout  apertement  que  celé  besoigne  ne 
lor  plaisoit  mais** ,  car  bien  lor  sambloit  que  Diex  ne  le  voloit 
mie;  et  que  s'il  avoient  pooir  de  départir  d'ilec  9,  il  s'en  r'iroient 

adorée.  —  '  Jutel  :  tel,  pareil.  — 
0  Conroi  :  équipage.  La  première 
édition  porte  convoi.  —  ^  Et  que  s'ils 
avaient  pouvoir  de  partir  de  là. 


'  Mefehéances  :  malheurs.  —  >  Par 
manque  de  nourriture.  ~-  3  AJlohiés  : 
affaiblies.  —  *  Patetéis  :  escarmouche. 
—  5  Le  Jeudi  saint.   —  «  Aowrée  : 


*  Disoient  de  tels  y  avoit^  édit.  Micbaud  et  Poujoulat. 

**  La  même  édiUon  porte  mais' point: il  y  a.  toute  apparence  ((ue  le  se- 
cond mot  est  du  fait  d'un  copiste,  qui  aura  voulu  expliquer  le  premier, 
dont  le  véritable  sens  est  plus, 

2'u 


3^2 


LETTBR 


en  lor  pays,  que  jà  '  plus  eu  oele  terre  ne  demorroient.  Pour  tou- 
tes ces  desoonv^iances'  et  pourtoutes  les  autres  devant  dites, 
li  roys ,  par  le  conseil  de  ses  barons ,  envoia  au  soudan  ses 
messages  pour  requerre  trives^.  Li  soudans  et  li  Sarrasin  qui 
avec  lui  estoient,  firent  semblant  que  il  renvoieroient  volentiers 
la  parole  ;  mais  il  n'en  avoient  corage  ne  volonté  d'en  donner  » 
si  comme  4  il  apparut  après.  Toutesvoies^  distli  soudans  qu'il 
voudroit  conseiller  et  que  il  revenissent  à  un  jour  que  on  leur 
nomma.  Après  les  fist  aler  et  venir  par  trois  fois  ou  par  quatre  ; 
adès  prenoit  jour  de  lui  eonseillier.  Tant  que  on  parla  des 
trives ,  laissièrent  li  Satrasins  auques^  en  pais  nostre  gent. 
Au  derrain  jour  que  nostre  message  furent  revenu  au  Soudan 
por  oïr  son  conseil  des  trives,  li  soudans  leur  respondit  en  tele 
manière  :  «  Saoe  bien  vostre  roys  et  tout  li  crestien  qui  avec- 
ques  lui  sont,  que  je  ne  leur  donrai  nules  trives.  Je  san  miex 
lor  couvine  7  et  leur  pooir  que  il  ne  cuident  ;  il  sont  tout  mis  eu 
ma  volenté.  Je  ferai  d'euls  quanque^  me  plaira,  soit  de  mori 
ou  de  vie.  R'alés-vous-en  et  leur  dites  que  il  facent  dou  miex 
que  il  pueent9<  »  Quant  nostre  message  furent  revenu  et  il 
orent  dit  au  roy  et  aus  barons  ce  que  li  soudans  leur  avoit  res- 
pondu,  tout  furent  esbahi  i  car  là-endroit  ne  povoient-il  plus  de« 
morer.  Tout  s'accordèrent  à  ce  qu'on  s'en  r'alast  versDamiete, 
se  Nostre-Sires  le  vouloit  soufrir. 


Comment  li  roys  et  li  crestien  s'en  retournèrent  pour  venir 
à  Damiete,  et  furent  tous  pris  entre  noies. 

Aucuns  barons  vindrent  au  roy  et  li  dirent  privéement  et  con- 
seillièrent  que  il  montast  sur  le  meillor  cheval  que  il  porroit 
onques  trouver,  et  que  il  s'en  alast,  au  férir  *<"  des  espérons,  par 
terre.  Li  autre  disoient  qu'il  entrast  en  ime  galie  bien  armée  et 


•  Car  jamais.  —  '  Desconvenanees  : 
diMentitaents.  —  «  Trives  :  trèvea.  — 

*  Si  eo^tthe  :  ainsi    que,    sicut.   — 

*  Touiesvoies  :   toutefois.  —   e  fu- 


gues :  uQ  peu,  aliquid,  —  ''  Couvine  : 
état,  dessein.  —  "  Çuanque  :  tout  ce 
que  »  qiiùntum  ^fuod  :  —  *  Pueent  : 
peuvent.  —  ">  Férir  :  Arapper. 


DE  JEAN  PIEBBE  SÀBRASIN. 


283 


que  il  s'en  âlast  à  force  contrevai  le  flunpour  venir  en  sauveté 
à  Damiete,  se  il  povoit  eschaper  ;  car  li  reoienans  ■  estoU  tous 
perdus.  U  autre  disoient  que  il  emmenast  ses  frères  avecques 
lui  ;  mais  h  roys  et  si  frère  ii  tranchièrent  tantost  la  pa- 
role et  distrent  que  ce  ne  ferdent-il  en  nule  manière ,  ains 
demorroîettt  avecques  eux ,  fust  à  mort  ou  fust  à  vie.  Moult 
loèrent  auroy  que  au  moins  il  s'en  alast;  mais  U  roys  ne  pot  on- 
qnes  estre  mené  à  ce  que  il  le  voulust  faire.  Quant  il  creirent  que 
li  roys  ne  s'en  iroil  pas,  si  commendèrent  à  deviser  comment 
il  s'enretoumeroient.  Il  atirèrent»  queon  metroit  tous  les  ma- 
lades et  tous  les  IloibleB  au  flun  dedens  les  nés,  et  que  on  y  me- 
troit maronnîers  et  nageurs^  et  gens  à  armes,  qui  les  eondui- 
roieiitoontreval  jusqu'à  Damiete,  siDiex  Tavoit  pourvue.  Atiré 
fu  que  il  lairroi^t  4  grant  partie  de  lor  tentes  et  de  lor  pàvQÎllon , 
en  lor  lices  entr'euls,  pour  ce  que  li  Sarrasin  ne  se  percevroient 
mie  si  tost  de  leur  retour.  Devisé  fu  que  il  se  départiroient  par 
nuit,  pour  ce  que  il  se  délogeaissent  avant  et  peussent  le  flun 
de  Thanis  repasser  arrière  avant  que  li  Sarrasin  s'en  preissent 
garde.  Bioi  fii  dit  que  tout  s'en  iroient  ensemble  et  à  pié  et  ii 
cheval ,  et  par  iaue  et  par  terre,  tout  serré  li  uns  encontre  Tau- 
tre.  Quant  il  orent  ainsi  devisé  leur  choses,  comme  dl  qui 
avoient  plus  affaire  plus  que  euls-metsmes  ne  cuidoîent  par 
estovoir^  et  par  nécessité  si  grant  que  à  paine  le  porroit 
nus  raconter  ne  croire  que  il  ne  povoient  eschiver^  en  nule 
manière  du  monde,  li  roys  et  nostre  gent  repassèrent  le  flun 
arrière  et  se  misent  au  retour  vers  Damiete,  ainsi  comme  il 
avoient  devant  dit  et  devisé.  Quant  li  Turc  s'enaperçurent ,  is- 
nelement  ?  passèrent  le  flun  de  Thanis  après  euls.  Quant  il  orent 
passé  le  flun,  grant  aleiu*e  coururent  au  férir  des  espérons 
après  nostre  gent.  Il  commendèrent  à  huer  et  sifler  et  sonner 
tymbres  et  t2d>urs  ^ ,  cors  et  buisines,  et  moult  faisoient  grant 


*  /{«meiionf  :  reiUnt.  —  ^  AHrè- 
Tint  :  dispofèreat.  —  3  Mariniers  et 
bateliers. -^^  Lairroieni :  laiaseraient. 


—  '  Sttowdr .  besoin*  —  ^  Eschicer  : 
esquiver.  —  '  Isnelement  :  prompte- 
ment.  —  '  Taburs  :  tambours. 


284 


LETTRE 


noise  après  eus.  Quant  il  les  orent  aconsuis  ',  il  les  aTironèrent 
de  toutes  pars  au  devant,  et  misent  granscontesde  toutes  pars 
pour  destouma:  ceuls  qui  s'en  aloient.  Les  cinquante  galies 
qui  estoient  au  flun  vindrent  grant  aléure  encontre  ceuls  qui 
s'en  aloient  par  iaue.  Li  nostre,  qui  bien  cuidoient  morir, 
illeques*  prirent  cuer  et  hardement  en  eus-meismes  \  à  ce  ten- 
doient,  sans  plus,  que  il  vendissent  bien  leur  noort.  Toutes  les 
heures  que  li  Turc  s'aproçoient  si  d'euls  que.il  povoi^t  venir, 
vigoureusement  leur  couroient  sus,  si  ^  que  parmi  euls  faisoi^t 
bonne  voie  et  large,  et  toutesvoies^  passoi^t  outre.  li  roys 
avoit  commandé  que  on  ne  laissast  mie  les  navrés  ne  les  ble- 
ciés  es  assaus  que  li  Turc  leur  feroient,  mais  tantost  les  meist- 
on  es  nés  ou  sus  les  autres  voitures  de  Fost.  Li  Turc  les  aloient 
.gaitaot  en  toutes  les  manières  que  il  les  porroient  grever.  Chas- 
cun  jour  apetissoit  li  nombres  des  nostres,  et  li  nombres  des 
Turc  croissoient.  Sagetes  plouvoient  ausi  sus  nos  gens  que  leur 
escu  et  leur  targes  et  leur  arçons  de  selles  de  ceuls  qui  estoient 
à  cheval,  et  leur  autres  armes  en  estoient  toutes  couvertes. 
Tant  y  avoit  mésaises^  et  desconvenues  que  li  Sarrasin  meis« 
mes  s'esmerveilloient  tout.  Li  roys  les  confortoit  et  amonestoit 
de  bien  faire,  si  que  il  estoient  plusencouragiésde  deffendre.  A 
cel  mescbief  ^  s'en  alèrent  tant  que  il  vindrent  près  de  Damiete 
à  cinc  lieues.  Quant  il  vindrent  là  endroit,  li  soudans  s'aperçut 
que  il  aproçoientia  cité.  Si  ot  moult  grant  doutance  que  li  nos- 
tre  ne  li  eschapaisent.  Il  avoit  mandé  par  toutes  les  bonnes 
villes  qui  estoient  entor  laMassore,  quant  li  nostre  s'en  dépar- 
tirent,  que  tout  venissent  à  lui  à  pié  et  à  cheval ,  en  tel  manière 
que  li  desloial  chien  qui  s'en  aloient  ne  li  peussent  eschapper. 
Cil  estoient  apleus  de  toutes  pars  ?.  Li  soudans  parla  à  ceuls  et 
à  tous  les  autres  qui  estoient  en  son  osten  tel  manière  :  «  Moult 
est  grans  hontes  et  grans  viletés'  à  si  grant  plenté  de  haus  ho- 


■  Jctmauit  :  atteints.  —  >  Ille- 
ques  :  là.  —  »  51  :  de  sorte.  —*  Tou- 
tesvoiê»  :  toatefoU.  —  &  Mésaises  ; 
■oafTrances.  —  *  Meschiêf  :  malheur. 


—  '  Ceux-ci  avaient  plu  de  toutes 
parts.  Le  traducteur  de  la  nouvelle 
CoHectiondes  Mémoires  n'a  pas  reoda 
cette  phrase.  —  *  yUeiés  :  vilenie. 


DE  JEAN  P1EBRE  SARBASIN.  286 

mes ,  de  riches  et  de  puissans  et  de  boins  chevaliers ,  fors  et 
hardis  et  bieo  esprouvés  *  en  maintes  guerres,  et  de  Sarrasins 
bien  combatans  comme  il  a  en  nostre  ost,  que  moult  de 
gens  aferment  certainement  que  nous  avons  illeques  toute  la 
(leur  et  tout  le  povoir  de  tous  les  prudhoinmes  de  toutes  les 
terres  qui  sont  obéissans  à  la  loi  Mahommet,  et  occis  les  pères 
et  les  mères,  et  après  les  enfans ,  et  autel  feroient*il  moult  vo- 
lentiersdenous,  se  il  en  povoient  venir  au  deseure',  comme 
chiens  meseréant  et  desloyal  ;  et^bien  dient  *  que  Mahommès 
ne  sa  loi  ne  vaut  rien ,  et  n*en  font  que  sifler  non  3.  Se  il  puebt 
tant  faire  que  il  viegnent  à  Damiete,  nous  n'aurons  pooir  à 
euls;  car  la  cité  est  leur,  et  grant  plenté  de  leur  gent  dedens. 
Grans  périls  et  grant  domage  sera  à  tous  ceux  et  à  la  loi  Ma- 
homet ,  se  il  nous  eschapent.  »  Ces  choses  et  autres  il  leur  di- 
soit,  et  chcvauchoit  par  les  grans  routes  4  des  Sarrasins  et  les 
ammonesloit  de  bien  faire.  Tous  disoient  et  crioient  que  li 
soudans  disoit  voir  ^  ;  autel  ^  meismes  disoit  li  soudans  à  ceus 
qui  estoient  dedens  les  cinquante  galles?.  Il  Ûst  issir  ^  de  la 
galie  tous  les  navrés  9  et  tous  les  bleciés  et  ceus  qui  ne  se 
pooient  mie  aldier,  et  en  lieu  de  ceuls  metoit  aucuns  tous  frès 
et  tout  nouviaux;  es  galies,  où  il  li  sembloit  que  il  eust  peu 
de  gens  à  armer**,  en  metoit  asés  et  à  grant  plenté,  car  il  le 
savoit  ***  bien  où  prendre.  Tousli  pays  estoit  couvers  de  Turs, 
et  encore  aplouvoien^il'<' de  toutes  pars.  Cil  qui  là  furent  en  ce» 
choses  virent  et  afremèrent  certainement  que  li  soudans  avoit 
bien  en  soii  ost  qui  là  estoit ,  trois  c^s  mile  Turs  à  armes. 
Adonques  fu  celé  besoîngne  recommende  tout  de  nouvel.  li 
Turc  se  mistrent  à  grans  routes  tout  entour  nostre  gent.  Adon« 
ques  trouvèrent-il  les  nos  à  moult  grant  meschief ,  car  il  es- 

'  A  bout.  —  »  Dient  :  diaent.  —  i  reiUe  cboae,  —  '  Galies  :  galèrea.  — 
3  Qae  siffler.  —  *  Boutes  :  troupes.  »  Issir:  sortir.  —  »  Navrés  :  blessés.. 
—  »  roir  :  vrai.  —  «  Jutel  :  pa-  I   —  »»  Pleuvaieut-lls. 

*  La    ouvelle  Collection  des  Mémoires  porte  csperonnés. 
**  Arrivery  ibid. 
***  //  les  avoit,  ibid. 


386  LBTTBE 

toient  jà  tous  défaits.  Assés  y  avoit  de  ceus  qoi  ne  se  pooient 
mais  smistenir.  li  Turc  leur  coururent  sus  vigoureusement  de 
toutes  pars  ;  assés  y  en  ot  mors,  et  d'ooe  pact  et  d'antre.  Li 
ttostre  ne  porent  mio  loD^eueffit  souffrir  ede  grant  plenté  de 
SarrasûiSt  qui  desdiarçoieiit'  sur  euls  les  unes  routes'  après 
les  autres.  Li  Turc  les  commeneièrent  à  occire  et  à  décoiiper, 
si  <iue  te  terre  estoit  toute  oouTerte  de  gens  occis  et  de  sanc 
espandtt.  Toute  leur  volentéfiaisoicait  li  Tdrc  des  crestiens.  Le 
plus  eu  ocdrent ,  les  autres  prisent  et  loièr^t  et  traînèrent  en 
prison.  Là  fa  pris  ti  roys  et  si  doî  frère^  li  quens  '  de  Poitiers  et 
li  quens  d'Anjou ,  H  queos  de  Flandres  et  li  quens  de  Bretaigne, 
li  quens  de  Soîssons  et  assés  autrœ  haut  homme ,  chevalier  et 
seijant  que  nous  ne  savons  mie  nommer.  Assès  y  ot  de  cres* 
tiens  qui  s'^fuirent  jusques  vers  nostre  navie^,  pour  ce  que  il 
cuidoîent  là  eschaper;  mais  la  navie  s'^  estoit  jà  alée.  Quant 
i  vindrent  là ,  il  se  fériroit  ou  (bm  ^  et  furent  tous  noie.  Ainsi 
fu  toute  perdue  nostre  gent  qui  s'en  retournèrent;  aucunes 
gens  disent  qu'il  n*en  esehapa  nesuns^  tout  seuls  de  ceuls  qui 
furent  à  cele  derraine  bataille  qui  fu  par  terre.  Pris  aussi  ma- 
lement  furcoit  mesme  nostre  gent  malade  et  li  auftre  qui  es- 
toient  es  nés  7,  qui  s'en  retournèrent  par  le  flun  du  Nil.  Li  Sar- 
rasin qui  estoient  es  galies  leur  coururent  sus ,  et  tous  ceus  *  à 
eu!  il  pooient  avenir  occioient  et  noioient  et  pechoient^  les  nés 
et  faisoimt  plungier  ou  ftun.  Il  faisoient  leur  galies  lancier  par 
force  d'avirons  aval  le  flun  après  nos  vaissiaus  qui  s'enfuioient , 
et  getoient  feu  grijois  dedens.  En  tele  manière  ardoient  ou  flun  9 
les  nés  et  les  maies  et  les  autres  crestiens  qui  dedens  estoient. 
En  tel  manière  refurent  tout  perdu  nos  gens  qui  s*en  retour- 
noient par  le  flun.  Aucuns  de  nos  vaissiaus  en  eschapèrent; 
mais  ce  firent  merveilles  petit,  au  regard  >f  de  ceux  qui  furent 


»  D99charç»iewt  ?  —  »  Btmtes  :  batail- 
lon*. —  s  Çnens  :  comte.  —  *  Navie  : 
flotte.  —  4  lis  s'élancèrent  dans  le 
flcQTe.  —  «  Nesuns  :  nol.  —  '  Nés  : 


nefk,  naTfarefl.  —  '  Peekoient  :  met- 
taient en  pièces.  —  ^  Brûlaient  au 
flesTe.  — •  '<>  Mais  ce  fut  bien  pea ,  en 
comparaison. 


L'édition  de  SUf .  Michaud  et  Poujoulat  porte  en  tous  wns. 


DB  JEAN   PIEB&B  SABBASIN.  2S7 

perdu.  Li  Jégas  de  l*église  de  Eonune,  maistre  Oedes  de  ChasteU 
Raoul  et  li  patriardies  de  Jbérusalem  et  li  autre  évesque  et 
prélat  qui  estoient  avee  le  roy ,  quand  il  virent  celé  graut 
collusion  de  la  crestiènlé ,  entrèrent  es  nés  par  le  congié  le 
roy.  Li  lé^s  et  li  patriarebes  et  aucun  autre  eschapèreni.  Li 
évesqae  de  Lengres  et  assés  d'aulre»  furent  occis  dedens  leur 
nés.  li  évesqoes  de  Soissons  ne  voult  me  le  roy  laissier  ;  mais 
encore  ne  «et-on  certainement  se  il  fu  o.u  mors  ou  pris.  Au- 
cunes gens  affennèrent  pour  ?oir  que  il  se  féri  *  ou  flun  ou  fu 
Boié  avec  les  autres.  Entele  manière  ftieent  tous  perdus  do- 
lereusemeat  li  crestien  qui  là  estoient  assamblé  contre  les 
anemis  de  nostre  f oy ,  et  par  yaue  et  par  terre  «n  diverses  ma- 
nières. Li  aesciéMit  gaaignèrent  leur  tentes ,  paveillons ,  che- 
vaos,  armeoses,  vaisselemente**,  robes,  calipses  aurés*,  or, 
argent ,  deniers  et  toutes  leur  antres  cboses,  nés  le  seel  le  roy  ^ . 
Biout  ea  furent  enriobi  li  anemi  de  la  cresti^té,  et  tout  nostre 
crestien  qui  demouré  estoient,  apovrié.  Quant  ces  cboses fu- 
rent ainsi  doleraùsement  avenues  à  la  crestienté,  li  soudans  fist 
prendre  le  roy  et  «ois  ses  autres  prisons  <.  Les  uns  envoia  au 
Chaaire ,  les  autres  ea  Babiioine  et  les  bonnes  villes  d'Egypte , 
et  m^re  en  prison.  Tant  en  avait  par  les  Chartres^  du  pays, 
que  eles  en  estoi^it  tourtes  plaines. 

De  la  forme  des  [trénes]  que  H  roy  s  et  li  êeudans  firent  en- 
sangle  ;  comment  H  Sarrasins  ocâretU  leur  seigneur. 

Un  peu  de  temps  après  ce  que  li  roys  fu  pris,  li  soudans  en- 
vola à  li  des  messages  qui  li  disent  moût  cruelement  et  moût  as- 
prement  et  par  grans  menaces ,  que  il  feist  au  soudau  rendre 

'  Il  s'élança.  —  '  Calice*  dorés.  1  soffs :  prisonaiers.  —  *  Otarirvs  :  foi^ 
—  3  Même  le  aoeaa  du  roi.  —  *  Pri-   I  sons,  carceres. 

*  Les  mêmes  éditeurs  trouvant  ce  mot  coupé  en  deux,  l'ont  rendu  iiar 
vaisselle,  manies,  alors  qu'il  n'a  qu'une  signification ,  ia  première,  i'ius 
loin,  calipses  aures   ent  traduit  par  livres. 


288 


LETTBE 


[Damiete]  tout  entierre  et  toute  sainne,  ausi  garnie  de  toute  chose 
et  plentiveuse  '  de  tous  biens  eon  ele  estoit  au  jourque  li  cres- 
tien  y  entrèrent  premièrement,  et  que  li  roys  li  feist  rendre  tous 
ses  despens  et  tous  ses  cous  que  il  et  ses  pères  *  avoient  mis  en 
la  guarre  puis^  que  li  crestien  estoient  arrivés  en  Egypte.  En- 
core requeroient-il  au  roy  que  il  leur  feist  rendre  tous  les  Sar- 
rasins que  y  crestien  tenoient,  vies  4  et  nouviaij»,  à  Ifemiete 
et  ou  royatune  de  Jhérusalem  et  en  dietivoisons  ^,  et  tous  les 
damages  que  il  ne  ses  pères  avoient  eus  en  la  guerre  que  li  roys 
leur  avoit  esmue.  Après  moult  de  paroles  et  moult  dèconsaus^\ 
trives  furent  devisées  et  faites  entre  le  roy  et  le  Soudan  entel  ma- 
nière et  en  tel  fourme  :  c*est  à  savoir  que  li  sondans  estoit  tenu  à 
délivrer  tous  les  chaitis^  crestlens  qui  estoient  par  toute  saierre 
et  -par  toutes  les  forterescesde  tours  qui  obéissoient  à  lui ,  qui 
avoient  estépris de  celé  «ure  que  li  roys  arriva  en  Egypte ,  et 
tous  les  autres,  de  quelconques  parties  il  fussent  ne  dès  le  ^s 
et  le  jour  que  li  trives  furent  faites  entre  Kikamel,  son  aiol,  et 
l'empereur  de  Romme  Fredric ,  en  quelconques  tepres  il  eus- 
s^t  estépris,  quelque  il  fussent,  povre  ou  riche,  haut  ou 
bas,  le  roy  tout  avant  et  ses  frères  et  tous  les  barons  et  tous 
les  autres  ou  el,  et  les  iaisseroient  aler  quelque  part  qu  il  vou- 
droient.  Ausi  por  celé  trive  méismes  rendroient  li  crestien 
toutes  les  terres  qu'il  tenoient  ou  royaume  de  Jhérusalem,  au 
jour  que  li  roys  arriva  en  Jhérusalem,  toutes  en  pais  et  toutes 
quites  sans  nul  ^vement,  c'est  à  savoir  cités,  chastiaus,  forte- 
resces,  viles,  casiaus  ^  et  toutes  leur  appartenances.  Toutes  ces 
choses  que  li  roys  et  li  autre  ccestien  tout  avoient  dedans  Da- 
miete ,  il  les  emporteroient  et  feroient  leur  volenté.  Toutes  ces 
choses  que  li  crestien  vouroient  lessier  devant  Damiete ,  et  11 
roys  et  tout  li  autre,  seroient  toutes  sauves,  et  en  la  garde  et  en 
la  défense  du  Soudan ,  et  les  porroient  porter  quelque  part  qu'il 


'  Plentiveuse  :  plantarease,  abon- 
dante. —  a  Lui  .et  floa  père.  — 
3  Puis  :  depuis.  —  <  nés  :  vieui.  — 


*  CheHvoisons  :  captivité.  —  "  Con- 
saus  :  conseils.  —'  ^  Chaitis  :  raptifi. 
—  ^    Casiaiu  :   villages. 


DE  JEAN  PIEfiBE  SABBASIff.  280 

vouroient ,  toutes  les  heures  que  il  leur  {dairoit ,  fust  par  terre, 
fust  par  yaue. 

Tout  li  crestien  qui  demouroient  dedans  Damiete ,  ou  pour 
maladie  ou  pour  leur  choses  vendre,  ou  pour  atendre  nés  '  ou 
autres  voitures,  demourroient  tout  seurement  et  tout  sauvement, 
ou  fust  par  mer  ou  fust  par  terre.  A  tous  ceus  et  à  toutes  ce|es 
qui  par  terre  s'en  voudroient  aler,  li  soudans  estoit  tenu  à  eus 
livrer  sauf-conduit  et  seur  jusques  as  terres  des  cresticns. 
Toutes  ces  choses  devoit  li  soudans  tenir  et  faire  tenir  sans  cm- 
peschement  et  sans  contredit,  et  estoit  tenu  à  toutes  ces  choses 
délivrer. 

Li  roys  estoit  tenu  à  rendre  et  à  délivrer  la  cité  de  Damiete, 
et  par  huit  fois  cens  mille  besans  sarrasinois  de  sa  délivrance, 
et  toutes  les  autres  choses  qui  sont  devant  nommées ,  et  pour 
les  cous  et  les  despens  et  les  damages  que  li  soudans  et  ses  *  pè- 
res et  tous  li  autres  avoient  fais  en  la  guerre.  Encore  li  roys 
estoit  tenus  à  délivrer  tous  les  Sarrasins  qui  estoient  en  cheti- 
voisons  et  avoient  esté  pria  ou  royaume  de  Jhérusalem  dès  le 
temps  que  la  triveiu  prise  entre  Kikamçl,  Taiol  le  isoudan,  et 
Tempereur  de  Romme  Fedric,  et  tous  ceuls  qui  avoient  esté 
pris  en  Egypte ,  dès  le  temps  que  li  roys  arriva  au  port  de  Da- 
miete. Ces  trives  en  tel  fourme  que  nous  les  avons  devisées, 
jura  li  soudans  à  tenir  seur  la  loi  Mahomniet,  à  sa  manière  et  à 
sa  guise.  Li  roys  les  jura  ainsi  à  tenir  et  à  délivrer  en  tele  ma- 
nière comme  il  firent.  Liioys  paya  au  Soudan  sa  raenf^on, 
c^est-à-dire  quatre  fois  cens  mille  besans.  Qusmt  ces  trives  ta- . 
rent  ainsi  coufermées  et  d'une  part  et  d'autre ,  li  soudans  s'en 
vint  à  tout  son  ost ,  et  amena  le  roy  et  ses  frères  et  les  barons 
avec  li  vers  Damiete  tout  droit,  pour  toutes  ces  choses  délivrer 
ainsi  comme  eles  estoient  devisées. 

Ainsi  coDome  il  estoit  un  jour  logiés  auques^  près  de  Da- 
miete  il  avint  une  matinée  que  il  fu  levés  du  mangier,  là  fu- 

•  Nés  ;  nefs,  vaisseaux.  —  '  Ses  :  son.  l    —    Juques  :  un  peu. 

HIST.  DE  SÀIMT  LOmS.  25 


290 


LETTBE 


rent  aucun  chevalier  sarrasin  qui  M  coururent  sus  par  le 
conseil  et  par  l'acort  de  la  plus  grande  partie  de  l'ost  ai»  Sar- 
rasins; mais  nous  ne  savons  mie  certamement  pourquoi  oe  fu. 
Aucunes  gens  éient  que  oe  fii  pour  la  reançon  l^  roy  que  ii 
voloient  avoir.  Quant  li  soudans  vit  que  il  li  couroient  ainsi 
sus  et  jà  Tavoient  navré  félonnessement  ' ,  il  issi  '  hors  de  ses 
tentes  et  s'enâii.  Ol  coururent  après  grant  aleure  et  par  devant 
presque  tous  les  amiraus  de  Fost,  et  moult  grsmt  plenté  de 
Sarrasins  qui  là  estoient  lefé*ir^t  d'espéeet  abatirent  et  erue- 
lement  Teccirent  et  dépiecèrent  tout  par  pièces.  Tantost  que  ce 
fîi  fait  en  celé  grant  ire^  grant  mautalent  '  et  grant  forcenerie^, 
moult  grant  plenté  de  Sarrasins  s'en  adèrent  tous  aimés  en 
la  lente  le  roy,  ainsi  comme  s'il  vausiasent^  lui  et  les  autres 
crevions  qm  là  estoient  occire  et  détrenchier,  ainsi  coamie  il 
aroient  fait  le  soudanc,  leur  seignew.  Assés  avoit  de  gens  là  en- 
droit <^i  ce  cuidoient  certainement;  mais  tantost  comme  il 
vinrent  devant  le  roy,  ne  li  ftrent  onques  semUant  de  mal  faire, 
mais  tantost  le  requistrent  et  parlèrent  de  trives  que  li  sou* 
dans  avoit  faites  au  roy,  et  que  il  leor  délivras!  la  dté  de 
Damiete  isneiement  ^. 

Comment  les  trives  meismes  du  roi/ furent  refaites  à  i  cent 

et  vlnt^quatre  amiraus  ^. 

Quant  il  orent  assés  parlé  de  ces  choses  au  roy ,  et  li  roys 
ou  d,  et  il  erent  moult  de  fois  juré  et  affermé 9  par  grans 
paroles  et  par  ^aps  ocoi^uremens  qne  ii  teimâiwét  au  roy  tdes 
trives  et  teles  coutenances  *®  que  li  soudaas  avoit  fait  à  lui,  en 
la  fin  li  roys  et  ii  crestien  qui  avec  loi  estoient  s- aecocdèreot  en 
tel  fourme  :  tout  li  amiraut  qui  épient  en  Toat  daa  Sarrasins, 
c'est  à  savoir  cent  vint-quatre,  jurèreid;  sur  k  loi  Mahonunet 
queiltiendroient  nu  roy  et  à  àa  crastienté  les  trives  et  toutes  les 

'  Félonnessement  :  cruellement.  —  'menf  :  promptement.  —  ">  J  :   arec. 

«  Issi  s  sortit.  —  3  Mautalent  ;  fti-  —  «  Jmiraus  ;  émirs.  —  »  J/fermé  : 

reur.  —  *  Korcenerie  :  égarement.  —  affirmé.  —  »•  Convenances  :  contcn- 

*  Cousissent  .•  vonluMent.  —  «  isnele-  tions. 


DB  JEAN  P1£RB£  SABRASIN.    ,  291 

eouvenanees  teles  que  nous  ks  avooa  devant  devisées.  Autel  ' 
serment  leur  âst  U  Foys  eOmmetl  avoit  £ait  au  soudan.  Ëq  eele 
Irive  derniàFe  fàreiit  niommé  li  jour  eeitain  ^e  Damâete  seroit 
rezidae  aus  arakaus ,  et  tout  li  ehaitis  >  seroient  délivrés  d^une 
part  et  d'autre.  Au  jour  qui  fa  nommé ,  rendili  roys  ans  ami- 
raus  Damiete.  Quant  ee  fu  fait ,  li  amirant  dâivrèrent  le  roy  de 
la  prison  et  ses  deus  frères,  le  conte  de  Poitiers  et  le  conte 
d'Angiers.  Avecques  eeuls  furent  délivré  li  quens  de  Flandre , 
Pierres  Maucters,  qui  avoit  esté  quens  de  Bretaigne ,  H  qûens 
de  Soissons  et  autres  barons ,  et  autres  chevaliers  du  royaume 
deTrance ,  de  Jbérusalem ,  de  Tisle  de  Chypre  et  d'autre  pays. 
Quant  ces  choses  furent  ainsi  faites,  li  roys  et  li  autre  crestien 
qui  y  estoient  cuidoient  certainement  que  li  amiraut  gardassent 
fermement  et  loîaument  leur  sairemcnt  des  trives  et  des  cou* 
venances  que  il  avoient  eues  au  ^  roy.  li  roys  lessa  bons  mes* 
sages  ^  et  prudbomes  avec  les  amtraus  pour  les  prisonniers 
recevoir.  li  roys  fist  issir  de  Damiete  la  royne  sa  femme,  la 
contesse  de  Poitiers,  la  contesse  d'Angiers,  sereur  ^  la  royne, 
la  contesse  de  Poitiers,  le  duc  de  Bourgoigne  et  tous  les  autres 
chevaliers,  hommes  et  femmes,  qui  issir  s'en  voudrent^  à 
toutes  7  leur  choses  ;  mais  moult  petit  y  avoit  de  vaissiaus ,  par 
quoi  il  convint  moult  grant  pièce  demeurer  et  de  gens  et  de 
hamois,  le  roy  et  les  autres.  Quant  ces  choses  furent  ainsi 
faites,  li  roys  entra  en  sa  nef,  et  tout  U  autre  qui  vaissiaus  por^t 
avoir  ;  sise  départir^t  du  port  de  Damiete  et  se  mistreot  en  mer 
et  s'en  alèrent  droit  à  Acre.  Tout  ciA  de  la  cité  alèrent  enccHitre 
le  roy  à  grant  procession.  Li  clerc  estoient  revestu  sollempne- 
lement,  etportoient  philatères^  crois,  yaue  benoîte,  encensiers 
et  autres  choses  qui  apartenoient  à  saisîte  Eglise.  li  chevaliers, 
li  bourgois,  li  serjant,  les  dames,  les  pueeles  et  toutes  les  autres 
gais  estoient  plus  bêlement  vestu  et  atiré  9  que  il  pooient. 

»  Autel  :  pardi.  —  »  ChaiHs  :  cap-  i  drent  :  ▼oulareat.  —  '  À  toutes  : 
tffs.  ^»Au  .«aTeelc.  —  <  Messages  ;  I  avec.  -  «  PMlaières  :  rtliquaires.  — 
mesflagen.  —  *  Sœars   df.  —  «  Tok-   I   »  Jtiré  :  paré». 


292  ^  LETTRE 

Toutes  les  docbes  de  la  vile  sonoient  et  avoient  jà  sonné  toute 
jour  de  si  loing  que  il  porent  percevoir  de  premiers  en  la  mer. 
Moult  hoQBOurablement  alèrent  encontre  lui  jusqu«îs  au  port 
où  il  arriva;  tout  droit  renunenèrent,  lui  et  lés  autres,  en  la 
maistre  église  de  la  cité.  Assés  y  ot  ■  larmes  plourées  de  joie 
de  ce  que  li  roys  et  cil  qui  là  estoient  furent  délivré  ^  et  de  pitié 
de  la  grant  meschéanoe  *  qui  estoit  avenue  à  la  crestienté.  Après 
ce,  il  emmenèrent  le  roy  à  son  hostel.  Toiiit  li  grant  homme 
de  la  cité  li  firent  grans  présens  et  précieus,  selon  ce  que  dias- 
cuns  avoit  pooir. 

Comment  li  amiraut  brisèrent  les  trives  mcUement, 

Quant  li  roys  fii  venu  à  Acre,  il  renvoya  en  Egypte  grans 
messages  et  sollempneus,  et  assés  vaissiaus  pour  les  chaitis^ 
et  les  autres  qui  là  estoient  demeuré ,  et  pour  les  malades  et 
pour  les  hamois  et  les  autres  choses  qui  estoient  demouré  à 
Damiete.  Quant  li  message  le  roy  vindrent  à  Damiete,  li  ami- 
raut  s'en  estoient  jà  partis.  Il  les  suirent  4  et  les  trouvèrent  en 
Babiloine;  il  leur  requistr^t  que  il  leur  feîssent  délivrer  les 
chaitis  et  les  autres  choses  qui  estoient  le  roy  ^  et  les  autres 
crestiens,  selonc  la  fourme  de  la  trive  que  il  avoient  jurée.  Li 
amiraut  les  missent  ^  en  bonne  espérance  du  délivrer ,  et  les 
firent  séjourner  une  grant  pièc«  7  en  Babiloine.  Tout&jonr  se- 
monnoient  ^  li  serjant  le  roy  les  amiraus  moût  viguereusement 
que  il  délivraissentles  chaitis  et  les  autres  choses ,  et  gardassent 
leur  sairement  que  il  avoient  fais.  Quant  li  amiraut  les  orent 
fait  atendre  longuement ,  il  ne  leur  délivrèrent  de  tous  les 
chaitis  que  il  tenoient  en  prison ,  que  seulement  quatre  cens. 
Cil  estoient  gens  qui  aidier  ne  se  povoient;  viel  home  et  ma- 
lade et  foible  estoient  ;  de  ceulz  meismes  i  ot  assés  qui  furent  mis 
hors  des  prisons  par  raençon.  De  ces  quatre  cens  en  y  ot 

'  Il  y  e«t  beaacoap  de.  —  -  Mes-  \  Tirent.  —  *  .\a  roi.  —  «  MUsetU  :  roi- 
ehèanee  ;  nalKeir,  adversité.  —  I  rent.— '  Longtemps. —"  5emoni»oi£ii/ .' 
a   Chaitis  :  captifs.  —  <  Suirent  :  rai-  '   sommaient. 


DE  JEAN  PISBBE  SABRASIN.  293 

assés  mort  dedans  court  terme.  Douleureusement  et  desloiau- 
ment  brisèrent  li  desloial  amiraut  cestrives  que  il  avoient  jurées 
à  tenir  au  roy  et  à  la  crestienté.  11  ne  rendirent  que  quatre 
cens  prisons,  dont  il  y  avoit  bien  douze  mille.  Il  détindrent  < 
toutes  les  choses  le  roy  et  des  autres  crestiens  qui  demourè- 
ren^  à  Damiete.  Après  ce  que  li  roys  s'en  fu  partis ,  il  firent 
cherchi^  les  prisons  où  li  chaitis  estoient^  et  prisent  des  plus 
esleus  bacbelers ,  fors  et  délivres  %  que  il  y  trouvèrent ,  et  leur 
metoient  les  espées  toutes  nues  sus  les  testes  et  leur  faisoient 
par  diverses  painnes  et  angoisses  renoier  la  foi  crestienne ,  et 
leur  faisoient  réclamer  et  prier  et  croire  en  la  loi  Mahommct. 
Assés  y  en  ot  de  cens  qui  furent  très-fors  champion  de  nostre 
seigneur  Jhésu-Crist  et  fermement  enraciné  en  la  foi  cres- 
tienne. Ceuls  faisoient-il  ûoier  en  cest  siècle  ^  leur  vies  par  glo- 
rieus  mardre.  Ceuls  qui  estoient  demeuré  à  Damiete ,  qui  ne 
s'en  pooient  mie  estre  aie  avec  le  roy  par  défaute  4  de  navie ,  et 
les  autres  qui  estoient  demouré  en  la  cité  par  maladie  être- 
muernesepovoient,  il  les  occirent  trestous  et  firent  morir 
cruelement  en  diverses  manières  de  tourmens.  Aucunes  gens  di- 
sent que  il  prenoient  les  barrots  ^,  desqués  y  avoit  assés  en  la 
cité ,  et  envelopoiént  les  crestiens  dedens  et  lo[o]ient  ^  fort  de 
boins  loiens  et  y  boutoient  le  feu.  Ëntele  manière  les  ardoient 
cruelement  Encore  disoit-on  autre  chose ,  que  li  Sarrasin 
avoient  pris  les  barrots  de  la  terre  et  les  avoient  traîsnés  en  un 
lieu  hors  de  la  vile,  et  les  cors  des  crestiens  que  il  avoient  oc- 
ds,  et  les  autres  qui  encore  vivolent,  avoient  traisné  avec  et 
geté  tout  ensemble,  puis  y  avoient  bouté  le  feu  etars?  tout 
en  cendre.  Lors  prenoient  li  desloyal  les  crois  et  les  cru- 
dfis  que  il  avoient  trouvés  dedens  la  cité  de  Damiete,  et  les 
loioient  à  cordes  ;  puis  les  traisnoient  à  grans  siflois  et  par  grans 
risées  et  par  grans  eschamiss^Bens  ^,  puis  les  batoient,  après 


■  Détindrent  :  détinrent  —  -  Déli- 
vres :  lestes.  —  *  Sièele  :  monde.  -— 
*  Défaute  :  manque.  —  ^  Barrots  : 


tonneaux.  —  ^  Looient  :  liaient.  — 
">  Jrs  :  brûlés.  — >  *  Eschwnlssemens  . 
railleries. 

25. 


294  LBITBS 

les  détrenehoiefil  et  fouloient  vâeme&t  à  lar  pies.  CerUiine- 
meijt  disent  et  afermèr^if  moût  de  gens  que  se  li  roys  et  cil 
qui  adont  avecques  hii  s'en  estoient  aie ,  fussent  encore  un 
très-i)etitet  demouré,  que  il  ne  se  fussent  sîtost  mis  au  flun 
et  en  la  mer,  que  il  n'en  fost  jà  ■  nuls  esehafipës  que  il  ne  fus* 
sent  tous  mis  à  Tespée,  oeeis,  découpé  aveeques  les  autres. 

Quant  li  message  le  roy  *  sorent  comment  ces  choses  aloient 
cnielement  et  desloiaumenty  il  prisent  toutesvoies  ces  quatre 
cens  que  on  leur  aroit  baillés*  Assés  parlèrent  dés  autres 
choses  ;  mais  riens  ne  leur  valut.  Quant  il  Tirent  ce^  il  entrèrent 
en  leur  nés^  à  tout  les  prisons  4,  et  s'en  retoumèreiit  au  roy 
à  Acre.  Bien  disent  au  roy  et  as  erestiens  qui  là  estoient,  ces 
choses ,  ainsi  qu'eles  estoient  avenues  et  nous  les  avons  de- 
vant contées.  Li  tôys  et  t&iit  li  autre  en  furent  esbahi ,  si  que 
il  n'en  savoient  que  dire.  En  ce  point  que  li  message  le  roy 
revinrent  d'Egypte ,  qui  ces  nouvelles  apportèrent ,  faisoit  li 
roys  appareillier  et  garnir  sa  navie ,  car  il  s*en  béoit  ^  à  reve- 
nir en  Fraiice  au  passage  d'aoust,  qui  estoit  assés  près;  mais 
quant  il  oirent  que  li  amiraut  avcnent  les  trives  que  il  avoient 
jurées  et  créantées  seur  la  loi  Mahonunet,  enfreintes  et  brisies 
si  cnielement  et  si  dolereusement,  il  ne  se  volt  nue  partir 
d^Acre  sans  grant  conseil.  Il  manda  à  un  jour  tous  les  barons 
de  France  qui  là  estoient ,  et  le»  grans  hommes  du  pays  par 
devant  loi,  et  leur  demanda  conseil  sur  ces  choses  qui  avenues 
estoient.  Presque  touts'aeordèrent  aune  chose.  Ilrespondirent 
au  roy  que  pixsqne  li  amiraiit  avoient  les  trives  brisies,  que  se 
il  s'en  f0velioit  en  France ,  cpie  ce  ne  seront  autre  chose  fors 
tant  ^  ^ue  il  abandonneroit  la  terre  et  le  pays  et  les  erestiens 
qui  làestoic»t,  en  la  mainiet  eil  la  volenté  des  Sarrasins  ;  des 
chasiâs  qili  encore  estoient  en  prison  seroit  Tespérance  toute 
perdue  de  leur  d^ivranoe.  Toute  la  terre,  ce  disoient,  ^eroit 
perdue ,  et  tout  cil  qui  en  prison  estoient  et  tout  li  autre ,  se  il 

'  Jà  .*  janittls.  -—  3  Qnant  lea  messa-   1  —  *  Avec  les  priaonoie».  —  ^  Car  il 
ger»  du  roi.  —  3  jv&  ;  nefg,  navires.   I   aspirait.  —  «  Si  ce  ii'e«t. 


DE  JEAN  F1£AB£  SABBASIN.  29& 

s'en  aloient  eu  tel  point.  Tout  li  grant  homme  et  presque  tout 
H  meilleur  estoîent  mort  eu  la  terre  d'Egypte ,  par  quoi  U 
crestien  estoient  en  estât  si  foible  et  si  dolereus ,  que  cil  qui 
demouré  estoient  n'avoient  pouvoir  de  la  terre  tenir  ne  def- 
fendre ,  aîns  convendrort  que  cil  qui  demourroient  fussent  tout 
ou  mort  ou  pris,  ou  la  terre  perdue.  Encore  disoient-il  que  se 
U  roys  demouroit ,  li  chetis  porroient  encore  bien  estre  déli- 
vrés ,  et  les  cités  et  les  chastiaus^  et  les  viles  retenues,  et  U 
crestien  sauvés ,  et  assés  de  biens  porroient  venir  à  la  cres- 
tienté.  Li  autre  disoient ,  mais  petit  en  y  avoit^  que  il  ne  seroit 
mie  bon  que  li  roys  demeurast  plus  en  la  terre  d'outre-mer  ; 
car  il  demourroit  en  grant  péril  d'estre  perdus,  ne  pair  leur  con- 
seil n'i  demourroit-il  plus.  Li  roys  entendit  bien  que  se  il  les- 
soit  la  terre  d'outre^mer  en  tel  estât,  que  il  seroit  avisé  de  toute 
la  terre  perdrer.  Il  respondi  que  il  ne  lairoit  '  pas  la  sainte  terre 
en  tel  point,  ains  demourroit  et  viveroit  et  morroit  avecques 
ceuls  qui  demooarroîent.  Encore  disoit-il  que  il  ne  voudroit  mie 
vivre  en  cest  siècle  *,  ptiis  qu'il  fu  aecoisons  ^  de  la  perdition 
de  la  terre.  En  nule  manière ,  ce  disoit-il ,  ne  laisseroit-il  la 
sainte  terre  en  tel  périi.  Assés  y  ot  de  pitié ,  de  larmes  plorées, 
quant  il  oïrent  ainsi  le  roy  parler.  Li  roys  en  renvoia  ses  deus 
frères  en  France,  et  par  euls  ses  letres  seeiées  de  son  seau 
nouvel,  où  les  aventures  estoient  eseriptes ,  bonnes  ou  mau- 
vaises ;  [ci]  manda  à  tous  ceuls  de  France',  haus  et  bas,  povres  et 
riches,  et  requist  et  ammonesta  que  il  [le]  secourusseut ,  à  lui 
et  à  la  sainte  terre.  Grant  volenté  avoit  de  faire  la  besohi^c 
Dieu,  pour  cui  il  estmt  eroisiés  et  avoit  laissié  la  terre  et  le 
royaume  de  France,  dont  il  estoit  sires,  et  en  estoit  aie  en  es- 
trange^  pays  et  en  estranges  terres.  Ainsi  demoura  li  roys  Loys 
en  la  terre  df outre-mer,  et  si  frère  et  li  autre  baron  s'en  re- 
vindrent.  Geste  dolereuse  meschéance  ^  avint  à  la  crestienté,  et 
ainsi  reperdirent  li  crestien  la  seconde  fois  la  noble  cité  et 

•  LtiiroH  j  laisserait.  ^  »  siècle  :   i   *    Estrange  :    étranger.    —  '    fllei.- 
moiLde.  —  3  Aecoisons  :  occasion.  —   |    chcance  :  malheur,  mésaycaturc. 


296  LETTRE 

très-fort  de  Damiet^^  Adonques  estoit  li  ans  de  rincarûations 
nostre  seigneur  Jhésu-Crist  1251,  le  mois  de  mai  ;  apostoles  < 
de  Romme,  Innocent  li  quins  >  ;  roys  de  France,  Loys  ;  roy 
d'£ngleterre,  Henris  ;  roi  d'Alemaigne,  couronné  etesleus  pour 
estre  empereur.de  Romme,  Guillaume  li  quens  ^  de  Hollande  ; 
archevesque  de  Rains,  JoeK  qui  avoit  esté  archevesques  de 
Tours. 

Des  meschéances  qui  amndrent  à  la  crestienté  cet  an  rneis- 
mes ,  et  [de]  diverses  choses  qui  avindrent  à  la  terre  d'où- 
tre^mer. 

£n  dementres  ^  que  li  roys  séjoumoit  à  Acre,  vindrmt  mes* 
sage  à  lui  qui  li  disent  que  li  Turqueman  mahomerois^  avoienten 
moult  pou  de  temps  destruit  par  deus  fois  la  terre  d'Antiodie  et 
qui  ^  estoit  hors  des  forteresces.  Autre  message  revindrent  d'£r- 
ménie,  qui  disent  au  roy  que  li  mescréantmahommerois  avoient 
gasté  la  terre  et  pris  le  frère  le  roy  d'Ërménie  et  mené  en  prison. 
Li  autres  disent  que  li  crestien  de  Triple  7estoient  aie  en  fuerre  ^ 
sur  les  Sarrasins,  et  que  il  avoient  esté  desconfît,  et  que  il  avoit 
assés  perdu  des  crestiens,  de  leur  armes  et  de  leur  chevaus.  Li 
autres  disent  au  roy  que  li  messagier  que  il  avoit  envoie  as  Tarta- 
rins  estoient  revenu  et  les  avoit-on  détenus  dedens  la  cité  de 
Halape.  Li  Viels  de  la  Montaigne ,  sires  des  Harsarsins,  envoya 
ses  messages  au  roy  ;  mais  nous  ne  savons  pour  quoi  ce  fii. 
Li  grans  princes  des  Grifons,  Vatages,  envoya  des  messages 
au  roy  ;  mais  nous  ne  savons  pourquoi  ce  fu.  Mais  li  roys  ren- 
voya ses  messages  à  celui  Vatages  et  au  Viel  de  la  Montaigne, 
avec  leur  messages  meismes.  Li  autre  messagier,  qui  estoient 
grant  homme  sollempnel,  vindrent  en  Acre  par  deus  fois,  de 
par  Fedric  qui  avoit  esté  emperères.  Fedric  voloit  mètre  ses 
baillius  et  ses  serjans  9  dedans  la  cité  d'Acre  et  par  le  pays  de  la 

'  ^postales  :  apôtre,  pape.  —  2  Le  |  métans.— «^  Et  ce  qui.  —'  Triple  :  Tri- 
cinquième.  —  3  çuene  :  comte.  —  poli.  —  "  Au  fourrage.  —  »  Serjanê  : 
*  Pendant.  —  »  Mahomerois  :  maho-  l   soldats. 


DE  JEAN  PIEBBE  SABRASTN. 


297 


crestienté  de  Jérusalem.  Li  autre  vindrent  et  distrent  au  roy 
que  li  roys  dé  Chypre  a  voit  espousé  la  fille  le  prince  d'Antio- 
che.  De  ce  fu  II  roys  moult  lié  '.  Li  messagler  les  amiraut  ' 
d'Egypte  vindrent  au  roy.  Par  euls  mandoient  li  amiraut  au. 
roy  que  les  trives  que  il  avoient  faites  et  prises  fussent  teçues. 
Li  roys  respondi  que  il  avoient  les  trives  brisies  en  tel  manière 
que  nous  avons  devant  dit.  Tant  coururent  les  paroles  que  li 
roys  envoya  ses  messages  en  Egypte  as  amiraus  avec  leur  mes- . 
sages  meismes;  mais  nous  ne  savons  mie  encore  que  il  firent. 
Li  autre  vindrent  et  distrent  au  roy  que  Fedric  qui  avoit  esté 
emperères  estoit  mort.  Li  autre  vindrent  qui  dirent  au  roy  que 
grant  discorde  et  grant  guerre  estoit  esmue  entre  les  Sarra- 
sins. En  tel  manière  li  soudans  de  Halape  ^  sot  ^  que  cil  d'E- 
gypte avoit  occis  le  Soudan,  leur  seigneur.  Tantost  avoit  se- 
mons ^  ses  os  ^  à  pié  et  à  cheval.  11  avoit  mandé  tous  ses  amis 
que  il  li  aidassent.  Il  s'en  estoit  venu  à  tout  ?  si  grant  gens,  ai 
avoit  pris  Damas  et  presque  toutes  les  cités ,  tous  les  chastiaus 
et  tontes  les  viles  et  tous  les  bours  qui  estoient  et  appartenoient 
en  la  terre  de  Surie  et  de  Jhérusalem ,  en  la  seigneurie  de  . 
ceuls  de  Egypte.  Li  soudans  de  Halape,  ce  disoient,  avoit 
grant  talent^  et  grant  volenté  de  conquerre  toute  la  terre  d'É- 
g3rpte  pour  lui  et  pour  son  hoir.  Grant  semblant  faisoit  ii  sou- 
dans de  Halape ,  ce  disoient  li  plusieurs,  de  conquerre  toute  la 
terre  qui  avoit  esté  au  Soudan  d'Egypte.  En  tele  manière  ve- 
Qoient  messagier  de  toutes  pars  au  roi  de  France ,  qui  estoit  en 
Acre ,  qui  nouveles  li  apportoienl  de  diverses  manières  et  de 
divers  fais.  Boine  chière  9  et  boin  samblant  faisoit  adès  '<>  li 
roys,  et  hardiementse  maintenoit,  ne  de  nule  chose  ne  s'es- 
maioit  onaues. 


'  Ué  :  jnyeox.  — '  Jmiraut  :  émira. 
—  '  Halape  :  Alcp.  —  *  Sot  :  «ut.  — 
*  Semons  :  convoqué.  — '•'  O*:  trou- 


pe*. —  '  jé  tout  :  avec  —  '  Talent 
désir.  ^  »  Chière  :  figure.  —  '»^dè« 
toujours. 


298 


LETTBE 


Comment  une  partie  des  crestiens  esclaves  furent  délivrés. 

Quant  K  doi  frère  le  i^oy  et  li  antre  bafon  de .  France  s'ea 
furent  r*alé  '  eu  France,  li  chevetaîns  >  dTÉgypte  et  de  Babiloine, 
et  li  autre  amiraut  renvoièrent  an  roy  à  Acre  des  crestiens 
chaitis  que  il  tenoient  en  prison ^  le  maistre  de  THospital  et 
vint-cinc  cheTaliers  Ospitaliers  et  vmt-cine  ebèralîers  Tem- 
pliers et  dix  chevaliers^  de  TOspital  des  AHemans,  et  encore 
cent  chevaliers  don  siècle  ^  et  six  cens  autres  perscmnes,  que 
homnoes,  que  famés.  Après  ces  choses  li  roys  envoia  ses  mes- 
sages et  gran»  présens  et  grans  dons,  et  entor-^  trds  cens  Sar- 
rasins chaitis  et  esdaves  à  la  chevetaine  d'Egypte ,  qui  en  fist 
grant  feste  et  gfant  joie  ;  et  renvoîèrent  au  roy  quatre-vios 
chevaliers  et  dix  esclaves  crestiens  et  deus  mil  et  deus  cens , 
que^  honunes  que  femmes.  Et  si  li  ^  envoia  un  éléfant  et  un  ona- 
gre^  et  li  envoia  précieus  dons  et  riches ,  des  pesches  aroma- 
tiques; mais  ce  ne  làrent  mie  tous  li  crestien  chaitis  d'assés. 
Li  roys  metoit  grans  cous  et  grans  despens  en  tenir  chevaliers 
et  arbalestriers  et  serjans  àpié  et  à  cheval  ausarmes^et  en  en- 
voyant ses  messagîers  et  grans  dons  aus  soudans,.et  à  recevoir 
leur  messagiers  et  en  racheter  les  chaitis  crestiens,  et  en  eus 
vestiret  chaucier,  et  en  donner  larges  aumônes  et  en  fermer  de 
murs  et  de  tours  le  forbourc  i  de  la  ville  d'Acre. 


Comment  II  chevetaine  d* Egypte  et  cU  du  pays  desconfirent 

ceuls^de  Halape^. 

En  dementres  s  que  ces  choses  aloient  ainsi  en  la  terre  des 
crestiens,  li  soudans  de  Haïape,  qui  avoit  amassé  grant  ost  à  pié 
et  à  cheval,  et  avoit  pris  le  royaume  de  Damas  et  de  Jhéra- 
salem ,  fors  ce  que  li  crestien  en  tenoient  sur  ceuls  d'Egypte , 
et  avoit  grant  fain  de  vengier  ïâ  mort  le  Soudan  d'Egypte  pour 


*  R'alé  :  retournés.  —  *  Chevetains  : 
chef,  capitaine.  —  3 sécallers,  libres. 
—  <  Entor  :  environ.  —  &  Que:  tant. 


—  6  Et  il  loi.  —  '  Forbourc:  fau- 
bourg. —  •  Ifalape  :  Alep.  —  "  En 
dementres  :  pendant. 


DE  JEAN  PIEBBE  SARRASIN.  299 

lui  et  pour  son  hoir  s  passa  à  tout  son  ost  '  parmi  les  désers 
qui  sont  entre  Svrie  ^  et  Egypte,  ts^X  qu'il  vint  à  T^itrée  d'E- 
gypte; ne  pot  avoir  nule  viande,  car  U  Béduin  li  avoient  la 
voie  forsclose^;  c'en  fu  à  grant  mçschief  ^.  Li  chevetains  d'Ë^ 
gypte  rassembla  ses  gens  et  s'en  vint  encontre  lui  à  gc&at  oat^, 
tant  qu'il  vint  près  de  là  où  li  soudans  de  Halape  estoit  à  toutes 
ses  gens.  Le  jour  de  la  Chandeleur  au  matin,  il  assamblèrent 
ensamble  et  se  oombatirent,  et  ass^  en  y  ot  et  de  ipiori  et  de 
pris.  £n  la  fin  forent  vaincu  cil  d'Egypte,  et  s'enfijorent.  lA  Bé- 
duin coururent  à  leur  hamois  et  le  ravirent  et  l'emportèrent  ; 
et  quant  ce  vint  vers  le  vespre  7,  cil  d'Égyptç  rassemblèrent  leur 
gens,  et  se  misent  en  conroy  ^,  et  coururent  à  ceuls  de  Halape, 
et  se  combatirent  de  rechief  les  deux  09  ensamble  à  bataille 
cliampel  9.  Eu  la  fin  furent  desconfis  ei^  de  Haiape  trop 
malement  et  s'enfuirent,  et  perdi  li  soudans  de  Halape  presque 
tous  ses  amiraus,  et  perdi  bien  de  son  ost  vint^quatre  mil  hom- 
mes, qui  tout  furent  mort  ou  pris.  li  Bi^uin  recomifent  aus 
hamois  ceuls  de  Halape,  et  le  ravirent  et  l'emportèrent  :  ainsi 
gaaignèrent  li  Béduin  le  hamois  à  deus  os. 

Comment  H  roys  fu  assouls  du  sairement  que  U  avait  as 

amiraus  des  trives. 

Quant  li  roys  vit  que  ceuls  d'Egypte  ne  tenoient  mie  leur 
trives  que  il  avoient  faites  à  lui  et  à  la  crestienté,  il  fîst  assem- 
bler par  devant  lui  le  légat  et  les  prélas  et  les  barons  et  les 
sages  hommes  et  clers  et  lais,  et  fist  recorder  *<"  la  forme  et  la 
manière  des  trives,  comment  eles  avoient  esté  faites  entre  lui  et 
le  Soudan  de  Babiloine  qui  fu  murdris  'S  et  après  aus  amiraus 
d'Egypte  cent  et  vint-quatre,  et  demanda  s'il  avoit  bien  tenu 
les  trives  aus  amiraus ,  et  se  li  amiraut  y  avoient  de  riens  mes- 
pris  >\  11  s'en  conseillkent  et  disent  que  11  amiraut  n'avoient 


I  Hoir  :  héritier.  —  '  Avec  son  ar- 
mée. —  »  Surie  :  Syrie.  —  *  Fors- 
dote  :  fermée.  ~  ^  Et  ce  fut  grand 
malbeur.  —  ^  Avec  nne  nombreuse 


armée.  ' —  '  Fêspre  :  «oir.  —  •  Con- 
roy .'  état,  :—  *  En  bataille  rangée. 
—  '•  accorder  :  rappeler.  —  '  '  Mur- 
dris :  mis  à  mort.  —  "  Manqué  ea  rieo. 


300 


LETTBE 


mic  bien  gardé  leiir  serrement  ne  les  trives ,  ains  *  les  avoient 
brisies  moult  desloiaument  et  moult  cruelement;  et  encore 
ne  les  tenoient-il  mie,  ains  trespassoient  chascun  jour  leur 
sairement.  II  disent  que  il  ne  povoient  percevoir  queli  roys  ne 
les  eust  bien  tenues  en  toutes  manières,  et  son  sairement  bien 
gardé  en  toutes  manières,  et  gardoit  encore.  Li  roys  requist  an 
légat  que  puisque  li  Sarrasin  ne  tenoient  les  trives,  que  il  l'as- 
solsist  >  de  son  sairement  que  il  avoit  fait  aus  Sarrasins.  Li  légat 
s*en  conseilla  aus  préias  et  aus  sages  hommes  qui  là  estoient. 
Il  respondirent  que  puisque  li  amiraut  ne  tenoient  les  trives, 
li  roys  ne  la  crestienté  n'en  dévoient  nules  tenir  aus  àmiraus.  li 
légat,  quant  il  s'en  fu  conseilliés,  et  il  en  orent  assés  parlé  par 
commun  conseil,  de  tout  il  assolst  le  roy  du  sairement  qu'il 
avoit  fait  aus  amiraqs,  et  dénonça  que  li  roys  ne  la  crestienté 
'n'estoit  mie  tenu  de  tenir  trives  aus  Sarrasins ,  puisque  il  ne 
les  tenoient.  En  teie  manière  demora  li  roys  et  la  crestienté 
sans  trives  encontre  toute  manière  de  Sarrasins. 

Des  trives  que  li  nouvîaus  soudans  et  li  roys  firent  ensamble, 
et  que  tout  li  crestien  escfave  furent  délivré  et  les  testes 
rendues. 

Après  ces  choses,  quant  li  y  vers  fa  passés  et  ce  vmt  au  mars, 
li  roys  assambla  ses  gens  et  s'en  vint  à  tout  son  ost^  à  Césaire 
en  Palestine,  qui  siet  sur  la  mer,  et  se  logea  delès^;  et  flst 
fermer  s  le  forborc  ^  de  murs  et  de  fossés  et  de  seize  tours.  En 
dementres?  que  ilséjomoit  là,  il  envoia  ses  messages^  soKcmp- 
nels  au  nouvel  Soudan  de  Babiloine  et  d'Egypte,  que  il  li  amen- 
daissent  les  défautes  et  les  forfais  9  que  il  et  li  amiraut  avoient 
fois  contre  les  trives.  Quant  li  roys  séjornoit  là,  li  soudans  de  Ha- 
lape  envoia  à  lui  ses  messaîges  solempnels  pour  faire  trives  au  *° 
roy  et  à  la  crestienté;  mais  la  forme  des  trives  que  il  offrirent 

'  Mns  :  mais.  —  '  ^ssoîsist  :  dé- 
liât. —  *  Avec  son  armée.  —  *  De- 
tés  :  anprès.  —  i  Fermer  :  fortifier.— 
«  Forborc  :  faubourg.  —  î  En  demtn- 


très  :  pendant.'  —  •  Messages  :  dé- 
liât. —  ^  Pour  qu'il  lui  fit  raison 
des  manquements  et  des  forfaitures. 
—  >«  Avec  le. 


DE  JEAN   PIB&BE  SaBRÀSIN.  301 

ne  plot  mie  au  roy  ne  à  la  (arestienté.  Par  ce  demorèrent  les 
trives,  et  s'en  r'alèrent  li  messagier,  qui  n'i  firent  noient.  Li 
Soudan  de  Babiloine  et  d'Egypte  et  li  autre  Sarrasin  deia  terre 
en  orent  grant  doutance  <  et  grant  paour  que  grant  secours  ne 
venist  au  roy  des  crestiens  et  que  il  ne  revenissent  à  Damiete 
et  au  royaume  d'Egypte,  et  que  il  ne  conquéissent  la  terre  sus 
euls.  Il  s'en  conseillièr^t  et  s'en  vindrent  à  Damiete  et  i'aba- 
tirent,  et  fondirent  en  terre  toutes  les  tours  et  toutes  les  tor- 
peles  et  toutes  les  tours  de  la  cité;  il  (nrisent  les  pierres  et  les 
portèrent  ou  fkm  du  Nil.  Li  messagier  le  roy  qui  furent  envoie 
au  nouvel  soudan  revindrent,  etenvoia  li  nouviaus  soudans  ses 
messages  au  roy  ;  et  tant  coururent  paroles  étalèrent  messagier 
solempnel  et  d'une  part  et  d'autre,  que  trives  fllre^t  faites  et 
devisées  entre  le  roy  et  les  crestien  d'une  part,  et  le  nouvel  Sou- 
dan d'Egypte  et  les  Sarrasins  d'autre  part.  Pour  ceste  trive  der- 
raine*  furent  délivre  tout  li  crestien  qui  estoient  en  chativoi- 
sons  ^  par  tout  le  povoir  [de]  ceuls  de  Babiloine  et  d'Egypte,  et 
toutes  les  testes  des  crestiens  qui  pendoient  aus  murs  de  Babi- 
loine et  dou  Cahaire  et  par  toutes  les  forteresces  à  ceuls  d'E- 
gypte^ furent  toutes  despendues  et  renvoiées  au  roy^  et  quatre 
cens  mil  besans  sarrasinois  qu'il  disoit  que  li  roys  li  devoit  de 
sa  raençon.  Et  fu  en  celé  trive  un  point  qui  onques  mais  n'a- 
voit  esté  en  trives  de  crestiens  et  de  Sarrasins  *,  car  tout  li 
crestien  renoié ,  fust  par  force  ou  par  lor  volenté ,  eurent 
congié  que  il  s'en  revenissent  quitement  au  roy  et  à  la  cres- 
tienté.  Par  ceste  trive  fu  tenu  li  nouviaus  soudans  de  Babiloine 
à  rendre  la  sainte  cité  de  Jhérusalem  et  la  terre  saint  Abra- 
ham et  la  cité  de  Naples  ^  et  toute  la  Galilée  et  toute  la  terre 
jusqu'au  flun  Jourdain,  fors  ^  aucunes  viles  qui  n'estoieut 
nûe  fermées^,  que  li  soudans  détint  pour  ce  que  il  peust  par 
là  passer  au  royaume  de  Damas.  Quant  la  trive  fu  en  tele  ma- 
nière faite  et  devisée,  li  roys  mut  à  tout  son  ost  7,  et  s'en  ala 

«  Doutance  :  frhjtur.  —  *  Der-  l  »  Fors  :  hormis.  —  «  Fermées  :  torii- 
raine  :  dernière.  —  ^ Chativoisons  ;  j  fiéea.  —  'Se  mit  en  mouvement  avec 
captÎTité.  —  *  Naples  :  Nnplouse.  —   '  son  armée 

26 


303 


' LETTBE 


à  Japhe  *,  et  fist  femer  le  fortHirc  de  mun  et  de  tours  et  Aê 
fofiséi. 

t 

Comment  les  trivçs  ne  furent  mie  ternies,  et  H  rpy$  «Vn  r£- 

vM  en  France. 

Grant  espérance  aroît  !i  roys  et  1i  légas  et  li  cresCien  que 
la  sainte  terre  de  promission,  si  comme  nous  l'avons  devant 
nommée,  leur  fust  rendue  en  brief  temps  ;  mais  li  Sarrasin  ne 
leur  en  rendirent  point  assés.  Envola  messages  1!  roys  au  sou* 
dan ,  et  li  soudans  à  lui  ;  mais  il  ne  valut  noiànt.  Il  ne  tindrent 
mais  la  trive  d'endroit  la  terre  sainte  rendre,  ainsi  comme  il 
l'a  voient  en  couvent  ».  Quant  li  roys  et  li  crestien  virent  que 
li  Sarrasin  ne  lor  tenoient  mie  lor  couvenances^  qui  furent  de- 
visées^  si  furent  moût  destorbés^.  Li  roys  n'i  avoit  mise  gent 
par  quoi  il  le  peust  amender  ^  sus  les  Sarrasins.  Nuls  ne  li  aportoit 
nouveles  que  il  deu^t  avoir  secours  ne  aide  de  nule  part,  n  se 
conseilla  auspréias  et  au3  barons  qui  là  estoient  ;  par  commun 
conseil  il  atira  ^  que  messires  Joffrois  de  Sargines  demorroit  et 
que  li  roys  li  livreroit  ses  despens  pour  tenir  chevaliers  et  arbales- 
triers,  et  serjansà  pié  et  à  cheval^  pour  la  tierre  aidieret  garder 
contre  les  Sarrasins,  et  qu'il  s'en  revîendroit  en  France,  puis- 
qu'il ne  (>ooit  avoir  secors.  Li  roys  le  fist  ainsi,  comme  noua 
l'avons  devant  dit.  Il  fist  atirer  son  navie  ?,  et  prist  la  royne,  sa 
femme^  qui  estoit  grosse  d'enfant,  et  deus  enfans  qu'elle  avoit 
eus  en  la  terre  d'outre-mer,  l'un  à  Damiete  et  l'autre  à  Acre; 
et  s'en  revint  en  France,  et  fu  receus  à  Paris,  la  vigile*  Nostre- 
Dame  en  seutembre,  à  grant  procession  et  à  grant  solempnité, 
car  on  le  cuidoit  avoir  perdu.  Adont  9  estoient  li  an  de  l'incar- 
nation Nostre-Seigneur  mil  deus  cens  et  cinquante-quatre  ;  apos- 
tole  »**  de  Romme,  Innocent  le  quart  «»;  roy  de  France,  Loys, 


'  Japhe  :  JafFa.  — '  Ainsi  qu'ils  en 
é(ai«nt  conT«nn«.  —  s  Omvenanees  : 
conventions.  —  *  Destorbés  :  trou- 
blés. —  *  U  pût  remporter,  —  ^AUra  : 


rë^a,  —  '  Équiper  sa  flotte.  —  '  Fi- 
gile  :  .veille.  —  •  Jdont  :  alors.  — 
^^  Apostole  :  pape.  —  •'  ÇHtarl:  qua- 
trième. 


DE  JEAN  PIBBBB  SABRASIN.  303 

dont  DOOB  x^nméé^aatpàtié;  loy  d'jUBBHiigBe^GtiillaiHtte, 
comte  de  Hôititide;  roy  d'Anglet^fe,  Benris;  roy  de  fiararr» 
et  qoens  de  GhampMgoe  et  sires  de  Brie,  Tfaiebaus  li  pèfes  ; 
l'éVei^pjedeSoissoDB^MeiielODs  deBatocbe9;aM>éde  Saint-Mare 
de  SoiBBofts,  J^romee  de  Goiaâi  qnensde  Seîssomh 

Comment  li  erestkn  firent  Prives  qwmt  U  roy  s  s'en  fu  re- 
vemts  au  saudan,  et  oom  des  furent  brisées. 

Quant  li  roys  se  fu  départis  de  la  terfe.  d'oatre-mer,  ainsi 
comme  nous  avons  dit  devant,  nedemoratnfe  *  gramnent  ^e 
li  nouviaus  soudans  de  Babiloine  et  d^Êgypte  et  de  Damas,  et  li 
Sarrasin  d'une  part ,  et  îi  seigneur  de  la  terre  des  crestieos  et 
li  Temple  et  ïî  doi  Hospital,  d*autre  part,  s*acordèrent  et  firent 
trives  à  dix  ans  et  à  dix.  jors,  par  tel  manière  que  îi  chastians 
de  Japhe  fust  hors  de  la  trive.  Et  quant  ce  vint  en  Noël  après, 
messires  Jofrois  de  Sargines  et  une  grant  partie  des  crestiens 
s*assarablèrent  au  chastiau  de  Japhe,  pour  ce  qu'il  estoîent  fors 
de  la  trive,  et  toUte  l'autre  terre  des  crestiens  y  eétoit,  par  quoi 
il  ne  povoient  corir  sus  les  Sarrasins,  se  par  ce  chaste!  non*. 
Et  quant  il  furent  là  assamblé,  il  envoièrent  espier  en  la  terre 
pour  savoir  de  quel  part  il  pooient  plus  gaaigner.  Et  quant  ce 
vînt  le  mercredi  après  Noël,  il  s'armèrent  et  montèrent  et  vin- 
drentàpîé  et  à  cheval  moult  privéement,  et  chevauchièrent  toute 
nuit.  Et  quant  il  vindrent  entre  Cadres  et  Escalonne  %  et  iï  vi* 
rent  que  il  fu  poins  de  corre  ^  sus  Sarrasins ,  il  coururent  par 
lescassiaud^,  et  aqueilKreiït  hommes  et  femmes,  et  bestes,grans 
et  menues,  et  s'en  tevlndrent  à  Japhe,  tout  sain  et  tout  haitié  ^, 
que  il  n'i  perdirent  que  un  seul  Turcople,  qui  fu  occis.  Et  gaai- 
gnèrent  et  partirent^  entre  euls  ensanJ)le  quatre  cens  esclaves 
qu'il  avoient  occîs ,  et  desquels  il  y  avoît  bien  huit  cens ,  ce 

'  Sinon  par  ce  chftteaa.  —  > Gasa  et   i   * Cassiaus  :  TiUages.  —  &  HaiM  :  bien 
AscaloB.  -«3  Ttmpi  dé  coarip.  —  |   porMnf».  —  <f»ifrtlrra«:  {NinsgèvAnt. 

*  Un  gran  meni,  ddit.  de  la  nouv.  CollecL  des  Mémoires,  etc. 


304  LETIRE 

coidoient  ;  et  avoî^t  bien  gaaignié  dix  mille  bestes  menues,  et 
bien  mil  cbameus,  que  bu^es,  que  autres  grans  bestes.  Li  Sar- 
rasin firent  savoir  au  Soudan  de  Babiloine  toutes  ces  choses, 
ainsi  comme  nous  avons  devant  dit.  Li  soudans  manda  isnole- 
ment  >  Tamiraut  '  de  Jbérusalem  qu'il  semonsist  les  amiraus 
d'entor  et  grant  plenté  de  gens  à  armes,  et  que  il  alaissent  as- 
seoir ^  Japbe ,  et  que  il  li  feissent  tout  le  mal  qu'il  pourroient. 
Li  amiraus  le  fist  ainsi,  et  vint  à  grant  plenté  ^  de  Sarrasins,  et 
assist  Japhe,  et  loja  son  ost  en  ce  lieu  que  on  apele  le  Toron 
des  chevaliers,  en  tele  manière  que  ceuls  de  Japhe  les  véoient 
plainement.  £t  venoient  souventes  fois  jusques  aus  murs  du 
chastel  ;  et  cil  dedens  ne  s'osoient  mouvoir,  car  il  cstoient  peu 
de  gent,  s'avoient  paour  d'embuscbement  5  et  que  il  ne  perdis- 
sent le  chastel.  Quant  li  Sarrasin  orent  là  esté  une  pièce  ^,  et 
il  virent  que  li  crestien  n'istroîent  7  mie  dou  chastel,  il  prisent 
une  partie  de  lor  gens ,  si  les  envoièrent  sus  la  terre  des  cres- 
tiens.  Cil  se  murent  et  coururent  par  la  terre  des  crestiens,  qui 
garde  ne  s'en  prenoient,  et  s'en  vindrent  sain  et  sauf  à  tout  For 
gaaigne^  en  Tost  aus  Sarrasins  qui  estoient  devant  Japhe.  Li 
amiraus  de  Jhérusalem  prist  tous  les  prisons  9 ,  qui  estoient 
bien  cent,  que  Templiers,  que  Hospitaliers,  que  serjans.  Ilavoicnt 
gaaignié  quarante-neuf  mille  bestes,  que  grans  que  petites,  par 
esme'^,  qiic  il  ne  volt  mie  à  envoier  le  soudanc;  car  il  cuidoit 
qu'il  leur  convenist  tout  rendre,  pour  ce  que  li  crestien  de  ce 
pays  estoient  en  trives. 

Comment  li  crestien  desconfirent  les  Sarrasins  devant  Ja- 
phe, qui  n"* estoient  mie  en  la  trive. 

Quant  ce  fu  fait,  li  Sarrasin  faisoient  souvent  leur  cem- 
biaus  "  et  couroient  jusques  as  murs  de  Japhe.  Li  crestien  qui 
estoient  dedens  Japhe  disent  que  ce  ne  soufferoient-il  plus.  Il 


'  Isnelement  :  promptement.^'  Jmi- 
raut  :  émir.  —  3  asseoir  :  assiéger. 
—  *  Plenté  :  mnltitude.  —5  Et  ils 
«voient  penr  d'embûches.  —^  Pièce  : 


temps.  —  '  Jstroiênt  :  sortiraient,  — 
•Avec  leur  gain.  — 9  prisons  :  pri- 
sunniers.  —  ">  Esme  :  estime.  — 
"  Cembiaus  :  prouesses. 


DE  JEAN  PIEBBE  SARBASIN.  305 

misent  boines  garnisons  dedans  le  chastel  pour  le  garder,  que 
il  avenist  de  ceuls  qui  s'en  iroient  dehors  combatre  ans  Sar-. 
rasins.  Et  quant  ce  vint  le  vendredi  devant  mi-quaresme ,  li 
Sarrasin  coururent  devant  Japhe;  li  crestieu,  qui  estoientapa-, 
reilliés,  firent  ouvrir  les  portes  et  se  férirent.hors  encoiitïe  les 
Sarrasins, et  eommencièrent  à  hucier  *  :  «  À  la  mort!  à  la 
mort!  »  Grant bataille  y  ot  ;  mais  li  Sarrasin  s^enfuirent,  quant 
il  orent  assés  perdu  de  leur  gent.  Aucune  gent  disent  que  li  Sar- 
rasin eussent  esté  ou  tout  mort  ou  tout  pris,  se  ne  fust  li 
quens  de  Japhe  qui  chéi'.  Et  eust  esté  occis  se  ne  fuissent  li 
frère  de  TOspital  qui  le  rescoussent  ^  ;  mais  toutevoies  4  emme- 
nèrent li  Sarrasin  son  cheval.  Mesires  Jefrois  de  Sargipes  les 
chaça  jusques  en  leur  herberges.  Ses  chevaliers  revindrent  à 
lui  et  li  loèrent  qu'il  s'en  retomaisseût ,  car  il  avoient  paour 
que  il  n'i  eust  embuschement^.  Mesires  Jpfirois  et  li  crestien 
s'en  retournèrent  à  Japhe.  Il  contèrent  que  en  eele  bataille  avoit 
bien  eu,  que^  mors,  que  pris,  deus  mil  Sarrasins,  et  des  cres- 
tiens  vint  serjans  et  un  chevalier  ;  et  si  n'avoient  esté  en  la  ba- 
taille li  crestien  que  deus  cens  à  cheval,  et  entor?  trois  cens, 
que  arbalestriers ,  que  archiers ,  que  autres  serjans.  En  oele 
bataille  fu  occis,  avecques  les  autres,  li  amiraus  de  Jhérusalem 
et  li  amiraus  de  Bethléem.  Li  Sarrasin  firent  savoir  au  Soudan 
qui  estoit  à  Damas  que  li  crestien  avoient  les  testes  de  l'a- 
miraut  de  Jhérusalem  et  de  celui  de  Bethléem.  Li' soudans  en- 
voia  ses  letres  à  un  amiraut  qui  estoit  en  Tost  des  Sarrasins, 
que  il  radietast  la  teste  à  Vamiraut  de  Jhérusalem,  et  il  li  ren- 
voieroit  le  cheval  au  conte  de  Japhe  et  vint  mil  besans  sarra- 
sinois.  Et  mesires  Joffroîs  li  remandaque  se  il  li  donnoit  plaine 
une  tour  de  besans  et  de  chevaus,  ne  li  rendroit-ll  mie.  li  ami- 
raus le  remanda  le  Soudan  à  Damas;  et  quant  li  soudans  oy  ces 


»  ttuHer  ;  crier.  —  »  N'eût  été  le 
comte  de  Jaffa  qai  tomba.  —  ^  Res- 
coussent :Becoutnrent,  —  *Toutevoies  : 


toutefois.  —  ^  Emhuschemeni  :  embus- 
cade, —  ^'  Que  :  tant.  —  '  Entor  :  en- 
viron. 

9.6. 


396  LKT'J 

choses,  s'en  fu  moult  ocmrroueié  et  jara  que  il  ne  feroit  ja- 
maia  trives  ai»  crestiens. 

Comment  k$  Béduins  tolurent  *  bien  aus  SarraHns  lei  deu$ 
pan  de  hr  prùié,  eê  gîte  les  ithies  furent  refaites. 

Li  Béduins  qiâ  estoîeut  mis  m(»itaigiies  oi>^t  dire  que  H 
Sarrasio  avoieaCiait  grans  damages  seur  les  eresti^o»,  il  di*. 
sent  qu'il  y  Toloi^U;  partir  >.  U  descendireiit  des  monlaigDes  et 
s'eu  viudrent  eu  Tost  des  Sarrasms,  où  li  gaaius  estoit  ;  il  disent 
à  rMBÎraut  eui  li  soudMis  avoit  fait  eheVetaliie^  de  Tost,  qu'il 
voaloieiit  partit  à  leur  gaaing.  Il  leur  réspondirent  que  il  ne  par- 
tiroieut  nue,  car  il  ne  Tavoient  mie  aidiéà  gaaignier.  li  Béduin 
s'en  eombatîrent  aus  SarraâDS,  et  emmenèrent,  cui  qu'en  pe- 
sest^v  lûeu  les  deus  parties  des  bestes.  Et  ot  bien  ocis  en  celé 
bataille,  que'^  Béduins  que  Sarrasins,  quatre  mil  au  plus.  Li 
crestien  se  conseillière&t  ensamble  et  envoièrent  leur  messages 
au  Soudan,  qui  estoit  à  Damas,  et  li  mandèrmt  que  il  rendist 
les  domagiss  que  il  avoit  feit  ans  crestiens ,  et  que  il  ainendast 
les  trives  que  il  av(Mt  biisiées^  il  et  ses  gens,  et  après  fuissent 
bien  les  trhres  ainsi  comme  eles  avoient  esté  devant  devisées,^ 
se  il  voloit;  bien  fost  la  guerre.  Aisés  y  ot  pardes  et  messa^ 
giers  dou  Soudan  as  crestiens  et  des  crestiens  au  soudan<  Et 
en  la  fin  fist  tant  li  soudans  pour  les  crestiens,  qoe  mesires 
Jofrôis  de  SargineS  et  li  quens  de  Japbe  et  li  autre  seigneur 
de  la  terre  des  crestiens,  et  li  Temple  et  li  doi  Hospital,  d^une 
part,  et  li  soudans  de  BabilcMiie  et  d'Egypte  et  de  Damas,  d'au- 
tre part,  que  les  trives  furent  réfutes  et  affermées^  ainsi  come 
elesestoient  devant  7y  à  dix  ans  et  à  dix  jors.  Adont^  estoient  li 
an  de  l'incarnation  Nostr&^igneur  mil  deusc»:is  dnquante^sis. 

'  Tolureni  :  enlevèrent.  ' —  » Par^  l  nible,  —  s çu^  .. tant.  — ^Affermées ; 
iir  :  prendre  part.  —  ^  Chevetaine  :  1  ceaclnes.  — '  Devant  :  auparttwantb 
capitaine.  —  «  A  qui  que  cela  fftt  pé-  '  —  •  Jdoni  :  alora. 


DE  JEAN  PlËftBE  SABBÂSin.  307 

Comment  li  crestien  guerroièrent  les  uns  lés  autres. 

Quant  ces  trives  furent  raffennées,  et  lî  crestiea  n'otent 
point  de  guerre  aus  Sarrasins,  fors  seulement  U  chastiaus  de 
Japhe  qui  fors  en  estoit  mis  s  li  crestiea  eommencièient  à 
guerroieras  uns  les  autres^  honteusement ^  douloureusement 
et  vilainement  à  toute  la  crestienté  et  deçà  et  delà  ;  car  il  ot 
discort  >  entre  les  Véniciens  et  les  Pisaus  et  les  Poulains*  de  la 
terre ,  d'une  part ,  et  les  Genevois  et  les  Espagnols  et  les  frères 
de  Saint- Jean  de  l'Ospital  d'outre-mer,  qui  soubtenoient  les 
Gréjoi&3  pour  une  maison  qui  séoit  dessus  la  mer  en  la  terre 
des  Véniciens  et  desGréjois.  £tdura  la  guerre  près  d'un  an;, 
et  occioient  et  décopoient  et  faisoient  tôt  le  mal  qu'il  povoient 
faire  11  uns  aus  autres,  tout  ainsi  comme  il  feissent  aus  Sarra* 
sins ,  ou  encore  pis.  On  le  fist  savoir  le  prince  4  d'Antioehe,  et 
il  vint  à  Acre  assés  tost,  et  amena  une  sien  neveu  que  il  avoit , 
que  li  princes  disoit  que  il  devoit  estre  hoirs  ^  et  roys  et  sires  de^ 
la  terre  de  par  le  conte  Gautier  de  Brianne^  dont  cils  enfès^ 
estoit  issus,  non  mie  de  son  cors ,  mais  de  ses  hoirs;  et  amena 
la  mère  l'enfant  avecques  lui,  qui  estoit  royne  de  Cypre,  et 
pour  mètre  pais  en  la  tere ,  se  il  peust.  £t  quant  il  fvH-ent  venu 
à  Acre,  11  prince  fist  semondre  de  par  son  neveu  les  chevaliers 
dou  pays  qui  tenoient  dou  royaume  de  Jhérusalem,  et  les 
malstres  de  TO^ital  et  les  maistres  des  maisons  de  religion  à 
un  jour  à  Acre  ;  et  quant  il  furent  venu ,  H  princes  leur  requist , 
de  par  l'enfEuit  son  neveu ,  que  il  feissent  féauté  à  Tenfant  corne 
à  roy  et  à  seigneur  dou  royaume  de  Jhénisalem.  Il  disent  que 
il  s'en  conseilleroient.  Et  après  plusieurs  paroles,  li  maistres  dou 
Temple  et  li  maistres  de  l'ospital  Notre-Dame  des  Alcmans, 
et  li  chevalier  dou  pays  qui  tenoient  dou  royaume,  et  la  corn? 

<  Qui  en  était  exelii.    — -  ^  DtgôM  :  i  *  ka  printif.  ^  *  flôirs  :  béritier.  ^ 
discorde.    —  3   Cretois  :  Grecs.   —   >  *  j?n/è«  :  epfant, 

*  On  appelait  ainsi  les  habitants  nés  d'un  père  Cranc  et  d'uue  mère  sy- 
rienne. Voyez  ci-de86Ufc 


308  LETTBE 

muigne  des  Gennevois  et  H  Ëspaigneui  disent  qu'il  n'en  feroient 
neent ,  car  il  n'estoit  mie  hoirs  de  la  terre ,  aîns  en  estoit  hoirs 
Il  fils  Goirat'  ;  car  Colras  avoit  esté  fils  de  la  fille  le  roy  Jehan 
d'Acre,  qui  estoit  H  drois*  hoirs  de  la  terre.  Quant  li  princes  vit 
qu'il  y  avoit  discort^  et  que  il  ne  povoit  mettre  pals  en  la 
guerre,  il  ot  conseil  que  il  meist  bail 4  de  par  son  neveu  l'en- 
fant. Li  prince  fist  bail  de  la  terre  le  seigneur  d'Arsur,  et  li 
bailla  huit  cens  François  qui  estoient  ou  pays  un  an  à  ses  sou- 
dées^, pour  lui  aidier.  Et  li  commanda  que  se  li  Hospitalier 
et  la  commuigne  des  Genevois  et  li  Espaigneu)  ne  venoient  à 
merci ,  que  il  leur  feist  tout  le  mal  que  il  porroît  ;  et  que  il 
n'espargnast  mie  l'avoir  le  prince ,  car  il  en  baîlleroit  assés. 
Après  ces  choses,  li  princes  en  r'alaen  sa  terre,  car  il  ne  povoit 
mettre  pais  entre  les  crestiens,  si  très- vilainement  s'entre-guer- 
roient^.  Quant  li  princes  fn  partis  d'Acre,  la  guerre  fu  plus 
griés?  et  plus  honteuse  qu'ele  n'avoit  esté  devant^.  Et  de- 
dens  cel  an  que  la  guerre  dura ,  furent  arses  par  celé  guerre 
quatre-vint  naves,  ou  plus,  chargies  de  tous  avoirs  et  de  mar- 
chandises, au  port  d'Acre.  Et  tout  cel  an  ot9  bien  quarante 
engiens^  qui  tous  getoient  aval  la  cité  d'Acre  sur  les  maisons 
et  sur  les  tours  et  sus  les  toumeles ,  et  abatoient  et  fondoieut 
jusques  en  terre  quan^ue  eles  consuioient '^  ;  car  il  y  avoit 
assés  tel  dix  engiens  qui  ruoient  *  *  si  grosses  pierres  et  si  pesans, 
que  eles  pesoient  bien  quinze  cens  livres,  au  pois  de  Cham- 
paigne  :  dont  il  avint  [que]  presque  tous  les  tors  et  les  for- 
teresces  d'Acre  furent  toutes  abatues,  fors  seulement  les  mai- 
sons de  religion.  Et  furent  bien  mors  de  celé  guerre  vint  mil 
homes,  que  d'une  part  que  d'autre,  mais  assés  plus  de  Genevois 
et  des  Espaignois  ;  et  furent  découpés  et  par  mer  et  par  terre  y 
et  rendirent  toutes  les  tours  que  il  tenoient  dedens  la  cité 
d'Acre  ;  et  îwreaaX  toutes  abatues  jusques  en  terre.  Et  passèrent 

•  Colrat  :  Conrad.  —  »  Droit  :  lé-       '   Criés  :  acbarné«.   —  •    Devant  : 


gitime.  —  3  DUeort  :  disaension.  — 
*  BaU  :  bane.  _  &  A  sa  solde.  —  e  se 
faisaient  entre    eux    la    guerre.   — 


auparavant.  —  ^  Ot  ;  il  y  en  t.  — 
10  Tout  ce  qu'elles  atteignaient.  — 
^^Auoient  :  lançaient. 


DE  JEAN  PIEBBE  SÀBHASIN. 


309 


par  dessus  les  espées  à  ceus  de  Yenîsse  et  de  Pise,  et  s'en  alèrent, 
par  pais  faisant ,  à  la  dté  de  Sur.  Et  fu  la  cité  d'Acre  si  fondue 
par  celé  guerre^  que  ce  fu  une  cité  destruite  par  guerre  des 
crestieas  et  des  Sarrasins.  Adont  '  estoient  li  an  de  Tincama- 
tion  Mostre-Seigneur  mil  deus  cens  cinquante-neuf. 

Comment  les  Commains  desconfirent  les  Sarrasins ,  et  des 
chastiaus  que  li  crestien  garnirent  contre  eus. 

Après  ces  choses  vindrent  nouvelles  en  la  cité  d'Acre  et  ou 
pays  d'entor,  que  li  Tartarins  avoient  fait  trois  osts  >  de  leur 
ge&t ,  et  que  li  uns  des  os  estoit  aie  vers  la  cité  de  Comenie  ; 
et  qiiânt  il  vindrent  à  l'entrée  de  la  terre  de  Comenie ,  li  Gom- 
main  distrent  qu'il  metroient  tout  pour  tout  et  que  il  se  corn* 
batroient  à  euls.  Li  Commain  s'assemblèrent  et  se  misent  en 
conroi^,  et  si  assamblèrent  aus  Tartarins,  et  li  Tartarin  à 
euls.  Crueuse  bataille  et  doulereuse  et  merveilleuse  et  longe 
ot  entre  eus ,  car  de  tous  ces  deus  ost  où  il  y  avoit  tant  de  gens 
n'en  demora  mie  granment  que  tout  ne  fussent  mort  et  occis; 
mais  en  la  fin  furenjt  vaincus  li  Tartarin,  et  s'enfuirent  au 
miex  qu'il  porent^  et  laissièrent  tout  leur  hamois,  et  se  repu- 
sent  4  par  buissons  et  par  taisnière  et  par  repostailles  ^  au 
miex  qu'il  porent,  et  peu  escfaapa  qui  ne  fussent  mors  ou  pris. 
Li  autres  os  qui  s'en  venoit  vers  la  terre  de  Surîe,  avoit  jà  con- 
quis et  soumis  en  leur  poesté  ^  le  royaume  de  Perse  et  la  très- 
noble  et  très-puissant  cité  deBaùdas?  ettoute  la  terre  qui  estoit 
entor,  et  avoient  occis  le  caliphe  qui  est  appelé  apostole  ^  des 
Sarrasins,  iet  la  terre  de  Mède  et  celé  d'Arsice  9  et  celé  de, 
Galdée  et  de  Tusquice  et  de  Halape  et  de  Hamans,  et  la  Ghamele 
et  Gésaire  le  grant ,  et  la  terre  et  la  cité  le  Vieil  de  la  Mon- 
taigne ,  et  àssés  autres  terres  et  de  provinces  et  de  royaumes 
qui  tous  sont  de  Sarrasin ,  et  la  terre  de  Géorgie  et  d' Ar- 


*  Adont  :  alors,  r-  *  Osts  :  armées. 
-~  3  £a  bataiUe,  et  ils  attaquèrent  les 
Tartares,  et  les  Tartares  attaquèrent 
les  Comans.  —  *  Repusent  :  cachè- 


rent. —  5  Repostaille»  ■*  retraites.  — 
•  Poesté  :  pouvoir.  —  '  Bandas  : 
Bagdad.  —  *  Apostole  :  pape.  —  ^  De 
Médic  et  d'As»yrie. 


310 


LBTTâE 


ménie»  qui  sont  terres  àéi  etesdem;  et  D^avoil  pi«a  «  dettioré 
de  terres  ^ar  tout  lé  pays  et  près  et  loiog  que  A  h^evaeiOBk 
toutes  conquises  ôû  destruitesr,  ôti  qu'des  ne  fussent  siHnnîses 
à  euls  par  treus  >  et  par  ffsjoÉ  fotriers  3,  paf  gfafi»  services  d'or 
et  d'argent,  d^omcsr  et  de  armes,  et  autres  services  assés  qœ 
près  vausist^  nûix  qu'il  fuissent  tout  mort.  U  n'avoit  demoré 
en  toute  la  terre  de  crestieiis  que  presque  tous  ne  fuissent  sou- 
gis^  à  euls.  Il  conquisent  presque  toute  la  terre ,  et  estoit  toute 
perdue  se  n estoit  aucun   fort' chaste);  car  M  Sarrasin  es- 
toient  jà  au-devant  d^'eUR  H  éâgardèrent^  que  il  gamiroient  le» 
plus  fors  chastiaus ,  et  gamiroient  les  TempKers  sept  des  pfais 
fors  chastiaus  que  il  eussent ,  et  lî  Ospitalfer»  deits  ^  et  li  Ospï* 
taliers  des  Alemans  un,  et  la  cité  d*Aere  et  la  cîlé  de  Sur  qui  fu- 
rent garnies  de  commun.  Bien  leur  seftibfoît  que  toutei  b 
terre  ne  se  porroit  mie  tenir.  Cil  cha^el  qui  furent  garni  leur 
grevèrent  moult  durement ,  car  il  ne  povoknl  trouver  soddoiers 
qui  entrassent  dedens,  s*il  n'avoient  soldée  7  à  lenx  vdenté; 
car  il  ne  véoient  ^  mie  comment  il  peussent  esdaeper  ecoftre  ki 
grant  plenté  9  de  Târtarins  coin  fl  véneit. 


Comment  H  Sarrasin  deseanfirent  malement  les  Tartarins^ 
et  que  H  tartarin  ^enfuirent 

U  sotidadft  de  Babttokke  et  d'Egypte  et  de  Damas  furent 
tous  eifiréés,  et  lî  Sarrasin  aiusi  de  ces  nouvdes.  Li  soudans 
semondC  **  trestoiit  son  pooir  de  gens  à  armes^  et  laissa  sa  terre 
à  garder  à  un  anûraut  que  il  cuîdoît  que  il  fust  loyaus  envers 
lui  ;  maifi^il  li  fumout  desloians  en  la  fin.  Li  soudans  s'esmut  '  ' 
et  passa  les  désetn  qui  sont  entre  Egypte  et  Surie ,  et  s'en  vint 
▼ertf  Damas.  li  autre  Sarrasin  qui  estoient  entor  s'assam- 
blèrent  ave»  lui,  ^  disoit<^»i  que  il  estoit  ^>  einc  soudàns.  II  se 


»  Pren  :  itfoa,  «««•«wap*  -*  «  Treu»: 
tribata.  -—  a  Lomien  :  loyMc.  — 
<  f^awist  :  Tttlùt.  —  »  Soucis  :  sujUa. 
—  '    Esgardèrent   :  décidèrent.   — 


'  Soldée  :  solde. — "  Féoient  :  voyaient. 
—  9  Pleni4  :  multitude.  ■*•  ••  5fi- 
monst  :  convoqua.  —  >>  ^esmut  :  se 
mit  en  marcIie.  —  "  Qu'il  y  avait. 


DE  JEAN  PIEBB£  SABRASTN.  31 1 

coDieHlèrent  et  mandèrent  atas  cfestiensque  il  se  f^onâbatiçs^t 
aveeques  euls  encontre  les  Tartadne.  là  cre^iea  se  coBseiU 
lèrenty  et  li  plus  *  s'acorda  que  il  $e  i^oipbatw^ut  avecques 
les  Sarrasins;  et  11  nudstves  de  TOspital  NostrQ*D^B)e  des  Ale^ 
mans  disque  ce  ne  seroit  mie  l)o&,  car  il  les  avoient  esprour 
vés  assés  de  fois ,  et  n'aveit  xoie  i^anmeoi;  «  que  li  Soprasin  q^ 
tenoieot  mie  trives  ans  er£3tiens  si  bi^  ppm  il  d^uss^t,  aiiu> 
y  mesprenoint  asaés  de  fois;  et  qite  se  il  se  çomtotoi^  avecr 
ques  les  Sarrasins  «ncentiie  les  Xartarins,  ^  U  T/artarin  es* 
toient  vaincu ,  et  li  crestien  qui  ne  seroient  mie  n^ors  m  l)a«^ 
taillé  seroient  tous  las  et  euls  et  leur  chevaus.  Se  celé  grant 
plenté  de  Sarrasins  qui  estolt  leur  couroit  sus,  légièremeot  ' 
seroient  tous  li  cresCiai  qui  sirotent  domoré  de  la  bataille  ou 
mors  ou  pris.  En  tele  manière  seroit  toute  la  tene  que  li  ères- 
iien  tenoient  perdue.  Quant  il  cirent  ce,  tous  s'acordèrent  à 
ce  conseil,  et  reoaandèrent  au  soudant  qu'il  ne  3e  combaterofent 
oue  avecques  euls;  mais  nul^  oiaus  ne  leur  vcndroit  par  devers 
les  crestieos,  ains  les  çonforteroi^nt  et  aideroient  de  viandes  et 
sauf  aler  et  ^auf  venir,  et  seroient  tpus  asseur  par  devers^  les 
creatijsns.  Quant  li  soudan  oîrent  ce ,  il  sM  acorderent  bien.  Il 
disent  que  ce  nç  demorroit  mie  qu'il  ne  se  combattissent ,  car 
il  ii'avoit  assés  ^ens.  11  ordenèrent  lor  bataille,  et  s'en  alèrent 
tout  droit  vers  les  Tartarins  ^  que  on  disoit  que  il  estoient  vers 
^jete.  Quant  li  Sarrasin  estoient  aproicclé  des  Tartarins  et  il 
virent  leur  point  4,  i|  se  misent  tout  en  conroi  ^  pour  combatre, 
et  coururent  sus  aus  Tartarins  et  assamblèrent  à  euls  viguereu- 
sement,  et  li  Tartarin  se  rassamblèrent  ausi  à  euls  moult 
bardiement.  Si  grant  fais  ^  de  gens  avoient  d'une  part  et  d'autre, 
que  ce  estoit  grant  merveille  à  veoir.  Longue  et  annuieuse  fu 
la  bataille,  et  moult  y  ot  de  gens  occis  d'une  part  et  d'autre. 
£n  la  fin  furent  desconfis  et  vaincu  li  Tartarin.  Ainsi  se 
combatirent-il  par  trois  jors  et  en  trois  pièces  de  terre ,  et  à 

'  lÀ  jifiw  «  Jle  plus  grand  nombre.  —  i  rement  .*  fa.cilemeat.  —  *  Lear  tempf. 
3  OranmmU  :  j|raii4«mcat.  —  ^  Légiè-  I  —  ^  En  r«n«. .  «fa<«  ;  «QUitvdes. 


312  LETTRE 

toutes  les  trois  fois  furent  li  Sarrasin  desoonfis.  On  esma  ' 
qu'il  Qt  bien  occis  en  ces  trois  batailles  cent  mil  Tartarins. 
Après  celé  tierce  *  bataille  li  Tartarin  s'enfuirent,  et  ne  sel- 
on mie  bien  qu'il  devinrent.  Aucunes  gens  disent  que  il  s'en 
estoit  fui  jusques  à  un  lieu  moult  loin  que  6n  af^le  aus 
froides  laues,  et  que  il  avoient  mandé  à  leur  sdgneur  grant, 
qui  estoit  roys  des  Tartarins,  leur  desoonfiture,  et  qu'il  leur 
envoyast  seeors  et  ajue.  car  il  estoient  presque  tout  m(Nrs. 
Que  3  il  leur  remanda  que  il  béoit  à  ^  &ire,  ce  ne  savons-nous 
mie  encore. 

Comment  cil  d'Egypte  murdrirent^  le  sotidan,  leur  seigneur, 
et  que  li  crestien  s'en  revindrent  à  grant  meschie/^  de 
Jhérusalem, 

Quant  le  pays  fu  vuidié  des  Tartarins ,  fors  7  de  ceuls  qui 
mors  estoient,  desquels  la  terre  estoit  toute  couverte,  li  Sar- 
rasin s'en  départirent  et  s'en  r'alèrent  en  leur  pays.  Li  soudans 
de  Babiloine ,  par  cui  effors  ^  ceste  besoingne  avoit  esté  faite, 
s'en  r'alèrent  en  Egypte.  Li  amiraus  à  cui  il  avoit  baillé  sa  terre 
à  garder,  avoit  fait  grans  conspirations  et  grans  conjurations 
contre  lui.  Ne  demora  mie  granment  après  ce  que  il  cuida  estre 
tout  en  pais  et  tout  asseur,  que  il  fu  murdris,  et  fîsent  li  Sarra- 
sin autre  «oudan,  et  disoit-on  que  il  l'avoient  fait  de  cet  ami- 
raut  meismes  par  cui  li  autres  soudans  avoit  esté  murdris.  Li 
crestien  n'en  furent  lié  9,  car  il  avoient  trives  à  '^  lui  ;  et  quant 
il  fu  murdris  et  mors,  la  trive  fu  faillie  et  tout  li  pays  en  guerre  : 
par  quoi  li  crestien  qui  estoient  en  Jhérusalem  en  pèlerinage , 
desquels  il  y  avoit  grant  plenté  en  diverses  terres ,  perdirent 
moult  de  lor  gens  et  de  leur  choses;  car  li  amiraus  qui  gardoit 
la  cité ,  quant  il  oït  que  li  soudans  estoit  murdris  et  mors ,  fist 
fermer  les  portes  de  la  cité  et  y  mist  boine  garde ,  que  nuls 

•  Esma  :  estima.  —  ^Tierce  :  tro4-  |  ^Mesehitsf  :  malheur.  —  ''Fors  :  k 
sième.  —  »  çne  :  ce  que.  —  <  Voulait.  1  l'exception.  ~  »  Par  les  efforts  do- 
—  ^Murdrirent  :  mirent  &  mort,  —  *  quel.  —  »L«  :  Joyeux.  —  ««^  :  atcc 


DE  JEAN  PIERRE   SABBASIIN. 


313 


n'i  peust  passer  ne  issir,  se  par  son  congié  non  ' .  Li  crestien 
qui  estoient  en  la  cité  en  pèlerinage  et  par  tréu  *  et  par  rachat 
n'en  porent  issir,  ains  les  detindrent  grant  pièce  ^,  que^  il  n'en 
voloit  nul  laissier  aler.  Tant  firent  en  la  fin  ii  crestiens ,  que 
il  les  laissa  aler.  Quant  il  orent  assés  eu  de  damage,  il  s'en  re- 
vindrent  par  grans  périls,  au  miexque  il  porent,  tout  ensamble 
en  la  terre  des  crestiens  qui  est  seur  leur  marine  ^.  Plusieurs 
fois  furent  assaillis  entrevoies  ^,  et  perdirent  assés  de  lor  gens 
et  de  lor  hamois  et  de  lor  avoir.  Et  disoit-on  certainement  que 
tous  ces  agais  ?  et  ces  assaus  leur  avoit  fait  faire  li  amiraus  de 
Jhérusalem,  par  cui  congié  et  cui  conduit  s,  par  grans  rachas 
que  il  avoient  donnés,  il  estoient  au  saint  sépulcre  aie;  et  à 
grant  meschief  9  et  à  grant  painne  il  s'en  revindrent.  Quant  li 
crestien  les  virent ,  s'en  furent  moult  lié  >®  et  moult  joiant , 
selon  les  aventures  qui  leur  estoient  avenues ,  ot  en  mercièrent 
et  loèrent  moult  hautement  Nostre-Seigneur.  Adont  "  estoient 
li  au  de  l'incarnation  de  Nostre-Seigneur  mil  deus  cens  et 
soixante-un. 


<  Ni  sortir,  si  ce  n'est  par  sa  per- 
mission* —  3  Tréu  :  tribut.  —  '  Long- 
temps.—  <  Que:  car. — ^ Marine :mtr, 
—  <  En  chemin. — '  Àgais  :  embnscadet. 


— 'Parla'permission  etle  sanf-condnit 
duquel.  -^  B  JUesehUif  :  souffrance, 
mal. —  i<>Ils  en  furent  très-Joyeux. — 
"  jédtmt  :  alors. 


FIN    DE   LA  LETTRE  DE  JEAN-PIERRE   SARRASIN. 


27 


i.J 


c'est    Cl    Lk    LETTRE    OUE    U    ROIS    THIEBAUT    DE 
RATARRE  ENVOI  A  A  L'fiSVBBQUfi  DE  TBURES. 

(  Heures  de  Mai^irieHtej  fèratte  de  Cfaàrtet  d'AnJonii  Mi^  de  la  BibDcyllièqiie 
de  Salate^GenevièiTe,  k»»4««  B0.  L  2Ï,  taHk»  198  recto.) 


Tibaut,  par  la  gtâce  de  Dieu,  toîë  de  Navân^,  de  âiaiii- 
pagne  et  de  Brie  coeûs  pa[la]zins9  à  mesure  O,  évesque  de  Thunes, 
saluz  et  lui  tout.  Sire ,  j'é  receue  vostre lettre,  en  laquele  vous 
iQe  priez  que  nous  vous  feissons  asavoir  Testât  de  mon  chier 
seigneur  Louys ,  jadis  rois  de  France.  Sire,  du  commencement 
et  du  miliu  savez-vous  plus  que  tioas  ne  fesons;  mes  de  la  fin 
vous  poon-nous  tesmoignier  par  la  veue  des  eauz  ',  que  onques 
en  toute  nostre  vie  ne  veimes  si  sainte  ne  si  dévote  fin  en 
homme  du  siècle  ne  de  religion ,  et  autel  *  avon&rnous  oï  tes- 
moignier à  touz  cens  qui  la  virent.  Et  sachiez,  sire,  que  dès 
le  dimenche,  à  eure  de  nonne ,  jusques  au  lundi  après  tierce, 
sa  bouche  ne  cessa  de  jour  et  de  nuit ,  par  toutes  parties,  l'es- 
pace de  deus  eures,  de  louer  Nostre-Seigneur  et  de  prier  pour  le 
pueple  quUl  avoit  là  mené  ;  et  là  où  il  avoit  jà  perdue  une  partie 
delà  parole,  crioit-il  aucune  foiz  en  haut  :  Fac  nos.  Domine, 
prospéra  mundi  despicereet  mtUa  ejusadversaformidare^  et 
molt  de  foiz  crioit-il  en  haut  :  Esto,  Domine,  plebi  tue 
sanctificator  et  custos.  Après  Teure  de  tierce ,  il  perdi  ausi 
comm[e]  du  tout  la  parole;  mes  il  regardoit  les  genz  molt  dé- 
bonèrement  et  sourrioit  aucune  foiz;  et  entre  eure  de  tierce 
et  de  midi  fist  ausi  cum  semblant  de  dormir,  et  fu  bien 

>  Eauz  :  jtux,  —  ^AuUl  :  pareiUe  chose. 

315 


316     LETTEE  DU  fiOI  THIBAUT  A  l'ÉVÊQUE  DE  TUSCULUM. 

les  eauz  clos  l'espace  de  demi-iiu.  Après  il  ovri  les  euz  et  regarda 
contre  le  ciel,  et  dist  cestvers  :  IrUroibo  in  domum  ttiam, 
adorabo  ad  templum  sanctum  tuum,  Onques  puis  il  ne 
parla;  et  entour  eure  de  nonne,  il  trespassa.  Et  dès  l'eure  qu'i 
trespassa,  jusques  en  laidemaîn  qu'en  le  fendi,  ilesloitausit 
biax  et  aussint  vennauz  s  ce  nous  sembloit,  com  il  estoit  en 
sa  pleine  santé  ;  et  sembloit  à  molt  de  genz  quU  vossit  *  rire. 
Après,  sire,  ses  entrailles  furent  portées  à  Mont-Royal,  en 
Tesglise  près  de  Paleme,  là  où  Nostre-Sires  a  jà  commencié  à 
fere  molt  de  granz  miracles  porlui,  sicum  nous  avons  entendu 
par  Tarcediacre  de  Paleme,  qui  Ta  mandé  par  sa  lettre  au  roy 
de  Seeile.  Sires,  li  cuers  de  lui  et  li  cois  demeurent  encore  en 
l'oost  :  H  pueples  en  nule  manière  ne  veut  soufrir  qu'il  en  feut 
porté*. 

.'Aussi  beaa   et  anssi  Termeil.  — •  '  Qa'îl  yoalAt. 

*  Une  lettre  semblable,  miiis  plus  étendue,  a  été  publiée  par  D.  Martene,. 
le  P.  Daniel  et  dans  la  Bibliothèque  des  croisades,  Voy«  l'Histoire  des 
croisades»  de  Michaud,  4»  édition,  tom.  V,  pag.  90.  Voyez  encore  XHistoin 
littéraire  du  la  France^  Xom.  XXF,  pa«.  808-810. 


LES 


REGRÈS  DE  LA  MORT  S.  LOYS. 

(Manuscrit  delà  Bibliotliéque  impériale,  ancien  fonds  du  Rot,  n»  7218, 

.  folio  540  verso,  coL  4.) 


L*en  dit  que  tout  à  tens  huche  '  cil  à  la  porte^ 
Qui  mauvèses  noveles  à  cels  dedenz  aporte. 
Orez  '  d'une  novele  qui  trop  me  desconforte  : 
Drois  est  ensevelis,  et  léautez  est  morte. 

le  di  que  droîz  est  mors  et  léautez  estainte , 
Quant  11  bons  rois  est  mors,  la  créature  sainte^ 
Qui  chascun  et  chas.cune  fesoit  droit  à  sa  plainte, 
Li  mieudres  ^  rois  qui  onques  éust  espée  çainte. 

A  cui  se  porrbnt  mes  les  povres  genz  clamer  4^ 
Quant  li  bons  rois  est  mors  ^  tant  les  seut  ^  amer  ? 
La  turtre  ^  de  sim[dece,  le  coulon  7  sanz  amer 
Por  aler  afu  sépulcre  voloît  passer  la  mer. 

Diex  soufiErï  por  lui  mort,  il  Ta  por  lui  soufferte  : 
A  cui  qu'en  soit  li  preus^,  à  nous  en  est  la  perte; 
Et  Diex  li  a  la  porte  de  paradis  ouverte. 
Diex  a  batu  le  mont 9,  je  cuit  '*>,  por  sa  déserte". 


'  HvLcher  :  appeler.  —  *  Orez  :  (  voua  ) 
apprendrez.—  ^Mieudres  :  meiUenrs. 


avait  coatome,  soMaU  —  ^  Turtre 


tonrterelle.  ^  ^  Couton  :  colombe  : 
pigeon.  —  '  Preus  :  profit.  —  '  Moni , 


<  Clamer  :  réclamer.  —  «  Seut  :    '  monde».  —  '•  Cuif  :  crois.  —  »  »  Pour 


ravoir  mérité. 
317  2T. 


318 


LBS  BBGBETS 


Por  uoz  péchiez,  je  croi,  le  nous  à  Diex  toloit  '  :] 
11  nous  a  bieii  raoustré  que  son  oès  *  le  voloit 
Or  taruève  ^  li  bons  rois  ce  que  fcre  soloit^  : 
U  essmiçoit  les  humbles,  les  orguillex  fouloit. 

Hé!  bon  roi  Loéys,  ci  de  pesme  ^  noTéte. 
Enoor  s*à  Dieu  pléust,  fust  nostre  viebdie. 
Je  ne  cait  ne  ne  eroi,  par  la  Yirge  pueele. 
Que  plus  bénigne  roi  montast  onqoes  sus  sele. 

Hé!  b<m  roy  Loéys,  Tostre  grant  léauté 
Valoit  miex  c*un  trésor  ne  c'nne  réaulé. 
Se  Diex  n'i  met  conseil,^  Taurons  mes  autri  ^. 
Vos  estiiez  {dus  simples  «fans  prestres  à  Fantel. 

Hé  !  bon  roi  Loéys,  miréor  ?  de  justice. 
Mondes  *  de  toz  péchiez,  de  tote  couToitise, 
Soustenaus  et  colombe  9  de  toute  sainte  TgUse, 
Quant  Tos  avons  perdu,  toz  biens  nous  apetise  <*. 

Hé!  bon  roi  Loéys,  malbaillis  "  est  li  mondes. 
Diex,  je  ne  gart  "  Féure  que  tu  toz  nous  confondes. 
Ql  n'i  est  mes  >'  qui  ert  purefiez  et  mondes. 
Sainte  Yglise  pert  une  de  ses  meillors  espondes  >4. 

Hé!  bon  roi  Loéys,  Tostn  estaMineaM^ 
Mainte  ame  pécherresse  ont  mise  à  sauvement'^ 
Vos  ne  voliiez  mie  o'on  jurast  laidement  : 
Or  revendront  arrière  li  vilain  serement. 

Hé  I  bon  roi  Loéys,  si  oon  *^  j'ai  entendu^ 


*  ToloU  :  enltTé.  —   —  ^  Oè$  : 
nM(e,gré.  —  s  Trueve  >  trouTc.  — 

*  SoloU  :  aTait  coatuma ,  êolebai.  — 
»  Petme  :  très-maayai8e,|ieMima.  — 

•  jiut«l  :  tel,  pareU.  —  1  Mtreor: 
miroir.  —  •  Monde»  :  pur,  mvndus. 


—  '  Soutien  et  colonne.  —  "  Jlpé" 
iite  :  d«Tient  petit.  —  «  MalhaUlU  : 
maltraita.  —  »*  Gari  :  regarde.  — 
«»  Hès  :  pUs. —  «<  Espondes  :  piliers. 

—  ^^Sauvemeni  :  salât "  5<  con  .• 

ainsi  que,  comni^. 


DE  LA  MOBÏ  I^H  BAlUt  LOUIS.  ^fQ 

Vos  aviiez  les  boules  '  et  les  g6us  deafaièu. 
Maint  se  sont  par  le  geu  au  déàble  reuén, 
Et  maint  fils  de  preudomme  en  a  esté  pendu. 

Hé  !  bon  roi  Loéys,  eil  Diéx  qui  fout  pârdocie 
Vous  mete  en  paradis  6on  la  meOlOi'  persone 
Et  tout  le  meillor  roiqui  jamès  port  *  cordfièl 
Li  povre  soufretous  vivoient  de  ta  done^. 


Hé  !  bon  roi  Loéys,  en  tostre 
N'avoit  ypocrisie  ne  prodif^lâié* 
Vous  estiiez  si  plains  de  gratut  humflité 
Que  nus  hom  ne  pooit  4  covrir  la  vérité. 

Hé!  bon  roi  Loéys,  hom  de  fortiae  eréanee  ; 
N'avint  mes  en  roiaome  aosi  grant  meschéanoe  ^. 
Je  ne  sai  comment  Diex  fu  de  si  ^aiit  soufifranee 
Qu'il  a  si  guerroie  le  roiaume  de  France. 

Hé!bonit>i  Loéys,  mal  lor est  avenu^ 
Qu'il  auront  en  lor  gueule  Mu  sovent  et  meou. 
Hé  !  bon  roi  Loéys,  bien  vous  est  souvenu 
Du  &meillex  ^  repestre  et  de  vestir  le  nu. 

Hé  !  bon  roi  Loéys,  ($ôiù  diverse  JOAiée  ! 
En  poi  d'eure  est  fortune  ehangie  et  bè^rtiée  '. 
Vous  estiiez  li  pains  qui  smivoît  la  fornée  : 
Or  nous  est  sainte  Yglise  malementatornée^. 

Hé  !  bon  roi  Loéyiï,  la  téfe  avez  tenue 

Au  porfit  des  barons  et  de  la  gent  menue;] 

>  BmOea  :  iMltf,  danaM  •»  >  Port  X  \  maUieiir.  •—  «famêUlex  :  affame.  — 
nal  homme  ne  poaTait.—^lf«Mfc^aM<;  I  n^e  :  anrnfée. 


920 


LBS  BHGfiBTS 


Et  s'entre  voz  barons  dvoit  descouvenne. 
Vous  i  metiiez  pais  et  acorde  tenue. 

Hé  !  bon  roi  Loéys,  de  vous  ne  me  puis  taire. 
Diex!  qui  nous  vengera  de  la  mort  députaire'? 
Hé  !  Mort,  que  n'es-tu  chose  que  Fen  péust  desfaire? 
On  te  féist  assez  vilonie  et  contraire. 


Hé  !  Mort,  que  n'es-tu  chose  que  l'en  péust  tuer  ? 
Qui  n'i  péust  ataindre,  il  i  vousist  ruer*. 
Hé  !  Mort,  Diex  te  maudie  !  jà  ne  te  quier  ^  amer, 
Que  tu  me  fez  d'angoisse  et  d'ire  tressner  4. 

Mort,  tu  es  plus  corant  que  n'est  mie  levrière. 
Moift^  tu  es  plus  tomanz  que  n'est  leus  de  teanière  ^  ; 
Tu  es  li  ars  ^  qui  tret  7  et  devant  et  derrière. 
Tu  getes  à  la  fonde  *  et  puis  à  la  perrière  9. 

Mort,  tu  fiers  l'un  soz  paume  et  l'autre  de  retrete. 
C'est  cil  *®  qui  plus  tost  part,  que  dl  qui  miex  se  guete. 
Nus  n'a  si  sa  tor  close  que  tu  ne  truises  frète  ". 
Tu  nous  as  ce  lolu  dont  nous  avons  soufrete'*. 

Mort,  contre  ton  cop  n'a  noie  ame  garison  >3. 
Tu  fiers  >  ^  l'un  en  apert  «^  et  l'autre  en  trahison. 
Je  porroie  bien  mètre  ma  teste  en  atison  '^ 
Que  fere  ne  péusses  ausi  grant  mesprison. 

Mort,  tu  as  hui  '?  le  monde  malement  coroucié  ; 
Tu  as  hui,  Mort,  non  mie  tant  seulement  blecié 


'    Députaire  méehante.     — 

^  Ruer  :  jeter,  lancer.  —  ^Çuier  : 
TCBK.  —  *  Trettuer  :  suer,  —  *  Tes- 
nière  :  tannière.  —  •  jirs  !  arc.  — 

'  Tret  :  tire ■  Fùnde  :  fronde.  — 

*  Perrière  :  espèce  de   madiiDc  de 


guerre.  —  '•  Cil  :  celni.  —  «  '  Frète  : 
brisée.  —  i^  Soufrete  :  «oaffrance, 
besoin.  —  '^  Carieon  :  garantie.  — 
'<  Fiers  :  Frappes.  —  '*  Eu  apert  :  on- 
Tertement.  —  '<^  jitison  :  gage  — 
"  Nui  :  anjoard'hui. 


n 


DE  LA  MORT  DE  SAINT  LOUIS. 

Celui  par  qui  les  tors  estoient  adreeié  '  ; 
Il  ert  ^  à  toz  biens  fez  :  or  as  tout  dépecié. 


aât 


Hé  !  Mort,  tu  ne  porroies  pas  fère  maintenant.. 
Tu  as  pris  de.  mal  fère  ton  quaresme-prenant . 
Tu  n'eusses  pas  fet  autel  désavenant  ', 
Se  tu  eusses  pris  du  mont  le  remana9t4 
Et  lessie  la  proie  que  tu  en  vas  menant. 

Mort,  tu  es  de  mal  fère  forment  esvertuée. 
Tu  as  nostre  soleil  couvert  de  ta  nuée  : 
Fai  du  pis  que  tu  pues,  fai  toute  ta  buée  ^  : 
Jà  par  moi  ne  sera  blanchie  ne  curée. 

Mort,  je  ne  tendrai  plus  à  toi  reson  ne  conte. 
Bien  sai  que  tuit  morront  et  li  roi  et  li  conte. 
Riens  ne  vaut  ceste  vie,  n'i  a  que  paine  et  honte. 
Li  uns  trébuche  aval ,  lors  quant  li  autres  monte. 

Et  cil  qui  Fortune  a  mis  el  son^  de  saroe; 
Puet  estre  toz  séurs  qu'il  charra?  en  là  boe. 
Aus  riches  de  cest  monde  fet  Fortime  la  moe^ 
Qui  plus  aiment  denier  qu'il  ne  font  nule  chose. 

Hé!  bon  roi  Loéys,  plains  de  toutes  bontez, 
Entre  les  mauves  riches  ne  dois  estre  contez, 
lu  n'es  pas  de  ta  mort  abessiez,  mes  montez  ; 
Mes  li  siècles  en  est  malement  ahontez  ^. 

La  Mort,  qui  vous  est  douce,  nous  est  dure  et  amère; 
Ele  nous  est  maitastre,  mais  ele  vous  est  mère; 
Ele  vous  est  bien  large,  et  à  nous  trop  avère  9. 


•  AâxetM  :  Ttàreaséa.  —  »  Sri  : 
étaU,  —  i  TeUe  inconTenance,  — 
*    Retnauant  :  reste.  —  *  Buée  :.  les- 


glYe.  —  «  Au  sommet.  —  '  CAarra.  .• 
cherra,  tombern.  ^^Ahcnie»  :  honni. 
—  9  Avère  :  Aj&ré. 


8Î2  LB8  RSGBETS 

Vous  estes  eoronez  el  règne  >  Dieu  le  père. 

Vous  estes  ooronez  en  la  gloire  célestre, 
Si  veez  *  Dieu  le  père,  et  le  filz  à  SA  àeSM. 
Hé  !  bon  roi  Loéys,  tous  i  devez  bien  êstre  : 
Que  plus  léaus^  de  tous  ne  puet  de  fattie  neutre. 

Toz  jors  avez,  bon  rois,  léaoté  màiiiteaoe, 
Vous  avez  le  sentier  et  la  voie  tenue 
Où  Tostre  Sauvéor  fist  à  cels  sa  venue  : 
Tout  bien  et  toute  joie  vous  en  est  avenue. 

Hé  !  bon  roi  Loéjrs,  gentiz  holn  et  bénignes. 

De  jor  en  jor  devient  H  mondes  si  malignes 

Que  il  estoit  de  vous  ausi  comme  toz  dignes, 

£t  Diex,  quant  il  vous  prent,  nous  en  monstre  les  signes. 

fié!  bons  rois  Loéys ,  assez  avons  à  brère  <  : 
Qui  pert  son  bon  signor,  léal  et  débonère. 
Il  a  bone  achoison,  ce  m'est  vis,  de  dud  fère. 
Ghascun  pooit  en  vous  prendre  bon  examplère. 

Hé! bons  rois  Loéys,  filz  la  roîne  Blanche, 

Jà  ne  vous  tint  de  dire  chanson  ne  rotruange^. 

On  se  boutastou  cors  ^  d'un  coutel  dusqu'au  manehe, 

Si  qu'il  nous  fiist  de  vous  remèse  ?  aucune  branche. 

De  vous  avons  tel  branche  qui  moult  nous  recx)nf  orte  : 
C'est  vostre  filz  Phdippe^  qui  toz  biens  nous  enorte*. 
Nostre  sires  doit  estre,  droiz  et  reson  l'aporte. 
La  branche  régnera,  puis  que  la  cime  est  morte. 

»  DuM  U  tmumt  de.  -^'  Bl  voas  i  pèee  de  poétie.  —  <  Oa  le  mit  an 
voye».  --  *L4au9  :  loyal.  —  *  Brirê  :  I  corpj.  -.  f  HmèM  :  rettie.  —  •BMrte  : 
crier,  pUiurer.  ^^IMrmmge,  et*  1   exhorte. 


DE  LA  IfORX  DS  SA|NT  LOUIS.. 

Par  rèson  et  par  droit  doit  Phesjippes  biea  Cere, 

Qu'il  en  a  longuement  eu  bon  e^amplère, 

Et  ]i  fîlz  tout  adè»  '  doit  au  père  retrère  \ 

On  dist  et  dire  seul  ^  :  «  Qui  de  bons  est,  bien  flère  4.  » 

Hé  !  bons  rois,  toz  li  mondes  c'onques  en  cbeval  sist 
Il  féist  bon  duel  ^  fère,  se  li  deuls  riens  vousist  ^  ; 
Et  je  moustraîsse  bien  que  d#  voim  me  chau3ist7, 
Que^  jamès  ma  conplainte  ne  mon  dit  ne  ÛMisistQ. 

Bons  rois,  il  nops  eovieot  nostre  duel  oublier, 
Quar  nul  duel ,  ce  me  semble,  ne  puet  frujçtefier  ; 
Mes  chascuns  erestiens  devroit  por  lui  prier 
Et  lessier  la  complainte,  le  duel  et  le  crier. 

Ahi  !  mort  palasine  ^®,  Diex  f  envoit  grant  me^chief  "  ! 
Pris  as  par  a^tipe  "  le  ridie  roi  el  cbief  ^^. 
François  maie  voisine  ont  en  toi,  par  mon  chief  ! 
Meuglé  as  lor  cuisine  et  lessié  le  relief. 

Tu  nous  as  abevrez  de  venin  entecMez^^, 
Et  nostre  flori  pré  as  noalement  fauchié, 
Quar  tu  as  nostre  mestre  hors  du  mont  arrachié. 
Gordelier  sont  outré,  boni  et  v^goingnié  '  ^ 

Mort,  qui  la  gent  desprises '^,  et  orgu^leuse  et  iele  '7 . 
Tu  as  fet  tel  justice  dont  le  cuer  mi  sautele'^. 
Contre  le  roi  t'es  pri^,  sa  mort  molt  nos  rapele« 
Molt  avoit  biau  servise  toz  jors  en  sa  ehapcle. 

Chapele  de  Paris,  bien  ères  '9  maint^^e  ; 


333 


I  Toui  adès  :  toujours.  —  ^  Retrère  : 
ressembler, — ^Stut  :  a  coutume,  90« 
let,  —  *  Flère:  tcnt.  —  ^Duél:  deaU. 
~>  0  FwsUi  :  vaiftt.  —  '  St  j'énase 
bien  montré  qae  d9  vous  je  me  «on- 
ciais.  —  •  Que  :  car.  -^^  Ftnulst  : 
naaqaftt^  —  lO  PeUasine  :  palaMne, 


princeese.  —  ^^  JâesekUf  :  maibear. 

—  "  Âatine  :  haine.  —  '3  A  la  tête. 

—  >^  EnUtehies:  erapoitonné ,  inioagiéa' 
tus,  •*—  '*  Fergoingnié  :  vilipendés.  — 
w  Desprises  :  méprises.  —  ■'  Fêle  : 
dare.  -*  *'  Sauleie  :  tressaiUit.  •— 
<9  Mre»  :  èUà», 


324 


LES  REGRETS 


La  Mort,  ce  m*estavîs,  fa  f<!t  deseourenue  : 

Du  miex  de  tes  amis  t'a  lessâé  toute  nue. 

De  la  Mort  sontplaintis'  etgrant  gent  et  menue. 

Mort  plus  ville  que  chien,  Diex  t'abate  et  asomme  ! 
Quar  ce  qui  n'est  pas  tien  prcns-tu,  ce  est  la  somme. 
Ta  as  pris,  je  sai  bien,  du  mont  le  plus  preudomme. 
A  lui  ne  féist  rien  l'apostoile  de  Ronmie  '. 

I^rs,  qui  me  fez  mesconte,  la  gent  mes  en  ahan  ^, 
Dame-Diex  te  dôinst^  honte  et  te  mete  en  mal  ani 
Tu  as  pris  le  bon  conte,  sire  Jehan  Tristan. 
Ne  cuit  qu'à  cheval  monte  nus  hom  si  plains  desân. 

Mort,  tu  as  pris  l'oisel  avoeoques  Toiseillon  : 
C'est  le  biau  damoisel  ;  Jehan  Tristan  ot  non. 
Droiz  fu  comme  on  rosel,  iex  Tairs  ^  comme âiucen; 
Dès  le  tens  Moysel  ne  nasqui  sa  façon'^. 

Ahi  !  Mort  refusée  et  de  pute  7  value. 
Tu  n'es  pas  alosée  ',  dehait 9  qui  te  salue! 
Quar  molt  douce  rousée  as  aus  François  tolue  ^^ 
Tu  as  fet  osée  ;  jà  tf  ères  absolue  '  * . 

Mort,  sainte  Yglise  plaint  mult  durement  sa  perte. 
Jacobins  as  ataint  à  ceste  descouverte. 
Nus  hom  plus  ne  te  crient  **,  saches  c'est  chose  certe'^ 
Quant  nostre  bon  roi  saint  as  pris  et  sanz  déserte '4. 

Mort,  puis  '^  le  vendredi  que  Diex  fu  martirez. 
Ne  fu  puis^  je  te  di,  fi  siècles  si  irez  >^, 
Que  Judas  le  vendi  aus  Juys  reniez  : 


*  Plairitis  :  plaintifs.  —  ^  Le  pape. 
—  3  jfhem  :  peine,  toannent.  — 
*  Doinst  :  donne,  {svbj,),  —  *  Yenx 
brillante.  —  «  Façon  :  figure.  -- 
''Pute  :  petite.  —  *'Mo9ée:  eetlmée. 
^  9  Maliiear  à.  —  »»  Toiue  :  enlevée. 


-^11  Ta  ne  seras  pas  absoute. — 
"  Crient  :  craint.  — .  *3  certe  :  cer- 
taine. — >  ><  Sans  ravoir  mérité.  — 
•  *^  Pids  :  depais.  —  ><<  Le  monde  si 
chagrin. 


I^  LA  MOHT   J>E  SAINT    LOUIS.  Z2^ 

Tant  est  abastardis  li  mons  *  et  empirez. 

Mort,  ne  t*eu  esbahis,  se  France  est  abosmée  *  : 
De  lor  gonfanonier  lor  a  fetdessevrée^. 
S'autres  cinq  cens  milliers  eusses  mis  à  Tespée, 
Je  réusse  molt  chier,  jà  n'en  fusses  blasmée. 

Les  granz  mortalitez  as  ennostre  gentfète  : 
Cest  molt  grant  cruautez,  aumosne  ert  par  lui  fête. 
François  se  sont  vantez  qu'il  ont  de  toi  soufrète  ^  ; 
Joie  et  jolivetez  *  est  de  France  retrète  ^. 

Mort,  tu  sez  bien  trahir  la  gent,  mult  est  enferme  ; 
On  te  doit  bien  haïr ,  je  te  di  et  afferme. 
De  France  as  fet  partir  le  bon  roi  ainz  7  son  terme 
Qui  tu  veus  assaillir,  fols  est  s'il  ne  s'enferme. 

Riens  ne  vaut  enfermer  contre  toi,  Mort  amère. 
Nus  ne  te  doit  donner,  tu  ne  fus  pas  avère 
De  passer  outre-mer  por  prendre  nostre  père. 
Bien  le  doivent  amer  jacobin  et  tuit  frère. 

• 
Mort,  qui  tu  as  souspris  mult  a  mauves  ostel  ; 
Tu  as  nostre  roi  pris  qui  n'estoit  pas  mortel  ; 
Porpre  et  maint  drap  de  pris  a  mis  sor  maint  autel  ; 
De  donner  fii  espris,  ouques  hom  ne  fu  tel. 

Hé!  Mort,  qui  te  porroit  aus  mains  tenir  ou  prendre, 
Certes,  on  te  devroit  en  feu  ardant  esprendre, 
Quar  cel  qui  Dieu  servoit  as-tu  pris  sanz  atendre 
Qui  bien  i  pensseroit,  li  cucrs  li  devroit  fendre. 

«  Mons  :  monde.  -  '  ^bos-  \  france,  beâoin.  -  ^ /o/ivetes  ;  gaieté. 
mée  :  conaternée.  —  3  Dessevrée  ;  —  «  Retrete  :  retirée.  —  Atnz  . 
■éparatioa.    —   <    Sovfrète  :   souf-  l    avant.  ^^ 

BIST.  DE  SAIIST  LOUIS. 


326        LES  BEGBETS  DE  LA  MORT   DE   SAINT   LOUIS, 

Tut  cordelier  preudomme  prie  de  bon  corage  s 
Por  nostre  roi  Phélippe  et  por  tout  son  baruage  ^ , 
For  toz  cels  qui  mort  sont  en  icelui  voiage^ 
Que  Diex  en  ait  merci,  qui  nos  fist  à  s'ymage. 

Expliciunt  les  ^  Regrès  au  roi  Loeys, 

'    Corage    :  cœur.   —  'Et  ponr  I   toM  tei  1»aroaa.  — •  '  Fin  des. 


POÈME  ANGLO-NORMAND 

LA  BATAILLE  DE  MANSOURAH. 

(Ms.  du  Musée  Britannique ,  BiUiotlièqiie  GottonienM.  Jaliuf,  A.  V 
folio  176  verso  ;  imprimé  dans  les  Excerpta  histonca^  pr^  JOuitruHon 
€f  Bnglish  History,  London  :  printed  by  and  for  Samuel  Beniley. 
M.  DGCC.  XXXI.,  grand  in-80,  pag.  64-84  ;  et  réimprimé  dans  le  Nou- 
veau Recueil  de  contes,  dits^  fabliaux,  etc.,  publ.  par  Achille  Jubinal. 
Paris,  chez  Cballamel,  1842,  in-8°,  tom.  II,  page  359-355.  ) 


K.y  vodra  de  doëi  e  de  pité  oier  très-graimt 
De  bon  William  Long-Espée,  ly  hardy  combatant , 
K.e  fust  oscis  en  Babilone  à  la  quarame-pemant, 
K.e  od.leroi  Louys  alat,  o  son  host  mut  graunt, 

A  un  chaste]  de  Babilone ,  Musoire  est  nomée , 
K.e  touz  jours  en  peinime  sera  renomée, 
Por  ly  rois  qe  fust  pris  en  celé  chevachée , 
E  les  altres  chivalers  kî  furent  de  sa  meignée, 

E  ly  counte  de  Artoise,  sire  Roberd  li  fers. 
Ceo  fu  par  son  orguile ,  tant  fu  surquidersî 

Qui  voudra  de  deuil  et  de  pitié  ouïr  très-grande  (histoire,  écoute 
celle)  du  bon  Guillaume  Longue-Épée,  le  hardi  combattant,  qui 
fut  tué  en  Babyione  à  carême-prenant,  qui  avec  le  roi  Louis  ala, 
avec  sa  très-grande  armée, 

A  m  château  de  Babyione,  Mansourah  est  nommé,  qui  toujours 
en  terre  payenne  sera  renommé,  à  cause  du  roi  qui  fut  pris  dans^cette 
expédition,  et  des  autres  chevaliers  qui  furent  de  sa  maison, 

Et  du  comte  d'Artois,  sire  Robert  le  Fier.  Ce  fut  par  son  orgueil, 

327 


828  POÈME    ANGLO-NOBlf  AND 

£  meinz  altres  esquiers  e  pniz  chivalers 
1  perderunt  la  vie,  tant  unrnt  desturbers  ! 

£  meint  homme  vailant  i  avoit  dunqe  oscis. 

£  ]y  bon  AYillam  Long-£spée ,  li  ehivaler  hardiz, 

A  le  qarame-pemaut  del  Incamacione 
Mil  e  deus  centz  qarant-noef  aunz  parnime, 
Qant  le  count  de  Artoîse  dust  passer  le  flume , 
£ntere  £gipte  e  Babiloine  et  od  ly  meint  homme , 

£  ly  meistre  du  Temple  od  tôt  sun  graunt  poars  , 
Le  vailant  comit  Willam  e  ses  chivalers 
Assailleront  les  herberges  à  Sarazins  malurez 
Ke  dehors  la  Musorie  furent  herbergez. 

Meint  i  avoit  Sarazin  iUoqe  dimqeosciz. 

De  tut  pars  les  herbergez  furent  asailiz , 

Kar  les  krestiens  les  unt  ateinz  et  huniz 

£  de  lur  espées  trenchant  detrenché  touz  vifs.     . 

De  treis  mil  Sarazins  e  sinqecentz  e  plus,  à  mun  quider, 

tant  il  foi  présomptueux  I  Et  maints  autres  écuyers  et  preux  cheva- 
liers y  perdirent  la- vie,  tant  eurent  d'embarras! 

Et  maiat  honune  vaillant  il  y  avait  alors  tué,  et  le  bon  Gaillaume 
Longue-Épée,  le  chevalier  hardi. 

Au  carême  prenant,  (l*an)  de  rincamation  mil  deux  cent -qua- 
rante-neuf nommément,  quand  le  comte  d'Artois  dut  passer  le  fleuve 
entre  l'Egypte  et  Babylone ,  et  avec  lui  maint  homme, 

Et  le  maître  du  Temple  avec  sa  grande  puissance,  le  vaillant 
comte  Guillaume  et  ses  ehevaliers  assaillirent  les  logements  aux  Sar- 
rasins maudits  qui  dehors  Mansourah  furent  logés. 

Maint  Sarrasin  il  y  avait  là  tué.  De  toutes  parts  des  logements  ils 
furent  assaillis;  caries  chrétiens  les  ont  atteints  et  honnis,  et  de  leurs 
épées  tranchantes  taillés  en  pièces  tous  vifs. 

De  trois  mille  Sarrasins  et  cinq  cents  et  plus,  à  mon  avis,  qui 


sua    LA  BATAILLE  JDE  MANSQUBAH.  32!) 

Ke  furent  illoqe  ateioz  ne  pout  nul  esehaper  ; 
Fust  monté  ou  à  peé,  ne  fust  si  fort  e  fer 
Ke  ne  perdist  la  teste,  saimz  plus  losenger, 

Fors  dedenz  la  Mosoire  qe  donqe  avcint  entré, 
Castel  fort,  bien  wami  e  très-ben estoré. 
Dedenz  fîist  ly  soldan,  qe  par  Mahun  out  joré 
Ke  graunt  desturber  freit  cel  joure  à  la  kristienté. 

L*ost  des  knstiens  est  remu  arère , 
Ly  meistre  du  Temple,  chlvalere  à  frer, 
E  ly  count  de  Artoise  despleie  sa  banère  ; 
Illoqe  vout  demorer  en  mesme  la  manère. 

£  ly  count  Long-£spée  hardiz  e  pruz , 
E  ly  qens  de  Provynce,  chivaler  estuz , 
£  ly  count  de  Flaundérs ,  à  pé  e  cbival  muz, 
Sunt  illoqe  demoré  à  reposere  touz. 

Delacerunt  lur  heaumes  pur  eaux  aventéir , 
Atirerlur  armes,  lurchivaux  provender; 
Aeisunt  lur-mesmes,  mult  aveint  graunt  mester  ; 

furent  là  atteints,  ne  put  nul  échapper;  fùt-il  monté  ou  à  pied,  il 
ne  fut  si  fort  et  fier,  qu'il  ne  perdit  la  tète,  sans  plus  de  détour, 

Excepté  ceux  qui  alors  étaient  entrés  dans  Mansourah,  château  fort, 
bien  garni  et  très-bien  approvisionné.  Dedans  fut  le  Soudan ,  qui  par 
Mahomet  avait  juré  que  grand  embarras  il  ferait  ce  jour  à  la  chré- 
tienté. 

L^armée  des  chrétiens  s'est  portée  en  arrière,  le  maître  du  Temple, 
chevalier  avec  (ses)  frères,  et  le  comte  d'Artois  déployé  sa  bannière; 
là  il  voulut  demeurer  de  la  même  manière. 

Et  le  comte  Longue-Épée  hardi  et  preux ,  et  le  comte  de  Provence, 
chevalier  téméraire,  et  le  comte  de  Flandre,  (et)  nombre  à  pied  et  à 
cheval,  sont  là  demeurés  tous  à  se  reposer. 

Ils  délacèrent  leurs  heaumes  pour  s'éventer,  arranger  leurs  armes, 
faire  manger  leurs  chevaux  ;  ils  se  mettent  à  Taise  eux-mêmes,  ils  en 

28. 


330  POÈME  ANGLO-NQBMAND 

Tant  aveintcombatu,  n'ont  talent  [de]  jaer  ; 
Conseillunt  ensemble  cornent  vodreintov^rer, 
S'il  deveint  alere  avant,  ou  illoqe  demorer. 
En  dementers  ceaux  qe  vodreunt  gayner , 
Tumerunt  aies  herbergesetroverunt  graunt  aver, 
Mult  plus  qe  ma  lange  ne  saehe  demustrer  ; 

De  or  e  de  argent  troverunt  graunt  plenté, 
Plus  qe  poûnt  porter  qant  fîist  assumé. 

IJoe  gente  conseilerunt  tôt  pleinèremt^t 
Demorer  jesqes  à  tanqe  qMl  aveint  plus  de  gent , 
K'il  pussent  aler  plus  assurment 
Le  Musoire  prendre  e  aver  à  talent; 

Qar  mult  aveint  le  jour  ben  espleité , 

Sarasinz  osciz  e  de  lur  herberges  chacé , 

Chevaux  e  armes,  or  et  argent  wainé , 

£t  Sarazins  oscis ,  décopé  e  détranché. 

Et  si  Dieu  plest  de  gloire,  la  mâtine  ont  pensé 

Le  Musorie  aler  plus  près.  Qant  lur  gent  unt  assemblé , 

avaient  grand  besoin  ;  ils  avaient  tant  combattu  qu'ils  n'ont  envie  de 
jouer;  ils  tiennent  conseil  ensemble  comment  ils  voudraient  agir, 
s'ils  devaient  aler  en  avant  ou  là  demeurer.  Pendant  ce  temps-là  ceux 
qui  voulurent  gagner,  retournèrent  à  leurs  logements,  et  trouvèrent 
grand  avoir,  bien  plus  que  ma  langue  ne  saurait  démontrer  ; 

D^or  et  d'argent  ils  trouvèrent  grande  abondance,  plus  qifils  ne 
peuvent  portor  quand  il  fut  pris. 

Certains  conseillèrent  tout  uniment  de  demeurei*  jusqu^à  ce  qu'ils 
eussent  plus  de  monde,  qu'ils  pussent  aller  avec  plus  d'assurance 
prendre  Mansottrab  et  Tavoir  à  leur  gré  j 

Car  ils  avalent  le  jour  beaucoup  marché,  tué  des  Sarrasins  et 
cliasséde  leurs  logements,  chevaux  et  armes,  or  et  argent  gagné, 
et  Barrasins  tué,  découpé  et  taillé  en  pièces.  Et  s'il  plait  à  Dieu  de 
gloire,  le  matin  ils  ont  pensé  d'aller  plus  près  de.Mansourali.  Quand 


SUR   LA   BATAILLE   DE   MANSOURÀH.  3 Si 

Dist  li  count  de  Artoise  :  «  De  folie  parlez. 
Nus  ne  créum  Sarazin  [  ki]  de  mère  soit  uez  ; 
Nous  prendroms  le  chastel  tôt  à  noz  voluntez, 
U 11  serunt  oscis  qe  leinz  senmt  trovez. 
En  €el  manière  le  poûms  tuz  avérés.  » 

Dist  li  meister  du  Temi^e ,  li  bon  chevaler  : 

K  Mult  serreit  profitable  ici  demorer, 

Nous-mesmcs  reposer ,  noz  nafrés  mediciner 

£t  nostre  sire  le  roi  eutre  eongé  passer, 

Et  nous  entur  li  trestouz  herberger, 

Et  de  touz  partes  le  chastel  de  nostre  ost  asséger. 

En  dementers  les  gines  pommes  adresser 

Pur  abatre  meisons  e  murs  aqasser, 

Et  H  soldan  prender  od  tôt  sun  graunt  poar  : 

Jà  mur  ne  meison  ne  lur  avéra  mester, 

Q*il  ne  soint  démangiez  od  espeiez  de  asser. 

En  cel  manère  les  poûmes  touz  aver. 

Nous  eomes  mester  de  repos,  nous  avomes  travailez. 

Mer  Dieu  de  gforie  !  ben  avomes  espleitez  ; 

Honuré  soit  le  roi  Jhésu ,  qi  si  bien  nous  ad  eadiez  ! 

leur  monde  ils  ont  assemblé,  le  comte  d'Artois  dit  :  «  De  folie  vous 
parles.  Nous  ne  craignons  Sarrasin  qui  de  mère  soit  né;  nous  pren- 
drons le  château  tout  à  nos  volontés,  ou  ils  seront  tués  (ceux)  qui  là 
seront  trouvés.  De  cette  manière  nous  les  pouvons  tous  avoir.  » 

Dit  le  maître  du  Temple,  le  bon  chevalier  :  «  Il  serait  très-profi- 
table dld  demenr^r,  de  nous  reposer  nous-mêmes,  de  soigner  nos 
blessés  et  de  mettre  notre  sire  le  roi  à  même  de  passer  (  la  rivière),  et 
de  nous  loger  tous  autour  de  lui ,  et  de  toutes  parts  assiéger  le  châ- 
teau avec  notre  armée.  Pendant  ce  temps-là  nous  pourrons  pointer 
les  engins  pour  abattre  les  maisons  et  briser  les  murs,  et  prendre  le 
Soudan  avec  sa  grande  puissance  :  ni  mur  ni  maison  ne  leur  sera 
d'aucun  secours,  quMls  ne  soient  mis  en  pièces  avec  des  épées  d'acier. 
De  celte  manière  noua  les  pouvons  tous  avoir.  Nous  avons  besoin  do 
repos,  nous  avons  fatigué.   Mère  de  Dieu  de  gloire!  nous  avons. 


332  POBHE  ANGLO-NOBMAND 

Sâunz  li  n^ussumes  rea  conqis  ;  il  ^  soit  hoQurez  !  » 

Dist  li  count  de  Artoise  :  «  Avoi ,  dan  Templer  ! 
Totes  jours  pelé  de  low  volez  od  nous  porter. 
Vous  dussez  par  reson  avant  touz  aler, 
Doner  alters  «isample  de  bene  travaiter.  » 

Li  meister  du  Temple  respount  curtoisement  i 

«  Pelé  de  low  ne  portumesnent,  ceo  sevent  bone  gent. 

Jà  ne  serrez  si  prest,  ore  vous  alez-ent  : 

Nous  seroms  le  primers ,  si  le  verret  cornent.  » 

Dist  le  count  Long-Espée  :  «  Overomes  sageiment. 

Sarazins  sunt  fel  e  finis  e  feiouns  gentz. 

Li  meister  dist  son  avis  e  mult  savemeat  ; 

Ke  mult  seet  de  guerre  e  bien  nous  aprent.  » 

Dist  li  count  de  Artoise,  qe  mult  fust  surqiders  : 
«  Ben  poez  estre  Engleis  itel  conseilers. 
Ne  lerromesjà  por  voz  ditez  ne  j^or  voz  deners, 
Q'en  irromes  qere  Sarazins  par  tere  e  par  mers.  » 

bien  travaillé  ;  honoré  soit  le  roi  Jésus,  qui  si  bien  noas  a  aidés  ! 
Sans  Ini  nous  n'eussions  rien  conquis  ;  qa*n  en  soit  honoré  !  » 

Dit  le  oomte  dUrtots  :  «  Holà ,  sire  Templier  !  toujours  peau  de 
loup  vous  voulez  avec  nous  porter.  Vous  deviez  par  raison  avant 
tous  aller,  donner  aux  autres  exemple  de  bien  travailler.  » 

Le  maître  du  Temple  répond  courtoisement  :  «  Peau  de  loup  m 
portons-nous  pas,  ce  savent  les  honnêtes  gens.  Vous  ne  serez  ja- 
mais aussi  prêts ,  maintenant  allez-vous-en  :  nous  serons  les  pre- 
miers, et  vous  verrez  comment.  »  IHt  le  comte  Longue-Épée  : 
«  Agissons  sagement.  Sarrasins  sont  cruels  et  sournois  et  félonnes 
gens.  Le  mattre  dit  son  avis  et  très-sagement;  car  il  sait  beaucoup 
de  guerre  et  bien  il  nous  apprend.  » 

Dît  le  comte  d'Artois,  qui  fut  très-présomptueux  :  «  Un  pareil 
conseiller  peut  bien-être  Anglais.  Nous  ne  laisserons  pas  pour  vos 
paroles  ni  pour  votre  argent  que  nous  n'aillons  chercher  les  Sarra- 


SUB   LÀ    BATAILLE   Dfi    MÀUSOUBAH.  333 

Dist  le  count  Long-Espée,  qe  fust  touz  jours  légers; 

Qant  il  oie  le  mot,  tôt  li  changa  le  qores  : 

«  Ore  vous  tirez  mainetenant,  qar  jeo  vois  monters.  ' 

Jà  ne  serrez  si  prest,  jeo  serra  li  primers 

De  launce  e  d*espée  eneontrereles  ennemis  fers.  » 

Lacerunt  lur  heaumes  e  lur  chapeaus  de  fer, 

La  Musoire  voleant  prendre  e  de  soldan  aver, 

Par  le  counseil  li  qens  de  Artoise  qe  fu  surqtder. 

Le  meister  du  Temple  brace  le  chivaux , 
£t  le  count  Long-Ëspée  dépli  les  sandaiix. 
Us  sunt  les  primers ,  ils  erunt  mult  vaillauns  ; 
Si  entreruut  la  Muroise  corn  lur  propre  estais. 

Qant  ils  furent  dedenz  entré ,  si  com  poent, 
Les  Sarazins  les  portez  touz  les  garderunt, 
Et  touz  en  la  Muroise  estreitement  gaitœunt, 
Por  oscir  les  kristiens,  si  fere  le  poent. 

Lesserunt  chaier  les  portez,  qe  très-bien  fu  gardé  ; 

sins  par  terre  et  par  mer.  »  Dit  le  comte  Longue-Épée,  qui  fut 
toujours  léger;  quand  il  ouit  le  mot,  tout  lui  changea  le  cœur  : 
«Tirez-vous  maintenant  (à  l'écart ),  car  je  vais  monter.  Vous  ne 
serez  jamais  aussi  prête,  je  serai  le  premier  de  lance  et  d'épée  contre 
les  ennemis  fiers.  »  Ils  lacèrent  leurs  heaumes  et  leurs  cliapeauiL 
de  fer,  Mansourali  ils  veulent  prendre  et  avoir  du  Soudan ,  par  le 
conseil  du  comte  d'Artois  qui  fut  présomptueux. 

Le  maître  du  Temple  éperonne  le  cheval,  et  le  comte:  Longue- 
Épée  déplie  les  cendals*.  Ite  sont  les  premiers,  ils  étaient  très- 
vaillants;  ils  entrèrent  à  Mansourah  comme  dans  leur  propre  log»s. 

Quand  ils  forent  dedans  comme  ils  pouvaient,  les  Sarrasma  gar- 
dèrent toutes  les  portes,  et  tous  en  Mansourah  étroitement  veiUèrent 
pour  tuer  les  chrétiens,  si  faire  le  pouvaient. 

Ils  laissèrent  tomber  les  portes,  qui  très-bien  tarent  gardées;  et 

*  Son  étendard. 


234  POteB  ANGL0*N0B1IAND 

Si  unt  trestous  les  kristieos  dedenz  les  murs  feimé. 
Devant  eaux  fu  le  flum  parfDode ,  longe  e  leé» 
Derère  la  porte  colioe  qe  trèshbien  fa  barré  « 
D'ambe  pars  les  murs  de  haut  père  tailé. 
Sarazins  de  totes  pars  les  unt  environé 
Des  ares  turcois  reddes,  des  dars  envenomé 
E  d'espées  longes  debone  ascer  furbé, 
E  des  gros  pères,  qe  urent  assez  plenté. 
Dunqe  les  Sarazins  à  noz  douèrent  graunt  colé. 

Et  les  vileins,  par  sinqe  ensemble,  à  gros  pères  alèrent 
Et  des  marteaux  pesaunz  les  noz  esqassèrent, 
A  noz  firent  graunt  damage  e  ren  esparnièrent. 
Pur  les  asauz  des  kristiens  qe  les  asailèrent , 

Les  unt  dedenz  asailli  e  lur  graunt  poare. 
Si  Dieu  ne  prenge  cure ,  ore  unt  graunt  mestère  ; 
Trestouz  plenèrement  ne  purrunt  eschapore 
Saunz  eaide  de  Dieu  qe  tôt  poet  govemere. 

En  mileu  de  Musorie  hy  ad  une  chimine  graunt , 

ils  ont  tooft  las  chrétiens  dedans  les  murs  fermé.  Devant  eux  fut 
le  fleuve  profond ,  long  et  large,  derrière  la  herse  qui  très -bien  fut 
barrée,  de  deux  côtés  les  murs  de  hautes  pierres  de  taille,  les  Sar- 
rasins de  toutes  parts  les  ont  environnés  (  et  attaqués)  des  arcs 
turcs  raides,  de  dards  envenimés  et  d'épées  longues  de  bon  acier 
fourbi,  et  de  grosses  pierres,  qu'ils  eurent  assez  ea  alxmdance.  Alors 
les  Sarrasins  nous  donnèrent  de  grands  coups. 

Et  les  vilains,  par  cinq  ensemble,  avec  de  grosses  pierres  allèrent, 
et  de  pesants  marteaux  (d'armes)  les  nôtres  brisèrent»  aux  nôtres 
ils  firent  graat  dommage  et  rien  n'épargnèrent.  Poar  les  assauts  des 
chrétiens  qui  les  assaillirent. 

Ils  les  ont  dedans  assaflli  et  leor  grande  puissance.  Si  Dieu  n'en 
prend  cure,  maintenant  ils  ont  grand  besoin  ;  tout  complètement  ne 
pourront  échapper  sans  aide  de  Dieu  qui  tout  peut  gouverner. 

Au  milieu  de  Mansourah  il  y  a  un  grand  chemin  de  la  porte  jus- 


SUR  LA  BATAILLB  DE  MANSOURAH.  335 

De  la  porte  jesqes  à  la  flume  tôt  avalant  : 
Là  se  combatent  les  chivalers  vaillant. 
Meint  teste  de  Sarazin  le  jour  i  sunt  senglant. 

Li  count  de  Artoise  sor  son  graunt  destrçr, 

L'eschel  de  sa  launce  perça  le  primer  ; 

N*avoit  qore  ne  corage  plus  demorer; 

Tant  fu  fort  asailli  de  fer  e  d'asser, 

Le  primer  q'U  encontra  à  tere  fist  tumber  ; 

Puis  s'enturûa  vers  le  flume,  si  s'en  voit  naier. 

De  ce  qeo  li  qens  fist  plus  ne  vous  soi  dire  ; 
Sa  aime  est  en  enfer ,  en  graunt  martire. 

Li  meister  du  Temple  fViUam  fùst  nomé. 
De  launce  se  contint  e  ton  terrist  d'espée, 
De  Turcois  e  des  ameireux  ferment  fu  naufré  : 
Pur  ceo  entre  les  Sarazins  graunt  crei  est  levé. 

Ben  qiderunt  les  Sarazins  aver  eibaï  ; 

Mes  mult  fîi  pruz  e  vaillant  e  de  qore  hardi , 

Mist  la  maine  à  Tespéeqe  très-bene  fii  furbi; 

qu'au  fleuve  tout  en  descendant  :  là  se  battent  les  chevaliers  vailiauts. 
Maintes  tètes  de  SarraBin  le  jour  y;sont  sanglantes. 

Le  comte  d* Artois  sur  son  grand  dextrier,  perça  le  bataillon  le  pre- 
mier de  sa  lance  ;  il  n'avait  ni  cœur  ni  courage  déplus  demeurer  ;  tant 
Ait  fort  assailli  de  fer  et  d'acier,  que  le  inrenner  qu'il  rencontra  à  terre 
fit  tomber  ;  puis  il  s'en  tourna  vers  le  fleuve,  et  voulut  se  noyer. 

De  ce  que  le  comte  fit  plus  ne  vous  sais  dire; son  Ame  est  en  en- 
fer, en  grand  martyre. 

Le  roattre  du  Temple  Guillaume  fut  nommé.  Sa  lance  il  tint  et 
bien  frappm  d'épée ,  des  Turcs  et  des  émirs  fortement  il  fut  blessé. 
Pour  cela  entre  les  Sarrasins  grand  cri  est  levé» 

Bien  crurent  les  Sarrasins  l'avoir  étonné  ;  mais  fort  i(  fut  preux  et 
vaillant  et  de  cœur  hardi ,  il  mit  la  main  à  Tépée  qui  très-bien  fut 


S36  POÈUE  ÀNGLO-NOBMAND 


f 


De  treis  Turcois ,  haute  gentz ,  abati  le  crie , 
Qe  ^tre  les  amireux  bien  furent  oï  : 
De  Fespée  trenchaunt  les  fendi  parmi. 

Un  Sarazin  vint  curant,  qe  léger  fii  à  peé; 
Porta  un  cutel  en  sa  maine ,  qe  fu  envenimé  ; 
Hausa  la  coverture  de  son  chival  armé , 
Si  le  dona  grauntcoup  à  la  destre  costé. 
Lymeis&r  senty  multben  qemalement  fu  naufre, 
Si  voleit  férir  un  amirel  qe  mult  fu  renomé  ; 
Soen  chival  li  failli ,  qar  à  la  morte  est  liveré. 
Le  chival  chet  à  tere ,  li  meister  remist  à  peé. 
Un  frer  vint  curant  ^  qe  fcen  fu  munté  ; 
Bailla  à  meister  son  chival ,  qe  très-bien  fu  armé. 
Li  meister  munta  vistement ,  unqes  ne  fu  si  leé , 
Et  prist  sa  launce  en  sun  poin  d'asser  bien  ferré , 
Curt  à  un  amerel  sur  un  féraunt  munté, 
Par  mi  le  corps  li  féri  ;  ne  pout  aver  duré. 
Le  corps  chet  à  tere ,  sa  aime  prist  le  maufé. 
De  Dieu  soit-il  beneit ,  qe  tiel  coup  ad  doné  ! 

fourbie  ;  de  trois  Turcs,  lisTutes  gens ,  il  abattit  le  cri ,  qur  entre  les 
émirs  forent  bien  ouis  :  de  Tépée  tranchante  il  les  fendI  par  le  mi- 
lieu. 

Un  Sarrasin  vint  courant ,  qui  léger  fut  à  pied  ;  en  sa  main  il 
porta 'un  couteau,  qui  fut  envenimé;  il  haussa  la  couvertore  de  son 
cheval  armé,  et  il  lui  donna  grand  coup  au  c6té  droit.  Le  maître  sen- 
tit très-bien  que  mauvaisement  il  fut  blessé,  et  il  voulait  frapper 
un  émir  qui  fut  très-renommé  ;  son  cUeval  lai  faillit,  car  à  la  mort  il 
est  livré.  Le  cheval  choit  à  terre,  le  maître  resta  à  pied.  Un  frère 
vint  courant ,  qui  bien  fot  monté  ;  au  mattre  il  donna  son  cheval, 
qui  très-bien  fat  armé.  Le  maître  monta  vitement,  jamais  il  ne  fut 
si  joyeux,  et  il  prit  en  son  poing  sa  lance  bien  ferrée  d'acier  ;  il  court 
à  un  émir  sur  un  cheval  monté,  parmi  le  corps  il  le  frappa;  il  ne  put 
avoir  durée.  Le  corps  choit  à  terre,  le  diable  prit  son  ftme.  De  Dieu 
soit-il  béni,  qui  tel  coup  a  donné  ! 


SUB  LA  BATAILLE  BE  HANSOUBAH.  337 

Le  chival  recuili  par  la  reine  ^  le  frer  apela^ 
Qe  oreinz  qant  il  fu  à  peé  ;  si  bien  li  muntac 

Le  frer  mist  peé  en  estru  e  munta  le  féraunt. 

Geo  vit  un  pain  félun,  si  vint  traversaunt; 

Parmy  le  corps^  desuz  le  bras,  li  mist  Tespée  trenchaunt. 

L'aime  en  portseint  Michel  en  pays,  chauntant, 

Où  serra  en  glorie  od  Jhésu  tout-pussant. 

Li  meister  brocha  son  chival ,  qe  fort  est  e  léger; 
Curt  à  un  amirel  qe  mult  est  f el  e  fer  ; 
A  la  kristiene  gent  out  feet  desturber 
Et  unqor  fra,  si  y  poet;  mes  n'avéra  poar. 

Et  li  meister  li  féri  de  sa  launce  reddement , 
En  fausa  ses  armes  tôt  plénièrement, 
Encontre  le  piz  le  sava  tôt  dreitement, 
Freit  morte  11  abati ,  ceo  virent  plus  de  cent. 

Un  Sarazin  vint  curant ,  son  ami  très-cher^ 
Un  amirel  félun  qe  out  à  noun  Beder, 

Le  cheval  il  arrêta  par  la  rêne,  il  apela  le  frère  quiuaguère  était  à 
pied  ;  maintenant  il  y  jnonta. 

Le  frère  mit  pied  en  Tétrier  et  monta  le  cheval.  Cela  vit  un  payen 
félon  et  il  vint  traversant  ;  par  le  milieu  du  corps,  dessous  le  bras, 
il  lui  mit  répée  tranchant.  L'âme  en  porte  saint  Michel,  en  chantant, 
dans  un  pays  où  elle  sera  en  gloire  avec  Jésus  tout-puissant. 

Et  le  maître  éperonna  son  cheval,  qui  est  fort  et  léger  ;  il  court  à  ' 
un  émir  qui  est' fort  cruel  et  fier;  à  la  chrétienne  gent  il  eut  fait  de 
l'embarras,  et  encore  il  en  fera,  sMl  peut;  mais  il  n'en  aura  pas  le  pou- 
voir. 

Et  le  mattrc  le  frappa  de  sa  lance  raidement,  et  il  en  faussa  ses 
armes  complètement,  contre  la  poitrine  il  le  sauva  tout  droit ,  il  l'a- 
battit froid  mort,  cela  virent  plus  de  cent. 

Un  Sarrasin  vint  courant,  son  ami  très-cher,  un  émir  félon  qui 
eut  à  nom  Beder  y  avec  une  lance  raide  son  ami  il  voulait  venger, 

29 


3S8  POÈME  ARGLO-nORM/^ND 

Od  .launce  red  son  ami  voleit  venger , 
Si  voleit  le  meister  par  mi  le  corps  douer  ; 
Mes  le  Long-Espée'  ne  vont  plus  demorer, 
Ly  et  Sun  graunt  chival  fist  à  tere  tumber, 
Curt  à  cel  amirel  un  chimin  tut  pleiner, 
Si  coup  la  teste  e  si  remeu  le  destrer. 

De  li  fu  le  meister  très-ben  aqité. 

Avant  curt  sun  chival  joins  e  leé. 

Un  Sarazin  le  sein  od  un  dart  envenomé, 

Si  fist  le  meister  un  plaie  qe  fu  large  e  leé. 

Le  meister  senti  mult  bien  qe  à  la  morte  fu  naufré, 

Curt  à  les  faerberges  où  furent  herbergé  ; 

Gonfès  e  repentaunt  e  acumené, 

Morut  tut  en  haste,  n*out  plus  demoré  ; 

Sa  aime  fu  richement  à  Dieu  présenté. 

• 

En  cele  eschele  fu  oscis  sire  Roberd  de  Ver, 
Qe  mult  fu  pruz  e  hardi  e  vaillant  chivaler. 
Desuz  ly  fu  osciz  sun  cheval  léger, 
A  peéremist  à  tere  li  bon  chivaler. 

et  il  voulait  au  mattre  par  le  corps  (des  coups)  donner;  mais  Longue- 
Épée  ne  voulut  plus  demeurer,  lui  et  son  grand  cheval  il  fit  à  terre 
tomber,  il  court  à  cet  émir  un  chemin  tout  droit,  et  il  lui  coupe  la 
tète,  et  emmène  le  dextrier. 

De  lui  fut  le  maître  très-bien  libéré.  En  avant  court  son  cheval 
joyeux  et  gai.  Un  Sarrasin  Patteint  avec  un  dard  envenimé,  et  fit  au 
maître  une  plaie  qui  fut  large,  et  profonde.  Le  mattre  sentit  bien 
qu'à  mort  il  fut  blessé,  il  court  aux  logements  où  ils  furent  hébergés; 
cottfès  et  repentant  et  après  avoir  reçu  la  communion,  il  mourut 
bien  vite,  sans  plus  de  retard  ;  son  âme  fut  richement  à  Dieu  pré- 
sentée. 

£n  ce  bataillon  fut  tué  sire  Robert  de  Ver,  qui  fut  très- preux  et 
hardi  et  vaillant  chevalier.  Sous  lui  fut  occis  son  cheval  léger,  à 
pied  resta  par  terre  le  bon  chevalier. 


SUB  LÀ  BATAILLE  DE  MANSOUBAH.  339 

Il  estut  près  un  mur  e  combati  mult  forte. 
Diz-set  Sarazins  entour  ly  jurent  mort , 

£t  d'espée  les  oscist  qe  bon  fu  e  trenchaunt  ; 
Ben  lur  mustre  le  jour  qe  pruz  fu  e  vaillant. 
Tan  ad  combatu  à  peé  qe  ne  pout  avant  ; 
Là  murra  son  corps,  sa  aime  à  Dieu  chantant. 
Ore  lerrums  de  touz  ceaux,  si  dîroms  avant 
De  le  hardi  chivaler,  le  meilur  combatant 
Qe  pur  la  krestienté,  puis  le  temps  Rolant, 
Ne  combati  en  armes  chivaler  vaillant. 

jCeo  fu  le  count  Long-Espée ,  qe  mult  fort  combati  *, 
Avant  ceo  q'il  fu  mort ,  mult  cher  se  vendi. 
Il  passa  une  alter  eschele,  et  alter  sinqe  od  lui  ; 
Avant  qe  vint  le  vespre ,  martir  se  rendi. 

Un  templer  fîi  le  primer,  sire  fVynwund  fu  sun  noun  \ 
O  le  count  Richard  fu  qant  il  ferma  Scalon. 
Iloquefuresceufrer,de  ceo  avoit-il  le  noun. 
Sa  pruesse  se  fist  nomer  sire  ïf^ymound  de  Scaloun. 

lise  tint  près  d'un  mur  et  combattit  très-fort.  Dîx-sept  Sarrasins 
autour  de  lui  furent  couchés  morts , 

Et  il  les  tua  d'épée  Cpii  fut  bonne  et  tranchante;  bien  leur  montre 
ce  jour  que  preux  fut  et  vaillant.  Tant  il  a  combattu  à  pied  qu'il 
ne  put  plus  (aller)  avant;  là  mourra  son  corps,  son  Ame  (ira)  à  Dieu 
en  chantant.  A  présent  nous  laisserons  (de  parler)  de  tous  ceux-là, 
et  nous  dirons  en  avant  du  hardi  chevalier,  le  meifleur.  combattant 
qui  pour  la  chrétienté,  depuis  le  temps  de  Roland,  combattit  en 
armes  chevalier  vaillant. 

Ce  fut  le  comte  Longne-Épée,  qui  très-fort  combattit;  avant  qu'il 
fut  mort,  très-cher  se  vendit.  Il  passa  un  autre  bataillon,  et  cinq 
autres  avec  lui;  avant  que  vint  le  soir,  martyr  se  rendit. 

Un  templier  fut  le  premier,  sire  Wymound  fut  son  nom;  avec  le 
comte  Richard  il  fut  quand  il  fortifia  Ascalon.  Là  U  fiit  reçu  frère, 
dé  cela  avait-il  le  nom.  Sa  prouesse  le  fit  nommer  sire  Wynwtmd 
d*  Ascalon . 


340  POÈME    ANGLO-NORMAND 

Ë  sire  Roberd  de  Widele ,  ke  mult  vaillaunt  fu^ 

£  sire  Rauf  de  Henefeld ,  par  la  grâce  Dieu , 

Qe  maint  Sarazin  oscist  d'espée  mulu. 

Ki  eut  Sarazin  ke  si  hardi  fu 

Qe  en  champ  le  entendit  eut  de  vertu. 

Mi  sire  Alexander  GifTard ,  li  pruz  chivaler , 
Qe  touz  fu  en  armes  vistes  e  léger, 
Ceo  apparust  à  un  jour  qantvoleit  profiter, 
Prendre  congé  à  Sarazins  pour  eaux  encumbrer. 

Sire  Johanne  de  Bretain,  sun  chivaler  nori^ 
Qeesteit  de  Rohan,  e  nent  de  Normandi , 
Qant  sun  seingneur  dust  eaider  cum  seingneur  et  doni , 
En  le  flum  tant  tost  se  mist,  neé  se  rendi. 

Avant  chivacherunt  muit  très-durement  ; 
Avant  qe  furent  mors ,  oscierunt  plus  de  cent. 
Des  Sarazins  soldées  firent  mult  martirement. 
Checun  curt  à  un  amirel  de  qor  hardiment , 
Mort  les  abaterent ,  ne  vaut  nul  garnement. 

Et  sire  Robert  de  Widele ,  qui  très-vaiilant  fat,  et  sire  Ralph  de 
Kenefeld ,  par  la  grâce  de  Dieu,  qui  maint  Sarrasin  tua  d'épée  émou- 
lue. 11  n*y  eut  Sarrasin  qui  si  hardi  fût  qu'en  campagne  l'attendit 
(et)  eût  du  courage. 

Messire  Alexandre  GifTard,  le  preux  chevalier,  qui  tout  fut  en  ar- 
mes vite  et  léger,  cela  apparut  un  jour  qu'il  voulait  profiter,  prendre 
cougé  des  Sarrasins  pour  les  embarrasser. 

Sire  Jean  de  Bretagne ,  son  chevalier  élevé  (par  lui),  qui  était  de 
Rohan,  et  non  de  (Rouen  en)  Normandie,  quand  son  seigneur  il  dut 
aider  comme  seigneur  et  maître,  dans  le  fleuve  tantôt  il  se  mit,  et  se  noya. 

En  avant  ils  chevauchèrent  très- vigoureusement  ;  avant  qu'ils 
furent  morts,  ils  en  tuèrent  plus  de  cent,  des  Sarrasins  mercenaires 
ils  firent  grand  martyre.  Chacun  court  à  un  émir  de  cœur  hardi- 
ment, morts  ils  les  abattirent,  (rien)  ne  vaut  nul  équipement. 


SUB  LiL  BATAILLE  DB    MAMSOUBAH.  341 

Por  la  mort  amireaux  grauQt  cri  est  levé. 
Les  Sarazins  solde»,  la  gent  maliuré, 
Manaoentferemait;  par  Mahun  unt  juré, 
James  n'avèrent  repose  jesqes  soint  ben  venge. 

Sarazins  y-furent  derer  e  devant , 

E  donèrent  graunt  coleies  à  la  gent  vaillant , 

E  il  fererunt  arer,  ne  mi  com  enfant, 

O  espées  de  asser,  ge  furent  mult  trenchant  ; 

Qar  lur  launces  furent  despessés  en  garant. 

Ferm  tenderent  ensemble  li  bon  cbivaler, 
Checun  près  alter  solom  lur  poar  ; 
Qant  qe  poaint  ateindre  firent  demorer 
Mort  ou  detrenché,  saunz  nul  merci  aver. 

Les  krestiens  vount  les  Sarazins  chasaunt 
Com  leverers  freint  bestes  vers  le  boiz  fuant. 

Ëntour  ces  sinqe  chivalers  sunt  environez , 

Un  graunt  ost  des  Sarazins  de  gent  eschumengez  ; 

Pour  la  mort  des  émirs  grand  cri  s'est  élevé.  Les  Sarrasins  merce- 
naires, la  gent  maudite,  menacent  fièrement  ;  par  Mahomet  Ils  ont 
juré  que  jamais  ils  n'auront  de  repos  jusqu'à  ce  quMIs  soient  bien 
vengés. 

Sarrasins  y  furent  et  derrière  et  devant,  et  donnèrent  grands  coups 
à  la  gent  vaillante,  et  ils  frappèrent  arrière,  non  pas  comme  des  en- 
fants ,  avec  des  épées  d'acier,  qui  furent  bien  tranchantes  ;  car  leurs 
lances  furent  dépecées  en  quartier. 

Ferme  ensemble  tinrent  les  bons  chevaliers ,  chacun  prit  un  autre 
selon  son  pouvoir  ;  tout  ce  qu'ils  purent  ateindre  ils  firent  demeurer 
mort  ou  taillé  en  pièces,  sans  nulle  merd  avoir. 

Les  chrétiens  vont  chassant  les  Sarrasins  comme  lévriers  feraient 
des  bètes  vers  le  bois  fuyant. 

Autour  de  ces  cinq  chevaliers  est  rassemblée  une  grande  troupe  de 

29. 


S42  POÈME    A.NGL0<NORMÀND 

Des  chivaux  e  des  armes  ben  sont  estorez. 
Qant  veint  les  chivalers,  nmlt  simt  esmaez. 

Sire  Alexander  Giffard  dit  à  son  seingnour  : 
«  Sire,  q'est  tun  conseil ,  pour  le  Dieu  amour, 
De  celé  ost  des  Sarazins  qe  nous  veint  entour  ? 
Dewom  cy  demôrer  ou  fiier  de  poour  ?  » 
Ly  count  respoundi  dunqes  de  mott[t]  hardi  qor  : 

«  Issi  deist  jescun  de  nous  sa  pruesse  mustrèr. 
Jà  com  les  chênes  les  îrrum  encontrer. 
Pur  Tamour  Jhésu-Krist  ci  volumes  dévier. 

«  Pur  l'amour  Jhésu-Krist  venims  en  ceste  tère 
Nostre  héritage  par  pruesse  conqère , 
Celé  joie  celestiene ,  por  nul  altre  affère. 
Ci  ne  venims  détenir  ost  ne  nule  guère. 

«  Mes,  sire  Alexander  Giffard^  si  vous  poez  eschaper, 
Vous  qe  gardez  mes  bienes  e  estes  mun  chivaler. 
Enter  mes  gentz  si  départez  mun  aver 
Qe  ma  aime  soit  resceu  en  joie  tôt  primer. 

Sarrasins,  de  gens  excommuniés;  de  chevaux  et  d'armes  ils  sont  bien 
approvisionnés.  Quand  les  chevaliers  (les)  yoient,  ils  sont  bien  embar- 
rassés. 

Sire  Alexandre  Giffard  dit  à  son  seigneur  :  «  Sire ,  quel  est  ton 
avis,  pour  Tamour  de  Dieu ,  de  cette  armée  de  Sarrasins  qui  vient 
autour  de  nous?  Devons-nous  ici  demeurer  ou  fuir  de  peur?  Le  comte 
répondît  alors  de  très-hardi  cœur  : 

«  Ici  doit  chacun  de  nous  sa  prouesse  montrer.  Comme  des  chiens 
(qu'ils  sont)  nous  irons  à  leur  rencontre.  Pour  Tamourde  Jésus-Christ 
ici  nous  voulûmes  nous  détourner. 

«  Pour  Tamour  de  Jésus-Christ  nous  vînmes  en  cette  terre  notre 
héritage  par  promesse  conquérir,  cette  joie  céleste,  (et)  pour  nulle 
autre  affaire.  Ici  nous  ne  vînmes  pour  maintenir  armée  ni  nulle  guerre. 

«  Mes ,  sire  Alexandre  GifTard,  si  vous  pouvez  échapper,  vous  qui 
gardez  mes  biens  et  êtes  mon  chevalier,  entre  mes  gens  distribuez  de 
telle  sorte  mou  avoir  que  mon  ame  soit  reçue  en  joie  tout  d'abord. 


SUR    L^   BATAILLE    DE   MANSOIIRÀH.  343 

«  Donez  à  povm»  religious,  pur  moi  chaunterunt, 
E  à  povers  Engleis  q'en  le  ost  combaterunt^ 
£  à  povers  malades  qe  graunt  mestier  en  UDt , 
£  à  mesaulx  e  orphanyns  qe  par  ma  aime  prierunt. 

«  Donez  pur  ma  aime  mon  or  e  mim  argent , 
Mon  trésor  e  mes  armes  donez  à  bon  gent , 
£t  trestut  mes  alters  bienes  donez  si  sagement 
Qe  od  moi  iez  la  joie  od  Dieu  omnipotent.  » 

Un  cbivaler  de  Norm[a>idie  qe  fu  en1a  meingne 

U  bon  count  Willam  de  Long-Espée 

£  à  qi  mon  sire  Willam  avoit  mult  fié , 

£n  haut  cria ,  si  dist  :  «  Sire ,  par  charité , 

Sire ,  ce  dist-il ,  fuums  utre  ce  flum  si  leé  : 

Tant  y  vient  des  Sarazins,  ne  puroms  aver  doré,  w 

—  «  Ne  fuerai ,  se  dist  le  count  Willam  Ijong-Espée  : 

Jà  à  chivaler  engleis  ne  serra  reprové 

Qe  pur  poour  me  fui  de  Saraziu  maluré. 

Jeo  vinqe  cy  por  Dieu  servire,  si  li  plest  à  gré. 

«  Donnez  aax  pauvres  religieux  qui  pour  moi  chanteront,  et  aux 
pauvres  anglais  qui  en  Parmée  combattront,  et  aux  pauvres  malades 
qui  grand  besoin  en  ont,  et  aux  lépreux  et  aux  orphelins  qui  pour 
mon  ame  prieront. 

«  Donnez  pour  mon  ame  mon  or  et  mon  argent ,  mon  trésor  et 
mes  armes  donnez  aux  bonnes  gens,  et  tous  mes  autres  biens  donnez 
si  sagement,  que  avec  moi  vous  ayez  la  joie  avec  Dieu  tout- puis- 
sant. » 

Un  chevalier  de  Normandie  qui  fut  de  la  suite  du  bon  cx)mte  Guil- 
laume Longue-Épée ,  et  à  qui  messire  Guillaume  avait  grande  con- 
fiance, en  haut  eria  et  dit  :  «  Sire,  par  charité,  sire,  dit-il ,  fuyons 
outre  ce  fleuve  si  large  :  tant  il  y  vient  de  Sarrasins  (que  nous)  ne 
pourrons  avoir  durée.  »  —  «  Je  ne  niirai ,  dit  le  comte  Guillanmc 
Longue-Épée.  Jamais  à  chevalier  anglais  il  ne  sera  reproché  que  par 
f>eur  je  m'en  fuis  de  Sarrasins  maudits.  Je  vins  ici  pour  Dieu  servir, 


344  POBHB  ÂNGLO-MOKM ÀND 

Pur  ly  voil  mort  suffrir,  que  par  moi  fu  pené; 
Mes  avant  qe  soi  mort  me  vendrai  chère  marché.  » 

—  «  Si  vous  ne  voilez  aler,  ce  dist  le  chivaler, 
Jeo  me  vois  en  haste ,  ne  voile  plus  demorer.  » 

—  «  Va-t-en,  se  dist  le  coont ,  qe  avez  en  penser 
Vous-mesmes  melter  à  hunt,  n'i  ad  qe  sojorner.  » 

11  curt  à  son  bon  chival  qe  très-bien  fu  armé , 
Si  se  mest  en  le  flum ,  l'éwe  ad  enporté. 
Li  e  sun  chival  nea  de  son  bon  gré. 
yalme  fu  tantost  au  Deble  comandé. 

£t  memt  alter  Fraunceis  se  nea  le  jour  : 
De  la  vie  perdre  tant  en  aveint  poour. 
S'ils  se  fussent  combatu  por  le  Dieu  amour, 
Lur  aimes  fussent  en  joie  od  leur  créatour. 

Le  count  manda  à  frer  Richard  si  s'en  vout  aler, 
Et  à  sire  Rauf  de  Flaundres ,  qe  mult  Tama  cher, 
Et  à  sire  Roberd  de  Widele,  le  hardi  bacheler, 

sMl  lui  vient  à  gré.  Pour  lui  je  veux  mort  souffrir,  car  pour  moi  il  fut 
supplicié;  mais  avant  que  je  sois  mort,  je  me  vendrai  cher  marché.  » 

—  «  Si  vous  ne  voulez  vous  en  aller,  ce  dit  le  chevalier,  je  m'en 
vais  en  hâte,  je  ne  veux  phis demeurer.  »  —  n  Va-t'en ,  dit  le  comte , 
qui  avez  dans  la  pensée  de  vous  mettre  vous-même  à  honte,  il  n'y  a 
pas  de  temps  à  perdre.  » 

Il  court  à  son  cheval  qui  très-bien  fut  armé,  et  il  se  met  dans  le 
fleuve ,  l'eau  Ta  emporté.  Lui  et  son  ciieval  nagea  de  son  bon  gré. 
L'ame  fut  tantôt  au  diable  recommandée. 

Et  maint  autre  Français  se  noya  ce  jour-là  :  de  perdre  la  vie  tant 
ils  avaient  peur.  S'ils  eussent  combattu  pour  l'amour  de  Dieu,  leurs 
âmes  fussent  en  joie  avec  leur  créateur. 

Le  comte  manda  à  frère  Richard  s'il  voulait  s*en  aller,  et  à  sire 
Ralph  de  Flandre,  qui  lui  fut  très-attaché,  et  à  sire  Robert  de  Widele, 


suit  LÀ   BATAILLE  DE  HANSOUEAH.  S4â 

£t  à  sire  Richard  de, Guise  qe  porta  son  baner  : 
«  Vole-vous  aler-ent  e  lesser  moi  demorer? 
Avant  qe  m'en  alase  lerraî  la  teste  coper.  » 

Trestouz  respondèrent  en  ire  très-graunt 
Qe  se  ne  feissent  mi  pur  homme  q'est  vivant  : 
A  Dieu  nous  seit  en  aïe  e  seint  Jorge  le  vaillant  ! 
Dist  chescun  pur  sei,  à  Dieu  me  comand.  » 

Pist  lecount  dunqes,  li  bon  Long-Espée  : 
«  Tenoms  ferm  ensemble,  si  averoms  tut  wainé  ; 
Tant  com  purroms  endurer,  ne  serroms  dampné  ; 
Si  nous  serroms  oscis ,  nous  serroms  touz  savé. 

Les  Sarazins  unt  environé  les  chivalers  vaillant , 
Ben  armée,  ben  monté  od  les  espées tranchant, 
A  peé  et  à  chival,  derer  e  devant. 
Li  noumbre  ne  savoit  dire  nul  homme  vivant. 

Mon  sire  Richard  de  Guise  qe  porta  le  ^er , 
Et  le  bon  Long-Espée,  li  hardi  chivaler, 

le  hardi  bachelier,  et  à  sire  Richard  de  Guise  qui  porta  sa  bannière  : 
«  Voulez- vous  vous  en  aller  et  me  laisser  demeurer?  PlutM  que  de 
m'en  aller  je  me  laisserai  la  tète  couper.  » 

Tantôt  ils  répondirent  en  très-grand  chagrin  qu'ils  ne  le  feraient 
pas  pour  homme  qui  est  vivant  :  «  Dieu  nous  soit  en  aide  et  saint 
George  le  vaillant  !  dit  chacun  pour  soi,  à  Dieu  je  me  recom- 
mande. » 

Alors  dit  le  comte,  le  bon  Longue-Épée  :  «  Tenons  ferme  ensemble, 
et  nous  aurons  tout  gagné  ;  tant  que  nous  pourrons  endurer  nous 
ne  serons  damnés;  si  nous  sommes  tués,  nous  serons  tous  sauvés.  » 

Les  Sarrasins  ont  environné  les  chevaliers  vaillants ,  bien  armés , 
bien  montés  avec  les  épées  tranchantes,  à  (Hed  et  à  cheval,  derrière 
et  devant.  Le  nombre  n^en  saurait  dire  nul  homme  vivant. 

Messire  Richard  de  Guise  qui  porta  la  bannière,  et  le  bon  Longue- 
Épée  ,  le  hardi  chevalier,  entre  la  grande  presse  quand  il  se  dut  tour- 


346  POBMB  ANGLO^NOAHAND 

Entre  le  graunt  prese  com  il  se  dust  turaer, 
La  senestre  maine  lui  fu  copé  doimt  porta  le  baner  : 
De  ces  moyngnus  le  rescust  e  sotemt  le  baner, 
Cum  hardi  e  vaillaunt  e  vigruz  bachiler. 

Et  sire  Rauf  de  Heufeld,  le  hardi  conahatant , 
Pur  Tamur  Jhésu-Crist  mult  vendi  cher  sun  sanqe. 

Et  sire  Roberd  de  Wadele ,  le  prus  chivaler, 
Qe  onqes  ala  en  ost  son  seingnur  eaider, 
Et  frer  Richard  de  Ascalon,  U  noble  guerrcr, 
Mult  déservi  ben  ce  jour  la  joie  du  celé  aver. 

Lur  chivaux  furent  oscis ,  si  esturent  à  peé , 
Reddement  se  combaterent  por  Tamur  Dé. 
Sire  Alexander  Giffard  est  ben  eschapé  ; 
L'or  e  l'argent  qe  à  lui  fu  bailé  , 
A  qilli  ensemble  les  chivaux  e  les  ad  chargé  ; 
Si  se  prent  le  chimin  vers  Damout  la  cité. 
Il  saut  en  le  flum ,  q'e^  longe  e  leé , 
Ariver  vont  à  Diote,  com  est  ^eomencé 
A  son  seingnur  fieu  le  bon  Long-Espée, 

ner,  U  main  gaochs  lui  fut  <XHipée  dopt  il  porta  la  bannière  ;  de  ses 
moignons  il  la  reçat  et  soutint  la  bannière,  comme  hardi  et  vaillant  et 
vigoureux  bachelier. 

Et  sire  Balph  de  Henfeld  »  le  hardi  e<wbalta&t»  pour  Tamour  de 
Jésua^hiiflt  très-cher  vendit  son  saag. 

Et  sire  Robert  de  Widete,  le  preux  chevalier,  qui  jamais  ala  en 
guerre  son  seigneur  aider,  et  frère  Richard  d' Ascalon,  le  noble  guer- 
rier, fort  bien  mérita  et  jour^là  la  joie  du  ciel  avoir. 

Leurs  chevaux  forent  tnéa,  et  ils  furent  à  pied;  raide  ils  se  com  - 
battirent  pour  l'amour  de  Dieu.  Sire  Alexandre  GifTard  est  bien 
échappé;  Tor  et  l'argent  qui  h  lui  fut  baillé,  recueillit  avec  les  che- 
vaux et  les  a  charefe;  et  il  prend  le  chemin  .vers  Damiette  la  cité. 
11  saute  en  le  fleave ,  qui  est  long  et  large ,  arriver  il  veut  à  Diote , 
comme  il  a  promis  à  son  seigneur  lige  le  bon  Longne-Épée,  pour 


SÙB  LA  BATAILLE  DE  MANSOUfiAH.  347 

Pur  départir  son  aver  com  Tout  comandé. 

Si  tost  com  il  furent  en  le  flum  entré , 

L(â  Sarazins  félons  les  unt  ben  esgardé  ; 

Le  fu  grégeis,  qe  fost  chaut,  sur  eaux  unt  geté , 

Si  les  unt  ars  en  poudre ,  ne  remîst  un  peé. 

Mult  fortement  fiist  le  coont  des  Sarazins  mené , 

Oscîr  ne  poant  son  chival,  si  ben  fust  armé , 

Ne  a  tere  trer  le  poant  H  Taillant  duré  ; 

Mes  del  estru  senestre  fu  le  peé  copé. 

Mult  graunt  doel  fu  de  ce  corps  qe  issi  fii  manglé. 

Qant  senti  le  count  qe  sun  peé  fu  perdu , 

De  son  bon  chival  à  tère  est  descendu  ; 

Frer  Richard  apel  de  Aschalons  :  «  Qù  est*tu? 

Aïez  or,  frer,  nous  avoms  ore  perdu.  »  ' 

Le  frer  fust  mult  vaillant,  ne  se  retraist  arère, 
En  conforta  le  count  ben  en  sa  manère  : 
tt  Ne  vous  esmaiez ,  sire ,  Dieu  ora  ta  prière , 
£t  sa  douce  mère  qe  li  ad  tant  chère.  » 

partager  son  avoir  comine  il  l'eut  commandé.  Aossitèt  qu'ils  furent 
dans  le  fleuve  entrés,  les  Sarrasins  félons  les  ont  bien  regardés;  le 
feu  grégeois  y  qui  fut  ekaud,  sur  eux  ils  ont  jeté,  et  il  les  ont  réduits 
en  oènâres,  il  n'en  resta  pas  uo  pied.  Très-fortement  fut  le  comte  des 
Sarrasins  mené  ;  tuer  ils  ne  purent  son  cheval ,  tant  il  fut  bien  armé, 
ni  à  terre  ils  ne  purent  le  tirer»  le  vaillant  fini  ;  mais  de  l'étrier  gauche 
fut  le  pied  coupé.  Très-grande  peine  (ce)  fut  pour  ce  corps  qui  ainsi 
fat  moUlé. 

Qnand  le  comte  sentit  que  son  pied  fut  perdu,  de  son  bon  cheval 
à  terre  il  est  descendu  ;  il  appelle  frère  Ricliard  d'Ascalon  :  »  Où  es* 
tu  ?  An  secours  maintenant,  frère  »  nous  avons  (tout)  perdu.  » 

I^  frère  fat  fort  vaillant,  il  ne  se  retira  pas  en  arrière,  mais  recon- 
forta le  comte  bien  à  sa  manière  :  «  Ne  vous  tourmentez  pas,  sire,  Dieu 
ouïra  ta  prière,  et  sa  douce  mère  qu'il  cliérit  tant.  »> 


i 


S48  POÈMB   ANGLO-NOHMAND 

Frer  Richard  de  Ascalon  son  chival  out  perdu , 
Maint  pleie  en  le  mond  Dieu  avoit-il  resçu. 

Et  sire  Roberd  de  Wadele  se  combati  tant , 
Plus  ne  pout  endurer,  à  Dieu  s'en  va  od  tant; 
Et  sire  Rauf  de  Henfeld,  sun  compaingnon  vaillant^ 
Mult  bêle  compaingnie  teint  en  tut  son  vivant. 

A  Sarazins  firent-il  maux  e  les  demanglèrent 
Et  asez  se  vendirent  cher  eynz  qe  morèrent. 

Sur  les  espaules  le  frer  se  poale  Long-Espée, 
L^espée  trenchant  en  sa  maien  :  ne  out  qe  un  peé . 
Toiuc  ceaux  qe  pout  ateinder  la  teste  ad  copé  ; 
Ne  esparnia  haut  ne  bas ,  si  ben  fust  armé. 

Un  soldan  dit  à  count  :  «  Rendé-vous  hastiment . 
Ne  poez  aver  duré  enconter  tant  de  gent. 
Rendé-vous  en  hast ,  si  vous  dirra  cornent 
Voster  corps  saverai  e  sanera  de  tonnent.  » 

A  ceo  respound  le  count  e  haut  voiz  escrie  : 

Frère  Richard  d'Ascalon  son  cheval  eut  perdu ,  mainte  plaie  an 
nom  de  Dieu  avait-il  reçue. 

Et  dre  Robert  de  Wadele  combattit  tact  qu'il  n'eu  put  plus  en- 
durer, à  Dieu  il  s'en  va  alors;  et  sire  Ralph  de  Henfeld ,  son  compa- 
gnon vaillant ,  fort  belle  compagnie  tint  de  tout  son  vivant. 

A  Sarraâns  firent-ils  maux  et  les  mutilèrent,  et  assez  (se)  vendi- 
rent cher  avant  de  mourir. 

Sur  les  épaules  du  frère  s^appuya  le  Longue-Épée,  l'épée  tranchant 
en  sa  main  :  il  n*eut  qu'un  pied.  A  tous  ceux  quMl  put  attemdre  la 
tète  11  a  coupé;  il  n^épargna  haut  ni  bas,  si  bien  fut  armé. 

Un  Soudan  dit  au  comte  i  «  Rendez-vous  bien  vite,  vous  ne  pouvei 
lutter  contre  tant  de  monde.  Rendez-vous  en  hAte ,  et  je  vous  dirai 
comment  votre  corps  je  sauverai  et  guérirai  de  tourment.  » 

A  cela  répond  le  comte  et  à  haute  voix  s'écrie  :  «  A  Dieu  ne  plaise 


SUB  LA  BàTATLLB  DB  M4NS0UBAH.  349 

<t  Jà  ne  place  Dieu ,  le  filz  seint  Marie, 
Que  jammès  eutxe  crestieus  à  nul  jour  soit  oîe 
Qe  jeo  me  rende  à  Sarazins  tan  qe  com  ai  la  vie, 
S*il  ne  soit  à  lur  testes  coper  od  ma  espée  forbie.  » 

Dunqe  dist  le  soldan,  ke  out  à  npun  Mescadel: 
«  Si  ceo  ne  facez,  de  Sarazins  cruel 
Vous  frai  tôt  détrancher  com  char  pur  mettre  en  cel. 
Jà  ne  vous  saveraî  tun  seingnur,  q'est  si  bel.  >^ 

£n  haut  cria  le  count  e  dist  hautment  : 
«  Ore  vous  savez,  si  vous  poez,  vîlen  pudient; 
James  à  vous  ne  altre  por  manance  ne  pur  turment 
Ne  refuserai  Jhésu-Grist  un  Dieu  omnipotent.  » 

Dunqe  fîist  le  count  mult  forment  asailli , . 
S'il  refert  arer  od  espée  fiirbi , 
Détrenche  les  Sarazins  qe  sunt  entor  lui , 
Et  totes  hures  en  haut  voiz  por  Dieu  merci, 

Dunqe  dist  le  count  à  son  cher  compaingnon, 
Qe  hardi  fust  e  vaillant,  frer  Richard  d'Escalon  : 

le  fiis  de  sainte  Marie  que  jamais  entre  chrétiens,  jamais  il  soit  ouï  que 
je  me  rende  aux  Sarrasins  tant  que  >'ai  la  vie,  si  ce  n'est  pour  couper 
leurs  tètes  avec  mon  épée  fourbie.  » 

Donc  dit  le  Soudan ,  qui  eut  à  nom  Malek  Adel  :  «  Si  cela  ne 
faites ,  de  Sarrasins  cruels  je  vous  ferai  tailler  en  pièces  comme  chair 
pour  mettre  en  sel.  Ton  seigneur,  qui  est  si  beau ,  ne  te  sauvera  pas.  » 

En  haut  cria  le  comte  et  dit  hautement  :  «  Maintenant  sauvez- 
vous,  si  vous  pouvez ,  vilains  puants.  Jamais  à  vous ,  pour  menace 
ni  pour  tourment,  je  ne  renierai  Jésus-Christ,  un  Dieu  tout-puis- 
sant. 9 

Donc  fut  le  comte  très-fortement  assailli;  et  il  frappe  à  son  tour 
(  en  )  arrière  avec  épé^  fourbie ,  il  taille  en  pièces  les  Sarrasins  qui 
sont  autour  de  lui ,  et  toujours  à  haute  voix  il  remercie  Dieu. 

Donc  dit  le  comte  à  son  cher  compagnon,  qui  hardi  fut  et  vaillant, 

30 


S&O  POÊMB  ÀMeLO-NOBMAND 

«  tenoms  ferm  ensemble  tant  com  nous  vi?om , 

Si  vendums  cher  nostre  vie  cinz  qe  nous  mourroums.  » 

—  «  Volunters,  dist  \i  frer,  par  Jhésu  le  filz  Marie  ! 
Janunès  vous  défaudra  tanqe  corn  ai  la  vie.  » 

Amdeux  le  bones  vaillanz  fenn  ensemble  se  tindrent , 
Por  bien  férir  lur  enemys  nule  re  ne  se  feindrent. 

Li  vaillant  count  de  Salesburi  fiist  dunqe  îrrez. 
Eaux  dieux  furent  asailli  de  Sarazins  malurez., 
Trestouz  les  voleint  trancher  de  lur  bones  espées; 
Mes  eaux  arer  fèarent  cum  vaillanz  esprovez. 

Li  vaillant  count  hardi  saut  à  un  amirel, 
Au  fil  de  roi  |d']Égipte,  si  out  à  noun  AbraêL 
De  Sun  espée  trenchant  li  donne  coupe  novel , 
La  teste  11  fendi  en  di^ix ,  le  corps  chet  en  le  gravel. 

Mult  très-ben  le  seingna ,  sachez  saunz  faile. 
Ben  aparust  qe  sun  espée  fust  de  bon  taile  : 

frère  Richard  d'Ascalon  :  «  Tenons  ferme  ensemble  tant  que  nous  vi- 
vons ,  et  vendons  cher  notre  vie  avant  que  bous  mourions.  » 

—  «  Volontiers,  dit  lefirère,  par  Jésus  le  fils  de  Marie!  jamais  je  ne 
vous  ferai  défaut  tant  que  j*ai  la  vie.  » 

Tous  deux  les  bons  vaillants  ferme  ensemble  se  tinrent ,  pour  bien 
frapper  leurs  ennemis  nullement  ils  ne  manquèrent. 

Le  vaillant  comte  de  Salisbury  fut  donc  irrité.  Eux  deux  furent 
assaillis  de  Sarrasins  maudits  ;  tous  les  voulaient  trancher  de  leurs 
bonnes  épées;  mais  eux  (en)  arrière  frappent  comme  vaillants 
éprouvés. 

Le  vaillant  comte  hardi  saute  à  un  émir,  au  fiis  du  roi  d'Egypte; 
il  eut  à  nom  Abraël.  De  son  épée  tranchante  il  lui  donne  coup  nou- 
veau, la  tête  il  lui  fendit  en  deux ,  le  corps  choit  sur  le  gravier. 

Très-bien  le  saigna,  sacbez-le  sans  manquer.  Bien  apparut  que  son 
épée  fut  de  bonne  taille. 


SUR  LA    BATAILLE   BB    MANSOURAH.  3ôl 

La  teste  le  fist  trè-baut  voler  demeintenant , 
Le  corps  chet  à  sim  peé,  lesoldan  véant. 
Sa  aime  enporta  Ruffini  en  enfem  ebaataut. 

Geo  vit  frer  Richard,  li  hardi  e  alosé, 
Qel  coup  le  count  douât  à  l'Amirel  dévé , 
Tantost  se  mist  avant  en  mesmes  le  chivaché, 
Et  sinqe  Sarazins  félouns  il  ad  à  mort  liveré. 

Un  Sarazin  félon  vint  sor  cbival  corrant , 
Une  espée  en  sa  maine,  red  fust  tranchant; 
A  vaillant  count  dona  un  coup  très-pesant , 
La  maine  destre  li  copa  dont  tint  Tespée  avant. 

Dunqe  fiist  le  gentil  corps  fèrement  démembré. 
Le  peé  senestre  li  fiist  tolet,  e  la  maine  destre  copé. 

Qant  avoit  la  main  perdu,  dunqes  ce  treist  arer ; 
A  Jhésu-Crist  onmipotent  ilst  une  tid  prière, 
Qe,  si  ceo  fust  à  sounpleisir,  pur  Tamour  sa  mère, 
Vengement  li  donast  de  ceste  gent  amère. 

La  tète  il  lui  fit  voler  très-haut  à  Tinstant  même.  Le  corps  tombe 
à  son  pied,  le  Soudan  (  le  )  voyant.  RuRini  emporta  son  ame  en  enfer 
(en)  chantant. 

Cela  vit  frère  Richard,  le  hardi  et  fameuK,  quel  coup  le  comte  donna 
à  l^émir  insensé;  tantôt  il  se  mit  en  avant  dans  la  même  chevauchée, 
et  cinq  Sarrasins  félons  il  a  livré  à  mort. 

Un  Sarrasin  félon  vint  sur  cheval  courant,  vm  èpée  en  sa  main , 
raide  fut  (et)  tranchante;  au  vaillant  comte  il  donna  on  coup  très^ 
peâant ,  la  main  droite  il  lui  coupa  dont  il  tint  Pépée  en  avant. 

Donc  fat  le  noble  corps  fièrement  démembré.  Le  pied  gauche  lui  (ut 
enlevé,  et  la  main  droite  coupée. 

Quand  il  avait  la  main  perdue ,  alors  il  se  retira  en  arrière;  à 
Jésus-Christ  tont-puissant  il  fit  une  telle  prière,  que,  si  ce  fût  à  son 
plaisir ,  pour  Taraour  de  sa  mère ,  vengeance  il  lui  donnât  de  ces 
gens  amers. 


353  POÈMB  ÀUGLO-NOEMÂND 

Le  hardi  corps  e  vaillaunt  sur  l'un  peé  saut  avaunt; 

A  un  Turcois  féloun  qi  outà  noun  Espiraunt, 

En  la  main  senestre  prist  Fespée  trenchaunt , 

£  le  vis  ou  le  mentoun  li  mlst  avalaunt. 

Un  altre  coup  li  dona  tut  en  qermisaunt  ; 

Là  main  sinestre  dount  tint  Fespé  li  fist  voler  avant. 

Dunqes  chet  à  terre  le  vaillaunt  Long-Espeé, 
Qe  ne  pout  esteer  plus  sur  Tun  peé. 
Sarazins  currerunt  mult  joiouse  e  leé, 
De  lour  espées  trenchaunz  li  ount  tut  manglé. 

Frère  Richard  de  Ascalon ,  li  hardi  combataunt, 
Sur  le  count  chéi  naufré  e  senglaunt  ; 
Pur  tote  la  terre  de  Fraunce  n'énst  aie  avant. 
Quant  vit  mort  le  count,  mort  se  rend  à  tant. 

Sire  Richard  de  Guise  porta  soun  baner, 
Vit  son  seignur  morir^  le  bon  bacbeier  ; 
A  plus  tost  qe  il  pout,  saunz  plus  sojomer, 
Chet  sur  seignur,  si  li  leste  détrencher. 

Le  hardi  corps  et  vaillant  sur  un  pied  saute  (en)  avant;  à  un  Turc 
félon  qui  eut  à  nom  Espiraunt,  en  la  main  gauche  il  prit  l'épée 
tranchant,  et  le  visage  avec  le  menton  il  lui  mit  en  bas.  ^n  autre 
coup  il  lui  donna  en  escarmouchant  ;  la  mahi  gauche  dont  il  tint  l'é- 
pée il  lui  flt  voler  en  avant. 

Alors  tombe  à  terre  ie  vaillant  Longue-Épée,  qui  ne  put  plus  se 
tenir  sur  un  pied.  Les  Sarrasins  crièrent  fort  joyeux  et  gais,  de  leurs 
épées  tranchantes  ils  Tout  tout  mutilé. 

Frère  Richard  d^Ascalon,  le  hardi  combattant,  sur  le  comte  chut 
blessé  et  sanglant;  pour  toute  la  terre  de  France  il  ne  ftt  allé  avant. 
Quand  il  vit  mort  le  comte ,  mort  il  se  rend  alors. 

Sire  Richard  de  Guise  porta  sa  bannière  ;  le  bon  bachelier  vit  son 
maître  mourir;  le  plus  tôt  quUI  put,  sans  plus  tarder,  il  tombe  sur  son 
seigneur  et  se  laisse  couper  en  morceaux.  Le  comte  et  le  porte- ban- 


SUB  LÀ  BATAILLE  DS  MANSOUHAH.  868 

lÀ  count  e  li  baneour  e  ses  bachelers , 

£  sire  Rauf  de  Henfeld  hardi  e  fiers, 

E  sire  Robert  Widele,  qe  li  ama  mult  obiers , 

Toutz  dnqe  sunt  occis^  li  bons  chevalers  ; 

Toutz  cinqe  ensemble  furent  ensi  occis  : 
Jhésu  les  aimes  ad  en  Parais. 

nière'  et  ses  bacheliers,  et  sire  Ralph  de  Henfeld  hardi  et  fier,  et  sire 
Robert  de  Widele,  qui  l'aima  très-fort,  toas  cinq  sont  taés,  les  bons 
chevaliers. 

Tous  cinq  ensemble  furent  ainsi  tués  :  Jésus  les  âmes  a  en  pa- 
radis. 


FIN. 


30. 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


Pages; 
AVANT-PROPOS a 


DISSERTATIONS  SUR  JOINVILLE. 

I .    De  la  Vie  4e  Joinville i 

II .    Des  Mémoires  de  Joinville  et  de  leur  mérite  littéraire.  xliii 

m.    Opinions  diverses  sur  Joinville  et  ses  Mémoires. . .  lxii 

•  IV.    Tombeau  et  épitaphes lxxv 

V.    Cliâteau  de  Joinville lxxxv 

VI.    Des  manuscrits  des  Mémoires  de  Joinville lxxxvui 

VII.     Des  éditions  des  Mémoires  de  Joinville xcu 

VIII.    Sources  à  consulter xcviii 

IX .    Actes  et  documents  concernant  les  sires  de  Joinville .  ex 
Appendice.  Rapport  de  la  chambre  des  comptes,  daté  du 
mois  de  mai  1331 ,  relativement  aux  droits  afférents 

aux  sires  de  Joinville  lorsqu'ils  étaient  à  la  cour. . .  cxx 

X .    Essai  sur  la  généalogie  des  sires  de  Joinville cxxv 

XI .     Dissertation  sur  le  Credo  de  Joinville cl 

XII.      Nouvelles   recherches  sur  les  manuscrits  du  sire 

de  Joinville ,  par  M.  Paulin  Paris clxvui 

» 

HISTOIRE  DE  SAlNT  LOUIS 1 

APPENDICES. 

Enseignement  de  saint  Louis  à  sa  fille  Isabelle 249 

Lettre  de  Jean-Pierre  Sarrasin,  Chambellan  du  roi  de 
France  à  Nicolas  Arrode,   prévôt  des  marchands  de 

355 


85<S  TABLE  DES  MÀTIÈBES. 

Paris  en  1289  et  1291,  sur  la  première  croisade  de  samt 

Louis 253 

Lettre  du  roi  Thibaut  à  réyâque  de  Thunes 315 

Les  regrets  de  la  mort  de  saint  Louis. 317 

Poème  anglo-normand  sur  la  bataille  de  Mansourah. ...  327 


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3  9015  02954  2738 


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